Erhalten Sie Zugang zu diesem und mehr als 300000 Büchern ab EUR 5,99 monatlich.
Le 8 mai 2002, Karachi est le théâtre d’un attentat meurtrier qui coûte la vie à quatorze personnes, dont onze ingénieurs français de la Direction des Constructions Navales impliqués dans la construction d’un sous-marin pour l’armée pakistanaise. "Tragédie au Pakistan" revient sur cet épisode tragique en retraçant avec précision la chronologie des faits et l’impact durable de cet événement sur l’histoire.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Après des études en Algérie et en France,
Steph. M. Laraich effectue son service militaire au 1ᵉʳ Régiment parachutiste d’infanterie de marine à Bayonne. Il intègre la police nationale, servant à la CRS 46, au SRPJ de Lyon et à la BRI pendant dix ans. En 1992, il est détaché en Mauritanie comme conseiller technique auprès de la Police judiciaire à Nouakchott. De retour en 1995, il dirige le groupe des stupéfiants au SRPJ de Lyon, avant d’être nommé en 2001 chef de l’antenne du SCTIP à Karachi, où il exerce également comme vice-consul.
Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:
Seitenzahl: 223
Veröffentlichungsjahr: 2025
Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:
Steph. M. Laraich
Tragédie au Pakistan
Révélations sur l’assassinat
de 11 Français et de 3 marins pakistanais
© Lys Bleu Éditions – Steph. M. Laraich
ISBN : 979-10-422-5623-4
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Cet ouvrage relate le temps passé de janvier 2001 à juillet 2003 à Karachi au Pakistan en ma qualité de commandant de police, chef de l’antenne du Service de Coopération technique internationale de police, attaché au consulat général de France.
Durant toute cette période, nous, expatriés français, avons vécu indirectement sous la pression des djihadistes particulièrement violents entre eux (assassinats de personnalités diverses, de policiers, etc.), mais aussi contre les partis opposés.
Après la destruction du World Trade Center, les Américains ont considéré les talibans comme responsables, et ont mis la pression sur le président Pervez Musharraf pour obtenir son allégeance et déclarer terroristes les groupes formés par ses services secrets pour lutter contre la Russie et l’Inde.
Ce rejet, considéré comme inacceptable par ces mêmes djihadistes, fut considéré comme une trahison nécessitant la destitution du président Musharraf par tous les moyens.
Ainsi, afin de le déconsidérer vis-à-vis de l’opinion internationale, des attaques étaient commises contre les Occidentaux, le rendant ainsi seul responsable.
Les attentats contre le bus de la DCN le 8 mai 2002 et le consulat général américain en juin 2002 ont été entre autres actes criminels l’expression malheureuse de leur rancune.
Dès lors, il m’appartenait d’être au plus près des enquêteurs pakistanais afin de ne rien ignorer du déroulement des investigations diligentées par les différents services saisis et d’en informer, sous forme de notes, ma hiérarchie, mais aussi les services diplomatique et consulaire du pays à savoir l’ambassadeur de France et le consul général.
Ainsi les faits, jusqu’à la fin de ma mission en septembre 2003, sont relatés en trois parties :
Ce livre, rédigé et dédié à la mémoire du personnel de la DCN, veut seulement expliquer comment nous en sommes arrivés à pleurer nos morts.
Les familles doivent savoir.
Le Pakistan, littéralement le « Pays (pak) des Purs (stan) », tient une place prééminente dans le contexte multiforme d’insécurité de la sous-région indo-pakistanaise : par sa position géographique et stratégique entre Inde, Iran, Afghanistan et Chine, par ses tensions avec le voisin indien marquées par cinq conflits ouverts depuis leur partition en 1947, par les affrontements intercommunautaires meurtriers des groupes radicaux, par le rôle et le statut spécifiques des zones tribales, à la frontière afghane, leur permettant d’échapper, en partie, à l’autorité d’Islamabad, de faciliter le trafic d’héroïne, de servir de base aux talibans et de lieu de transit des djihadistes de toutes nationalités, en route pour les camps d’entraînement terroristes d’Afghanistan.
