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Extrait : "Pourquoi, me dit Barbe, vous êtes-vous mis à étudier l'Ardèche d'une manière aussi exclusive que passionnée ? Le monde est bien grand et notre département bien petit. Il y a deux raisons à cela, répondis-je. La première, c'est qu'on aime naturellement le pays où l'on est né."
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• Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
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Seitenzahl: 471
Veröffentlichungsjahr: 2016
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Le microcosme ardéchois. – Vacua verba. – La corruption impériale. – Le petit sentier. – Ânes et gens. – Toasts à la source de l’Ardèche. – La mer et la mort. – St-Théofrède. – Transaction entre les habitants de Barnas et le seigneur de Montlaur. – L’étymologie de l’Ardèche. – L’oronge et la truffe. – Auguste Desportes. – La corruption culinaire.
Pourquoi, me dit Barbe, vous êtes-vous mis à étudier l’Ardèche d’une manière aussi exclusive que passionnée ? Le monde est bien grand et notre département bien petit.
– Il y a deux raisons à cela, répondis-je. La première, c’est qu’on aime naturellement le pays où l’on est né. La seconde, qui répond à votre réflexion finale, c’est que l’Ardèche, toute petite qu’elle soit, avec ses 539 mille hectares, est aussi grande, à un autre point de vue, que la terre entière, puisqu’elle en reproduit, ou peu s’en faut, toutes les faces et tous les problèmes ; elle a sa proportion de terres, d’eaux, de bêtes et d’imbéciles tout comme le globe lui-même : c’est un vrai microcosme. Pour bien connaître l’Ardèche, il faudrait posséder à fond toutes les sciences. De même, pour bien juger ses habitants, il faudrait avoir pénétré tous les secrets de la nature et de la destinée humaines.
Notre sujet d’études est donc beaucoup plus vaste qu’on ne pense. Nous n’y songions pas nous-même, au début, il faut l’avouer, et, tandis qu’on nous reprochait peut-être de nous parquer dans un trou, nous nous trouvons aujourd’hui bien audacieux d’avoir entrepris une besogne pareille. De même qu’on aperçoit le ciel de tous les points du monde, il n’y a pas de mince sujet d’où l’on ne puisse toucher aux plus hautes et plus vitales questions. Nous le faisons à l’occasion, sinon avec un talent comparable à celui de nos grands réformateurs du quart d’heure, – la plus belle fille du monde ne peut donner que ce qu’elle a – du moins avec franchise et indépendance. Plus nous apprenons, plus nous reconnaissons notre ignorance ; plus nous allons, plus nous admirons la nature et son auteur, et plus nous méprisons les bavards qui ont embrouillé comme à plaisir les questions les plus simples et qui continuent de chercher midi à quatorze heures, en fermant les yeux sur les plus éclatantes vérités. Plus nous allons et plus nous voyons clairement que la politique et le bon sens sont deux choses entièrement différentes. Il nous semble aussi… mais les autres réflexions viendront à leur heure. Et maintenant, ami Barbe, voici notre cinquième volume commencé. En avant, marche !
En ce temps-là, – c’était en 1875 – mon ami Barbe avait de fréquentes discussions avec quelques-uns de nos anciens camarades qui tous n’avaient pas, comme lui, une foi aveugle à la préexcellence et à l’efficacité souveraine de la République. On échangeait de part et d’autre une infinité de paroles inutiles mêlées de quelques vérités désagréables, et – comme il arrive infailliblement entre gens de parti pris – on était toujours moins prêt de s’entendre à la fin qu’au commencement.
J’intervenais rarement dans ces joutes oratoires, car le plus sage des hommes, à mes yeux, est celui qui a dit que la parole est d’argent et le silence d’or. Comme on n’est pas parfait, cependant, il m’est arrivé parfois de discuter à mon tour. J’essayais alors de faire comprendre aux deux partis qu’ils avaient tort l’un et l’autre ; je m’efforçais d’établir la juste mesure de leurs griefs réciproques et de les amener à un sentiment plus juste des hommes et des choses. Mais je dois avouer franchement que ce rôle de conciliateur a toujours eu peu de succès : il paraît que c’est trop philosophique pour le temps et pour les individus. Les uns me traitaient d’original et les autres de grand naïf ; Barbe me considéra dès lors et me considère peut-être encore comme un affreux réactionnaire, tandis que bon nombre du côté opposé m’accusaient d’être un révolutionnaire plus ou moins déguisé.
