Secrets du foyer domestique - Ligaran - E-Book

Secrets du foyer domestique E-Book

Ligaran

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Extrait : "Par une belle matinée du mois de mai, pendant que les cloches de Sainte-Marie sonnaient joyeusement à grande volée, plusieurs voitures aux chevaux parés de bouquets et de rubans blancs ainsi que les cochers et les laquais, roulaient avec rapidité vers l'un des faubourgs de la ville de***. Toutes vinrent l'une après l'autre s'arrêter devant une jolie villa qui disparaissait à moitié au milieu d'épais bosquets de lilas et de rosages en fleur."

À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN :

Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants :

● Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
● Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

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Seitenzahl: 268

Veröffentlichungsjahr: 2016

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Préface

Ce livre est l’imitation très librement faite d’un ouvrage anglais. Mistress Ellis, auteur justement estimé en Angleterre, a beaucoup écrit en faveur des jeunes femmes. Ses enseignements, marqués au coin d’une saine morale, sont toujours présentés sous une forme attrayante ; mais cette forme étant trop anglaise pour être acceptée par le goût français, nous avons cru que mieux valait imiter que traduire : c’est dire que nous nous sommes permis de très grands changements, tout en nous attachant à conserver aux différents personnages le type anglais. Nous avons de même conservé avec soin les traits principaux de l’un de ces drames domestiques dans lesquels, comme dans les réalités de la vie de famille, la femme joue souvent un rôle bien difficile et toujours important.

ILa lune de miel

Par une belle matinée du mois de mai, pendant que les cloches de Sainte-Marie sonnaient joyeusement à grande volée, plusieurs voitures aux chevaux parés de bouquets et de rubans blancs ainsi que les cochers et les laquais, roulaient avec rapidité vers l’un des faubourgs de la ville de ***. Toutes vinrent l’une après l’autre s’arrêter devant une jolie villa qui disparaissait à moitié au milieu d’épais bosquets de lilas et de rosages en fleur. À la porte, se pressaient les domestiques, hommes et femmes, tandis que sous le péristyle étaient réunis les parents, les amis conviés à la noce et très désireux de congratuler des premiers les nouveaux époux. La gaieté, la joie brillaient sur toutes les figures ; quelques-unes cependant exprimaient cette émotion que fait naître la pensée de l’acte solennel par lequel sont unies deux destinées ; de l’acte qui remet aux mains d’un homme, que souvent elle connaît peu, le bonheur d’une jeune fille, et qui impose pour premier devoir à cette jeune fille la soumission et l’amour.

Les voisins et les voisines ne se montraient pas moins empressés ; mais ce qui les attirait hors de leur demeure c’était surtout la curiosité et le désir de voir Elinor Bond dans sa toilette de mariée. On voulait voir aussi l’heureux époux, Georges Étanley, médecin en renom et à la mode ; et les voisines, parce qu’il possédait cette mâle beauté qui est toujours un titre de recommandation auprès des femmes, déclaraient que, pour cette fois, c’était un mariage parfaitement assorti ; toutes tiraient les plus heureux présages et de la beauté des deux époux, et du luxe élégant par lequel se distinguaient les parents, les amis, et de la pureté du ciel que n’obscurcissait pas un nuage. On ne pouvait voir en effet une plus magnifique journée. La nature elle-même semblait s’être parée de verdure et de fleurs et répandre à plaisir dans l’air leurs parfums embaumés, pour célébrer l’union d’Elinor et de George.

Un murmure approbateur se fit entendre lorsque la jeune mariée, appuyée sur le bras de son nouvel époux, monta les marches du péristyle. L’éclatante blancheur et l’élégance de ses vêtements contrastaient avec la sévérité du costume de George, de même que ses cheveux blonds voltigeant sous le voile en boucles dorées, et la couleur de ses yeux bleus, contrastaient avec les cheveux et les yeux noirs de celui qu’elle aimait d’un amour si tendre, et dont elle se sentait si fière de porter le nom.