Pour ajouter à ces préoccupations, la détention de la bombe nucléaire rend le Pakistan encore plus inquiétant si le pouvoir tombe entre des mains radicales.
Pour être au fait de ce contexte préoccupant et prévenir certains de ses prolongements possibles en France, entre autres dans le cadre du retour des djihadistes, notre pays entretient depuis de nombreuses années une coopération policière avec le Pakistan par le biais de la Direction de la Coopération internationale (DCI) du ministère de l’Intérieur1, qui dispose d’une représentation au sein de l’ambassade, à Islamabad, et d’une antenne au consulat général de Karachi.
C’est dans ce cadre et ce contexte que le commandant de police Mustapha a pris ses fonctions de responsable de l’antenne de Karachi en janvier 2001.
Issu de la police judiciaire, il va être conduit à s’intéresser, tout particulièrement, aux problèmes que posent les activités des groupes terroristes, notamment lorsqu’ils vont cibler les intérêts français ou concerner ses ressortissants.
À cette époque, le Pakistan est secoué, depuis longtemps, par des affrontements meurtriers inter- religieux, principalement entre chiites et sunnites, des actions contre des policiers, des humanitaires ou des intérêts indiens2.
Ces événements viennent s’ajouter aux habituelles agressions de droit commun, favorisées par la profusion d’armes de toute nature, héritée des trafics, affrontements et guerres qui secouent la région depuis de nombreuses années.
Par la suite, et notamment après l’attentat du World Trade Center, le 11 septembre 2001, ont aussi émergé des attentats contre des étrangers ou leurs représentations diplomatiques.
Ces actions semblent pouvoir s’inscrire, dès le début 2002, dans une réaction des talibans et autres groupes extrémistes au changement d’attitude du gouvernement Musharraf envers eux.
En effet, longtemps instrumentalisés pour porter le fer contre l’ennemi indien ou chez le voisin afghan, ils voient se retourner contre eux les services de sécurité pakistanais, cédant à la pression des Américains, qui imputent aux talibans, l’attentat de New York.
En conséquence, comme le précise le commandant Laraich dans son document : L’offensive américaine et les bombardements continus en Afghanistan ont produit l’effet que nous redoutions : le changement d’orientation des djihadistes qui, abandonnés par le gouvernement, dérivent vers d’autres cibles plus vulnérables, à savoir les Occidentaux dont les nations se sont alliées pour les combattre.
Par définition, outre des actions individuelles ciblées, les attentats terroristes par véhicule piégé, placé dans des lieux fréquentés, faisant indistinctement de nombreuses victimes, sont des pratiques courantes.
Si nombre de ces attentats sont de nature et à visée interne, d’autres ciblent des acteurs étrangers intervenant dans des domaines spécifiques, dans le cadre de leurs relations officielles avec l’État pakistanais.
C’est dans un tel contexte que peut s’inscrire l’attentat par voiture piégée du 8 mai 2002, perpétré à Karachi, contre les personnels de la Direction des Chantiers Navals (DCN) à la sortie de l’hôtel Sheraton qui les abrite, alors qu’ils se trouvent à l’intérieur d’un bus au sigle de la marine pakistanaise.
Bien que n’étant pas la première d’une série d’actions spectaculaires visant des pays étrangers ou leurs nationaux, elle est celle qui a touché au plus près la France, puisque quatorze techniciens français ont trouvé la mort ainsi que trois intervenants pakistanais.
L’attentat a été perpétré dans le contexte de l’acquisition de sous-marins français, de classe Agosta, par la marine pakistanaise et à l’occasion de la formation de ses équipages par les techniciens français.
Le retentissement de cette opération a conduit au déplacement des autorités françaises et notamment de Mme Alliot Marie, alors ministre de l’Intérieur, venue se rendre compte de la situation et demander une enquête approfondie aux autorités pakistanaises.
C’est donc, tout naturellement, le représentant du SCTIP à Karachi, rapidement présent sur les lieux de l’attentat, qui a été chargé de la liaison avec les services locaux, de suivre et communiquer l’état d’avancement de l’enquête aux autorités françaises.
