Souvenirs historiques des principaux monuments de Paris - Joseph-Alexis vicomte Walsh - E-Book

Souvenirs historiques des principaux monuments de Paris E-Book

Joseph-Alexis vicomte Walsh

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Extrait : "Lorsque les soldats de Jules César étaient venus camper parmi les cabanes des pêcheurs de Lutèce , leurs chefs n'y avaient point trouvé de palais , et pour avoir des demeures semblables à celles de Rome , ils avaient été obligés de s'en construire. Ce fut alors que ce palais s'éleva sur une des collines qui avoisinent la Seine."

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Veröffentlichungsjahr: 2015

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EAN : 9782335016642

©Ligaran 2015

Souvenirs historiques

Dans les fastes de la France, après les années de la terreur, il y aura une autre année qui fera tache sur notre histoire, celle de 1830 ! Malheureuse époque de défaillance et d’ingratitude, de faiblesse et d’astuce qui a fait alors honteusement déroger le vieux caractère franc.

Est-ce donc à dire qu’à cette épreuve, la fidélité a fait défaut dans toutes les âmes françaises ? Oh ! non, dans ces jours d’inconstance, où tant de gens se parjuraient, on apercevait, séparé des masses mobiles et changeantes, comme un autre peuple de Dieu, comme un autre Israël, en face de nouveaux Philistins et Moabites ennemis du vrai Dieu ; ce peuple d’élite n’avait pu voir sans désolation le bannissement de trois générations de rois… Parmi ces rois, il y avait un enfant, qui, à sa naissance avait été salué du nom d’enfant de l’Europe ! Ce roi de dix ans venait d’être exilé de Paris, sa ville natale, avant d’avoir pu la connaître ; la tempête révolutionnaire, en l’enlevant des palais de ses pères, l’avait emporté du tant beau pays de France jusque sous le ciel brumeux et glacé de l’Écosse, du château des Tuileries au château d’Holy-Rood !

Cet exil si rude et si peu mérité excita dans toutes les âmes royalistes une profonde pitié et un vif intérêt. « Pauvre enfant ! disions-nous alors, le voilà déshérité non seulement des royales demeures de ses pères, mais encore de ce bonheur dont l’enfant de l’ouvrier et de l’artisan n’est pas privé, celui de jouer et de grandir aux lieux où il est né ! » Moins heureux que l’enfant du peuple, le fils de France est condamné à ne pas connaître ce Paris, que Philippe-Auguste, saint Louis et Louis XIV ont embelli ! Eh bien ! ajoutions-nous, il faut que malgré l’éloignement, que malgré l’exil, le petit fils de Henri IV apprenne sur la terre étrangère ce qu’est sa ville natale. Il faut que, sous le triste toit des Stuarts, il reçoive de nous des dessins et des vues de la patrie absente, et que le crayon que tiennent des mains habiles et fidèles lui retracent les monuments du vieux Paris.

Avec cette pensée et dans ce but, des dessinateurs, des peintres et des écrivains royalistes se réunirent et publièrent, en 1833, un album dédié à monseigneur le duc de Bordeaux. Je n’ai pas en ce moment tous les noms de ces fidèles Français sous les yeux ; mais je me souviens que madame la princesse de Craon, que madame de Meulan, que le comte de Turpin de Crissé, que MM. Raoul Rochette, Huyot, Beauchesne, de Courchamps, Édouard Ménechet, le comte de Clarac et Amédée de Pastoret, aujourd’hui sénateur de l’empire, signèrent les premières livraisons de ce recueil légitimiste.

C’est à ce dernier titre que je dus l’honneur d’être invité à joindre mon nom à ceux des courtisans du malheur et des flatteurs de l’infortune.

Plus de vingt ans se sont passés depuis la publication de l’Album royaliste, et le livre que je publie aujourd’hui, je le compose en partie avec les notes et les documents que j’avais amassés alors, dans la pensée et le désir de distraire sur la terre du bannissement une haute et sainte infortune ; l’infortune n’a pas cessé, et mon dévouement est resté le même.

En mettant sous les yeux du prince enfant les vieux témoins de notre histoire, les reliques des siècles passés, nous aidions les hommes si chrétiens et si loyaux, si distingués et si capables que la tendresse du roi Charles X avait donnés comme gouverneurs à son petit-fils.

« Tout se liait dans l’existence des anciens peuples, tout y était d’accord dans leurs institutions et leurs monuments, dans leurs croyances et dans leurs arts. Il en a été longtemps de même de la France, tant qu’elle eut sur son sol antique son développement régulier dans les traditions héréditaires de sa monarchie nationale ; alors aussi son architecture avait un langage qui lui était propre, comme sa religion, comme sa littérature.

« Son histoire s’exprimait aussi bien dans ses monuments que dans ses annales ; et les formes diverses de la civilisation se trouvaient imprimées sur la pierre de ses édifices comme dans toutes les œuvres de son génie. »

La révolution de 1793 avec son marteau et son pic de fer a mis fin à cette longue et brillante histoire de notre chère et noble France ; elle a créé des ruines comme les seuls monuments qui fussent dignes d’elle.

Dans l’ouvrage que je publie aujourd’hui sous le titre de Monuments et Souvenirs, je chercherai à faire parler les pierres : elles ont aussi leur éloquence et leurs enseignements. « Des novateurs altèrent et vicient les langues, des sophistes faussent les institutions, des sectaires corrompent les croyances. La poésie, la littérature, l’histoire deviennent factieuses, infidèles ou flatteuses comme la politique du jour ; et un peuple peut être tourmenté de tant de manières par ceux qui sont chargés de le conduire, qu’on ne puisse le reconnaître dans ses écrits ni dans ses lois, dans son gouvernement ni dans son langage. Mais, où il se retrouve encore tout entier, c’est dans ses édifices ; son architecture est la seule chose qui ne lui manque jamais, qui ne le trahisse en rien. Tout dans la vie de ce peuple est devenu imposteur et faux, ses institutions et ses livres, ses arts et ses élections ; son architecture seule ne trompe pas, seule elle le représente fidèlement au milieu de tant de déceptions qui le déguisent à ses propres yeux. L’art des rhéteurs qui subjugue les esprits et les volontés échouent contre les pierres. »

Nous allons donc les interroger en visitant avec respect et scrupule les plus vieux monuments de Paris et de ses environs. À chacun d’eux, nous demanderons son passé, ses souvenirs ; les vieilles églises, les antiques basiliques nous parleront de Dieu et des saints ; et les palais, les féodales demeures nous rediront les hauts faits des rois et des princes ; et de tous ces enseignements que l’art et la matière donneront à notre esprit, il résultera pour nous cette conviction, c’est que les puissants du monde n’ont pu encore trouver ici-bas d’assurance contre les caprices de la fortune, et que, dans tous les siècles, on en a vu déserter leurs somptueuses résidences pour venir se réfugier dans les maisons de Dieu !

Le palais des Thermes et l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés

Lorsque les soldats de Jules César étaient venus camper parmi les cabanes des pêcheurs de Lutèce, leurs chefs n’y avaient point trouvé de palais, et pour avoir des demeures semblables à celles de Rome, ils avaient été obligés de s’en construire. Ce fut alors que ce palais s’éleva sur une des collines qui avoisinent la Seine.

Ce palais a eu dans son temps assez d’importance pour que Grégoire de Tours et Fortunat en aient fait mention dans leurs vieux écrits, commentés par Sauvai et Sainte-Foix ; ce dernier rapporte, que Childebert allait de ses jardins jusqu’aux environs de l’église Saint-Vincent, autrefois un temple d’Isis et depuis Saint-Germain-des-Prés.

