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Bien que ce missionnaire méthodiste n'y ait travaillé qu'une dizaine d'années avant d'y mourir en 1848, le nom de John Hunt reste inséparablement lié à l'histoire des îles Fidji. C'est lui qui initia l'unité de leur langue et la mit par écrit, en traduisant le Nouveau Testament dans le dialecte alors en usage à Mbau ; c'est sous sa prédication que diverses tribus renoncèrent à leurs guerres perpétuelles et à la pratique du cannibalisme. Le plus grand obstacle au développement des peuples isolés a souvent été la cupidité et la cruauté des trafiquants occidentaux : ils sévissaient aussi dans cet archipel du Pacifique, à l'époque de John Hunt. Mais la puissance salvatrice et libératrice de l'Évangile de Jésus-Christ, apporté par son humble et passionné disciple, a fini par triompher de toutes les apparentes impossibilités. Puisant à des documents authentiques, Matthieu Lelièvre (1840-1930), lui-même pasteur méthodiste, signe là une des ses premières et des plus intéressantes biographies. Cette numérisation ThéoTeX reproduit le texte de 1866.
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Seitenzahl: 564
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Ce fichier au format EPUB, ou livre numérique, est édité par BoD (Books on Demand) — ISBN : 9782322241651
Auteur Matthieu Lelièvre. Les textes du domaine public contenus ne peuvent faire l'objet d'aucune exclusivité.Les notes, préfaces, descriptions, traductions éventuellement rajoutées restent sous la responsabilité de ThéoTEX, et ne peuvent pas être reproduites sans autorisation.ThéoTEX
site internet : theotex.orgcourriel : [email protected]L'œuvre des missions évangéliques ne peut plus être reléguée au nombre de ces œuvres infimes dont l'action sur la marche du genre humain est nulle ou peu appréciable. Quelque puissant que soit encore l'empire des préventions intéressées ou systématiques, le temps n'est plus où l'on pouvait la passer sous silence et l'ensevelir dans un dédaigneux oubli. On pourra longtemps encore la calomnier ; il n'est plus permis de l'ignorer. Elle a conquis sa place au soleil, et pour la voir, il suffit d'ouvrir les yeux.
Et quel admirable épanouissement que le sien depuis un demi-siècle ! Avec une foi intrépide dans le succès, nos sociétés se sont partagé le monde, et elles se sont donné pour tâche de conquérir à l'Évangile, et par l'Évangile à la civilisation, huit cent millions de créatures humaines. Nous osons appeler cette œuvre la plus grande œuvre de notre temps et la plus durable des gloires du monde moderne. Elle a ce caractère, si on l'envisage au point de vue de la largeur de ses ambitions : nulle œuvre à cet égard ne saurait lui être comparée. Elle l'a surtout quand on la considère au point de vue du but qu'elle poursuit, la régénération du monde.
L'œuvre des missions évangéliques se recommande d'ailleurs à l'attention et au respect des hommes intelligents, parce qu'elle est, en un siècle peu épris de l'idéal, une école toujours ouverte d'héroïsme et de désintéressement. L'un de ses mérites a été de faire sortir de terre, comme part enchantement, toute une légion d'hommes qui, en face d'une génération toute préoccupée de ses intérêts matériels, ont affirmé hautement la réalité du monde invisible et ont consacré leur vie à en propager au loin les principes. L'œuvre missionnaire a fait naître des individualités puissantes qu'elle a éveillées à la conscience d'elles-mêmes, et dont la plupart seraient sans doute demeurées stériles et improductives sans elle. Les noms de quelques-uns de ses héros et de ses martyrs sont sur toutes nos lèvres, parce qu'un concours de circonstances indépendantes de leur volonté les plaça en vue du public, qui, malgré son égoïsme et ses goûts vulgaires, sait, quand il les découvre, saluer d'un hourrah sympathique les hommes qui se dévouent et souffrent pour une idée et pour un principe.
Mais, à côté de ces hommes que l'on admire et que l'on applaudit, combien d'autres, il faut bien se le dire, dont les noms n'arrivent pas même à nos oreilles, et dont la vie, elle aussi, est une longue suite de renoncements et de sacrifices ! Assurément ils ne se plaindront jamais de cette obscurité au milieu de laquelle ils vivent, car c'est pour Dieu qu'ils travaillent, et c'est Dieu qui les récompense. La gloire humaine ne pourrait que déflorer les œuvres de leur foi, et peut-être même la paralyser entièrement. Il nous sera permis pourtant de regretter que quelques-uns de ces dévouements humbles et cachés ne laissent pas de trace dans le souvenir des hommes, pour l'édification et l'encouragement de l'Église.
C'est une de ces simples et laborieuses carrières que j'entreprends de faire connaître à mes lecteurs. J'ai essayé dans les pages qui suivent de mener de front, autant que possible, le récit de la vie intérieure et celui de la vie extérieure du missionnaire Hunt. Et, à ce propos, je ferai une remarque. On oublie beaucoup trop facilement en général qu'un missionnaire est avant tout un homme, et que ce n'est pas l'existence sur une terre lointaine et au milieu de peuplades barbares qui peut en quelque manière changer les conditions de la vie intérieure d'un chrétien. Dans son champ de travail, comme chacun de nous dans le sien, le missionnaire a des luttes, des tentations, des crises dans sa vie spirituelle, des défaites aussi. La seule différence, c'est qu'ici il faut tenir compte de mille causes qui rendent les conditions de la vie intérieure bien autrement compliquées pour lui que pour nous. Il serait intéressant de posséder le journal intime de quelques-uns de ces héros de la foi, et de suivre parallèlement leur carrière missionnaire et leur vie du dedans ; il y aurait là, je le crois, des rapprochements instructifs à faire, et des concordances intéressantes à constater. On verrait partout, je n'en doute pas, une relation étroite entre la vie de l'âme et la vie extérieure ; on se convaincrait que le plus grand missionnaire n'est pas simplement celui qui est le mieux doué au point de vue du courage, de la santé ou des talents, mais plutôt celui qui prie le plus, celui qui est le plus profondément pieux, le plus réellement saint.
Ce caractère m'a frappé dans la vie du serviteur de Dieu dont je veux parler. Le chrétien s'y montre tout autant que le missionnaire, ou plutôt le chrétien et le missionnaire ne s'y séparent jamais ; et, bien que le champ de travail sur lequel nous transporte ce récit soit l'un des plus intéressants (à un certain point de vue) qu'il ait été donné à l'œuvre missionnaire de choisir, ce qui captive l'attention, plus encore que les scènes terribles qui se déroulent sous les yeux, c'est cette vie de foi et de confiance en Dieu qui se poursuit pour John Hunt, au milieu d'épreuves répétées dans son expérience chrétienne, dans son ministère, dans sa famille, dans sa santé. Cette lutte de tous les jours que l'on sent plus qu'on ne voit, captive et retient l'âme ; l'intérêt très vif qui résulte de cette étude projette sur le cœur une teinte de mélancolie qui ne manque pas de douceur. On ne l'abandonne qu'en se sentant plus vivement attaché à cette grande œuvre missionnaire et à ces hommes inconnus et peu soucieux de la gloire, qui s'y sont consacrés, corps et âme.