La noce avait depuis longtemps disparu ; depuis longtemps les portes de la villa s’étaient refermées, et les groupes des voisins et des voisines étaient encore dans la rue à gloser sur ce mariage. Quelle que fût la malignité de certaines personnes qui trouvent toujours à blâmer partout, pas la plus légère critique ne se faisait entendre ; on ne découvrait absolument rien à reprendre ni aux mariés, ni à leurs parents, ni aux toilettes, ni aux équipages, ni à la manière dont la noce se faisait. Il est vrai que tout avait été réellement convenable et de bon goût ; qu’aucun détail n’avait été négligé, que rien n’avait été omis ni oublié. Madame Bond aurait joui si elle avait pu recueillir ce concert de louanges ; car elle était de ces femmes qui attachent la plus grande importance aux applaudissements de la foule, et qui mettent leur gloire à être honorées du titre de personnes de goût.

À la suite d’un repas qui répondit à tout le reste par son élégante magnificence, les nouveaux époux montèrent en chaise de poste et partirent. Ce premier voyage, exigé par la coutume, est souvent le seul que la femme mariée fera de toute sa vie ; et cette coutume, qui paraît bizarre au premier aspect, est, en quelque sorte, symbolique. La jeune fille qui appartenait hier encore à sa famille, n’appartient plus qu’à son époux ; pour le suivre, elle doit rompre toutes les relations ; c’est avec lui seul, et seule avec lui, qu’elle doit faire désormais le pèlerinage d’ici-bas ; il est devenu son guide ; il doit lui tenir lieu de parents, d’amis ; il doit lui tenir lieu de tout !

Le départ des mariés ne produisit, parmi les personnes rassemblées à la villa, qu’une émotion bien légère. On était assuré de les revoir dans un mois ; il n’y avait donc pas lieu, même pour M. et mistress Bond, de s’affliger de cette courte absence, et l’on passa ensemble et gaiement le reste de la journée.

Mistress Bond, heureuse d’avoir établi sa fille, et tout aussi heureuse peut-être d’avoir pu faire preuve de son talent pour l’entente d’une fête, sut plus d’une fois provoquer des compliments et des félicitations dont s’enivrait son amour-propre ; elle accueillit de la manière la plus gracieuse les pronostics flatteurs que chaque convive ne manquait pas de découvrir, pour la félicité future des deux époux, dans la beauté de la journée et dans mille petits présages ; et lorsque le soir elle se trouva seule avec son mari, elle revint avec délices sur tout ce qui avait été dit et fait pendant ce jour mémorable, appuyant sur les éloges reçus, les rappelant, les commentant, et montrant ainsi qu’elle méritait la faveur dont l’honorait le monde, puisqu’elle ne vivait que pour le monde, et que le monde, à ses yeux, était tout.

– Oui, dit M. Bond, homme d’un caractère calme et grave, les choses se sont fort bien passées.

Il allait et venait dans la chambre, tandis que sa femme, mollement étendue sur une dormeuse, jouissait avec délices de quelque repos après les fatigues de la journée.

M. Bond avait la réputation d’être un excellent mari et un excellent père. Pour l’obtenir, il lui avait suffi de laisser faire sa femme et de se contenter d’aimer ses enfants. Quant à madame Bond, elle avait acquis tout aussi aisément la réputation de femme excellente, de mère estimable, bien qu’au fond elle ne se fût jamais doutée des devoirs qu’imposent le titre d’épouse et celui de mère. L’occupation principale de toute sa vie avait été de rendre sa maison aussi agréable que possible, d’enseigner à ses filles l’art de faire figure, de briller même avec une fortune plus que médiocre et de donner, à leurs grâces naturelles et à leur beauté, ce je ne sais quoi qui plaît et qui vaut parfois une dot. C’est ainsi qu’elle était parvenue à marier Elinor à George Stanley. Le jeune docteur, orphelin depuis l’enfance, n’était pas riche non plus ; mais s’il eût attendu quelques années encore, il aurait pu faire un meilleur mariage ; l’amour en avait décidé autrement.

