Vilains loulous sous le ciel bleu de Ré la blanche - Robert Béné - E-Book

Vilains loulous sous le ciel bleu de Ré la blanche E-Book

Robert Béné

0,0

Beschreibung

Que se passe-t-il lorsqu'une héritière tombe amoureuse d'un mythomane complètement fauché ?

Magali est une rétaise vivant à Paris. En instance de divorce, elle tombe sous le charme, lors d'une réception, de Jean-Gabriel Nantureau, un mythomane fauché se parant de titres qu'il n'a jamais eus. Lorsqu'elle l'emmène à l'Île de Ré dans la belle et confortable maison qu'elle a héritée de ses parents, Nantureau pense qu'il a tiré le bon numéro. Finie la vie de clochard en smoking, pense-t-il. Mais Christian Gaillard, le mari de la coquette Magali, ainsi que Raymond et Marie, les parents de la jeune femme, ne sont pas dupes des intentions de l'amant de celle-ci. Ils le seront encore moins lorsque apparaîtront successivement deux vilains loulous qui viennent réclamer, plutôt méchamment, l'argent que Nantureau ne leur a jamais remboursé. Il s'en suit une série «d'accidents», tant sur mer que le soir au clair de lune, ce qui pourrait faire croire qu'il y a une certaine justice sur terre. C'est du moins ce que pense le vieux Raymond en buvant son petit blanc entouré de sa femme, de sa fille, de son gendre et de quelques bons amis.

Terminé, la quiétude de l'île de Ré, pour la jeune Magali et son entourage ! Plongez-vous sans tarder dans ce polar maritime empli de suspense.

EXTRAIT

Alors qu’il savonnait son crâne, lisse comme une boule de billard, il essayait de se remémorer les règles de navigation qu’il avait apprises avec sa première femme au début de leur mariage et se demandait, lui qui persistait à ne pas porter de lunettes pour avoir l’air plus jeune (car il ne supportait pas les lentilles), s’il arriverait à lire le sondeur et les cartes marines. Inquiet, il se demandait également s’il saurait manœuvrer les voiles. En se frottant le dos, il se dit qu’il valait mieux qu’ils louent un catamaran à moteur. En s’essuyant, il se regarda dans le miroir et se demanda : « Pourvu que je n’aie pas le mal de mer depuis que je n’ai pas mis les pieds sur un bateau. J’aurais l’air de quoi, elle qui me prend pour un vieux loup de mer ? »
À la même heure, Antoine Dupin beurrait les toasts que Jacqueline, son épouse, faisait griller. Bien que peu bavarde tant qu’elle n’avait pas pris son petit déjeuner, celle-ci lui dit, sans lâcher le grille-pain des yeux :
— Tu sais ce que m’a confié Clémentine, l’autre soir ?
— Non.
— Elle m’a raconté – mais il ne faut surtout pas le répéter – que son futur mari est propriétaire d’un yacht mouillé en rade du Lavandou et qu’il va l’emmener faire une croisière en Grèce. Elle en a de la chance, elle.
Le nez plongé dans sa tasse, le commissaire en retraite sentit comme un reproche, mais il se contenta de lever ses épais sourcils. Devinant qu’il était sceptique, sa femme précisa :
— Un catamaran de dix-huit mètres, La Rose des Vents.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

L'auteur sait nous plonger dans l'atmosphère particulier de la vie sur l'île de Ré. Et ce nouveau roman policier nous réjouit par sa qualité de l'intrigue simple mais extrêmement prenante. - meknes56, Babelio

À PROPOS DE L'AUTEUR

Robert Béné est originaire de l’île de Ré où il vit (Sainte-Marie). Auteur à succès, il est très attaché à sa terre d’origine et est déjà l’auteur d’une série de romans policiers intitulée Ré la Blanche.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 174

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



vilains loulous

sous le ciel bleu

de ré la blanche

© – 2019 – 79260 La Crèche

Tous droits réservés pour tous pays

Robert Béné

vilains loulous

sous le ciel bleu

de ré la blanche

L’histoire qui suit est une œuvre

d’imagination. Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé ne pourrait donc être que fortuite et ne peut engager la responsabilité de l’auteur.