Ce qui subsiste aujourd’hui de la demeure de Constance Chlore et de Julien l’Apostat, montre ce qu’était cette puissance qui construisait pour l’éternité, après avoir soumis le monde, et dont les institutions, cimentées comme ses édifices, savaient imprimer à tant de localités diverses tant d’éléments de force, toujours en y imprimant le génie de Rome. Cet imposant débris du palais de César et de ses lieutenants forme pour ainsi dire le premier chapitre de notre histoire. Pendant trop longtemps cette ruine, dont l’origine remonte si haut, a été comme perdue parmi les maisons vulgaires, et les rues étroites des hauteurs du quartier Saint-Jacques. Le quartier latin, plus lettré que tous les autres, avait bien connaissance des noms de Constance Chlore et de l’empereur Julien, mais avait eu assez peu de respect envers l’ancienne demeure impériale pour l’étreindre et la masquer par de laides et bourgeoises constructions. Il n’y a pas trente ans qu’arrivé de ma province, je demandais à des boutiquiers de la rue Saint-Jacques, où se voyait l’ancien palais des Thermes, et que ces braves gens me répondaient qu’en fait de palais, ils ne connaissaient à Paris que le palais de Justice, le palais du Luxembourg, le Palais-Bourbon et le Palais-Royal ! Aujourd’hui le peuple parisien, qui a perdu beaucoup de choses, a gagné de l’instruction, il ne s’est pas fait beaucoup plus moral, mais lui aussi s’est fait artiste et parfois antiquaire. Il commence à respecter les vieilles pierres historiques. Il s’est épris d’amour pour la gothique architecture de nos vieilles églises, et nous pouvons espérer qu’il en viendra à reconnaître et à aimer le Dieu qui y réside.

Aujourd’hui le palais des Thermes n’est plus masqué et montre ses épaisses et indestructibles murailles, composées de petites pierres carrées, tout à côté du musée du moyen-âge. C’est le fondateur de ce musée, l’aimable et bon M. du Sommerard, qui le premier m’a conduit aux Thermes du Julien ; sa parole y ressuscitait et animait tout ; sous ces voûtes, sur ces degrés qui descendent aux bains il me faisait réapparaître la vie romaine, comme quelques instants auparavant il avait fait revivre les mœurs et les usages des plus brillants jours de la gaie science et de la chevalerie.

Là donc, sur le sommet de la petite colline appelée Lucotitia, et qui porte aujourd’hui le nom d’un des douze apôtres (saint Jacques), là, où tant de rues étroites, noires et de pauvre apparence se croisent, se mêlent et se confondent en un inextricable labyrinthe, d’où s’élèvent trop souvent l’agitation et le bruit, au-dessus du quartier des écoles, s’étendait, il y a plus de seize cents ans, un vaste enclos planté d’arbres de toutes espèces et provenant des divers pays conquis par les Romains : c’était le jardin de César. Du palais des Thermes, cette enceinte verdoyante s’étendait jusqu’à un temple d’Isis, divinité égyptienne nouvellement adoptée par le peuple conquérant et corrompu qui se faisait des dieux de tout, excepté Dieu même !

De ces hauteurs, le vainqueur despote et ombrageux surveillait la population lutécienne ; avec son sang gaulois, elle ne devait pas être très docile au joug. Peut-être aussi sa légèreté, son amour de changement, sa passion de spectacles la rendaient-ils aisée à maintenir dans l’obéissance ; et peut-être qu’à cette époque, les habitants de Lutèce s’amusant à dire des bons mots et à colporter des vers satiriques contre ceux qui s’étaient faits leurs maîtres, prenaient-ils patience, et se façonnaient-ils à l’oppression. Quelquefois on a vu des nations descendre jusque-là !

Voici un tableau de l’antique village de Lutèce, au temps de Constance Chlore, tracé par un grand maître.

« Je vous ai dit, seigneurs, que Zacharie m’avait laissé sur la frontière des Gaules. Constance se trouvait alors à Lutèce. Après plusieurs jours de fatigue, j’arrivai chez les Belges de la Sequana. Le premier objet qui me frappa dans les marais des Parisii, ce fut une tour octogone consacrée à huit dieux gaulois. Du côté du midi, à deux mille pas de Lutèce et par-delà le fleuve qui l’embrasse, on découvrait le temple d’Hésus ; plus près, dans une prairie au bord du fleuve, s’élevait un second temple dédié à Isis ; et vers le nord, sur une colline, on voyait les ruines d’un troisième temple, jadis bâti en honneur de Teutatès. Cette colline était le mont de Mars, où Denis avait reçu la palme du martyre.

« En approchant de la Sequana, j’aperçus à travers un rideau de saules et de noyers ses eaux claires, transparentes et d’un goût excellent, et qui rarement croissent ou diminuent ; des jardins, plantés de quelques figuiers, qu’on avait entourés de paille pour les préserver de la gelée, étaient le seul ornement de ses rives. J’eus quelque peine à découvrir le village que je cherchais et qui porte le nom de Lutèce, c’est-à-dire la belle pierre ou la belle colonne. Un berger me la montra enfin au milieu de la Sequana, dans une île qui s’allonge en forme de vaisseau. Deux ponts de bois, défendus par deux châteaux, où l’on paie le tribut à César, joignent ce misérable hameau aux deux rives opposées du fleuve.

« J’entrai dans la capitale des Parisii par le pont du septentrion, et je ne vis dans l’intérieur du village que des huttes de bois et des terres recouvertes de paille et échauffées par des fourneaux. Je n’y remarquai qu’un seul monument, un autel élevé à Jupiter par la compagnie des nautes. Mais hors de l’île, de l’autre côté méridional de la Sequana, on voyait sur la colline Leucotitius un aqueduc romain, un cirque, un amphithéâtre et le palais des Thermes, habité par Constance… »

Eudore ajoute : « Je trouvai réunis dans le palais de ce prince les chrétiens les plus illustres de la Gaule et de l’Italie. Là brillaient Donatien et Rogatien, aimables frères ; Gervais et Protais, l’Oreste et le Pylade des adorateurs du Christ ; Procula de Marseille, Just de Lugdunum, enfin le fils du préfet des Gaules, Ambroise, modèle de science, de fermeté et de candeur. Ainsi que Xénophon, on racontait qu’il avait été nourri par des abeilles. L’église attendait de lui un orateur et un grand homme.

« J’avais un désir extrême d’apprendre de la bouche de Constance les changements survenus à la cour de Dioclétien depuis ma captivité. Il me fit bientôt appeler dans les jardins du palais, qui descendent en amphithéâtre sur la colline Lucotitius, où s’élève le temple d’Isis. »

 

Sur l’emplacement même où la déesse égyptienne avait eu son culte, se dressèrent enfin les autels du vrai Dieu ; lorsqu’en 556 Childebert jeta les fondements de l’église que nous voyons aujourd’hui sous le nom de Saint-Germain-des-Prés. Des vestiges du temple païen existaient encore à l’endroit que les Romains avait appelé Lucolitia.

La fondation de cette abbaye renommée remonte donc à une époque très reculée de notre histoire ; brûlée plusieurs fois par les Normands, rebâtie et restaurée à diverses époques depuis Childebert. Elle présentait dans son ensemble une suite d’édifices et de styles différents. C’est pourquoi l’histoire complète de cette église et des vastes bâtiments qui en dépendaient offriraient l’histoire presque complète de l’architecture de Paris pendant environ douze siècles, si la frénésie révolutionnaire de 1793 n’avait pas porté le fer ; le feu, la ruine et la désolation dans la maison consacrée à Dieu et aux études sacrées.

Ce fut sous la protection de la Sainte-Croix et sous l’invocation de saint Vincent que fut faite la dédicace de l’église qui porte aujourd’hui le nom de Saint-Germain-des-Prés, et qui, par les travaux de restauration qui viennent d’être faits, est redevenue un de nos plus beaux monuments religieux. « Ce fut à la sollicitation de saint Germain, qui était alors évêque de Paris, que le roi, après la guerre qu’il fit en Espagne contre les Visigoths, exécuta le projet qu’il avait conçu de bâtir une église pour y déposer les reliques apportées de Sarragosse et de Tolède, et fit en même temps ériger un monastère dont la direction fut confiée à saint Germain.

