Tyrannie intrapsychique - Fernando de Amorim - E-Book

Tyrannie intrapsychique E-Book

Fernando de Amorim

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Beschreibung

À partir de l’étude de trois discours – religieux, sociétal et scientifique – le docteur Fernando de Amorim, psychanalyste, met au jour des arguments en faveur d’une psychanalyse scientifique. Sa démonstration souligne le gonflement de l’Imaginaire et repère les organisations intramoïques – résistance du Surmoi et grand Autre non barré – à l’œuvre dans le versant tyrannique de ces trois discours. Le Moi tyrannique est envisagé en tant que volonté de pouvoir, de conquête, de vengeance, de soumission, de destruction à l’encontre de l’autre, son semblable.

L’auteur articule sa démonstration à la lecture de textes sacrés en ce qui concerne l’étude du discours religieux, de textes de dictateurs pour le discours sociétal et de textes de scientifiques et philosophes des sciences aux fins d’examen du discours scientifique.

L’ensemble des textes étudiés permet ainsi, d’une part, de démontrer comment la psychanalyse intervient pour désamorcer la Tyrannie intrapsychique et, d’autre part, d’envisager la scientificité de la psychanalyse en délimitant sa méthode et ses techniques spécifiques.


Lucille Mihoubi

À PROPOS DE L'AUTEUR



Fernando de Amorim, psychanalyste, développe et revisite les concepts et les techniques freudo-lacaniennes. Il est l’auteur de Le transfert dans la clinique psychanalytique des malades organiques (2000), Cartographie de la clinique avec le malade organique, corporel et psychique à l’usage des médecins, psychistes et psychanalystes en institution et en ville (2004), Projet pour une psychanalyse scientifique (2015). Le Manuel de psychanalyse du RPH-École de psychanalyse a vu le jour sous sa direction (2023).

Il enseigne et transmet la psychanalyse au sein de l’école du RPH. Il a créé la Consultation Publique de Psychanalyse (CPP), puis le Service d’Écoute Téléphonique d’Urgence (SETU ?).

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ISBN : 978-2-38625-057-6

RPH - Éditions

Paris, mars 2024

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit, est illicite et constitue une contrefaçon, aux termes des articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Fernando de Amorim

Comité d’édition coordonné par Lucille Mihoubi

Tyrannie intrapsychique

L’auteur remercie chaleureusement Lucille Mihoubi, Édith de Amorim et Laure Baudiment pour leur lecture critique, leurs critiques judicieuses et bienveillantes.

« Alors qu’aux yeux de tous l’humanité traînait sur terre une vie abjecte, écrasée sous le poids d’une religion dont le visage, se montrant du haut des régions célestes, menaçait les mortels de son aspect horrible, le premier, un Grec, un homme, osa lever ses yeux mortels contre elle, et contre elle se dresser. »

Victoire d’Épicure sur la religionLucrèce, De la nature, Livre premier

INTRODUCTION

Cet ouvrage a pour objectif premier la construction et la mise en place d’arguments pour une psychanalyse scientifique.

La psychanalyse a un objet d’étude : le désir. En opérant avec cet objet – et grâce au désir du psychanalysant et au transfert porté, voire supporté, par le clinicien dans la position d’objet petit a – la pensée désirante, la parole désirante, produisent l’action désirante. Cette action, l’éthique du sujet, est une construction, conséquence du respect – par le psychanalysant – et du maniement convenable et correct – par celui qui occupe la position de supposé-psychanalyste –, des techniques et de la méthode psychanalytique.

Le lecteur doit avoir à l’esprit que, lorsque le clinicien reçoit un malade ou un patient en institution ou en ville, alité ou sur le fauteuil, il – le clinicien, même s’il a le droit de se dire psychanalyste – occupe la position de psychothérapeute.

Dans la position de malade (alité, en institution) ou de patient (sur le fauteuil, en institution ou en ville), l’être n’est pas encore mûr pour produire les effets transformateurs propres à une psychanalyse. Donc, toute amélioration du malade ou du patient est due au transfert imaginaire et non à la castration symbolique, ce qui annule toute tentation d’évaluation d’une psychanalyse proprement dite, à savoir celle où l’être, à l’entrée, se trouve dans la position de psychanalysant, et qui, à la sortie, se trouve dans la position de sujet (Cf. Cartographie du RPH en annexe).

La théologie n’est pas une science parce que son objet d’étude – Dieu – est inaccessible. La politique n’est pas une science parce que son objet d’étude – la société organisée – est extrêmement diversifié et il est donc impossible d’y trouver un dénominateur commun.

Quand l’objet d’étude est une invention humaine (Dieu) qui vise la généralisation (sociologie, politique, statistique), il n’est plus possible de parler de science, mais de tentatives du Moi de scientifisation duRéel.

L’astronomie n’est pas une science parce que son objet d’étude – les astres – est inaccessible. Et pourtant, le lecteur remarquera que ce n’est pas l’inaccessibilité des astres qui empêche les astronomes d’observer et calculer les trajectoires et ainsi prévoir le passage de la comète de Halley. Ce n’est donc pas l’observation qui fait la science, mais le calcul pour prévoir où la comète se trouvera dans l’avenir. La géométrie est une science, car elle peut faire cette prévision. L’avantage pour l’astronome est que le calcul géométrique est possible parce qu’une comète ne souffre pas les interventions de la gravité, du désir de l’Autre sans barre (A), de l’Autre avec barre ou l’Autre barré (Ⱥ), car la comète n’est pas vivante, à l’inverse de l’étude biologique d’un mammifère, et qu’elle – la comète – ne parle pas, à l’inverse de l’être humain.

Même si en psychanalyse l’être parle, ceci n’est pas suffisant pour faire clinique psychanalytique en particulier, et science en général. Dans une psychanalyse, parler n’est pas suffisant, comme pour l’astronome observer n’est pas suffisant. Parler est important, même la parole vide est importante, cependant, c’est la parole pleine, quand le Moi est parlé, c’estàdire quand le champ du Moi est traversé par l’Autre barré, qui fait que la psychanalyse se démarque d’une psychothérapie.

La grille de lecture de l’étude d’un phénomène ne peut pas être utilisée pour tous les phénomènes étudiés ni pour toutes les disciplines candidates au statut de scientifique. C’est la différence entre la science selon Aristote et la science selon Platon et Descartes.

Est-il possible d’utiliser la même grille qui évaluera la scientificité d’un phénomène en astronomie et en physique, pour ainsi reconnaître, à partir de cette même grille de lecture, le statut de science à la biologie ou à la psychanalyse ? Répondre par l’affirmative conférerait à une telle logique un statut procustien.

C’est le phénomène, sa répétition, qui poussera le scientifique à faire science. En revanche, il est tout à fait possible d’étudier un astre grâce à l’instrument télescope tout comme étudier un virus grâce à l’instrument microscope et, d’ainsi, changer la relation de l’homme auRéel.

Concernant une psychanalyse, il est possible de changer la voie du désir à partir de l’interprétation donnée par l’être dans la position de psychanalysant.

Le discours tyrannique est propre aux organisations intramoïques et le Moi tyrannique porte ce discours dans la religion, dans la famille, dans la science. Le tyran religieux ne représente pas la religion, le tyran sociétal, représenté par le mâle de la horde familiale, ne représente pas la société, le tyran scientifique ne représente pas la science.

I. – DISCOURS RELIGIEUX

La religion, incarnée selon mon hypothèse par le grand Autre non barré, est-elle une invention fantasmatique ou délirante du Moi pour manipuler l’autre, son semblable ? Est-elle une invention du Moi pour se dédouaner de ses responsabilités éthiques ?

Fig.1

Le « A » en majuscule (en vert) dans la figure ci-dessus représente le grand Autre non barré (A). Il est la concentration des petits points verts qui représentent la résistance du Surmoi. Le cercle ovoïdal représente le Moi. Le « a » représente une partie du Moi. C’est avec cette partie que l’être parle, regarde, sent, entend, consciemment.

