Un dessein plus retentissant - Philippe Laborie - E-Book

Un dessein plus retentissant E-Book

Philippe Laborie

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Beschreibung

Porté par la vague psychédélique des années soixante, le groupe Jefferson Airplane – mené par l’envoûtante Grace Slick – s’impose comme l’un des groupes emblématiques de la quête de liberté et d’absolu d’une génération passée de l’autre côté du miroir. Ce récit retrace un quart de siècle d’aventure musicale, d’utopie et de révolte, à travers des textes riches d’expériences et d’une évolution aussi surprenante que révélatrice. Une plongée fascinante dans l’âme d’un mouvement qui a bouleversé l’histoire du rock et les consciences.

 À PROPOS DE L'AUTEUR

Philippe Laborie a signé des chansons, nouvelles, textes d’art et de nombreux articles, notamment en tant que rédacteur en chef de Perpignan Magazine. Après un essai sur Lacan, il consacre trente ans à l’ouvrage "Un dessein plus retentissant", fruit d’une fascination durable pour le rock psychédélique.

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Seitenzahl: 192

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Philippe Laborie

Un dessein plus retentissant

Essai

© Lys Bleu Éditions – Philippe Laborie

ISBN : 979-10-422-7965-3

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Madame, Monsieur,

Philippe Laborie a longtemps vécu à Paris.

Il vit aujourd’hui à Perpignan.

Diplômé en études cinématographiques, il est l’auteur de l’essai Le patient absent de Jacques Lacan. L’innommable menace (L’Harmattan).

Un dessein plus retentissant est le livre d’une génération passée de l’autre côté du miroir et partie à la conquête de sa liberté et de l’absolu.

Un dessein plus retentissant

Le rock est souvent considéré par la société dominante comme une sous-musique, une culture de pacotille. Certes, il ne se voit plus désormais accusé, ainsi que ce fut le cas aux États-Unis dans les années soixante, par les autorités d’utiliser les techniques de Ivan Pavlov pour produire des névroses artificielles chez les jeunes gens et de conduire à la destruction du mécanisme normal de défense du cortex cérébral. Et si, depuis quelques années, on voit même des rockstars dignement reçues aussi bien par la Maison-Blanche qu’à la mairie de Paris, un certain nombre d’intellectuels, français notamment, ne perçoit le rock que comme symbole de la destruction du langage.

Il est vrai que cette forme musicale produit quantitativement de nombreuses banalités ; mais elle n’a pas pour autant l’apanage de la médiocrité. Tous les genres de création, aussi bien la peinture que la littérature, pour ne citer que ceux-là, nous proposent régulièrement, dans le flot continu de leurs productions, des œuvres souvent mineures ou d’un intérêt pour le moins négligeable.

Lorsqu’il saisit le peuple des parentés qui habitent son monde et qu’il arrive à leur donner forme, le créateur se satisfait d’un tel miracle. Nous sommes investis par un vaste passé d’impressions et d’émotions que seul le miroir de notre réflexion profonde nous permet de remettre à flot.

À ce niveau-ci, il n’y a rien de pauvre ou méprisable et il faut tout un talent pour réussir à en faire le reflet d’une humanité. De ce fait, si le créateur ne peut pas se révéler attentif à la réalité qui l’entoure, comme à celle qui vit à l’intérieur de lui-même, il ne doit pas non plus se sentir coupable de choisir un mode d’expression plutôt qu’un autre.

Fort certainement d’un grand nombre de faiseurs, comme toujours, le rock s’avère néanmoins riche de réels créateurs qui sont un peu plus loin que le tour de piste dans un étourdissant tintamarre. « J’aime bien voyager, j’aime bien rencontrer des gens, mais, non, je n’aime pas tourner. Tout simplement parce que tourner consiste à se répéter tous les soirs. Michel-Ange, quand il a fait sa sculpture de David, n’a pas été obligé d’en faire une autre, puis une autre, puis une autre. J’aime toujours en revanche faire des disques parce que cela implique un processus créatif unique », devait ainsi déclarer Grace Slick, figure de proue, entre autres, du Jefferson Airplane, au magazine Rock & Folk.