« Cette première église avait la forme d’une croix, et l’on prétend que la croix, ornée de pierres précieuses et apportée de Tolède, avait servi de modèle pour en tracer le plan. »

« Le plafond, orné de lambris dorés, était soutenu par de grandes colonnes de marbre. Les murailles étaient embellies de peintures sur fond d’or. Le pavé était en mosaïque, et le toit, couvert de cuivre doré, fit donner par la suite à cette église le nom de Saint-Germain-le-doré. »

La construction de cette basilique ne dura que deux ans. Lorsque la foi est vive les travaux s’en ressentent, et, parfois, l’on serait tenté de croire que les anges viennent aider les hommes dans le saint ouvrage qu’ils ont entrepris.

Childebert, dont le palais se trouvait aussi sur le mont Lucotitia, visitait souvent les travaux ; il se faisait grande fête d’aller prier le Dieu des rois dans le temple qu’il lui élevait ; mais il mourut le jour même de la dédicace, et il y fut enterré : volonté de roi comme volonté de pâtre s’efface devant celle du Seigneur.

Clotaire continua la pensée de son prédécesseur et dota l’abbaye d’importants privilèges ; mais le saint mourut en 576.

Chilpéric avait toujours eu, comme ses devanciers couronnés, une grande vénération pour le pieux prélat évêque de Paris ; il composa même une épitaphe à sa louange ; il fit bâtir une chapelle où les fidèles venaient en foule honorer son tombeau. Le monarque était d’accord avec son peuple en ajoutant de nouvelles constructions et de nouveaux embellissements à l’église et à l’abbaye déjà célèbre.

On pense que le portail que l’on voit encore aujourd’hui, et sur lequel semble poser la grosse tour, est de ce temps-là. Ce seraient donc les restes d’une autre église-érigée par Chilpéric sur l’emplacement de la première, ou tout au moins une addition qu’il y aurait faite.

« Il y avait sous ce portail huit figures de grandeur naturelle, que l’on croit avoir représenté saint Germain, revêtu de ses habits pontificaux, Clovis, tenant le sceptre surmonté d’un aigle, sainte Clotide et Clodomir ; les quatre autres figures, à droite, étaient Chilpéric, Childebert, Ultrogothe et Clotaire. Ces statues ont été enlevées et remplacées par des colonnes en pierre ; il ne reste plus que les chapiteaux ornés, et les bas-reliefs au-dessus de la porte, représentant notre Seigneur Jésus-Christ faisant la cène avec ses apôtres. Ce bas-relief peut donner une idée de l’éclat de la sculpture dans le sixième siècle. »

La tour s’élevant au-dessus du portail doit être de la même époque, si toutefois elle ne date pas de plus loin.

La basilique de Saint-Vincent prit successivement les différents noms des saints dont les reliques y furent religieusement et pompeusement déposées ; mais, par la suite, elle fut particulièrement nommée basilique de Saint-Germain-Confesseur, lorsque, par les ordres du roi Pépin, le corps du saint fut transféré dans la chapelle Saint-Symphorien. Cependant la situation de l’église de Saint-Germain, au milieu des prairies, s’étendant par une douce pente des hauteurs de Lucotitia aux rives de la Seine, riant espace qui, au sixième siècle, se couvrait d’édifices publics et particuliers, lui fit donner encore le nom de Saint-Germain-des-Prés.

Germain, évêque de Paris, qui, sous trois règnes différents, conserva une puissante influence et les moyens de répandre d’immenses aumônes, était né à Authun. Aujourd’hui nous écrivons mal la vie des saints ; aussi, pour faire connaître l’élu du ciel qui a donné son nom à l’abbaye célèbre que je veux décrire, j’emprunterai le langage naïf d’un vieux légendiste.

« Germain naquit en la ville d’Authun ; son père s’appeloit Eleuthère et sa mère Eusèbe. Chose rare et lamentable, sa mère et sa grand-mère lui furent de cruels ennemys… Saint Germain voyant l’animosité de sa mère, se retira au logis de son oncle Scopilie, qui menoit une vie très sainte ; il commença avec luy à jetter les fondements de son admirable sainteté. Il jeunoit, mortifioit sa chair et alloit avec son oncle toutes les nuits à une église fort éloignée pour y entendre les matines, où il recevoit de Dieu de grandes faveurs ; tellement, qu’à l’âge de quinze ans, saint Agripin ne douta point de l’ordonner diacre et prestre à dix-huit ans, et, à quelque temps de là, il fut abbé de Saint-Symphorien au faubourg de Paris, où il persévéra en toutes sortes de mortifications intérieures et extérieures. Pendant que les religieux dormoient, il demeuroit longtemps à l’église en oraison. Ses rares vertus rejaillissoient jusques sur sa face ; de sorte qu’une fois, entrant au logis du seigneur Evron, sa femme n’osoit le regarder de peur des rayons lumineux qui brilloient en luy. Et même ce seigneur, l’ayant retenu à dîner, n’osa, par révérence, s’asseoir près de luy, tant il lui portoit respect !

Germain avoit en luy une si grande compatissance pour les pauvres que jamais il n’en éconduisoit aucun ; de sorte que, donnant librement toutes les provisions de l’abbaye, sans rien réserver que la divine Providence, les religieux s’en fâchèrent et s’en révoltèrent contre luy, disant que puisqu’il étoit si prodigue il ne méritoit point d’estre abbé. Là-dessus, s’étant enfermé en sa cellule et priant avec larmes, une pieuse demoiselle lui envoya deux charretées de vivres, et le lendemain encore plus ! Si bien que ses religieux eurent depuis une grande créance en luy. Mais cette créance s’accrut encore beaucoup par le miracle suivant, c’est qu’il éteignit le feu qui s’estoit mis au grenier, et menaçoit le monastère d’un embrasement général, en jettant dessus les flammes de l’eau bénite et chantant doucement alléluia, comme assuré de la merveille qui arriveroit !

Avec la grâce des miracles le saint abbé avoit aussi celle de la prophétie, prédisant souvent les choses futures, comme il arriva lorsqu’il alla trouver Théodebert, roy de Bourgogne, pour des métairies usurpées sur l’église d’Authun. Il lui prédit qu’il mourroit bientôt, et l’exhorta de penser au salut de son âme.

Le roy Sigebert ne voulant point, à sa prière, se déporter de la guerre contre son frère Chilpéric, qui s’estoit réfugié à Rouen, il l’avertit qu’il n’entreroit point dans cette ville et qu’il rencontrerait la mort sur le chemin, et la mort s’y trouva.

L’ombre suit le corps, et l’envie poursuit la vertu : saint Germain encourut l’envie de plusieurs qui ne pouvoient endurer l’éclat de ses rares et héroïques vertus, parmy lesquels il faut lamentablement placer l’évêque de Paris, qui, non content de détracter du saint et d’interpréter en mal ses actions, le mit en prison. Mais il n’y fut pas sitôt que les portes s’étant ouvertes d’elles-mêmes, par permission divine, il n’en voulut pas sortir sans la bénédiction de l’évêque.

Une fois, s’estant endormy, il aperceut un homme d’un port et d’un regard vénérable qui lui donnait les clefs des portes de Paris. Saint Germain, étonné de cette offre, lui demanda ce que cela pouvoit signifier. L’inconnu vieillard luy fit réponse : C’est afin que tu sauves ceux qui sont dans Paris ; ce qui fut un présage, un avertissement qu’il en seroit évêque.

En effet, après la mort d’Eusèbe, suivant la volonté du roy Childebert, il fut sacré évêque et ne changea rien à ses mortifications et à ses abstinences, mais augmenta ses aumônes et ses bienfaits envers les nécessiteux.

Environ neuf heures du soir il entroit dans l’église, il y passoit la nuit en oraison, et souvent en extase. Vers la petite pointe du jour le pieux prélat sortoit de la maison de Dieu pour aller prendre un peu de repos ; mais aussitôt les pauvres, les prisonniers et les malades, tant de corps que d’esprit, venoient ou envoyoient vers lui pour recevoir du soulagement ; si bien qu’à l’heure du repos il ne trouvoit point de repos.