La responsabilité suppose-t-elle castration du Moi (a) envers l’autre (a’, son semblable), soimême (ⱥ), et les autres parties de l’appareil psychique (les autres parties, conscientes et inconscientes du Moi, les organisations intramoïques, le Ça, le Surmoi), son corps, sa vie ? La religion est-elle une stratégie imaginaire du Moi pour supporter le Réel ou pour dominer l’autre, son semblable ? J’y reviendrai plustard.

L’Avesta, selon la traduction de Charles de Harlez, est le résultat de la « réforme religieuse due à Zoroastre (forme hellénisée de Zarathoustra) »1. La relation, et non le rapport, du Moi avec les Dieux ou un Dieu monothéiste, je la représente par le schéma ci-dessous :

Fig.2

La relation est du registre de l’Imaginaire, le rapport est de l’ordre de l’impossible.

Il est à remarquer la présence du Moi fort dans le texte : « VII-15. J’exhorte, Moi Zarathustra, les principaux des Nmânas, des hameaux, des tribus, des régions, 16. A conformer leurs pensées, leurs paroles, leurs actions à cette loi, loi d’Ahura, loi de Zarathustra. »2 Il est possible de lire à la fin du livre la note suivante : « On se pose la question de savoir si ces paroles sont bien de Zarathoustra et ont été conservées par la tradition, ou si elles ont été mises dans la bouche du prophète par le rédacteur du Yaçna. »3 Je pense qu’il importe peu de savoir si c’est Zarathoustra ou le rédacteur, car dans les deux cas on reconnaît le Moi cerbère de l’Autre non barré qui indique l’injonction suivie par les croyants. L’Autre (A) impose l’injonction au Moi (a), la résistance du surmoi l’applique sur le Moi. Dans les deux cas, le Moi aliéné (a) est le cerbère qui exécute l’injonction sur l’autre (a’), son semblable. L’autre cas de figure se présente quand la résistance du surmoi ou l’Autre non barré prennent à partie, par un processus inconscient, une autre partie du Moi (aη). C’est ici qu’il est possible de reconnaître la punition et la culpabilité.

L’orgueil du Moi lui fait dire : « Je vous offre toutes les joies de la vie. »4 Le Moi a-t-il les moyens d’offrir vraiment « toutes les joies » ou est-ce un discours imaginaire ? Bien entendu ce n’est pas une ruse puisque l’immense communauté humaine croit, parfois ils sont mêmes sûrs, qu’une entité supérieure, ou inférieure, participe, voire détermine leur existence, qui est à distinguer de leur vie. Dans une existence, le Moi circule dans le champ de l’Imaginaire dégonflé et du Symbolique dansant ; dans une vie de Moi, comme quand se dit une vie de chien, l’expérience humaine se déroule dans une lecture imaginaire du Réel. Les sens du Moi sont, dans cette expérience, aliénés.

Au commencement existe le verbe. Je n’utilise pas « Au commencement était le verbe » pour éviter toute association au prologue de l’évangile selon Saint Jean. Le verbe est incréé, pour utiliser une discussion sur le coran chez les musulmans et pour signaler que le Moi n’a pas accès à la création du verbe, il la subit. C’est la volonté de pouvoir d’une des parties du Moi qui le pousse à gonfler le phallus imaginaire, en forme d’orgueil, et à chercher et inventer des questions liées aux origines, pour éviter de reconnaître le manque qui structure savie.

Cette logique moïque se trouve aussi dans la lecture botanique – « Quelles sont vos racines ? » – ou zoologique – « Il a les yeux de son père ! » – que font quelques médecins et psychistes (psychiatres, psychologues, psychothérapeutes) et même des analystes.

Un être humain n’a pas de racine puisqu’il n’est pas un arbre, il n’a pas les yeux de son père, il a ses yeux à lui, même si je reconnais la dimension génétique de son père en lui. Quant à l’Autre non barré (A), il est créé. Cela veut dire que le Moi ne connaît pas l’origine du mot, donc il invente. Le Moi ne construit pas un subterfuge pour exister, il invente une vie portée et nourrie majoritairement par le discours imaginaire.

À la sortie d’une psychanalyse, l’être s’appuie et construit sa lecture de l’Imaginaire et du Réel à partir du Symbolique.

Dans l’Avesta, il est écrit : « Les esprits célestes et les Dévas cherchent à gagner la faveur d’Ahura-Mazda. Celui-ci rejette les Dévas et proclame la criminalité de leurs œuvres. Bonheur réservé aux justes ; châtiments des méchants. »5

Avant de commenter le texte, il me semble nécessaire de faire quelques remarques : chez les Iraniens, Dévas est le nom générique des démons ou génies adversaires d’Ahura-Mazda, ce dernier étant la divinité principale du mazdéisme, la religion de la Perse antique. Si un tel discours, comme les discours dans les religions monothéistes et autres, fait fonction de conte de fée religieux pour faire peur aux enfants et contenir les pulsions des non-adultes – les majeurs –, je n’exclus pas la fonction de béquille de la religion pour leMoi.

Le Moi est une instance psychique et non un être adulte et responsable de sa parole, de ses actes et de sa vie. La religion ne rend pas un être adulte, elle sert les intérêts des organisations intramoïques, car le Moi, en étant religieux, ne décide pas, ce qui l’épargne de la castration. En ne rendant pas adulte le Moi, l’opération d’aliénation religieuse évite au Moi de devenir responsable de sa propre vie et de construire son existence.

Le lecteur remarquera que le problème n’est pas la religion, mais l’usage que fait le Moi de la religion en général et de son Dieu en particulier.

Les relations humaines, pour la grande majorité des êtres parlants, s’appuient sur des références zoologiques ou botaniques. Cette exclusion de l’Autre barré freudo-lacanien (Ⱥ) nourrit le racisme, la victimisation, le terrorisme. Le Moi ne souhaite pas la castration symbolique. La Loi symbolique est née à partir de la théorisation psychanalytique. La psychanalyse n’a aucune chance de réussite collective quand il est possible de lire que « Les lois données au monde primitif régissent toute chose »6. J’interprète le monde primitif comme étant une représentation de ce qui pourrait être aujourd’hui reconnu comme les organisations intramoïques, à savoir la résistance du Surmoi et l’Autre non barré. Ainsi, j’interprète que la manière de contenir les pulsions du Ça, à un moment de l’histoire de l’homme, était de créer des religions, des régimes autoritaires ou des lois dictées au Moi mais élaborées à partir de l’Autre non barré, voire par la résistance du Surmoi. Des lois où « Le méchant sera puni et le bon récompensé »7. Dans une telle organisation religieuse de la société, « Le poète demande la science des lois et du culte divin et les biens promis aux justes. Il offre tout son être en oblation au ciel »8. Le poète ici c’est un Moi qui demande et qui offre tout son être. La relation imaginaire et le registre sacrificiel sont, dans ce cas de figure, au rendez-vous. Cet échange réciproque entre le Moi, soidisant poète, et le ciel, installe le premier dans une position d’égal, comme un Moigrenouille devenu cielbœuf, d’après la fable de La Fontaine. Dans une telle logique, il n’y a pas de castration, car il n’y a pas de don véritable, à savoir donner sans attendre d’autre objet que le rien en retour. Ce document religieux est animé par une logique très infantile. D’ailleurs, ce qui caractérise les majeurs – puisque je ne les considère pas encore en tant qu’adultes –, dans leurs relations avec les religions, c’est leur relation avec le bien et le mal, le bon et le méchant, relation qui est structurellement enfantine.

Il y a les mammifères humains (qui mangent, défèquent, parlent pour ne rien dire) ; les majeurs (qui mangent, défèquent et ont la majorité légale pour circuler sans l’autorisation de leurs parents) ; les adultes (qui mangent, défèquent, travaillent et parlent en s’accrochant à la loi morale) ; les sujets (qui mangent, défèquent et sont responsables de leur parole et de leur action envers eux-mêmes et envers l’autre). Et enfin, il y a les poètes qui, de leur position, ont un accès à l’Autre barré préférentiel, même si leur vie humaine vacille entre la position d’adulte, dans une sublimation supportable, et du désemparé qui termine en suicide ou en déchéance. Sans rentrer dans le débat de l’apocryphe platonicien ou aristotélicien – à savoir qu’il existe trois sortes d’hommes : les vivants, les morts et les marins –, même si, selon Diogène Laërce, cette formule appartient à Anacharsis, l’important ici est de mettre en évidence la fragilité de l’homme enmer.

