Série noire à Carnac - Jean-Marc Perret - E-Book

Série noire à Carnac E-Book

Jean-Marc Perret

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  • Herausgeber: Palémon
  • Kategorie: Krimi
  • Sprache: Französisch
  • Veröffentlichungsjahr: 2023
Beschreibung

Marc Renard, détective privé, se rend à Carnac pour répondre à l’appel d’un ami d’enfance, Ian Ségalo. Ce dernier fait l’objet d’un lynchage médiatique de la part d’une journaliste locale qui s’acharne sur son projet immobilier en baie de Plouharnel. Elle a le soutien des ostréiculteurs locaux, qui, subissant déjà une grave crise sanitaire, rejettent également ce projet.
La mission de Marc Renard consiste à dénicher des informations susceptibles de mettre fin à cette opposition, mais tout va se compliquer : un homme est abattu d’une balle en pleine tête durant un match de tennis, puis ce sera au tour d’une joggeuse d’être supprimée dans des conditions similaires sur une plage.
La police est sous pression tandis que les victimes se multiplient. Tireur fou, tueur en série ? La panique gagne la population. À son corps défendant, Marc Renard va se trouver mêlé au cœur d’un drame dont la belle Léa Delcourt, énigmatique artiste peintre, détient peut-être la clé…

Une nouvelle enquête passionnante, dans laquelle le style incisif et cinématographique de Jean-Marc Perret prend une fois de plus toute sa mesure…


À PROPOS DE L'AUTEUR

Natif de Carnac où il réside régulièrement, Jean-Marc Perret s’est lancé dans l’écriture de romans policiers après une carrière de contrôleur de gestion à la SNCF. Également auteur d’une pièce de théâtre, une comédie policière, amateur de cinéma, passionné de sport, Jean-Marc pratique assidûment le tennis et la marche nordique. Il est actuellement correspondant du journal Ouest-France pour la commune de Chantepie, où il vit, près de Rennes.

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Couverture

Page de titre

Retrouvez tous nos ouvrages sur www.palemon.fr.

CE LIVRE EST UN ROMAN.Toute ressemblance avec des personnes, des noms propres, des lieux privés, des noms de firmes, des situations existant ou ayant existé, ne saurait être que le fait du hasard.

Prologue

Rennes

« Contestables si elles sont arbitraires », en douze lettres. La solution, qui, au passage, fit resurgir des souvenirs déplaisants, s’imposa sur-le-champ. Il inscrivit le mot ARRESTATIONS dans les cases appropriées. Marc Renard aimait les mots croisés, mais surtout pas ceux que l’on torche en cinq minutes en prenant son petit-déjeuner. Non, plutôt les ardus, ceux qui font plisser le front, grimacer, jurer après le tortionnaire qui les a composés. Il est vrai que son job lui accordait pas mal de moments de latence et qu’il fallait bien meubler les temps morts qui constituaient une part de son quotidien. Il leva les yeux de son journal. Son instinct l’avertit que la pause était terminée. À l’instant, les deux tourtereaux quittaient l’hôtel, de l’autre côté de la rue. Il sortit de son Astra et prit son téléphone dans la poche de sa veste.

Il porta l’appareil à son oreille, semblant engager une conversation, puis appuya à plusieurs reprises sur son portable. Il revint s’asseoir dans sa voiture. Les photos étaient parfaites. Le couple franchissait le seuil de l’hôtel dont on apercevait nettement l’enseigne en arrière-plan. Ces derniers clichés, ajoutés à ceux réalisés au restaurant quelques heures plus tôt, ne laisseraient aucun doute à son client sur l’infidélité de sa femme. Mission accomplie.

Marc Renard mit le contact et démarra, jetant un dernier coup d’œil dans son rétro au couple qui s’éloignait. En riant, la femme écartait la main de son compagnon qui essayait de lui caresser les fesses.

C’était encore l’heure creuse. D’une conduite nerveuse, il abandonna rapidement la zone industrielle et rejoignit la route de Châteaugiron en direction du centre-ville. Son bureau n’était qu’à une vingtaine de minutes, rue Dupont-des-Loges. Par chance, il trouva une place devant l’agence qu’il dirigeait avec son associée. « Agence Renard, diligence et discrétion » annonçait la plaque fixée au mur.

Assise à son bureau, Alexia Ropart tapotait sur le clavier de son ordinateur. Alex et lui avaient suivi le même cursus universitaire jusqu’à la maîtrise de droit. Les aléas de la vie les avaient séparés, mais ils s’étaient retrouvés au hasard d’une soirée, trois ans auparavant, alors qu’ils venaient tous deux de dépasser la trentaine et que Marc Renard ouvrait son agence d’enquêteur privé. Alex s’ennuyait ferme au sein d’un cabinet d’avocats d’affaires où on ne lui confiait que les dossiers mineurs et elle aspirait à changer d’air. Marc lui ayant proposé de s’associer avec lui, elle avait demandé un temps de réflexion. Quarante-huit heures plus tard, elle l’appelait pour lui annoncer qu’elle était d’accord. Ainsi fut créée l’agence dont Renard possédait la majorité des parts. Ils se partageaient les tâches. Le travail sur le terrain était du domaine de Marc, Alex assurant plutôt les études sur dossier et la gestion administrative. Ils occupaient le même bureau, tous deux possédant un appartement à l’extérieur. Marc conservait la deuxième pièce de l’agence comme éventuelle garçonnière.