Sa table, où il invitoit ordinairement les pauvres, estoit couverte de viandes communes, plutôt grossières que délicates, et pour rassasier l’âme plutôt que le corps…

Il traita avec le roy Childebert, peu porté d’abord à la piété, si adroitement et avec tant de douceur et d’industrie, qu’il réforma sa vie et sa cour, bâtit et dota de beaux monastères en beaucoup de provinces et même y envoya six mille francs pour les pauvres. Le saint ne pouvant suffisamment trouver des pauvres, n’en employa que la moitié, dont le roy estant adverty, au lieu de n’en plus envoyer rompit sa vaisselle d’argent, ôta les chaînes d’or et de pierreries de son col et le pria de ne cesser de donner, lui promettant que de sa part il ne se lasserait aucunement. Peu de temps, après le monarque passa de vie à trépas.

Clotaire, son neveu, luy succéda au trône, mais non pas dans sa piété, tellement que, ne tenant compte du saint prélat, il le fit attendre une fois si longtemps à sa porte, que l’évêque fut contraint de s’en retourner ; mais Clotaire endura la nuit suivante de si grandes douleurs par le corps, qu’il reconnut sa faute et le mépris qu’il avait osé faire du saint. Il vint vers lui, se jeta à ses pieds et baisa le bas de sa robe. Germain porta sa main sur le mal et à l’heure même le roy fut guéry.

Il n’y a pas moyen de dire le nombre prodigieux de ses insignes miracles, ce nombre estant si grand que Fortunat, évoque de Poitiers, en rapporte des centaines… Quand il sortoit de l’église on rangeoit les malades par troupes, et par troupes ils estoient guérys. À Meudon, près Paris, les habitants estant malades de la contagion furent délivrés, le saint leur ayant envoyé du pain béni de sa main. Avec la santé du corps, il rendait d’ordinaire celle de l’âme. Un seigneur de Touraine avait sa fille qui tirait à sa fin, saint Germain, compatissant aux larmes de sa mère, monta à sa chambre, la guérit et l’exhorta si bien au mépris du monde et de ses vanitez, qu’elle les quitta et se rendit religieuse au monastère de Poitiers.

Enfin, après avoir employé quatre-vingts ans en tant de bonnes œuvres, et converty tant d’âmes à Jésus-Christ, l’heure de son trépas luy estant révélée, il fit son testament et choisit pour sépulture le monastère de Saint-Vincent, aujourd’hui appelé Saint-Germain, où il avait été abbé, et, depuis peu, honoré par lui de saintes et précieuses reliques qu’il avoit rapportées du Levant, et fit écrire sur son chevet le cinquième des calendes de juin. On n’en sceut point la cause qu’à sa mort, qui arriva ce même jour. Son corps lut solennellement porté en cette abbaye ; mais, passant près des prisons, le cercueil devint si pesant qu’on ne pouvoit plus le remuer jusques à ce qu’on eut relâché les prisonniers qui, pour lui rendre grâces, suivirent avec larmes de gratitude et de regrets son corps à la vue de tout le peuple.

Le roy Chilpéric, bien verse en poésie, fit son épitathe, qui se lit à présent sur le tombeau du saint ; sa vie a esté décrite par Fortunat de Poitiers. Aimon-le-Religieux, Grégoire de Tours et saint Antonin, rapportent ses miracles ; le Martyrologe romain, celui de Usuard et d’Adon en font mémoire le 28 may. »

 

Nous venons de voir dans les pages naïves et édifiantes du légendiste que la vertu dominante de saint Germain avait été la charité. Je puis donc croire, sans invraisemblance, que l’abbé mitré de saint Vincent, que l’évêque de Paris, ami des rois et des pauvres, aura plus d’une fois, dans ses visites à la royale abbaye, demandé à Dieu de répandre sur ce lieu consacré à la méditation, à l’étude et à la prière, ses grâces les plus efficaces et ses dons les plus précieux. Dans ses invocations au Seigneur il aura répété souvent : « Seigneur ! Dieu de Clovis et de Clotilde, du haut des deux faites descendre la rosée de vos grâces et de votre miséricorde sur cette colline, où jadis l’idolâtrie avait des temples, où maintenant vous êtes adoré par de pieux solitaires et partout un peuple. Faites, Seigneur, que, dans la succession des âges, les générations qui suivront la nôtre soient à jamais éclairées des divines clartés de l’Évangile et animées de l’esprit de foi et de charité. »

Cette prière du saint évêque a été entendue de Dieu ; et, sur les hauteurs de Lucotitia, depuis les règnes de Childebert, de Chilpéric et de Clotaire, plusieurs églises et couvents se sont élevés comme pour sanctifier encore cette partie de Paris que nous appelons le faubourg Saint-Germain, quartier qui, de nos jours, n’est pas le moins catholique de la capitale du royaume, honoré du beau titre de royaume très chrétien. La plupart des familles qui l’habitent de nos jours ont eu beaucoup des leurs parmi les victimes immolées pour l’établissement de cette république française qui devait être impérissable, immortelle et qui s’est noyée dans le sang français.

Ces familles, décimées par le bourreau et ruinées par le vol et la confiscation, ont souffert, ont pleuré et ont cru, et les générations qui, depuis 1793, sont revenues habiter, vivre et mourir dans les demeures héréditaires que le fisc révolutionnaire n’avait ni saisies ni démolies ont dû apprendre à compatir, puisque, pendant leur long bannissement, elles avaient connu et éprouvé la pauvreté. Aussi, disons-le tout de suite, le faubourg Saint-Germain, dans Paris, devenu charitable, se distingue par sa charité.

 

Vers l’an 787, Charlemagne ayant fait venir en France des savants afin d’instruire la noblesse, dans son palais même, exhorta les évêques et les abbés à suivre son exemple en établissant des écoles dans les cathédrales et dans les monastères pour l’instruction des ecclésiastiques. Robert, qui était alors abbé de Saint-Germain, établit, dans son abbaye, une académie d’où sortirent plusieurs écrivains distingués pour leur siècle.

C’est encore dans le huitième siècle qu’il se forma, entre les différents monastères, des associations qui n’avaient pas seulement pour but de s’envoyer réciproquement chaque année les noms des religieux et ceux des bienfaiteurs de l’ordre, des vers ou épitaphes en l’honneur des morts‚ mais encore de s’instruire mutuellement dans les sciences et les lettres, et ce fut une des causes de la célébrité de cette abbaye.

Dans ces temps reculés, les abbés n’étaient pas malheureusement tous ecclésiastiques, c’étaient parfois des séculiers puissants, plus animés d’esprit guerrier que de la mansuétude évangélique ; ces hommes allaient à l’armée revêtus de fer, à la tête de leurs vassaux, avec les autres seigneurs, pour secourir le roi. C’est ainsi qu’en 644 Ebroïn, abbé de Saint-Germain, fut fait prisonnier en voulant rejoindre le roi Charles qui était à Toulouse.

Mais voici venir le grand fléau de la France ! voici venir les terribles Normands ! torrent armé, avalanche vivante, roulant du nord vers le midi pour dévaster le monde !

Paris était encore renfermé dans l’île qu’entourait un mur flanqué de tours. Sur les deux bras du fleuve s’élevaient deux ponts, dont les extrémités se trouvaient défendues par deux forteresses. Hors de cette île, sur les deux rives opposées, s’étendaient de longs faubourgs. Une enceinte protégeait en partie celui du nord. Eudes et Robert, son frère, commandaient la ville, le premier la gouvernait et en était le comte. Leurs casques furent plus tard surmontés de la couronne royale.

Depuis les premières apparitions des Normands en 820, et en 841, les habitants de Paris se tenaient sur leur garde, car la frayeur que ces hordes barbares avaient inspirée dans tous les pays traversés par elles, était encore immense, et dès que le peuple croyait entendre le bruit de leurs pas et le cliquetis de leurs armures, il se précipitait avec ses prêtres aux pieds des autels, en criant au Seigneur : Sauvez-nous de la fureur des Normands ! à farore Normanorum libera nos, Domine !