Dans cette perspective, s’il a été un témoin relativement privilégié des investigations, il s’est heurté d’emblée aux rivalités de certains services locaux et notamment à l’omnipotence de l’Inter Service Intelligence (ISI), pendant de notre DGSE, qui a rapidement voulu s’attribuer l’exclusivité de l’enquête et de ses enseignements, réduisant au maximum la communication d’informations.
Il faut savoir que l’ISI a la réputation d’être un État dans l’État qui suit des objectifs qui lui sont propres et qui ne coïncident pas forcément, à moyen ou long terme, avec ceux de l’autorité politique.34
Néanmoins, par ses relations privilégiées avec certains responsables d’autres services de police pakistanais, le commandant Laraich a pu réunir un certain nombre d’informations, dont l’analyse laisse planer des incertitudes sur les tenants et les aboutissants de l’affaire, les commanditaires et les exécutants de l’attentat, en dépit de l’arrestation et de la condamnation d’activistes pour les faits considérés – en dépit du doute de certains enquêteurs locaux sur leur implication et culpabilité –, puis élargis quelques années après pour des prétextes de procédure.
On lira donc avec intérêt les conclusions de l’observateur-acteur que fut le commandant Laraich, dont les enseignements et les doutes qu’il a tirés de ses observations et recherches.
Son témoignage fournit également des informations sur le contexte général de la mouvante nébuleuse terroriste du Pakistan et sur les divers aspects de sa mission dans la tentaculaire et complexe Karachi, capitale du Sindh.
Si son récit apporte des renseignements significatifs et utiles sur l’attentat contre les personnels français de la DCN, il n’a pas pu mettre à jour tous les arcanes de l’affaire, compte tenu d’un contexte particulier et difficile.
Les vrais responsables de l’attentat n’ont pas été identifiés. Le seront-ils un jour ?
Albert Winnick,
Commissaire divisionnaire honoraire
Délégué du Sctip
Ambassade de France, Islamabad
Pakistan : 1992-1999
Il fait chaud, avec un taux d’humidité maximum rendant l’atmosphère étouffante. La sueur se libère d’un coup sur nos visages, imprègne nos vêtements et nous rend aussi luisants qu’une prairie imbibée de rosée du matin. C’est une chaleur qui nous étreint la poitrine lorsque l’on surgit de la pénombre de l’aéroport climatisé, dont l’air tiédi est balayé par d’énormes ventilateurs accrochés au plafond, ronronnant faiblement.
À l’extérieur, la lumière nous accueille si violemment que nous sommes contraints de protéger nos rétines de nos mains. Je remarque cependant la présence de mes futurs collaborateurs.
Le plus âgé brandit un écriteau portant les lettres SCTIP. C’est Jérôme, mon chauffeur, accompagné de Norbert, mon futur assistant. Tous deux, vêtus à l’occidentale, détonnent au milieu d’une foule bigarrée, composée de femmes, d’hommes, d’enfants, en costumes traditionnels pour la plupart, venus attendre un proche, un homme d’affaires ou un officiel.
Mon épouse à mes côtés, traîne une valise et son sac à main ; notre fille âgée de 16 ans est uniquement préoccupée du bien-être de son chat siamois emprisonné dans sa cage depuis bientôt vingt-quatre heures.
Nous ouvrons une nouvelle porte vers un monde qui va nous surprendre tant en bien qu’en mal. Le Pakistan ne manque pas de m’intéresser par sa culture ancestrale et le cosmopolitisme de sa population. Le brassage des races a enrichi ce peuple, mais n’a pu malheureusement lui donner une certaine cohésion ethnique et religieuse, ce qui aujourd’hui encore constitue un handicap majeur à la vie de tous les jours.
À mon arrivée à Karachi, je suis passablement fatigué. Le voyage a été long et je n’ai pas fermé l’œil de la nuit, bousculé par des réflexions répétitives.
8 h 45
Une fois à bord du véhicule 4x4 de l’antenne, Jérôme nous conduit à notre futur domicile par l’avenue Sharah Fayçal, qui traverse tout Karachi du sud-est au nord-ouest.
Karachi et Islamabad évoquent pour moi l’Orient, les épices, les maharadjahs, les tigres et tout cet univers particulier, chargé de sentiments, d’émotions et de mystères que j’ai éprouvés du haut de mes dix ans en regardant les films hollywoodiens des années 50.