— Alors, et cette enquête de moralité ? demanda Marc Renard en se penchant sur l’ordinateur d’Alexia.

— Ils peuvent embaucher leur contrôleur de gestion les yeux fermés. Ce type ne fume pas, ne boit pas, ne joue pas et se montre d’une fidélité conjugale à toute épreuve.

— À leur place, je me méfierais. Un type aussi parfait, ça cache forcément quelque chose !

Alex lui tira la langue.

— Du nouveau pendant mon absence ?

— Tu as reçu un coup de téléphone d’un certain Ian Ségalo. Il appelait du Morbihan, de Plouharnel plus exactement.

— Ségalo ? Ian Ségalo ? Que me veut-il ?

— C’est à toi seul que ce monsieur souhaitait parler. Je lui ai dit que tu rappellerais. Voici son numéro.

Alex tendit un Post-it à Marc. Les sourcils froncés, il y jeta un coup d’œil.

— Je le rappellerai. Ian était, ou plutôt est un de mes bons copains. Mais d’abord, priorité à mon affaire en cours.

Renard se dirigea vers son bureau et alluma son ordinateur. Il entreprit de transférer les photos de son téléphone portable vers le PC. Il avait pris douze clichés de Leslie Jaquet et de son amant, David Leray. Des photos explicites quant à la nature de leur relation. Le lendemain, il les apporterait à Arnaud Jaquet, le mari trompé. C’en serait terminé des fredaines de la belle Leslie. Renard eut une grimace involontaire. Il s’efforçait d’exclure tout sentimentalisme de son travail. Il se contentait d’accomplir au mieux et sans état d’âme ce pour quoi on le payait. Des maris jaloux, il en avait rencontré de toutes sortes. Mis au courant de leurs infortunes, aucun ne réagissait de la même façon. Il en avait même connu un qui avait été pris d’un fou rire hystérique ; pendant un quart d’heure il avait ri sans discontinuer, avant de fondre en larmes. Jaquet, lui, serait plus du genre à intérioriser sa colère, mais à se montrer implacable. Sa femme allait morfler. Une idée germa dans la tête de Renard, une idée dont il n’était pas forcément très fier et dont il ne s’ouvrit pas à Alex, car il savait qu’elle l’aurait désapprouvée. Il se pencha sur son PC et imprima les photos.

*

Pour l’avoir filée pendant une quinzaine, Marc Renard n’ignorait plus rien des habitudes de Leslie Jaquet. En ce milieu de matinée, il stationnait à Cesson-Sévigné, sur le parking du Top Fitness, une salle de remise en forme. Leslie Jaquet ne tarda pas à arriver. Elle arrêta sa 207 non loin de l’Astra de Renard. Celui-ci attendit qu’elle sorte de son véhicule et s’empare d’un sac de sport dans le coffre.

Il quitta alors sa voiture pour venir à sa rencontre.

— Madame Jaquet ! Je suis Marc Renard, enquêteur privé.

Renard présenta sa carte professionnelle.

— Je travaille pour le compte de votre mari, Arnaud Jaquet.

Leslie Jaquet le dévisagea, interdite.

— Mon mari ? Quel travail ?

— Il vous soupçonne d’entretenir une relation extra-conjugale et m’a chargé de vous surveiller, jeta Renard d’un trait.

Sans un mot, le visage fermé, Leslie Jaquet fit un pas de côté pour le contourner, mais il lui barra le chemin.

— Madame Jaquet, dit-il en adoptant un ton conciliant, il est de votre intérêt de m’écouter.

Il retira une photo d’une poche de sa veste et la présenta à Leslie Jaquet qui sursauta, comme parcourue par une décharge électrique.

— Qu’est-ce que c’est ? Qu’avez-vous…

— Ne vous affolez pas, venez, allons discuter dans ma voiture ou la vôtre.

La jeune femme lança des regards inquiets autour d’elle.

— Dans ma voiture, dit-elle d’une voix étouffée.

Ils prirent place à bord de la 207. Renard attaqua sans plus attendre. Il sortit la totalité des photos qu’il avait prises des deux amants et les fit jouer entre ses doigts, les présentant en éventail tel un jeu de cartes. Puis il les lui tendit.

— Voyez donc !

Leslie Jaquet s’empara des clichés d’un geste vif et les contempla, le visage cramoisi.

— C’est vous qui avez…

Renard opina.

— Vous m’avez suivie…

Nouveau hochement de tête de Renard.

— C’est minable, vous êtes minable, si vous saviez ce que je pense des gens de votre espèce !

— On pourrait en discuter à l’infini, mais ça ne nous mènerait à rien ! Écoutez-moi plutôt. Je dois remettre ces photos à votre mari, j’ai passé un contrat avec lui. Mais il se trouve que je n’en ai pas envie. Comment l’expliquer ? Disons que j’ai un faible pour vous deux. (Il désigna les photos.) Vous rayonnez de bonheur. Ce serait dommage de gâcher tout cela, n’est-ce pas ?

Renard laissa s’écouler un moment.

— Donc, je garde ces photos, je raconte à votre mari qu’il peut retrouver le sommeil, car sa femme est d’une fidélité irréprochable, et vous, vous pouvez continuer à vous distraire.

— Me distraire ? Pfft ! Vous ne comprenez rien. Il ne s’agit pas de distraction, sinon je vous enverrais vous faire voir, vous et vos sales photos !

