Sans plus attendre ! - Guibert del Marmol - E-Book

Sans plus attendre ! E-Book

Guibert del Marmol

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  • Herausgeber: Ker
  • Kategorie: Fachliteratur
  • Sprache: Französisch
  • Veröffentlichungsjahr: 2014
Beschreibung

En ouvrant les yeux sur le monde, un seul constat semble s'imposer : l'apocalypse nous menace, dans toutes les directions...

L'apocalypse, au sens premier du terme, est d'abord une révélation. Ce que ces crises multiples nous révèlent, c'est qu'un autre monde est possible.
Nous sommes à l'heure d'une nouvelle et indispensable Renaissance. De par le monde, une multitude de révolutions silencieuses, discrètes, sont initiées par des citoyens, par des entreprises, par des responsables locaux. Les enjeux ? Une planète plus juste, pérenne et inventive. Sans plus attendre ! propose une nouvelle vision de l'humanité fondée sur le respect : celui de la dignité humaine et celui des écosystèmes.
En trois parties consacrées à l'autonomie alimentaire et énergétique, à l'émergence d'une économie régénératrice et à la nécessité d'un enseignement orienté vers la créativité, Guibert del Marmol évoque les technologies d'avenir et des pistes concrètes.

Un livre qui dépeint avec justesse le monde d'aujourd'hui et qui provoque un saut de conscience individuelle et collective !

EXTRAIT 

Camus l’a joliment formulé : le seul choix qui s’offre à nous, aujourd’hui, est d’être soit un pessimiste qui rit, soit un optimiste qui pleure. L’optimiste croit que tout va bien. Dans La Haine de Kassovitz, c’est l’homme qui tombe du cinquantième étage et qui, à chaque étage, se répète : « Jusqu’ici, tout va bien ». 
Ce qui chute, c’est notre monde. Il tombe d’un immeuble qu’il a construit, dans l’espoir de faire une affaire, après s’être jeté dans le vide, qu’il croyait plein de potentiel… Et si l’atterrissage est plus important que la chute, il ne faut pas trop compter, en l’occurrence, sur un parachute doré.

CE QU’EN PENSE LA CRITIQUE

- « Un essai structuré, engagé et particulièrement engageant. » (L’Eventail)

- « Un livre de perspective, une proposition pour une autre vision de notre humanité qui va au-delà de la simple relance du modèle de société actuel. » (Le Journal du Médecin)

- « L’auteur évoque des pistes concrètes consacrées à l’autonomie alimentaire et énergétique, à la nécessité d’un engagement orienté vers la créativité et à l’émergence d’une "économie régénératrice" » (Rafal Naczyk, L’Echo)

A PROPOS DE L'AUTEUR 

De San Francisco à Bombay en passant par les forêts amazoniennes et les campagnes européennes, Guibert del Marmol vit au contact des entrepreneurs qui changent le monde et réconcilient les mots économie, écologie et sens. Ancien dirigeant, il est aujourd’hui conseiller, auteur et conférencier spécialisé dans le domaine de l’économie « régénératrice ». Il forme également les dirigeants aux pratiques d’un leadership inspiré et inspirant en mariant sagesses anciennes et technologies modernes.

Pour en savoir plus sur l'auteur rendez-vous sur son site : http://www.guibertdelmarmol.com/index.php/en/

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Un livre de perspective, une proposition pour une autre vision de notre humanité qui va au-delà de la simple relance du modèle de société actuel. – Le Journal du Médecin

Un livre d’espoir pour passer de crise à opportunité, d’austérité à audace. – Le temps de vivre

À nos enfants qui devront bâtir le nouveau monde

À tous les « fêlés » qui osent entreprendre pour une nouvelle humanité car ils laissent passer

INTRODUCTION

CAMUS L’A JOLIMENT FORMULÉ : le seul choix qui s’offre à nous, aujourd’hui, est d’être soit un pessimiste qui rit, soit un optimiste qui pleure. L’optimiste croit que tout va bien. Dans La Haine de Kassovitz, c’est l’homme qui tombe du cinquantième étage et qui, à chaque étage, se répète : « Jusqu’ici, tout va bien ».

