Rasputin (Traduit) - J W Bienstock - E-Book

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J W Bienstock

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Beschreibung

Mettons le nom de Raspoutine en tête de ce livre, de ce personnage fantastique, presque légendaire, car dans la dernière décennie du régime. Raspoutine est la personnification de la folie et de la criminalité du régime tsariste, et la date de sa mort coïncide avec la fin de ce régime, à quelques jours d'intervalle. Le règne du dernier des Romanov, qui a duré vingt-trois ans, est marqué par une série d'actes qui semblent être un défi perpétuel au peuple russe. Tout ce que le pays possédait d'habileté et d'honnêteté fut rejeté par le pouvoir, et autour du trône se constitua une foule toujours plus nombreuse de carriéristes, d'aventuriers, de prostituées, de voleurs et d'escrocs de toute sorte et de toute classe, de thaumaturges et de sorciers, une foule variée d'êtres étranges, sans loi et sans foi, qui creusèrent un fossé toujours plus profond entre l'empereur et son peuple. L'expression qui, mieux que toute autre, caractérise les relations qui, dès le début de ce règne, se sont établies entre la Cour et le peuple, est celle qui était couramment utilisée dans le milieu de l'empereur : "Nous et eux". Nous, c'est-à-dire la Cour et ses deux accessoires, la bureaucratie inepte et la police dépravée. Eux, c'est-à-dire tout le reste de la Russie, l'immense peuple de cent soixante-trois millions d'âmes, en qui ils ont vu un ennemi, momentanément subjugué, mais qu'ils ne doivent jamais oublier de traiter en ennemi. La figure la plus remarquable, la plus extraordinaire, la plus dramatique de ce tribunal, unique dans l'histoire des temps modernes, fut, comme nous l'avons dit, Raspoutine. Beaucoup a déjà été écrit sur ce personnage trop célèbre, mais ni sa biographie complète, ni la nature spécifique et précise de ses actions, ni tous les détails de sa mort n'ont encore été mis en lumière. Aujourd'hui, nous disposons de documents qui nous permettent de combler partiellement cette lacune. Nous disposons du journal d'une des premières victimes de Raspoutine, la femme du général Loktin, qui a suivi pas à pas le célèbre staretz, et noté les détails les plus pittoresques et les plus étranges de sa vie cahoteuse. Nous possédons également un autre journal, celui du prêtre Héliodore, qui fut d'abord un ami fervent de Raspoutine, puis devint le plus féroce de ses ennemis. Et enfin, nous avons maintenant le dossier complet de l'enquête judiciaire menée après le meurtre de Raspoutine. Grâce à ces éléments, nous pouvons dresser une biographie complète du personnage ou du moins en donner les notions les plus essentielles. Mais pour comprendre le rôle joué par Raspoutine dans l'histoire de ces dernières années, pour comprendre comment ce paysan illettré, grossier, répugnant, qualifié d'impur par tous ceux qui l'approchaient, a pu être pendant quelque temps le véritable dictateur de la Russie, à la place de l'empereur, il faut dire brièvement ce qu'étaient la Russie et son souverain.

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Veröffentlichungsjahr: 2022

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RASPUTIN

LA FIN D'UN RÉGIME

 

J. W. BIENSTOCK

Traduction et édition 2022 par ©David De Angelis

Tous droits réservés

Table des matières

INTRODUCTION

I. L'ACCESSION AU TRÔNE D'ALEXANDRE III. - SA POLITIQUE. - LA FAMILLE IMPÉRIALE À GATCINA. - L'ENFANCE DE NICOLAS II. - SES TUTEURS.

II. LA JEUNESSE DE NICOLA. II. - LE VOYAGE VERS L'EXTRÊME ORIENT. - LA MORT D'ALEXANDRE III.

III. LES PREMIÈRES ANNÉES DU RÈGNE DE NICOLAS IL - LE MARIAGE DE L'EMPEREUR. - DE NOUVELLES INFLUENCES.

IV. KODINICA. - LA POLITIQUE INTÉRIEURE.

V. LE MYSTICISME À LA COUR RUSSE. - LES RELIQUES DE SAINT SERAPHIM. - QUELQUES PRÉDÉCESSEURS DE RASPOUTINE.

VI. LA GUERRE RUSSO-JAPONAISE. - LES PRODROMES DE LA RÉVOLUTION.

VII. GREGOBIO RASPOUTINE.

VIII. NEOKLYSTOVCIN - L'INFLUENCE DE RASPOUTINE SUR LA FAMILLE TMPERIUM.

IX. LES PRATIQUES RELIGIEUSES DE RASPIITIN. - CERTAINES DE SES VICTIMES. - MITIA KOLIABA. - RAPPORT DE L'OCRANA.

X. RASPOUTINE ET HÉLIODORE.

XI. UNE RÉCEPTION DANS LA MAISON DE RASPOUTINE.

XII. FORCES OCCULTES.

XIII. LA GUERRE ET L'INFLUENCE ALLEMANDE À LA COUR DE RUSSIE.

XIV. TRADITIONS.

XV. LES ATTENTATS. - L'ASSASSINAT DE RASPOUTINE.

XVI. LES DÉCLARATIONS DES TÉMOINS.

XVIII. LA RÉVOLUTION.

 