Ce volume, le lecteur le remarquera du premier coup d'œil, veut être quelque chose de plus qu'une simple biographie. Mon premier but est sans doute de faire connaître l'utile et trop courte carrière de l'excellent John Hunt ; je voudrais réussir à faire passer dans l'âme de ceux qui me liront quelque chose de l'admiration profonde et de l'affection sympathique que j'éprouve pour ce chrétien d'élite mort sur la brèche. J'ai cru cependant que ce serait mal servir le public que de me renfermer dans les limites d'une simple notice biographique, lorsqu'il s'agit d'un missionnaire parmi les cannibales des îles Fidji. Pour des lecteurs anglais, qui, grâce à leurs innombrables journaux de missions, en sont venus à connaître les mœurs de telle île de la Polynésie presque aussi bien que celles du comté de la Grande-Bretagne où ils sont nés, il serait inutile de décrire le cadre dans lequel s'accomplissent les événements d'un livre comme celui-ci. Mais il en est tout autrement pour nos lecteurs de la France et de la Suisse. A part quelques articles de journaux dont plusieurs ont un vrai mérite, les îles Fidji sont peu connues parmi nous, et l'on ignore généralement l'œuvre admirable qui s'y accomplit depuis quelques années. Je me suis donc décidé à étendre mon cadre et à y faire entrer des détails un peu circonstanciés sur le pays, sur ses habitants, sur leurs mœurs, sur leur histoire ; j'ai essayé de montrer au milieu de quelles difficultés se poursuit l'œuvre missionnaire et quels succès l'ont déjà récompensée. Sans doute ces détails ont le grand inconvénient d'être fragmentaires et incomplets ; le cadre de cet ouvrage ne se prêtait pas à une exposition méthodique et continue. Toutefois j'aurai atteint mon but si, après avoir parcouru ces pages, le lecteur se fait de l'ensemble de cette belle œuvre une idée un peu nette.
Ce que je viens de dire indique déjà le mode de composition que j'ai adopté pour cet ouvrage. Il a pour base la Vie de Hunt publiée à Londres en 1860 par le rév. Rowe ; c'est elle qui a été mon document principal quant au récit proprement dit de la vie du missionnaire ; je m'en suis servi comme d'un guide précieux, tout en empruntant à d'autres sources des faits négligés par la biographie anglaise, et tout en conservant la liberté la plus complète quant aux appréciations et quant à la forme du récit que je me suis efforcé de mettre à la portée du public français.
L'Angleterre possède déjà sur la mission des îles Fidji toute une littérature fort intéressante dont le catalogue serait assez long. Je n'ai eu qu'à y puiser pour les détails de mœurs ou d'histoire que j'ai rattachés à la vie de Hunt et qui donnent à l'ouvrage français des dimensions au moins doubles de celles de l'ouvrage anglais. En première ligne, parmi les écrits qui ont rendu possible mon travail, je dois citer le bel ouvrage Fiji and the Fijians par les missionnaires Williams et Calvert, qui présente un tableau complet de cette mission et qui a été accueilli avec une grande faveur en dehors même du public religieux de l'Angleterre, à cause de sa valeur scientifique incontestable et de l'intérêt dramatique des scènes qu'il décrit. Je serais heureux de pouvoir le donner un jour à notre public, avec les magnifiques gravures sur bois et les planches chromolithographiques qui lui donnent tant de prix. Je citerai encore parmi les ouvrages qui m'ont le plus servi : Life in Fiji, by a Lady, Boston 1850 ; — Friendly and Fiji islands, by Lawry, 2 vol. London, 1850-1852, etc.
Le travail que je livre au public m'a occasionné quelques fatigues, mais il m'a procuré de bien vives jouissances. J'ai bien des fois oublié le sommeil au milieu des Fidjiens devenus mes amis par suite des longs rapports que j'ai eus avec eux, et les lueurs matinales du jour m'ont surpris plus d'une fois, tout absorbé par les scènes terribles ou touchantes de leur histoire. L'avouerai-je ? il m'est arrivé de quitter avec quelque regret la compagnie de mes sauvages pour retomber au milieu des gens civilisés. Sans partager mon engouement, le lecteur reconnaîtra, je l'espère, qu'il y a quelque chose de saisissant dans le spectacle offert par ces peuplades, hier encore adonnées aux plus tristes débordements, et qui aujourd'hui s'élancent avec joie dans la voie de progrès et de félicité que leur ouvre l'Évangile et que les missionnaires sont venus leur révéler.
Puisse le récit de la vie de l'un de ces missionnaires, vie toute entière dominée par une grande pensée de dévouement et de sacrifices, être de quelque utilité dans un temps où ces notions tendent à s'effacer dans les âmes ! Puisse l'exemple de cette existence, toute consacrée à Dieu et aux hommes, contribuer à réveiller le zèle missionnaire au sein de l'Église !
John Hunt naquit à Hykeham Moor, près de Lincoln, en Angleterre, le 13 juin 1812. A cette époque, son père, honnête fermier, jouissait d'une certaine aisance. Mais le propriétaire de la ferme qu'il tenait en location ayant dû la faire passer en d'autres mains, il se vit enlever la position comparativement facile qu'il occupait et tomba alors, lui et ses quatre enfants, dans un état voisin de la misère. L'école de la pauvreté fut la première à laquelle John forma son caractère qui y reçut une trempe virile ; il dut apprendre de bonne heure à ne compter guère que sur soi et sur Dieu, et l'on verra comment il sut par la suite mettre à profit ces grandes instructions puisées dans le malheur. Bien que la position de ses parents s'améliorât insensiblement dans la longue lutte qu'ils soutinrent contre l'indigence, ils ne devaient lui laisser pour tout bien que l'exemple d'une irréprochable honnêteté et d'une activité énergique ; il dut lui-même, dès l'âge de dix ans, s'engager comme garçon de ferme, après avoir passé quelque temps dans la pauvre école de la paroisse. Il se faisait déjà remarquer par une intelligence singulièrement précoce, par le sérieux de son caractère, et en même temps par un manque d'aptitude à peu près complet pour les travaux rudes et fatigants de la campagne. Nul ne savait aussi bien que lui répéter le texte sur lequel le clergyman avait prêché le dimanche, mais par contre nul ne savait si mal venir à bout des mille petits travaux que l'on réclame d'un garçon de ferme. En voyant ce petit homme au visage sérieux, malhabile au maniement de la fourche, incapable de faire claquer un fouet et même de faire suivre à l'attelage l'étroit sillon tracé par la charrue, les garçons du village riaient et les mères de famille se félicitaient de ne pas l'avoir pour fils, déclarant qu'il ne serait jamais bon à rien, à moins qu'on n'en pût faire un mauvais tailleur d'habits. Pour lui, il s'était bien promis d'arriver, à force de persévérance, à faire aussi bien que ses compagnons, et toute son ambition se tourna, pendant quelque temps, de ce côté-là.