Ce qui chute, c’est notre monde. Il tombe d’un immeuble qu’il a construit, dans l’espoir de faire une affaire, après s’être jeté dans le vide, qu’il croyait plein de potentiel… Et si l’atterrissage est plus important que la chute, il ne faut pas trop compter, en l’occurrence, sur un parachute doré.

J’aime cette idée de Camus, même si je prétends être radicalement optimiste. Je fais mienne cette déclaration de John F. Kennedy : « les problèmes du monde ne peuvent être résolus par des sceptiques ou des cyniques dont les horizons se limitent aux réalités évidentes. Nous avons besoin d’hommes capables d’imaginer ce qui n’a jamais existé. » Sur ce toit où la chute nous menace, il faut mesurer l’ampleur des défis qu’il faut affronter pour redescendre à pied, sans ascenseur, et pour retrouver un sol stable. Tout va mal et la situation peut sembler sans issue ; mais n’ayant peut-être plus rien à perdre, sinon l’essentiel, il faut être prêt à tout entreprendre.

Il suffit d’ouvrir un journal pour se rendre compte de la crise que nous vivons. Il ne faut même pas dire : « que nous traversons », car nous ne traversons rien. Nous y sommes englués. Cette crise est polymorphe : financière, économique, climatique, démographique, morale… À l’heure de la globalisation et de la mondialisation, la crise est, elle aussi, globale et mondiale. Est-elle surmontable  ? J’en suis sûr. D’abord, parce que je ne me sens pas seul à faire ce constat. Cette crise a suscité une prise de conscience qui est à la hauteur du danger qu’elle fait peser sur l’humanité. Des études sérieuses, issues des meilleures universités comme celle de Stanford ou du MIT, prédisent, si aucun changement ne survient, une destruction, une extinction à moyen terme de l’espèce humaine, voire de toute forme de vie sur la planète. L’heure est aux apocalypses…

Mais l’apocalypse signifie d’abord « révélation ». Si elle a pris ce sens catastrophiste, c’est parce que la « révélation » de saint Jean est celle de la fin du monde et de la venue du royaume divin ; rien ne nous interdit cependant de raviver ce sens positif de l’apocalypse. À cette aune, nous sommes autant au bord d’une renaissance que d’une destruction. À bien des égards, notre époque ressemble au Trecento italien, ce moment magnifique de la Renaissance où l’homme retrouve sa place au centre des préoccupations et où fleurissent les arts, les sciences et la pensée humaniste. L’humanisme renaissant est le produit de multiples facteurs, dont j’aimerais pointer deux : l’équilibre et la capacité de penser out of the box, comme on ne disait pas à Florence. Équilibrer l’intérêt particulier et la nécessité collective, les savoirs anciens et les promesses technologiques, la science et la conscience ; nous avons en main tous les ingrédients pour la construction d’un monde plus pérenne, plus juste. Un monde durable plutôt que dur, un monde partagé plutôt que gaspillé.

C’est ce qu’Al Gore évoque lors d’une conférence tenue au TED – un des lieux de pensée les plus actifs qui soient aujourd’hui – : « Nous pouvons être une génération bénie des dieux. Celle dont les poètes, les philosophes et les chanteurs parleront encore dans les siècles à venir comme la génération qui a su trouver en elle l’inspiration, la force et la joie pour construire un monde infiniment plus juste et plus harmonieux. » Je ne peux qu’adhérer pleinement à cette déclaration. Mais cela nécessite un travail gigantesque, à la hauteur du défi qui nous est posé.

Pour cela, il faut changer radicalement notre approche. Remettre en question ce qui doit l’être, établir des passe-relles qui, hier encore, semblaient impossibles ou invraisemblables. Mettre en œuvre une pensée articulée sur un triple soc : offrir du sens à tous les humains ; favoriser les capacités de résilience ; remettre le bien commun au cœur des préoccupations individuelles. Substituer la coopération à la compétition, l’humanité aux nations, la spiritualité aux religions.

