Un jour à l'aube - Hélène Vasquez - E-Book

Un jour à l'aube E-Book

Hélène Vasquez

0,0
7,99 €

oder
-100%
Sammeln Sie Punkte in unserem Gutscheinprogramm und kaufen Sie E-Books und Hörbücher mit bis zu 100% Rabatt.
Mehr erfahren.
Beschreibung

« J'ai vu des montagnes recouvertes de neige, j'ai senti l'air pur pénétrer dans mes poumons et j'ai touché du bout des doigts le givre qui cristallisait les vitres de ma future maison.
J'ai cliqué sur le lien et une annonce s'est détachée parmi les autres... »
Pour échapper à sa solitude, Julia décide de s'offrir une nouvelle vie, un nouveau départ.
Toutefois, c'est sans compter avec le cauchemar de son enfance, qui continue de la hanter, et les pleurs qui, la nuit, résonnent dans les entrailles de sa nouvelle maison...


À PROPOS DE L'AUTEURE


Prix coup de coeur 2018 des lectrices de Femme Actuelle, Hélène Vasquez est auteure de plusieurs romans dont Je veux toucher les nuages, Toc, toc, toc... et Au-delà la vague.

Das E-Book können Sie in Legimi-Apps oder einer beliebigen App lesen, die das folgende Format unterstützen:

EPUB
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Hélène Vasquez

Un jour à l’aube

Roman

© Lys Bleu Éditions – Hélène Vasquez

ISBN : 979-10-377-3839-4

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Prologue

C’est un bruit qui me fait sortir de mon lit…

Un bruit que je connais, que je suis persuadée d’avoir déjà entendu et pourtant, je n’arrive pas à mettre une image sur ce qui l’a provoqué. Mais il m’a réveillée et il faut maintenant que j’aille voir d’où il peut bien provenir. Je n’ai aucune envie de m’engager dans ce long couloir sombre, pourtant mes pas me guident déjà dans sa direction. Je passe ma main le long du mur pour trouver l’interrupteur et éclairer mon chemin qui me semble très long pour attendre mon but : la petite chambre à quelques mètres, ou à des kilomètres, de la mienne. La nuit est entrecoupée de flashs lumineux générés par l’ampoule du plafonnier en fin de vie… Et chaque nouvelle seconde d’obscurité, j’ai l’impression de sentir une respiration dans le creux de mon oreille. Un souffle léger et pourtant extrêmement présent qui me donne la chair de poule. J’essaye d’accélérer pour fuir cette terrifiante sensation qui m’oppresse, mais je n’arrive plus à bouger. Je suis tétanisée sur place et c’est alors que je la vois. Au bout du couloir se dessine une frêle silhouette de femme enveloppée d’un long manteau en laine gris, dont la large capuche lui recouvre le visage. Entre deux flashs, elle se rapproche un peu plus… Pour se retrouver face à moi et je ne peux plus rien faire pour lui échapper. J’essaye d’appeler au secours mais aucun son ne sort de ma bouche et bien qu’elle ne soit plus qu’à quelques centimètres de moi, je n’arrive toujours pas à distinguer ses traits. Ce visage inexistant me glace de terreur et celle-ci atteint son paroxysme lorsque j’entends les mots doucereux qui parviennent à mes oreilles :

— Viens ma chérie, viens voir maman…

Ses mains glacées se posent sur mes bras pour m’empoigner, puis elle laisse échapper un cri. Un hurlement inhumain qui me vrille les tympans…

Première partie

Bénis sont les gens dont la vie est sans crainte, sans doute, pour qui le sommeil est une bénédiction qui vient toutes les nuits et n’apporte que doux rêves.