– Notre gendre a été parfait, reprit mistress Bond. Avec cette figure, avec cette tournure il doit réussir dans le monde et je ne doute pas qu’avant peu il n’ait complètement la vogue. Il pourra alors laisser de côté sa clientèle de petites gens, ou bien la céder à M. West et se réserver seulement la noblesse et le haut commerce. Oui, plus j’y pense, plus je suis satisfaite de ce mariage. Elinor ainsi placée pourra m’aider à établir convenablement ses sœurs. Vous ne dites rien, Frederick ? Est-ce que vous ne trouvez pas que nous sommes d’heureux parents ? car enfin notre Elinor est mariée et elle ne quittera pas cette ville !

– Oui, nous sommes d’heureux parents, répondit M. Bond, mais…

– Oh ! voilà les si et les mais qui vont recommencer ! s’écria impatiemment madame Bond. Vous êtes une objection vivante, ou plutôt vous êtes toutes les objections réunies. Si j’avais voulu vous écouter, ce mariage ne se serait peut-être jamais fait. Vous aviez la prétention de trouver un gendre sans défauts ! Demander que l’homme auquel on confie le bonheur de sa fille n’ait pas de vices, c’est en vérité tout ce que la raison la plus rigide peut dicter à de tendres parents, et certes il n’y a qu’une voix sur le compte de George !

– Je ne dis pas non, reprit M. Bond. Nous avons eu sur lui les meilleurs renseignements ; nous savons que le cœur est bon, que le talent comme médecin est incontestable, mais…

– Eh bien ?

– Eh bien, ma chère amie, je ne peux m’empêcher d’être alarmé, pour le bonheur d’Elinor, de quelques renseignements qui nous ont été donnés, vous le savez, sur la liaison de George avec sir James Cleveland.

– Peut-on avoir l’esprit de travers à ce point ! s’écria mistress Bond avec la plus vive impatience. Mais c’est un honneur, mais c’est un bonheur au contraire que cette liaison ! Mais c’est là le point de départ de la fortune de George ! Le baronnet et lady Cleveland ne donnent-ils pas le ton ici ? Ne sont-ils pas l’un et l’autre les arbitres souverains de la mode ? Ne peuvent-ils pas ouvrir à George les meilleures maisons ?

– Je ne parle pas de lady Cleveland, répliqua paisiblement M. Bond ; je parle de son mari, de sir James qui est… ce qu’on appelle… un viveur. On nous a raconté, vous vous en souvenez, certaines parties faites avec George…

– George était garçon alors, et quel est, je vous prie, le jeune homme qui n’a pas à se reprocher quelque peccadille ?

– Je ne dis pas non, Sara, mais un médecin ne peut et ne doit pas s’en permettre d’un certain genre. Les excès de table sont, en eux-mêmes, honteux, et ils peuvent conduire à tous les autres excès. Voyez le docteur West ! Sa réputation a toujours été pure !

– Allons ! il ne manquait plus que cela ! Vous allez comparer le plus lourd, le plus laid, le plus vieux de tous les médecins d’ici à George ! Pour complément à cette belle imagination, il faut citer sa femme comme exemple à notre Elinor ! mistress West ! Mais ce nom seul suffit pour présenter à l’esprit l’idée du mauvais goût, de l’économie mesquine, du tatillonnage en personne ! Elinor sera bien obligée de voir le mari et la femme puisque l’un et l’autre ont en quelque sorte remplacé les parents dont notre gendre a été privé dès le berceau ; mais son bon sens et son bon goût l’empêcheront, j’en suis sûre, de se lier dans cette maison.

M. Bond ne répondit rien cette fois ; sa figure était devenue soucieuse.

– Considérez donc, mon ami, reprit mistress Bond qui voulait toujours avoir raison, que nous devons nous applaudir sans cesse d’avoir établi notre fille aînée. Nous en avions cinq à marier ! Si Elinor était restée fille encore un an ou deux, ses sœurs cadettes seraient arrivées à l’âge où l’on trouve difficilement un mari, tandis que, je le répète, nous les établirons maintenant très facilement, et beaucoup mieux encore que leur sœur, grâce à cet ami de George qui vous fait peur, sir James, et grâce à lady Cleveland dont Elinor deviendra de son côté l’amie ; je le lui ai bien recommandé. Il faut voir les choses telles qu’elles sont et non pas telles que nous les présente notre imagination.