Il ne faut pas attendre de Sauveur. Comme l’écrivait Kafka dans son Journal, « Le Messie ne viendra pas le dernier jour, il ne viendra que le jour d’après ». Et nous ne pouvons pas laisser advenir le dernier jour, tant que nous aurons les facultés d’en repousser l’échéance. Nous sommes notre seul sauveur possible. Nous, ensemble. Chacun d’entre nous, individuellement, à son niveau. Les solutions qu’il nous faut inventer et appliquer doivent être le fruit d’un métissage entre les expertises, entre les individus et les peuples, et cela nécessite qu’une majorité partage un état de conscience susceptible d’appréhender les difficultés, leurs raisons et les pistes de solutions. Pour cela, il y a une condition sine qua non : offrir à chacun ce qui fonde l’humanité, c’est-à-dire la dignité humaine.

La dignité n’est pas qu’un mot. Elle repose sur quatre impératifs : l’accès à la nourriture, à l’habitat, aux soins de santé et à l’éducation. Toute action pour répondre à la crise globale que nous vivons doit répondre à ces quatre impératifs.

Ce faisant, il est permis d’envisager cette tâche titanesque comme une opportunité sans précédent, elle aussi. L’opportunité de changer et de redynamiser tout notre écosystème : bouleverser nos manières de produire et de consommer, de concevoir les cités, d’établir les échanges commerciaux, de financer l’économie, de former nos enfants… En un mot, réaliser la plus fondamentale – mais peut-être aussi la plus difficile – des révolutions, celle par laquelle les responsables seront au service, et non plus au pouvoir.

C’est la révolution à laquelle appelait déjà Montesquieu dans L’Esprit des lois. La vertu qui fonde la démocratie, selon lui, doit remplacer l’honneur qui définissait l’aristocratie. La vertu conduit à se mettre au service de la société, et non à se servir de cette société pour asseoir son pouvoir. Les responsabilités imposent des devoirs bien plus que des droits, et elles sont, par essence, révocables et limitées dans le temps et l’espace. Le seul pouvoir qui doit être pris en compte est celui de l’action partagée. Pas celui du contrôle et du profit personnel.

Ce changement est en marche. Sur tous les continents, à tous les niveaux de la société et du savoir, des individus conçoivent des solutions pour répondre à ces défis gigantesques. Je ne parle pas d’activistes altermondialistes ou des apôtres de la décroissance, et certainement moins encore des zélotes de l’économie de marché supposée tout régler et s’autoréguler ; je parle d’individus, d’organisations et d’entreprises qui ont pris conscience des conditions d’une réussite à long terme. Ils ont choisi un développement fondé sur la création de valeurs partagées entre toutes les parties prenantes de la société. On ne peut réussir seul dans un monde qui fait naufrage.

Ces femmes et ces hommes, je leur dois le projet de ce livre. Je les ai observés, rencontrés, questionnés. Et j’ai eu envie, dans leur foulée, à leur côté, de proposer des solutions, de l’espoir, l’amorce d’une vision inspirante. L’horizon  ? Un autre modèle de société. Rien de moins. Une utopie  ? Elle est déjà au cœur de l’action et du quotidien de tous ces individus qui ont choisi de relever le défi.

« Génération bénie des dieux », disait Al Gore. J’aimerais déjà qu’elle soit bénie des hommes et des femmes. Un monde se meurt, un autre cherche à naître. Je n’ai pas le temps de pleurer, la vie qui pointe, menacée par ce cadavre encombrant, requiert toute mon énergie. J’espère vous la faire partager…

