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"Sur les causes opposées à la justice et leur traitement social selon S. Thomas d’Aquin" traite des questions fondamentales des droits et devoirs de l’homme à travers la pensée rigoureuse de saint Thomas d’Aquin sur la justice. Chaque atteinte à autrui – qu’il s’agisse de meurtre, de vol ou de diffamation – est ici replacée dans une perspective morale et sociale. En éclairant la doctrine thomiste sans la moderniser de force, l’ouvrage révèle sa pertinence face aux dérives idéologiques actuelles. À la croisée du droit, de la théologie et de la philosophie, il propose une réflexion salutaire pour un monde en quête de repères.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Richard Alain Marsaud de Labouygue a passé dix années en Europe centrale et orientale en tant qu’expert juridique international, travaillant pour la Commission européenne ainsi que pour diverses entreprises. Auteur d’une vingtaine d’ouvrages, il voit en saint Thomas d’Aquin un remède face aux dérives idéologiques qui épuisent nos sociétés contemporaines.
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Seitenzahl: 176
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Richard Alain Marsaud de Labouygue
Sur les causes opposées à la justice
et leur traitement social
selon S. Thomas d’Aquin
Essai
© Lys Bleu Éditions – Richard Alain Marsaud de Labouygue
ISBN : 979-10-422-6915-9
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Les questions que nous allons évoquer constituent les droits et les devoirs fondamentaux de l’Homme. Nous les avons choisies, et elles le sont dans le cadre de la vie en société où sont appréciés les rapports de personne à personne. On ne peut tuer, voler, diffamer autrui sans troubler l’ordre public. Chacune de ces questions suppose que l’on ait présent à l’esprit ce que S. Thomas a dit de la vertu de justice et de ses parties du vice d’injustice et de la réparation.
Aussi, S. Thomas a-t-il noté que l’injustice antisociale est par sa tendance un vice général qui pousse à commettre toutes sortes de fautes et qu’inversement tous les vices par leur puissance de nocivité envers le bien commun, comportent une certaine injustice ; la faute même de l’homme contre lui-même porte une atteinte dans une certaine mesure à la société dont il est membre et à laquelle il se doit.
C’est dire que l’idée de justice est incorporée à la définition même de l’homme, et que tout acte humain peut poser une question de droit.
Nous nous sommes attachés avant tout à exposer la pensée de S. Thomas en l’éclairant, lorsqu’il y avait lieu, par le contexte historique, mais sans tenter l’adaptation forcée aux points de vue modernes considérant l’intemporalité des règles thomistes, quelles que soient les transformations et les révolutions sociales.
S. Thomas se révèle étonnamment traditionnel et novateur à la fois. Traditionnel, il l’est fidèlement à l’égard de la Révélation et des Pères d’une part, et de la philosophie sociale d’Aristote d’autre part.
Il se trouve que la convergence de ces courants, d’inspiration différente, est parfaite, du moins dans cette matière où les exigences du droit naturel et de ses premières déductions rationnelles sont imprescriptibles.
Si les arguments du Philosophe sont exploités en faveur des commandements ou des condamnations de l’Écriture, c’est en théologien que S. Thomas traite de l’injustice et de ses causes.
Sous quelque forme que ce soit, cette dernière consiste toujours dans un préjudice causé à autrui, dont la gravité est motivée du dehors par son opposition à la charité qui nous porte à vouloir et à faire du bien à notre prochain. Il y a faute et l’on est responsable moralement et civilement dès qu’une telle conduite incorrecte cause ou risque de causer un dommage à autrui. On sera donc dans l’obligation de réparer. On voit combien les hautes exigences de la conscience chrétienne sont loin de l’idéal commun que l’on se figure quelquefois.
On doit éviter avec soin tout ce qui est de nature à léser les droits d’autrui. Il n’y a que l’autorité légitime qui puisse causer un dommage à un individu, mais alors la raison sociale, qui justifie le châtiment ou le devoir imposé, ne permet plus de parler de dommage.
Notre étude porte une attention particulière sur les injustices commises d’une part par paroles, dans les tribunaux, par le juge, l’accusateur, l’accusé, le témoin, l’avocat, puis dans les conversations courantes sous forme d’outrage, de diffamation, de zizanie, de moquerie, de malédiction.