Les habitants de Paris se souvenaient qu’en l’an 841, le 28 mars, veille de Pâques, ces redoutables exécuteurs des vengeances de Dieu étaient arrivés jusque sous leurs murailles, et qu’alors les religieux de Sainte-Geneviève et de Saint-Germain-des-Prés avaient été obligés de fuir de leurs cloîtres, emportant avec eux les précieuses châsses vénérées de leurs saints patrons.

Quarante-deux ans plus tard, en 885, le 20 novembre, les sentinelles qui veillaient sur les remparts formant ceinture de sûreté autour de l’île, découvrirent au loin des tourbillons de poussière, d’où sortaient des bruits confus et de longues clameurs. C’étaient les populations des campagnes et des faubourgs, signalant une nouvelle flotte de Normands, et accourant avec leurs troupeaux et ce qu’elles avaient de précieux chercher un refuge dans la cité murée. L’alarme n’avait point été donnée en vain, et avant que le soleil ne fût couché on aperçut sur le fleuve les nombreuses voiles des pirates. Sept cents nefs portaient ensemble quarante mille barbares ; et plus tard, on apprit que leur chef était le puissant Sigefroy. Les nefs, qui occupaient en longueur un espace de plus de deux lieues sur la Seine, vomirent leurs nombreux bataillons sur la rive droite, auprès d’une enceinte, où les veneurs des rois chevelus avaient jadis renfermé leurs équipages pour la chasse aux loups ; de là était venu à ce pavillon fortifié le nom de Lupara. Du mot latin est dérivé le mot français Louvre.

Il serait beau et poétique de redire toutes les phases du siège qui commença dès le lendemain du débarquement des Normands ; pareil travail est bien au-dessus de mes forces ; de plus habiles et de plus jeunes que moi devraient l’entreprendre, et trouveraient dans les brillantes pages de Marchangy un plan tout tracé. Je n’emprunterai aux sommaires de son épopée en prose, qu’un passage, celui qui nous montre le chef des sauvages forçant les portes sacrées de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés, et miraculeusement arrêté dans son projet sacrilège.

« Les barbares poursuivant leurs dévastations, s’étendent depuis la porte funeste où se rompit naguère le chariot chargé de l’or que Chilpéric avait pris à ses peuples, et dont il fit la dot de Rigonte, promise au roi Recarède, jusqu’aux murs du célèbre monastère de Saint-Germain, dominant les prairies du côté du couchant. Les cloîtres sombres, les voûtes sépulcrales de cette abbaye, alors abandonnée et silencieuse, frappent les Scandinaves d’une terreur secrète ; prêts à franchir le seuil de l’église, ils s’arrêtent comme contenus par quelque force surnaturelle. Tout à coup une de leurs prophétesses se sent agitée d’un trouble inconnu, et avec le sceptre dont le respect superstitieux armait ces femmes singulières, elle écarte les ronces qui couvraient un tombeau, où, reconnaissant avec effroi une inscription tunique, elle approche, et ses cheveux se hérissent d’horreur en lisant ces mots à la horde stupéfaite :

« Ragenaire, chef des Scandinaves, ayant osé pénétrer dans le temple du Seigneur, y fut flagellé par une main invisible et tomba mort au milieu de ses guerriers, qui, en fuyant les bords miraculeux, lui ont laissé ce monument. »

À ces paroles foudroyantes reprises lentement par les échos de la gothique enceinte, les guerriers pâlissent et, craignant de lever les yeux sur les portes du temple s’éloignent précipitamment de ces lieux marqués par la vengeance divine.

Sigefroy, que ces prodiges ont à demi vaincu, délibère s’il doit continuer le siège de Paris ; enfin, l’orgueil l’emportant sur la crainte, il résout que l’attaque de la ville héroïque recommencera avec une nouvelle ardeur. Dès le surlendemain les chariots des Normands roulent vers la grosse tour du grand pont ; les béliers et la catapulte ébranlent si fortement les murailles, que dans toute la ville les cris des femmes et des enfants se mêlent au son des cloches et des trompettes. Les Parisiens, intrépides à leurs postes, lancent sur les machines des Normands des quartiers de rochers, du plomb fondu, des torches allumées, et font jouer contre les chariots, qu’ils brisent, de grosses poutres hérissées de pointes de fer.

Sigefroy ordonne à ses soldats de former la tortue, en couvrant leurs têtes de leurs larges boucliers, et d’essayer de poser des échelles contre les murs de la forteresse. Le fossé qui l’environne est un obstacle à leur bouillante ardeur. Ils y jettent pour le combler des fascines, des débris, mais les matériaux manquent pour aplanir le fossé ; les forcenés, par une atrocité inouïe et à peine croyable, si elle n’était attestée par des contemporains, font approcher tous les prisonniers qu’ils avaient faits aux environs de Paris et les égorgent pour remplir le fossé de leurs corps. Alors, s’élançant à l’assaut sur ce sol palpitant, et foulant les cadavres entassés, ils font venir à la surface un sang écumant et fumant ! ! ! À ce spectacle les assiégés frissonnent d’épouvante. L’évêque Gozlin, couvert de ses habits pontificaux, lève ses mains au ciel, puis, saisissant un javelot le lance contre les Normands et renverse mort un des chefs. Eudes, altéré de leur sang, voulant de plus près frapper les ennemis, commande une sortie, et, à la tête des Parisiens, fait jusqu’à la fin du jour des prodiges de valeur. »

Tous ces détails du siège, tous ces récits de combats, l’auteur de la Gaule poétique les a pris dans le poème d’Abbon, moine de l’abbaye de Saint-Germain, qui s’inspirait, non de ce que la tradition avait raconté, mais de ce qu’il voyait du haut des remparts, où son courage et son patriotisme le faisaient souvent monter. Il redit en vers latins, parfois un peu barbares, de grandes et terribles scènes. En voici une, qui semble une plante de notre sol, un vrai et beau prélude à notre chevalerie française !

Les eaux de la Seine étaient hautes, la crue semblait venir en aide aux barbares ; les flots courroucés du fleuve allaient se joindre aux attaques des soldats, comptant sur le fleuve sorti de son lit. Les Scandinaves suspendent leurs assauts et deviennent spectateurs : on dirait qu’ils accueillent des auxiliaires et des compagnons depuis longtemps attendus.

Déjà les assiégeants ont voulu incendier un pont de bois qui communique de l’enceinte murée à la rive ; plusieurs fois, ils ont chargé des barques remplies de matières combustibles, et y ont laissé des brandons enflammés après les avoir conduites contre les piliers de bois ; l’alarme s’accroît parmi les Parisiens ; soudain trois d’entre eux se dévouent pour empêcher le feu de dévorer ce pont qui, vers la rive du nord, joint la Cité à la grosse tour ; sous une grêle de traits, ils se sont jetés dans le fleuve, afin d’écarter des piles des arches les bateaux incendiaires. Leur courage fut ce jour-là couronné de succès ; mais, plus tard, le pont de bois, ébranlé par les grandes eaux, ne put résister et s’écroula dans les vagues jaunâtres et chargées d’écume. Cette chute interdit toute communication entre la ville et la tour de madriers et de planches qui défendait l’accès du pont.

Eudes en avait donné la garde à douze seigneurs ; aux premières secousses causées par l’eau furieuse ces nobles enfants de Paris, que leurs frères d’armes appellent à grands cris pour les inviter à les rejoindre, restent volontairement dans cette tour où ils s’étaient renfermés, jurant de ne l’abandonner qu’à la mort.

Les Normands l’investirent comme une proie, dix mille d’entre eux en forment l’attaque ; mais ni la vue des lances nombreuses dressées vers eux, ni la faim menaçante, ni l’évidence de leur perte prochaine ne purent engager ces douze Français à quitter ce poste d’honneur.

Alors les assiégeants rassemblent les débris du pont dont le rivage était couvert, en forment un grand bûcher autour de cette forteresse, qui bientôt est enveloppée de flammes. À la vue du danger, les guerriers assiégés se rappellent que cette même tour sert de volière à des faucons, apanages de leur noblesse et compagnons de leurs plaisirs. À ce moment si voisin de leur perte, les gentilshommes se hâtent de délivrer ces oiseaux qui s’envolent vers la ville.