Dans la position de poète, l’être accède à une intimité avec l’Autre barré, sorte d’accostage passager, qui en rend jaloux plus d’un. Le « Bon appétit messieurs » de Hugo, le « subitement une angoisse » de Pessoa, le « je est un autre » de Rimbaud, sont des exemples de ce que j’avance. Le poète ne compte pas parmi les vivants, parce que ces derniers ne savent pas ce qu’est être. Ils ne sont pas morts, évidemment, mais ils ne naviguent pas n’ont plus. Poète est une quatrième position de l’être.

Ainsi, quand de « poète », il passe à « Zarathustra-le-saint »9, je me suis demandé si c’est luimême qui écrit cela ou quelqu’un d’autre ? Ma conclusion est la suivante : pour s’autoriser à se présenter en tant que poète, saint ou analyste, il faut un Moi résolumentfort.

Quand il est écrit que « II-7 Zarathustra qui parle selon la loi (…) (V. XLIX. 6. 11) »10, j’interprète qu’il s’agit du Moi pris dans les griffes de l’Autre non barré, car c’est cet Autre non barré qui produit les injonctions tyranniques en religion (les autoritaires11 religieuses), en société (les dictateurs), en famille (les chefs familiaux).

Si l’Autre non barré décline ses injonctions selon la formule ci-dessous,

Fig.3

la religion nourrit la relation entre les membres de la communauté selon la figure ci-dessous :

Fig.4

Que le lecteur entende « communauté » comme rassemblement zoologique (troupeau12, tribu), ou interactions végétales avec des individus de même espèce ou d’espèces différentes.

Ce n’est pas par hasard que, sans l’avancée de l’être social, comme c’est le cas en France aujourd’hui, des pays, menés par l’idéologie de l’Autre non barré, animalisent les êtres en leur donnant un statut de « blanc », « noir », « latino », protestant, juif, musulman, catholique, chiite, sunnite…

Dans un tel contexte communautariste, a passe par A (3) pour dominer a’ (4). Pour dégonfler la relation imaginaire a ― a’ (1), le clinicien intervient dans la position de Ⱥ’ (2), pour appuyer l’effet de castration produit parȺ.

Fig.5

L’effet de cette opération psychanalytique est que l’intervention clinique (2 dans le schéma précédent) fait que le Moi (a) fait un tour de 180° sur lui-même, ce qui le pousse (5 dans le schéma suivant) à aller vers l’Autre barré lacanien (Ⱥ), le locus des signifiants. En revenant de son voyage (6), ce qui sortira de la bouche de l’être, en passant par le champ du Moi pour le psychanalysant lambda (a), voire en traversant carrément le Moi dans le cas du Moi du psychanalyste (ⱥ), aura plus de possibilité d’avoir le statut de vrai, selon la figure ci-dessous :

Fig.6

Une religion où le Moi honore

« Çraosha-le-saint…

2. Qui châtie les hommes impudiques, qui frappe les femmes impudiques (…) »13 semble indiquer que le Moi a trouvé un Autre non barré (Çraosha) pour honorer sa volonté à lui – au Moi – de, au nom de cet Autre, du saint, de la religion, satisfaire sa volonté à lui – au Moi – de puissance et de violence envers les fillettes, les femmes, les homosexuels, l’étranger…

Le Moi de Zarathustra et de sa religion a collaboré à l’enrichissement d’autres Moi dans le judaïsme, le christianisme et l’islamisme. La férocité de ce premier texte religieux se retrouve dans les trois autres propositions religieuses monothéistes et dans leurs branches (karaïsme, calvinisme, salafiste). Le Moi ne se gêne pas, en cherchant appui dans l’Autre, de « découvrir souvent ceux qui cherchent à nous nuire, 10. D’abattre ceux qui nous haïssent, d’écraser les adversaires puissants qui cherchent à nous nuire »14.

Le petit a, le Moi, l’aliéné nécessaire – celui qui fait foule, qui constitue la populace internautique qui dénonce et juge dans les réseaux sossiaux, avec deux ss – n’est pas de la taille du Moi gonflé de Zarathustra, car ce dernier « parle selon la loi (…) (V. XLIX. 6. 11) »15.

Le Moi qui fait foule, le Moi fort, installe une relation communautariste et invente une idéologie où la visée est de faire prospérer « ma maison, mon bourg, ma tribu, ma contrée, mon pays »16, au détriment de la maison du voisin de rue, de ville, de nation. En d’autres termes, sans méMoire, si le lecteur me permet de mettre en évidence la relation entre le Moi et la mémoire. Il – le Moi aliéné – obéit aux organisations intramoïques – la résistance du Surmoi et l’Autre non barré – en fixant dans sa partie consciente, sous forme d’écrit religieux, rituel sanguinaire comme la mutilation des parties du sexe des garçons et des filles, « pour que mémoire en soit gardée »17, le texte de ses maîtres, les organisations citées ci-dessus. Ces organisations n’ont d’autre visée que la destruction. Dire qu’une religion a comme visée l’amour est une idéologie du Moi pour attirer des adeptes, d’autres semblables, d’autres a’. Quant à la proposition de la psychanalyse – qui ne fait pas et ne veut pas faire le poids –, c’est que, par la castration, le Moi reconnaisse sa position limitée dans le monde.

C’est le Moi, et non pas une divinité, qui dit ou écrit :

« XV-67. Si tu les profères au terme extrême de la vie, ô Zarathustra,

68. J’élèverai ton âme, Moi qui suis Ahura-Mazda, (au-dessus) de l’enfer, à une hauteur »18.

Ou bien encore : « XVI-71. Tu seras comme tu le désires, ô pur ! »19

Et enfin, « Salut à celui qui donne tout à Ahura-Mazda, qui règne en maître »20.

Il me semble que la croyance, voire la certitude du Moi, en un tel conte de fées religieux, s’étendra à toutes les religions avec, comme fil rouge, un Autre en place de maître et les Moi (a) en place de moutons carnassiers ; moutons face au maître, carnassiers face à celui différent et désarmé, c’est-à-dire l’autre(a’).

Il faut une importante soif de sang et un goût pour le sadisme très affirmé pour amputer le prépuce d’un garçon ou coudre les lèvres génitales d’une fillette, tout comme pour tuer un prêtre ou insulter une belle jeune femme parce qu’elle porte une jupe ou parce que son père estjuif.

Si cette jeune femme se contentait d’être française, la haine de la populace ne s’abattrait pas sur elle. Mais un homme politique a dit qu’elle « est Française d’origine juive ». Je trouve ici l’illustration des effets pervers de former des jeunes à avoir un pied en France et l’autre dans le pays de naissance de leurs parents. Lecteur, tâchez de marcher à droite et à gauche en même temps et vous finirez par n’aller nulle part. Il faut revoir toute la copie de la vie en société des êtres parlants. Et vous avez, en France, les moyens les plus avancés pour écrire une page nouvelle de la vie humaine en société. Partez du principe que la langue française est votre étoile polaire. Elle peut guider l’être à construire un Moi castré, unique voie que je vois pour que l’être puisse supporter de vivre avec la différence de l’autre. Pour cela, il faut appuyer la laïcité dans ce beau pays qui est le nôtre.

Utiliser la religion de l’Autre non barré comme prétexte, la règle du Moi comme coutume, l’autoritarisme au nom de la tradition, la haine justifiée par la culture, l’habitude pour autoriser les mœurs, et les mœurs pour légitimer une telle lâcheté envers des êtres sans défense, ce sont là les indicateurs de la complaisance des majeurs – donc des non-adultes – entre eux, formant ainsi un groupement sociétal, à défaut d’une société, c’est-à-dire un groupement de mammifères hâbleurs, de majeurs parleurs, mais ayant le même trait commun, à savoir la servitude de leur Moi envers leurs organisations intramoïques.