S. Thomas déduit de sa doctrine morale les obligations de justice et de charité qui s’imposent à toute conscience dans la vie en société.
Si les lois qui doivent régler l’activité humaine sont immuables et intemporelles, leur application doit être nuancée d’après l’évolution des milieux sociaux, diversifiés selon le temps et les lieux. Voilà pourquoi les références historiques nous ont paru nécessaires sans être obligatoires pour situer exactement la position des problèmes, et ouvrir ainsi la voie à de justes solutions.
On se rendra compte combien S. Thomas a eu l’esprit ouvert à tous les grands problèmes économiques et sociaux de son époque dont on a pu écrire :
« L’injustice, voilà, dès le onzième siècle, le grief des populations et des églises, la plainte formidable qui gronde contre les puissants, plainte d’autant mieux entendue qu’elle a pris la voix de la religion ».
(IMBART DE LA TOUR, « L’évolution des idées sociales du XIe au XIIIe siècle », dans Questions et Histoire sociale et religieuse, Hachette, 1907, p. 161.)
Quoi qu’il en soit, en effet, des contingences et des applications pratiques, la justice définissait alors l’idéal politique du peuple.
Les historiens s’accordent à reconnaître l’influence de la théologie médiévale sur l’état social d’alors.
Puisse notre monde moderne être à nouveau perméable à la morale, dans toutes les manifestations de son activité sociale, économique, politique. Il est nécessaire pour se faire d’abattre les cloisons étanches entre la vie privée et la vie publique, et à définir l’idéal de justice qui doit présider à toutes les obligations professionnelles.
L’homicide est la plus grave faute d’injustice qui puisse se commettre contre l’homme, puisqu’il prive celui-ci du plus grand bien qu’il ait en sa possession et auquel il a un droit absolu, la vie. Faire périr un homme de mort violente peut entraîner des conséquences irréparables variables selon la quantité de volontaires introduits dans l’acte. S. Thomas admet, en effet, des circonstances atténuantes, telles que l’ébriété, Ia II aequ.76, art. 4. Sol. 2. Il y en a bien d’autres dans notre droit contemporain, mais ce n’est pas la question.
La définition de l’homicide selon S. Thomas : « Le meurtre d’un innocent » (Homicidium est occisio innocentis) Ia IIae qu.88. art. 6, sol. 3 : qui exclut la mise à mort d’un criminel, mais sans la distinction introduite dans notre code pénal entre le meurtre proprement dit : « L’homicide commis volontairement ». La doctrine et la jurisprudence actuelles comportent la mort donnée à un homme, et l’intention de la donner ; et l’assassinat qui est un meurtre commis avec la circonstance aggravante de préméditation ou de guet-apens, celui-ci n’étant qu’une préméditation plus manifeste. De même se pose l’extension de la qualification de meurtre à des faits jusqu’alors qualifiés d’homicides involontaires, notamment d’actualité contemporaine dans les accidents de la route commis par des individus qualifiés de « chauffards » coupables d’homicides involontaires, sans intention de donner la mort à autrui (L’homicide routier). La distinction initiale de notre propos n’existait ni dans le droit romain formulé par la loi Cornelia, ni dans le droit pénal du moyen âge. S. Thomas se tient au point de vue de l’acte moral et de l’espèce de la faute, quelles que soient les circonstances et la façon dont on provoque la mort, en assommant, lapidant, poignardant son prochain, Ia IIae qu. 72, art. 6.
On comparera la doctrine de cette question avec celle du Speculum Majus de Vincent de Beauvais, t. II, Speculum Doctrinale, liv. 10, chap. 1-30, qui résume l’enseignement des théologiens de la seconde moitié du 13e siècle sur ce sujet1.
La mort d’un être vivant, quel qu’il soit, est-elle interdite ?
Utrum occidere quaecumque viventia sit illicitum.
(I Sent., dist. 39, qu. 2, art. 2 ; 3 Cont. Gent., cap. II 2. De Dec. Praecept., cap. De Quint. Praecept.)