D’origine norvégienne, née à Chicago en 1939, émigrée avec ses parents en Californie ensuite (à Palo Alto dans la banlieue de San Francisco), Grace Slick sera portée sur la scène rock internationale par la vague psychédélique qui déferla sur les sociétés américaines et européennes de l’Ouest en général au beau milieu des années soixante.

Dès sa naissance, le rock est rapidement devenu le mode d’expression pour la jeunesse de la fin des années cinquante. Il a ensuite évolué avec elle tout en continuant à se voir intégré par les générations suivantes qui se sont mises, alors, à épouser ses valeurs avant de lui inventer d’autres références. Et, ce, jusqu’à aujourd’hui. On peut, par la même, avancer que le rock demeurera l’un des faits de société les plus marquants de la deuxième moitié du vingtième siècle. Autant que le jazz pour la première moitié. Ce que le président Einsenhower avait bien compris, qui considérait alors ce dernier comme le meilleur ambassadeur de son pays.

Le rock ne s’est ainsi pas limité à une mode ni cantonné dans un pur produit de consommation, condamné à l’engouement d’une saison. Il est bel et bien devenu une réalité sociale, un nouveau moyen de reconnaissance, comme l’a repéré Alain Finkielkraut. C’est, par contre, une erreur de le réduire, ainsi que l’a fait ce philosophe, à des sons dans lesquels « les guitares abolissent la mémoire ; la chaleur fusionnelle remplace la conversation », et ne voit qu’un symptôme, le signe de la « défaite de la pensée1 ».

Car, le rock, outre des livres, des peintures ou dessins, des films, c’est également et malgré tout des textes, de la poésie mise en musique ou inspirée par elle. Il est vrai que cette forme de création se range d’abord sous la bannière de l’anglais que tout le monde ne comprend pas toujours correctement dans un pays de langue différente, comme la France. On pourrait, d’ailleurs, se demander si certains de ses détracteurs ne lui pardonnent pas, en réalité, d’avoir vu le jour aux États-Unis.

Nous sommes également conscients que les critiques d’album n’ont pas régulièrement l’habitude de mettre l’accent, dans leurs chroniques, sur la qualité de l’écriture ou d’en dénoncer la pauvreté. Pourtant, la reproduction des textes accompagne souvent le produit musical, quand on ne les retrouve pas réunies dans un livre. Et, aujourd’hui, il y a Internet. Il y a, ainsi, trace d’une élaboration littéraire.

De toute façon, les consommateurs, quel que soit le masque derrière lequel ils dissimulent leur vide intérieur, n’en appellent jamais à la profondeur. Ce qui se révèle vrai pour un public peut tout autant se vérifier chez un autre. Si les textes poétiques sont, dans une certaine partie des cas, ignorés, cela n’enlève rien à leur valeur intrinsèque éventuelle.

De plus, est-ce que les amateurs de cinéma ou de littérature se révèlent capables, dans tous les cas, de tenir une conversation digne de ce nom sur l’art qu’ils intègrent à leur imaginaire, sur ce qu’ils font leur ? Est-ce qu’ils approfondissent tous l’attrait qu’ils éprouvent, le cultivent pour s’ériger un monde qui leur soit réellement propre ? La réalité aurait nettement tendance à nous prouver le contraire, car la majorité ne dépasse pas le stade des affects et de l’appropriation. Et comme l’a écrit le poète, en l’occurrence Rainer Maria Rilke, la moyenne en restera toujours là.

Que l’on soit, en revanche, irrité par un intérêt exclusif porté à cet univers musical au détriment de toute autre d’expression artistique, cela va de soi. Une fermeture systématique au temps d’avant soi ne peut évidemment que se confondre avec une névrose d’actualité.

