Sardanapale - Ligaran - E-Book

Sardanapale E-Book

Ligaran

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Beschreibung

Extrait : "SALÉMÈNE, seul : Il est coupable envers la reine, mais il est son époux ; il est coupable envers ma sœur, mais il est mon frère ; il est coupable envers son peuple, mais il est encore son souverain, et je dois rester à la fois son ami et son sujet. Il ne faut pas qu'il périsse ainsi."

À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN :

Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants :

• Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
• Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

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Seitenzahl: 152

Veröffentlichungsjahr: 2015

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Préface

En publiant les tragédies suivantes, je ne puis que répéter qu’elles n’ont point été écrites pour être représentées. L’opinion publique s’est prononcée sur une première tentative faite par les directeurs de théâtres. Quant à mes sentiments particuliers, comme il paraît que MM. les directeurs ne les font point entrer en ligne de compte, je n’en parlerai pas.

Pour la partie historique de cette tragédie, le lecteur devra consulter les notes.

L’auteur a déjà, dans un premier ouvrage, essayé de conserver les unités, et, dans un autre, d’en approcher autant que possible, son avis étant qu’en leur absence on peut bien faire de la poésie, mais non du drame ; il sait l’impopularité de cette opinion auprès de la littérature actuelle de l’Angleterre, mais ce n’est pas là un système qui lui est particulier. Cette opinion était, il n’y a pas longtemps encore, celle de tous les écrivains en Europe, et elle s’est maintenue chez les peuples les plus civilisés ; mais nous avons changé tout cela, et nous recueillons les avantages de cette révolution. L’auteur est loin de s’imaginer que ce qu’il fera, en se conformant à ce précepte, pourra approcher de ses prédécesseurs, tant classiques qu’irréguliers. Seulement, il explique pourquoi il a préféré une méthode régulière, quoique imparfaite, à l’abandon absolu de toutes règles, quelles qu’elles soient. S’il s’est trompé, la faute en est à l’architecte, et non à l’art en lui-même.

Dans cette tragédie, je me suis efforcé de suivre le récit de Diodore de Sicile, en l’adaptant à la régularité dramatique, et en me rapprochant autant que possible des unités. C’est ainsi que je montre la conspiration éclatant et réussissant le même jour, tandis que, selon l’histoire, ce ne fut qu’à la suite d’une longue guerre.

Personnages

HOMMES

SARDANAPALE, roi de Ninive et d’Assyrie.

ARBACE, Mède, qui aspire au trône.

BÉLÉSÈS, Chaldéen et devin.

SALÉMÈNE, beau-frère du roi.

ALTADA, officier du palais.

ZAMÈS.

PANIA.

SFÉRO.

BALÉA.

FEMMES

ZARINA, la reine.

MYRRHA, jeune Ionienne, esclave favorite de Sardanapale.

FEMMES composant le harem de Sardanapale ; GARDES, SERVITEURS, PRÊTRES CHALDÉENS, MÈDES, etc., etc.

La scène est à Ninive, dans une des salles du palais.

Acte premier
Scène première

Une salle du palais.

SALÉMÈNE, seul.

Il est coupable envers la reine, mais il est son époux ; il est coupable envers ma sœur, mais il est mon frère ; il est coupable envers son peuple, mais il est encore son souverain, et je dois rester à la fois son ami et son sujet. Il ne faut pas qu’il périsse ainsi. Je ne verrai pas la terre boire le sang de Nemrod et de Sémiramis, et un empire de treize siècles finir comme un conte de berger : il faut le réveiller de sa léthargie. Dans son cœur efféminé, il y a encore un courage insouciant que la corruption n’a pu entièrement étouffer, et une énergie cachée, comprimée par les circonstances, mais non détruite ; – trempée, mais non pas noyée dans l’océan des voluptés. S’il était né sous le chaume, il se fût frayé un chemin jusqu’au trône ; né sur le trône, il n’en laissera point à ses fils ; il ne leur léguera qu’un nom dont ils seront loin de priser l’héritage. – Cependant il n’est pas perdu sans retour : il peut encore racheter sa mollesse et sa honte en devenant ce qu’il doit être, et cela lui est aussi facile que d’être ce qu’il est et ne devrait pas être. Serait-il plus fatigant pour lui de gouverner ses peuples que d’user ainsi sa vie ? de commander une armée que de gouverner un sérail ? Il se consume en plaisirs sans saveur, énerve son âme et use ses forces dans des fatigues qui ne lui donnent pas la santé comme la chasse, ou la gloire comme la guerre : – il faut le réveiller. Hélas ! il ne faut pour cela rien moins qu’un coup de tonnerre.

