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Extrait : "Je suis né à Rome, de parents qui occupaient, dans cette ville, un rang honorable : à trois ans j'eus le malheur de perdre mon père, et ma mère, encore dans la fleur de la jeunesse, étant disposée à contracter un second mariage, confia le soin de mon éducation à un oncle qui n'avait pas d'enfants."
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Seitenzahl: 54
Veröffentlichungsjahr: 2015
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EAN : 9782335004168
©Ligaran 2015
Je suis né à Rome, de parents qui occupaient, dans cette ville, un rang honorable : à trois ans j’eus le malheur de perdre mon père, et ma mère, encore dans la fleur de la jeunesse, étant disposée à contracter un second mariage, confia le soin de mon éducation à un oncle qui n’avait pas d’enfants. Celui-ci accepta de bonne grâce et même avec empressement ; car décidé de faire de son pupille un partisan dévoué des prêtres, il espérait mettre à profit ses fonctions de tuteur.
Après la mort du général Dufaon, dont l’histoire est trop généralement connue pour que je m’en occupe ici, les prêtres, voyant que les armées françaises menaçaient d’une invasion les États de l’Église, commencèrent à répandre le bruit que l’on voyait les statues en bois du Christ et de la Vierge ouvrir les yeux ; la crédulité populaire accueillit avec confiance ce pieux mensonge ; on fit des processions ; on illumina la ville, et tous les fidèles s’empressèrent d’aller porter leurs offrandes à l’église. Mon oncle, curieux de voir lui-même le miracle dont on faisait tant de bruit, forma une procession de tous les gens de sa maison, se mit à leur tête en habit de deuil et un crucifix à la main, et je l’accompagnai en portant une torche allumée. Nous avions tous les pieds nus, dans la ferme persuasion que plus nous témoignerions d’humilité, plus la Vierge et son fils prendraient pitié de nous et seraient disposés à nous montrer leurs yeux ouverts. Ainsi rangés, nous nous rendîmes à l’église de Saint-Marcel, où nous trouvâmes une foule immense, criant sans relâche : « Vive Marie ! vive Marie et son divin Créateur ! » Des soldats, placés à la porte, fermaient le passage à la foule réunie autour de l’église, et ne laissaient entrer que les processions. Le passage nous fut ouvert sans difficulté et nous arrivâmes bientôt auprès de la balustrade où nous nous prosternâmes devant les images de la Vierge et de son fils. Le peuple criait : « Voyez-vous, elles viennent d’ouvrir les yeux ! » La plupart étaient placés de manière à ne rien voir, mais ils répétaient de confiance l’exclamation de leurs voisins ; quant aux mécréants, ils se seraient bien gardés de manifester leur incrédulité, car on les aurait impitoyablement massacrés. Mon oncle, les yeux fixés sur ces saintes images, et ravi en extase, s’écria : « Je les ai vues ; elles ont ouvert et fermé deux fois les yeux. » Pour moi, pauvre enfant, fatigué de me tenir debout, et surtout d’avoir longtemps marché les pieds nus, je me pris à pleurer ; mon oncle m’imposa silence par un soufflet, en ajoutant qu’il fallait m’occuper de la Vierge et non de mes pieds. Nous étions encore dans l’église, quand nous vîmes un tailleur, nommé Badaschi, arriver avec sa femme et un jeune enfant tellement boiteux qu’il pouvait à peine se servir de ses crosses ; ces bons parents placèrent leur fils sur la plate-forme de l’autel et commencèrent à crier : Grazia ! grazia ! Et après avoir répété la même exclamation pendant une demi-heure, en s’adressant tantôt au Christ, tantôt à la Vierge, la mère dit à son fils : « De la foi, mon enfant, de la foi ! » Alors ils s’éloignèrent du patient et l’abandonnèrent à la Providence en continuant de crier : « De la foi, enfant ! jette tes crosses ! » Le pauvre enfant obéit, et, privé ainsi de son support il tomba de la hauteur de quatre marches, la tête contre le pavé. Sa mère, au bruit de sa chute, accourut pour le relever, et le conduisit aussitôt à l’hospice de la Consolation, pour faire panser sa blessure, et le pauvre enfant gagna une contusion sans cesser d’être boiteux. Après cet épisode nous quittâmes l’église, et notre procession reprit le chemin de la maison en poussant les cris d’usage. À notre arrivée, je demandai humblement à mon oncle pourquoi la Vierge avait souffert que cette innocente créature tombât si rudement, il me répondit : « Pensez-vous, mon fils, que Dieu et la Vierge soient tenus de faire des miracles pour tout le monde ? n’en croyez rien ; pour obtenir de si grandes faveurs, il faut avoir une conscience pure et sans reproche. »
Si je voulais m’étendre sur le chapitre des miracles, plusieurs volumes ne suffiraient pas pour épuiser cette matière. Je n’en citerai qu’un seul : on voit sur la place Pollarola, à Rome, une image qu’on appelle la Madone del Saponaro ; les lampes qui l’éclairent étaient entretenues, disait-on, non pas avec de l’huile, mais avec le lait même de la Vierge, et, pour que le peuple fût la dupe de cette imposture, on avait introduit dans le cristal des lampes une composition blanchâtre. Des prêtres, avec leurs surplis et leurs étoles, prenaient les rosaires que le peuple leur présentait, et les trempaient dans la liqueur sacrée. Étant allés en procession avec mon oncle pour offrir nos hommages à cette madone, nous mîmes à profit cette circonstance pour aborder le curé et le prier de prendre nos rosaires ; il y consentit après un assez long débat, et nous les rendit trempés non de lait, mais d’une huile si grasse qu’il fallut longtemps attendre avant de pouvoir les remettre dans nos poches.