L’enfant est structurellement sans défense. Évoquer la chance, ce sinistre « Si Dieu le veut », est la manière qu’a trouvé le Moi pour ne pas être responsable de construire son désir à partir de l’Autre barré, car cette construction ne se fait pas sans perte et sans reconnaissance de sa condition d’être manquant.

Quelques personnes, des femmes surtout, qui veulent défendre la cause féminine se trompent lorsqu’elles critiquent la société machiste, ou masculine. Cette société est guidée par le phallus imaginaire du Moi, gonflé par les organisations intramoïques. Une femme ne porte pas le nom de son père. Une femme porte un nom qui lui a été assigné par l’Autre barré, car le nom du père n’est pas le nom de son père, mais le nom que son père a reçu à sa naissance.

C’est pour cette raison que je nomme les défenseuses de la condition féminine les « défonceuses » de la condition des femmes ou des fenimixte. FeMEN est un signifiant qui interprète le mouvement en soi. Pour défendre la cause féminine, il faut d’abord être très intime du féminin. Et une femme ne défonce pas, ce n’est pas dans sa structure. Une femme castre puisqu’elle est très intime de la castration. L’être féminin n’est pas une condition de fille ou de jeune fille ni même de femme puisqu’il est tout à fait possible d’occuper ces positions sans être, ni même être, féminin. Le féminin est le propre de la castration, donc cette reconnaissance de sa nudité, de sa dépossession structurelle : « Tu es arrivé nu parmi nous, tu termineras poussière ! », c’est ma version à moi du Memento homo : « Memento homo, quia pulvis es, et in pulverem reverteris »21, après la chute d’Adam.

Pour saisir la condition féminine, il faut se saisir de l’Autre barré, incarné par la langue française, ce qui englobe la culture, l’éducation, l’agriculture, les arts, la technologie. La langue française est l’étoile Polaire de l’humanité. Ce statut intouchable, mais qui indique le Nord dans l’obscurité de votre existence, est dû au fait que la langue française absorbe. Elle est radicalement féminine, elle prend tous les signifiants et, telle une Marie-Madeleine, elle ne discrimine pas. C’est pour cette raison qu’il est impossible de diviser la France en communautés. L’unique communauté existante, c’est la communauté des amoureux de la langue française. Cette communauté traverse les frontières et n’a pas de couleur. En Europe, au Canada, chez les Africains, la langue française est cette étoile polaire qui humanise l’être et le délivre de la barbarie aliénée et aliénante de son Moi et de ses organisations intramoïques.

Il y a l’être qui naît – le mort ne compte pas – et parmi ces nés, il y a celui qui survit dans la misère de sa confrontation sans pitié avec le Réel, celui qui vivote et parle vide, celui qui vit et rumine des mots et, enfin, celui qui existe et parle pleinement pour produire une action.

Lacan définissait le sujet – c’est-à-dire selon l’auteur de ces lignes, l’ultime degré de la classification d’un être parlant – comme étant le signifiant qui le représente, qui représente le sujet pour un autre signifiant. Le féminin est le propre de la position de sujet. Les êtres féminins vivent la condition de sujet dès leur plus tendre âge ; or leur Moi est dégradé par les majeurs qui les entourent en les appelant pisseuses, sexe fragile, deuxième sexe, comme s’il en existait un premier.

Prises dans la folie meurtrière existentielle propre à l’Imaginaire, quelques malheureuses se sont engouffrées, en refusant leur anatomie ou en la gonflant par le biais de quelques chirurgiens. Il va sans dire que ces chirurgiens ne représentent pas la chirurgie esthétique, tout comme les policiers violents ne représentent pas la police.

La psychanalyse propose à l’être de construire son existence à partir de son rapport au Réel car vivre en refusant le Réel pousse à l’Imaginaire. Aucun être ne peut vivre sans Réel, mais pour suivre le discours de cette psychanalysante, elle a vécu sans Réel, ce qui l’a poussée vers l’Imaginaire. Elle a vécu dans un endroit où personne à l’école ne parlait le français, d’où sa phrase « vivre sans le Réel ». Vivre avec le Réel pousse l’être à la réalité. Le Symbolique vient apaiser l’être dans son rapport au Réel et à l’Imaginaire, pour qu’ainsi, il puisse supporter la vie, voire la danser, car danser avec la vie est synonyme d’exister.

En pleine crise sanitaire, des êtres sont fâchés parce que les autorités sont revenues sur leur parole. Il y a une semaine, le Premier ministre anglais promettait à ses concitoyens qu’ils auraient un Noël en famille, aujourd’hui ils seront obligés d’être confinés. Le Moi veut toujours avoir affaire à la relation imaginaire (a – a’), alors que l’existence est structurée sur le rapport du Moi au Réel (a – R). La psychanalyse propose, pour apaiser cette malheureuse instance structurellement aliénée qu’est le Moi, d’établir, entre la puissance écrasante du Réel et le Moi, l’Autre barré (Ⱥ ). Ce qui donnera :

Fig.7

Le Moi est enfermé dans sa coquille, l’Autre barré peut le protéger, un peu, du Réel. Ce dernier écrase le tout. C’est cela que le Moi du majeur parental ne comprend pas. Les majeurs ne préparent pas leurs enfants à être dans le monde en dansant avec le Réel et en comptant avec l’Autre barré. Ils munissent les jeunes avec la paresse ou, comme avait dit un professeur de psychologie : « Je munis les psychologues des armes de la psychanalyse ! » Ce qui m’avait fait dire : « Carnage assuré ! »

Penser que Tistrya, brillant, majestueux, s’avance vers la mer Vourukasha sous la forme d’un coursier, qu’il réunit les eaux de la mer ou les sépare, qu’il met la mer en mouvement ou la contient22, n’est pas sans évoquer Moïse ayant cette même compétence23. Ce qui m’intéresse ici, c’est de mettre en évidence la croyance, voire la certitude, d’un Moi aliéné dans une telle prouesse hydrotechnique.

Le Moi implore au génie Druâçpa « cette faveur », qui consiste à abattre « tous les Dévas » [démons adversaires d’Ahura-Mazda].

Le Moi du névrosé pose la question, mais sans entendre de réponse. Le Moi du psychotique pose la question et entend la réponse. Parfois sans avoir posé la question, le Moi du psychotique interprète avec certitude qu’un phénomène est la réponse attendue qui l’autorise au passage à l’acte :

« 121. Zarathustra lui demanda : Comment, O Ahura-Mazda, l’homme pur pourra-t-il manger des offrandes (…) »24.

« 122. Ahura-Mazda répondit : Qu’ils se lavent le corps trois jours et trois nuits, qu’ils (…) »25.

Comme je l’ai évoqué plus haut, quand il est écrit que « II-7 Zarathustra qui parle selon la loi (…) (V. XLIX. 6. 11) »26, j’interprète qu’il s’agit du Moi pris dans les griffes de l’Autre non barré, car c’est cet Autre non barré qui produit les injonctions tyranniques en religion (les autoritaires religieux), en société (les dictateurs), en famille (les tyranneaux domestiques).

Une autorité est une force décidée. Elle vient de l’Autre barré. Le Moi acceptera cette autorité ou non. Il acceptera s’il est castré, il n’acceptera pas s’il ne l’est pas. Dans ce dernier cas, il se moquera, se vantera, sabotera. L’autoritarisme vient de l’Autre non barré.

Dans l’autorité tyrannique du religieux, ce dernier prend la place du chef despotique et cruel, en abusant sexuellement de ses ouailles ou en les humiliant.

L’autorité domestique est représentée par les adultes qui entourent l’enfant. Cette autorité est respectée par les adultes entre eux aussi. La présence de l’Autre barré régit la famille.

L’autoritarisme du tyranneau domestique se caractérise par la volonté du Moi de contrôler les membres de sa famille. Quand les femmes ne travaillent pas et n’ont donc pas d’autonomie financière, elles sont dans une position de soumission qui ouvre l’appétit du Moi à tyranniser les femmes, les enfants de la maison. Les enfants sont les premières victimes de la jouissance de la tyrannie domestique du Moi. Le dictateur, quant à lui, est celui qui concentre le pouvoir politique entre ses mains.