– Et un esprit de travers, n’est-ce pas ? ajouta M. Bond avec un peu d’amertume.

– Comme il vous plaira, répondit mistress Bond en se levant. Mais restons-en là pour ce soir ; la journée a été fatigante, la nuit est avancée et il faut que dès demain je songe à faire arranger la demeure que George et moi nous avons choisie et que nos jeunes époux doivent habiter au retour.

Le père de famille dormit peu, tandis que la mère de famille, enchantée d’être parvenue à marier sa fille, goûta les douceurs d’un paisible sommeil, après s’être encore cent et cent fois félicitée d’avoir assuré et le bonheur d’Elinor et le bonheur futur de ses autres filles. Comme beaucoup de femmes, mistress Bond trouvait qu’il fallait qu’une jeune personne se mariât à tout prix ; se marier, c’était prendre le nom de Madame, c’était avoir un état dans le monde, une maison à soi, enfin un premier serviteur.

Le lendemain, elle se livra aux soins domestiques avec une entière liberté d’esprit ; et, sans aucun souci de l’avenir d’Elinor, elle sortit pour faire des emplettes de meubles et d’étoffes.

George, de concert avec sa belle-mère, avait loué, dans le plus beau quartier de la ville, une jolie maison. L’entrée en était belle, l’escalier avait bon air et le salon méritait tout à fait d’être appelé un salon. Il s’agissait maintenant d’achever ce qui était déjà commencé, c’est-à-dire de compléter avec élégance l’ameublement de cette jolie maison. Elle prenait tant de plaisir à faire des emplettes, à surveiller les ouvriers, à exercer son imagination et son goût, que loin de trouver longue l’absence de sa fille, elle l’aurait volontiers prolongée, afin d’avoir le temps de perfectionner son œuvre.

On peut croire qu’élevée par une telle mère, Elinor s’était mariée pour se marier, comme le font tant de jeunes filles ; il n’en était rien cependant. Elle tenait de son père un caractère sérieux, réfléchi, et elle avait reçu, dans son enfance, les leçons d’une institutrice, femme de mérite, qui avait concouru à développer chez elle l’âme et la pensée. Certainement Elinor n’avait pas et ne pouvait avoir la connaissance bien distincte des devoirs que le titre de femme impose ; mais, s’il est permis de le dire, elle en possédait l’instinct, et sa tendresse pour l’époux de son choix rendait cet instinct assez sûr. Pendant que sa mère s’occupait uniquement de rendre tout à fait confortable la maison où elle allait vivre de cette vie commune, quelquefois si douce, Elinor cherchait à se former un plan de conduite pour sa position nouvelle, et George se prêtait complaisamment aux rêveries de sa jeune femme.

– Sans la religion, disait-elle à George qui l’écoutait souriant, il n’y a pas de bonheur possible ici-bas, n’est-il pas vrai, mon ami ?

– Rien n’est plus vrai, répondait George.

– Il faudra donc, reprenait Elinor, remplir soigneusement nos devoirs de piété, et les faire remplir à nos domestiques.

– Je suis tout à fait de cet avis, mon Elinor. C’est, d’ailleurs, d’un bon exemple et parfaitement convenable dans la maison d’un médecin.

– Le dimanche, nous irons ensemble au temple, puis nous reviendrons et nous dînerons de bonne heure afin que nos domestiques puissent y aller à leur tour. Nous ferons ensemble une pieuse lecture, et avec nos domestiques la prière du soir.

– C’est ce qui se fait partout, répondit George.

– Oh ! pas toujours ! reprit Elinor. Les devoirs du monde l’emportent trop souvent sur ceux de la religion ; on perd l’habitude de la piété, et quand le malheur arrive, on se trouve sans appui et sans consolation !

– Je ne savais pas, s’écria George en riant, que j’avais pour épouse une si excellente prêcheuse !

– Je ne prêche pas, George, reprit Elinor d’un ton sérieux. Je rapporte seulement les paroles de la personne qui m’a élevée jusqu’à l’âge de quatorze ans, et celles de mon père.

