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Titres des saynètes : Le capitaliste, Infanterie et cavalerie, Le clown, Le marquis Ernest, Mon ami Naz, Le neveu de la marquise, Le hareng saur, Les lilas blancs, Premier amour, Valentin, Indécision, Un coup de rasoir, Les tentations d'Antoine, La dame de Niort, Dames de comptoir, Le maître d'armes, Monsieur Cambrefort, L'alliance, Le chapeau chinois, Le commencement de la fin.
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Monologue
par M. Charles Cros
À Coquelin-Cadet.
Personnage
LE CAPITALISTE M. COQUELIN-CADET.
(En homme pressé.)
Je suis très ennuyé. Je viens vous demander un conseil ; et donnez-le-moi très vite parce que j’ai placé la plus grande partie de mes capitaux, c’est vrai, mais j’ai encore une somme de deux millions cinq cent mille francs, sans compter les intérêts qui courent, qui courent, qui courent pendant que je vous parle et qui ne sont pas payés, à raison de 6 pour cent (on place à 7, même 8 dans le commerce) ; mais je ne suis pas exigeant, je me contenterai de 5, seulement en placements sûrs. Je ne fais que ceux-là. – J’aimerais mieux perdre sur un placement sûr que gagner sur un placement aléatoire.
Vous croyez que c’est amusant d’être capitaliste. C’est vrai, quelquefois c’est amusant, mais il faut qu’on n’ait pas un instant à soi ! ! il faut que tous vos capitaux soient engagés. – Et c’est difficile ! On n’en veut pas du capital ; personne ne veut d’argent ; alors votre argent dort et vous ne dormez pas ! – Une dinde rôtie peut attendre ; une fiancée (sans comparaison) peut attendre devant l’autel ; une mère (sans comparaison encore) peut attendre son fils qui ne revient pas de la guerre, elle peut attendre ; l’argent seul n’attend pas !
Et j’ai ces deux millions cinq cent mille francs qui n’ont rien rapporté depuis le temps que je vous parle. Donnez-moi donc vite un conseil, mais un conseil sérieux.
On m’a proposé de la rente sur l’État. Sur l’État ! On dit sur une table ; on dit : sur le parquet, on sait ce qu’on veut dire ; – mais sur l’État, qu’est-ce que c’est que ça ? C’est une abstraction, personne ne s’appelle l’État. – C’est de la métaphysique, l’État. – C’est pas pratique. Une révolution ; qu’est-ce qui reste ?
Le commerce, les bateaux, les vaisseaux ! – C’est sur la mer, – sur l’eau ; ça danse sur l’eau ! La mer, qu’est-ce que c’est que ça ta mer ? C’est de l’eau qui remue, c’est jamais la même eau ! Et puis, il y a les bateaux qui vont sur cette eau – qui n’est jamais la même ! Ils s’en vont : ils sont gros d’abord quand on les voit de près, ces bateaux. On se dit : c’est un bon, c’est un gros placement ! Et puis ils s’en vont ; un petit point qui se perd à l’horizon. Qu’est-ce qui reste ? Pas sérieux.
Les chemins de fer ? Mon Dieu, vous voyez comme une allée sablée où il y a des rails, où il y a quatre rails généralement. C’est solide, les rails, c’est du fer, c’est vrai ; mais il n’y en a pas beaucoup de fer ; – et puis il y a aussi les gares, mais c’est construit en bois, en fonte, c’est de la camelote. Maintenant vous me direz les trains, les wagons, les locomotives, le matériel… mais oui, c’est gentil à voir comme ça, de près. Je ne nie pas que ça ait de la valeur ; il y a encore du fer ; des bouillottes pour se chauffer les pieds, c’est solide, (et encore il n’y en a pas dans les troisièmes, des bouillottes).
On se dit : l’argent est bien placé là-dessus. Mais le train part sur ces sacrés rails de fer. Un point noir à l’horizon encore. Qu’est-ce qui reste ? La fumée ? C’est pas sérieux, c’est pas un placement.
Acheter des maisons, des terrains des champs ? Parce que ça reste ? mais les propriétaires de ces immeubles, pourquoi les vendent-ils ? Si c’est bon, pourquoi ne les gardent-ils pas ? Donc, c’est mauvais, pas sérieux !