UNE INDISPENSABLE AUTONOMIE

INTRODUCTION

AUTONOMIE : SE DONNER À SOI-MÊME sa propre loi. Sa propre ligne de conduite. Ne pas dépendre d’autrui pour sa survie autant que pour ses choix, ses idées. Mais l’autonomie ne se réduit en aucun cas à l’égotisme, au repli sur soi, à l’égoïsme. Hillel l’ancien postule clairement la différence entre les deux, dans cette leçon célèbre et vieille de deux mille ans : « Si je ne suis pas pour moi, qui le sera  ? Mais une fois que je suis pour moi, que suisje  ? » Et d’ajouter cette dernière question, qui pose clairement l’urgence de l’enjeu : « Si pas maintenant, quand  ? »

L’autonomie, c’est « être pour soi » sans cesser d’être pour les autres. Or, le modèle global dans lequel nous vivons a consisté à accroître les interdépendances, voire les dépendances pures et simples, sur des questions aussi cruciales que l’alimentation et l’énergie. En réaction, on entend des voix s’élever pour proposer le retour à l’autarcie ; c’était déjà la réaction qu’avait eue Mussolini après les sanctions dont l’Italie avait été la cible à la suite des campagnes colonisatrices. L’autarcie est un repli, une fermeture. Elle est en outre illusoire, car il n’est plus possible, ni même souhaitable, qu’une région ou un pays s’isole.

Non ; ce qu’il faut mettre en place, c’est cette autonomie qui permet une résilience au niveau des structures locales, sans perdre pour autant la connexion avec le monde. Cette connexion est indispensable, ne serait-ce que pour l’échange des idées et des savoirs. Mais les populations doivent pouvoir vivre dans leur bassin sans dépendre d’une chaîne logistique extérieure, qu’elles ne contrôlent pas, voire qui les contrôle. Elles doivent être maîtresses de leurs décisions et de leurs choix politiques et non se les voir imposés par un pouvoir lointain qui leur échappe.

L’accès à la nourriture et à l’énergie ne devrait jamais dépendre d’un pouvoir distant ; la situation de l’Ukraine, dépendante de la Russie pour le gaz, en est un bel exemple. Cette sujétion pour des approvisionnements aussi vitaux conduit les populations qui la subissent à perdre toute indépendance, et donc toute possibilité d’essor, sans parler du développement d’une démocratie. Il faut que ces approvisionnements soient réenracinés au cœur des peuples et des communautés.

Il s’agit donc de développer un modèle glocal. Cela signifie la juste combinaison d’une autonomie alimentaire et énergétique, et d’une ouverture sur le monde pour favoriser les indispensables échanges intellectuels et le développement d’une conscience collective.

AUTONOMIE ALIMENTAIRE

L’ALIMENTATION EST LE PREMIER des besoins humains. Cela nous semble évident, à nous qui n’avons qu’à nous rendre dans le premier magasin venu – et nous n’avons pas un long chemin à faire, quand nous ne passons pas par Internet pour commander et nous faire livrer à domicile. Mais cette aisance repose aussi sur une insouciance, voire une inconscience : celle qui touche à notre extrême dépendance et à la fragilité du système qui la sous-tend. Elle suppose aussi un aveuglement par rapport à ce qui demeure une préoccupation quotidienne pour la majorité de la population mondiale.

Assurer un accès permanent à la nourriture nécessite le développement de l’autonomie alimentaire des populations et donc une autodétermination. Le modèle agricole que l’Occident a développé a certainement assuré le développement et mis à l’abri des famines et des aléas une frange importante de cette population, mais à quel prix  ? De surcroît, il est évident qu’il n’est plus capable aujourd’hui d’assurer l’accès à une alimentation saine et respectueuse de l’environnement pour les milliards d’individus qui peuplent la Terre. Notre modèle réduit à la famine plus d’un milliard d’entre eux, détruit les sols et plonge dans la misère des millions d’exploitants, sans parler des scandales sanitaires qui se multiplient dans nos pays « privilégiés ». C’est le constat que fait Marc Dufumier : « L’agriculture actuelle déraille : la faim ne recule pas, les périls écologiques et sanitaires augmentent. »

Il est pourtant possible de nourrir correctement l’humanité tout en respectant l’environnement. Il ne faut pas pour cela prôner la décroissance ; il suffit d’une relocalisation d’une grande partie de la production, d’un accès à la terre pour tous ceux qui désirent en vivre et du redéploiement d’une agriculture diversifiée. Pour mettre en œuvre cette approche véritablement durable, il importe de favoriser une collaboration étroite entre les sciences les plus pointues et les savoirs ancestraux ; il faut également adopter une approche holistique qui prend en considération tous les maillons de la chaîne alimentaire, du sol au consommateur final, en cherchant à créer de la valeur pour tous.