– Passons maintenant à nos devoirs sociaux, dit George. Dans ma position, je dois voir du monde, multiplier le nombre de mes connaissances, me répandre enfin.

– George, faut-il vous le dire ? Cette pensée m’a souvent tourmentée : et, peut-être, si je vous avais moins aimé, aurais-je hésité à vous donner ma main. La femme d’un médecin est souvent bien seule, bien délaissée !

– Mais je prétends, Elinor, que vous, aussi, vous voyiez le monde, le grand monde. Vous ferez des connaissances qui me seront utiles, et vous concourrez ainsi à notre fortune future.

– La fortune ne donne pas le bonheur !

– Elle y contribue du moins.

– Ah ! que ne pouvons-nous vivre comme nous avons vécu depuis trois semaines, uniquement l’un pour l’autre ! s’écria Elinor.

– Cela ne se peut pas, répondit George ; à mon grand regret, ajouta-t-il après un moment d’hésitation bien court, mais qu’Elinor sentit, et son cœur se serra.

– Non cela ne se peut pas, répéta-t-elle machinalement. Moi, je peux et je dois passer ma vie à vous aimer, mais vous, George, vous avez d’autres devoirs à remplir ! En ce moment, pendant ce temps qui nous semble si doux et si court, bien des cœurs souffrants vous appellent au secours de ce qu’ils ont de plus cher !… George, je voudrais vous voir au chevet d’un malade !… Je voudrais entendre les paroles d’encouragement et de consolation que votre cœur vous inspire !… Oui, je comprends que votre âme se partage entre votre amour pour moi, et votre amour pour une si belle profession !… Ne craignez rien, je ne me montrerai ni exigeante, ni injuste, ni… soupçonneuse ! j’aurai foi en vous, George !… et je vous aiderai à faire du bien, beaucoup de bien ! La femme du médecin doit être la Providence visible des pauvres, n’est-il pas vrai ?

– Jamais, sans doute, je ne refuserai mes soins aux malheureux ; mais mon désir est de changer peu à peu ma clientèle.

– Vous avez de l’ambition !

– Mais oui, je ne m’en défends pas. Elle est très permise à mon âge et avec la réputation que je me suis déjà acquise. Il me manquait d’être marié pour lutter avec avantage contre mon confrère et mon ami, le docteur West.

– Et c’est uniquement pour avoir ce qui vous manquait, que vous m’avez recherchée ? demanda Elinor avec un sourire qui prouvait que telle n’était pas au fond de sa pensée.

– Vous savez bien le contraire, répondit George ; et il porta tendrement à ses lèvres la main qu’Elinor lui avait tendue ; puis il passa son bras sous le sien, et tous deux continuèrent la promenade un moment interrompue.

Le hasard les conduisit vers un bouquet d’arbres au-delà duquel on entendait les cris joyeux d’un enfant. Elinor avança la tête entre les arbres, et elle invita, par un signe, son mari à regarder aussi. Un charmant tableau s’offrit alors aux regards des deux époux. Un homme, jeune encore, assis à l’entrée d’une jolie maisonnette dont la porte se trouvait ornée, de la manière la plus pittoresque, de plantes grimpantes, faisait sauter une petite fille qui riait aux éclats et le menaçait de la main en badinant. La mère, debout en contemplation devant ce groupe, s’était arrêtée immobile au moment où elle apportait à goûter à l’enfant chéri ; sa figure exprimait une douce joie, un bonheur profondément senti. Indifférent à cette scène et tout occupé de mettre en ordre son jardin sans doute, un jeune garçon de dix ans travaillait avec ardeur au-dessous de la fenêtre ouverte.

Elinor se sentait émue, et elle s’appuyait plus fortement sur le bras de son mari.

– Voilà une heureuse famille ! dit-elle à mi-voix.

– Oui, assurément, répondit George. Des enfants, des enfants joyeux et bien portants, sont une source inépuisable de bonheur !… Allons parler à ces bonnes gens, le voulez-vous, Elinor.

– Allons !