Les télégraphes ? Des fils dans la campagne ou bien des câbles sous-marins. – Les fils ? C’est exposé aux ordures des oiseaux ; ça rouille, ça ronge le fer. – Et puis qu’est-ce qui passe dans les fils ? l’électricité ? Ça se vend-il au kilo ? Non, c’est comme l’État ; encore de la métaphysique ! – Les câbles ? – Il y a un tas de moules et d’huîtres qui s’incrustent là-dessus. Ça n’a l’air de rien, tout ça, ça ronge le câble. Et les poissons ? Les requins, les cachalots, les baleines ? S’ils mangent le câble, irez-vous le leur chercher dans l’estomac ? ou bien leur réclamer des dommages et intérêts ? C’est pas un placement, c’est pas sérieux !
On m’a conseillé de monter une écurie de courses. Eh bien ! vous avez un cheval, il est coté à 20 contre 1, vous vous dites : « il peut se casser une patte ». Vous vous engagez contre. On l’oblige à courir. Il gagne la course, et vous perdez tout votre argent. – C’est du jeu. C’est du pari. On pourrait peut-être avec un boni convenable réparti aux jockeys, on pourrait faire des affaires positives. Et si les jockeys ne veulent pas ? Vous êtes flambé. Je sais bien, ça m’est arrivé. On croit l’affaire faite : tous les chevaux partent ; les jockeys, les rouges, les verts, les bleus en pincettes sur leurs étriers passent devant vous comme la foudre. Il y a des poteaux, on vous dit qui est arrivé premier, second. Je veux bien le croire, mais enfin, on peut se tromper, un cheval ressemble tellement à un autre cheval ! Qui a gagné ? Ils rentrent à l’écurie et qu’est-ce qui reste ? Mauvais placement.
Les rivières ? les canaux ? le touage ? les écluses ? Tout ça, c’est de l’eau, ça coule sous les ponts, ça ne revient jamais.
On m’a parlé d’une affaire, mon Dieu ! pas bien importante, les boues de Paris ! Vous savez ce qu’on appelle la gadoue, qu’on ramasse comme ça. (Coup de balai.) D’abord il n’y en pas, il n’y en a pas de boue à Paris. C’est pas une affaire, parce que ça s’évapore dans les tombereaux… et puis, les balayeurs ne sont pas surveillés, ils en mettent la moitié dans leurs poches.
Les mines ? De grands trous dans la terre ; où tout est noir, impossible d’y rien comprendre ! – Les ouvriers descendent là-dedans, ils se perdent dans toutes les directions ; à 300, à 600 mètres de profondeur, allez donc les chercher ; ils y mangent les trois quarts de l’argent avec des femmes ; ils remontent et vous disent que c’est le grisou ! Qu’est-ce qui reste ? C’est pas sérieux, c’est pas un placement.
Non, au fond, je, vous demande conseil, c’est pour la forme – parce que j’ai trouvé une excellente affaire ; mais positive ! (solennel.) C’est l’exploitation des masses pierreuses qui sillonnent, qui jonchent la rive gauche de l’Yénisséi. Qu’est-ce que c’est que ça l’Yénisséi. – L’Yénisséi ? Eh ! mon Dieu, c’est une rivière, un fleuve même, oui. Mais pas un fleuve comme les autres, (vous savez l’eau qui coule tout le temps ?) non, non. C’est comme ça (Une ligne horizontale avec la main.) ça ne coule pas, ça ne bouge pas, c’est gelé toute l’année ! Et gelé ! ! ! Je le sais bien, j’ai été le voir moi-même, j’ai dépensé 25 000 francs de voyage : je ne regarde pas à dépenser mon argent quand il s’agit de le placer.
J’ai été voir cette rivière étonnante qui ne perd pas une goutte d’eau, – j’ai touché ces masses pierreuses (j’ai même eu deux doigts et le nez gelés.) Figurez-vous des grosses pierres, vous cognez dessus, on sent que c’est solide. C’est énorme, énorme ! Vous voudriez les emporter, c’est impossible – à cause de cette masse immense, et puis d’ailleurs, il n’y a personne dans le pays. Ce seraient des sacs d’argent, on ne les emporterait pas. Il n’y a personne, absolument personne. Tout le pays est complètement blanc sans une habitation. Il y a des ours, mais ils meurent de faim ; – qui manger ? Il n’y a rigoureusement personne ! Songez que ces masses pierreuses resteront là éternellement ! Dans cent ans, dans deux cents ans ! ce sera la même chose, ce seront les mêmes masses pierreuses ! sur la même rive gauche de l’Yénisséi ! le même fleuve avec la même glace qui n’aura pas bougé depuis ce temps-là ! C’est admirable !