De Bram Stoker

1

Pour la deuxième fois en quelques secondes, ma main tâtonne le mur à la recherche de l’interrupteur et la lumière me ramène dans mon deux pièces qui me sert, pour la dernière nuit, de logement. J’embrasse du regard l’ensemble de la pièce et à mon grand soulagement, il n’y a ni couloir ni femme démoniaque tapie dans l’ombre. C’était encore ce cauchemar, ce cauchemar terrifiant… Et même si c’est une certitude, il me faut un certain temps pour trouver le courage de me lever et aller dans la salle de bain. Lorsque je me retrouve devant le miroir, je suis livide et de mes doigts tremblants j’écarte les cheveux qui collent à mon front. Je suis en sueur et pourtant je suis glacée de l’intérieur. Je m’asperge le visage d’eau fraîche et les gouttes qui perlent sur ma peau produisent l’effet inverse… Au lieu de m’apaiser, elles ne font que raviver les images effrayantes de mon rêve. La femme sans visage vient de ressurgir dans mon esprit et j’arrive à distinguer son manteau dégoulinant d’eau, comme si la pluie s’était abattue sur elle avec violence. Cela fait des années que je fais ce même cauchemar et c’est la première fois que je vois ce détail. Je ne sais pas si cela à une réelle importance, probablement aucune… Pourtant, je m’essuie avec précipitation pour tenter de chasser cette corrélation que mon esprit vient de créer entre elle et moi. Tandis que je tente de redonner un rythme plus raisonnable aux battements désordonnés de mon cœur, je prends le temps de regarder mon reflet dans le miroir et je suis forcée de constater que j’ai mauvaise mine. Mon teint est encore plus clair que d’ordinaire, mes yeux noirs sont cernés et les mèches brunes qui entourent mon visage ne font que renforcer cette impression de pâleur qui s’accentue tous les jours un peu plus depuis un an. Je secoue la tête pour éviter que de nouvelles pensées désagréables l’envahissent et mon regard se porte sur les valises entreposées à l’entrée… La cause probable de cette nouvelle terreur nocturne. Pour essayer de chasser une bonne fois pour toutes mon trouble, j’ouvre les volets pour laisser entrer le maximum de luminosité dans la pièce. Mais à la place d’une lumière franche et apaisante, seules les lueurs du réverbère d’en face, ainsi que celles de l’aube, arrivent jusqu’à moi. Au lieu de m’apporter le calme escompté, elles ne font que raviver la peur laissée par cet odieux rêve. Je n’ai jamais aimé ce moment de l’entre-deux, ce moment où le jour et la nuit se mêlent, pour laisser une étrange impression de calme sur le monde. J’ai la sensation que chaque fois, une porte s’ouvre sur un univers parallèle dans lequel on pourrait basculer si l’on ne se tient pas sur ses gardes. Et je me tiens sur mes gardes… Je ne voudrais pas traverser le miroir pour repartir dans des songes auxquels je ne pourrais échapper ! C’est étrange comme pensée. C’est étrange mais « bon »… Et je vais, de ce pas, me saisir d’un morceau de papier pour la noter et ne pas l’oublier. Je pourrais l’utiliser dans le livre que je tente désespérément d’écrire et pour lequel je suis confrontée à la page blanche. En début d’année dernière, j’ai vu grand et j’ai eu l’envie de me lancer dans l’écriture d’un roman. J’ai imaginé une œuvre très poétique, illustrée des photos que je réalise lorsque mon œil averti est attiré par la beauté d’un moment. Autant, l’ardeur procurée par cette belle ambition m’a permis d’écrire très vite plusieurs pages, autant celle-ci a fondu comme neige au soleil. Cela fait des mois que j’ouvre mon ordinateur, prête à tapoter sur le clavier, et que rien ne vient. J’ai pourtant l’impression d’avoir un millier d’idées qui bouillonnent en moi, mais je n’arrive pas à les écrire. Chaque fois que j’essaye de mettre de l’ordre dans mes pensées, elles m’échappent pour ne laisser en moi que des souvenirs bien réels que je n’ai pas envie de voir écrits noir sur blanc. Mais cela ne va pas durer ! Bientôt, je retrouverai mon inspiration. Dans quelques heures, je serai loin d’ici et le dépaysement que je pars chercher m’aidera à me renouveler. Je passe les minutes qui suivent à finir de rassembler mes affaires et à faire un dernier tour du propriétaire. Tiroir après tiroir, placard après placard, je vérifie que je n’ai rien oublié dans le petit meublé qui m’a servi de demeure au cours de ces dernières années. Je me rends compte que c’est dans cet endroit que j’ai vécu le plus longtemps après que maman et moi ayons effectué notre ultime déménagement pour migrer vers la capitale. J’ai habité deux ans avec elle, avant de m’installer dans mon propre logement pour tenter de trouver un semblant d’indépendance, et ce, durant cinq ans.

Tout est en ordre, il me reste juste à prendre le cliché accroché à côté du lit et je serai fin prête. La précieuse photo dans mon sac à main, je reste un moment sur le pas de la porte pour embrasser une dernière fois du regard mon futur ancien « chez moi » : un salon avec kitchenette, une chambre, une salle d’eau, le tout meublé avec simplicité comme à mon arrivée… Je ne laisse rien derrière moi, mais je dois pourtant reconnaître qu’une légère appréhension loge dans le creux de mon estomac. Je sais qu’une page de ma vie est en train de se tourner et que la clé qui tourne à son tour dans la serrure y met fin. Lorsque je sors de l’immeuble, le soleil a enfin fait fuir l’obscurité et il ne me reste plus qu’à ranger dans le coffre de ma voiture mes bagages. C’est étrange de voir que je suis capable d’y faire entrer tout ce qui constitue ma vie. Mais en y réfléchissant bien cela n’a rien d’étonnant et a toujours été ainsi. Tous les deux ans en moyenne, maman et moi déménagions et nous voyagions léger, ne faisant suivre que très peu de biens matériels. Lorsque j’étais plus jeune, je lui en voulais de partir si souvent. Je rêvais d’avoir comme la plupart des enfants une vie bien stable, car dès que je commençais à créer des liens, à me faire des amis, il nous fallait partir. Je n’ai jamais compris ce besoin irrépressible qui l’empêchait de tenir en place, mais il faut croire qu’elle a fini par me le transmettre. Aujourd’hui encore, je m’en vais loin de mon quotidien mais cette fois-ci, je pars seule… Puisque ma mère a quant à elle quitté ce monde il y a un an, jour pour jour. Je n’ai pas eu le courage de partir avant l’anniversaire de sa mort. Je voulais être là aujourd’hui pour lui dire au revoir avant de prendre la route. Je ne sais pas quand je pourrai revenir la voir et je ressens le besoin de lui parler une dernière fois, même si désormais cela signifie parler à une pierre tombale.

