Revue des incompris revue d'histoire des oubliettes - Agnès Bertomeu - E-Book

Revue des incompris revue d'histoire des oubliettes E-Book

Agnès Bertomeu

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Beschreibung

L’horloge était censée avoir tous les traits d’une horloge, mis à part donner l’heure. C’était une horloge comme si. Elle avait été fabriquée pendant la guerre de 14-18, en 1915, dans les montagnes perdues et enneigées de la Lozère par un homme placé à l’asile de Saint-Alban, pour le Dr. Louis Célestin Maxime Dubuisson, médecin-directeur par temps de guerre, mais aussi grand-père du futur Dr. Lucien Bonnafé, psychiatre connu pour son engagement dans la construction de la psychiatrie de secteur. Sur le battant on peut lire : "horas non numero nisi serenas", "Je ne sonne que les heures heureuses ", et cela a fait rêver. Voilà qu'elle s'est mise à parler et à raconter la longue histoire de la folie d'hier à aujourd'hui, dans les établissements où elle est assignée à vivre. Elle dit la continue résistance de ceux qui, soignants et soignés, refusèrent d'être de pâles figures du pouvoir et de la soumission, immobilisés, sédimentés au pays des horloges arrêtées.

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Seitenzahl: 61

Veröffentlichungsjahr: 2015

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Directeur de la publication

Agnès Bertomeu

Comité de Rédaction

Dr. Catherine Bourdet Magdalena Dabrowski Guy Druennes Denis Foussard Philippe Giesberger Serge Jolly Martine Mathieu Brigitte Mondain Jean-Claude Parize Guy Pésier Daniel Terral Odette Waks

Couverture

Dessin. Chanteclair Cahiers d’Auguste Forestier. Coll. Dr. Dubuisson conservée au LAM, Villeneuve d’Ascq, cliché Nicolas De Witte

Maquette couverture

Agnès Bertomeu

Mise en Page

Agnès Bertomeu

Rédaction Administration

SERHEP, Société d’Etudes et de Recherches Historiques en Psychiatrie Ville-Evrard, 202 avenue Jean-Jaurès

93332 NEUILLY S/Marne France

33) 0143 09 34 78/ 06 86 00 60 20

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3 numéros (un an)FranceAutres PaysPrix au n°:

Editée par la SERHEP, la Revue des Incompris publie les ouvrages écrits par des chercheurs et des historiens issus de la pratique hospitalière, soignants ou soignés, traitant de l’histoire de la folie et de la psychiatrie

Revue des Incompris, Serhep 2015

SOMMAIRE

Le tonnelier de Saint-Tricat

Célestin Louis Maxime Dubuisson aliéniste et poète

L’asile de Saint-Alban

Squelette et Semainière

Restauration

Principes de fonctionnement

Honneur aux souscripteurs

Célestin Louis Maxime Dubuisson poète

Inauguration à St Chély d’Apcher

Notes biographiques Incomplètes

Bibliographie de Lucien Bonnafé

AGENDA

A lire A lire A lire

A voir A voir A voir

Dessins et photos : serhep, agnès bertomeu, Archives Nationales Pierrefitte s/Seine, Y. Baldran

Couverture : dessin d’Auguste Forestier. Conservé au LAM Art Brut Villeneuve d’Ascq cliché Nicolas De Witte)

Dépôt SACD 27/03/2015 n°000113526

Le Tonnelier de Saint Tricat

Fig. 1. Saint-Tricat 2014. © Ville de Saint-Tricat

L

e ciel est bleu, le pays ensoleillé, mais le bleu a été passé en deuxième couche. Il recouvre un fond gris, tissé de suie, une sueur de suie fine et imprégnée des malheurs de la terre et des hommes. Retombée dans les rivières et les cours d’eau elle en fait l’eau grise.

Situé dans les terres du Pas de Calais, en dessous de San-gatte, à quelque distance des villes de Calais et de Boulogne sur Mer, du haut de sa colline, le petit village de Saint-Tricat comptait 403 habitants en 1851, à la veille du Second Empire, et s’enorgueillissait de son ancienne tour de guet et de son clocher.

L’un de ces habitants, Louis Maxime Dubuisson, tonnelier, et son épouse, Augustine, née Pochet, attendaient un enfant alors qu’ils étaient déjà bien avancés en âge. Louis Maxime, le père, né en 1806 à Saint-Tricat, était dans sa 45ème année, et Augustine, la mère, fille du pays, portait vaillamment sa grossesse et ses quarante-trois ans.

Elle s’occupait de la maison. Les grandes brasseries de bière du Nord venaient commander leurs fûts et leurs barriques au tonnelier de Saint-Tricat. Bières dorées et bois blonds. Louis Maxime avait choisi avec le plus grand soin les plus belles de ses lames de bois pour confectionner un berceau. Tonnelier a l’œil et la main au bois. Plus qu’aucun autre, il sait le choisir, le fendre, le brûler, le cintrer.