Néanmoins parsemé de références littéraires (au sens large du terme), cet univers musical peut aussi, au même titre que le cinéma au demeurant, fonctionner, partiellement du moins, tel un tremplin vers les œuvres originelles. Luchino Visconti avait pleinement conscience de ce rôle que le cinéma pouvait jouer quand cet important réalisateur italien s’attachait à adapter, pour le grand écran, des œuvres littéraires de premier plan.

Mais rejeter un genre parce qu’il incorpore le préverbal pour intégrer le mot qui se veut reflet d’une contemporanéité, n’est-ce pas là une regrettable réduction ? Percevoir nous rappelle en effet le dictionnaire Larousse, c’est saisir par les sens comme par l’esprit. Friedrich Nietzsche n’avait-il pas noté que tout, en fait, se termine par une chanson ? De son côté, le pape Jean-Paul 1er avait déclaré que la musique symbolisait à ses yeux la réconciliation avec Dieu. Et si, dans l’absolu, le rock se révèle inférieur à la philosophie, après tout, Jésus ne prônait-il pas dans l’Évangile (apocryphe) selon Saint-Thomas de ne plus distinguer le haut du bas pour entrer dans son royaume ?

Il est, par ailleurs, toujours étonnant de constater au fil de ses voyages combien, dans la plupart des pays où l’on se rend, aussi bien dans ceux dont on possède la langue que dans les autres, le rock permet une communication rapide.

Universalité que le poète, ici Patti Smith en 1976, avait saisie : « Rock and Roll being the highest and most universal form of expression since the lost tongue (le Rock and Roll étant la plus haute et la plus universelle forme d’expression depuis la langue perdue) ». Auteur qui avait également prédit en 1979 la victoire du monde occidental sur le bloc de l’Est par l’ascension de la guitare électrique avec la mort parallèle de la machinerie de guerre. « In Vienna there is an area that surrounds and circulates thru the Hotel de France. The italian bikers. The shoppe of priests…future images. The death of the machine gun. The birth and of the ascension of the electric guitar2 ».

Le rock est né à peu près né en même temps que la vulgarisation du microsillon. Pour les démocraties de l’Ouest, c’est en fait l’heure de récolter les fruits de l’après-guerre semés par la reconstruction. Baby boom et boom économique se conjuguent alors pour engendrer les « glorious sixties ». La multiplication des tourne-disques ainsi que les énormes progrès obtenus dans le domaine du son révolutionnent l’environnement quotidien de la jeunesse. La modernité lui ouvre un nouvel espace et la société repère parallèlement en elle un important marché potentiel.

Né, à l’origine, d’une rébellion sans cause réellement identifiée, le rock donne à la jeunesse concernée le moyen d’échapper à ce qu’elle se représente toujours comme une inévitable incompréhension familiale et qu’on appelle, plus couramment, conflit des générations.

La sortie de secours aussi pour éviter bien souvent le désert d’une culture standardisée par « l’american way of life » triomphant et véhiculé principalement par la télévision en pleine expansion. Le confort sans risque du divertissement aseptisé à domicile. Un désert que Jack Kerouac avait déjà dans Les clochards célestes dénoncé : « dans chaque maison, des deux côtés de la chaussée, brille la lampe dorée du living-room où l’écran de télévision met une tache bleutée. Chaque famille regarde religieusement le même spectacle. Personne ne parle ». Ce qui nous rappelle, si besoin était, que l’incommunicabilité s’avère bel et bien préalable à l’apparition du rock.

C’est ainsi qu’une nouvelle génération de baladins, poètes musiciens – Bob Dylan, John Lennon avec les Beatles, Jim Morrison avec les Doors, Grace Slick et le Jefferson Airplane, Donovan, Syd Barrett et le Pink Floyd, Justin Hayward et les Moody Blues… – fait son apparition en Occident et dans laquelle Salvador Dali, par le biais de sa célèbre méthode paranoïa critique décèlera l’émergence de l’aristocratie de l’intelligence. À la clef, la perspective d’échapper, le cas échéant, à une fatalité sociale.