Je savoure ces premiers instants. Mes yeux balayent le trajet et mes oreilles souffrent déjà des klaxons stridents et incessants qui nous accompagnent pendant les trente minutes que dure le transport jusqu’à mon futur domicile.
Les voitures zigzaguent dans tous les sens, sans aucune règle déterminée, disputant le bitume aux bus multicolores, aux charrettes à bras et autres cyclomoteurs. Les piétons sont de la bataille et s’enhardissent à traverser, sans aucune précaution pour éviter de se faire tuer, cette grande artère sur laquelle nous circulons.
Les motos curieusement sont toutes des modèles des années 60, préférées par les familles, car autorisant, par leur conception, la possibilité de transporter jusqu’à… six personnes.
Curieux spectacle que de voir passer ce genre d’usagers de la route, avec les sharwal-kamis (pantalons et chemises) flottant en volutes tout autour d’eux. Toutes ces innombrables motos ont l’apparence de lucioles diurnes qui virevoltent dans tous les sens et disparaissent au milieu des gaz d’échappement. La ville est excessivement polluée ; un brouillard épais l’enveloppe et ne se semble pas vouloir se dissiper.
Durant le parcours, nous observons l’architecture des maisons. Elles sont faites de cubes de moellons, parfois seulement crépis, parfois peints. Peu de toitures avec des tuiles rouges. Uniquement des terrasses sur lesquelles on aperçoit du fer à béton encore érigé à l’angle des murs. Sans doute prêt pour une élévation future de la bâtisse ou tout simplement pour éviter de payer des taxes pour une maison achevée.
9 h 30
Notre quartier
Le contraste est encore plus saisissant lorsque nous arrivons dans le quartier appelé « Defence V » où se situe notre future résidence. Ces nouveaux quartiers au nombre de 7 sont pour la plupart réservés aux militaires de hauts rangs, mais aussi aux personnes fortunées. Les maisons sont immenses, bien souvent bâties sur deux niveaux, collées les unes aux autres, ornées parfois de très hautes colonnes extérieures, entourées de hauts murs cerclés de fil de fer barbelé.
Jérôme me désigne un homme, près d’un portail, qu’il ouvre à notre intention. « C’est Latif, le gardien ». Administrativement parlant, il est appointé par le SCTIP.
Il me regarde, interrogateur. Je l’observe aussi. Je note le sourire triste qui anime son visage et qu’il ne perdit jamais durant mes trois années vécues à Karachi. Il est grand, ce Cachemiri, âgé d’une quarantaine d’années, mince et la peau cuivrée. Il ne m’a jamais déçu, ce gaillard, qui vit sans sa famille restée au Cachemire. Dans son regard, je crois discerner une certaine peine intérieure qui le torture. Quelques mois plus tard, je le verrais s’effondrer en larmes lorsqu’il dira adieu à mon épouse, et ma fille qui retournent en France, suite aux événements du 11 septembre 2001.
9 h 40
De l’extérieur, elle ne ressemble pas aux énormes bâtisses aperçues sur notre trajet. Elle est haute, grise, sans aucun charme particulier ; un jardin ridicule avec des bougainvillées le long du mur d’enceinte.
L’aventure commence vraiment. Au milieu de nos réflexions, nous entendons s’élever l’appel à la prière du muezzin nous confirmant, si besoin est, que nous sommes au Pakistan, en pays musulman.
12 h
Pendant que mon épouse et notre fille commencent à s’installer, je rejoins Latif dans le jardin, une façon pour moi d’apprendre à le connaître.
Il m’explique qu’à cause du chômage et de la guerre sévissant au Cachemire, il est contraint de venir à Karachi pour essayer de rendre la vie plus agréable à ses proches, vivant là-bas à plus de deux mille kilomètres.
J’apprends seulement qu’il existe une guerre dans une province située dans le nord-est du Pakistan, le Cachemire, dont l’Inde revendique une partie du territoire. On ne se dit pas grand-chose ce soir-là. On parle de banalités, de sa vie actuelle, de sa vie de famille. J’apprends qu’il est au service du SCTIP depuis de nombreuses années.