À la vue de la belle dame et du beau monsieur qui s’approchaient, la femme dit à son mari de poser l’enfant à terre et de saluer les étrangers. Le jeune garçon laissa de son côté sa bêche, et la petite fille ouvrant les yeux dans toute leur grandeur, se glissa doucement vers Elinor pour poser ses petites mains sur la robe de soie dont le brillant et la couleur lui plaisaient et l’attiraient. Elinor la prit dans ses bras, et demanda son nom à l’heureuse mère, tandis que George parlait au père de son fils, dont la figure exprimait l’intelligence.

– Oui, Monsieur, répondit le paysan, nous avons tout autant de bonheur qu’on puisse en goûter dans ce monde, en travaillant, bien entendu ; et Tom que voilà me donne beaucoup de satisfaction ; quant à Nelly, on ne sait pas encore ce qu’elle sera. Mais les bons parents font les bons enfants, dit le proverbe ; et j’en ai deux plus grands qui ne le font pas mentir. Vous comprenez bien, Monsieur, qu’il faut se priver pour élever tout cela ! Du temps que j’étais garçon, j’avais des habitudes et des connaissances qu’il a fallu laisser là… Ça m’a coûté, d’abord, vous comprenez ?… Marguerite que voilà peut vous dire que nous n’avons pas toujours été sages ! Heureusement, elle et moi, nous avions la crainte de Dieu et nous aimions nos enfants par-dessus tout ; cela fait que j’ai rompu avec les habitudes, les connaissances, avec tout, et quand je reviens le soir de mon ouvrage, je n’ai pas de plus grand plaisir que de jouer avec Nelly. Vous saurez quelque jour ce que c’est que ce plaisir-là, car, si je ne me trompe, Monsieur et Madame sont de nouveaux mariés… j’ai deviné cela rien qu’à la mine. Excusez, ajouta-t-il en voyant Elinor rougir ; mais chacun a passé par là, chacun a eu sa lune de miel ; et vous pouvez m’en croire, demandez-le plutôt à Marguerite, la lune de miel ne vient vraiment que lorsque les marmots arrivent ! Si vous saviez quelle joie c’est d’entendre ces petites voix-là appeler papa, maman, et que de voir ces bambins rire et jouir de la vie que leur donne le bon Dieu !… Venez, Nelly, venez embrasser votre père !… C’est dommage que ça grandisse ; c’est si gentil quand c’est petit !

– Oui, mais quand cela grandit, reprit George, on a d’autres jouissances.

– Et d’autres tourments aussi, Monsieur ! ajouta la mère. Ce n’est pas un petit souci que de les élever, que de les bien éduquer et que de leur donner un état !

– Bah ! le bon Dieu est là et le travail du père aidant, comme de juste et comme c’est son devoir, les petits devenus grands se tirent d’affaire à leur tour. Femme, offre donc une tasse de lait à Madame !

Il fallut accepter le lait, les fruits qui furent à l’instant placés sur la table que le père de famille était allé chercher dans la maison.

George et le paysan parlaient tout haut d’agriculture ; Elinor parlait tout bas, avec Marguerite, des devoirs si saints et si doux de la maternité. Tout en causant, elle serrait souvent Nelly sur son cœur ; et elle se représentait avec ivresse le moment où elle bercerait sa fille dans ses bras ; où elle serait mère à son tour ; où elle aurait à aimer encore George dans leur enfant !

Au moment de partir, George glissa une pièce d’or dans la poche du tablier de Nelly, et les deux époux revinrent sur leurs pas, car la nuit arrivait. Chemin faisant, Elinor laissa deviner à son mari les pensées qui la préoccupaient, et, avec ferveur, elle rendit grâce au ciel de trouver en lui ce saint amour de la famille que Dieu, dans sa bonté, amis dans le cœur de l’homme pour lui faciliter les sacrifices que cette famille exige, et pour le récompenser, par l’amour de ses enfants, de l’amour dont il a entouré leur berceau.