INTRODUCTION

 

Mettons le nom de Raspoutine en tête de ce livre, de ce personnage fantastique, presque légendaire, car dans la dernière décennie du régime. Raspoutine est la personnification de la folie et de la criminalité du régime tsariste, et la date de sa mort coïncide avec la fin de ce régime, à quelques jours d'intervalle. Le règne du dernier des Romanov, qui a duré vingt-trois ans, est marqué par une série d'actes qui semblent être un défi perpétuel au peuple russe. Tout ce que le pays possédait d'habileté et d'honnêteté fut rejeté par le pouvoir, et autour du trône se constitua une foule toujours plus nombreuse de carriéristes, d'aventuriers, de prostituées, de voleurs et d'escrocs de toute sorte et de toute classe, de thaumaturges et de sorciers, une foule variée d'êtres étranges, sans loi et sans foi, qui creusèrent un fossé toujours plus profond entre l'empereur et son peuple. L'expression qui, mieux que toute autre, caractérise les relations qui, dès le début de ce règne, se sont établies entre la Cour et le peuple, est celle qui était couramment utilisée dans le milieu de l'empereur : "Nous et eux". Nous, c'est-à-dire la Cour et ses deux accessoires, la bureaucratie inepte et la police dépravée. Eux, c'est-à-dire tout le reste de la Russie, l'immense peuple de cent soixante-trois millions d'âmes, en qui ils ont vu un ennemi, momentanément subjugué, mais qu'ils ne doivent jamais oublier de traiter en ennemi. La figure la plus remarquable, la plus extraordinaire, la plus dramatique de ce tribunal, unique dans l'histoire des temps modernes, fut, comme nous l'avons dit, Raspoutine. Beaucoup a déjà été écrit sur ce personnage trop célèbre, mais ni sa biographie complète, ni la nature spécifique et précise de ses actions, ni tous les détails de sa mort n'ont encore été mis en lumière. Aujourd'hui, nous disposons de documents qui nous permettent de combler partiellement cette lacune. Nous avons le journal d'une des premières victimes de Raspoutine, la femme du général Loktin, qui a suivi pas à pas le célèbre staretz, et noté les détails les plus pittoresques et les plus étranges de sa vie accidentelle. Nous possédons également un autre journal, celui du prêtre Héliodore [1] qui fut d'abord un ami fervent de Raspoutine, puis devint le plus acharné de ses ennemis. Et enfin, nous disposons maintenant du dossier complet de l'enquête judiciaire menée après l'assassinat de Raspoutine. Grâce à ces éléments, nous pouvons dresser une biographie complète du personnage ou du moins en donner les notions les plus essentielles. Mais pour comprendre le rôle joué par Raspoutine dans l'histoire de ces dernières années, pour comprendre comment ce paysan illettré, grossier, répugnant et sans qualité (pour tous ceux qui l'approchaient) a pu être pendant quelque temps le véritable dictateur de la Russie, à la place de l'empereur, il faut dire brièvement ce qu'étaient la Russie et son souverain. Nous commencerons par un bref résumé de la vie et du règne de Nicolas II et, après avoir indiqué les caractéristiques de certaines des personnes qui l'ont entouré, nous nous pencherons sur la biographie de Raspoutine, qui nous mènera au bord des événements qui ont secoué non seulement la Russie, mais le monde entier.

 

[1] Le Saint Diable, publié par la revue historique "Goloss Minuvciavo" (La voix du passé).

I. L'ACCESSION AU TRÔNE D'ALEXANDRE III. - SA POLITIQUE. - LA FAMILLE IMPÉRIALE À GATCINA. - L'ENFANCE DE NICOLAS II. - SES TUTEURS.