La tour embrasée s’écroule et ces héroïques défenseurs périssent tous dans ce grand incendie, à l’exception d’un seul.

D’après ce que dit le barde religieux (Abbon), ce jeune héros était d’une beauté si grande, qu’on ne pouvait la comparer qu’à son courage. Restant debout sur les ruines, il se montre à l’ennemi lançant sa dernière flèche, puis sous lui les madriers enflammés s’affaissent et s’écroulent… et lui disparaît dans le vaste embrasement !

Voici les noms des douze héroïques défenseurs de la tour : Ermenfroy, Arnolde, Solié, Erilande, Gosbert, Ervé, Vidox, Odoacar, Arrade, Ervic, Emar et Gosvin.

Ces moines, contre lesquels le philosophisme a si longtemps déclamé, étaient donc encore bons à quelque chose. En voici un, arraché à la paix de son cloître et aux prières du sanctuaire, qui, au milieu du tumulte et des périls d’un siège, a le sang-froid et trouve des loisirs pour écrire et faire passer à la postérité les noms et les hauts faits de ses compatriotes !

Aujourd’hui, une manie a saisi la France entière, c’est celle d’élever des statues à ce qu’elle appelle ses illustrations et ses gloires. Certes, la pensée est bonne, juste et généreuse, mais, depuis quelques années, on l’a poussée au ridicule, tant on l’a étendue ! Non seulement les villes veulent avoir leur monument, mais le village et le hameau prétendent au même honneur, et le peuple qui passait pour être le plus léger et le plus ingrat des peuples pourra bientôt montrer aux autres nations plus de pierres de souvenir, plus de colonnes commémoratives, plus de bustes, plus de statues érigés sur son sol aux grands hommes et aux bienfaiteurs du pays, qu’il n’en existe dans le reste du monde.

Avec un si grand désir d’être juste envers tous, avec ce besoin d’honorer toutes les gloires, comment l’Hôtel-de-Ville de Paris, qui, sur les quatre magnifiques façades, a tant de niches occupées par des illustrations parisiennes, n’en a-t-il pas réservé quelques-unes pour ces douze héroïques enfants de Paris, glorieusement morts en défendant contre les barbares du nord l’antique capitale des rois chevelus ?

Lorsque, dans notre histoire, nous remontons au neuvième siècle, l’esprit s’égare et se perd dans toutes les incursions et les retraites, les succès et les revers de ces terribles hommes du nord. Pour eux la douceur de notre climat, la beauté de notre ciel, la fertilité de notre terre, la renommée de nos vins, la splendeur de nos églises, les trésors de nos abbayes étaient une forte et incessante attraction. À quatre fois différentes ils viennent assiéger Paris ; à leur acharnement contre cette ville naissante, on dirait qu’ils ont deviné ce qu’elle doit être un jour, et quelle influence dans les siècles à venir elle aura sur le monde.

Parmi ceux qui ont le plus contribué à délivrer la France de ce redoutable fléau, nos pères plaçaient avant tous les autres les saints patrons du pays, saint Denys, sainte Geneviève et saint Germain. Après ces puissants amis de Dieu, nous citerons Eudes et Robert, Gozlin et son neveu Eble ou Ebole.

Ce ne fut qu’en 911 que la France devint tranquille après avoir été troublée et dévastée par les Normands pendant plus de soixante-dix années. Charles-le-Simple fit enfin un traité avec eux, et l’abbaye de Saint-Germain, tant de fois pillée et brûlée, n’eut désormais plus rien à craindre.

L’église qui avait été dévastée à plusieurs reprises, ainsi que je l’ai dit plus haut, se ressentait trop du passage des dévastateurs et des impies ; non seulement elle avait perdu ses trésors, mais ses murailles et ses voûtes avaient été ébranlées et lézardées, de promptes et grandes réparations étaient urgentes. Morard, abbé de Saint-Germain, aidé du pieux roi Robert, la reconstruisit en entier, en 990.

C’est de cette époque que paraîtraient dater presque toutes les constructions de l’église maintenant existante, à l’exception du clocher. La partie du chœur et le porche ne datent pas de plus loin, à en juger par la sculpture des chapiteaux et par les ogives de la voûte.

Cette église se distinguait de toutes ses contemporaines par ses trois clochers ; car, indépendamment de celui qui s’élève encore aujourd’hui au-dessus du portail, il y en avait deux autres, un sur chaque extrémité de la croix ; celui du septentrion fut construit par Morard, qui y fit mettre les cloches ; celui du midi semblait être d’une date plus récente ; ces deux ornements de la maison de Dieu manquent aujourd’hui : leur destruction doit être rangée parmi les stupidités de l’ère révolutionnaire. Lorsque l’on voit, combien on entendait mal il y a cinquante ans le grand art des restaurations, on est désolé que nos pères aient mis la main à l’œuvre pour restaurer nos vieux monuments. En y touchant, s’ils en arrêtaient la destruction, ils en altéraient le caractère ; si, pour conserver la belle église de Saint-Germain, on avait pu attendre quelques années de plus, nous verrions aujourd’hui l’extérieur du saint édifice rendu à sa beauté primitive.

 

Vers l’an 787, Charlemagne ayant fait venir en France des savants, afin d’instruire la noblesse dans son palais même, exhorta les évêques et les abbés à suivre son exemple, en établissant des écoles dans les cathédrales et dans les monastères pour l’instruction des ecclésiastiques. « Faites, disait-il aux pasteurs des âmes, pour les prêtres qui relèvent de vous, ce que je fais pour les nobles qui relèvent de moi. »

Robert, qui était alors abbé de Saint-Germain, comprit le grand empereur ; et, entrant dans sa pensée féconde, établit dans son abbaye une académie d’où sortirent plusieurs écrivains estimés pour leur siècle.

C’est encore dans le huitième siècle qu’il se forma entre les différents monastères du monde catholique des associations qui n’avaient pas seulement pour but de s’envoyer réciproquement chaque année les noms des religieux et ceux des bienfaiteurs de l’ordre, des vers, des épitaphes en l’honneur des morts, mais encore de s’instruire mutuellement dans les sciences et les lettres ; il devait en être ainsi entre les enfants et les serviteurs d’un Dieu de vérité et de lumière, et cet échange de communications entre les différents monastères fut une des causes de la célébrité de Saint-Germain-des-Prés.

Dans ces temps reculés, les abbés n’étaient pas tous ecclésiastiques ; chez le Dieu de paix il était entré des hommes de batailles, et parfois on voyait, se promenant sous les voûtes et les arcades des cloîtres, des guerriers bardés de fer côte à côte de religieux vêtus de la robe de l’antique Orient ; sous l’acier de la cuirasse, le cœur pouvait battre pour Dieu comme sous le froc de laine. Ces séculiers, puissants par leur rang, leur fortune et leur habileté, pouvaient être utiles à leur ordre ; ils allaient à l’armée à la tête des vassaux de leurs monastères, et l’épée qu’ils tiraient, après l’avoir fait bénir, rendait parfois de grands services.

Comme j’ai essayé de le faire voir dans les pages qui précèdent, le neuvième siècle fut pour Paris spécialement une époque de troubles et de dévastation, et pendant le quatrième siège de Paris par les Normands, Gozlin, qui était alors abbé de Saint-Germain, prouva que sa main, qui savait bénir et secourir, savait aussi terrasser les ennemis de Dieu. Il défendit vigoureusement la forteresse du Grand-Châtelet et repoussa la borde barbare au-delà du fleuve, contrainte à se retirer près de Saint-Germain-l’Auxerrois, qu’on appelait alors Saint-Germain-le-Rond.

Ce héros prélat mourut en 886, et l’on a pu graver sur la pierre de sa tombe la croix, l’épée et le bâton pastoral.

L’an 1129, il fut tenu un concile provincial à l’abbaye, en présence du roi, de la reine et de douze évêques et abbés mitres, parmi lesquels était Suger, abbé de Saint-Denis.