On entend les sons d’une musique mélodieuse.

Écoutez !… le luth, la lyre, le tambourin, les sons amollissants d’une musique lascive, la douce voix des femmes et de ces êtres qui sont moins que des femmes, se mêlent aux accents de la débauche, pendant que le grand roi, le souverain de toute la terre connue, chancelle couronné de roses, et abandonne son diadème à la première main hardie qui osera s’en saisir. Les voilà qui viennent ! Déjà arrivent jusqu’à moi les parfums que sa suite exhale ; je vois briller dans la galerie les pierreries étincelantes des jeunes beautés qui forment tout à la fois sa troupe chantante et son conseil, et au milieu d’elles, sous des vêtements aussi efféminés, et presque aussi femme qu’elles, voici venir le petit-fils de Sémiramis, l’homme-reine. – Il vient ; l’attendrai-je ? Oui, et je l’aborderai sans crainte, et je lui dirai ce que disent de lui et des siens tous les gens vertueux. Ils viennent, les esclaves, précédés du monarque soumis à ses esclaves.

Scène II

Entre Sardanapale, dans un costume efféminé, vêtu d’une robe flottante, la tête couronnée de roses, accompagné d’un cortège de femmes et de jeunes esclaves.

SARDANAPALE, s’adressant à quelques-uns des gens de sa suite.

Que le pavillon sur l’Euphrate soit décoré de guirlandes, illuminé et disposé pour un banquet spécial ! À l’heure de minuit, nous y souperons. Ayez soin que rien ne manque, et tenez les galères prêtes. Une brise fraîche ride la surface du fleuve limpide : nous nous embarquerons tout à l’heure. Belles nymphes qui daignez partager les moments fortunés de Sardanapale, nous nous reverrons dans cette heure délicieuse où nous serons réunis comme les étoiles au-dessus de nos têtes, où vous formerez un ciel aussi brillant que le leur. Jusque-là, chacune peut disposer de son temps ; et toi, Myrrha, ma charmante Ionienne, veux-tu aller avec elles ou rester avec moi ?

MYRRHA

Seigneur…

SARDANAPALE

Seigneur ?… Pourquoi donc, ô ma vie ! me réponds-tu si froidement ? C’est le malheur des rois de recevoir de semblables réponses. Dispose de tes heures, tu disposes des miennes… – Dis-moi, veux-tu accompagner nos convives ou charmer mes instants ?

MYRRHA

Le choix du roi est le mien.

SARDANAPALE

Je t’en prie, ne parle point ainsi… Mon plus grand bonheur est de satisfaire tous tes désirs. Je n’ose exprimer les miens, de peur qu’ils ne soient en opposition avec les tiens : car tu es trop prompte à sacrifier tes pensées à celles des autres.

MYRRHA

Je préfère rester… Je n’ai d’autre bonheur que de te voir heureux, mais…

SARDANAPALE

Mais !… Pourquoi ce mais ? Ta volonté chérie est la seule barrière qui s’élèvera jamais entre toi et moi.

MYRRHA

Je crois que c’est maintenant l’heure fixée pour le conseil : il est convenable que je me retire.

SALÉMÈNE

L’esclave ionienne a raison,… Qu’elle se retire.

SARDANAPALE

Qui répond ? Ah ! c’est vous, mon frère ?

SALÉMÈNE

Le frère de la reine, et votre très fidèle vassal, royal seigneur.

SARDANAPALEaux femmes de sa suite.

Comme je l’ai dit, que chacune dispose de son temps jusqu’à minuit, heure à laquelle nous vous prions de nous accorder de nouveau votre présence.

À Myrrha qui s’éloigne :

Myrrha, je croyais que, toi, tu restais ?

MYRRHA

Grand roi, tu ne me l’as pas dit.

SARDANAPALE

Je l’ai lu sur ton visage… Je devine jusqu’au moindre regard de ces yeux ioniens : ils me disaient que tu ne me quitterais pas.

MYRRHA

Sire, votre frère…

SALÉMÈNE

Le frère de la reine, favorite d’Ionie !… Peux-tu bien me nommer sans rougir ?