— Alors, disons simplement que vous pourrez continuer à rencontrer votre David. Tout le monde sera content.

— Et vous feriez cela uniquement pour mes beaux yeux ? jeta Leslie Jaquet d’un ton goguenard.

— Non, pour deux mille euros.

Leslie Jaquet détourna la tête.

— Quoi ! Mais vous êtes ignoble !

— C’est une façon de voir les choses. De mon point de vue, c’est juste un marché que je vous propose.

— Et qu’est-ce qui me garantit que vous n’enverrez pas quand même les photos à mon mari ? demanda Leslie Jacquet en le regardant à nouveau d’un œil noir.

Renard tendit les deux mains en avant.

— Il s’agit d’un pari, madame Jaquet. Si vous ne donnez pas suite à ma proposition, je fais ce pour quoi m’a payé Arnaud, votre mari. C’est une certitude. En revanche, si vous me faites confiance, ça vous laisse une chance.

Pinçant les lèvres, Leslie Jaquet garda le silence, remâchant les propos de Renard.

— C’est d’accord, finit-elle par dire. Des salauds comme vous, je n’en ai pas souvent rencontré, mais vous ne me laissez pas le choix !

— Dans ce cas, faites-moi un chèque. Vous devez posséder un compte en nom propre, ça ne devrait pas vous poser trop de problèmes.

— Qu’en savez-vous ?

— Disons que je commence à connaître votre train de vie.

D’un geste agacé, Leslie Jaquet sortit un carnet de chèques de son sac. Elle compléta un chèque d’une écriture nerveuse, le détacha du talon et le balança vers Renard. Il tournoya un instant à travers la voiture avant que le détective ne s’en saisisse.

— Si jamais vous m’avez trompée… siffla Leslie Jaquet.

— Tss, dit Renard en sortant de la voiture. N’utilisez pas ce mot. Il est trop moche.

Il se baissa, ramassa le sac de sport que la jeune femme avait laissé près du véhicule et le lui tendit en désignant la salle de gymnastique.

— Et surtout, gardez la forme !

I

Mardi 18 octobre

Stéphane Granier prit tout son temps avant de gagner sa place au fond du court tandis que son adversaire l’attendait. Pour se détendre un maximum, Granier s’efforça d’inspirer et d’expirer le plus lentement et profondément possible. Il se leva enfin de sa chaise, prit deux balles jaunes, en mit une dans la poche gauche de son short et se saisit de sa raquette. Il jeta un coup d’œil à Capet. Celui-ci dansait d’un pied sur l’autre, tant pour calmer son impatience que pour rester dans le tempo de la rencontre. À pas lents, Granier vint se camper sur la ligne blanche. Six jeux à cinq en sa faveur et service à suivre. Il avait nettement perdu la première manche, mais arraché la seconde alors qu’il sentait Capet fléchir au fil des minutes. Granier avait pris un malin plaisir à lui faire visiter le terrain de droite à gauche en de longs échanges, sachant que la condition physique n’était pas le point fort de son adversaire. Compte tenu de l’état de fatigue de Capet, il croyait empocher aisément le troisième set, mais, à sa grande surprise, son concurrent s’était accroché comme un fou. Granier était enfin parvenu à lui ravir sa mise en jeu et n’avait qu’à remporter son service pour gagner la partie. Une bouffée d’adrénaline le submergea. Seulement quatre points et il prouverait à ce petit con d’anesthésiste qu’il était le meilleur. Leur match avait débuté depuis plus de deux heures sur l’un des deux courts en plein air du Tennis-club des Menhirs, à Carnac. Il ne rentrait pas dans le cadre d’un tournoi officiel, mais n’avait d’amical que le nom. La rivalité entre les deux hommes était réelle et s’exprimait en toute occasion, débordant le contexte professionnel pour s’exacerber dans le sport et auprès des femmes.

Granier avait le soleil contre lui et devait en tenir compte. Il lança la balle en l’air. Le timing fut parfait et sa balle très croisée déporta son adversaire hors du court. Capet ne put que la renvoyer plein centre où se trouvait Granier. Ce fut un jeu d’enfant pour celui-ci de la mettre hors de portée. 15-0. Plus que trois points. Granier récupéra une autre balle. Il servit long sur le revers de Capet, venant cueillir au filet le retour beaucoup trop court. 30-0. Plus que deux points. Granier toisa son rival. Finis les sautillements ; la raquette baissée, l’autre semblait résigné. Méfiance tout de même. Ce tordu de Capet était capable de simuler le renoncement pour mieux endormir son adversaire. Granier expira longuement, tel un athlète avant la course d’élan, puis frappa violemment la balle que Capet ne put qu’effleurer. Service gagnant, 40-0 et balle de match. Allez, encore un point et Granier se retrouverait au filet pour serrer la main de Capet et lui donner une petite tape faussement amicale sur l’épaule. Granier fit rebondir la balle une bonne quinzaine de fois avant de se décider à servir, à la manière du champion serbe Novak Djokovic. Granier ne détestait pas se comparer aux ténors du circuit professionnel. Il réfléchit. Le point faible de Capet était son revers. L’autre devait donc s’attendre à ce qu’il serve de ce côté. Il allait le surprendre et servir plein centre sur le T des carrés de service.

Granier projeta la balle en l’air, un peu en avant de lui, et, dans le même mouvement, arma le bras pour le coup décisif. Mais, avant qu’il n’ait pu frapper, un sifflement se fit entendre et un projectile mortel le percuta en plein front.