A mesure qu'il grandissait et que les années s'écoulaient, ses préoccupations s'élevaient insensiblement. Son père avait servi dans la marine ; il avait pris part à la bataille du Nil et à d'autres combats navals importants, et. pendant les soirées d'hiver, John avait souvent écouté, avec une vive attention, les longs récits que le vieux soldat faisait au coin du feu. Il avait alors rêvé la vie militaire et ses dangers, et le désir de s'enrôler se présenta souvent à son esprit. Mais l'enfant était trop timide pour faire part à personne de ces idées belliqueuses dont on se serait moqué, il le savait bien. Aussi, concentrant en soi ces rêves d'avenir qui venaient flotter délicieusement la nuit devant ses yeux, il se contentait d'accomplir ses devoirs aussi fidèlement que cela lui était possible. Le moment était venu où une révolution complète allait s'opérer dans ses pensées.
Les parents de John Hunt, bien qu'ils n'eussent aucune notion précise par rapport à un christianisme vivant, avaient inculqué à leur fils une confiance naïve en Dieu, en même temps qu'ils lui avaient recommandé d'avoir recours à la prière dans toutes ses épreuves. L'enfant simple et ignorant avait compris, et non seulement il s'acquittait chaque jour des pratiques pieuses en usage dans sa famille, mais encore, lorsqu'il entendait gronder la foudre ou aboyer de mauvais chiens, ou lorsqu'il redoutait de rencontrer dans la nuit quelque fantôme ou quelque prétendue sorcière, il tombait sur ses genoux, se recommandait à Dieu, puis continuait gaiement son chemin, persuadé que la Providence prendrait soin de lui. Cette confiance naïve en Dieu qui fut plus tard l'un des traits dominants de son caractère chrétien fut fortifiée en lui à cette époque de sa vie par la vue d'un danger auquel il échappa, un jour qu'il tomba de cheval, la tête la première, sans pourtant se faire le moindre mal. Dès lors, il lisait la Bible avec régularité et fuyait les jeunes gens vicieux et légers. Dans ses lectures, il s'arrêtait parfois avec angoisse sur les passages qui parlent de l'éternité des peines des réprouvés ; un frisson glaçait alors son sang, il tremblait des pieds à la tête, non que le sentiment du péché fût déjà bien précis chez lui ; son émotion avait quelque chose d'irréfléchi, je dirais presque d'instinctif. Quoiqu'il en soit, c'était là déjà une préparation.
A force de persévérance et de volonté, John en grandissant avait réussi à effacer l'espèce d'infériorité dans laquelle il se trouvait placé par rapport à ses camarades ; il était devenu fort et courageux, et la comparaison que l'on pouvait essayer d'établir entre eux et lui n'était plus à son désavantage. Malheureusement ce ne fut pas seulement en adresse et en vigueur qu'il voulut ne pas leur être inférieur ; leur exemple l'entraîna dans le péché ; il en vint à négliger la lecture et la prière, et à perdre ses bonnes dispositions. « Néanmoins, nous dit-il, je ne réussissais pas à apporter au service de Satan la moitié autant d'ardeur que je l'eusse voulu. »
Il n'y avait dans ce besoin d'étourdissement qu'une tentative malheureuse d'étouffer la voix importune d'une conscience qui commençait à parler haut. Une maladie fort grave qui lui survint, lorsqu'il n'avait que seize ans, montra combien factice était cette agitation mondaine, et lui prouva à lui-même qu'il n'est pas facile d'échapper à Dieu. Une fièvre cérébrale violente menaça de l'emporter, et l'adolescent put contempler la mort de bien près, dans les longues heures de souffrance qu'il dut passer dans sa chambre. Il s'opéra dans son âme un profond travail de conviction auquel il faisait allusion par la suite lorsqu'il écrivait : « Je me dis alors qu'il ne me servirait à rien de promettre au Seigneur de le servir s'il me rétablissait, attendu que des promesses semblables, j'en avais souvent fait et souvent violé dans le passé. Je compris que la seule chose à faire pour moi, c'était de commencer à servir Dieu sans retard et dès ce moment, selon les lumières que je possédais. Je tombai alors à genoux et me mis à prier ; puis j'ouvris ma Bible en commençant ma lecture par l'Apocalypse. Ce livre me jeta dans un grand trouble, bien que je ne comprisse qu'imparfaitement ce que je lisais. » Ces bonnes résolutions se fortifièrent encore chez lui, lorsqu'il apprit que l'un de ses amis était mort de cette même maladie à laquelle il n'échappait lui-même, il le sentait, que par une intervention évidente de la miséricorde de Dieu.
A peine en convalescence, il se vit entouré de ses anciens camarades qui essayèrent de le distraire, mais il leur fit entendre qu'il se proposait de commencer une vie nouvelle et qu'il ne se sentait plus libre de les suivre. Dès qu'il put sortir, il se rendit chez des voisins connus par leur piété, et leur fit part de ses convictions, et, tandis qu'il parlait, des larmes abondantes ruisselaient sur sa figure ; ils prièrent avec lui, et lui-même se mit à prier avec ferveur, implorant de Dieu le pardon de ses péchés.
Peu après, il se lia d'amitié avec un jeune homme pieux qui le mit en relation avec les réunions que tenaient dans le voisinage des pasteurs méthodistes. Il fut frappé de la simplicité de leur prédication qui le fit pénétrer plus avant qu'il ne l'avait encore fait dans la connaissance de son cœur. Une réunion intime à laquelle il assista et où chacune des personnes présentes fit part aux autres de ses expériences religieuses, semble avoir surtout exercé la plus salutaire influence sur ses sentiments. Lorsque son tour fut venu, tout tremblant il communiqua à ses frères les angoisses par lesquelles il passait, et la plupart lui adressèrent de sérieux et fraternels encouragements qui le relevèrent un peu.
Il put bientôt entrer en relations plus étroites encore avec ces chrétiens simples et fervents qu'il avait appris à aimer, mais ces rapports ne lui apportèrent pas d'abord toute la joie qu'il en attendait ; au contraire, à mesure qu'il connaissait mieux les chrétiens, il découvrait en eux une joie et une assurance qu'il ne possédait pas ; il apprenait aussi à sonder son cœur et à mieux comprendre son état de péché devant Dieu. Cette étude douloureuse durait depuis une année déjà, sans que sa conscience fût apaisée ; il avait enfin acquis la conviction qu'il méritait la colère de Dieu, à cause de ses nombreuses transgressions.