Contexte

On considère, sans doute à juste titre, que le passage du stade « chasseur-cueilleur » au stade « agriculteur-éleveur » marque le début de la civilisation et de la culture. Les populations s’enracinent, se sédentarisent, et les villes se développent, avec ce que cela suppose d’inventions sociales, techniques, politiques et économiques.

Pendant des millénaires, les modalités de l’agriculture ne vont cependant évoluer qu’à la marge. Si des progrès sont enregistrés, elle reste totalement tributaire des aléas climatiques, quand elle ne subit pas les ravages des guerres, des épidémies ou des révolutions. L’agriculture a besoin d’ordre et de stabilité.

Deux événements vont bouleverser cette activité qui, jusqu’au milieu du siècle dernier, occupait la majorité de la population, même en Europe. Des événements qui vont agir en synergie, pour le meilleur et pour le pire : d’une part la révolution industrielle, dans la seconde moitié du XIXe ; d’autre part, la Première Guerre mondiale. Ce conflit est le premier non seulement à embraser le monde entier, mais aussi à utiliser la technique et à favoriser son développement. Guerre industrielle par l’ampleur des armes autant que par le nombre de victimes, elle ravage l’agriculture, d’autant plus que la majorité des soldats morts sont des agriculteurs. Après la guerre, on manque cruellement de bras pour relancer les travaux aux champs. Parallèlement, les armements modernes et particulièrement les chars de combat, vont ouvrir la voie au développement des tracteurs motorisés et mécanisés. De plus, l’ammoniac produit en masse pour les bombes va être utilisé pour la fabrication d’engrais synthétiques, tandis que le gaz moutarde se reconvertira en insecticides.

L’agriculture moderne est donc une agriculture de guerre : offensive, agressive, conditionnée par le principe que la fin justifie tous les moyens. On considère désormais que la science va répondre à toutes les difficultés et relever tous les défis. La faim sera vaincue et l’appro-visionnement assuré, quelles que soient les conditions. Après des millénaires de dépendance, l’homme éprouve le sentiment, sinon la certitude, qu’il domine enfin, et véritablement, la terre qui le nourrit.

Les années 1920 et 1930 vont connaître l’apogée de la chimie : les engrais minéraux remplacent désormais les engrais organiques, ils sont produits en masse et utilisés sans discernement pour accroître les rendements. Il en va de même pour les insecticides : l’obsession est à l’assurance d’une production agricole suffisante et constante. L’approche séculaire selon laquelle il faut une vision holistique, une vision globale de la nature et une écoute de la terre est jetée aux oubliettes. Et la main-d’œuvre nécessaire pour la production agricole va diminuer de manière considérable.

Ce phénomène sera renforcé par la Seconde Guerre mondiale, qui va définir le paramètre économique de l’équation. L’industrie est désormais en mesure de four-nir des produits chimiques et machines toujours plus puissants et plus efficaces, mais toujours plus onéreux. Du coup, l’industrie agricole sera menacée de déficit ; la parade : la subsidiation de l’agriculture par une redistribution à son profit d’une partie des impôts. Les « Trente Glorieuses », au cours desquelles le développement économique, technique et industriel sera foudroyant, permettront de nourrir l’illusion que ce modèle est le meilleur.