Incrédule, Nicolas Capet vit son adversaire vaciller et s’effondrer en arrière sur le court. Il se précipita, sauta par-dessus le filet, tandis que les portes du club-house s’ouvraient sur quelques spectateurs qui, eux aussi, accouraient vers le terrain. Agenouillé près de Granier, Capet regarda avec horreur la tache de sang qui, s’élargissant depuis le milieu du front, souillait en minces rigoles le court de tennis.

II

Ce même mardi 18 octobre

Marc Renard arriva en milieu d’après-midi devant la propriété de Ian Ségalo. À la sortie de Plouharnel, sur la route de Quiberon, une grande bâtisse, flanquée en son milieu d’une tourelle, occupait le fond d’un parc à la pelouse taillée au millimètre. Quand, la veille, il avait rappelé Ségalo, celui-ci s’était montré lapidaire et insistant, expliquant qu’il préférait énoncer de vive voix ce qu’il attendait du détective et l’assurant qu’il s’agissait d’une affaire de la plus haute importance. Renard s’était laissé convaincre de venir lui rendre visite dans le Morbihan. Tout comme Ségalo, Renard était natif de Carnac. Ils s’étaient fréquentés une bonne partie de leurs vacances de jeunesse, à disputer des matchs de volley ou de foot sur la plage de Légenèse, et à partager les mêmes virées nocturnes. Tandis que Marc Renard achevait à Rennes ses études de droit, Ian Ségalo succédait à son père, promoteur immobilier, et prenait à son compte l’entreprise familiale, Promos 56. À ce qu’en savait Renard, son ami semblait avoir plutôt bien réussi dans la profession.

Marc Renard gara son Astra dans la cour, près de l’escalier conduisant à l’imposante demeure, à côté de deux autres véhicules, une Jaguar et un coupé 407. Deux jardiniers s’activaient auprès d’un colossal massif de fleurs et plantes vivaces. De l’arrière de l’habitation, il entendit des aboiements. Renard grimpa les marches de l’entrée au moment où la porte principale, à droite de la tourelle, s’ouvrait. Ian Ségalo apparut sur le seuil. De deux ans l’aîné de Renard, il était également d’une taille au-dessus de la moyenne. Sous ses cheveux blonds habilement décoiffés, son visage présentait un hâle qui devait autant aux séances d’UV en cabine qu’à l’air iodé du Morbihan. Un sourire éclaira ses traits tandis qu’il saisissait Renard aux épaules.

— Marc ! Je suis si content. Ça fait une paye !

Marc lui rendit son sourire.

— Sept ans ! Je n’avais jamais trouvé l’occasion de revenir par ici.

— Viens, rentrons.

Renard le suivit jusque dans le salon conçu en duplex dans la rotonde. Ils s’assirent dans la partie inférieure devant une table basse en marbre rose.

Ségalo présenta un paquet de cigarettes blondes. Renard eut un signe de dénégation.

— Alors, peut-être boiras-tu quelque chose ? proposa Ségalo en sortant son briquet et allumant une cigarette. Un whisky ? J’ai du Glenlivet, quatorze ans d’âge. Ou préfères-tu un Jack Daniel’s ?

— Va pour le bourbon.

Ségalo se releva et se dirigea vers un bar doté de deux tabourets hauts. Il s’affaira quelques instants pendant que Renard parcourait la pièce du regard. Des trophées de chasse voisinaient avec des portraits animaliers. Ségalo revint avec deux verres copieusement remplis. Il répondit à l’interrogation muette de Renard.

— Le virus m’a pris il y a cinq ans. Depuis, je chasse régulièrement. J’ai une sacrée collection d’armes ! C’est d’ailleurs un Rennais qui m’a initié. Jean-Luc Brard. Tu le connais ?

— De nom. C’était le propriétaire d’un grand complexe de sport, n’est-ce pas ? J’ai ouï dire qu’il avait vendu son club.

— Exact. Et devine ce qu’il va faire du produit de la vente ? Eh bien, il a l’intention d’organiser des safaris en Afrique du Sud. J’espère être un de ses premiers clients.

— J’ai entendu des chiens aboyer à mon arrivée. C’est aussi pour chasser ?

— Oui. J’ai deux setters irlandais. Ils m’ont coûté la peau des fesses, mais je ne le regrette pas. Et toi, tu t’intéresses à la chasse ?

— Non, pas vraiment.

— Tu préfères chasser les humains !

Ian Ségalo sourit et leva son verre en direction de Renard.

— À notre santé et à nos retrouvailles, Marc ! Bon sang, tu te souviens de toutes nos parties ? On a commencé tout gamin dans les menhirs.

— Et comment ! À l’époque, en échange de quelques pièces, les mioches racontaient la légende aux touristes : Saint Cornély, pape à Rome, fuyant les persécutions romaines, avait changé en menhirs les légions lancées à sa poursuite ! Je ne suis pas près de l’oublier.

Marc Renard prit son verre et rendit son toast à son ami. Les deux hommes avalèrent une gorgée du liquide ambré.

— Alors, Marc, raconte-moi un peu. Qu’est-ce que tu deviens ?

Renard saisit à nouveau son verre et, cette fois, s’humecta les lèvres plus qu’il ne but. Il n’aimait pas parler de sa vie ni de ses activités.