De musique, pour ainsi dire, instinctive, imprégnée de rébellion contre « l’establishment » qu’il fut à ses débuts, le rock gagnera rapidement en élaboration, musicale grâce aux nouvelles possibilités techniques des studios d’enregistrement, textuelle par la traduction d’une expérience de plus en plus précise.

La conjonction du rock et de la politique ne fera qu’accélérer le processus. La notion traditionnelle de chanson s’estompe alors devant celle de morceau. Ses auteurs dépassent le pur statut d’interprètes. L’ère de l’album concept commence. Le rock s’intègre ainsi davantage à une détermination existentielle, plus ou moins élaborée, selon les cas. Il devient une attitude et, avec l’imaginaire qui est le sien à ce moment précis du vingtième siècle, un désencrage.

Ce qu’il n’est plus vraiment aujourd’hui, exception faite de la crise strictement adolescente où le rock ne fonctionne que comme un folklore purement ponctuel dans la majorité des cas. Et, après quoi, « tous mes copains reprendront le chemin », ainsi que le dit une chanson française de cette époque. En ce sens, nous serions à même de rejoindre le sociologue italien Francesco Alberoni, quand il déclare le déclin du rock avancé. Mais, il est vrai qu’Alberoni saisit ce crépuscule par le signe du sida.

Si, depuis le début des années quatre-vingt, avec la libéralisation en France des radios dites libres, le rock et ses dérivés sont omniprésents sur les antennes, ce n’était pas du tout le cas vingt ans plus tôt. Bien au contraire, cette musique se voyait absente ou presque de la télévision et confinée, à la radio, dans des émissions spécialisées en fin de soirée. Cela n’empêchait néanmoins en rien les disques de se vendre et leurs auteurs de poursuivre leur carrière ou leur création.

Aujourd’hui, les parents des adolescents qui aiment cette musique, l’apprécient tout autant, l’écoutent ou bien la connaissent. Ce n’était pas non plus le cas il y a vingt ans et plus.

Désormais, la possibilité de vieillir est donnée aux rocks stars. À l’époque, elles ne pouvaient se concevoir que jeunes. Mick Jagger et Jim Morrison avaient, d’ailleurs, envisagé d’arrêter leur carrière à trente ans. L’un est mort trois ans avant cette échéance ; l’autre s’est très bien accommodé d’emmagasiner les années. « Je suis toujours intéressée par cette incroyable capacité du rock and roll à rendre les gens simplement heureux et éventuellement à les faire réfléchir », dixit Grace Slick, devenue alors une alerte quadragénaire.

Le rock est aussi rentré de plain-pied dans la légende avec ses héroïnes et ses héros qui alimentent depuis les mythologies contemporaines et les caisses des « businessmen ». Il restera sans doute comme une insatisfaction préalable, illustrée par le célèbre « I can’t get no satisfaction » des Rolling Stones, une volonté d’éclatement, une exploration autodidacte du réel et son témoignage illustré.

De « l’oreiller surréaliste » du Jefferson Airplane à la « Radio Ethiopia », dédiée à la mémoire d’Arthur Rimbaud, de Patti Smith, cette investigation à support musical de la vie prolonge la radicalisation surréaliste alliée à la rébellion post romantique. « Our purpose in life is getting louder » sera ainsi la formule de Grace Slick retenue par le philosophe américain d’origine allemande Herbert Marcuse3. Notre dessein dans la vie se fait plus retentissant.

Le lapin psychédélique

Grace Slick a le privilège de demeurer la première vocaliste de l’électricité. Au même titre que pour quelques rares consœurs comme Janis Joplin ou la déjà citée Patti Smith, on n’avait jamais chanté comme elle avant elle. « Une façon lyrique de parler… une manière d’articuler les mots, de donner une certaine tonalité à la voix… j’utilise ma voix comme un instrument… Vous m’avez demandé quelles sont mes influences ? Ce sont les guitares électriques », déclarait-elle dans les années soixante.