Il semble bien qu’il soit défendu de tuer n’importe quel être vivant. En effet, S. Paul écrivait aux Romains : « Celui qui résiste à l’ordre voulu de Dieu, attire sur lui-même une condamnation ». Or, c’est l’ordre providentiel qui conserve tous les êtres en vie, selon ce mot du Psaume : « Dieu fait croître l’herbe sur les montagnes et donne la nourriture au bétail ». Faire périr un être doué de vie est donc défendu.
L’homicide constitue donc une faute en privant un homme de la vie ; mais qu’en est-il des animaux et des plantes, les tuer peut-il être considéré comme une faute de même nature ?
Il résulte le grand devoir du respect de la vie ; il s’étend même aux plantes. On ne pourra jamais tuer par caprice, mais pour une utilité, ou pour éviter un danger, ainsi les animaux féroces, cf. art. 3, sol. 2.
Même dans la mise à mort, il ne faut pas traiter les bêtes sans ménagement et avec cruauté. C’est de ce sentiment délicat que provient l’interdiction de l’Exode XXIII, 19, de faire cuire un agneau dans le lait de sa mère. Si on a quelques égards pour les animaux surtout pour les animaux domestiques, ce sera dans le rayonnement – non un objet – de la charité. Il y a l’exemple des Saints, notamment celui de S. François d’Assise.
C’est donc de l’homme qu’il faut entendre cette parole : « Tu ne tueras pas ».
Tout individu est vis-à-vis de la société dont il est membre dans le même rapport qu’une partie avec le tout. Si donc quelque individu devient un péril pour la société et que son crime est contagieux pour les autres, il est louable et salutaire de le mettre à mort au nom du bien commun.
La justice humaine imite, pour autant qu’il est en son pouvoir, la conduite de la Sagesse divine. Elle met à mort ceux qui sont pour les autres une occasion de ruine, mais elle épargne, dans l’espoir de leur repentance, ceux dont les exemples ne sont pas si dangereux pour leur prochain. Voilà pourquoi, s’il se révèle nécessaire à la santé du corps humain de couper un membre parce qu’il est infecté et corromprait les autres, une telle amputation sera indiscutablement légitime et opportune. La comparaison revient à notre dicton populaire : « Une pomme pourrie dans un panier de pommes, pourrie toutes les autres pommes. »
La Sagesse divine tantôt supprime immédiatement les contrevenants afin de délivrer les bons ; tantôt leur accorde le temps de se repentir, – nous dirions, aujourd’hui de s’amender et de réparer – ce qu’elle prévoit également pour le bien de ses élus. La justice humaine imite, pour autant qu’il est en son pouvoir, cette conduite de la Sagesse divine. Elle condamne par des peines de substitution, à la peine de mort ceux qui sont pour les autres une occasion de ruine, mais elle épargne, dans l’espoir de leur repentance et qui seraient en capacité de s’amender, de réparer, ceux dont les exemples ne sont pas si dangereux pour leur prochain.
Par la faute causée délibérément à autrui, l’homme s’écarte de l’ordre prescrit par la raison ; par là même il déchoit de la dignité humaine qui consiste à naître libre et à exister pour soi ; on peut même dire avec Aristote qu’un homme mauvais est pire qu’une bête féroce, il est plus malfaisant.
C’est au traité de la charité qu. 25, art. 6, sol. 2, que S. Thomas répond à la présente difficulté, et montre comment l’amour du prochain peut faire un devoir au juge de condamner à mort un « ami ». Le corps social supprime l’un de ses membres comme le médecin sacrifie l’organe corrompu de son malade, en vue du bien du corps tout entier. On peut avoir affaire à de si grands criminels que l’on soit autorisé à les considérer comme des « brutes », déchus de la dignité humaine ; de fait, l’homme en contrevenant sort de l’ordre de la raison.
Un simple particulier peut-il tuer ?
Utrum occidere hominem peccatorem liceat privatae personae.
(Infr. qu. 65, art. I, ad 2 ; 2 Sent., dist. 44, qu. 2, art. 2, ad 5 ; 4, dist. 37, qu. 2, art I.)
Oui, semble-t-il, au premier abord, puisque la Loi divine, qui ne saurait rien prescrire de mal, ordonne par l’autorité de Moïse, « que chacun tue son frère, chacun son ami, chacun son parent », pour avoir commis le crime d’adorer le veau d’or. C’est donc que les personnes privées peuvent licitement tuer un malfaiteur.