— Comme tu le sais, j’ai monté une agence d’enquêtes privées, à Rennes. J’ai une associée. Les débuts n’ont pas été faciles, mais nous avons réussi à faire notre trou. Tu as entendu causer de moi ?

— Bien sûr ! Les relations, c’est fait pour ça. Tu as rendu service à des gens que je connais. Ils m’ont dit que tu étais efficace, ce dont je ne doute pas, car on se connaît depuis pas mal de temps, non ? Au fait, tu es seul dans la vie ?

Renard répondit de façon laconique :

— Je ne suis pas sûr qu’une femme puisse supporter mon genre de vie. Trop d’imprévus, trop d’horaires irréguliers. Et toi ?

Ségalo soupira.

— Un divorce, il y a trois ans, qui m’a coûté un max. Pas d’enfants, c’est déjà ça ! Mais si tu savais les ennuis qu’elle m’a causés ! À écouter son avocat, j’étais le plus grand pourri de la terre ! C’est heureusement terminé. Après, rien de sérieux jusqu’à il y a six mois. J’ai fait la connaissance d’une Vannetaise, une pharmacienne. Divorcée elle aussi, sans enfants. Elle venait de lâcher son mec qui tenait un gros restaurant sur le port de Vannes. Un type violent, il l’avait frappée. Je suis arrivé au bon moment. Là, je sens que c’est du sérieux. Et avec ça, la plus belle paire de fesses de la presqu’île ! Ah tiens ! Rien que d’y penser…

Ségalo ferma les yeux, sourire béat aux lèvres.

— Elle est à Carnac, en ce moment, à la thalasso. Tu auras l’occasion de la rencontrer. Tu as déjà essayé la thalasso ? Je te recommande le spa marin. Le parcours aquatique est vraiment jouissif, avec jacuzzi, rivière sensorielle, alcôves de détente, et puis des massages en fin de parcours, tout pour te redonner une pêche d’enfer !

— Ce n’est pas trop mon truc. Bon, Ian, allons au fait, pourquoi m’as-tu fait venir ? demanda Renard.

Le visage de Ségalo s’assombrit. Il prit son verre et le vida d’un trait avant de se resservir une rasade.

— Une salope. Une salope de journaliste n’arrête pas de me harceler.

— Une journaliste qui te harcèle ? répéta Renard, surpris.

— Oui, une journaliste. Elle sévit dans une feuille de chou locale, La Tribune du Morbihan. En fait de Morbihan, ils ne couvrent que la région de Carnac et la presqu’île, mais c’est bien suffisant !

— Et que viens-tu faire là-dedans ?

— Depuis des mois, je suis l’objet d’attaques en règle de cette petite connasse, Gaëlle Madec, c’est son nom. J’ai un projet en vue, dans la baie de Plouharnel, qui leur donne des boutons, à elle et à sa foutue rédaction. Saccage de l’environnement, pillage des espaces publics, course au profit, manipulations politiques… Tous les quinze jours, j’ai droit à la totale !

— Et ça te gêne ?

Ian Ségalo porta à nouveau le bourbon à sa bouche, mais sans boire. Il reposa brutalement le verre, faisant jaillir quelques gouttes sur la table.

— Ils peuvent raconter n’importe quoi sur moi, j’en ai rien à cirer. Sauf… sauf quand ça me cause un préjudice professionnel ! Ces terrains, je les ai achetés. Il me faut un rapide retour sur investissement, et pour ça, je dois les revendre bâtis. Or, les élus rechignent à m’accorder le permis de construire. Il y a encore peu, ils étaient tous d’accord, le maire en tête, pour accompagner mon projet. Maintenant, je sens des réticences. Mes rendez-vous sont reportés, je n’ai plus de coups de téléphone, c’est moi qui dois aller à la relance ! Comme par hasard, le projet ne serait plus prioritaire. Ça deviendrait limite avec la loi Littoral. Pas abandonné, non, mais il leur faut des compléments d’information, alors que tout était quasiment bouclé. Tout ça à cause de ce torchon qui leur fout la trouille ! Évidemment, les écolos du coin embrayent sur ce sujet, mobilisent les gens, lancent des pétitions anti-Ségalo !

— Tu as bien des avocats dans tes relations ? Tu peux menacer ce journal de procès en diffamation s’il raconte n’importe quoi.

— Tu sais comment procède ce type de journaleux. Tout est rédigé au conditionnel : « Il semblerait que… Il se pourrait que… Si l’on en croit certains… » Non, y a rien à espérer de ce côté, que dalle.

— Tu l’as rencontrée, cette… comment dis-tu ? Marec ? Madec ?

— Madec. Gaëlle Madec. Ce serait plutôt la gale que Gaëlle, cette gonzesse ! Oui, il y a six ou sept mois. Elle m’a fait une demande d’interview. Je ne me suis pas méfié, j’ai joué cartes sur table. Je lui ai tout exposé en détail. Je lui ai même montré une partie des plans. Bref, elle a pris des tas de notes, sans presque m’interrompre. À la fin, quand elle m’a demandé si j’étais conscient des dommages que je faisais subir à l’environnement, j’ai eu tort de lui dire qu’on ne faisait pas d’omelette sans casser des œufs. Une semaine plus tard, j’avais droit à un titre énorme dans son satané canard : « Ian Ségalo place le profit au-dessus de l’intérêt général ! » Suivait un article au vitriol selon lequel j’étais un type sans morale pour qui la préservation du site importait peu pourvu qu’il s’en mette plein les poches, etc. Pas un mot sur l’impact de mon projet sur l’économie locale ! Rien sur les emplois que je créais, les impôts que je payais ! Ah ! Elle m’a bien eu ! Et depuis, ça continue, numéro après numéro !