Ce fut sous les prières du célèbre et pieux pasteur. John Smith que le garçon de ferme, âgé alors de dix-sept ans, sentit la paix de Dieu qui résulte du pardon remplir son cœur. Sa conversion, amenée par un long et douloureux travail intérieur, eut pourtant une crise décisive dont le souvenir demeura fortement empreint sur l'âme du jeune homme. Il écrivait plus tard, en parlant de cette époque : « En aucune partie de ma vie religieuse, je ne me suis senti en communion aussi intime avec Dieu ; jamais depuis lors je n'ai possédé une aussi grande délicatesse de conscience, une telle joie dans le service de Dieu, et une compassion aussi vive pour l'âme de mes semblables. J'étais persécuté par mes anciens camarades ; mais c'était « pour la justice, » eux-mêmes en convenaient. »
En même temps que son âme s'ouvrait à la compréhension des choses religieuses, il sentait naître en lui un ardent désir de savoir. Sa culture intellectuelle avait été complètement négligée, et ce ne fut qu'à force d'intelligence et de bonne volonté qu'il réussit à acquérir les connaissances qui lui furent nécessaires dans la carrière qu'il devait embrasser plus tard, bien qu'alors il n'y pensât nullement. Ayant eu le bonheur d'entrer à cette époque au service d'un maître à la fois lettré et pieux, il put enfin satisfaire ses goûts et consacrer tous ses loisirs à la lecture et à l'étude. Son intelligence jusqu'alors emprisonnée dans le cercle étroit des occupations de sa vie journalière, prit son essor et arriva à la conscience de sa force. Ce fut surtout vers sa chère Bible, qu'il aimait d'une croissante affection, qu'il fit converger tous ses travaux intellectuels. Ses préoccupations studieuses le poursuivaient partout, et, soit qu'il fût aux champs, soit qu'assis sur sa charrette il conduisît au marché les céréales de son maître, on était sûr de le trouver plongé dans ses réflexions. Quelquefois, il faut le dire, ses méditations lui étaient plus profitables à lui-même qu'elles ne l'étaient à son maître. Une fois, par exemple, celui-ci l'avait chargé de porter le lendemain une charge de blé au marché de Newark. Hunt se leva en temps convenable, donna l'avoine à ses chevaux et les attela à la charrette du fermier ; mais, tout absorbé par la lecture qu'il avait faite la veille de quelque passage de Home ou de Paley, il ne s'aperçut pas, avant d'arriver au marché, qu'il avait oublié de charger les sacs de blé sur la charrette. De petites mésaventures comme celle-là étaient assez fréquentes, mais le fermier que servait John était pieux, et, voyant que son serviteur mettait tout son zèle à accomplir ses devoirs, il excusait tout, se disant que Dieu destinait sans doute ce jeune homme à une vocation plus relevée.
C'était là aussi la conviction qui se faisait jour insensiblement au milieu des membres de la petite société méthodiste qui se réunissait à Swinderby. Ils avaient remarqué la conduite chrétienne de John, et plusieurs avaient été frappés des habitudes studieuses et réfléchies du jeune garçon de ferme. Or, l'un des traits caractéristiques de l'Église wesleyenne c'est de mettre à profit tous les talents de quelque nature qu'ils soient, en sorte que chaque communauté est pour ainsi dire aux aguets afin d'utiliser les dons de ses membres pour l'édification de l'Église. La localité que nous avons nommée n'était visitée qu'occasionnellement par les pasteurs, et un laïque devait souvent présider le culte. Un dimanche soir, sur l'invitation pressante de ses frères qui, dans les réunions de prières, avaient pu se convaincre de l'onction et de la facilité de Hunt, il se décida, après avoir longtemps hésité, à adresser quelques timides paroles à l'assemblée. Ce petit essai satisfit tellement la congrégation qu'elle l'appela à lui prêcher, toutes les fois que le pasteur serait absent. Mais le pauvre jeune homme, naturellement timide, passait par des transes et des frayeurs indescriptibles, toutes les fois qu'il était appelé à prendre la parole en public. Quelques épreuves qu'il rencontra dès l'abord augmentèrent cette défiance qu'il avait de lui-même ; mais, tout compté, il y avait là un élément de force et de succès. L'épreuve fut rude toutefois ; pendant plusieurs mois, il se vit ballotté par le doute et la tentation, et ce ne fut qu'à la suite de violents combats qu'il put se décider à prêcher. L'appel de l'Église était si clair et si pressant, que force lui fut de laisser là ses hésitations pour répondre à la voix intérieure qui le poussait dans la carrière de l'évangélisation. Son nom parut sur le tableau des services du circuit au rang des prédicateurs laïques. Lorsque cette liste des services religieux lui fut remise, il entra en tremblant dans sa chambre, la déploya devant lui, se jeta à genoux et demanda à Dieu, au milieu de larmes abondantes, qu'il lui révélât clairement sa volonté. Bientôt le calme se fit dans son esprit, ses doutes s'évanouirent, et la conviction naquit en lui que Dieu l'appelait à prêcher son Évangile. Cette conviction demeura inébranlable jusqu'à l'heure de sa mort.
L'humble garçon de ferme n'avait aucune ambition par rapport à l'avenir, et il ne songeait nullement à sortir de sa position, pensant que, comme beaucoup d'autres dans son église, il pourrait se rendre utile en qualité d'évangéliste laïque non rétribué. Plus que jamais il se livra à l'étude, et ses auditeurs remarquèrent bientôt que d'une fois à l'autre il faisait de nouveaux progrès. Un pasteur qui l'entendit un jour, fut tellement frappé de son intelligence et de ses dons naturels, qu'il résolut de faire tous ses efforts pour le décider à entreprendre des études en vue du ministère. Dans une conversation qu'il eut avec lui, il lui demanda quelles étaient ses pensées sur ce sujet. Le jeune homme qui, depuis quelque temps, se sentait appelé à se consacrer exclusivement à l'œuvre de Dieu, déclara qu'il ne se croyait pas capable de devenir jamais ministre, mais il confessa qu'il avait « une ambition, » — ce fut sa propre parole, — celle de prier un missionnaire sur le point de partir pour le Cap de le prendre comme domestique. « Je pourrais peut-être, ajoutait-il modestement, outre les services matériels que je lui rendrais, devenir utile dans l'école du dimanche, et adresser quelques prédications aux colons anglais. » Le pasteur acquit, dans cette entrevue, la conviction que ce jeune homme pouvait faire quelque chose de mieux dans l'œuvre du Seigneur que de cultiver les champs de la mission au sud de l'Afrique. Cette modestie nullement affectée le lui fit prendre en sérieuse estime, et il se promit de faire quelque chose pour lui.
Le jeune fermier avait fait de si rapides progrès dans tous les sens que sa réputation se répandit bientôt, et les chapelles des villes principales du comté lui furent ouvertes ; partout sa parole attirait la foule et produisait de profondes impressions sur les âmes. Son instruction était loin assurément d'être complète, mais il possédait un naturel si richement doué, son langage était empreint d'une candeur et d'une onction telles, que ses auditeurs charmés et convaincus ne pouvaient se lasser de l'entendre. Il réunissait une brillante imagination à un esprit méthodique et dialecticien. « La véhémence de sa conviction était telle, écrit son biographe, qu'il communiquait à ses auditeurs le feu qui dévorait sa propre âme, en sorte que parfois l'assemblée tout entière se courbait sous cette main rugueuse et durcie par le travail des champs, et des larmes et des sanglots répondaient à ses appels énergiques. Le secret de ses succès, je le trouve sur un chiffon de papier où il écrivait à ce moment : « Je suis convaincu que, pour être utile comme prédicateur, je dois être éminent comme chrétien individuel ; » et il continue en s'accusant de n'avoir pas visité les malades assez régulièrement, ni censuré le mal avec assez de fidélité. Bien qu'il se vît recherché et admiré, il ne paraît pas s'en être enorgueilli ; le sentiment des lacunes nombreuses de sa culture et de son talent le gardait dans l'humilité, et le poussait à la prière. C'était à genoux qu'il acquérait la puissance qui l'accompagnait dans là chaire. Quel temps il passait dans une lutte intense, nul ne pourra le dire que Celui « qui voit dans le secret. » Un jour qu'il priait de la sorte avant de monter en chaire, un jeune homme pénétra dans sa chambre pour lui parler, mais bientôt il s'en revint, disant que le prédicateur n'avait pas même remarqué son entrée dans la chambre, et qu'il paraissait tellement en communion avec Dieu et absorbé dans le sentiment de sa présence qu'il n'avait pas eu le courage de l'interrompre. »
Ces détails sur les premiers travaux de Hunt comme prédicateur laïque étaient nécessaires pour faire comprendre le caractère et la vie du missionnaire. Ce travail si fortement individuel où il se trouvait souvent abandonné à ses seules forces, devait développer en lui à la fois l'habitude d'aller de l'avant par soi-même et le besoin de s'appuyer constamment sur Dieu, les deux qualités fondamentales et indispensables de tout missionnaire.