Tout homme, même sans mandat officiel, fait œuvre de vertu en servant le bien commun. Or la mise à mort des malfaiteurs serait un service à rendre au bien commun. Cependant, c’est ne pas tenir compte de l’objection de S. Augustin qui dit : « Celui qui sans mandat officiel tuera un malfaiteur sera condamné comme homicide, et d’autant plus qu’il n’a pas craint de s’arroger un droit que Dieu ne lui avait pas donné ».
La solution au dilemme consiste à considérer que la mise à mort d’un malfaiteur est permise pour la sauvegarde de la société ; elle sera donc réservée à celui-là seul qui pourvoit au bien commun de la société. Or le soin du bien commun est confié aux autorités d’un pays qui détiennent l’autorité publique légitime. C’est donc à eux seuls et non aux particuliers qu’il revient de décider la décision de vie ou de mort des malfaiteurs.
C’est une raison de justice sociale qui autorise la gradation des peines encourues par les délinquants, les conditions sont celles de la justice distributive.
Denys l’Aréopagite remarque que le véritable responsable d’une action est l’autorité qui l’ordonne, aussi S. Augustin peut-il écrire : « Celui qui tue, ce n’est pas celui qui fait son office de serviteur, il n’est qu’un instrument comme le glaive entre les mains de celui qui s’en sert ». Ainsi faut-il juger le cas de ceux qui tuèrent leurs parents et leurs amis sur l’ordre de Dieu ; le véritable auteur de ces meurtres était l’autorité qui les leur avait ordonnés ; il en est de même du soldat qui tue un ennemi sur l’ordre du prince, et du bourreau qui exécute un brigand d’après la sentence du juge.
En tout état de cause, il y a entre un animal et un homme une différence de nature. S’il n’y a pas besoin d’un jugement pour tuer une bête sauvage, exception faite aujourd’hui de tuer une pareille bête classée dans les espèces protégées entrant dans les lois spécifiques notamment environnementales, écologiques de la protection de la nature, il en faudra déjà un pour un animal domestique, non à cause de l’animal lui-même, mais en raison du préjudice causé à son maître. Or l’homme avéré criminel n’est pas d’une autre nature que les justes et il faudra un procès pour juger si sa mort est nécessaire au bien de la société.
De conclure que toute personne privée peut servir le bien commun, à condition toutefois que ce faisant, elle ne nuise à personne. S’il en résulte, en effet, quelque dommage pour un membre de la société, il faut qu’un jugement soit prononcé au préalable par l’autorité à laquelle il revient d’apprécier si telles parties doivent être sacrifiées au bien du tout.
La suppression de la vengeance privée n’était pas si ancienne, puisqu’à Pâques 1075, à Fécamp, Guillaume le Conquérant promulguait une loi interdisant à tout homme d’en attaquer un autre, à moins qu’il ne s’agisse du meurtrier de son père ou du meurtrier de son fils ; cf. Jean LE FOYER. Exposé du droit pénal normand au XIIIesiècle, Recueil Sirey, 1931, p. 25.
On peut illustrer la doctrine du présent article par le cas de l’excuse, sinon de la minoration de la faute, reprise par S. Antonin, Summa, Pars II, tit. 7, cap. 8, S. 2. Un homme peut-il tuer sa femme qu’il surprend en flagrant délit d’adultère ? Si les lois civiles l’autorisent, accorde S. Thomas, ce n’est pas qu’elles reconnaissent la légitimité du meurtre, mais elles ne condamnent pas le mari pour homicide, en raison de la passion qui l’a poussé à cet acte. C’est pour partie, dirons-nous, le caractère du crime passionnel. Notre législation contemporaine admet comme excuse légalement prévue du meurtre, la provocation et notamment celle du flagrant délit d’adultère. De fait la jalousie de certains hommes, et femmes, à tempéraments inquiets et surtout anxieux, est extrêmement vive et exigeante et passionnée. On conçoit qu’elle diminue considérablement, sinon supprime, en de tels cas, l’exercice du libre arbitre. Mais, si l’argument n’est pas retenu dans un État laïc, nonobstant cela, la morale de l’Église ne dépend pas des lois humaines et elle interdit absolument un tel crime. Le mari ou la femme, en effet, usurpe un pouvoir réservé à ceux qui ont la charge de la société. Le père ou la mère de famille ne peut infliger des peines allant jusqu’à la mort, cf. IIa IIae, qu. 65, art. 2, sol. 2. Le prince ou le juge qui président à la société politique peuvent non seulement corriger les personnes, mais aussi les supprimer au nom du bien commun de la société, cf. Rom. XIII, 4. Alexandre VII, en 1665, condamna la proposition suivante : « Le mari qui, de sa propre initiative, tue sa femme surprise en adultère, ne pèche pas. » (Denziger, n. 1119).