Or, un capital qu’on ne déplace pas pendant cent ans, pendant deux cents ans, même à un intérêt d’un taux extrêmement modeste, s’accroît et fructifie au-delà de toute limite.
– Je viens de placer cinquante millions dans cette affaire-là – et en vous parlant, je m’aperçois que décidément ces 2 millions 500 mille francs qui me restent ne seront bien placés que là ! – Vous m’avez écouté, vous n’avez rien dit, vous m’avez fait perdre mon temps, (le temps, c’est de l’argent) vous me coûtez peut-être 500,000 francs d’intérêts qui ne courent pas, les intérêts, faut que ça coure. C’est moi qui cours placer mes 2 millions 500 000 francs sur les masses pierreuses. C’est plus sérieux que vous. – Vous ne comprenez pas ça ? Je n’ai qu’un regret, c’est d’être venu, je me ruine ici et je m’en vais. Les intérêts courent… je les entends courir, je me ruine ici, je m’en vais, je ne vous salue pas !
Il sort outré.
par M. Eugène Verconsin
Table sur laquelle est un pot de fleurs, un carafon d’eau-de-vie, deux petits verres et ce qu’il faut pour écrire. – Deux chaises de paille. – Tableaux de batailles aux murs.
La scène se passe à Paris, chez Simon, en 1876.
Personnages
SIMON, invalide. (Grande taille. – Capote d’uniforme, casquette de demi-tenue, larges lunettes, nez d’argent, ad libitum.)
MATHIAS, invalide. (Petite taille. – Balafre à la joue. – Chapeau de grande tenue, habit idem.)
Adieu, Marie.
À ce soir, grand-père.
La voix s’éloigne.
C’est ma petite fille, messieurs, c’est toute ma famille, depuis que j’ai perdu mon pauvre fils… Chère petite Marie ! Elle n’a pas seize ans, et travaille déjà comme une femme… Elle dit qu’elle veut à son tour aider son grand-papa, qui a pu relever, grâce à la pension de sa croix et à sa retraite. Elle va se promener avec lui le dimanche ; elle le soigne et lui fait de la tisane quand il est malade, le gâte en tout temps… (Souriant.) et lui donne des fleurs le jour de sa fête ! (Il va respirer le rosier posé sur sa table.) Comme ça Sent bon les fleurs données par nos enfants ! Ça embaume le cœur, quoi ! (On frappe à la porte.) Qui va là ?
Entre Mathias, tenant quelque chose de caché sous son mouchoir.
Simon, Mathias.
Bonjour, Simon.
Mathias !… Bonjour, mon vieux Mathias… Comment vont les rhumatismes ?…
Heu ! heu ! Nous aurons de la pluie demain, (soulevant son bras gauche avec lenteur.) Ce bras-là pèse cent livres.
Tiens ! j’aurais parié que nous aurions du beau temps ; ma jambe droite est aussi gaillarde que sa sœur.
Tu ne souffres jamais comme tout le monde, toi.
Mauvaise langue !… Qu’est-ce que tu caches là ?
Eh bien ! n’est-ce pas aujourd’hui la Saint-Simon ?… C’est aujourd’hui la Saint-Simon, et je t’apporte mon cadeau.
Brave Mathias !… (Regardant le cadeau.) Une tabatière !
Avec le portrait du grand homme. Est-il assez ressemblant, hein !
Étonnant. Tu l’as donc vu de près, toi ? moi je n’ai jamais eu cette chance-là.
Moi non plus… Quand je dis qu’il est ressemblant, je dis qu’il ressemble… à ses portraits.
Oh ! pour ça, il est frappant.
J’avais d’abord pensé à t’apporter un nez d’argent, mais tu m’as dit, l’autre jour, que le tien était encore en bon état.
Oh oui ! il me fera bien encore la fin de l’année… Brave Mathias, va, de penser comme ça à son vieux camarade !
C’te bêtise ! Toi et ta petite Marie, n’êtes-vous pas mes seuls amis à présent ?… À qui diable veux-tu que je pense, si ce n’est à vous ?… D’abord, quand je ne le voudrais pas, je pense à toi tous les deux jours…
Qu’est-ce qu’il chante ?