La subvention publique de l’agriculture est généralisée dans le monde occidental. En Europe, elle prendra la forme de la PAC : la Politique Agricole Commune. Jusqu’à ce jour, cette PAC a encouragé et massivement financé des formes d’agriculture destructrices. D’abord en termes écologiques : l’usage abusif d’engrais chimiques et de pesticides a épuisé les sols et menace la biodiversité. Ensuite en termes socio-économiques, par la dépendance qu’elle a engendrée pour les agriculteurs, surendettés pour mécaniser leur production, dont le modèle économique repose principalement sur l’octroi des subventions.

À chaque fois que l’on parle de réformer la PAC, cela suscite une levée de boucliers dans certains pays. Et pour cause ; certains en profitent de manière parfois scan-daleuse. C’est que l’aide est calculée en fonction de la taille de l’exploitation agricole et des rendements « historiques ». Leur montant varie sans être plafonné. En 2012, dix mille agriculteurs français se sont partagé la somme de six milliards d’euros, soit six cent mille euros en moyenne par exploitation.

À cause du non-plafonnement des aides, certaines exploitations, gérées par les plus grandes sociétés agroalimentaires françaises ou certaines contrôlées par la reine d’Angleterre, une des plus grandes propriétaires agricoles de son pays, pouvaient recevoir plusieurs millions d’euros par an. Jusqu’en 2013 et malgré les nom-breuses réformes de la PAC mises en œuvre dans le but de la rendre plus juste, 80 % des aides continuaient à aller dans les poches de seulement 20 % des producteurs. La nouvelle PAC apparue à l’automne 2013 améliore quelque peu ce système. Elle est plus verte et redonne plus de pouvoir aux États membres et aux exploitants quant à la redistribution des subsides.

Ce sont les pays du Sud qui ont été les principales victimes du système en vigueur. Il était impensable qu’ils maintiennent une agriculture non industrielle ; mais pour s’équiper, ces pays ont été obligés de s’endetter auprès des industries et des produits agrochimiques du Nord – sans parler des semences résistantes aux maladies, mais stériles, afin de contraindre les agriculteurs à devoir toujours racheter ces semences aux industriels.

Le mécanisme ravageur de ce qu’on peut assimiler à un nouveau colonialisme a joué à plein dans ce secteur ; incapables de payer leurs dettes, de nombreux agriculteurs de ces pays ont été contraints de céder leurs terres à des investisseurs et se sont trouvés réduits à la misère, mendiants, parfois simples ouvriers dans leurs anciennes propriétés – quand ils ne se sont pas suicidés. Alors que, dans nos pays, les bénéfices des industries servent à financer les subventions aux agriculteurs, aucun mécanisme de cette sorte n’est offert aux agriculteurs du Sud. Lesquels, par leurs achats, financent… les fermiers riches du Nord.

Pour les pays du Sud, la PAC est une menace terrible. Elle favorise des exportations agricoles à des prix artificiellement bas, ce qui concurrence de manière déloyale les productions locales. Depuis les années 1970, les surplus produits en Europe – lait, blé, viande – sont ainsi écoulés vers les pays pauvres, avec une aide à l’exportation. Les dénonciations n’ont pas manqué, mais elles émanent toujours d’organisations de la société civile. Et l’Organisation Mondiale du Commerce, la toute-puissante OMC, n’a jamais cherché à régler ce problème gravissime. Au contraire, elle a contribué au maquillage des subventions.

Si, économiquement, cette situation avantage les pays riches – ou du moins une partie de leur industrie – , elle induit un déficit profond en termes d’autonomie alimentaire tant pour le Nord que pour le Sud. Même si la dernière PAC est un pas dans la bonne direction, le Nord souffre d’une politique agricole injuste et est totalement tributaire de la logistique ; le Sud souffre trop souvent encore de famine par manque d’accès aux res-sources essentielles que sont l’eau, la terre et la technologie.