L’objectif de ces commentaires est de mettre en évidence que le Moi matérialise dans la religion les organisations intramoïques pouvant ainsi justifier la haine de l’autre pour le jalouser, l’envier et, dans l’acte extrême, le détruire. À partir de l’Avesta, est-il pertinent de prolonger cette lecture du Moi aliéné aux autres religions qui suivront (les trois monothéistes, les annexes), jusqu’aux sectes les plus explicites, où les adeptes sont au service sexuel, financier et violent du Moi fort, incarné par le gourou ?

Le fait que le Moi de quelques personnes pense qu’il est possible d’ouvrir l’océan, qu’ils sont désignés par Dieu pour être leader et tuer en son nom, que la terre est plate, montrent qu’il s’agit bien d’une pathologie mentale. Laquelle ? Il est impossible de savoir sans examen. J’attends du lecteur qu’il puisse, a minima, être d’accord pour estimer que le Moi de ces personnes ne vont pas bien psychiquement. Névrose, psychose ou perversion n’entrent pas, pour l’instant, en ligne de compte. Le point qu’il me semble possible d’affirmer c’est que le Moi est soumis, dans ces cas de figure, à la puissance des organisations intramoïques qui l’habite.

Dans son livre L’Apocalypse dans l’Islam, Jean-Pierre Filiu écrit : « Le soupçon jeté sur des traditions trop imprégnées par la mystique juive (isra ’îliyyât) est aussi ancien que la science des hadith-s, mais la fatwa du cheikh Chaltout est à cet égard d’une grande clarté, qui confine à la brutalité. »27

Il est très étonnant de traiter le recueil des actes et paroles de Mahomet comme « science ». Le mot science donne une autorité à une parole suggestive, injonctive d’un personnage qui fait autorité à ceux qui y croient. La science, dans ce cas de figure, est une somme de connaissances qu’un individu possède. Or, aucun individu ne peut acquérir une science, il peut faire groupe pour étudier un bout du Réel. Je ne dissocie nullement le discours du Moi d’un religieux du Moi d’un dictateur.

Le Moi tyrannisé par ses organisations intramoïques impose la « “régence du juge religieux” »28, à ses ouailles.

Quand un auteur, A. A. Khodr « prétend user d’une méthodologie islamique pour mener des “études scientifiques et objectives” »29, il me semble pertinent de penser que le Moi gonflé – indépendamment de la structure –, est à l’œuvre.

Un mot encore à propos de la structure. Dans la clinique vraie, la structure en jeu sera examinée à partir du transfert. C’est à ce moment que le clinicien pourra savoir s’il s’agit d’une névrose, d’une psychose ou d’une perversion. Bien évidemment, cela ne concerne ni les textes religieux ni les commentaires de ces textes. Filiu évoque parfois des structures cliniques : « obsession »30,31 « vision paranoïaque »32, mais il ne me semble pas qu’il ait une visée clinique, surtout parce qu’il ne se présente pas en clinicien. Le Moi ignorant dans la névrose, le Moi délirant ou halluciné dans la psychose, ainsi que le Moi méchant dans la perversité perverse, ne pourra être tranché que « dans le transfert» 33,34

Ce texte de Filiu permet de mettre en évidence un « millénarisme idéologique »35, que j’interprète comme étant l’expression de l’Autre non barré. Dans ce cas de figure, je trouve un discours qui parle méchamment des mécréants, mais qui ne passe pas à l’acte. En revanche, c’est ce discours qui nourrit le Moi fort, par impulsion de la résistance du Surmoi, à tuer l’autre.

Un auteur, cité par Filiu, écrit que « quant à l’ultime apparition de l’Antéchrist, seul Allah en connaît le lieu (…) »36. Comment ce Monsieur sait-il que « seul Allah (…) » ? Ou bien il est quelqu’un de très privilégié pour connaître les plans de son maître ou il est très zinzin. En revanche, je m’autorise à faire l’hypothèse que ces dires viennent de l’Autre non barré et qu’ils traversent la bouche du Moi qui parle. S’il, par suggestion, trouve des ouailles, d’autres a (a1, a2, a3, aη…) pour le suivre, il deviendra l’incarnation de A non barré, car c’est l’objet que reconnaît le Moi, comme c’est l’enfant qui reconnaît le parent, de même comme c’est le sujet, après psychanalyse, qui reconnaît l’Autre barré.

Le livre de Monsieur Filiu est solide, cependant, le thème, lourdement pauvre, est teinté des citations d’auteurs étonnants par la qualité de leurs formulations : « “Puis il crèvera le ventre de cette femme et l’avorton tombera” »37, ou encore : « “L’Antéchrist représentera la pire épreuve qu’ait eu à traverser l’humanité. À côté de lui, les Néron, Hitler, Staline et autres Mao sont des nains, bien qu’ils aient été – à juste titre, eux aussi – considérés à leur époque comme autant de petits Antéchrists (…)” »38 et enfin : « “Dieu mettra les juifs en déroute et rien de ce qu’Il a créé ne dissimulera de juif en ce jour sans qu’Il le fasse parler, pas un arbre, une pierre, un mur, une bête qui ne dise : Ô serviteur de Dieu, ô musulman, voici un juif, viens le tuer” »39.

Il s’agit d’un thème et d’un discours porté comme un conte de fées pour adultes psychiquement atteints. Ce qui n’empêche pas de faire des ravages.

Bien évidemment, avec la crise sanitaire que nous traversons (nous sommes le 9. IV. 2020 et en plein confinement), les auteurs apocalyptiques ne se feront pas prier pour interpréter que « “(…) il y aura un effondrement social rapide et les gens commenceront à attendre le jour du Jugement” »40.

Le drame pour le Moi qui croit est que l’injonction de l’Autre non barré est sans issue : « “Car le jihad est une obligation [farîdha] jusqu’à l’avènement de l’Heure” »41.

Dans leur livre Psychanalyse et sciences humaines, Otto Rank et Hans Sachs intitulent leur troisième chapitre : « Science des religions »42.

Il me semble impossible de faire science des religions, même si je reconnais volontiers la fonction de ces dernières à être utilisées par les organisations intramoïques (résistance du Surmoi et Autre non barré) pour gonfler le Moi et renforcer l’Imaginaire, indépendamment du fait qu’il s’agisse du Moi d’un névrosé, d’un psychotique ou d’un pervers.

Loin de moi l’idée de critiquer les religions, car elles sont utiles au Moi pour que ce dernier s’aliène de sa vie et évite ainsi la castration nécessaire pour construire son existence.

Pour les deux auteurs cités ci-dessus, « La religion est précisément, comme tout produit du conflit entre l’inconscient et le refoulement, une formation de compromis »43.

Comme je l’avais déjà signalé, il est impossible de faire science des religions, même si je constate l’effort, à convaincre le lecteur, du codirecteur du document Le coran des historiens, Mohammad Ali Amir-Moezzi. Il évoque six fois le mot « scientifique » dans son interview dans Le Figaro magazine du 15-16 novembre2019.

Je ne critique pas les religions, mais il m’est possible de faire l’hypothèse que le Moi utilise la religion pour s’épargner des assauts des organisations intramoïques et que ces dernières utilisent le Moi avec son consentement pour, toujours au nom de la religion, détruire l’autre, son semblable, en le traitant d’étranger ou de mécréant.

Au début du XIIe siècle, mescreant définissait celui qui croit à une fausse religion. À partir du XVIIIe début du XIXe siècle, le mécréant devient celui qui a une religion autre que la chrétienne – considérée comme la seule vraie religion –, voire la personne sceptique, ou encore l’incrédulité en matière religieuse.

Le faux est généralement chez l’autre et non chez le Moi, selon ce dernier. En tout cas, le Moi est convaincu, et parfois certain, qu’il, sa famille, sa patrie, sa religion sont porteurs ou détenteurs de la vérité. Quelles sont les conséquences pour la santé mentale d’un Moi qui est nourri de passages messianiques des prophètes, civils, militaires ou religieux, l’autre nom de l’Autre non barré ?