Mes jours de barbe. Chaque fois que je me rase, je me regarde dans le miroir ; chaque fois que je me regarde dans le miroir, je revois ma balafre ; chaque fois que je revois ma balafre, je repense à la bataille d’Eylau ; et chaque fois que je repense à la bataille d’Eylau, je repense à toi, puisque c’est là que nous fîmes connaissance.
Et dans des circonstances majeures, comme on dit : mon petit Mathias avait affaire, pour le quart d’heure, à deux géants de Cosaques qui ne voulaient pas lui livrer leur drapeau. Il ne leur demandait que ça, le gourmand.
Le plus méchant m’avait déjà allongé l’estafilade en question, que je lui avais rendue avec les intérêts…
Et l’autre grand mâtin allait venger son camarade…
Quand un cuirassier de la garde tombe au milieu de nous et m’enlève dans le tas. – Je tenais toujours le drapeau russe, – mon adversaire ne lâchait pas de son côté…
Si bien que j’emporte la grappe vivante au galop de mon cheval.
Et le moment d’après, mon brave Simon présentait à Murat en personne un camarade sauvé, un prisonnier russe et un drapeau enlevé à l’ennemi. – Qui qu’a pris le drapeau ? s’écrie Murat, en secouant son panache de corbillard. – C’est Simon, que je réponds. – C’est Mathias, que tu répliques… Tu as toujours eu l’esprit contrariant, toi.
Et Murat nous décore tous les deux.
Un rude temps, Simon, mais un beau temps !
Nous allons boire à ce temps-là, camarade !
Il va chercher une bouteille d’eau-de-vie et des petits verres
Tiens ! depuis quand que t’as des jardins dans ta maison, toi ?
C’est le cadeau de ma petite fille… Elle a aussi pensé à ma fête. Et elle n’a pas seulement songé à l’agréable, mais encore à l’utile…, utile durci, comme disait mon capitaine. Elle m’a donné une douzaine de mouchoirs marqués à mon nom. (Il tire un mouchoir de couleur de sa poche et se mouche.)
Comme c’t enfant-là comprend les besoins du cœur humain !… Et comme c’est ourlé !… Est-ce ourlé ! Veux-tu que je te dise : eh bien ! le jour de sa fête, moi je lui donnerai un châle, à ta petite Marie.
Tous deux s’asseoient à la table.
Brave Mathias ! Mais ne va pas faire de folies au moins.
Des folies ! eh bien ! quand je ferais des folies pour notre petite-fille, je voudrais bien savoir qui m’en empêcherait… Je suis riche, d’ailleurs, puisque j’ai cinq cents francs de rente, outre ma pension… Ça me rappelle que pas plus tard qu’hier, j’ai été toucher mon revenu chez mon notaire… Car j’ai un notaire, moi !
Eh bien ! moi aussi, j’ai un notaire. Seulement toi, t’es le client du tien ; moi, je suis petit clerc chez le mien, voilà toute la différence.
Voilà !… Je te disais donc qu’hier je sortais de chez mon notaire, le gousset garni… Bah ! que je me dis, je m’en vais me régaler. Et je m’en vais dîner au Palais-Royal…, à trente-deux sous.
Sardanaple, va !
Le fait est que c’était splendide…, de lumière surtout. On voit bien clair pour quinze sous on mange pour le reste… Eh bien oui, mais en sortant de là, v’là qu’il me prend un remords. – Comment, vieil égoïste, que je me disais, tu fais comme ça des débauches tout seul ! c’est vilain, ça !… Le fait est que c’était vilain… Et je me bougonnais en descendant la rue du Bouloy, quand j’aperçois, auprès d’un épicier, trois petits ramoneurs en contemplation devant un tonneau de figues sèches… – Paraît qu’on aime les figues ? que je dis comme ça, sans avoir l’air. – Ah ! oui, monchieur l’invalide, répond le plus petit de la bande. – Eh bien ! emplissez vos poches, mes enfants…, et que ça déborde… Ils ne se le font pas dire deux fois… Je les aide moi-même au dégât, – je prenais de la main droite, pendant que je payais de la main gauche…. sans compter.
C’est juste, puisqu’il est écrit que la main gauche ne doit pas savoir ce que donne la main droite.
Il remplit les verres.
Ah ! l’épicier a compté, lui ; c’était son affaire à c’t homme !… Eh bien ! tu me croiras si tu voudras, mais il fallait ces figues-là pour faire passer mon dîner… Et je m’en suis été fier comme un préfet en tournée. Seulement en rentrant chez moi, – j’avais plus le sou.