Après m’être arrêtée pour acheter un bouquet de lys blancs, je me gare sur le parking de l’imposant parc cimetière. Je n’ai jamais été une adepte de ces lieux, encore moins depuis que l’un d’entre eux accueille le seul être que j’ai jamais aimé et je me réjouis que le ciel soit dégagé pour m’y rendre. Dans la mesure du possible, je fais en sorte qu’il en soit ainsi pour ne pas avoir à revivre la peur qui m’a collée à la peau, en plus de la peine, le jour des obsèques. Malgré moi, des souvenirs encore pénibles se ravivent pour me faire revivre ce triste jour d’octobre où j’ai dû dire adieu à ma mère. Nous étions trois autour du trou dans lequel reposait déjà le cercueil qui n’allait pas tarder à être recouvert de terre. À dix heures du matin, le soleil aurait dû nous faire l’honneur de sa présence, mais il avait déserté les lieux pour laisser sa place à une épaisse brume blanche qui donnait à l’atmosphère une ambiance encore plus oppressante. Je ne pense pas qu’une belle journée d’automne aurait apaisé mon chagrin mais pour autant, elle m’aurait permis de le vivre librement pour qu’il puisse faire son chemin. Au lieu de quoi, une part de moi écoutait l’éloge funéraire et l’autre appréhendait de devoir repartir seule… Et c’est ce que j’ai dû faire. Une fois son labeur fini, le prêtre est parti vaquer à ses occupations, le fossoyeur a commencé à recouvrir le corps sans vie de ma mère et je me suis retrouvée, le visage inondé de larmes, au milieu des allées silencieuses. En d’autres circonstances, j’aurais peut-être eu l’impression d’évoluer au milieu d’un nuage doux et cotonneux, mais j’étais à mille lieues de cette agréable sensation de cocon. Mon imagination débordante a envahi mon esprit affaibli par le drame et m’a donné la sensation de plonger dans une scène fantomatique de « Spleepy Hallow ». Le brouillard qui flottait au-dessus des stèles s’est mis à vibrer, à danser, comme s’il était habité des nombreuses âmes égarées. Rattrapée par l’idée que je puisse être entourée d’esprits, j’ai accéléré le pas et c’est à ce moment que je l’ai senti… Comme l’effleurement d’une main sur mon épaule. Je suis restée un instant qui aurait pu être éternité, tétanisée, le souffle coupé. Puis prenant mon courage à deux mains, je me suis retournée prête sans l’être, à affronter la personne qui venait de me faire vivre une peur sans nom… Mais il n’y avait personne derrière moi. Pas de prêtre venu me rejoindre pour m’accompagner dans ma peine ni de cavalier sans tête venu chercher la mienne. Il n’y avait que ce brouillard qui s’était encore épaissi, prêt à m’engloutir. Aussitôt, les battements de mon cœur s’emballèrent, ma respiration se fit saccadée et la panique m’envahit. Je me suis mise à courir à perdre haleine dans les dédales de chemins pour atteindre la sortie et regagner la protection de mon véhicule. La main tremblante, j’ai mis le contact en priant pour que ma voiture ne refuse pas de démarrer. Par chance, le moteur s’est mis à vrombir et je me suis échappée comme si j’avais la mort aux trousses. Ce n’est qu’en retrouvant l’agitation des rues du centre-ville que j’ai réussi à me détendre, sans pour autant arriver à calmer mes tremblements. Une fois à l’intérieur de mon appartement, j’ai ôté mon haut, prête à voir la trace d’une main marquée au fer rouge sur ma peau… Mais il n’y avait rien. Il ne restait plus que cette étrange impression qui n’était peut-être qu’illusoire.

Et c’était forcément une illusion !

Les fantômes ne vous attrapent pas par l’épaule. Ils le font uniquement dans mes cauchemars et pour mon malheur, le deuil que je venais de vivre était bien réel. Inconsciemment, j’ai dû vouloir sentir la présence de ma mère pour qu’elle me serre une dernière fois contre elle. J’ai alors ressenti dans chacun de mes membres la tension accumulée ces derniers jours et je me suis mise à rire. À rire, encore et encore, sans plus pouvoir contrôler les spasmes nerveux qui me secouaient… Avant de fondre en larme. Car parmi toutes les inepties possibles et inimaginables que mon esprit pouvait mettre en scène, il n’y avait qu’une seule certitude : maman était morte.

Je ne la reverrai jamais.

2

Je suis désormais convaincue que cette main n’était que le fruit de mon imagination mais pour autant, je préfère que le soleil soit de mon côté pour me recueillir. Avant de descendre du véhicule, je prends une profonde inspiration afin de me donner le courage nécessaire pour affronter le moment à venir… Car je sais que cette visite est différente des précédentes, tant pas sa finalité que par une de ses motivations. Après être passée devant les demeures silencieuses de nombreux locataires du lieu, j’arrive devant la stèle de ma mère. Comme toujours, je commence par remplacer les fleurs fanées par de nouvelles avant d’allumer une bougie. Je la sors de ma poche, je fais craquer une allumette, mais cette fois-ci, j’ai un pincement au cœur en enflammant la mèche. Je sais qu’à partir d’aujourd’hui, plus personne ne viendra la voir. J’ai la désagréable sensation de l’abandonner et cette idée renforce le sentiment de culpabilité qui m’habite depuis un an… Culpabilité causée entre autres par le ressentiment que j’ai encore à son égard malgré le temps qui est passé. Il faut que j’arrive à lui en parler pour pouvoir aller de l’avant et partir.