Pour l’eschatologie juive, la fin des jours se caractérise par la venue du Messie et se termine avec le triomphe de Dieu et des enfants d’Israël. Le lecteur remarquera que de soi-disant adultes sont traités en enfants et attendent le jour du jugement. À vrai dire, le Moi de ces êtres est encore pris dans une position d’aliénation et de soumission aux organisations intramoïques. Le Dieu de ce Moi est un Autre non barré. Ainsi, il me semble possible de dire qu’ils sont majeurs. Ils ont accédé à la majorité, mais pas à la position d’adulte, à savoir être responsable de leurs actions. S’ils ne sont pas adultes, ils ne sont évidemment pas aptes à occuper la position de sujet, au sens où je l’entends : l’être qui est sorti de sa psychanalyse et se comporte en tant qu’être castré.

Pour saisir l’infantilisation des majeurs et l’aliénation de leur Moi, il faut lire le texte qui suit : « L’Éternel avait dit à Abram : “Éloigne-toi de ton pays, de ton lieu natal et de la maison paternelle, et va au pays que je t’indiquerai. Je te ferai devenir une grande nation ; je te bénirai, je rendrai ton nom glorieux, et tu seras une source de bénédiction. Je bénirai ceux qui te béniront, et qui t’outragera je le maudirai ; et par toi seront heureuses toutes les races de la terre.” »44 L’Éternel du début du verset ressemble fort à un A barré, puisqu’il est salutaire de quitter la maison parentale ; sans cette séparation, les enfants continuent psychiquement d’être des enfants, enfants attardés, car majeurs. Or, c’est pourtant bien l’attardement qui est préparé par cet Autre protecteur qui promet – « et par toi seront heureuses toutes les races de la terre »45 – l’impossible, l’invivable. C’est un discours qui pousse, si la structure psychotique est au rendezvous, à la folie, au passage à l’acte.

Le gonflement du Moi peut être repéré dans les dires du Moi quand il profère : « Et l’ange qui conversait avec Moi me dit “Fais la proclamation que voici : – Ainsi parle l’Éternel-Cebaot : Je suis rempli d’un zèle ardent en faveur de Jérusalem et de Sion. Mais j’éprouve une violente colère contre ses peuples qui vivent si paisibles (…)” »46.

Or, seul le Moi des aliénés peut défendre l’idée d’un ange qui lui parle. Ce Moi en l’occurrence, dans son délire, ce qui indique qu’il s’agit d’une structure psychotique, converse avec un ange – l’incarnation de l’Autre non barré, pour parler avec la terminologie que j’emprunte à la psychanalyse freudo-lacanienne – et l’utilise – l’Autre non barré – pour justifier son zèle et sa violente colère. Il utilise l’Autre non barré et ce dernier l’utilise également, car il n’y a pas d’innocent dans cette opération : « de tout ton cœur et de toute ton âme, l’Éternel, ton Dieu, te prenant en pitié, mettra un terme à ton exil (…) »47.

Je ne fais pas une étude historique du texte, j’examine l’influence de ces mots pour le Moi d’un être dépourvu d’une formation laïque et non soutenu par l’étude des humanités classiques.

Le texte continue : « Et l’Éternel, ton Dieu, circoncira ton cœur et celui de ta postérité, pour que tu aimes l’Éternel, ton Dieu de tout cœur et de toute ton âme, et assures ton existence »48.

Depuis quand l’amour passe-t-il par la circoncision du cœur, par l’ablation du prépuce du garçon ou du clitoris chez les filles ? Cet Éternel, ce Dieu qui réclame la chair des enfants, je le nomme Autre non barré. Une telle proposition d’existence – la circoncision du cœur et de sa postérité – est invivable pour un être, car il n’y a pas, pour lui, la possibilité de trouver de réalisation, par la satisfaction de son existence.

La rencontre brutale avec la résistance du Surmoi et l’Autre non barré par le Moi est l’un des facteurs du déclenchement immédiat du désir de mort chez les nourrissons et les bébés. Je mets aussi dans le même registre les accidents et tentatives de suicide plus ou moins masquées chez les êtres durant leur minorité. Un être dissocié de son désir naissant ne trouve pas de raison d’être dans la vie. Il sera en vie, mais insatisfait, claudiquant, dans la haine et la destruction. Ce désir naissant est le fruit de la présence du désir de l’Autre barré en lui. Comme ce désir est barré, donc manquant, le Moi choisira de s’accrocher à l’Autre sans barre (A). Cet Autre non barré, cet A méchant, sera aussi maître d’un Moi inapte à danser avec leRéel.

La psychopathologie de la vie quotidienne, pour reprendre une formule freudienne, se présente sous forme de symptômes quotidiens, d’insatisfactions, où l’Autre est maître et le Moi victime. L’Autre non barré, le bras verbal de la résistance du Surmoi, est l’agent de la détresse du Moi. Pour qu’il y ait changement, castration, le Moi se doit de s’allier, de s’accrocher à sa psychanalyse, en se dégonflant, pour construire les transformations nécessaires pour que l’être devienne sujet, c’est-à-dire responsable de lui-même, de son corps, de son rapport à l’autre, de son semblable et de sa danse avec leRéel.

Le lecteur remarquera que la position de sujet est la conséquence de la castration du Moi. Le sujet naît du Moi traversé par l’Autre barré.

Quand le Moi écrit : « (…) je me trouvais avec les exilés près du fleuve de Kebar, le ciel s’ouvrit et je vis des apparitions divines »49, il m’est possible d’examiner si ce Moi est soumis à une illusion ou à une hallucination. De même quand il est écrit : « je te demanderai compte »50, le Moi ne pourra que se soumettre à cet Autre non barré, le bras armé de la résistance du Surmoi, pour se soumettre à cette injonction. Cet Autre méchant n’est pas le monopole du Moi paranoïaque. Pour poser un diagnostic structurel, le clinicien doit attendre la chute – comme un fruit mûr – de la certitude et la vérification clinique, pour trois fois au moins, qui vient avec, pour ainsi être fixé et pour savoir par où, comment et avec quelles précautions, il pourra conduire lacure.

Par où ? Par la voie navigable de la psychose (Cf. Carte des trois structuresen annexe) ; comment ? Avec la prudence exigée, car la cure d’une structure psychotique ne se conduit pas comme s’il s’agissait d’une structure névrotique ou perverse, de là l’importance du diagnostic structurel, car une erreur de conduite de la cure due à l’ignorance de la structure freudienne en jeu pousse à la rupture du transfert, voire au passage à l’acte ; avec quelles précautions ? Elles concernent la suspension de la séance (pas de kiai pour le psychotique), l’acceptation du nombre des séances proposé par l’être de structure psychotique, l’acceptation du retour en séance après des mois, voire des années de disparition, car la cure du psychotique avance par à-coups, acceptation par le clinicien que le psychotique mette en place plusieurs filets transférentiels. Il est courant qu’à un moment ou un autre de la cure, le psychotique sollicite plusieurs cliniciens pour assurer sa psychothérapie ou sa psychanalyse.

Le Moi pourra se montrer vengeur, rancunier, par souffrance, car il s’est senti humilié, mais cela, le lecteur conviendra, je l’espère, ne fait pas de lui un Moi paranoïaque. La vengeance souhaitée par le personnage shakespearien ne fait pas de lui un psychotique, mais un Moi blessé qui a trouvé le moyen de se venger. Shylock veut le cœur d’Antonio pour, comme il dit, « nourrir ma vengeance »51. Encore selon Shylock, « Il m’a déshonoré, et m’a frustré d’un demi-million, il a ri de mes pertes, raillé mes bénéfices, méprisé ma nation, contrarié mes affaires, refroidi mes amis, échauffé mes ennemis… et quelle est sa raison ? Je suis juif »52.