L’église, bâtie par l’abbé Morard, était terminée en 1162, mais elle n’avait point été consacrée. À cette époque, le pape Alexandre, trouvant peu de sûreté en Italie à cause des troubles suscités par l’anti-pape Octavien, se rendit à Paris, où les fidèles le reçurent avec de grandes marques de respect ; alors les Parisiens regardaient le malheur comme chose sacrée et savaient l’honorer. Le vicaire de Jésus-Christ fut prié de faire la dédicace de l’église ; il y consentit ; la cérémonie fut des plus somptueuses. Le grand autel fut consacré à la sainte Croix, à saint Étienne et à saint Vincent, et l’autel matutinal dédié à saint Germain.

Ce fut vers cette époque que l’université, dont la puissance grandissait chaque jour, intenta un procès aux religieux de cette abbaye ; un pré, voisin du couvent, avait pris la dénomination de Pré-aux-Clercs, parce que les écoliers de l’université avaient depuis longtemps l’habitude d’aller s’y divertir les jours de congé ; ayant fait quelques dégâts (cet âge est sans égards), ils furent chassés et maltraités par les serviteurs de l’abbaye ; c’est là ce qui devint la cause apparente des plaintes que l’université adressa au pape.

Mais lorsque la jeunesse des écoles se mêle de sédition, elle va vite et loin ; c’est la traînée de poudre sur laquelle est tombée l’étincelle ! et les étudiants se déclarèrent bientôt ennemis jurés des habitants du faubourg Saint-Germain. En 1230, il y eut aussi tumulte au faubourg Saint-Marceau, rixe violente avec les archers et départ des professeurs et des élèves pour Angers, Orléans et Toulouse. Plus tard, nouvelle affaire à peu près semblable, dans laquelle la célèbre abbaye eut le désavantage et fut réduite à vendre son argenterie pour payer l’université triomphante.

En 1443, quatrième procès au sujet de la haute justice qu’exerçait l’abbaye sur le Pré-aux-Clercs.

Mais en 1548, les disputes et les séditions des écoliers devenant plus violentes qu’elles n’avaient été jusqu’alors, le Parlement informa contre les coupables, et l’un d’eux fut condamné à mort. Cet arrêt mit fin à toutes les contestations et à tous les débats entre l’abbaye et l’université.

Dans ces longs démêlés entre l’université et l’abbaye, je me persuade que les gens d’ordre, amis de la paix, penchaient pour les religieux. Ces hommes, vivant dans la retraite, et consacrant leurs jours et leurs nuits à la prière, à la méditation et à l’étude, n’étaient-ils pas les successeurs des cénobites du désert, enfants de saint Antoine ?

« C’étaient, dit M. Fleury, de bons chrétiens ayant renoncé au mariage, à la possession des biens temporels et à la compagnie des autres hommes, même des fidèles et de leurs parents. Vivant de leur travail en silence, afin qu’ayant combattu dans les règles, comme dit saint Paul, ils pussent arriver à la pureté du cœur, qui les rendit dignes de voir Dieu, toutes leurs pratiques étaient fondées sur ces principes. Le jeune tendait premièrement à dompter l’intempérance, puis à prévenir les tentations et à rendre l’esprit plus libre et plus propre à s’appliquer aux choses célestes.

« Ces hommes de Dieu combattaient la colère par le silence, la paresse par le travail, la tristesse par la prière et le chant des psaumes, la vanité et l’orgueil par l’obéissance et la mortification ! »

Tel était et tel est encore le moine catholique, et tel n’est pas le portrait qu’en ont fait (pour la jeunesse française) les écrivains de l’école voltairienne ; il est temps de mettre la vérité en regard de leurs mensonges.

« Cette université, devenue si puissante et si peu amie des ordres religieux, était originairement composée de séculiers ; aussi ce n’était qu’impatiemment qu’elle supportait les écoles qui ne relevaient pas d’elle. Elle a publié des milliers de volumes pour repousser de son sein les dominicains, les franciscains, et, plus tard, les jésuites. L’expérience a parlé plus haut que leurs détracteurs. Tandis que Guillaume de Saint-Amour exhalait sa bruyante jalousie contre les enfants de saint Dominique et de saint François, ces humbles mendiants montraient sous leur bure un saint Thomas d’Aquin, un saint Bonaventure, un Hugues de Saint-Cher et tant d’autres célèbres personnages. Pendant plus de cinquante ans, on agita la question de savoir si les dominicains et les franciscains participeraient à l’enseignement, et cette question, mûrement examinée, fut résolue par des bulles nombreuses en faveur de ces deux ordres.

« La Compagnie des jésuites prouva bien mieux encore comment la persévérance et l’énergie dans la volonté, aidées de la grâce de Dieu, peuvent triompher de tous les obstacles. En effet, les disciples de saint Ignace de Loyola, les compagnons de saint François-Xavier, persécutés dès leur origine, s’élevèrent et dominèrent tout du sein même des persécutions.

« Dès le quatorzième siècle, dit Tristan-le-Voyageur, Paris était plein des étudiants universitaires, écoliers bruyants, redoutables, la plupart paresseux, libertins, querelleurs et tellement ivrognes qu’ils iraient boire au baril d’un lépreux. Exténués par les mauvais traitements de leurs professeurs, ils se vengent des rigueurs de l’école par des récréations tumultueuses qui portent le désordre et l’effroi dans la ville ; ils remplissent les cabarets. Cette conduite est d’autant plus révoltante que le plus grand nombre de ces écoliers sont dans l’indigence et ne vivent que du pain qu’ils vont mendier. Leur aspect est hideux ; mal vêtus, décharnés, les cheveux en désordre, et cependant orgueilleux de leur vain savoir, ils mendient en despotes, supplient d’un ton menaçant et reçoivent avec un sourire dédaigneux et moqueur.

« L’université a de grands jours de congé et de réjouissances qui sont des jours sinistres pour les Parisiens. »

Dès la fin du douzième siècle, vers l’an 1188, l’abbaye de Saint-Germain avait cédé, pour les nouvelles fortifications de Paris, une grande partie des terrains sur lesquels passaient les murs et les fossés de sa vaste enceinte.

Philippe-Auguste, roi de France, et Henri, roi d’Angleterre, s’étaient unis pour faire la guerre sainte ; chacun se préparait pour le voyage de Jérusalem, et le roi, voulant laisser la capitale en sûreté, ordonna de fortifier Paris ; cet ouvrage dura vingt années, pour la construction des murailles et des tours.

Il paraîtrait que les bâtiments de l’abbaye avaient beaucoup souffert de tant de changements, car en 1239, Simon, abbé de Saint-Germain, fit exécuter des améliorations importantes, dont Pierre de Montreuil ou de Montereau fut l’architecte. On fit alors un réfectoire qui passait pour un des plus beaux ouvrages de l’architecture gothique ; cette salle avait 115 pieds de long sur 32 de large et 47 de hauteur ; la chaire du lecteur était un chef-d’œuvre de délicatesse et d’ornements. Les vitraux étaient peints, et à la porte on voyait en pierre une statue du roi Childebert, fondateur et bienfaiteur de l’abbaye.

Aujourd’hui, sur ce même lieu où les solitaires ont médité et prié, où les rois et les reines sont venus s’agenouiller devant la châsse contenant le corps de saint Germain, là où le vicaire de Jésus-Christ est venu bénir la multitude et consacrer l’église de l’antique abbaye illustrée par la sainteté, l’étude et la science, s’élèvent des îlots de maisons vulgaires, séparés et traversés par des rues nouvelles, et ces demeures bourgeoises où s’agite la vie commune, portent encore sur leurs murailles les marques de l’édifice renommé. Au-dessus d’une boutique et d’un magasin, vous apercevez des restes de sculpture et reconnaissez des pierres historiques. Là, au-dessus de cette partie de chapiteau, commençait la voûte de ce réfectoire monumental, chef-d’œuvre de Pierre de Montreuil, moine architecte, ce fragment de dais gothique, auprès de la fenêtre d’un premier étage, couronnait autrefois la niche où trônait un saint, patron du monastère. L’amateur des choses consacrées par les siècles aime à s’arrêter devant ces débris, et cependant, lorsqu’il les considère et les étudie, son cœur se serre, car son âme regrette ce que la main des hommes, bien plus que celle du temps, a mutilé et brisé. L’art méconnu et insulté, c’est désolant à voir, mais ce qui est bien plus triste encore à regarder, c’est un sanctuaire profané et les pierres qui ont été ointes et bénites polluées et dispersées !