 

La vérité sur la vie des souverains n'est généralement connue que longtemps après leur mort ou leur chute, c'est-à-dire seulement lorsque les documents historiques, les mémoires et les journaux intimes des contemporains et des membres de la famille de la cour sont publiés. Mais Nicolas II est une exception. Pendant son règne, alors qu'il était encore tout-puissant, et quelque temps avant la guerre, un ouvrage volumineux et anonyme intitulé "Le dernier des autocrates" a été publié à Berlin. Dans cet ouvrage, l'auteur nous fait défiler toute la vie intime du souverain, sa cour, ses ministres, ses hauts fonctionnaires, sans oublier les forces occultes qui, en fait, dirigeaient la politique intérieure et extérieure du pays. On sait depuis un certain temps que l'auteur de cet ouvrage est V. P. Obninsky. P. Obninsky, et ce nom confère une valeur particulière à la documentation du livre. Président du zemstvo de Kaluga et membre de la première Douma, V. P. Obninsky a toujours été au centre de la vie politique et publique russe. Dans sa jeunesse, il était officier dans le régiment de la garde auquel Nicholas. II, et est devenu son ami. Admis dans le monde de la Cour, Obninsky a pu observer de très près Nicolas II, alors prince héritier, ainsi que les coutumes de la Cour et de la haute bureaucratie. Sa sincérité, sa haute valeur morale, la haute estime dans laquelle il était tenu par tous ses collègues de la Douma et par tous ceux qui ont eu affaire à lui, confirment que V. P. Obninsky est un témoin digne de confiance. En plus de ce solide travail de documentation, nous possédons maintenant sur Nicolas II et sa Cour, des centaines de. témoignages et un tas de documents que la Révolution russe a rendus publics.

Le 1/14 mars 1881, près du canal Catherine à Saint-Pétersbourg, l'empereur Alexandre II est tué par la bombe d'un révolutionnaire. Son fils lui a succédé. Les témoignages sont unanimes pour dire que le nouvel empereur, Alexandre III, est un homme brutal, inculte, capable d'une certaine volonté et de toutes les vertus familiales, mais qui s'intéresse peu à la politique et méprise le métier des armes, contrairement à ses ancêtres qui vouaient un véritable culte au métier des armes. Dès que le nouveau souverain monta sur le trône, la première question qui se posa fut de savoir si l'ucase, déjà étudié et compilé par la commission spéciale présidée par Loris Melikoff, qui accordait au peuple russe une sorte de constitution, serait ou non publié. Mais l'assassinat d'Alexandre II, qui avait plusieurs réformes libérales à son actif, dont l'émancipation de la paysannerie, a été accueilli avec indifférence, même dans les sphères libérales de la société russe. Le parti réactionnaire, poussé surtout par le célèbre Pobiedonostzev, profita de l'émotion des partis avancés pour obtenir de l'empereur une réponse négative à cette question. La peine capitale imposée à tous ceux qui avaient pris part à l'assassinat d'Alexandre II a été le deuxième acte du nouveau gouvernement. Ni l'admirable lettre de L. N. Tolstoï, ni celle adressée par les révolutionnaires eux-mêmes, n'ont réussi à ébranler la décision de l'empereur, qui était déjà un esclave du parti réactionnaire. Cinq révolutionnaires ont été incendiés, dont une femme, Sofia Perovskaia. C'était la première fois en Russie qu'une femme était exécutée. Plus tard, et surtout dans les dernières années du règne de Nicolas II, la pendaison des femmes est devenue l'ordre du jour. "Des grappes de corps de femmes sont suspendues à la potence", dira plus tard le grand poète Andreiev. Mais en 1881, cette première condamnation d'une femme a fait une profonde impression en Russie. Avec l'avènement du nouveau royaume, un nettoyage de l'administration a commencé immédiatement. Toute personne soupçonnée de libéralisme était impitoyablement écartée. La Russie est divisée en une série de provinces, confiées à des gouverneurs dont la mission est d'étouffer la vie et toute tentative d'organisation sociale. Entre le nouvel empereur et la société russe, un abîme s'est creusé, créé par la méfiance et la suspicion mutuelle, et les treize années du règne d'Alexandre III, comptent parmi les périodes de réaction les plus sombres que la Russie ait traversées. Après l'impression de la mort horrible de son père, Alexandre III est saisi d'une terreur morbide. Il ressentait une grande tristesse d'être à la parade, d'être celui que tout le monde regardait. Il était horrifié par Petersburg. Il avait peur de traverser ces larges perspectives, ces grandes places, où il craignait, à chaque pas, de voir se lever quelque révolutionnaire, porteur de bombes. Afin d'échapper à ce cauchemar, Alexandre III décide d'installer définitivement la Cour à Galcina. Depuis l'époque de Paul Ier, Gatcina, avec son palais qui ressemblait à une caserne froide et vide, avec ses rues larges, propres et désertes, avec son parc immense et solitaire, ressemblait à la résidence d'un souverain détrôné. Alexandre III, qui, selon le comte Witte, "ne savait que faire de son autocratie", s'y exila avec sa famille, jugeant que la solitude était le meilleur moyen d'éviter les machines infernales et les coups de revolver. Sa crainte était telle qu'il ne souhaitait pas habiter les grandes salles du palais, et choisissait pour sa résidence, et celle de sa famille, l'entresol, qui probablement, à l'époque de Paul Ier, était réservé aux domestiques, et dont le plafond était si bas, qu'un homme de taille moyenne pouvait le toucher de la main ; et Alexandre III était très grand. Obninsky donne une description pittoresque de l'appartement impérial de Gatcina : "les petites pièces non seulement ne pouvaient pas contenir le mobilier impérial, mais il était même impossible d'y placer un piano à queue, et l'impératrice Maria Feodorovna devait se contenter d'un piano droit. Des chaises, les plus courantes, étaient alignées le long des murs, recouvertes de papier, et accrochés au mur, des tableaux anciens et modernes, ainsi que de simples photographies clouées." D'après le récit du même témoin, nous voyons qu'ici, comme toujours, l'apparition du