Il est vu dans la clinique que, lorsque le Moi est castré par le Symbolique, il pardonne. Dans l’opération religieuse, il n’y a pas de pardon parce que le Moi n’est pas traversé par le Symbolique qui vient de l’Autre barré (Ⱥ). Il n’y a pas de poésie parce que le Moi n’est pas poète. La poésie est la matérialisation symbolique de l’Autre barré. Il faut, c’est impératif, du savoir de l’Autre barré pour la construction d’un lit, pour qu’ainsi la libido et le désir traversent « la rivière de mon village »53. Le lecteur pourrait se demander comment Pessoa peut écrire de la poésie sans avoir été psychanalysé. Tout d’abord il faut mettre en évidence que, s’il y a trois sortes d’hommes – les vivants, les morts et ceux qui vont sur la Mer –, le poète est une sorte d’être supérieur aux simples mortels. Cela se vérifie une fois qu’ils sont morts, évidemment. Ensuite, comme l’écrit si bien Pessoa, ce n’est pas lui c’est Caeiro le poète, c’est ce dernier qui écrit mieux que lui, Fernando Pessoa.

Ma visée est de mettre en évidence le désir de l’être, pas le sauver. Ici une remarque s’impose : quand je fais référence au vrai médecin, je vise ceux qui sont spécialistes de l’organisme malade. Cela laisse sous-entendre que le psychanalyste est un faux médecin. Le psychanalyste est un vrai médecin puisqu’il vise le fait que l’être puisse devenir sujet et, pour cela, il mouille sa chemise, l’autre nom du désir du psychanalyste. Il est un faux médecin parce qu’il ne vise pas à sauver l’être à tout prix. Dans la visée thérapeutique, le psychanalyste est un médecin, dans le sens d’Hippocrate, dans le sens d’être un clinicien, un κλινικός ιατρός. En revanche, dans la visée salvatrice, il n’est pas un médecin, car il n’impose pas son désir à l’être. Ce qui ne signifie pas non plus qu’il soit un faux médecin ou que la psychanalyse soit une escroquerie. La psychanalyse n’est pas une escroquerie, en revanche, l’analyste, c’est-à-dire celui qui a abandonné la position de psychanalysant, occupe inévitablement la position de l’escroc, car il a abandonné son désir de savoir, mais il exige que le psychanalysant construise le sien. Pour terminer, je ne suis pas un médecin, qu’il occupe la vraie ou la fausse position. Je suis un clinicien qui occupe la position de psychanalyste. Une fois sorti de psychanalyse une première fois, je continue ma psychanalyse. Je pense que la psychanalyse du psychanalyste est sans fin, cela se représente par la continuation de sa position de psychanalysant. Le psychanalyste doit continuer sa psychanalyse pendant qu’il exercera la position de supposé-psychanalyste. Dans ce cas de figure, le Moi du psychanalyste est ouvert, laissant passer, tel le canal de Panama, les signifiants qui viennent du Pacifique vers l’Atlantique et vice-versa. Si dans le cas de sortie de psychanalyse d’un être lambda qui devient sujet, il est attendu que son Imaginaire soit castré et son Moi dégonflé. Dans la sortie de psychanalyse du sujet qui désire devenir psychanalyste, son Imaginaire et son Moi seront barrés par la castration en permanence (ⱥ), ce qui est différent du Moi du psy et de l’analyste. Chez le premier, ni l’Imaginaire ni le Moi ne sont dégonflés, chez le second, seul l’Imaginaire est dégonflé.

Je ne vise pas à créer une école de psychanalyse avec des centaines des membres. Je cherche à construire des lits avec des désirs, ce qui suppose l’absence d’obéissance à un maître. Je cherche à construire des lits pour la circulation de la libido et la navigation des signifiants, pour qu’ainsi, le désir de savoir – l’autre nom du bateau psychanalytique – puisse voguer rivières, mers et océans. Il faut dire que quelques analystes dans ma jeunesse m’ont signalé que devenir psychanalyste n’était pas pour moi. Comme à mon habitude, moi qui n’étais pas très obéissant depuis mon enfance, j’ai suivi mon chemin maritimo-psychanalytique, l’autre nom de la psychanalyse personnelle. Par la suite, j’avais découvert que les gens qui me disaient cela n’avaient pas l’autorité requise pour le faire : mes parents n’étaient pas heureux dans leur couple, mes religieux étaient malheureux, mes enseignants inhibés, mes militaires muselés, mes analystes n’avaient pas poussé leurs psychanalyses au-delà de leur première sortie, ce qui m’a fait dire qu’ils parlaient à mon désir de leur embouchure (Cf. Carte des trois structures en annexe).

Ces majeurs n’ont pas fait leur tour, tel El Cano et les 17 – sur 265 hommes au départ – survivants, de leur frottement au désir de l’Autre (A). C’est parce qu’ils sont partis de Sanlucar de Barrameda, en Andalousie, et qu’ils sont arrivés à Sanlucar de Barrameda qu’ils ont mérité l’armoirie représentant un globe et la devise : Primus circumdedisti mihi (« Vous étiez les premiers à faire mon tour »).

Si c’est suffisant pour l’être qui veut vivre de faire le tour du désir de l’Autre (A), il est insuffisant pour l’être qui désire devenir sujet et exister. Pour un être dans la position de sujet, son éthique est de construire son existence à partir du désir de l’Autre (A). Pour cela, il peut compter avec le désir de l’Autre (Ⱥ). Pour compter avec le désir de l’Autre barré, le Moi paye avec la castration.

Devenir psychanalyste ce n’est pas un choix du Moi, c’est un engagement qui tombe comme un fruit mûr, résultat de la psychanalyse personnelle, engagement désirant et décidé d’occuper l’honorable position d’objet a. C’est un choix et non une obligation de l’être, même s’il y a des êtres qui savent ce qu’ils ont à faire et qu’ils ne le fontpas.

Le pardon est le résultat de la traversée de la libido et du désir par l’étendue de l’Autre barré. La psychanalyse produit une telle castration du Moi, la religion non. La religion renforce le Moi et donc son aliénation structurelle. Le Moi en psychanalyse est castré par le Symbolique dans un premier temps, et dans le Symbolique dans un deuxième temps. Dans la religion, le Moi est frustré ou privé.

Avec l’évangile selon Saint Jean, le lecteur rentre dans le registre du Symbolique et du corps incarné :

« Il y eut un homme envoyé de Dieu ;

Son nom étaitJean

Il vint pour témoigner (…) »54.

L’homme envoyé par l’Autre barré est incarné par un verbe qui porte la lumière. C’est ici que j’identifie l’interprétation quand elle vient de l’Autre barré. Ce n’est pas l’inconscient qui interprète, c’est l’Autre barré qui s’impose à la bouche et échappe, même sans l’autorisation du Moi et des organisations intramoïques, comme la vie, par « l’enclos des dents »55.

L’interprétation de l’Autre barré produit un effet ηὕρηκα – « J’ai trouvé » – et elle peut sortir de la bouche d’un enfant (« Mais il n’a pas d’habit du tout ! cria un petit enfant dans la foule »56), de la bouche d’un psychanalyste ou d’un poète – « Sur quoi que vous fondiez un traitement si rude / C’est toujours vers Médée un peu d’ingratitude »57 –, et de n’importe quelle bouche qui incarnera, un moment, l’Autre barré.

A. Ce qui caractérise le discours scientifique c’est 1) la capacité d’infirmer la théorie. Dans le cas de la psychanalyse, c’est l’analyste qui doit être la cible de toutes les critiques épistémologiques, et cela sans pitié, de la part du psychanalysant et de n’importe quel esprit éclairé. Cette dernière remarque sert à éloigner les méchants, les décérébrés et les zinzins qui voudraient utiliser ma remarque pour venir embêter les analystes qui, incontestablement – depuis Freud jusqu’à aujourd’hui – font un bon travail. Je ne défends pas ici la théorie, cependant, pour critiquer une boussole, il faut que le matelot sache lire les points cardinaux. Or, les analystes et surtout les psys ne montrent pas, à mes yeux, une telle exigence basique d’excellence dans leur exercice de leur navigation clinique, laissant ainsi la porte ouverte pour que n’importe qui donne son avis sur la psychanalyse. La solution pour ce problème est : a) la mise en place de la psychanalyse sans fin pour les psychanalystes et b) l’étude des textes freudo-lacaniens et les humanités classiques.