Le promoteur eut un geste fataliste. Il contempla un instant son verre, semblant se demander ce qu’il allait en faire, puis il regarda Marc.

— Je vais te montrer quelque chose.

À son invite, Renard se leva et le suivit vers un vaste bureau jouxtant le salon. Un immense portrait de Ian et de son père, Richard Ségalo, fondateur de Promos 56, occupait tout un pan de mur.

L’homme d’affaires écarta deux chaises et se posta près de la table ovale qui trônait au milieu de la pièce. Sur le dessus était posée une maquette d’au moins deux mètres carrés. Renard reconnut la baie de Plouharnel enserrée entre le continent et la presqu’île de Quiberon. Ségalo pointa l’index sur un immeuble en réduction disposé en arc de cercle, qui faisait face à la mer.

— Oceano Nox ! Trente appartements grand standing, avec de vastes balcons donnant sur la baie, dit-il en caressant le toit blanc de l’immeuble miniaturisé. Espaces verts, jardins privatifs, piscine chauffée à l’année, présence permanente de gardiens et système de sécurité le plus sophistiqué du marché. Crise ou pas, je vends le tout en un clin d’œil !

Renard opina.

— Si tu le dis…

— Marc, j’ai besoin de réaliser ce projet, sinon je bois le bouillon. Il me faut ce permis de construire ! À vivre au-dessus de mes moyens, je frise la catastrophe.

— Je croyais que tes affaires marchaient bien.

— Le problème, c’est que le fric sort plus vite qu’il ne rentre. Que veux-tu… Sur terre, on n’est que de passage, alors il ne faut pas se louper. C’est ma seule philosophie. On n’a jamais vu un coffrefort suivre un corbillard !

— Mais en quoi puis-je donc t’aider ?

Ségalo cessa de tripoter son décor en carton. Il se frotta les mains l’une contre l’autre et prit un air concentré.

— Ce canard doit cesser ses attaques. Pour cela, il faut mettre cette Madec hors circuit. Enquête sur elle, trouve-moi du gratiné que je lui balancerai dans les gencives. Si elle est mariée – pauvre homme, comme je le plains ! – peut-être qu’elle trompe son mari. Peut-être aussi qu’elle boit, qu’elle se drogue. Elle doit sûrement avoir des failles. Dès que tu as déniché quelque chose de bien croustillant, tu me refiles le morceau. Je me charge de la faire taire.

Renard ne semblait pas convaincu.

— Et si je ne trouve rien ?

— Tu trouveras, Marc, j’en suis sûr. Tu as le chic pour ça. On m’a raconté l’affaire de ce député. Lui aussi était traîné dans la boue par la presse. Et tu as su le sortir du marécage.

— Je ne partais pas dans l’inconnu. Dès le départ, j’avais des billes.

Ségalo soupira.

— Bon Dieu ! Ce qu’ils oublient, Madec et ses semblables, c’est que je lutte contre le chômage, moi ! J’en fais vivre du monde ! Plein de gens attendent que ce projet se fasse…

Il fut interrompu dans sa diatribe. La porte d’entrée s’ouvrait. Une jeune femme aux cheveux blonds, en jean blanc et pull marin rayé entra brusquement dans le bureau.

— Mais c’est Miel ! Je te croyais partie en balade ! Je ne t’attendais pas avant ce soir ! Marc, je te présente Miel Ravalec. Je t’ai parlé d’elle tout à l’heure. Et voici Marc Renard, un ami d’enfance, comme moi originaire de Carnac.

Marc Renard serra la main de la jeune femme.

— Mon vrai prénom est Émilie, mais Ian m’a donné ce surnom.

— C’est plus joli. Qu’est-ce qui t’amène ? C’est un temps à profiter du soleil !

— Je n’en ai pas trop envie après ce que je viens d’apprendre.

— Ce que tu viens d’apprendre ? (Ségalo la fixa attentivement.) Oui, tu m’as l’air passablement retournée. Allons au salon ! Tu vas nous raconter ça.

Ségalo désigna les verres sur la table basse, avec une mimique ironique.

— Je ne te propose pas d’alcool ! Ce ne serait pas convenable pour quelqu’un qui séjourne en thalasso.

— Sauf que là, j’ai vraiment besoin de quelque chose de fort ! Ne bouge pas, je vais me servir.

Miel prit la direction du bar. Renard la suivit des yeux.

Et, tandis qu’elle se penchait pour s’emparer d’une bouteille de whisky, il apprécia à leur juste valeur « les plus belles fesses de la presqu’île ».

La jeune femme les rejoignit avec son verre et s’assit. Les deux hommes la contemplèrent en silence pendant qu’elle absorbait une gorgée.

— Maintenant, peux-tu nous dire ce qui justifie cette alcoolisation inhabituelle pour une curiste ?

Marc Renard observa Miel Ravalec. Elle devait être sensiblement plus âgée que Ian Ségalo. Son visage ovale et parfaitement lisse offrait pourtant de minuscules ridules au coin de ses magnifiques yeux émeraude. Pas loin de la quarantaine, jugea-t-il, mais un corps aux courbes sans reproche. Chacun des gestes de cette femme respirait la sensualité. Renard estima qu’une fois de plus, Ségalo avait beaucoup de chance.