I

Il ne le clamait pas par-dessus les toits, mais il suffisait de l’entendre parler pour deviner que Raymond Borderon était un Rétais, un vrai, un pur jus. Et il avait la coquetterie de ne pas donner sa date de naissance, car il était fier d’être sec et costaud comme un vieux chêne. Quand il se mettait à parler de la période non seulement « d’avant le pont », mais aussi « d’avant les bacs », c’est-à-dire du temps des bateaux à vapeur et de l’armée allemande qui occupait l’île, les néo-Rétais qui l’écoutaient, après un rapide calcul mental, estimaient qu’il devait avoir près de quatre-vingts ans. En revanche, il était plus difficile de savoir s’il avait été paysan ou pêcheur car, comme la majorité des Rétais nés avant l’invasion touristique, il avait été à la fois les deux.

En dépit de ses allures rustres, Raymond Borderon avait su séduire la belle et douce Marie, une Rétaise de vieille souche comme lui. Mais si les parents de Raymond ne lui avaient pas donné le choix et lui avaient mis dans les mains, aussitôt le certificat d’études, une boelle1 et un marochon2, les parents de Marie avaient encouragé leur fille à poursuivre des études. Après son bac, elle suivit donc des cours dans une école commerciale et entra comme secrétaire au Crédit Agricole de La Couarde. Aussi la surprise fut-elle donc grande dans le village quand on apprit que ce rustre de Raymond courtisait la délicate Marie et qu’ils faisaient même des projets de mariage pour le printemps suivant.

Le mariage fut une belle cérémonie avec musique, fanfare et bal dans la salle des fêtes, coups de fusil en l’air et rues sablées3 sur le cortège des mariés. Plus de la moitié des habitants de la commune y furent invités. Dix mois plus tard, et là sans surprise, Marie laissait son travail pour mettre au monde la petite Clémentine et se consacrer entièrement à l’éducation du fruit de son amour avec Raymond.

C’était il y a une bonne quarantaine d’années.

L’enfant était tout le portrait de sa mère. Elle en avait la féminité, les yeux verts et l’épaisse toison aux reflets roux. De sa mère, elle avait aussi la douceur de la voix et la vivacité intellectuelle en même temps qu’une certaine langueur romantique que trahissait son regard. Aussi Raymond accepta-t-il de l’encourager à poursuivre ses études.

— Elle est douée comme sa mère. Moi, hi suis con comme un bourrin4.

Ce fut alors qu’elle revenait de la fac de Poitiers pour passer le week-end dans l’île que la jolie Clémentine rencontra Christian Gaillard dans le train. Lui venait de débarquer d’un tanker, à Rotterdam :

— Vous êtes de l’île de Ré ? Moi aussi, lui déclara-t-il dès qu’ils eurent échangé quelques paroles.

— Curieux que nous ne nous soyons jamais rencontrés. On aurait pu se voir au Bastion ou à la Pergola… ou au Buckingham. J’y vais souvent le samedi soir avec mes copines.

— Curieux, admit Christian. Il est vrai que je suis souvent absent, avoua le marin. Et quand je suis dans l’île, je passe beaucoup de temps à la pêche. Beaucoup plus qu’en boîte de nuit.

Curieux, peut-être, mais pendant ce mois où Christian Gaillard resta en congés dans l’île, celui-ci ne quitta guère la séduisante Clémentine, l’accompagnant même jusqu’à la fac le lundi matin. Aussi, quand il reçut un télégramme de son employeur lui proposant de rembarquer sur un pétrolier en escale à La Corogne, il répondit affirmativement non sans avoir demandé à Clémentine si elle voulait bien correspondre avec lui.

De sa jolie voie douce, Clémentine répondit oui.

à peine embarqué, il écrivit pour lui demander si elle voudrait bien l’épouser à son retour.

De sa belle écriture, elle répondit oui.

C’est à la même époque qu’elle abandonna ses études de langues pour un poste de secrétaire traductrice à Paris, à la direction de la compagnie pétrolière pour laquelle naviguait son jeune mari.

Cela c’était il y a une bonne vingtaine d’années.