7 janvier 2001
8 h 30
Après une nuit de sommeil, à peine réparateur, je quitte la maison avec Jérôme, venu me conduire à mon bureau au consulat général de France : une villa vieillotte sans âme sise 12/A Mohammad Ali Bogra Road, dans le quartier de Bath Island.
Après avoir pris possession de mon bureau situé à l’étage, je remarque celui de Patrick Amalvy, en vacances en France. Norbert partage son activité de secrétaire entre nous deux. Je me présente rapidement au personnel local chargé de certaines tâches administratives comme la délivrance des visas. Je rencontre également les gendarmes français assurant la sécurité des locaux, mais aussi les autres fonctionnaires français, dont le consul Julien L., chef du service des visas et des agents locaux, de J. C. du bureau d’ordre responsable de la tenue des dossiers relatifs au personnel, mais aussi de l’état civil.
Une fois ces prises de contact terminées, je rejoins mes locaux. Je rédige ensuite un courriel à ma centrale de Nanterre pour informer de la prise de mes fonctions, signaler ma présence à mon poste d’affectation.
Ces petites tracasseries administratives achevées,je téléphone à mon chef de service, le commissaire divisionnaire Jean-Jacques B. basé à Islamabad, pour me présenter et signaler ma présence.
Il est secondé par le commandant Christian M., officier de liaison de la DST, du lieutenant Gaston S., responsable de la formation en matière de détection de faux documents et du brigadier-chef Gilles P., le secrétaire.
L’antenne de Karachi, dont je suis le chef, est sous sa responsabilité. Je suis pourtant seul à y travailler avec une autonomie quasi totale dans une ville de quatorze millions d’habitants.
Je lui fais part de mon inquiétude quant à ma mission, et sollicite son point de vue. Je me doute de ce qu’il attend de moi. Il connaît parfaitement mes états de service et n’ignore pas dans quels domaines se situent mes compétences. Il sait aussi que j’ai peu d’expérience en matière de luttecontre le terrorismeet de renseignement politique, ce qui n’est pas le cas du renseignement criminel.
Préalablement à l’affectation d’un fonctionnaire dans un pays, son agrément est demandé tout autant aux autorités locales qu’à l’ambassadeur de France, lesquels n’ignorent rien de ses états de service.
Il souhaite ma venue le plus rapidement possible pour me communiquer quelques lignes directrices. Karachi est connue comme la ville de tous les dangers et la pouponnière des soldats d’Al-Qaïda. Je ne mettrai pas longtemps à comprendre qu’il a raison.
Je reste pensif. Je n’ai aucune idée de la façon dont je dois aborder ce sujet, tellement sensible, d’actualité. Norbert n’en sait pas plus que moi (en raison de la confidentialité nécessaire en la matière, il ne peut être mis au courant des renseignements obtenus ni participer directement ou indirectement à tout entretien avec des spécialistes de la lutte antiterroriste).
Mon prédécesseur Michel ne me laisse aucune instruction dans ce sens. Internet n’est encore pas très en usage. Nous ne nous sommes jamais vus avant pour la « passation de pouvoir ».
Je cherche le fil d’Ariane qu’aurait laissé mon prédécesseur, mais rien ; très honnêtement, je ne me souviens pas avoir trouvé de la documentation concernant le terrorisme au Pakistan. À sa décharge, ce n’était pas son rôle. Et puis, d’un autre point de vue, cela ne m’enchante guère de rencontrer l’Intelligence Bureau, service équivalent à la DST française, que je savais exister avant même que je n’arrive à Karachi. Je n’étais pas habilité à les rencontrer. Il fallait vraiment un événement important pour que je puisse me substituer à mon collègue Christian M. et être autorisé par le service lui-même à le rencontrer. Donc pas possible.
Étant fataliste par nature, je finis par me dire « qui vivra verra ». En attendant, je procède au marquage de mon territoire et à la préparation de plans d’attaques. Je fais donc l’inventaire des tiroirs de mon bureau pour tenter de trouver un indice qui peut m’aider. Pas grand-chose.