— Stéphane Granier a été assassiné. En fin de matinée, alors qu’il disputait une partie de tennis contre Nicolas Capet.

Miel Ravalec avait lâché sa phrase d’un coup, sans respirer.

— Comment ? Granier assassiné ? s’écria Ségalo. C’est quoi cette histoire ?

— Ce n’est pas une histoire, Ian, c’est hélas la vérité. Il a reçu une balle en plein front.

— Une balle en plein front ? Mais… qui…

— On n’en sait rien. Le tireur devait être embusqué à plusieurs dizaines de mètres. Il s’est évanoui dans la nature.

— Tu étais sur place ?

Miel secoua la tête.

— Non, c’est ma copine Morgane qui m’a tout raconté. Elle était au club quand… quand ce drame s’est produit. Nous avions rendez-vous pour déjeuner ce midi. Granier a été tué quasiment à la fin du match. Il s’apprêtait à servir lorsqu’il s’est soudain effondré.

— Tu parles d’une histoire !

— Vous connaissiez bien ce Granier ? questionna Renard.

D’un même mouvement, Ian et Miel se tournèrent vers lui.

— Plutôt, oui ! dit Ségalo. Enfin, ce n’était pas un ami, davantage une connaissance. C’est un petit monde par ici, on se connaît tous, tu t’en apercevras. Il s’était engagé à m’acheter un T6 à Oceano Nox.

— Stéphane Granier était chirurgien, chirurgien esthétique. Son cabinet est… ou plutôt était installé à Auray, précisa Miel Ravalec.

— Il a refait une bonne partie des nibards du coin, ajouta Ségalo. Un artiste dans son genre, un Michel-Ange !

— C’est terrible, je devais disputer un match de double avec lui en fin de semaine.

— Eh bien, tu trouveras un autre partenaire ! s’exclama Ségalo. En tout cas, c’est heureux pour Capet qu’il se soit justement trouvé en train de jouer avec Granier, sans quoi on l’aurait placé illico sur la liste des suspects ! Lui et Granier ne pouvaient pas se sentir.

— N’exagère pas, le coupa la jeune femme. Pas au point de commettre un meurtre !

Marc Renard intervint à nouveau. Cette affaire ne le concernait pas et il n’avait pas pour habitude de perdre son temps.

— Si on reprenait le fil de notre conversation, Ian ? Il y a un truc qu’il faut que je te dise. Même pour un copain, je ne travaille pas gratis.

Ségalo approuva.

— Oui, oui, bien sûr. Excuse-moi, mais la mort soudaine de Granier, surtout dans ces circonstances, ça fait quand même un choc. J’ai fait venir Marc pour s’occuper de Gaëlle Madec et du torchon qui l’emploie, lança-t-il en regardant Miel.

Celle-ci prit un air dégoûté :

— Ils débitent un ramassis de mensonges, d’insanités sur Ian. C’est scandaleux !

— Je compte sur toi, Marc. Comme je te l’ai expliqué, occupe-toi de cette emmerdeuse. Donne-moi les moyens de contre-attaquer et de clouer le bec à toute cette bande de pète-couilles. Prends le temps qu’il faudra. Installe-toi à L’Armoric, près de la thalasso. Pour ta rémunération, demande-moi ce que tu voudras. Ce sera, comme ta note d’hôtel, imputé au projet Oceano Nox.

— Bon, dans ces conditions, je vais voir ce que je peux faire, dit Renard. Mais je ne te promets rien. Pour tout t’avouer, pour l’instant, je ne sens pas trop le coup.

Il se leva.

— Tu t’en vas déjà ? s’étonna Ségalo. Attends une minute ! À dix-neuf heures, avec Miel, nous sommes invités au vernissage de l’expo de Léa Delcourt. Son atelier est à deux pas d’ici : Algues Marines. Une maison à double entrée, aux volets mauves. Tu es passé devant en venant chez moi.

Renard inclina la tête, indiquant qu’il avait repéré l’atelier de peinture.

— Tu ne seras pas déçu, Léa possède un réel talent, et en plus, elle est canon !

— Pourquoi pas, répondit simplement Renard.

Ian Ségalo se redressa pour le raccompagner tandis que Miel Ravalec lui adressait un petit signe de la main. Ségalo interpella Marc alors qu’il ouvrait la portière de sa voiture.

— Marc, je compte sur toi pour me sortir de ce pétrin !

Dubitatif, Renard haussa les épaules.

— Et comment trouves-tu Miel ?

Cette fois, Renard leva le pouce en l’air. Ségalo pointa un doigt vers le détective.

— Eh, j’y pense tout à coup ! Miel et toi allez être logés au même hôtel. Alors, pas de folies tous les deux !

Marc Renard se contenta de sourire et démarra.

Il prit possession de sa chambre à L’Armoric, à Carnac. Il se doucha puis s’installa sur le balcon et composa le numéro d’Alex. Celle-ci répondit immédiatement. Il lui relata son entretien avec Ségalo et lui parla aussi du meurtre.

— Faut avouer qu’un projet immobilier à cet endroit, c’est insensé !

— Ce n’est pas notre problème.

— Je te donnais simplement mon avis. Dis-moi, ce que te demande ton copain me paraît bien foireux !