La vie de la famille impériale était des plus simples. " On n'aurait jamais pensé que c'était le centre de pouvoir le plus terrible par son étendue et sa grandeur, que le sort d'un peuple de plus de cent cinquante millions d'âmes se décidait ici ; on aurait plutôt cru que c'était le domaine d'un châtelain du milieu du siècle, vivant dans le cercle le plus étroit des intérêts domestiques. Même les visites des ministres ne servaient pas de distraction : elles étaient une des inévitables contrariétés de l'existence, quelque chose comme le voile de moisissure qui recouvre un étang, pittoresque, mais nuisible". C'est dans cet environnement que Nicholas et ses frères ont grandi. Dépourvu de toute éducation sérieuse, l'empereur Alexandre III ne voyait pas la nécessité de fournir à son héritier des connaissances utiles pour son avenir. Pour Nicholas et ses frères, qui n'étaient pas seulement de bons professeurs, on cherchait un bon père. A Gatcina, comme à d'autres époques dans les vieilles familles russes, ils étaient guidés par le principe : des enseignants médiocres, choisis au hasard, et de bonnes nourrices, attachées à la famille. Ce rôle revient à l'Anglais C. Heath, généralement appelé Karl Ossipov, pour les enfants d'Alexandre III. Heath, habituellement appelé Karl Ossipovic. Doté d'une bonne éducation livresque, aquarelliste agréable et sportif dévoué, M. Heath associait ces qualités à une profonde dévotion à la famille impériale qui l'avait recueilli. Mais ni quarante années passées en Russie, ni le fait de vivre et de parler avec l'élite de la société russe ne lui ont permis d'acquérir une véritable connaissance du pays, du peuple et de son histoire, de sorte que l'influence de cet homme s'est limitée, comme celle de toute bonne infirmière, aux murs de la crèche. Son influence n'a prévalu que sur un point, à savoir l'utilisation de la langue anglaise, de sorte que même plus tard, lorsqu'il était empereur, les discours de Nicolas II n'étaient que la traduction littérale de phrases anglaises en russe. Toutes les sortes de sports prenaient la plus grande place dans les occupations des garçons impériaux ; ils étaient de bons cavaliers, de bons tireurs et de grands chasseurs. Aucun d'entre eux ne possédait de dispositions artistiques particulières, et pour la peinture et la musique, Nicolas et sa sœur Olga ressentaient plutôt de l'aversion que de l'indifférence. Les personnages des enfants étaient très différents. L'héritier, Nicholas, était fier de l'importance de son origine ; le deuxième, George, sombre et taciturne ; peut-être la maladie qui devait le tuer affectait-elle son caractère ; le troisième fils, Michael, le préféré de son père, était un garçon aux joues roses et potelées, d'humeur joyeuse. Alexandre III se mêlait fréquemment aux jeux de ses enfants et on le voyait souvent accroupi sur le sol en train de jouer avec la famille. Les professeurs des jeunes grands-ducs, comme nous l'avons dit, étaient choisis parmi les médiocres. Et si quelqu'un avait voulu dire un mot de vérité au futur empereur, il en aurait été empêché par l'homme chargé de leur éducation, le célèbre Pobiedonoszev, ou par le général Danilovic, un officier terne et alcoolique qui assistait à toutes les leçons de l'héritier. De plus, les trois grands ducs étaient exceptionnellement paresseux et leur ignorance presque phénoménale était bien connue dans les milieux de la Cour. Par exemple, à l'âge de dix-sept ans, Nicholas, assistant à une représentation organisée par M. Heath de The Miserly Knight de Puskin, avoue franchement qu'il n'a jamais lu aucune des œuvres de Puskin et qu'il en ignore l'existence. Obninsky, qui rapporte ce fait, et qui a personnellement assisté à la représentation, ajoute que tous les spectateurs se sont sentis gênés par la confession de Zarevic. Dans le domaine de la science militaire, le résultat n'était guère plus brillant. Le ministre de la guerre, alors général Vannovski, avait systématiquement écarté les hommes d'intelligence des postes importants, de sorte que les officiers chargés d'enseigner la science militaire étaient inférieurs aux autres professeurs du grand duc héritier. Cérémonies religieuses, défilés, revues en uniforme, voilà jusqu'à quel point l'éducation des enfants d'Alexandre III était limitée. Par une étrange ironie, à mesure que la vie gouvernementale en Russie se compliquait, l'éducation des futurs dirigeants était confiée à des hommes de moins en moins capables et était réduite au minimum. Alexandre Ier reçut l'enseignement de La Harpe ; Alexandre II celui du grand poète Jukovsky ; Nicolas II celui du général Danilovic, Pobiedonoszev, qui n'était plus le jeune professeur ardent de l'époque d'Alexandre III, mais un vieil homme terne, fanatique et rusé. L'aumônier du palais, Janicef, lui enseigne le droit canonique ; Bunge, l'économie politique ; Zamyslovski, l'histoire. Le précepteur de Nicolas, M. Heath, lui disait souvent : "Pendant que vous êtes héritier, profitez-en pour écouter la vérité ; quand vous serez empereur, il sera trop tard". Malheureusement, Nicholas n'avait personne autour de lui pour lui dire la vérité.