Pourtant, les sciences offrent aujourd’hui à l’humanité la possibilité de nourrir tout le monde à sa faim en utilisant aussi des savoirs intuitifs et ancestraux que l’on a, jusqu’ici, tâché de rejeter dans les oubliettes de l’obscurantisme médiéval. Il y a d’autres solutions, « raisonnables » et scientifiques, que la seule agriculture intensive et dévoreuse d’énergie. La mise en œuvre de ces technologies différentes nécessite cependant la compréhension précise de la situation et des difficultés particulières qui doivent être préalablement résolues.

Dans le Nord, l’agriculture peut se caractériser en trois mots : hypermécanisation, délocalisation et monocultures, lesquelles sont imposées par les lobbies agroalimentaires. Cela génère deux problèmes majeurs qu’il faudra résoudre.

Le premier d’entre eux est la dépendance logistique. si on prend l’exemple de Paris, il faut savoir qu’elle ne dispose que de trois à quatre jours maximum de réserves alimentaires. La dépendance de la France par rapport à l’approvisionnement extérieur en bétail est de l’ordre de 75 %, lequel est assuré principalement par le Brésil et les États-Unis. Dans cette logique, selon Dickson Despommier, microbiologiste, professeur à Columbia, il manquera en 2050 l’équivalent de la surface du Brésil pour nourrir une humanité citadine à 80 %.

Une mesure s’impose : relocaliser la production. Il est en effet indispensable de réduire la taille des chaînes logistiques qui lient les producteurs aux consommateurs. Cela permettra également de réduire le nombre d’inter-médiaires et donc d’augmenter les revenus des agriculteurs autant que de baisser le prix pour les consommateurs.

Le deuxième problème est évidemment cette PAC dont nous avons vu les effets pernicieux. Aujourd’hui, elle subsidie massivement des formes d’agriculture destructrices : destruction des sols, par l’utilisation abusive de produits chimiques (engrais et pesticides) ; destruction des agriculteurs au Nord, qui construisent leurs modèles économiques sur la logique de la subvention et qui deviennent abusivement dépendants ; destruction plus radicale encore au Sud, par leur ruine.

Car pour les agriculteurs du Sud, la PAC n’est qu’un des multiples problèmes auxquels ils sont confrontés. Par rapport à celle-ci, il est impérieux de redéfinir totalement les règles d’échanges internationaux ; tant que les agriculteurs du Nord seront subventionnés par leurs gouvernements et, du coup, seront artificiellement plus compétitifs que ceux du Sud, le jeu sera faussé.

Le déséquilibre entre le Nord et le Sud tient en partie à ces subventions, mais aussi à une série de facteurs qui, en partie, relèvent d’une forme de néocolonialisme, et pour le moins de disparités qui ne peuvent que se ren-forcer, selon un principe de cercle vicieux. Par exemple, produire un sac de riz au Sud nécessite deux cents fois de plus de travail qu’au Nord, parce que le paysan du Sud n’a pas accès à la même technologie, trop coûteuse ; pourtant, l’agriculteur du Sud n’a pas le choix et doit le vendre au même prix s’il veut être compétitif. Quoi qu’il fasse, la faillite menace. Il est en outre confronté au problème majeur de l’accès à la terre ; au gré des crises multiples – alimentaires, financières, économiques et climatiques – , cette terre est devenue une ressource marchande dont le prix n’a cessé de grimper. Des étrangers achètent en masse des terres arables dans les pays en développement. Après le pillage des ressources premières, on prive ces pays de cette ressource primordiale qu’est la terre. Sans oublier l’eau qui constitue un enjeu encore plus sensible.

Le petit agriculteur du Nord connaît aussi cette difficulté ; chez nous comme partout dans le monde, l’heure est aux conglomérats. La part d’agriculteurs en France est passée de 50 % en 1960 à 3 % aujourd’hui. Mais dans le Sud, cela pose des problèmes encore plus graves, car les autres possibilités d’emploi sont infiniment plus limitées, et derrière cette prise de contrôle des terres, se jouent la jouissance des ressources nationales et l’accès à l’autonomie.