Tu te ruineras, prodigue !… à ta santé !…
À la tienne, mon vieux. (Ils boivent.) Gentille eau-de-vie que tu as là.
C’est un cadeau de mon ex-capitaine… À sa mémoire ! (Ils trinquent et boivent.) On ne boit ce nanan-là qu’avec des amis, des lapins qui ont vu le soleil d’Austerlitz… Voilà un beau jour.
Et une belle bataille !… Je m’y vois encore… Notre corps d’armée s’avançait sur la gauche de l’armée russe.
Il fait le plan de la bataille avec sa canne.
Non, sur la droite.
Sur la gauche.
Sur la droite, je le sais bien, puisque j’ai été blessé ce jour-là.
Ostiné, va !
Mauvaise tête !
Tiens ! veux-tu que je dise pourquoi tu confonds les positions, c’est parce que t’es gaucher. Un gaucher se trompe toujours de côté, c’est son droit.
Allons ! bon ! le voilà parti. Pour cinq ou six petits verres… Mon Dieu ! comme t’as la tête faible !
V’là qu’il confond encore ! Mais c’est toi, mon pauvre Simon, qu’un petit verre étourdit. C’est vrai ! les femmes t’ont toujours reproché de ne pouvoir supporter un verre de vin… Elles disaient : – Simon est un joli cavalier… Et de fait, tu étais un joli… Damé ! maintenant tu n’es plus…, mais autrefois tu étais… un joli cavalier… Seulement les femmes te reprochaient…
Qu’est-ce qu’il dit ? Qu’est-ce qu’il dit ?… Les femmes m’ont toujours adoré, au contraire !… En ai-je fait des malheureuses, en 1810 !
Nous étions jeunes alors !
Je n’avais pas vingt-cinq ans.
En 1810 ? Tu n’as donc pas tes petits quatre-vingt-dix ans.
Je les aurai aux vendanges.
Gamin, va ! moi je les ai eus à la Trinité. Mais les femmes me disent généralement que je ne les porte pas.
Ah ! c’est que de notre temps on savait faire des hommes.
On n’en fait plus comme nous.
C’est défendu… Te souviens-tu de certaine garnison à Dresde en Saxe ?
Parbleu ! je sais bien que ça n’est pas en Picardie… Pour quoi dis-tu Dresde en Saxe ?
Je dis Dresde en Saxe…, parce qu’on dit Dresde en Saxe… dans la société. Te rappelles-tu Charlotte ?
Si je me rappelle Char… Ah non ! je ne me rappelle pas du tout.
La belle Charlotte de Dresde… qui avait des yeux grands comme… (Après avoir cherché autour de lui un terme de comparaison, il indique le large cercle de ses lunettes.) comme ça.
J’y suis… (Avec suffisance) J’y suis ! et des mains mignonnes… (Il regarde tour à tour les mains de Simon et les siennes.) Plus mignonnes que ça, par exemple… Si je m’en souviens ! Ah ! je l’ai bien aimée cette femme-là ! Elle me le rendait, du reste.
Qu’est-ce qu’il dit encore ?
Je dis : Ah ! je l’ai bien aimée cette femme-là !
Il bat la campagne !… Comme tu baisses, mon pauvre Mathias !… C’est moi qu’elle adorait, à preuve que je devais l’épouser, sitôt l’Europe conquise.
Toi !
Parbleu !
Toi !… Comme si ce n’était pas moi qui allais pas tous les matins dans la rue aux Juifs, où elle habitait. Dis un peu que je n’allais pas tous les matins dans la rue aux Juifs où elle habitait.
Mon Dieu ! je ne dis pas que tu n’allais pas tous les matins dans la rue aux Juifs où elle habitait…. mais c’était pour me faire la courte échelle pendant que je lui jetais des bouquets par sa fenêtre. (Se levant et chancelant, avec un geste de triomphe.) Car je lui jetais des fenêtres par ses bouquets… non…
Bon ! il embrouille maintenant la fenêtre et les bouquets… Voyons, Simon ! du sang-froid, mon ami !… Tu sais bien que c’est moi qui menais Charlotte, tous les lundis, au bal.
Mais non, puisque c’est moi qui la conduisais tous les dimanches, à la comédie… Que diable ! Raisonnons, Mathias !
C’est ça, raisonnons.
Ils boivent de plus en plus.
Et suis bien mon raisonnement : Les femmes n’aiment que les beaux hommes, n’est-ce pas ?