II. LA JEUNESSE DE NICOLA. II. - LE VOYAGE VERS L'EXTRÊME ORIENT. - LA MORT D'ALEXANDRE III.

 

Le premier événement majeur de la vie personnelle de Nicolas Alexandrovitch est son voyage en Extrême-Orient. Les voyages pour connaître les coutumes des différents pays faisaient partie du programme d'éducation des grands-ducs, même si toutes les mesures étaient prises pour cacher la vérité à leurs yeux pendant ces voyages. Ces voyages ont été longuement préparés par les fonctionnaires chargés de la réalisation du programme. Tous les discours étaient compilés et étudiés à l'avance, et les agents de l'Ocrana étaient tous mobilisés pour représenter le peuple, qui applaudissait avec enthousiasme au passage des grands ducs. Le protocole laisse rarement de la place à l'inattendu, sauf si c'est par inadvertance. Le regretté poète Slucevski, chroniqueur officiel de ces voyages, raconte dans ses mémoires un incident pittoresque survenu en 1880 lors d'une visite du grand duc Vlarlimiro Alexandrovic dans les grandes villes de la Volga. À Samara, parmi les curiosités locales, il a été présenté à une vieille femme de cent vingt ans, qui pouvait à peine se tenir sur ses jambes mais avait conservé sa lucidité d'esprit. La vieille femme s'est prosternée devant le Grand Duc, a embrassé l'ourlet de son uniforme, puis s'est croisée.

- Pourquoi fais-tu le signe de la croix, grand-mère ? - a demandé le Grand Duc Vladimir.

- Et comment pourrais-je ne pas le faire ? - marmonna la vieille femme, - quand Dieu m'a permis, avant de mourir, de voir un tsar pour la deuxième fois ?

- Et quel autre tsar avez-vous vu ? - a demandé le grand duc.

- Mais oui, j'ai vu le tsar lui-même, notre père Emilian Pugacef", a déclaré la vieille femme de Samara, à la grande horreur de tous les spectateurs.