En septembre 1835, John Hunt fut admis à l'institut à la fois littéraire et théologique d'Hoxton, près de Londres. Sa piété et sa douceur le firent estimer et aimer de ses professeurs et de ses condisciples, bien que parfois l'accent provincial de l'ancien garçon de ferme amenât un sourire sur les lèvres de ces derniers. Il manifestait pour l'étude un zèle remarquable et des dispositions étonnantes, et les trois années qu'il passa à l'institut le transformèrent au point de le rendre méconnaissable. Ses aptitudes naturelles avaient enfin trouvé leur voie, et sa forte intelligence se développait rapidement au contact de ces livres et de ces études qu'il avait souvent rêvés dans le passé, sans pouvoir en jouir comme il l'eût désiré. Il sentait mieux que personne les lacunes de son instruction première, et il les déplorait au point de s'imaginer parfois qu'il était condamné à être à toujours un homme inférieur, et au point de craindre d'avoir agi d'une manière trop précipitée, en acceptant l'appel qui lui avait été adressé. La suite devait répondre à ces préoccupations très naturelles et très respectables, en prouvant qu'elles n'avaient aucune raison d'être.
Quelques-uns des amis de Hunt avaient craint que les études auxquelles il allait se livrer n'eussent pour résultat d'altérer la simplicité de sa foi. Il n'en fut rien heureusement. Cette foi avait jeté de trop profondes racines dans son âme, et surtout elle avait été conquise par lui au prix de trop de larmes et de trop de combats pour se laisser facilement ébranler. Ces années furent au contraire pour lui une période de progrès et d'affermissement. Sa foi passa par une crise salutaire d'où elle sortit retrempée et fortifiée pour les luttes que l'avenir lui réservait. Quelques lignes empruntées à l'une de ses lettres indiqueront au lecteur ce grand trait de la piété du jeune étudiant, je veux dire cette ambition de progrès, cette soif de sainteté'qui fut son tourment, dirai-je, ou sa force plutôt, tout le long de sa carrière : « Le Seigneur a béni mes travaux depuis que je suis à Londres, écrit-il. Oh ! je sens que si j'étais plus saint, je serais aussi plus utile. Je crains, parfois d'être une occasion de chute et même de perdition pour quelque âme par mon manque de sainteté. Mais pourquoi en serait-il ainsi ? Mon Dieu ne veut-il pas m'accorder la plénitude du salut que Jésus m'a acquis en mourant pour moi ? Oui, Seigneur, je puis recevoir par la foi une mesure plus abondante de sainteté ; oh I augmente ma foi … Ne nous contentons pas d'un christianisme ordinaire. Prions et croyons jusqu'à ce que la foi et la prière nous deviennent faciles. Je crois que l'on peut en arriver à vivre en Dieu, au point qu'il devienne aussi naturel de prier et de croire que de respirer. »
C'est une erreur dangereuse que de s'imaginer que plus la piété est profonde plus elle se passe de règles. Ce qui arrive au contraire, c'est que, se connaissant mieux, elle se surveille davantage. Hunt se donna, dès la première année de ses études, les règles suivantes pour ses dévotions quotidiennes :
Ces divers exercices occuperont une heure environ.
Le soir :
Quelqu'un pourra trouver qu'il y a quelque chose d'un peu légal dans cette division si méthodique du temps consacré aux dévotions particulières. Je n'en disconviens pas ; qu'on y voie cependant une tentative de réagir, au moyen d'une discipline sévère, contre les entraînements d'une vie studieuse, et l'on se sentira plus porté à admirer qu'à blâmer notre jeune étudiant.
Son séjour à Hoxton fut marqué pour lui à la fois par des progrès remarquable dans son développement intellectuel et par des progrès non moins sérieux dans sa vie intérieure. Selon la recommandation apostolique, il avait ajouté à la foi la science, sans pour cela, comme tant d'autres, sacrifier la première à la seconde. On verra combien cette double préparation devait être nécessaire au futur missionnaire, au futur traducteur de la Bible.
Un jour du mois de février 1838, John Hunt, qui touchait au terme de ses études à Hoxton, reçut l'invitation de se rendre, sans perdre un moment, à la Maison des missions wesleyennes.
Un cri de détresse était parti de l'un des archipels reculé de la Polynésie, et, sous la forme d'une feuille volante, avait remué tous les cœurs chrétiens de l'Angleterre. Il s'agissait des îles Viti ou Fidji, dont le nom était à peine connu alors et qui ne figuraient que sur peu de cartes géographiques. Des détails effrayants venaient d'arriver, de la part de deux missionnaires, sur les horribles cruautés auxquelles se livrait de sang-froid ce peuple anthropophage. Ils demandaient à grands cris des compagnons d'œuvre pour entreprendre la conquête de ce pays à l'Évangile. Les membres du comité venaient proposer à Hunt d'être l'un de ces premiers partants. Le sentiment de sa vocation pour l'œuvre des missions n'avait fait que s'enraciner plus profondément dans son âme, durant tout le cours de ses études, mais sa première pensée avait persisté en lui ; il se croyait destiné à évangéliser l'Afrique et il avait toujours exprimé son opinion à cet égard. L'appel pressant qui lui fut adressé l'émut profondément ; il demanda un peu de temps pour réfléchir.
A son retour, il entra précipitamment dans la chambre de l'un de ses camarades, et d'une voix troublée, lui dit : « Ils me proposent d'aller à Fidji. »
Hunt semblait tellement abattu que son ami s'empressa de l'encourager et de sympathiser avec lui, en lui parlant des périls de cette mission parmi les cannibales.
« Ce n'est pas là ce qui m'effraie, » répondit vivement le jeune homme.
« Qu'est-ce donc ? » répliqua son ami.
Hunt était, pour ainsi dire, brisé par l'émotion. A la fin il dit : « Je vais vous le dire. Cette pauvre amie du Lincolnshire n'osera jamais m'accompagner à Fidji ; sa mère n'y consentirait pas. » Il craignait que cette amie de son cœur, qui, depuis six ans, lui était demeurée fidèle et qui avait consenti à le suivre partout, n'osât pas l'accompagner sur cette terre lointaine qui jouissait déjà d'une si triste renommée. Il lui écrivit aussitôt, et, peu de jours après, il entrait de nouveau dans la chambre de son ami, la figure rayonnante, et il s'écriait : « Tout va bien ! Elle veut me suivre partout où j'irai. »
Pendant que s'accomplit, sous le regard de Dieu, le long voyage du jeune couple missionnaire, jetons un coup d'œil sur le pays lointain vers lequel il se dirige.