Ainsi dans un même acte d’homicide, on peut léser la justice commutative, la justice distributive et la justice légale.
N’est-il jamais permis de se suicider ?
Utrum alicui liceat seipsum occidere.
(Supra, qu. 59, art. 3, ad 2 ; infra, qu. 124, art. I ; 4 Sent., dist. 49, qu. 5, art. 3, qua 2, ad 6 ; De Decem Praecept., cap. De Quint. Praecept ; Ad Hebr., cap. II, lect. 7 ; Ethic., lect. 17.)
Il semble que le suicide soit légitime. L’homicide, en effet, n’est défendu que comme faute contre la justice, mais comme il est impossible de pécher par injustice envers soi-même, ainsi que le prouve Aristote, il sera donc toujours permis de se tuer.
Le prince seul peut mettre à mort les malfaiteurs – l’Autorité légitime –, mais si le prince est lui-même un malfaiteur, il lui sera donc permis de se tuer.
Il est permis de s’exposer spontanément à un péril moindre pour en éviter un plus grand, tout comme il est permis, pour sauver sa santé, de se couper un membre gangrené. Or il peut arriver qu’en se donnant la mort on évite un plus grand mal comme serait une vie misérable ou la honte d’un crime. On pourrait donc dans ce cas légitimement se suicider.
Samson ne s’est-il pas suicidé ? Pourtant il est compté, d’après l’épître aux Hébreux, au nombre des saints.
Enfin le livre des Machabées rapporte l’exemple de Razis qui se donna la mort, « aimant mieux périr noblement que de tomber entre des mains criminelles et de subir des outrages indignes de sa propre noblesse ». Mais il est toujours permis de faire ce qui est noble et courageux. Ainsi envisagé, le suicide est sans faute.
Cet article est particulièrement bien construit. Il répond à l’objection fondamentale : L’homme dispose de lui-même et peut se suicider ; cf. Sénèque, Épître 91 : « Nous sommes entrés dans ce monde et il faut vivre sous ses lois. Cela te plaît-il ? Obéis. Cela ne te plaît pas ? Sors à ta guise ». La considération des êtres dans leur nature s’élève à l’ordre social et à l’ordre divin. Le suicide est formellement et rigoureusement condamné au nom de chacune de ces raisons qui s’accumulent en se faisant de plus en plus élevées et décisives. Mais le point de vue de Dieu l’emporte sur tout autre.
Cet article est un parfait modèle de mise au point personnelle d’une doctrine, de jugement sur des cas concrets, et d’utilisation des sources traditionnelles. S. Thomas résume ici De Civ. Dei, liv. I, chap. 16-20, 22-27, où S. Augustin examinait les questions suivantes : De la mort volontaire par honte ou par crainte du châtiment. Il n’y a pas de véritable héroïsme à se tuer. Il ne faut pas éviter un péché par un autre. Des morts volontaires inspirées par le Saint-Esprit, etc.
Il faut enfin souligner l’actualité de cette doctrine en face de l’hérésie Cathare au XIIIe siècle. On sait que les « Parfaits » cherchaient assez souvent à mettre un terme à l’âpre lutte contre leur nature viciée ; la mort volontaire leur offrait un refuge assuré. Ils appelaient cette sorte de suicide : endura. Ils l’appliquaient aux malades par l’asphyxie ou le jeûne, et même aux enfants. E. Vacandard, L’inquisition, Bloud, 1907. P. 119, rapporte le cas d’une Toulousaine qui se soumit d’abord à de fréquentes saignées, puis essaya de s’affaiblir davantage en prenant des bains prolongés, absorba enfin certaines substances vénéneuses, et comme la mort tardait à venir, avala du verre pour se perforer les entrailles.