Dans le coffre, Beretta 92 FS et de nombreuses cartouches. Cela me surprend. Ce n’est pas non plus dans les habitudes de ma direction de fournir des armes. Cela dénote la possibilité d’avoir à se défendre en cas d’attaque. Le danger existe et il semble bien réel. Le pays sent la poudre et nul besoin d’avoir plus d’informations pour comprendre l’utilité d’une telle arme dans le coffre. Elle ne me quittera plus jusqu’à mon départ du Pakistan. Mais je sais aussi que je ne pourrais guère m’en servir utilement si je faisais l’objet d’une attaque terroriste. Cela me rassurait, c’est tout.
Revenu du déjeuner, Norbert, notre secrétaire, m’informe que le consul général souhaite me rencontrer.
Tout autant que l’ambassadeur de France, il est destinataire de mon cursus professionnel. Il souhaite donc que nos futures relations professionnelles soient transparentes. Enfin, il me demande d’approuver une réunion de service qu’il compte remettre au goût du jour, chaque semaine, avec l’officier de liaison de l’OCRTIS, Patrick Amalvy et le consul. D’autre part et en fonction de la nécessité, voire de l’urgence, une réunion de sécurité pourra se tenir au pied levé à laquelle participeraient tous les représentants français, des établissements privés et publics qui travaillent à Karachi, de même que les gendarmes et les chefs d’îlots. Ces derniers en majorité expatriés demeurent dans des quartiers où sont logés nos nationaux.
En cas de problème majeur, d’alerte ou d’évacuation, c’est eux qui diffusent auprès des citoyens. Leur rôle est important, car bien souvent ils sont les seuls à savoir où habitent les expatriés immatriculés au consulat général. À cette fin, ils doivent constamment connaître la position de chacun.
8 janvier 2001
Le lendemain matin, Jérôme m’accompagne à l’aéroport Muhammad Ali Jinnah en empruntant l’avenue Sharah Fayçal déjà fortement encombrée. J’embarque dans un Boeing 747 qui atterrit après 1 h 45 de vol, sur l’aéroport d’Islamabad.
Gilles P. accompagné du chauffeur de la délégation m’accueille pour me conduire dans les locaux du SCTIP situés à l’Ambassade de France, construite dans l’enclave diplomatique G5 non loin de l’ambassade américaine et du ministère des Affaires étrangères. C’est un immense bâtiment qui donne l’apparence d’être un blockhaus. Il est haut, avec, pour raisons de sécurité, peu d’ouvertures donnant sur la voie publique. De larges escaliers mènent au parvis de l’ambassade. De très hautes baies vitrées couvrent la façade. Une fois dans l’immense hall, nous sommes sous la surveillance du gendarme, posté derrière une large vitrine blindée. Il assure le filtrage et l’ouverture électrique des portes menant à la chancellerie diplomatique.
12 h
Nous passons devant « l’aquarium » pour rejoindre les bureaux du SCTIP, situés au rez-de-chaussée. L’Attaché de Sécurité intérieure Jean-Jacques B. Les cheveux roux ondulés, la cinquantaine et une allure de dandy.
Son sourire est engageant et je m’en félicite. Je lui relate brièvement ma première journée à Karachi, partagée avec quelques membres de la communauté française et ma rencontre avec le consul général.
Je lui fais part de mon étonnement concernant la multiplicité des restaurants où se pressent les Pakistanais en compagnie de leur famille. Je pensais trouver un pays, une ville effrayée par la présence des terroristes et cloîtrée chez elle. Au lieu de cela, je constate partout des gens vivant librement vêtus à l’Occidentale et semblant totalement différents de l’image que nous en avons à l’étranger.
Il me répond que l’apparence est parfois trompeuse. Mais ce qui est vrai à Karachi ne l’est pas à Islamabad où il n’est pas possible de remarquer une telle liberté dans la tenue vestimentaire.
Il me met largement au courant de la situation dans le pays, mais aussi des procédures à respecter dans la transmission des informations tant au niveau de la centrale à Paris qu’à la délégation à Islamabad. Dans un pays comme le Pakistan, la confidentialité est de rigueur.