[Au lieu de décrire nous, même Fidji et les Fidjiens, d'après nos documents, nous préférons emprunter à la belle étude de M. Nagel, dans le journal Les Missions Evangéliques, toute la dernière partie de ce chapitre. Ce travail est fait avec talent, et nos lecteurs ne pourront que gagner au change.]
« C'est parmi les innombrables archipels de la Polynésie que se range le groupe des îles Fidji, qui compte environ 225 îles, dont 80 sont inhabitées et ne sont visitées que de temps à autre par les pêcheurs. Elles couvrent ensemble une surface plus grande que celle de toute la Suisse, et la population totale en est estimée à 170 000 âmes ; mais cette estimation est sans doute bien au-dessous de la réalité. Deux seules de ces îles sont grandes ; toutes les autres sont assez petites. La plus grande de toutes est celle de Viti-Levou (ou Fidji la grande) qui a donné son nom au groupe entier, et qui a une longueur de 30 lieues (de l'ouest à l'est) sur une largeur de 20 (du nord au sud). Elle a des montagnes qui s'élèvent à une hauteur de 5000 pieds, une nature des plus riches, les paysages les plus beaux et les plus variés et une population de 50 000 âmes. C'est là que résident les chefs les plus puissants. La capitale de tout ce petit empire est Mbau, située dans la petite île du même nom, qui n'a qu'une demi-lieue carrée de surface et qui est unie à l'île de Viti-Levou par un isthme, à sec quand les eaux sont basses et toujours guéable. Au nord de Viti-Levou s'étend la seconde grande île du groupe, celle de Vanoua-Levou, (ou le grand pays), longue de 46 lieues, large de 12 et entamée par une baie qui s'avance à près de 20 lieues dans l'intérieur des terres et que les Fidjiens appellent la Mer morte. C'est la seule île du groupe qui produise le bois de sandal, ce bois parfumé si recherché des Chinois, qui le brûlent en l'honneur de leurs dieux ou de leurs ancêtres, et qui a attiré vers les îles Fidji les premiers marchands. L'île de Vanoua-Levou est encore remarquable par les sources chaudes de Savou-Savou, dans l'eau desquelles les indigènes peuvent faire cuire leurs aliments. Elle doit avoir une population de 30 000 âmes. Près de cette île, à l'est, est celle de Somosomo ou Taviouni, le paradis des îles, dont les missionnaires disent que l'imagination la plus riche ne saurait concevoir des scènes d'une plus luxuriante beauté. A l'est de ces grandes îles et dans la direction du sud-est, s'étend toute une guirlande d'îles délicieuses, formant avec les précédentes un grand arc de cercle qui enferme une mer intérieure nommée mer de Koro et ouverte au midi. On y distingue à partir de Vanoua-Levou, les groupes des îles Ring-golds, des îles de l'Exploration et de Lakemba ; enfin, à l'extrémité de l'arc, et à une certaine distance des autres, le petit groupe d'Owo. Au centre de la mer de Koro sont disséminées les îles du groupe central ; au sud de Viti-Levou se trouve le groupe de Kandavou, et à l'ouest des deux grandes îles s'étend, sur une longueur de 40 lieues, le groupe d'Yasawa.
Telle est la distribution géographique de ces îles, qui diffère entièrement de la division politique. Qui pourrait dépeindre convenablement l'aspect si pittoresque et si varié de ces îles fortunées ? Ici des montagnes élevées dont les flancs vont s'abîmer dans des précipices abrupts, des rochers qui de loin semblent suspendus dans les airs, des pics élancés aux formes les plus fantastiques ; au sommet de rochers qu'on dirait inaccessibles, des demeures habitées et même des villages et des villes, et, au fond des abîmes, les torrents écumeux, au bruit sauvage desquels nous nous croirions transportés au milieu des scènes les plus magiques de notre nature alpestre. Là, sur les flancs des montagnes et dans les plaines au sol le plus fertile et le mieux arrosé, s'étale sous un climat délicieux la végétation à la fois la plus luxuriante et la plus vigoureuse. Vous y trouvez réunies toutes les productions des climats tropicaux et des zones tempérées. Là se comptent neuf espèces d'arbres à pain et autant d'espèces différentes de bananiers ; deux espèces de cotonniers, dont chacune atteint une hauteur de 70 à 80 pieds. Là se trouve la châtaigne de Tahiti, principale nourriture des habitants de la montagne ; l'oranger, dont l'arbre atteint une hauteur de 40 pieds ; le citronnier, importé des îles Tonga, la courge, le concombre, la groseille, l'ananas, le melon d'eau, le poivre rouge, cinq à six espèces d'ignames, dont la racine fournit aux indigènes leur principale nourriture et atteint à Somosomo une longueur de 4 à 5 pieds. Là croissent une foule de racines et de plantes dont plusieurs sont propres à ces îles, comme l'ivia qui ne croît que sur l'île de Rewa et qui fait dire aux Fidjiens que, grâce à cette plante, les habitants de cette île n'ont à redouter aucune famine ; puis l'arrow-root, le taro, la canne à sucre, le tabac, le cotonnier qui s'élève jusqu'à 15 pieds. La végétation s'y développe avec une telle rapidité que les raves, les raiforts, la moutarde sortent de terre 24 heures après avoir été semés et que les laitues se sèment et se cueillent en moins de quatre semaines. Et si la terre fait jaillir de son sein les fruits les plus utiles et les plus exquis, les mers de ces rivages sont des plus poissonneuses et invitent aux pêches à la fois les plus variées et les plus abondantes.
Sur ces îles fortunées nulle bête féroce ne vient disputer à l'homme la suzeraineté sur la nature ; le plus léger travail y est surabondamment récompensé ; l'œil ne repose que sur des tableaux d'une beauté exquise et, sous un soleil toujours radieux et dans un printemps perpétuel, la vie semble devoir y glisser doucement, au milieu des chants, des danses et des scènes de l'âge d'or ou du paradis terrestre. Oui, si ce pays n'était pas habité par des fous furieux ; si l'état normal des peuplades qui l'habitent n'était pas la guerre et une guerre d'extermination ; si les hommes n'y étaient pas des cannibales sans pitié et sans remords, et si les cruautés des Néron et des Domitien n'étaient pas fades et douces comparées à celles du premier chef fidjien que vous rencontrez.