Le grand duc est parti précipitamment. Le lendemain, le gouverneur a présenté sa démission. Le voyage du grand-duc héritier en Extrême-Orient devait avoir pour but, outre l'éducation, de renforcer les relations internationales de la Russie, de nouer de nouvelles relations diplomatiques avec l'Extrême-Orient et d'accroître le prestige du règne d'Alexandre III. Mais le voyage, combiné pour les zarevitc, était mal adapté pour atteindre ce triple objectif. À cette époque, Alexandre III avait déjà écarté de la Cour tous les grands hommes politiques qui entouraient Alexandre IL Quels étaient les hommes de l'époque ? Le général Cerevin, qui employait à boire le temps qu'il ne passait pas à la Cour ; ou le général Richter, grand propriétaire balte, honnête homme, mais sans aucune idée politique ; il n'y avait personne qui pût faire une digne escorte au grand-duc héritier, et capable de représenter dignement la Russie, et le vieux général Bariatinski, presque aveugle, fut nommé chef de la Mission. Mais, à défaut d'autre chose, ce voyage aurait pu avoir un résultat : détacher l'héritier de la chanteuse Labunskala dont il était très amoureux. Le croiseur Pamial Azova (mémoire d'Azov), qui transportait le tsarévitch et son entourage, a été le théâtre des orgies et des réjouissances les plus scandaleuses tout au long du voyage, auxquelles l'héritier et son frère George ont pris part. L'abus de boissons alcoolisées conduit fréquemment à des bagarres, et au cours de l'une d'elles, Nicholas maltraite son frère si rudement qu'il le jette en bas des escaliers du pont. Le Grand-Duc George, avec une poitrine meurtrie, ne s'est jamais remis de cette chute, qui a accéléré le développement de la tuberculose dont il souffrait déjà. Au premier port d'escale, il a dû descendre à terre et être ramené en Russie. Après cet accident, il se traîne pendant quelques années, puis meurt à Abaz-Tuman, une station balnéaire du Caucase. Nicolas poursuit son voyage, mène une vie joyeuse, jouit de tous les plaisirs, et atteint enfin le Japon, ce Japon qui sera une partie si tragique de sa vie. Les voyageurs russes, par leur manque de tact, leur ignorance des coutumes japonaises et leurs manières trop grossières, irritèrent les Japonais dès les premiers jours, notamment lors de leurs visites dans les temples où ils n'hésitaient pas à se moquer des images de Bouddha et des autres dieux. Un fanatique, membre de la garde d'honneur attachée à la mission russe, l'officier Sanso-Tsusa, a pris sur lui de venger les dieux. Il donne un coup de sabre à la tête du tsarévitch ; le second coup est arrêté par un des compagnons de voyage de Nicolas, l'héritier du trône de Grèce, Georges. Ce sabre a été la première blessure que le Japon a infligée à la Russie. Personne à l'époque n'aurait pu prévoir les conséquences de cet incident. Nicolas en veut au pays qui lui a offert une si étrange hospitalité, mais surtout, il rentre en Russie avec une blessure beaucoup plus grave qu'il n'y paraît. Les professeurs russes appelés à l'observer ont constaté, à son retour, que si la matière cérébrale n'avait pas été endommagée, l'os crânien était également touché, et que la décomposition de la substance osseuse commençait à se produire des deux côtés de la blessure. Nicholas souffrait de fortes douleurs à la tête et le professeur Zakarin a déclaré qu'à long terme, il était à craindre que cela n'affecte ses facultés psychiques et son équilibre mental. Or, dans un pays où la politique personnelle de l'empereur joue un rôle si important, une telle perturbation de sa santé ne pouvait pas rester sans conséquences pour son peuple. Cependant, ce voyage n'apporta aucun changement dans la vie du Tsarévitch qui, dès qu'il fut remis de sa blessure, participa à nouveau à la vie dissolue des officiers de son régiment. Alexandre III, qui, comme nous l'avons dit, n'aimait pas la vie militaire, n'a pas cherché à en détourner son héritier. Les officiers du régiment de la Garde partagent leur temps entre distractions mondaines et orgies scandaleuses. Le régiment auquel appartient Nicolas est contaminé par le vice pour lequel l'ami de l'empereur allemand est condamné, et que le prince d'Oldembourg, chef de la garde, malgré des punitions exemplaires, ne parvient pas à éradiquer. Il est vrai qu'à cette époque, ce vice était très répandu, non seulement dans la haute société pétersbourgeoise, mais même dans la famille impériale. Des scandales éclatent quotidiennement, mais Alexandre III, moins courageux que Guillaume II sur ce point, ordonne de les étouffer. Une fois, cependant, et sur ordre de l'empereur, vingt officiers ont été expulsés de l'armée, ce qui ne les a toutefois pas empêchés de faire une brillante carrière par la suite. Parmi ces officiers expulsés se trouvaient deux futurs archevêques : Séraphin et Hermogène. Nous aurons l'occasion de reparler de ce dernier lorsque nous raconterons l'histoire de Raspoutine, dont il fut le protecteur et le puissant ami, avant de devenir, avec Héliodore, l'un des plus farouches ennemis. Il est curieux de constater que ce vice était particulier à certains régiments de la garde. Ainsi, alors que les Préobrajenzi, avec leur colonel en tête, s'y adonnent de façon scandaleuse, les Hussards y sont immunisés ; d'autre part, l'ivrognerie chez les Hussards est légendaire, et l'alcoolique le plus célèbre de l'époque est le Grand Duc Nikolaevich, qui commande le régiment où le Zarevich a fait son noviciat. M. G., qui servait alors dans le même régiment de la garde, a publié ses mémoires, d'où nous tirons la description d'une de ces orgies, qui prenaient une si grande place dans la vie des officiers. "Des journées entières se passaient à boire, et le soir on était en proie à des hallucinations, parmi lesquelles certaines étaient si fréquentes que les domestiques, habitués à l'étrange condition des officiers, savaient déjà ce qu'ils avaient à faire cas par cas. Ainsi, par exemple, le grand duc commandant du régiment, et les officiers hussards de sa famille, après une journée d'ivresse et de réjouissances, s'imaginèrent qu'ils étaient devenus des loups. Ils se sont donc tous déshabillés et ont couru dans les rues désertes de Zarkoie-Selo la nuit. Là, ils s'accroupissent sur le sol et, la tête tournée vers le ciel, se mettent à pousser des hurlements de deuil. Dès qu'il les a entendus, le vieux distributeur a apporté un baquet dans les escaliers du palais, l'a rempli de champagne et de brandy, et toute la compagnie a sauté sur le baquet et a lapé la boisson, en criant, en hurlant et en mordant. " Ces scènes ne passèrent pas inaperçues de la population de la petite ville, mais personne ne s'en indigna outre mesure, car les mœurs de la société de Zarkoie-Selo ne valaient guère mieux que celles des hussards. Et il arrivait aussi que l'on doive arracher le grand-duc Nikolaevich du toit de la maison où il était perché, complètement nu, pour chanter une sérénade à la lune ou à sa bien-aimée, une riche marchande de Saint-Pétersbourg". Tel est l'environnement dans lequel Nicolas II a passé sa jeunesse. Personne ne s'occupait de ses occupations, personne ne surveillait ses distractions, personne ne remarquait que son organisme commençait à être empoisonné par l'alcool, que son teint devenait jaune, que ses yeux, trop brillants, étaient déjà cerclés et gonflés ; personne ne préparait le jeune homme à son futur rôle de souverain. Entre-temps, la réaction la plus terrible, l'oppression de la parole et de la pensée, a accéléré le développement de nouveaux courants sociaux, contre lesquels la mort prématurée d'Alexandre III allait le confronter.