SARDANAPALE

Sans rougir ?… Il faut que tu n’aies pas plus d’yeux que de cœur… Tu la fais rougir comme le jour mourant sur le Caucase, quand le soleil couchant colore la neige d’une teinte de rose ; et, parce que tu ne le vois pas, tu lui fais un reproche de ton propre aveuglement. Eh quoi ! tu verses des larmes, ma Myrrha ?

SALÉMÈNE

Qu’elle pleure… Ce n’est pas pour elle seule : elle est la cause de larmes plus amères.

SARDANAPALE

Maudit soit celui qui fait couler ces pleurs !

SALÉMÈNE

Ne te maudis pas toi-même : des millions d’hommes le font déjà.

SARDANAPALE

Tu t’oublies… Ne me fais pas ressouvenir que je suis roi.

SALÉMÈNE

Plût au ciel !

MYRRHA

Mon souverain, – et vous, mon prince, – permettez que je m’éloigne.

SARDANAPALE

Puisque tu le veux, et que cet homme brutal vient d’affliger une âme si douce, j’y consens ; mais rappelle-toi que nous devons bientôt nous revoir. J’aimerais mieux perdre un empire que ta présence.

Myrrha sort.

SALÉMÈNE

Peut-être perdras-tu pour jamais l’un et l’autre !

SARDANAPALE

Mon frère, il faut du moins que je sache régner sur moi-même pour écouter un pareil langage ; mais ne me fais pas sortir de ma nature.

SALÉMÈNE

C’est de cette nature trop facile, beaucoup trop facile, que je voudrais te faire sortir. Oh ! que ne puis-je te réveiller, fût-ce contre moi-même !

SARDANAPALE

Par le dieu Baal ! cet homme voudrait faire de moi un tyran.

SALÉMÈNE

Tu l’es en effet. Penses-tu donc qu’il n’y ait de tyrannie que celle des chaînes et du sang ? Le despotisme du vice, – la faiblesse et la corruption d’une vie fastueuse, – la négligence, – l’apathie, les maux de la mollesse et de la sensualité, – enfantent dix mille tyrans dont la cruauté subalterne surpasse dans ce qu’ils ont de pire les actes d’un maître énergique, quelque dure et pesante que soit sa domination. Le décevant et séduisant exemple de tes débauches ne corrompt pas moins qu’il n’opprime, et mine tout à la fois ton vain pouvoir et ceux qui devraient le soutenir : en sorte que l’invasion étrangère et la guerre civile te seront également funestes… Tes sujets n’auront pas le courage de résister à la première ; la dernière trouvera en eux, non des adversaires, mais des complices.

SARDANAPALE

Qui donc te rend l’interprète du peuple ?

SALÉMÈNE

Le pardon des outrages infligés à la reine, ma sœur, une tendresse naturelle pour mes jeunes neveux, ma fidélité au roi, fidélité qui trouvera bientôt, peut-être, l’occasion de se manifester autrement que par des paroles ; mon respect pour la race de Nemrod, et un autre motif encore que tu ne connais pas.

SARDANAPALE

Quel est-il ?

SALÉMÈNE

C’est un mot qui t’est inconnu.

SARDANAPALE

Nomme-le : j’aime à m’instruire.

SALÉMÈNE

La vertu.

SARDANAPALE

Moi ! je ne connais pas ce mot !… Je n’entends que cela résonner à mon oreille. – Les cris de la populace, les sons de la trompette, me sont moins odieux… Ta sœur ne me parlait pas d’autre chose.

SALÉMÈNE

Pour passer à un sujet de conversation plus agréable, entends parler de vice.

SARDANAPALE

Qui m’en parlera ?

SALÉMÈNE

Les vents eux-mêmes, si tu veux prêter l’oreille à l’écho qui répète la voix de la nation.

SARDANAPALE

Allons, je suis indulgent, tu le sais ; patient, tu l’as souvent éprouvé. – Parle, quel motif t’amène ?

SALÉMÈNE

Ton péril.

SARDANAPALE

Poursuis.

SALÉMÈNE

Entends-moi donc… Toutes les nations, et elles sont nombreuses celles que ton père t’a laissées en héritage, exhalent hautement contre toi leur indignation.

SARDANAPALE

Contre moi ?… Que veulent ces esclaves ?

SALÉMÈNE

Un roi.