Grâce à l’imagination d’Elinor, de nouveaux projets vinrent s’ajouter à tous les autres projets d’avenir ; après avoir tracé un plan de conduite pour elle et son mari, elle en faisait un autre pour l’éducation, pour la direction à donner aux enfants encore à naître, et elle sentait, ainsi que George, la vérité de ce que le paysan avait dit, que leur bonheur serait complet alors seulement que tous deux se verraient appelés à remplir les devoirs les plus saints et les plus doux de la nature.

La dernière huitaine de la lune de miel passa plus rapidement encore que toutes les autres pour Elinor ; quant à George, quoique bien amoureux de sa femme, il n’éprouva aucun regret en voyant arriver le moment où les joies du tête à tête seraient rendues plus piquantes par des interruptions forcées. Malgré lui, il éprouvait une sorte d’impatience de jouir de tous les avantages que sa nouvelle position lui assurait comme médecin.

Si Elinor rêvait bonheur domestique, il rêvait, lui, gloire et fortune. Ce fut donc avec plaisir qu’il monta dans la chaise de poste qui devait le ramener avec sa femme à la ville de ***.

La famille d’Elinor attendait les nouveaux mariés dans leur demeure. Après les premiers moments accordés aux émotions bien naturelles des parents et de la jeune fille devenue jeune femme, on prit possession en visitant la maison que les deux époux connaissaient à peine, et mistress Bond fut amplement récompensée des soins qu’elle s’était donnés, par les éloges de son gendre qui admirait hautement la décoration des appartements ; éloges exprimés avec une vivacité flatteuse, avec une joie sincère. George se sentait réellement le plus heureux des hommes en se voyant ainsi entouré des apparences d’une grande aisance ; apparences qu’il pouvait espérer de changer promptement en réalité, car sa réputation était faite, et sa qualité d’homme marié allait lui ouvrir bien des maisons qui seraient restées longtemps fermées peut-être au jeune homme à marier.

Elinor aussi se sentait ravie d’avoir un chez elle, une maison à diriger, un rang à tenir dans le monde. Elle espérait bien qu’elle se montrerait la digne élève de sa mère dans l’art de rendre cette maison agréable, surtout à son mari. Elinor voulait que George revînt toujours chez lui avec empressement et plaisir ; qu’il préférât le foyer domestique à toutes les séductions du monde et qu’après avoir passé la journée au chevet de ses nombreux malades, il ne trouvât, à son retour, que des visages riants.

« Oui, se disait la jeune femme, je lui donnerai une félicité si pure et si complète, que chaque jour de sa vie il bénira celui où nous fûmes à jamais unis ! »

IIUn premier nuage

Les deux époux se montrèrent pour la première fois aux regards curieux le dimanche suivant, en se rendant au temple. Ils étaient vêtus avec cette élégante simplicité qui distingue toujours les gens de bonne compagnie ; un groom marchait derrière eux portant leurs livres richement reliés ; sa livrée était de bon goût. Plus d’une voix murmura sur leur passage : Le beau couple ! Au retour, on dîna de bonne heure, comme Elinor l’avait arrêté d’avance, les domestiques furent envoyés au temple et les nouveaux époux passèrent seuls au logis le reste de la journée. Elinor s’était chargée de faire la lecture dans la Bible ; et George, animé par la ferveur de sa femme, se dit qu’il était facile et doux d’accomplir ses devoirs religieux.

Le jour suivant, il fallut commencer le cours de ces visites qui est un impôt levé par les convenances sur ceux que le mariage vient d’unir. George ne songeait point à s’en plaindre ; il était heureux et fier de présenter sa jolie femme aux personnes qui l’honoraient de leur confiance ; Elinor, de son côté, prenait plaisir à présenter son mari à ses anciennes amies. Après les visites faites, vinrent les visites rendues, et bien des jours coulèrent ainsi sans laisser de traces.

Peu à peu, les devoirs imposés par la société envahissaient tout. Malgré elle, Elinor se voyait entraînée à négliger sa famille pour cultiver ses nouvelles connaissances ; le soin de sa toilette l’occupait beaucoup plus qu’elle ne l’aurait voulu ; George exigeait qu’elle fût toujours élégamment vêtue, toujours en demi toilette au moins ; il fallait donc y songer afin de satisfaire la vanité de son mari ; et sa propre vanité grandissait en même temps.