— Bonjour, maman. Je suis venue te dire au revoir. Je m’en vais aujourd’hui et j’avais besoin de te parler une dernière fois, ici. C’est difficile pour moi de t’avouer ce que j’ai sur le cœur, mais il faut que j’y arrive…

Elle tourne son visage fin vers moi pour me regarder intensément de ses grands yeux bleus.

— Je t’écoute Julia…

— Maman, je t’en veux terriblement et je n’arrive pas à te pardonner de m’avoir caché ta maladie.

En un geste tendre, elle passe une main sur ma joue pour tenter d’apaiser ma peine et ma colère, comme elle le faisait lorsque j’étais enfant.

— Je sais…

— Deux ans ! Deux ans maman… Tu as vécu deux ans avec ce cancer sans me le dire.

Sa main retombe le long de son corps tandis que son regard se voile jusqu’à me traverser.

— Je ne voulais pas que tu me regardes avec de la peine…

De nouveau, la rancœur me serre le cœur et je détourne la tête pour regarder dans le vague… Pour lui cacher ma détresse.

—J’aurais pu t’aider ! J’aurais pu être prêt de toi et t’aider à te battre, à lutter…

— Je ne voulais pas lutter, ma chérie…

— Je ne comprends pas que tu n’aies pas voulu te soigner. Je ne comprends pas que tu n’aies pas voulu essayer de vivre plus longtemps pour rester avec moi.

Ses doigts attrapent mon menton pour tourner ma tête vers la sienne et me forcer à lui faire face : Yeux dans les yeux.

— La décision que j’ai prise n’a rien à voir avec l’amour que je te porte.

Ah bon ? Alors, pourquoi décider d’abandonner son enfant unique ? Qu’avait donc la mort à lui offrir que je ne pouvais lui donner ?

— Tu aurais peut-être pu guérir, tu aurais peut-être pu gagner de belles années pendant lesquels nous aurions profité l’une de l’autre.

Son visage exprime un mélange de mélancolie, de contrariété, et c’est un peu plus virulente, qu’elle me rétorque :

— Tu aurais aimé me voir dépérir ? Tu aurais aimé te demander tous les jours si ce n’était pas le dernier ?

Non, mais j’aurais aimé lui dire que je l’aime ! Je ne lui ai jamais dit de son vivant et maintenant il est trop tard…

— J’aurais aimé être là pour toi… Juste être à tes côtés pour que tu ne sois pas seule avec tes peurs. J’aurais aimé te dire que je t’aime.

— Je sais que tu m’aimes, je l’ai toujours su… Mais surtout, tu étais là à mes côtés : Heureuse, souriante et c’est ça qui avait de l’importance.

— Je n’étais pas préparée à te perdre maman…

C’est à mon tour de passer mes doigts sur ses cheveux courts, presque blancs, avant de poser ma main sur la sienne et de laisser échapper mes larmes.

— On ne l’est jamais, ma chérie.

— Tu me manques maman, tu me manques tant !

— Tu me manques aussi, mais il fallait que je parte… C’était mon heure, mon moment.

Pendant plusieurs secondes, minutes ou heures, nous nous regardons intensément et j’essaye de graver dans ma mémoire son visage plein de vie… Le visage de ma mère, de ma seule famille, jusqu’à ce que je me résolve à briser le charme.

— Au revoir, maman, je t’aime.

— Je t’aime aussi et je m’excuse…

Sur ces derniers mots, ses traits disparaissaient et il n’y a plus de main sous la mienne. Je sais que j’ai dialogué avec moi-même, mais je suis soulagée d’avoir réussi à exprimer à haute voix ce malaise que je couvais depuis de nombreux mois. Depuis le jour où j’ai eu un appel m’informant que ma mère venait d’être admise à l’hôpital.

Ce jour-là, j’étais en plein shooting photo lorsque mon portable a sonné. J’ai regardé le numéro que je ne connaissais pas et ma conscience professionnelle a pris le dessus sur la curiosité. J’ai continué à mitrailler le futur « Top model » pour lui faire un book la hauteur de ses ambitions, avant de prendre connaissance du message. Celui qui m’annonçait que m’a mère était dans un état critique. J’ai jeté mon matériel dans la voiture et j’ai conduit dans un état second sur des kilomètres, m’imaginant qu’elle avait dû être victime d’un accident… Mais que l’on pouvait survivre à un accident, aussi grave soit-il ! Je suis donc tombée des nues, lorsque l’infirmière m’annonça :

— Son cancer est en phase terminale… Je suis désolée mais il n’y a plus rien à faire.

— Son cancer… Quel cancer ?

La jeune femme dans sa blouse blanche a marqué une seconde d’hésitation, mal à l’aise, pas prête à répondre à une telle question. Elle a marmonné un semblant de « Ne bouger pas, je vais appeler le médecin », avant de tourner les talons. Et ses talons ont laissé échapper un léger couinement sur le sol en linoléum et celui-ci s’est mélangé dans mon esprit aux mots improbables que je venais d’entendre pour devenir une véritable cacophonie. Un bruit assourdissant d’inepties qui me donna envie de prendre ma tête entre mes mains et de hurler ! Hurler pour mettre un terme au cauchemar dans lequel je venais de plonger sans y être préparé. Pourtant, je suis restée immobile, clouée sur place par le choc, jusqu’à ce qu’un homme élancé aux cheveux grisonnants s’approche de moi pour se présenter comme étant le Professeur Loriante. Dans d’autres circonstances, je me serais demandé quel père il aurait été pour moi s’il avait été ce mystérieux géniteur qui m’a donné la vie… Mais mon imagination a été avortée. J’étais obsédée par le mot écrit sous son nom, sur le badge accroché à sa blouse blanche : « Oncologue ». Oncologue, oncologue, oncologue… J’ai bloqué sur ce terme que j’avais entendu trop de fois dans « Docteur House » ou « Urgence » et qui n’envisageait jamais rien de bon. J’ai dû faire un effort incommensurable pour me concentrer sur ses paroles et j’ai appris de la bouche de « l’oncologue » que la maladie de ma mère avait été diagnostiquée deux ans plus tôt et qu’elle avait refusé tout traitement. Pendant deux ans, elle a laissé le cancer la ronger un peu plus chaque jour sans rien faire.