D'habitudes modestes, très simple avec sa famille, Alexandre III était de ces hommes qui n'aiment pas s'inquiéter de leur santé et ne parlent pas volontiers de leurs souffrances. Ainsi, la néphrite qui l'avait saisi avait pu progresser lentement avant que la perte de poids excessive du souverain ne suscite de sérieuses inquiétudes parmi les siens. Si la tentative de Borki, qui a failli faire exploser le train impérial, n'a tué ni le tsar ni aucun membre de sa famille, elle a au moins accentué sa maladie. Les médecins ont attribué l'aggravation soudaine de son état non pas tant à l'émotion qu'à l'effort qu'il a dû fournir pour soutenir le toit de la voiture de ses propres mains afin que la famille puisse sortir en toute sécurité. Les célèbres professeurs Zakarin et Leyden, appelés tardivement, n'ont pu que constater le caractère inexorable de l'affaire et prédire approximativement quand la fin arriverait. L'empereur Alexandre III se rend en Crimée, pour mourir dans le palais de Livadia. Sa lente agonie, l'anxiété et l'épuisement qu'il a causés à ses proches, cette fin d'un empereur, qui est mort comme un simple bourgeois modeste, entouré de sa famille, alors qu'en Russie on était habitué aux morts violentes des souverains, Les révolutions de palais avec tout ce qu'elles ont de mystérieux pour l'esprit populaire, ces circonstances pacifiques qui ont accompagné les derniers moments d'Alexandre III ont inspiré la sympathie générale, de sorte que les actes de terrorisme révolutionnaire ont presque complètement cessé pendant la dernière période de la vie de l'empereur. Au palais, différentes ambitions et influences se disputent le chevet du mourant. Surtout l'influence religieuse. Le chapelain de la cour, Janicef, détestait et craignait le célèbre Jean de Cronstad, appelé à Livadia. Tous deux voulaient donner les sacrements au souverain, et le concours fut réglé entre eux. Finalement, c'est le Père John qui a gagné. Au même moment, les conversations dramatiques de l'homme mourant avec ses fils ont lieu. Nicolas, d'un tempérament timide, comme s'il prévoyait les horreurs de son règne, voulait à tout prix renoncer au trône. D'autre part, George, qui a été témoin de l'agonie de son père, a également été condamné par le mal. Michael, trop jeune. L'empereur n'appréciait guère la régence du grand-duc Vladimir qui, à ce moment précis, était impliqué dans le scandale du détournement des millions collectés pour le monument d'Alexandre II. Nicolas est donc contraint d'accepter la couronne et doit signer le manifeste proclamant son accession au trône alors que son père est encore en vie. Alexandre III meurt le 20 octobre 1894, restant mentalement lucide jusqu'au dernier moment.