Depuis qu’Elinor avait été présentée à lady Cleveland, elle trouvait qu’il manquait beaucoup de choses à son ameublement pour être irréprochable ; son salon surtout n’avait rien de cet air de grandeur, de ce luxe facile dont certaines personnes possèdent seules le secret, et elle employait, en futiles arrangements, en tentatives inutiles, le temps qu’elle s’était promis de consacrer à des choses plus importantes. Déjà soumise à l’empire que lady Cleveland exerçait sur tout ce qui l’approchait, Elinor aurait voulu la prendre en tout pour modèle ; elle admirait jusqu’aux travers de cette femme légère et frivole que le monde encensait parce que cette femme était belle, spirituelle et riche.

En vain M. Bond engageait sa fille à prendre garde aux liaisons que son mari, avec l’inexpérience d’un jeune homme, lui faisait former ; en vain il lui disait que le baronnet ne pouvait être pour George qu’un ami dangereux ; sir James et lady Cleveland étant, de toutes les personnes qu’elle voyait, les plus séduisantes, les plus aimables, les plus recherchées et les plus à la mode, celle que, dans sa famille, on avait surnommée jadis la sage Elinor répondait qu’éviter une si brillante connaissance, c’était enlever à George tout espoir de devenir le médecin de la noblesse du pays.

– La noblesse ne paie pas toujours, répondait M. Bond, tandis que l’ouvrier paie !

– Oh ! George est assez sensé, répliquait Elinor, pour ne pas abandonner ses humbles clients ; mais il faut semer si l’on veut recueillir ; et George est si distingué comme médecin, qu’il n’a besoin que d’une ou deux cures remarquables parmi ses malades du grand monde, pour mettre dans tout leur jour sa science et son talent. D’ailleurs, mon père, sir James n’est pas ce que ses envieux le font.

– Sir James, mon enfant, reprit M. Bond, n’est point un ami désirable pour votre mari, je le répéterai sans cesse. Il se fait honneur d’appartenir à ce qu’on appelle la vieille école anglaise, à ces buveurs intrépides qui peuvent passer la nuit entière à table, sans que les excès altèrent en apparence leur raison. L’un de ses plus grands plaisirs est d’appeler ses amis à ce genre de combat, et votre mère et moi nous n’avons pas dû vous laisser ignorer, lorsque George a demandé votre main, que certains bruits assez fâcheux ont couru au sujet de quelques parties faites avec sir James.

– Mais alors, mon père, George était encore bien jeune !

– Mon enfant, la réputation d’un médecin doit être comme celle d’une jeune fille, complètement pure de toute souillure. J’ajouterai que, pour vous-même, la société de lady Cleveland n’est nullement désirable. On ne lui reproche aucun tort grave ; mais il n’est pas bon de fréquenter, à votre âge, les gens du grand monde. La comparaison que l’on fait, sans le vouloir, de leur position à la sienne, rend celle-ci pénible et la fait même paraître de beaucoup inférieure à ce qu’elle est réellement. Croyez-moi, voyez vos égaux en rang et en fortune. Vous acquerrez ainsi des amis, et vous vous éviterez à vous-même mille petits sujets de secrète envie.

– Je suivrais bien volontiers vos conseils, mon père, répondit Elinor par respect plutôt que par conviction, si je le pouvais. Mais une femme mariée n’est pas la maîtresse d’agir comme bon lui semble…

– Une jeune épouse, ma fille, répliqua M. Bond sans la laisser achever, est armée d’un pouvoir tel, que d’elle, en quelque sorte, dépendent son avenir et celui de l’homme qui lui a confié le soin de son bonheur. Du moment que vous le voudrez bien, que vous le voudrez sincèrement et du fond du cœur, vous amènerez insensiblement George, non pas à rompre une liaison qui lui plaît, mais à en relâcher les liens. La soumission est sans aucun doute l’un des premiers devoirs de l’épouse ; cependant cette soumission ne doit pas être tellement passive, que l’épouse fasse une complète abnégation de son intelligence et de sa raison dans les circonstances graves, et telle est celle-ci, je le crains !