— Quel type de cancer ?

— Un cancer du sein.

Ces mots m’enfoncèrent encore plus dans l’incompréhension.

— Un cancer du sein ! Mais cela se soigne de nos jours… Pourquoi a-t-elle refusé de se faire soigner ?

— Je ne sais pas mais elle a été catégorique et elle a refusé tout acharnement thérapeutique quand la fin viendrait.

— Pourquoi ? Pourquoi elle ne m’a rien dit ?

— Je ne sais pas…

— Est-ce que je peux la voir ?

— Oui mais elle est inconsciente, nous lui avons juste administré un calmant pour qu’elle ne souffre pas.

Pendant toute notre conversation, il a gardé son calme, habitué à ce type de situation, alors que j’avais envie de le saisir au collet pour le secouer de toutes mes forces, et lui faire avouer que tout ceci n’était qu’une farce. Une plaisanterie de mauvais goût destinée à me rappeler que malgré toutes ses imperfections ma vie était belle. Pourtant, il n’a pas failli à son rôle et j’ai compris à cet instant que ma vie imparfaite ne serait plus jamais aussi belle…

— Mais elle va se réveiller… Elle va se réveiller n’est-ce pas ?

Il ne pouvait en être autrement ! Elle avait à peine cinquante-six ans… C’était trop tôt ! Beaucoup trop tôt pour mourir, pour m’abandonner !

— Je ne crois pas. Elle est mourante, je suis désolée…

— Mourante ? Mais elle ne peut pas être mourante ! Je l’ai vu hier et elle allait très bien…

***

Je l’avais vu la veille.

Elle était assise à table, devant une pile de documents, dont de vieilles photographies. Je l’avais bien trouvée « ailleurs », mais j’avais pensé que c’était la nostalgie qui donnait à son regard cet air absent. J’ai déposé un baiser sur sa joue et je me suis assise à ses côtés pour me redécouvrir des années en arrière. La plupart des clichés avaient été pris lors de ma scolarité mais un d’entre eux s’est détaché.

— Je ne savais pas que tu avais cette photo. J’avais quel âge ?

— Deux semaines.

Je pensais qu’elles avaient toutes été détruites dans l’incendie qui a ravagé notre appartement lorsque j’étais enfant et j’ai été ravie d’avoir accès à cette partie inconnue de ma vie.

— C’est difficile d’imaginer que j’ai pu être si petite !

— Oui… J’avais si peur les premiers temps de tenir un bébé dans mes bras.

— Ça ne se voit pas, tu as l’air radieux !

J’avais sous les yeux une photo de ma mère me tenant contre elle et son visage respirait le bonheur. Ses longs cheveux blonds étaient maintenus en arrière en un chignon serré et ses traits, rajeunis de plus de vingt-huit ans, illuminaient le cliché dont le temps avait terni l’éclat des couleurs. J’aurais dû me rendre compte qu’elle n’était plus que le pâle reflet de cette jeune femme souriante, mais je n’ai rien vu. Mon regard est resté scotché sur mon image… Celle de moi, bébé, emmitouflée dans une douillette couverture en laine rose. J’ai été subjuguée par le duvet brun qui recouvrait ma tête et par mes minuscules doigts qui serraient l’index de ma mère. Au lieu de l’interroger sur la raison de ce subit retour dans le passé, j’ai juste demandé :

— Je peux la garder ?

Pendant une fraction de seconde, j’ai cru qu’elle allait refuser… Mais elle me l’a tendue. Je l’ai regardée encore quelques instants, comme hypnotisée par l’émotion indéfinissable qu’elle me projetait, puis je l’ai rangée dans mon portefeuille avant de l’accrocher, le soir venu, sur le mur à côté de mon lit.

J’écarte les autres souvenances, celles dans lesquelles elle cesse définitivement de respirer sous mes yeux, pour caresser une dernière fois le marbre de sa tombe. Mon rituel accompli, je me relève pour faire demi-tour et sans me retourner, je m’engage dans les allées ombragées. Aujourd’hui, aucun fantôme ne semble tapi dans l’ombre et c’est détendue que j’arrive à regagner la sortie. J’ai l’impression d’être plus légère et qu’un poids vient d’être enlevé de mes épaules. Je ne sais pas si maman a pu m’entendre mais je vais pouvoir partir le cœur plus léger…

Et c’est le sourire aux lèvres que je vois la ville s’éloigner dans le rétroviseur et les premiers kilomètres de mon périple défiler sous mes yeux.