Tout de suite, la vie parisienne plut à la coquette Clémentine, alors que Christian, quand il venait en congés, étouffait dans le studio qu’elle avait loué vers Boulogne-Billancourt. Un studio « à peine plus grand qu’une cabine de tanker », selon lui, où il la retrouvait quand il débarquait. En marchant sur les boulevards, en faisant passer le temps devant des vitrines qui n’avaient aucun intérêt pour lui, écrasé par les grands immeubles qui l’entouraient, par la foule cosmopolite qui le bousculait, il avait la nostalgie de son île, de ses petites maisons blanches et de ses ruelles vides de monde l’hiver et, surtout, de son canot qui l’attendait sur la cale sèche du port de Saint-Martin.

Petit à petit, la tension monta dans le couple et souvent, lorsque le marin débarquait, pour éviter les scènes de ménage, il préférait se rendre directement à l’île de Ré plutôt que de retrouver sa femme dans son « placard » (toujours selon une expression du marin), perché au quatrième étage. Il confiait alors à ses beaux-parents toute la peine qui l’accablait, car il aimait toujours Clémentine.

Les braves gens furent témoins du délitement progressif du jeune couple. Ils eurent beau tenter de rafistoler les morceaux, ils ne purent rien faire pour recoller cet amour qui se brisait chaque jour davantage. Une grande désolation envahit Raymond et Marie. Dès qu’ils abordaient ce sujet de conversation avec Clémentine, celle-ci devenait irascible. S’ils en touchaient deux mots à Christian, il s’enfermait dans un mutisme tel qu’il le faisait à bord quand ses collègues recevaient du courrier et pas lui.

Quand son employeur lui offrit un poste sur une plate-forme pétrolière, il accepta pensant qu’il verrait plus souvent Clémentine. Mais jamais celle-ci ne vint le retrouver lors de ses courts séjours à terre, que ce fût à Oslo, Copenhague, Port-Gentil ou Dubaï, prétextant qu’elle ne pouvait pas quitter son emploi. à ce rythme, la vie du couple se détériora rapidement et un jour, Christian reçut une lettre de Clémentine : elle lui faisait part de son intention de divorcer.

C’était il y a à peine deux ans.

1. Petit outil à manche recourbé utilisé dans les champs pour labourer principalement autour des pieds de vigne (avant que n’arrive le tracteur) et des pieds d’asperges quand il y en avait encore (patois rétais).

2. Petit outil utilisé pour détroquer les huîtres (patois rétais).

3. Habitudes qui perdureront jusque dans les années 1960.

4. Moi, je suis con comme un âne (patois rétais). On disait aussi bourrou.

2

Jean-Gabriel Nantureau était, prétendait-il, issu d’un milieu bourgeois. D’ailleurs, il ne manquait jamais de déclarer dans les cocktails, en buvant une coupe de champagne pour faire couler les petits fours qui remplaçaient les repas qu’il ne pouvait pas s’offrir, que son grand-père, malgré son grand âge, possédait toujours une étude notariale en Normandie ; que son père était médecin et sa mère avocate. Quant à ses deux frères, l’un était colonel dans l’armée de l’air et l’autre attaché d’ambassade à Washington.

— Et vous ? Que faites-vous ?

Jean-Gabriel Nantureau grattait alors, de la pointe de son index à l’ongle bien taillé, le sommet de son crâne lisse jusqu’aux oreilles et plongeait un regard qui mettait mal à l’aise celui, ou celle, qui s’était aventuré à poser cette question. Avant de répondre, il affichait un sourire qui soulevait un peu plus la joue droite que la gauche et lui faisait fermer l’œil, à la suite d’un avc qui l’avait partiellement paralysé et dont il s’était sorti in extremis :

— Moi ? Mais je vis des dividendes que me rapportent mes nombreuses sociétés, chère madame. à cinquante-cinq ans, j’en ai bien le droit, non ? répliquait-il en se rajeunissant d’une décade.

Et, avant qu’on ne lui pose davantage de questions, il s’esquivait pour rejoindre un autre petit groupe qui papotait politique ou business. Il en profitait pour chiper un autre petit four et une autre coupe de champagne. C’est ainsi, lors d’une soirée similaire, au cours de l’inauguration d’une nouvelle agence Mercedes sur les Champs-élysées, qu’il rencontra Clémentine Borderon, épouse de Christian Gaillard, originaire de l’île de Ré comme elle. Elle profitait de la beauté que lui offrait sa quarantaine svelte et élégante pour faire des heures sup comme hôtesse dans des manifestations à l’instar de celle organisée aujourd’hui par Mercedes. Le restant de la semaine, elle était toujours secrétaire dans la compagnie de navigation située rue Galilée et pour laquelle travaillait également Christian, son mari.