Fig. 2. Extrait d'acte de naissance. Célestin Louis Maxime Dubuisson conservé aux Archives Nationales de Pierrefitte sur Seine LH/818/36

L’enfant vînt au monde à la fin de l’hiver 1851, le 11 mars. Dès le lendemain, son père déclarait la naissance de Célestin Louis Maxime à la mairie de Saint-Tricat, où elle fût enregistrée

Le petit Célestin Louis Maxime courait dans les ateliers, entre les planches et les barriques. Comment fût-il amené à devenir médecin des fous, « aliéniste » comme on disait alors ? On ne le sait pas. D’où lui vînt cette étrange propension à soigner qui lui fit faire des études de médecine et s’engager à soigner plus spécialement les esprits dérangés, ce qui fit de lui un médecin, comme on disait-alors, aliéniste ? Comment cette vocation s’introduisit-elle si profondément dans la famille Dubuisson, qu’elle engendra plusieurs générations de médecins et de psychiatres ? Bien des questions restent pour le moment sans réponse.

Deux générations plus tard, on retrouvera bien des traits hérités de son grand-père maternel, l’aliéniste Maxime Dubuisson, chez son petit-fils, Lucien Bonnafé, qui, lui, se voudra « désaliéniste » : l’attitude amicale envers les fous, la certitude que, pour les soigner, il faut « être auprès d’eux, avec eux», et éprouver un certain bonheur en leur compagnie. Les « bons aliénistes » du 19ème siècle, Evariste Marandon de Montyel, Jean Dublineau, Frantz Adam et Maxime Dubuisson habitaient l’asile avec leur maisonnée. Du malade « ami » ou « frère » de Dubuisson au malade citoyen de Lucien Bonnafé, s’il y a un franchissement d’époque, de concepts et de mouvements sociaux, la proximité avec l’univers du fou, l’absence de condamnation morale et ce que Lucien Bonnafé appelait « l’art de la sympathie » sont là. Maxime Dubuisson, le médecin aliéniste, disait « mes bons amis les fous », Lucien Bonnafé, le psychiatre désaliéniste, les voudra citoyens libres.

Chez le grand père comme chez le petit-fils, se retrouve un penchant très prononcé pour la fantaisie, la poésie. Dubuisson et son petit-fils Bonnafé, son «petitou », - c’est ainsi qu’il appelait ses petits-enfants -, sont tous les deux des poètes et des amoureux du langage et des arts. Maxime Dubuisson ornait son courrier de petits dessins de sa main et de « tocades » versifiées, envoyait poésies et dessins au préfet et glissait quelques vers dans ses rapports. Le « petitou » qui avait grandi entouré des objets d’art recueillis auprès de ses amis les fous par son grand-père Dubuisson, devînt un poète, ami des surréalistes, fervent lecteur et récitant d’Aragon et d’Eluard. Il garda auprès de lui, chez lui, les œuvres des fous de son enfance, elles accompagnèrent sa vie jusqu’à la fin de ses jours.

Célestin Louis Maxime Dubuisson était sans doute plus proche que son petit-fils Lucien des origines populaires et villageoises de son père, le tonnelier. Cherchant dans mes souvenirs un écho à cette ambiance populaire et villageoise, je le retrouvai dans les inénarrables et joyeux banquets d’autrefois à l’hôpital de Saint-Alban où, attablée avec Lucien Bonnafé et les infirmiers de l’hôpital, j’écoutais, émerveillée, chacun y aller de son histoire, voire la répéter plusieurs fois, avec une jubilation sans défaillance. Lucien Bonnafé n’était jamais en reste dans cet exercice qui avait quelque chose de la beauté antique.

Célestin Louis Maxime Dubuisson, aliéniste

S

i nous ne savons pas où étudia le jeune Célestin Louis Maxime, pas plus que s’il eut des frères et sœurs1, ni comment et quand il quitta Saint-Tricat et le Pas de Calais, il est quand même permis de supposer que les études poursuivies par le fils du tonnelier, portent la marque de l’école républicaine. A la fois bachelier en sciences et en lettres (à l’époque, la discipline réputée la plus difficile était celle des lettres), le fils du tonnelier de Saint-Tricat termina avec succès ses études de médecine en soutenant sa thèse à Paris en 1878. Son père, s’il était toujours en vie, avait alors 72 ans. Nous savons encore moins comment l’enfant de Saint-Tricat décida de s’engager dans la profession d’aliéniste. La famille raconte qu’il fit un beau mariage, ayant épousé une fille Salmon.

Pendant les deux dernières années de préparation de la thèse de médecine qu’il soutînt à Paris en 1878, le Dr. Maxime Dubuisson fut employé au Bureau des Statistiques de la Préfecture de la Seine. 2