III. LES PREMIÈRES ANNÉES DU RÈGNE DE NICOLAS IL - LE MARIAGE DE L'EMPEREUR. - DE NOUVELLES INFLUENCES.

 

L'accession au trône de Nicolas II est accueillie par l'ensemble de la société russe avec l'espoir qui accompagne toujours le début d'un nouveau règne en Russie. Après la réaction morose du règne précédent, chacun voulait croire qu'avec le jeune empereur, que le peuple connaissait peu, une ère meilleure allait commencer en Russie. La terrible famine de 1890-92 a sorti la société de son sommeil de dix ans et a soulevé d'importantes questions politiques et économiques. On comptait sur le nouveau dirigeant pour les résoudre. Alexandre III, comme nous l'avons dit, était monté sur le trône sous l'impression de la fin tragique de son père. La terreur l'avait conduit à reporter son couronnement, à se terrer à Gatcina, à s'isoler dans les fjords finlandais et danois. Le Danemark. Comme un animal traqué, il avait accumulé la haine et la colère qui faisaient de lui un maniaque de l'autocratie. Nicolas II n'a pas de raison immédiate de craindre ou de haïr. Il pouvait agir librement et être aimé par son peuple qui lui était favorable. Mais la société russe, qui mettait son espoir dans le nouveau souverain, oubliait trop facilement combien était lourd l'héritage laissé par Alexandre III à son successeur, et d'autre part ne se rendait pas compte que, élevé dans l'atmosphère de piété et de flatterie de la Cour, ce jeune homme au caractère faible, à l'intelligence médiocre, porté rapidement à une hauteur presque surhumaine, convaincu d'avoir reçu son pouvoir de Dieu, était très mal préparé au rôle de grand réformateur qui lui était dû. En outre, les illusions de la société russe n'ont pas duré longtemps. Dès les premiers actes de Nicolas en tant que monarque, elle a compris qu'il fallait renoncer à ses "rêves insensés" d'équité et de progrès et s'est rendu compte que le nouveau souverain n'aimait pas son peuple, qui se méfiait de lui et ne voulait rien avoir en commun avec lui. Nicolas II s'est marié plus tard que ce qui est habituel chez les héritiers royaux. Il a vingt-six ans lorsque, dans des circonstances exceptionnelles, presque le lendemain de l'enterrement de son père, il conduit sa fiancée, la princesse Alice de Hesse, à l'autel. Alice n'était pas inconnue en Russie. Quelques années auparavant, son père, le grand-duc de Hesse, dont la fille avait épousé le grand-duc Sergius Alexandrovic, l'avait emmenée à la cour de Russie. Malgré sa beauté, la jeune princesse n'avait pas obtenu le succès qu'elle espérait. L'impératrice l'avait trouvée froide et hautaine. Quant à Nicolas, il est trop amoureux de sa maîtresse, la ballerine Censiskaia, pour penser à une autre femme. Et comme dans la famille bourgeoise d'Alexandre III, l'impératrice Maria Feodorovna a toujours le dernier mot, les fiançailles espérées n'ont pas eu lieu. Et Alice, surnommée "la mouche de Hesse" à Saint-Pétersbourg, retourne en Allemagne, ressentant dans son cœur l'offense que lui ont faite Nicolas et sa mère. Cependant, l'empereur Alexandre, qui ne voulait pas mourir sans avoir épousé l'héritier de son trône, et qui ne voyait pas de meilleur parti pour lui, finit par gagner l'hostilité de l'impératrice et l'indifférence de son fils à Alice de Hesse, et il est facile d'imaginer son triomphe lorsque, peu avant sa mort, Alexandre III demanda sa main au tsarévitch. Il n'était pas difficile de choisir entre la médiocrité de la petite cour de Hesse et la magnificence du trône russe. Accompagnée d'une petite suite et de modestes bagages, Alice retourne à Pétersbourg et, deux mois plus tard, elle est impératrice de Russie. "Au milieu des épreuves que nous infligent les voies impénétrables du Tout-Puissant (ainsi le manifeste du 21 octobre 1894), nous croyons, avec tout notre peuple, que l'âme de notre père bien-aimé a béni du ciel l'élue, chère à son cœur et au nôtre, qui est appelée à partager avec nous, avec son âme croyante et aimante, nos soins incessants pour le bien et la prospérité ! de notre patrie". On sait maintenant à quel point les espoirs exprimés dans ce manifeste pompeux se sont peu concrétisés. Cependant, Alice de Hesse, devenue l'impératrice Alexandra Feodorovna, a été adoptée de manière plutôt sympathique par la société russe. On dit d'elle qu'elle a un doctorat en philosophie, qu'elle est une amie de la culture et du progrès, et qu'elle est ouverte aux idées constitutionnelles. Cependant, même pendant la période où sa santé semble normale, aucun acte souverain ne justifie les espoirs placés dans l'influence de la jeune impératrice, qui, de plus, commence bientôt à manifester des troubles mentaux, héréditaires, dit-on, dans la famille des grands-ducs de Hesse.