Lorsqu’elle lui tendit le plateau chargé de coupes d’où s’échappaient des bulles, comme à son habitude, il plongea son regard dans les yeux verts de la jeune femme. Clémentine Borderon essaya de soutenir ce regard que souvent les femmes trouvaient séduisant alors que les hommes avaient tendance à le trouver plutôt inquiétant, mais elle ne put empêcher le plateau de trembler légèrement entre ses deux mains et les coupes tintèrent joyeusement en s’entrechoquant.

Ce mouvement indépendant de sa volonté n’échappa pas au vieux brisquard qu’était cet habitué des salons d’inauguration. Il avait plus d’une fois exercé la puissance de son regard envoûtant sur les jeunes secrétaires lorsqu’il venait proposer ses services à leur directeur. Ses yeux qui ne clignotaient pas, sa longue silhouette svelte, bien qu’absente de muscles, dans son smoking taillé sur mesure à une époque d’opulence maintenant lointaine, et sa voix suave étaient autant d’atouts dont il jouait à la perfection.

— Jusqu’à quelle heure s’éternise cette soirée ? lui demanda-t-il, histoire de dire quelque chose.

— Je pense qu’elle ne va pas tarder à se terminer, car le traiteur range déjà ses plats. D’ailleurs, moi, je pars dans dix minutes.

Les lèvres minces de l’ancien don Juan réprimèrent un sourire, mais ses yeux ne purent retenir un éclat de gourmandise qui n’était pas dirigé vers les petits fours :

— Alors permettez-moi de vous offrir tout à l’heure, pour clore agréablement la soirée, un pot à la terrasse du café d’à côté.

La belle Clémentine agita son imposante toison aux reflets roux qui tombait en vagues souples sur ses épaules comme pour refuser, mais devant les yeux noirs qui l’hypnotisaient, elle dit oui.

Une demi-heure plus tard – le temps qu’elle passât aux toilettes se refaire une beauté –, ils étaient assis dans les sièges profonds d’un bar cossu des Champs-élysées voisin de la nouvelle agence, lui devant un bourbon et elle devant un jus d’orange.

— Permettez que je me présente, car je ne l’ai pas encore fait. Je m’appelle Jean-Gabriel Nantureau. J’ai liquidé la plupart de mes affaires, mais je reste PDG de plusieurs multinationales. Uniquement afin de meubler mon temps libre, car je vis seul, précisa-t-il avec beaucoup de fausse modestie, sans préciser en revanche s’il était veuf, divorcé ou vieux célibataire. Et vous ? Que faites-vous pour meubler votre temps libre ? Si je peux me permettre de vous poser cette question, s’empressa-t-il d’ajouter.

Clémentine Gaillard hésita avant de répondre. Allait-elle lui avouer qu’elle était en instance de divorce, que bientôt elle retrouverait son nom de Borderon, qu’elle louait un petit studio près de la gare Montparnasse dans lequel elle vivait seule depuis qu’elle s’était séparée de son mari et qu’elle passait la plupart de son temps libre dans une salle de fitness où elle avait trouvé une bonne copine pour ne pas aller seule au cinéma, alors qu’elle espérait trouver un copain ?

Elle le regarda de ses beaux yeux soulignés de mascara. Un court instant, elle pensa qu’il avait une poitrine vraiment étroite par rapport à sa grande taille, mais sans s’arrêter à ce détail, elle lui confia :

— Moi ? Je passe beaucoup de mon temps à faire du sport et, dès que j’ai un week-end prolongé, je fonce chez moi, à l’île de Ré.

L’élégant rentier faillit avaler son bourbon de travers :

— à l’île de Ré !

Sans prêter attention à son engouement, la jeune femme précisa :

— Oui, je suis l’unique descendante d’une vieille famille rétaise et j’ai hérité de tout un patrimoine que je dois entretenir. C’est du travail ! C’est à peine si je prends le temps d’aller à la plage quand je suis dans l’île.