Comme il n’est pas possible de demander cela à quelqu’un qui se voit déjà58, comme l’a chanté le beau Charles, – cela blesserait son Moi – qui s’y voit déjà simplement parce qu’il a un diplôme de psychologue, psychiatre ou quelques années d’analyse, je propose ces deux solutions (a et b) aux jeunes étudiants. Évidemment, je n’obtiens pas davantage de succès auprès des étudiants, car il me semble que ces derniers intègrent les facultés de psychiatrie et de psychologie pour renforcer leur Moi, pour éviter les assauts du retour du refoulé, et non pour savoir sur le désir qui les anime. Il ne faut pas oublier que, armés de leur diplôme, cautionnés par quelques enseignants, les étudiants utilisent la connaissance acquise par l’enseignement des théories fragmentées, pour satisfaire leur pulsion d’emprise sur la pulsion sexuelle, la pulsion de mort et l’autre, leur semblable.

B. L’autre caractéristique du discours scientifique est 2) la capacité de déduction (du complexe d’Œdipe au complexe du psychanalysant Fernando). La conduite d’une cure d’une structure névrotique peut amener à ce que j’avais appelé, à partir de l’expérience d’El Cano, la circumnavigation. La conduite de la cure d’une structure psychotique peut amener, à partir de la poésie et du livre de Michel Houellebecq, à la possibilité d’une île. Enfin, celle d’une structure perverse et selon la terminologie maritime, à la construction d’un mouillage. Le tout dans le respect de ma proposition de méthode verticale, c’est-à-dire de la radicale – il n’existe pas deux êtres parlants identiques – subjectivité de l’être.

La psychanalyse est d’abord α) une théorie : celle du complexe d’Œdipe. La déduction de cette théorie est que n’importe quel être humain est soumis aux conséquences de son Œdipe, à savoir la puissance inhumaine des organisations intramoïques (la résistance du Surmoi et l’Autre non barré) ; β) une clinique : si l’inconscient est structuré comme un langage, il me semble important d’examiner qui nourrit et quels sont les fruits qui alimentent cet inconscient. De là l’importance d’étudier les livres des religions monothéistes. Il n’est pas nécessaire d’aller plus loin pour vérifier que le Moi du croyant utilise son Dieu, donc un objet dont il est maître, pour s’aliéner du monde dans lequel il vit, pour dominer, faire chier – expression argotique qui veut dire ennuyer, contrarier fortement – l’autre, son semblable, voire le flageller59.

Dans L’Apocalypse, selon saint Jean, il me semble possible de distinguer Jean dans la position de « S »60 et Dieu dans la position de Ⱥ. Selon Jean, « Dieu la lui [à Jésus Christ] donna [la Révélation] pour montrer à ses serviteurs ce qui doit arriver bientôt »61.

Ce n’est pas Jésus qui écrit cela, c’est Jean. Jean qui occupe ici la position de « a ».

C’est le même « a » qui écrira : « (…) le Diable va jeter des vôtres en prison pour vous tenter, et vous aurez dix jours d’épreuve »62. C’est l’autre, le « a’ », le semblable, qui reçoit les punitions, les châtiments, les tortures. Ce discours menaçant vise à dominer celui qui n’obéit pas au maître, ici incarné par « a ». Le lecteur remarquera que ce que j’avais trouvé dans la religion des musulmans se trouve ici aussi dans celle des chrétiens. En somme, le Moi (a) manipule aussi l’Autre non barré (A), pour ainsi dominer le semblable du Moi(a’).

Le « a » continue : « Mais j’ai contre toi que tu tolères Jézabel, cette femme qui se dit prophétesse ; elle égare mes serviteurs, les incitant à se prostituer en mangeant des viandes immolées aux idoles »63. Ma visée est de signaler la puissante haine du Moi envers les femmes – « (…) elle « La femme », tenait à la main une coupe en or, remplie d’abominations et des souillures de sa prostitution »64. Ou encore : « Et sous mes yeux, la femme se saoulait du sang des saints et du sang des martyrs de Jésus »65 – et d’où cette haine vient : « (…) où la Prostituée est assise, ce sont des peuples, des foules, des nations et des langues (…) »66.

Une des insultes les plus ordinaires faites aux femmes est de les qualifier de prostituées ou de putes, même quand elles n’ont pas de relations sexuelles en échange d’argent.

Le texte continue : « (…) ils vont prendre en haine la Prostituée, ils la dépouilleront de ses vêtements, toute nue, ils en mangeront la chair, ils la consumeront par le feu ; car Dieu leur a inspiré (…) »67. Cette femme est la Grande Cité. Cependant, une question se pose : pour quelle raison passer par la figure d’une femme intime de la sexualité pour parler de Babylone ? Un tel discours n’indique-t-il pas la haine du Moi envers le sexe féminin ? N’ouvre-t-il pas la porte à la haine, par identification au texte, des femmes ?

Dans un fait divers, j’apprends qu’un géniteur, ce qui est différent d’un père, a brûlé le sexe de sa fille parce qu’elle parlait avec un garçon, un homme enragé a mis le feu au sexe de son épouse, car il l’a soupçonnée d’adultère.

La frustration de l’homme face à une femme ne vient pas uniquement de sa crainte de perdre le pénis. Elle vient des majeurs qui ne castrent pas le désir de destruction des organisations intramoïques de l’enfant. Probablement parce que les organisations intramoïques des parents ne sont pas non plus castrées. Un majeur qui lit un livre religieux où est cautionnée la haine de l’autre et qui, à son tour, cautionne ces écrits en les lisant à son enfant, ce majeur est aliéné, haineux ou mentalement atteint. De tels écrits sont ravageurs, car ils transmettent de génération en génération la haine des femmes, la haine de l’autre, en les rendant tous, des mécréants. C’était le cas pour les catholiques d’hier, c’est le cas des musulmans d’aujourd’hui.

Le « a » continue : « Je lui ai laissé le temps de se repentir (…) »68. Cette fausse bonté cache la haine et justifie la possible agression, voire l’assassinat.

La phrase continue avec ce qui suit : « (…) le temps de se repentir, mais elle refuse de se repentir de ses prostitutions »69. Maintenant, il – le Moi – a de quoi justifier d’être le cerbère et ainsi jouir et laisser jouir les organisations intramoïques : « Voici, je vais la jeter sur un lit de douleur, et ses compagnons de prostitution dans une épreuve terrible, s’ils ne se repentent de leur conduite. Et ses enfants, je vais les frapper de mort : ainsi, toutes les Églises sauront que c’est Moi qui sonde les reins et les cœurs »70.

Ce discours me semble nourrir une politique de la menace. Il est, selon mes recherches, caractéristique de l’Autre non barré qui est le bras verbal – comme il est d’usage de parler du « bras armé » –, de la résistance du Surmoi. Si le verbe n’est pas suffisant par la menace à plier le semblable du Moi, à savoir l’autre, la résistance du Surmoi aura recours au passage à l’acte, c’est la politique de la terreur. Ici, le Moi n’attaquera plus l’autre, son semblable, avec son discours enveloppé par l’idéologie religieuse ou politique, mais sous forme de violence musculaire, de bombes ou de balles contre des civils alors qu’ils leur tournent le dos comme c’était le cas au Bataclan.

Que le lecteur entende « politique » en rapport à la société organisée, en l’occurrence un rassemblement sociétal constitué des organisations intramoïques (résistance du Surmoi, Autre non barré) et des instances psychiques (Ça, Surmoi,Moi).

Le lecteur remarquera que je ne fais aucune référence aux trois résistances du Moi (le refoulement, le transfert, le bénéfice de la maladie), ou à celle du Ça (la perlaboration)71, car elles ont une valeur secondaire. Les résistances du Moi sont des difficultés cliniques que le clinicien réglera par son habileté opératoire et son style. La résistance du Ça c’est le mieux que peut faire un être parlant pour castrer sa vie, l’autre nom du mot exister, cela une fois sorti de psychanalyse. En revanche, la résistance du Surmoi comme l’Autre non barré représente des difficultés structurelles que trouveront les cliniciens, qu’ils soient médecins ou psychanalystes.

Face à de telles difficultés cliniques, la psychanalyse ne peut être traitée comme une psychothérapie, même en la surnommant reine des psychothérapies. Comparer une psychanalyse à une psychothérapie revient à comparer la navigation hauturière à la navigation fluviale.