Les habitants des îles Fidji sont généralement hauts de taille, bien proportionnés et vigoureux. Leur peau est d'un noir tirant sur le chocolat, ils ont de beaux yeux noirs, un regard pénétrant, mais inquiet, le visage allongé, la bouche grande. Le Fidjien est un nègre, mais anobli par le mélange d'une autre race ; car, dans la plupart des cas, les lèvres épaisses ont disparu, l'angle facial s'est relevé, et l'on trouverait parmi les chefs et les femmes des modèles de beauté, qui satisferaient le goût européen le plus délicat. Leur nature est énergique et fière, et, avec des mœurs révoltantes, ils font preuve d'une candeur, d'une avidité de s'instruire, d'une facilité à recevoir de nouvelles vérités et à délaisser de vieilles erreurs qui nous réconcilient avec eux et qui nous montrent pourtant encore dans le féroce cannibale quelques germes d'une nature noble. Ils sont moins intelligents et moins policés que les Malais, mais l'esprit malais est l'esprit asiatique par excellence, c'est-à-dire qu'il est vieux, usé, sans élasticité et sans ressort. Le Fidjien, tout en lui étant un peu inférieur en intelligence, a gardé plus de fraîcheur et de jeunesse ; il est resté ouvert à tout ce qui est nouveau, et s'approprie avec avidité tout ce qui lui paraît bon. D'un autre côté, il est moins aimable et moins doux que le Polynésien ; mais, s'il est rude, il est aussi plus énergique, plus vigoureux, plus ferme, et n'a absolument rien d'efféminé. Le Fidjien est très mobile et les impressions se succèdent dans son cœur avec une rapidité extrême. Il aime à plaisanter, et rit volontiers et beaucoup ; mais au moment même où tout trahit en lui l'humeur la plus gaie, pour un rien il s'emporte, devient furieux et ressemble plus à une bête féroce qu'à un homme.
Les Fidjiens sont loin d'être étrangers à toute civilisation. Ils ont des lois de succession fixes, des divisions de territoire bien déterminées et un code criminel tout à fait arrêté. L'idée d'un Dieu invisible, tout-puissant et qui gouverne toutes choses, leur est familière. Ici, comme partout, le monothéisme est à la base du polythéisme. Mais chaque île n'en a pas moins ses dieux particuliers, chaque ville ou village ses superstitions, et presque chaque individu sa théologie. Ils ne semblent pas avoir jamais connu l'idolâtrie dans le sens particulier, ils n'éprouvent pas le besoin de se faire des représentations sensibles de leurs dieux, ni de rendre un culte aux corps célestes, aux éléments ou à des êtres et des objets visibles. Le nom qu'ils donnent à la divinité en général, est Kalou, mot par lequel ils désignent tout ce qui est grand et merveilleux, et le Dieu le plus connu est Ndengeï, personnification de l'immuable éternité. Les autres dieux sont orgueilleux et passionnés, envieux et voleurs, impurs et cannibales ; en un mot, ils sont la personnification des Fidjiens eux-mêmes. Leurs temples sont de beaux et vastes édifices. Chaque temple a son oracle, dont les prêtres sont, comme à Delphes, les interprètes. Mais aux îles Fidji, comme en Grèce, malheur au prêtre qui s'aviserait d'avoir des interprétations contraires à la volonté d'un chef puissant !
Leur littérature est purement orale et n'est pas très étendue ; mais ils ont pourtant une riche collection de proverbes dans lesquels l'ironie joue un grand rôle. Ils ont aussi des chants et des poèmes composés dans un mètre régulier. Chose étonnante, les Fidjiens ont la tradition du déluge la plus remarquable de l'Océanie. Lors d'une grande inondation tous les hommes périrent, sauf huit personnes qui se réfugièrent dans l'île Oubenga, où le plus grand des dieux leur apparut. Aussi les chefs d'Oubenga ont-ils le pas sur tous les autres. — Le barde improvise ordinairement et il est toujours très populaire. Les Fidjiens sont tous doués d'un grand don d'invention, mais ils la mettent le plus ordinairement au service de leur orgueil et de leur vanité, car ils n'ont pas leurs égaux pour le mensonge et la gasconnade. Ils ont bien confiance en l'homme blanc, mais se défient tous les uns des autres, et l'on ne peut obtenir quelques paroles vraies qu'après les avoir piqués d'honneur en les exhortant à ne pas parler comme des Fidjiens, mais comme des blancs.
Ils excellent dans plusieurs arts, bâtissent d'excellentes maisons, construisent des canots qui peuvent porter jusqu'à 300 hommes, fabriquent toute espèce d'armes et de vêtements, même des étoffes très fines et de la poterie élégante. Ils aiment beaucoup la musique et font d'excellents cuisiniers.
Le peuple de Fidji tient beaucoup à l'étiquette. Elle règle tout, jusqu'aux moindres détails, et reçoit chez eux une sanction redoutable : tout individu qui y manque, fût-ce par ignorance, est impitoyablement assommé. La société est divisée en six classes bien distinctes :
Le rang est héréditaire, mais se transmet dans la ligne féminine. La raison en est qu'un chef peut avoir jusqu'à cent femmes à la fois. Les Fidjiens tiennent leurs femmes dans un état de grand abaissement. Elles n'osent franchir le seuil d'aucun temple et sont vendues comme une denrée et à vil prix, pour un fusil par exemple, ou un fanon de baleine. L'acheteur d'une femme, de son côté, peut eu faire tout ce qu'il veut, même la tuer.
Mais nous n'avons encore fait qu'indiquer les traits généraux du caractère fidjien, sans en faire ressortir le côté spécial. Il nous reste à l'exposer, malgré toute la répugnance que nous éprouvons à le faire. On dit que la duchesse de Marlborough avait une amie pour laquelle elle éprouvait une affection si particulière qu'elle avait placé son portrait dans sa chambre à coucher, pour que ce fût toujours le premier objet sur lequel ses yeux s'arrêtassent à son réveil. Mais les deux amies vinrent à se brouiller, et plus l'affection mutuelle avait été vive, plus elle se changea en haine violente. Ce dernier sentiment devint même si fort chez la duchesse, qu'elle se mit à barbouiller de noir le portrait de celle qu'elle aimait jadis, et à écrire sur le cadre : « Elle est encore plus noire au dedans ! » Or la peau du Fidjien est d'un noir foncé ; mais nous n'hésitons pas à dire, avec la duchesse de Marlborough, que l'âme du Fidjien est encore plus noire que sa peau. A dire vrai, à parler sans exagération, sa vie est quelque chose comme le plus affreux cauchemar qu'on puisse imaginer.
Les Fidjiens ont une passion frénétique pour la chair humaine. Toujours en armes, en guerre continuelle avec leurs voisins, il semble qu'ils ne font la guerre que pour assouvir cet horrible appétit. La table d'un chef ne saurait manquer de ce plat recherché. Nulle fête n'est complète sans victime humaine. Les amis s'envoient des cadeaux de chair humaine, et le plus grand éloge qu'on puisse faire d'un plat, est de dire : « C'est délicat comme un cadavre. » Si la dernière guerre n'a pas été assez productive, si la provision de chair humaine est épuisée, les chefs se jettent sur leurs propres sujets et leur coupent un bras, une jambe, pour satisfaire leur infernale passion. Seuls juges de toutes leurs plaintes, ils ne rendent souvent leurs arrêts que dans ce but. Nos juges condamnent parfois par avarice, les juges fidjiens par gourmandise. Une servante avait commis une légère faute. Si elle avait été vieille, on lui aurait donné tout simplement quelques coups de fouet ; mais elle avait le malheur d'être jeune. Cette chair fraîche et tendre avait un attrait irrésistible, et le juge qui était le chef, lui fit couper le bras. C'est elle-même qui a raconté le fait aux missionnaires, pour leur expliquer comment elle était mutilée. — Le roi de Mbau n'avait pas de corps humains pour l'entretien d'une ambassade de Somosomo. Point de guerre en ce moment pour s'en procurer. Que faire, car c'est l'ambassade d'un chef puissant avec lequel on craint de se brouiller. Navindi, le chef des pêcheurs s'élance dans son canot de guerre, et s'en va aborder à un point de la côte où les arbres descendent jusqu'à la mer. Il s'y tient en embuscade et voit bientôt quatorze femmes s'approcher ensemble du rivage. Il se jette sur elles, les saisit, les traîne l'une après l'autre dans sa barque et les emmène à la boucherie. Mais il y en a trop peu, car l'ambassade est nombreuse et il faut la traiter avec tous les égards possibles. Il s'élance une seconde fois dans son canot, aborde ailleurs, se cache de nouveau, et tôt après ramène en triomphe onze nouvelles victimes. Toutes furent mangées. — Un trait encore. Ra-Vatou, fils du chef Undréundré, de Rakiraki, conduisit un jour le missionnaire Lyth à une rangée de pierres de même grosseur. C'étaient des pierres que son père avait placées là une à une, à chaque cadavre humain qu'il avait dévoré, depuis que ses enfants avaient commencé à grandir. Il les avait dévorés tout seul, sans en donner quoi que ce soit à sa famille ou à ses amis. Le missionnaire compta 872 pierres, et plusieurs avaient déjà été enlevées.