SARDANAPALE

Et que suis-je donc ?

SALÉMÈNE

À leurs yeux, tu n’es rien ; mais aux miens tu es un homme qui pourrait encore être quelque chose.

SARDANAPALE

Les insolents !… Que demandent-ils ? n’ont-ils pas la paix et l’abondance ?

SALÉMÈNE

Quant à la première, ils en ont plus que la gloire n’en comporte ; pour la seconde, ils en ont moins que le roi ne pense.

SARDANAPALE

À qui la faute, si ce n’est aux satrapes infidèles qui ne s’acquittent pas mieux de ce soin ?

SALÉMÈNE

La faute en est aussi un peu au monarque, qui ne voit rien de ce qui se passe hors de son palais, ou qui n’en sort que pour se rendre à quelque résidence d’été pour y attendre la fin des chaleurs. Ô glorieux Baal ! qui créas ce vaste empire et fus admis au rang des dieux, ou du moins brillas comme tel dans une longue suite de siècles de gloire, cet homme réputé ton descendant n’a jamais vu en roi ces royaumes que tu lui léguas en héros, et qui furent conquis au prix de ton sang et de tant d’années de travaux et de périls… pourquoi ? Pour fournir aux frais d’un banquet joyeux et aux exactions d’un favori.

SARDANAPALE

Je te comprends : – tu voudrais faire de moi un conquérant. Par tous les astres où lit la science des Chaldéens,– ces esclaves remuants mériteraient de me voir, pour leur malheur, exaucer leurs vœux et les conduire à la gloire.

SALÉMÈNE

Pourquoi non ? Sémiramis, – une femme, – a bien conduit nos Assyriens sur ces rives du Gange que le soleil éclaire de ses premiers rayons.

SARDANAPALE

C’est vrai… Et comment en est-elle revenue ?

SALÉMÈNE

En homme, – en héros ; trompée dans son espoir, mais non vaincue. Accompagnée de vingt gardes seulement, elle effectua sa retraite en Bactriane.

SARDANAPALE

Et combien en laissa-t-elle dans l’Inde pour servir de pâture aux vautours ?

SALÉMÈNE

Nos annales ne le disent pas.

SARDANAPALE

Eh bien ! moi, je dirai qu’il eût mieux valu qu’elle filât dans son palais vingt vêtements de lin, que de rentrer en Bactriane avec vingt hommes, abandonnant aux corbeaux, aux loups et aux hommes, – les plus féroces des trois espèces, des myriades de sujets dévoués. Est-ce donc là la gloire ? En ce cas, je consens à vivre pour jamais dans l’ignominie.

SALÉMÈNE

Toutes les âmes belliqueuses n’ont pas le même destin. Sémiramis, la glorieuse mère de cent rois, quoiqu’elle eût échoué dans l’Inde, réunit la Perse, la Médie et la Bactriane aux royaumes qu’elle gouverna autrefois, – et que tu pourrais gouverner.

SARDANAPALE

Je les gouverne : – elle ne fit que les subjuguer.

SALÉMÈNE

Le moment peut-être approche où ils auront plus besoin de son glaive que de ton sceptre.

SARDANAPALE

Il y eut autrefois un certain Bacchus, n’est-ce pas ? J’en ai entendu parler à mes jeunes Grecques. Elles disent que ce fut un dieu, c’est-à-dire un dieu de la Grèce, une idole étrangère au culte de l’Assyrie. Il fit la conquête de ce royaume opulent, de cette Inde dont tu parles, et où Sémiramis fut vaincue.

SALÉMÈNE

J’ai entendu parler de cet homme… Tu vois que c’est pour ses exploits qu’on en a fait un dieu.

SARDANAPALE

C’est dans sa divinité que je veux l’honorer : – comme homme, j’en fais peu de cas. – Holà, mon échanson !

SALÉMÈNE

Que veut le roi ?

SARDANAPALE

Adorer ton nouveau dieu, ton ancien conquérant. – Qu’on me donne du vin !

Entre l’échanson.

SARDANAPALE

Apporte-moi la coupe d’or incrustée de pierreries connue sous le nom de coupe de Nemrod ; emplis-la jusqu’aux bords, et hâte-toi.

L’échanson sort.

SALÉMÈNE

Est-ce le moment de reprendre tes interminables excès ?

L’échanson entre avec du vin.

SARDANAPALEprenant la coupe.