3

Dans une dizaine d’heures, j’aurai atteint ma destination et je me rends compte que j’attends beaucoup de ce nouveau départ. Celui-ci a été motivé par mon besoin de m’éloigner du drame qui s’est joué en espérant que la distance puisse apaiser ma peine, mais aussi par l’envie de me créer une nouvelle vie. Maman a toujours été au centre de mon existence et même lorsque j’en ai eu l’occasion, je n’ai jamais essayé de me rapprocher d’autres personnes. Aujourd’hui, la mort a détruit ce lien et j’ai besoin de savoir si je suis capable d’en tisser de nouveaux qui me donneraient l’envie de me stabiliser. Car que ce soit en amitié ou en amour, je ne me suis jamais engagée et cela vient probablement du fait que je savais que tôt ou tard j’allais devoir partir. Mais aujourd’hui, les choses pourraient être différentes… Je n’ai plus personne à suivre et je peux décider de rester où bon me semble, il suffit que j’en aie l’envie.

En ai-je envie ?

Je ne sais pas, mais j’ai envie d’essayer de trouver une réponse à cette question. Plus que jamais, j’ai besoin de certitudes car j’ai l’impression que ma vie m’échappe.

Par chance, la concentration que me demande la conduite me permet de chasser mes idées noires et j’arrive même à sentir l’excitation me gagner en fin d’après-midi, lorsque j’aperçois à l’horizon les premières montagnes avec à leur sommet la fameuse neige éternelle. C’est la première fois de ma vie que je vois de mes yeux ce paysage et pourtant, j’ai l’impression de rentrer chez moi. C’est étrange comme sensation ! J’ai habité aux quatre coins du pays et je n’ai jamais ressenti cela… Cet appel qui me fait appuyer un peu plus sur l’accélérateur.

Le soleil a disparu lorsque je quitte enfin l’autoroute. Progressivement, les routes se font de plus en plus sinueuses et s’entourent de temps en temps de villages baignant dans l’obscurité. Je suis à mille lieues de l’agitation parisienne et de cette circulation que n’a de cesse quel que soit l’heure. Je ne sais pas si c’est le calme ambiant ou la fatigue de la journée, mais le sommeil s’insinue en moi. Il me reste plus d’une heure de route pour atteindre ma destination et elle va être longue. Pour autant, je n’ai pas envie de m’arrêter si près du but. Je réprime un bâillement avant de passer la main sur mes yeux pour tenter de chasser la lassitude qui tente de faire faiblir mes paupières. Il faut que je reste vigilante pour affronter les virages étroits et le brouillard qui tombe, rendant la visibilité difficile.

Je cligne plusieurs fois des yeux avant de freiner en panique ! Mon cœur veut s’échapper de ma poitrine tans il bat fort et je tremble comme une feuille. Terrifiée, je jette un nouveau coup d’œil dans le rétroviseur sans oser me retourner…

Mais il n’y a plus rien.

Il n’y a plus personne.

La banquette arrière est toujours encombrée de mes nombreuses affaires sans qu’aucune femme n’ait pris leur place. Pourtant, je l’ai vue… J’ai vu son reflet dans la glace du rétroviseur. Comme dans mes cauchemars, je n’ai pas réussi à voir ses traits mais pour autant, j’ai vu sa large capuche qui recouvrait l’ovale de son visage très pâle, j’ai vu son pardessus gris prêt à l’engloutir. Je ne sais plus si je dois partir de la voiture en courant, si je dois verrouiller les portières… Je ne sais plus quoi faire tant la peur m’empêche de penser. D’une main tremblante, j’attrape mon portable avant de me rendre à l’évidence. Je n’ai pas de réseau et pire que tout, je n’ai personne à appeler. Je me retrouve seule au milieu de nulle part et j’ai la désagréable impression d’avoir plongé au milieu d’un film d’épouvante. Rien qu’en y pensant, une violente bouffée d’angoisse m’envahit !

Il faut absolument que je me calme !

Il faut que je parte d’ici pour retrouver la raison. Je ne suis pas dans un film. Je me suis assoupie une fraction de seconde et cette fraction de seconde aura suffi pour laisser ressurgir les images de mon cauchemar. J’appuie sur la pédale de l’accélérateur pour m’enfuir et tenter de trouver refuge quelque part. Car une chose est sûre, je ne suis plus en état de conduire. Il faut que je dorme avant d’avoir un accident et finir en contrebas dans un ravin… Ou que quelque chose m’y pousse.

— Allons Julia ressaisi-toi ! Les fantômes n’existent pas… Tu t’es simplement endormie. Endormie !

Je n’ai de cesse de me répéter ces mots à haute voix et au bout d’un kilomètre, qui m’a semblé s’étendre à l’infini, j’aperçois enfin les lumières d’un village. Je crois que je n’ai jamais été aussi heureuse de voir l’éclairage des réverbères et de sentir avec eux une présence. J’espère juste qu’il sera assez grand pour y trouver un endroit accueillant où passer la nuit. Car même s’il m’est déjà arrivé de dormir dans ma voiture, il est hors de question que je renouvelle l’expérience ! Je veux voir du monde, je veux sentir même au travers des cloisons d’une chambre d’hôtel une vie humaine. À mon grand soulagement, la rue principale dessert plusieurs commerces, dont un hôtel sur la droite. Sans plus réfléchir, je me gare avant de bondir de mon véhicule pour m’engouffrer à l’intérieur. J’ai l’impression d’avoir couru un marathon tant ma respiration est rapide et que mon corps me fait mal. Tous mes muscles sont tendus à craquer et la pièce commence à danser sous mes yeux. Je dois prendre appui sur le bord du comptoir pour ne pas tomber et je réalise que j’ai dû faire un effort surhumain pour contenir la crise d’angoisse qui menaçait, quand j’étais encore au volant de ma voiture. Mais maintenant que tout danger est écarté, ce trop-plein d’émotion veut me submerger pour me faire basculer du côté obscur.