D'où peut provenir un usage aussi horrible ? On pourrait croire que c'est par suite des affreuses famines auxquelles sont exposés des sauvages toujours paresseux et absolument insouciants de l'avenir. En effet, une partie des Bassoutos du sud de l'Afrique ont été poussés au cannibalisme par les famines qui ont désolé leur pays, et dès que ces famines ont cessé, le cannibalisme a pris fin avec elles. Nous hâterons-nous de jeter la pierre à ces malheureuses peuplades ? Hélas ! rappelons-nous les scènes d'horreur qui ont marqué nos sièges ou nos naufrages les plus célèbres. Mais des famines pareilles ont-elles jamais pu avoir lieu dans des contrées aussi favorisées que les îles Fidji où la nature produit en abondance, et le plus souvent sans exiger aucun travail, tout ce dont l'homme peut avoir besoin ? Puis quand le cannibalisme est devenu une coutume universelle et que la chair humaine est envisagée comme la plus grande friandise d'un peuple, on ne saurait plus en accuser seulement les famines ou les circonstances extérieures ; il faut en chercher la cause dans les instincts diaboliques, la colère et la vengeance surtout, qui poussent l'homme aux derniers excès. Si quelque chose dans l'histoire de l'humanité montre à qui veut le voir, combien le diable a pris possession du cœur de l'homme pour y exercer ses ravages, c'est certes bien le cannibalisme.
Une autre coutume diabolique des Fidjiens est celle d'enterrer des hommes vivants. Quand on veut bâtir la maison d'un chef, on creuse des fosses profondes pour les pieux qui doivent la supporter, et au pied de chaque pieu on attache un esclave vivant, debout, qu'on descend dans la fosse, et qu'on couvre de terre. — Dès qu'un malheureux Fidjien tombe malade, ses plus proches parents l'étranglent, l'assomment ou l'enterrent vivant, pour s'épargner la peine d'en prendre soin. Jackson, marin anglais, qui vécut plusieurs années au milieu des Fidjiens, raconte qu'il assista à l'ensevelissement volontaire d'un jeune homme. Il était peu malade, mais faible et très maigre. « Nous arrivâmes, dit-il, à une place où il y avait plusieurs tombes, et le jeune homme choisit lui-même où il voulait être enterré. Le seul motif qui le poussât à cela, semble avoir été la peur que les jeunes filles ne se moquassent de lui et ne l'appelassent un squelette. Son propre père, déjà vieux, se mit à creuser la fosse, pendant que sa mère lui aidait à mettre des vêtements neufs et que sa sœur l'enduisait de noir de fumée et de vermillon, comme pour l'envoyer décemment dans l'autre monde. Bientôt son père lui annonce que la tombe est prête et lui demande d'un ton hargneux pourquoi il tarde tant. Le fils répondit : « Je voudrais, avant de mourir, boire encore un verre d'eau. » Le père courut en chercher, en disant du même ton : « Tu n'as fait que me donner de la peine durant toute ta vie ; il paraît que tu veux m'en donner jusqu'à ta mort. » Le jeune homme vide le verre ; puis, levant les yeux vers un arbre couvert de vigne vierge, il dit qu'il aimerait mieux être étranglé avec un rameau de cette vigne, qu'étouffé dans une fosse. A ces mots, le père entre en fureur, et, étendant une natte au fond de la fosse, il lui ordonne de s'y coucher et de mourir en homme. Le fils descend dans la fosse et s'y couche sur le dos. Père, mère, sœur, se hâtent de le couvrir de terre. Quand il y en eut la hauteur d'un pied, le père se mit à la fouler en criant à son fils : « T'arrêtes-tu ici ? t'arrêtes-tu ici ? » Le fils répondit par un gémissement qu'on entendit très distinctement. On jeta dans la fosse un nouveau pied de terre, et le père de crier de nouveau. Un second gémissement, beaucoup plus sourd que le premier, se fit entendre. On remplit la fosse jusqu'au bord et moi-même je me mis à crier ; nous n'entendîmes aucune réponse ; mais je crus voir, ou je vis réellement, la terre se fendre un peu au-dessus du lieu où était enseveli le malheureux fils. »
Quand un chef meurt, c'est la coutume qu'on étrangle ses femmes. S'il en avait plusieurs, peu échappent à la mort. Les enfants d'une femme ainsi étranglée sont par là même légitimés. Ces femmes se préparent à l'avance pour le moment suprême ; elles se baignent, se parfument, mettent leurs plus beaux vêtements, posent elles-mêmes en écharpe sur leur cou la pièce d'étoffe qui doit servir à les étrangler, puis s'agenouillant sur la tombe de leur mari, elles disent à ses frères ou à ses fils : « Mon mari est parti pour un voyage ; de grâce laissez-moi l'accompagner ! » Et ceux-ci, de se précipiter sur elles et de les étrangler. — Un frère de Touikilakila vint à mourir. Il avait trente femmes, toutes disposées à le suivre. La plus belle était encore très jeune. Epris de sa beauté, Touikilakila proposa d'en épargner quinze, parmi lesquelles devait, se trouver cette jeune femme. Mais elle refusa de vivre, demandant au chef quel homme, après son frère, serait digne d'être son mari. Cette insulte mit le chef dans une telle fureur, qu'il ordonna qu'on l'étranglât sur-le-champ. Quand elle fut dans l'agonie, il fit relâcher la corde, espérant qu'elle changerait de résolution ; mais la courageuse jeune femme saisit elle-même la corde et la tendit de toutes ses forces. Le sauvage, au comble de sa fureur, l'acheva d'un coup de massue. Cela se passait à Somosomo. Jackson dit que nulle femme ne la pouvait surpasser en beauté et que son mari était aussi le plus bel homme de l'île. Or les hommes de cette île étaient les plus beaux qu'il eut jamais vus.
Mais, dira-t-on, comment l'humanité peut-elle se faire à des monstruosités pareilles ? Pour y répondre, rappelons-nous quelle est la puissance de l'habitude et de l'éducation. L'enfant fidjien suce la soif du sang avec le lait de sa mère, et dès lors il a aussi peu de pitié ou de remords que le tigre même. »