Le roi Charles V, ayant déclaré la guerre à l’Angleterre, en 1368, on fortifia toutes les places par où l’ennemi aurait pu pénétrer en France ; en conséquence, il fut arrêté que la ville de Paris serait mise en sûreté par de nouvelles fortifications. L’abbaye de Saint-Germain-des-Prés fut donc encore une fois entourée de nouveaux ouvrages, ce qui ne l’empêcha pas d’être pillée en 1382 par cette muable et turbulente populace de Paris, qui se fait terrible dès qu’elle s’ennuie. Peu de temps après cette émotion populaire, comme l’on disait alors, l’abbaye de Saint-Germain ayant réparé ses pertes et retrouvé la tranquillité, son vénérable abbé refit la châsse de son céleste patron et le retable du grand autel, qui furent ornés de pierres précieuses et de sculptures en argent et en or.

En 1564, les huguenots, par les mouvements qu’ils ne cessaient de susciter contre les catholiques, obligèrent le roi Charles IX, pour se mettre en sûreté, à se retirer dans l’abbaye avec toute sa cour. Ainsi, ceux que la foule appelle les heureux du monde, celui à qui Dieu a remis la puissance, sont parfois contraints à se réfugier aux pieds des autels et à demander aux solitaires qui les entourent et les desservent asile et protection.

L’année 1589 fut fatale par les guerres civiles et par la révolte des Parisiens contre le roi. Henri IV était devant Paris avec son armée ; l’abbaye, qui était bien fortifiée, avait une garnison considérable, et dans la maison de prière le bruit des armes se mêlait aux chants et à la psalmodie des moines. Cet état ne dura pas longtemps ; l’abbaye, devenue forteresse, capitula. Henri IV entra dans le monastère ; et, accompagné d’un religieux seulement, monta à la grosse tour, celle qui est encore debout aujourd’hui ; de la plate-forme, il considéra l’ensemble de la ville. Alors le front du Béarnais était soucieux, et l’expression de son visage sombre et triste ; pas un mot ne sortit de sa bouche ; il redescendit, fit le tour du cloître sans entrer dans l’église et se retira sans avoir prononcé une autre parole qu’un remerciement au religieux qui l’avait accompagné pendant sa visite au couvent.

Le jour suivant, les soldats qui étaient entrés avec le roi furent obligés de se retirer, car les Parisiens y mirent pour la seconde fois une garnison sous le commandement d’un Italien nommé Marc-Antoine ; mais, comme il manquait de vivres et de munitions à son tour, il fut bientôt forcé de se rendre. Pendant ce temps, l’armée royale qui bloquait Paris s’empara de tous les faubourgs, et les Parisiens furent réduits à la dernière extrémité. Un instant ils respirèrent plus à l’aise, le roi venait de lever le siège pour aller à Meaux combattre les princes ligués. Alors les royalistes et les ligueurs tinrent plusieurs conférences, où l’on discuta sans s’entendre ; beaucoup de discours, peu de besogne, des emportements, pas de sang-froid, l’éloquence manquant à peu des orateurs, mais la raison à presque tous ; voilà ce qui domina dans ces conférences comme dans presque toutes les réunions françaises.

En même temps les états-généraux cherchaient à s’assembler dans la capitale du royaume pour élire un roi catholique, et l’évêque de Bourges donnait l’assurance de la conversion de Henri IV. En effet, après s’être fait consciencieusement instruire dans la foi catholique, le roi de droit, se souvenant de saint Louis, abjurait son hérésie, le 23 juillet, dans la royale abbaye de Saint-Denis.

La vieille et noble basilique était en effet un beau et bon lieu pour qu’un roi de France vînt y faire l’éclatante abjuration d’un culte anti-français. Là, des voix descendaient du ciel, tandis que d’autres montaient des caveaux funèbres pour remuer le cœur et convertir l’esprit du loyal fils de Jeanne d’Albret. Dans la chaîne d’or de la royauté, il ne fallait pas d’un anneau qui ne fût pas pur. Un roi protestant, dans la lignée des rois très chrétiens, des rois fils aînés de l’Église, eût été une tache sur la glorieuse histoire de notre monarchie. Aussi, le jour où Henri IV vint faire abjuration de son hérésie dans le sanctuaire consacré au Dieu de Clovis, sous l’invocation de saint Denis, patron de la France, je me figure que les grands vassaux de la mort, que les majestés du sépulcre auront tressailli dans leurs tombeaux ; et que, jetant le drap mortuaire qui les recouvrait, ils se sont soulevés dans leurs cercueils pour écouter les paroles par lesquelles Henri de Bourbon déclarait revenir à la vérité et se rattachait à l’Église catholique, apostolique et romaine.

Quand la sédition et la révolte se sont emparées du peuple, quand elles ont agité et troublé son bon sens, le repos et la raison sont longtemps à revenir ; ce ne fut que deux ans après l’abjuration de Henri IV que Paris se rendait sous l’obéissance du roi et que Henri y faisait son entrée, le 22 mars 1594, à six heures du matin, au milieu des acclamations populaires.

 

« À cette époque, il y avait aussi un tiers-parti, dont le cardinal de Bourbon était le chef. Il avait l’ambition d’être roi, si Henri mourait sans enfant ; mais il mourut lui-même de chagrin de n’avoir pu réussir ; il fut enterré avec beaucoup de pompe dans l’église de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés. »

 

Après la mort de Henri IV, Louis XIII étant monté sur le trône, Marie de Médicis fit bâtir le palais du Luxembourg, qui devait porter le nom de la reine douairière. Jacques Debrosse, après s’être inspiré des palais italiens, a construit l’édifice que nous voyons aujourd’hui et dont les annales sont si bariolées de nos inconstances politiques ! Aujourd’hui, c’est le Sénat qui y siège et Jérôme Bonaparte qui y préside ; sous la petite république, Louis Blanc professait en prince le droit au travail ; sous la grande, Barras et les quatre autres directeurs s’y étaient établis et y scandalisaient par leur luxe les vertueux et incorruptibles républicains. Louis-Philippe, en 1830, et avant lui les rois Louis XVIII et Charles X y avaient établi la Chambre des Pairs. Les murs ont, dit un vieux proverbe, des yeux et des oreilles ; s’ils avaient une langue, que de choses ceux du Luxembourg auraient à nous raconter ! Mais laissons là les proverbes et revenons à l’histoire.

Marie de Médicis, lorsque la chapelle de son palais fut terminée, envoya demander au prieur de Saint-Germain-des-Prés la permission de la faire bénir, afin d’y entendre la messe. Malgré les gardes qui veillent aux barrières de leurs palais, les grandeurs du monde sentent par moments qu’elles ont encore besoin d’une autre protection que celle du sabre, et alors elles appellent pour les défendre l’assistance d’en haut. C’est à la reine Marie de Médicis que la France doit l’institution des Frères de la Charité, qui avait pour but le soin des pauvres malades dans les hôpitaux. À cet effet, elle fit venir cinq religieux de l’Italie ; elle leur acheta une maison dans l’emplacement appelé depuis les Petits-Augustins ; mais, par la suite, ils s’établirent près de l’abbaye, et Marie de Médicis, qui avait une grande vénération pour eux, posa la première pierre de leur église.

En 1631, il se fit une réforme dans l’ordre des religieux. Le général de la congrégation de Saint-Maure établit des cours de philosophie et de théologie dans différents monastères. Il y plaça des professeurs pour enseigner la langue hébraïque et la langue grecque ; il fit rechercher les anciens manuscrits des pères de l’Église, qui se trouvaient dans diverses bibliothèques et en fit donner des éditions plus correctes. Voilà à quoi s’occupaient ces fainéants du cloître, ces moines grossiers, ignorants et corrompus !