— Bonsoir, madame, je peux vous aider ?

Ma vision est encore floue et il me faut quelques secondes pour arriver à distinguer la jeune femme qui vient d’apparaître devant moi… Et qui pour mon salut est rousse, au teint mat, et vêtue d’un jeans et d’un pull coloré des plus ordinaire.

Est-ce qu’elle peut m’aider ? À moins qu’elle ne se transforme en esprit démoniaque… Elle le peut, et je l’espère fortement !

— Bonsoir, auriez-vous une chambre de disponible pour la nuit ?

Je croise les doigts en lui posant la question et je réalise que ces gestes superstitieux sont de plus en plus présents dans ma vie depuis un an.

— Bien sûr, par contre nous ne servons pas à dîner. Si vous le souhaitez, il y a un restaurant un peu plus haut qui vous permettra de vous restaurer.

— C’est parfait comme cela…

J’ai de toute façon l’estomac trop noué pour envisager d’avaler quoi que ce soit ! Je veux juste une chambre pour être loin de mon véhicule et me reposer avant de reprendre ma place derrière le volant demain matin. Demain matin, il fera jour et le jour permet de voir les choses sous un œil nouveau.

Je suis mon hôtesse dans l’escalier, puis dans un étroit couloir et malgré moi, mon esprit m’impose les images d’un autre couloir. Un couloir mis à jour par saccade sous les flashs lumineux d’une ampoule en fin de vie. De nouveau rattrapée par les images qui hantent mes nuits, mon cœur se serre et ma main accroche la hanse de mon sac comme s’il était la bouée de secours qui m’empêcherait de couler. Par chance, la vision s’arrête et la rouquine qui se tourne vers moi, ne prend pas l’apparence d’une femme sans visage dissimulée sous un capuchon. Tandis qu’elle me sourit en ouvrant la chambre qui sera mienne pour la nuit, je prends discrètement une profonde inspiration pour tenter de recouvrer mon calme et répondre à ses questions d’une voix claire.

— Vous êtes ici pour des vacances ?

— Non, je vais m’installer pour quelque temps dans la région.

— Vous allez voir, c’est un endroit fabuleux, je suis sûre que vous allez vous y plaire.

Il y a quelques secondes encore, je commençais à en douter mais ce dialogue amical arrive à désamorcer la situation. Je la remercie pour sa gentillesse avant de pénétrer dans la chambre. La pièce est petite mais accueillante et me procure une agréable sensation de sécurité. Enfin, ma tension redescend et je réalise que dans ma précipitation, je n’ai pris aucun bagage mis à part mon cabas. Je pourrais retourner à mon véhicule chercher ce qui m’est nécessaire mais je ne me sens pas le courage d’affronter l’obscurité. Pour l’instant, je vais juste essayer de me reposer dans ce calme qui ne m’est pas habituel. Ces derniers temps, je rêvais de trouver le silence mais pour l’heure, je donnerais n’importe quoi pour retrouver les bruits familiers qui berçaient mes nuits de citadine. Je voudrais du bruit, beaucoup de bruit, pour me faire oublier les images dérangeantes qui hantent mon esprit et qui laissent encore une empreinte glacée le long de mon dos.

J’ai à peine le temps de formuler ce souhait, que celui-ci est exaucé ! Le hurlement d’une sirène retentit et je me dirige vers la fenêtre pour en déterminer la provenance. Mais au moment d’écarter l’épais rideau, je marque un temps d’hésitation. Je sais que derrière, il y aura une vitre et avec elle… Un reflet. En toute logique ce sera le mien, que le mien, mais je suis encore trop secouée pour réfléchir rationnellement. Je préfère dans l’immédiat éviter tout ce qui pourrait raviver ma peur. De toute façon des sirènes, j’en ai entendu des centaines ! Ce n’est jamais bon signe et pour l’instant, je veux du beau, du bon, pour chasser le « mauvais » de ma tête. Aussi après avoir retiré mes vêtements, je me glisse sous les draps et j’appuie sur le bouton de la télécommande pour essayer de trouver le « beau »… En priant pour ne pas tomber par malchance sur un film d’épouvante. Après avoir fait un rapide tour des chaînes, je bloque mon choix sur un programme musical diffusant le tube de Sia et Zayn. Je tente de fixer l’écran mais de nouveau, mes paupières commencent à me jouer des tours. Elles sont de plus en plus lourdes, je cligne plusieurs fois des yeux et je dois me faire violence pour regarder les images du clip qui défilent devant moi. La ballade me berce, les mots me transportent :

« But you'll never be alone, I'll be with you from dusk till dawn… »

Mais tu ne seras jamais seul, je serai avec toi du crépuscule jusqu’à l’aube.

 

 

 

 

 

4

 

 

 

Et avec l’aube vient mon éveil.