— Pourtant votre peau est joliment bronzée.

Clémentine était sensible aux compliments des hommes, mais elle ne répondit pas. Elle se contenta de regarder ses bras qui avaient une magnifique couleur dorée.

Jean-Gabriel Nantureau ferma les yeux comme s’il savourait son bourbon, mais en réalité sous son crâne chauve se mettaient en branle mille projets. « Tout un patrimoine à l’île de Ré ». Cette petite phrase dansait joyeusement dans sa tête. Il connaissait bien les prix des terrains et des maisons dans l’île pour avoir essayé d’y vendre une propriété dont il se disait l’agent exclusif. Chacun perdu dans ses pensées, un silence s’établit entre eux, quand la jeune femme s’exclama en regardant sa montre :

— Oh ! Je suis désolée, mais j’ai un cours de fitness dans moins d’une heure. Il faut que je parte.

Nantureau revint sur terre, abandonnant à regret toutes les idées qui tourbillonnaient sous son crâne chauve. Histoire de ne pas perdre la face, il rétorqua :

— Et moi, j’ai rendez-vous avec l’adjoint de Mme la maire de Paris pour un projet de terrain de sport dans le voisinage du château de Vincennes. Mais je ne me séparerai de vous que lorsque vous m’aurez donné vos coordonnées téléphoniques.

Sur ce, il sortit une carte de son portefeuille :

— Tenez, voici les miennes.

Elle y lut rapidement « Président de sociétés », avec un S à sociétés, tandis qu’elle fouillait dans son sac à la recherche d’un papier pour inscrire son numéro de téléphone. Enfin, quand elle y eut trouvé un ticket de caisse de chez Leclerc, elle le griffonna et se leva en lui tendant la main pour serrer la sienne. Mais le président de sociétés (avec un S) avait récupéré de-ci de-là des manières de l’éducation bourgeoise dont il se targuait. Pliant en deux ses son mètre quatre-vingt-huit, il lui baisa délicatement le bout des doigts.

Jamais aucun homme n’avait eu ce geste avec elle et elle en fut toute confondue. « à coup sûr, cet homme est très bien élevé. Ce n’est pas Christian avec ses allures de matelot qui m’aurait fait ça », se disait-elle en courant vers le métro.

3

Un mois s’était écoulé depuis leur première rencontre et depuis huit jours, Jean-Gabriel Nantureau et Clémentine Gaillard vivaient ensemble dans le studio de la jeune femme. Bien qu’ils se vissent tous les soirs, il avait attendu trois semaines avant de se glisser dans son lit. Ce n’est pas qu’il ne la désirait pas, mais quand on s’appelle Jean-Gabriel Nantureau, on ne saute pas sur la donzelle comme un manant sur une gueuse et surtout, ce n’était pas dans ses plans. Mais quand il en eut assez de lui faire croire qu’il rejoignait son appartement de Neuilly où sa vieille mère l’attendait, il décida de gravir les quatre étages qui conduisaient à la chambre de Clémentine. évidemment, ce n’était pas le grand luxe, mais cela valait tout de même mieux que la chambre garnie qu’il louait au fond d’une cour, dans une ruelle de Belleville où s’entassaient des poubelles malodorantes. C’était surtout très appréciable pour sa bourse plate comme une galette. Chez Clémentine, la pension était gratuite. Et il avait même le petit déjeuner et bien souvent le dîner. « Sans oublier la donzelle », se disait-il en regardant les prostituées de la rue Saint-Denis où il avait l’habitude d’aller quand il avait assez d’argent pour monnayer les charmes de ces professionnelles de l’amour.

Un soir qu’elle rentrait du travail et que celui qu’elle appelait « Gabichéri » était allongé sur le lit défait plongé dans la lecture de magazines, elle lui annonça, tout heureuse :

— J’ai pris des congés et demain je t’emmène à l’île de Ré.