Eh bien ?
Eh bien ! tu n’as jamais été un bel homme, toi.
Je n’ai jamais été bel homme, bel homme, c’est possible ; mais j’avais mes agréments. D’abord les femmes m’ont toujours trouvé… de la conversation.
Des bêtises !… Les femmes n’ont jamais aimé des pousse-cailloux de fantassins comme toi.
Pousse-cailloux ! Mais c’est avec ces pousse-cailloux-là que Napoléon a fait le tour de l’Europe, et sans passeport, mon vieux. S’il n’avait eu, pour lui frayer son chemin, que des poulets d’Inde comme vous autres, il n’aurait seulement pas dépassé Vaugirard !… Pousse-cailloux !
Tu offenses mon arme, sargent.
Je lui rends justice, maréchal des logis ! et je dis que la cavalerie n’est bonne… qu’à monter à cheval. La vraie force de la France, c’est l’infanterie ! (Butant et criant.) Vive l’infanterie !
Vive la cavalerie !
La cavalerie ! mais a-t-elle seulement remporté une bataille, la cavalerie ? a-t-elle jamais pris une ville d’assaut, la cavalerie ?
Ah mais ! ah mais ! tu me manques, Mathias.
Je te touche, au contraire, et juste…, puisque vous vous fâchez.
Sache, mon petit tourlourou, qu’un cavalier vaut deux fantassins, c’est connu ça ; c’est dans tous les livres !
À preuve que j’ai fait descendre la garde un jour à deux hussards autrichiens qui me barraient le passage.
Je te parle des cavaliers français, imbécile !
Ç’aurait été des cavaliers français imbéciles, que ç’aurait été absolument la même chose.
J’en connais un qui rabattrait ta crânerie, sargent.
Je voudrais bien voir cela, maréchal des logis.
Ça ne sera pas long… (Il tire son sabre.) En garde, mon petit Voltigeur.
En garde, mon grand cuirassier ! (Il essaye vainement de tirer son sabre.) Cré ! ! ! Aide-moi donc à tirer mon sabre… Il est rouillé dans le fourreau.
Prends garde de lui ressembler.
Ils se mettent en garde.
Nous verrons bien ! (Ils ferraillent. Tout à coup Mathias rompt la garde et se frappe le front.) Tonnerre ! sommes-nous bêtes !
Tu recules ?
Non pas, morbleu ! mais nous ne sommes pas des vagabonds pour nous battre ainsi sans faire nos testaments. Donne-moi de l’encre et du papier.
C’est juste. En voilà.
Merci, (Ils s’asseoient chacun de leur côté et écrivent.) écrivons.
Écrivons.
As-tu fini, tête de mule ?
Oui, tête de baudet.
Ils posent leurs testaments sur la table.
Eh bien ! reprenons la conversation, (Ils se remettent en garde, Simon fait de vains efforts pour plier le jarret.) Oh ! oh ! tu n’as plus ton jarret de vingt ans, mon camarade.
Mathias porte un coup dans le vide. En ferraillant ils tournent et changent de côté.
Ta vue baisse, mon vieux ! tu veux tuer les mouches, comme si nous n’étions pas en hiver, (se frappant le front à son tour et rompant brusquement la garde.) Allons, bon ! j’ai oublié de signer mon testament.
Tiens ! moi aussi !
Ils reprennent les testaments déposés sur la table en se trompant de côté.
Qu’est-ce que j’ai griffonné là ?
Mais ça n’est pas mon écriture !
« Si je meurs je donne toute ma fortune… à mon vieil ami Simon et à sa petite-fille… »
« Si je succombe, je lègue ma petite-fille à mon vieil ami Mathias… » (Ému et dégrisé.) Il me lègue sa petite-fille !
Comme ça, si je l’avais tué, il me laissait son bien…
Si je l’avais descendu, il me léguait sa petite Marie ! Ah ! c’est gentil, ça… Brave Simon, va !
Brave Mathias ! (Une pause et des sanglota.) Dans mes bras, mon ami, dans mes bras ! (Ils se jettent dans les bras l’un de l’autre et pleurent ensemble. – Se mouchant.) Voyons ! ne pleure donc pas comme ça, sargent !
C’est plus fort que moi, maréchal des logis !… Quand je pense que nous allions peut-être… Faut avouer que je suis un fier animal.
C’est moi qui suis une bête brute… D’abord, je te taquine toujours…, et pour des bêtises encore…