« Grace Slick le sait bien, elle est une enfant de l’électricité. Ce qu’elle fait de sa voix est toujours passé par le philtre de l’amplification. Celle-ci n’est pas seulement la possibilité donnée à la voix de se faire entendre plus loin, plus fort… L’amplification transforme la qualité même de la voix, jusqu’à en faire un véritable instrument électrique. Slick a été la première à sentir de manière intuitive, ce que devait être le chant dans la rock music », a relevé Marjorie Alessandrini dans son ouvrage Rockeuses. Le rock au féminin.

Cette façon lyrique de parler et de se servir de sa voix comme d’un instrument lui vaudra, certes, parfois le reproche de se complaire dans la grandiloquence et d’exceller avant tout en tant que choriste. Mais, elle lui permet avant tout de devenir « la voix de San Franscico ». Sa voix puissante, profonde et aérienne, l’adéquation entre le mot et la note, le contenu de son propos artistique, la propulsent très vite comme « une des plus extraordinaires jeunes chanteuses du moment », ainsi que le constate le journaliste Michel Lancelot dans son livre Je veux regarder Dieu en face.

Après des études variées dans plusieurs universités américaines de renom, Grace Slick devient la première vocaliste de l’éclaté et continue de fonctionner aujourd’hui, pour grand nombre de spécialistes, comme la plus grande voix féminine de l’histoire du rock. Elle joue du piano, compose aussi, et elle avoue pour influence primordiale le Peer Gynt d’Edvard Grieg que ses parents écoutaient inlassablement à la maison alors qu’elle était enfant.

Et elle écrit. « White rabbit » (lapin blanc), Alice au pays des Merveilles de Lewis Carroll revisitée, sera le premier grand succès de Jefferson Airplane en 1967, bien qu’elle ait, en fait, créé ce titre une année plus tôt au sein du Great Society, son premier groupe. Invitation à l’initiation en passant de l’autre côté du miroir par le biais sous-entendu du LSD et du champignon, comme dans l’œuvre littéraire originale, qui ne peut être qu’hallucinogène.

« One pill makes you larger, one pill makes you small

And the ones that mother gives you don’t do anything at all

Go ask Alice when she’s ten feet tall… »

« Une pilule te fait grandir, une autre rapetisser et celles que ta mère te donne ne font plus aucun effet, va demander à Alice quand elle mesure dix pieds de haut… »

Pour guide, le lapin, possesseur du secret de la vie élémentaire qui appartient à l’inconnu sous-jacent, le souterrain, tout en demeurant familier de l’humain par le fait qu’il symbolise le doux et l’inoffensif. Le lapin, symbole aussi de l’intermédiaire entre ce bas monde et les réalités transcendantes de l’autre4. Le monde parallèle cher à Charles Baudelaire, Edgar Allan Poe et André Breton. Cet univers fait de signes et de signifiants qui nous entoure et dont les composantes ponctuellement nous confondent sans qu’il soit toujours rationnellement possible de communiquer ces correspondances d’où la sensation d’inquiétante étrangeté, puisqu’à cheval entre le réel et le néant.

« … And if you go chasing rabbits and you know you’re gone to fall

Tell them all hookah smoking caterpillar has given you the call

Call Alice when she’s just small… »

« Et si tu vas chasser les lapins alors que tu te sais parti pour la faille, dis-leur à tous que la pipe turque que fume la chenille t’a donné le signal, appelle Alice quand elle est juste de petite taille… »

On sait que Timothy Leary s’est durablement fait l’apôtre du LSD sur les campus américains et dans son œuvre. Il y présente, d’ailleurs, l’expérience psychédélique, néologisme qu’il inventa en 1961, comme le tremplin pour un voyage original dans les nouveaux royaumes de la conscience.