La valise diplomatique n’est pas une valise comme le commun des mortels peut le supposer. Il peut tout aussi bien s’agir d’un sac postal que d’un container. Elle voyage accompagnée d’un ordre de mission. Un scellé est apposé dessus et nul ne peut l’ouvrir. Il n’est pas question non plus de la faire passer aux rayons X.
Toutefois, « si les autorités compétentes de l’État de résidence ont de sérieux motifs de croire que la valise contient d’autres objets que la correspondance, les documents et les objets visés, elles peuvent demander que la valise soit ouverte en leur présence par un représentant autorisé de l’État d’envoi » (Convention de Vienne de 1963, art.35.3).
Je comprends aussi que mon travail est multiple et complexe. Je suis chargé de la lutte contre l’immigration clandestine sans exclure les événements, qui se déroulent dans le pays. Toute enquête, toute information sensible pouvant avoir un rapport avec la France doit être portée à l’attention de notre gouvernement. Je comprends plus tard la signification précise de ces propos.
Le Pakistan est très turbulent. Je comprends bien mieux lorsqu’à tour de rôle mes collègues m’expliquent.
Le temps filait et le chef me sort de mes pensées pour aller à la rencontre de l’ambassadeur.
D’autre part, je n’ai pas envie d’enregistrer toutes les données techniques que Jean-Jacques B. me communique. Je n’insiste donc pas trop et ne pose aucune question. Je ne connais pas l’histoire du pays. Difficile d’intervenir dans ce cas. Je me fie cependant à mes capacités d’adaptation dans ce monde nouveau que je découvre peu à peu. Je sais que je finirai fatalement par avoir une idée plus précise de ce qui se passe dans le pays et la région.
Je n’imagine pas à cet instant que quelques mois plus tard je recevrai une information qui allait dramatiquement modifier le destin de nombreuses personnes.
La secrétaire de l’ambassadeur l’informe de notre présence.
Il ouvre la porte de son bureau pour nous accueillir avec bienveillance. Je remarque d’emblée le son de sa voix légèrement rocailleuse et traînante.
Assis sur les sofas meublant son vaste bureau, nous échangeons brièvement sur tout et sur rien, puis la conversation devient plus technique. Après m’avoir avoué qu’il parle parfaitement l’urdu et qu’il est bien introduit dans le paysage politique du pays, il me fait un rapide déroulé de la situation actuelle. Si elle est si trouble, ce n’est pas hasard. Et nous ne sommes qu’en janvier 2001.
Son discours sur la politique du Pakistan ne m’apprend pas grand-chose de plus que ce que j’ai déjà du délégué. Je retiens simplement ce qui intéressera mon travail. C’est-à-dire le comportement des religieux entrés dans la danse en souhaitant un retour à l’islamisation en favorisant l’application de la charia dans le système juridique.
Parallèlement, avec l’appui des Américains, Zia ul Haq soutient les moudjahidin afghans contre les Soviétiques. Autant d’éléments qui auraient pu lui valoir la reconnaissance des religieux, mais, il en est autrement.
Après sa mort, supposée accidentelle, en 1988 dans un accident d’hélicoptère et après de nouvelles élections, Benazir Bhutto du PPP, devient Premier ministre. Le pays est confronté aux nombreuses émeutes interethniques, au problème de l’Afghanistan occupé par les Russes, aux sempiternelles tensions avec l’Inde et aux hésitations de l’armée, celle-ci ayant les plus grandes difficultés pour garder sereinement le pouvoir qu’elle perd deux ans plus tard au profit de Nawaz Sharif, ex-gouverneur du Pendjab. Ce dernier, à l’instar de Bhutto, face à son incompétence supposée, aux accusations de corruption et de népotisme, est démis de ses fonctions.
Benazir Bhutto revient, au pouvoir, après de nouvelles élections en 1993, dans un climat économique favorable grâce à l’intervention de Moin Qureshi, ex-président de la Banque mondiale.
Bhutto se rapproche de plus en plus des Américains tout en continuant le programme nucléaire que les Indiens refusent d’accepter avec le « sourire », et pour cause : ce n’est pas fait pour normaliser les relations.
Ses dons de conteur facilitent grandement la compréhension du sujet. Je n’ai donc aucune peine à suivre son exposé, approuvé de temps à autre par un hochement de tête de l’attaché de police.