Mon noble parent, si ces Grecs barbares, habitants des lointains rivages qui bordent nos États, ne mentent pas, ce Bacchus a conquis toute l’Inde, n’est-il pas vrai ?

SALÉMÈNE

Oui, sans doute ; et c’est pour cela qu’on en a fait un dieu.

SARDANAPALE

Il n’en est rien… De toutes ses conquêtes, quelques colonnes qui sont à lui, et seraient à moi si je les croyais dignes d’être achetées et transportées ici, voilà tout ce qui reste des mers de sang qu’il versa, des royaumes qu’il dévasta et des cœurs qu’il brisa ; mais cette coupe contient ses véritables titres à l’immortalité, – l’immortel raisin dont il exprima l’âme, et qu’il nous donna pour réjouir celle de l’homme, en expiation du mal qu’avaient fait ses victoires. Sans ce titre, il n’eût eu que le renom d’un mortel, comme il en eut la tombe, et ne serait aujourd’hui, comme mon aïeule Sémiramis, qu’un monstre humain couvert d’une demi-gloire. C’est ce jus qui le déifia : – que maintenant il t’humanise ; frère morose et grondeur, bois avec moi au dieu des Grecs !

SALÉMÈNE

Pour tous tes royaumes, je ne voudrais pas blasphémer ainsi la religion de mon pays.

SARDANAPALE

C’est-à-dire qu’à tes yeux il est un héros, parce qu’il a versé le sang par torrents, et n’est pas un dieu pour avoir transformé un fruit en un breuvage enchanté qui dissipe le chagrin, ravive la vieillesse, inspire la jeunesse, fait oublier à la lassitude ses travaux, à la crainte ses dangers, et ouvre à notre âme un monde nouveau, quand celui-ci a perdu sa saveur ? Eh bien ! je bois à toi et à lui, comme à un homme véritable qui, en bien ou en mal, a fait tout ce qu’il a pu pour étonner le genre humain.

SALÉMÈNE

Veux-tu, en ce moment, recommencer tes orgies ?

SARDANAPALE

Quand cela serait, je préférerais une orgie à un trophée, car elle ne coûterait de larmes à personne. Mais ce n’est pas maintenant mon intention… Puisque tu ne veux pas me faire raison, tu peux continuer.

À l’échanson.

Enfant, retire-toi !

L’échanson sort.

SALÉMÈNE

J’aurais voulu dissiper ton rêve… Il vaut mieux être réveillé par moi que par la révolte.

SARDANAPALE

Qui se révolterait ? pourquoi ? quel en serait le prétexte ou la cause ? Je suis le roi légitime, descendu d’une race de rois qui n’ont point eu de prédécesseurs. Que t’ai-je fait ? qu’ai-je fait au peuple, qui puisse justifier tes sarcasmes ou sa révolte ?

SALÉMÈNE

Je ne parle point de ce que tu m’as fait.

SARDANAPALE

Mais tu penses que j’ai des torts envers la reine, n’est-ce pas ?

SALÉMÈNE

Je pense…, non, j’affirme que tu es coupable envers elle.

SARDANAPALE

Patience, prince, et écoute-moi… Elle est en possession de tout le pouvoir, de toute la splendeur attachés à son rang ; elle est respectée ; les héritiers du trône d’Assyrie sont placés sous sa tutelle ; elle jouit des honneurs et de tous les apanages de la souveraineté. Je l’ai épousée comme font les monarques, – pour les avantages qu’elle m’apportait ; je l’ai aimée comme la plupart des maris aiment leurs femmes. Si elle ou toi vous vous êtes imaginé que j’étais homme à m’enchaîner comme un paysan chaldéen à sa moitié, vous n’avez connu ni moi, ni les monarques, ni l’humanité.

SALÉMÈNE

Je t’en supplie, parlons d’autre chose : mon sang dédaigne la plainte, et la sœur de Salémène ne réclame point un amour forcé, même du souverain de l’Assyrie ! Elle ne voudrait point d’une affection qu’il lui faudrait partager avec des courtisanes étrangères et des esclaves ioniennes… La reine se tait.

SARDANAPALE

Et pourquoi son frère n’en fait-il pas autant ?

SALÉMÈNE

Je ne suis que l’écho de la voix de l’empire ; quiconque dédaigne cette voix ne saurait longtemps régner.

SARDANAPALE