— À moi aussi. Je vais quand même tenter le coup. De ton côté, cherche tout ce que tu peux dégotter sur ce journal, La Tribune du Morbihan, et sur la journaliste Gaëlle Madec.

— OK. Tu vas rester combien de temps ?

— Je n’en sais rien. Au bout du compte, ça ne me déplaît pas de revenir par ici. N’oublie pas que j’y ai mes racines. Tiens ! À dix-neuf heures, je suis invité au vernissage d’une expo de peinture.

— Tu ne perds pas de temps. Dans ce cas, bonnes vacances !

— Je t’enverrai une carte postale.

III

Mardi 18 octobre, fin de journée

Léa Delcourt, du bout des doigts, remit le tableau d’équerre et recula de quelques pas pour juger de l’effet. Le maelström dégageait une réelle sensation d’angoisse. Sous la spirale tourbillonnante de ses flots sombres se devinait la présence d’abîmes probablement peuplés de monstres inquiétants. Bien que très exigeante avec elle-même, Léa fut satisfaite du résultat. Elle exposait une trentaine de toiles et espérait beaucoup de ce vernissage. Plusieurs critiques et journalistes l’avaient assurée de leur présence, mais, souvent déçue par des promesses sans lendemain, elle ne pouvait s’empêcher de douter de leur venue.

Elle avait débuté la peinture très jeune, cependant les années s’écoulaient sans lui apporter la reconnaissance qu’elle attendait. Ce n’était pourtant pas la gloire, attachée à une réussite qu’elle jugeait improbable dans ses moments de cafard, qui lui importait. Elle voulait surtout partager ses émotions avec le plus grand nombre ; mais elle craignait de ne pouvoir jamais y parvenir. Heureusement, il y avait Alan et le soutien qu’il lui apportait. À cette pensée, elle ressentit une pointe au creux de l’estomac. Il lui donnait certes l’énergie indispensable pour continuer à peindre, mais par bien des côtés ne manquait pas de l’inquiéter. Lorsqu’elle l’avait rencontré, il y avait de cela quelques mois, la force et la vitalité qui émanaient de tout son être l’avaient attirée, ainsi que son passé qu’elle devinait aventureux. Cependant, les attentions qu’il lui prodiguait alors étaient devenues rares. De lui ne subsistait aujourd’hui qu’un côté simplement animal qui commençait à lui faire peur. En ce début d’après-midi, il était passé lui dire que, plus que jamais, elle pouvait compter sur lui. Mais sa visite avait un autre but, elle l’avait immédiatement compris à la lueur qui brillait dans ses yeux. « J’ai travaillé pour nous », lui avait-il dit, et il avait posé un doigt sur ses lèvres, signifiant qu’il était inutile de lui en demander plus, avant de l’étreindre. Ils s’étaient ensuite livrés à leur rituel, avec plus d’excès encore que d’habitude. Esclave complice de ses caprices, elle portait dans sa chair les marques qu’il lui avait infligées. Pour leur prochaine rencontre, ce serait elle qui le soumettrait. À chacun de leurs rendez-vous, du dominateur au dominé, leurs rôles s’inversaient.

« Bientôt, nous nous marquerons dans notre chair en signe de mutuelle dépendance », venait-il de lui dire. Mais elle n’était pas sûre de lui donner son accord.

Elle se dirigea vers un tableau au fond de sa galerie, un de ceux qu’elle préférait. Les vagues se fracassaient sur des rochers noirs. Au milieu de l’écume se distinguait une main qui lançait comme un appel avant de disparaître dans les flots. La dureté de ses rapports avec Alan influençait sans nul doute sa peinture. Elle exaltait son inspiration, lui ouvrait des horizons vers lesquels, seule, elle ne se serait probablement pas aventurée.

Léa quitta la galerie et, traversant son atelier, prit l’escalier pour se rendre à l’étage où elle logeait. Dans moins d’une heure, les premiers invités se présenteraient. Elle se dévêtit entièrement. Elle porta la main sur les traces laissées par Alan sur son corps, les frottant doucement du bout des doigts. Ensuite, elle sortit de son armoire plusieurs tenues qu’elle étendit sur le lit. Elle opta pour une simple robe noire que, pensive, elle tint tout contre elle, en face de la glace.

*

À son arrivée au vernissage, Marc Renard eut quelque peine à trouver une place pour sa voiture. Visiblement, Léa Delcourt avait soigné sa publicité et le public avait répondu à l’appel. L’habitation se scindait en deux parties avec chacune son entrée. Celle de gauche desservait l’atelier proprement dit. La droite donnait sur une salle aménagée en galerie. Ce fut cette porte que Renard poussa et il fut aussitôt happé par le brouhaha ambiant. Plusieurs groupes, verres à la main, discutaient ou s’esclaffaient dans un bourdonnement de ruche humaine. Renard aperçut Ian Ségalo en compagnie de Miel et d’un couple. Jouant des coudes, il se fraya un passage parmi la foule bigarrée. Une grande femme en blazer militaire lui tendit une flûte de champagne, qu’il tint avec précaution contre lui. Après plusieurs coups d’épaule accompagnés de vagues excuses, il parvint enfin auprès de Ian Ségalo.

— Marc ! Sympa d’être venu ! Tu connais Miel. Je te présente Mélanie et Gil Sauviat !

Ségalo, les yeux brillants, un peu éméché, semblait avoir besoin de s’appuyer sur Miel pour garder l’équilibre.