Jean-Gabriel Nantureau posa son whisky sur la table de nuit et fit semblant de réfléchir avant de répondre :

— Demain ? Pourquoi pas ? Je dirais même que cela tombe bien, car j’avais rendez-vous avec Mme la maire de Paris pour finaliser notre projet de terrain de sport, mais elle l’a annulé. Oui, elle a rendez-vous à l’élysée avec Emmanuel Macron. Je vais donc en faire autant avec ceux que j’avais pris pour la semaine en cours avec les maires des communes voisines et je serai libre comme l’air pour te prouver mon amour « sur le sable doré de l’île dorée, ma belle adorée », essaya-t-il de chanter en imitant Claude Nougaro. Mais comme il chantait faux, il ne poussa pas plus loin ses talents de chanteur, sachant très bien que ce n’était pas là son meilleur atout pour séduire.

Après réflexion, il ajouta :

— Mais nous serons obligés de partir par le train, car j’ai mis ma Mercedes en révision et elle ne sera prête que la semaine prochaine.

— Pas de problème ! Je vais réserver les billets sans tarder.

— OK, répondit simplement l’amant de Clémentine d’un air distrait, le nez replongé dans son journal.

— Oui, mais je les prends en seconde classe, avoua Clémentine un peu honteuse. Je n’ai pas les moyens de t’offrir un siège en première classe.

Sans sortir de la lecture de son journal, son amant répondit :

— Ce n’est pas grave. Moi aussi, parfois il m’arrive de voyager en seconde.

Le lendemain, dans le courant de l’après-midi, ils arrivèrent en gare de La Rochelle.

L’autobus desservant l’île de Ré était là, mais sans hésiter, « Gabichéri » se dirigea vers un taxi.

Lorsqu’ils furent dans l’île, Clémentine fouilla bien vite dans son sac pour chercher de la monnaie :

— Je t’en prie, laisse-moi payer, déclara son amant sur un ton qui ne tolérait pas de réplique.

— En même temps, il palpait sa poche de veste, poche intérieure gauche, poche intérieure droite, poches extérieures, puis ses poches de pantalon. Il regarda sur et sous le siège du taxi, à ses pieds, enfin il se tourna vers la jeune femme, le visage défait :

— Mon portefeuille ! Je ne trouve plus mon portefeuille. J’ai perdu mon portefeuille. On a dû me le voler dans le train pendant que je m’étais assoupi. C’est sûrement le petit jeunot qui était assis à côté de moi. Il n’avait pas une gueule franche.

— Il faudra vite aller faire une déclaration à la gendarmerie, conseilla Clémentine.

— Oui, nous irons dès demain, mais il ne faut pas se bercer d’illusions. Jamais je ne le retrouverai.

Sans attendre, pour rassurer le chauffeur de taxi qui commençait à s’inquiéter en entendant cette conversation, Clémentine régla la course et tous deux se dirigèrent dans l’étroite ruelle envahie de roses trémières, au fond de laquelle était la maison de la jeune femme.

— Tu es sûre que tes parents ne seront pas là ? demanda Gabichéri pas pressé de se trouver en face d’eux.

— Mais non, ils habitent à l’autre bout du village et je ne les ai pas prévenus de notre arrivée.

— Ah ! C’est regrettable. Parce que j’ai hâte de les rencontrer, mentit-il, mais j’ai encore plus hâte de te serrer dans mes bras dans ce nid que tu as construit et que je vais découvrir bientôt.

à vrai dire, il ne s’attendait pas à trouver une maison aussi grande et aussi bien conçue, avec de vastes pièces où se mariaient harmonieusement les styles ancien et moderne, autour d’une grande cour entourée de pins tamisant le soleil et, au milieu, une piscine dont l’eau chaude lui donnait presque envie de se baigner, lui qui ne pratiquait aucun sport, si ce n’est un peu de marche à pied pour aller acheter les deux paquets de cigarettes nécessaires à sa consommation quotidienne.

à peine arrivé, alors que Clémentine s’empressait de faire le lit et de préparer le repas, il explora les placards les uns après les autres puis, quand il eut trouvé la réserve de whisky du mari de sa maîtresse, il s’installa confortablement dans un fauteuil en regardant les lumières du soleil couchant jouer sur l’eau de la piscine. Il étira ses grands membres maigres en pensant qu’il avait connu pire comme situation.

— Tu sais, ma chérie, dit-il au bout d’un moment, en dégustant un Jack Daniel’s 12 ans d’âge, tu m’as dit que tu allais signer bientôt la vente d’une maison qui vient de ton grand-père…

— Oui, la semaine prochaine, selon le notaire.