Je me rappelle avoir rêvé mais les images s’estompent déjà. Mon esprit fait une trêve et je suis beaucoup plus détendue que la veille. Mes peurs ne sont plus que de lointains souvenirs irréels. En plus de la lumière diffusée par le plafonnier, de faibles rayons filtrent au travers des rideaux et je me lève pour les ouvrir en grand et avoir une vue imprenable sur cette nouvelle vie qui m’attend. J’ai alors la sensation d’avoir trouvé le « beau » qui me faisait tant envie ! Un magnifique paysage se dessine sous mes yeux : une vallée verdoyante, des toitures en ardoise, des montagnes à perte de vue, le tout baignant dans la lumière du matin. Je suis de retour dans cet « entre-deux » mais aujourd’hui, mon âme d’artiste prend le dessus ! Je n’ai pas envie de me terrer le temps que le soleil soit haut dans le ciel. J’ai juste envie de prendre mon appareil photo pour immortaliser l’instant. À peine cinq minutes plus tard, j’ai enfilé mes habits, j’ai attrapé ma sacoche dans la voiture et je m’engage dans les ruelles escarpées. C’est en commençant à mitrailler chaque détail du décor qui défile devant moi que je me rends compte que je n’ai pas eu une once d’hésitation en ouvrant la portière. Hier soir, je me demandais comment j’allais pouvoir arriver à faire ce geste à cause des images terrifiantes qui s’imposaient à moi… Et maintenant, ma passion a repris le dessus pour être la plus forte ! Je regarde le monde au travers de l’objectif et comme toujours, j’éprouve un plaisir indescriptible… Car j’ai l’impression que les images capturées m’appartiennent. Dans quelques jours lorsque j’aurais fait développer les clichés, je serais l’heureuse propriétaire d’un morceau de ciel teinté de couleurs flamboyantes, dans lequel se découpe le haut d’un clocher, sur lequel est posée une cigogne prête à prendre son envol. Dans quelques jours lorsque j’aurais fait développer les clichés, personne ne pourra m’enlever le plaisir de les regarder encore et encore ! Quand la lumière se fait trop haute, je regagne l’hôtel pour prendre le temps de me doucher et inspecter mon reflet dans le miroir de la salle de bain. Je crois que la mort de maman a aussi fait naître en moi cette nouvelle manie. Je ne suis pas quelqu’un de narcissique mais j’éprouve de plus en plus souvent le besoin d’observer mon image. Je ne sais pas si c’est le temps qui passe qui m’inquiète, ou si je cherche dans mes traits à retrouver les siens… Mais c’est ainsi et aujourd’hui encore je me passe au crible. Mes cheveux bruns encadrent mon visage en une coupe mi-longue dégradée, tandis que ma frange recouvre mon front pâle qui, comme chaque parcelle de ma peau, ne brunit jamais sous les effets du soleil. La petite ride « d’expression » au coin de ma bouche est toujours là. Elle n’a pas changé… À moins qu’elle ne se soit un peu plus creusée, non pas sous les éclats de rire mais à cause de la frayeur qui m’a glacé le sang. Je me regarde ardemment mais même en le souhaitant, je ne trouve pas de ressemblance avec ma mère. Je dois avoir hérité du physique de mon père, mais je n’ai aucun moyen de comparer nos éventuelles similitudes. Je ne l’ai jamais connu puisque ce dernier n’a pas souhaité me reconnaître. Aussi pendant des années, j’ai laissé mon imagination m’inventer un passé, des passés !

Peut-être était-il un homme marié menant une double vie…

Peut-être était-il un agent secret changeant d’identité au fils de ses missions…

Peut-être était-il un dangereux criminel en cavale…

Je me suis parfois demandé, si ce n’était pas ce mystérieux géniteur que nous tentions de fuir lors de nos nombreux déménagements. Je pense que je ne le saurais jamais mais qu’importe, j’ai eu une enfance très heureuse et ma mère a été un parent formidable. Le seul dont j’ai eu besoin. Je me demande par ailleurs, si elle a connu d’autres hommes que mon père, car même quand j’ai été en âge de voler de mes propres ailes, elle n’a pas essayé de refaire sa vie. Elle était pourtant encore jeune et belle. Je revois son visage dans ses moindres détails comme si elle était toujours devant moi. Mais j’ai peur qu’un jour son souvenir disparaisse, j’ai peur de ne plus arriver à me rappeler…

Son sourire quand elle me regardait,

La main qu’elle passait dans ses mèches platine pour les glisser derrière ses oreilles,

Son regard nostalgique qu’elle portait au loin.

J’ai peur d’arriver à faire mon deuil et à l’oublier. Rien qu’en y passant, mon estomac se noue et mes yeux s’embuent. Décidément… Mes émotions versatiles me font passer de la joie à la tristesse en un rien de temps ! Il faut que je prenne sur moi pour empêcher mes larmes de couler et le meilleur moyen de les chasser une bonne fois pour toutes est de garder le cap sur l’objectif que je me suis fixé : prendre un nouveau départ.

Avec des gestes décidés, je remballe mes affaires avant de regagner le rez-de-chaussée. Je m’attendais à me retrouver seule devant le comptoir pour régler ma note mais contrairement à la veille, plusieurs personnes ont investi les lieux et sont en grande conversation. D’après les bribes de mots qui parviennent à mes oreilles, un accident s’est produit et crée l’émoi chez les villageois :

— Tu imagines si quelqu’un s’était trouvé sur la route…