Le lyserd saüre diethylamid que le chimiste suisse Hofman isola, à partir de l’ergot de seigle, en 1938, fonctionne pour lui comme la libération du système nerveux de ses structures ordinaires et l’amplification positive de la conscience. Un point de vue similaire avait déjà été adopté parallèlement par Aldous Huxley et Henri Michaud pour des drogues du même genre comme la mescaline et il est à noter que les hallucinogènes sont les seuls stupéfiants à avoir été soutenus par un discours philosophique ou poétique.

Alors qu’une génération se reconnaît dans « White rabbit », Grace Slick déclare que l’expérience psychédélique correspond pour elle à une seconde naissance. Dans la mythologie grecque, la double naissance s’avère le privilège accordé à Dionysos, le véritable héros de la tragédie pour Friedrich Nietzsche, dans la mesure où le dieu de la vigne et du vin se révèle celui qui saisit le contraste entre la vérité naturelle authentique et le mensonge civilisé qui se prend pour la seule réalité.

Telle Alice dans le chapitre cinq de l’œuvre de Lewis Carroll, « Advice from a catterpillar (Conseil du vers à soie) », goûtant au champignon magique dont l’un des côtés la fait grandir et l’autre rapetisser à volonté, Grace Slick se fait le chantre du passage pour l’autre côté de la conscience – et cet autre versant a pour nom inconscient depuis Freud – à la suite du « Lapin blanc », devenu aujourd’hui un classique du rock, après avoir fonctionné comme un véritable hymne pour la jeunesse de la deuxième moitié du vingtième siècle.

Croire en Alice et adhérer à sa symbolique, c’est accorder une valeur au monde du rêve et de la magie. C’est, en même temps, rejeter le principe de réalité quotidienne comme seul vrai monde. La réalité n’est pas forcément le réel et le pouvoir du rêve commande l’autrement.

« … One man on the chessboard get up and tell you where you go

And you have some kind of mushrooms and your mind is moving you all

Go ask Alice, I think she’ll know… »

« … Un homme sur l’échiquier se lève et te dit où aller, alors que tu as une sorte de champignons et que ton esprit est révolution, va poser la question à Alice, je crois qu’elle saura… »

Herbert Marcuse, qui avait relevé dans la poésie de Stéphane Mallarmé une incitation à des modes de perception et d’imagination prompts à annuler la banalité du quotidien, reconnut encore peu avant sa mort que « le mouvement des années soixante tendait à une transformation “tous azimuts” de la subjectivité et de la nature, de la sensibilité, de l’imagination et de la raison ; il a ouvert une nouvelle perspective sur les choses…5 »

Dans l’œuvre de Carroll, la logique de l’univers que découvre Alice échappe à son entendement sans pour autant empêcher la fillette de se prêter au jeu. Ainsi au travers du surmoi d’Alice, c’est en fait le raisonnement du monde des adultes et sa logique étriquée aux yeux de l’enfant qui se voient tournés en ridicule et, par là même, renvoyés à leur propre inconsistance.

« … Go ask Alice I think she’ll know

When the logic and the proportion have fallen so be dead

And the white knight is talking backwards

And the red queen is off with her head

Remember what the doormouse said :

Feed your head ! »

« … Va poser la question à Alice je crois qu’elle saura, quand la logique et la proportion sont tombées pour lettres mortes et le cavalier blanc parle en verlan, alors que la reine rouge est décapitée, souviens-toi de ce que disait le loir : nourris ta tête ! »

Le lapin électrique de l’Oreiller surréaliste – deuxième album de Jefferson Airplane, le premier avec Grace Slick – se révèle fidèle à l’esprit du mouvement créé par André Breton qui « tend simplement à la récupération totale de notre force psychique par un moyen qui n’est autre que la descente vertigineuse en nous, l’illumination systématique des lieux cachés…6 »

Descente vertigineuse qui demande un solide contrôle visiblement, par ailleurs, proche de celui évoqué par Aldous Huxley dans Les portes de la perception, quant à son expérience de la mescaline qu’il considérait proche de la schizophrénie.