Des solutions existent. Elles sont locales ; des approches respectueuses de la nature et des sols, intégrant les savoirs ancestraux et les technologies de pointe. Les produits de l’agriculture ne sont pas des produits comme les autres, il est absurde de les considérer comme des éléments d’un système industriel dont la finalité première n’est plus de nourrir l’humanité, mais de vendre des produits chimiques aux agriculteurs. Rompre cette chaîne suicidaire implique donc également de dépasser l’échelon local. Les solutions doivent être globales et permettre, à l’échelle planétaire, de casser cette logique de subside et d’industrialisation, pour mettre en place une agriculture durable et efficace à long terme.

Solutions locales : les nouveaux modèles agricoles

Les solutions que nous évoquons dans ce chapitre ont été imaginées durant le premier tiers du XXe siècle et se fondent sur un retour aux structures profondes de la nature. Qu’elles aient été ignorées à l’époque ne doit pas surprendre : le culte de l’industrialisation et l’essor sans limite d’un capitalisme financier ont interdit la prise en compte de principes, rejetés comme rétrogrades, conservateurs, forces opposées au sacro-saint progrès, voire re levant du charlatanisme. Et puis, comment s’opposer à la volonté combien estimable de combattre la faim dans le monde et de mettre l’humanité à l’abri de la famine  ?

Pourtant, ces approches ne s’opposent pas nécessairement à la science et à la technologie, au contraire. Les plus performantes sont celles qui s’appuient sur les théories scientifiques de pointe. Le concept clé de biomimétisme, qui est au cœur de toutes les approches que nous allons évoquer, repose sur l’étroite imbrication d’un retour à la nature et d’une utilisation raisonnée de la science. L’avancée des sciences n’est rien sans l’avancée de la conscience, disait déjà Albert Einstein. Nous y sommes.

Toutes les sciences ne sont pas au même niveau de maturité et ce qui les distingue réside surtout dans la portée philosophique de chacune, pas dans les techniques utilisées. Cela nous rappelle combien l’agriculture touche aux fondements de l’humanité.

Passons-les en revue…

L’agriculture biologique

L’agriculture bio est devenu le terme fourre-tout par excellence. Ce qui était au départ une véritable philosophie de vie est devenu, pour la majorité des gens, un argument commercial utilisé par les chaînes de distribution.

Le « bio » est apparu dans les années 1920-1930 comme un regret nourri par des penseurs et des écrivains qui, comme Jean Giono, regrettaient la disparition progressive de la paysannerie traditionnelle. Depuis, ce label regroupe toutes les initiatives qui se sont inscrites dans ce sillon, mais il est évident que le terme est mal choisi : par définition, l’agriculture est biologique. Sur le principe, on exprime par « bio » le refus de l’introduction dans le processus de production agricole d’éléments extérieurs, chimiques et synthétiques.

Les différentes mouvances du bio sont contrastées. Certaines se singularisent par un rejet en bloc de la science et du progrès technologique ou scientifique. D’autres sont progressistes et développent une vision holistique. Ce qui est certain, c’est que l’évolution récente est pour le moins incohérente. Dès que le bio est devenu un argument de vente et un label, il est devenu industriel et a développé des méthodes qui s’opposent aux principes fondamentaux d’une agriculture « biologique ». Si l’on regarde la manière dont sont produites les fraises « bio » en Espagne, on se retrouve face à une production industrielle, une monoculture polluante nécessitant une main-d’œuvre importante et sous-payée, un gaspillage énorme d’eau, sans oublier l’utilisation, certes contrôlée mais néanmoins massive, d’engrais. Et il faudrait encore évoquer le transport de ces fraises vers l’étranger, lequel, à lui seul, suffirait à ruiner toute idée de bio. Il en va de même avec l’huile de palme bio, produite dans d’énormes exploitations en Colombie qui ont souvent acquis leurs terres – sur lesquelles on pratique de la monoculture intensive – grâce à la corruption et à l’assassinat de paysans locaux, avec la complicité des pouvoirs en place.

Où retrouve-t-on, dans ces deux exemples (parmi tant d’autres), l’idéal naturel et social du bio  ?