Un indice frappant de la débilité de notre intellect se trouve dans la répétition à perpétuité des mêmes arguments qu’on se jette mutuellement à la tête sans trêve ni mesure. Depuis que je suis au monde, c’est toujours la même chanson, ou à peu près, que j’entends siffler sur des airs différents, avec le refrain obligé : Ôte-toi de là que je m’y mette. La prodigalité des vacua verba n’a de comparable que le gaspillage de poudre entre armées ennemies, quand les recrues y dominent. On dirait une bataille de sourds. Chacun a sa toquade et déraisonne en conséquence, sans se préoccuper des réfutations. La toquade de notre ami Barbe à cette époque – et bien des gens souffrent encore de ce mal aujourd’hui – était de croire et de répéter à tout propos, que si tout ne va pas pour le mieux dans un pays qui a (ou croit avoir) le bonheur de se gouverner lui-même, si tous les hommes n’y sont pas des modèles de vertu, si enfin les alouettes n’y tombent pas rôties, la faute en est uniquement au régime déchu. Il voyait partout des conséquences de la mauvaise administration d’autrefois ou de l’hostilité des anciens partis. Le mot de corruption impériale avait, dans sa bouche, l’importance d’une décision éclatante, d’un arrêt sans appel. Bref, il mettait tout le bien, même le beau temps et les bonnes récoltes, à l’actif du régime de ses préférences, en laissant généreusement tout le reste à la charge de ceux qui ne pensaient pas comme lui. Ne rions pas trop de cette façon de procéder, car elle n’est pas le monopole exclusif de mon ami Barbe et des néo-rapporteurs du budget ; c’est, paraît-il, chose fort naturelle, puisque tous les hommes politiques, plus ou moins, en font autant, et cela quelquefois de la meilleure foi du monde. Pour voir clair et raisonner juste, il faut savoir se tenir en dehors de tous les partis et dire, au besoin, la vérité à chacun. Je ne recommande pas, d’ailleurs, ce moyen à ceux qui ont l’ambition de devenir sénateurs, députés, ou simplement maires et conseillers municipaux, car ce n’est pas en parlant sincèrement à ce qu’on appelle le peuple, qu’on a le plus de chances de lui plaire. Et cela s’explique aisément : les questions politiques étant toutes plus ou moins complexes, comment la masse ignorante s’y reconnaîtrait-elle quand les savants eux-mêmes sont invariablement divisés sur ce terrain ? Les finauds ont dès lors compris qu’il ne s’agissait pas, pour réussir, de dire au peuple ce qui pourrait lui être utile, mais de trouver le mot ou la formule qui correspond le mieux à son ignorance ou à ses passions. Si, en effet, la cervelle de ce bon peuple est confuse, ses yeux sont faciles à captiver par des couleurs voyantes et ses oreilles par des ronflements sonores. Liberté – Égalité – Solidarité – Souveraineté du peuple, etc., sont des mots superbes qui enivrent les simples et sont d’autant plus dangereux qu’ils s’adressent à des gens incapables d’en découvrir la vide profondeur. N’est-ce pas, après tout, cette vacuité même qui en fait le charme ? Quand on parvient à saisir un papillon, on ne trouve qu’un ver, mais ici le ver lui-même est insaisissable, ce qui ne l’empêche pas de suffire à tout. L’orviétan de nos charlatans politiques modernes tient lieu de tous les remèdes, et leur tarte à la crème répond à tous les arguments. La corruption impériale, qui était la tarte à la crème du moment, fut un trait de génie et la laïcisation qui sert de tremplin à tant de grotesques de nos jours, peut seule rivaliser avec cette merveilleuse trouvaille. Oh ! la bêtise humaine !
Pour arracher Barbe à l’influence abrutissante de la politique qui avait envahi notre petite ville, je lui proposai de réaliser une excursion que nous avions cent fois projetée : le parcours de la vallée de l’Ardèche tout entière, depuis sa source, à la Chavade, jusqu’au Rhône. Soixante-six kilomètres : un oiseau peut faire cela dans une matinée, et je suppose qu’une goutte d’eau ne met guère plus de douze heures, au moins en temps d’inondation ; mais il est difficile à un homme qui n’a ni plumes pour voler comme les oiseaux, ni écailles pour nager comme les poissons, de mettre moins de deux jours à faire ce trajet.
Barbe accepta, et dès le lendemain, nous étions partis.
Ah ! dit mon compagnon, quelle promenade incomparable, quelles délicieuses excursions on offrirait à tous les touristes indigènes ou étrangers, principalement à ceux qui viennent restaurer leur santé aux eaux de Vals, du Pestrin, de Prades ou de Neyrac, si l’on pratiquait un sentier tout le long de l’Ardèche, un sentier ombragé qui côtoierait constamment ses eaux claires et limpides, et où l’on ne perdrait pas une des beautés pittoresques de ses rives ; un sentier qui descendrait presqu’à pic de la Chavade, se perdrait dans les profondeurs d’Astet, et après avoir serpenté discrètement sous les vagues vertes des châtaigneraies de la vallée de Mayres, après avoir frôlé les pieds de granit du Rocher d’Abraham, les ruines du château de Chadenac, les magnifiques coulées basaltiques de Thueyts, la Gueule d’Enfer et les chaussées des Géants du Pont de la Beaume, pourrait là se relier à la grand-route ou au chemin de fer, au moins jusqu’à Vogué ! Je vois d’ici les parties de plaisir qui se succéderaient pendant toute la belle saison le long de ce sentier frais, fleuri, chantant avec les oiseaux, murmurant avec les infinies cascadettes de la rivière. On irait à pied, ou à ânes…
– Ah ! dis-je en l’interrompant, il est essentiel que les ânes puissent y passer, car, je ne sais par quelle affinité il n’y a plus aujourd’hui de bonne partie de plaisir si les ânes n’en sont pas…
Ici Barbe fit la grimace, craignant sans doute que les ânes à poil et à longues oreilles ne me fissent penser à leurs représentants dans nos assemblées politiques…
– Oh ! ne craignez rien, lui dis-je, j’ai l’âne en vénération comme étant une des bêtes les plus utiles de la création, et je ne veux pas la calomnier par d’injurieuses comparaisons. – La voyez-vous d’ici, cette pauvre bête, portant le long de notre sentier imaginaire, de jolis bébés, de charmantes jeunes filles, sans compter le panier aux provisions ? – Les mamans suivent, ne songeant qu’à la sûreté du convoi et toujours l’œil au guet pour empêcher les imprudences. Les jeunes gens s’écartent à droite et à gauche pour cueillir des fleurs ou apercevoir le poisson. Quand un philosophe est de la fête, il suit sans rien dire, songeant aux déceptions de tout genre qui attendent ces pauvres enfants, dont il entend les éclats de rire et les petits cris de joie, songeant encore à la frivolité du monde et à l’instabilité des choses humaines.
– Qui sait, dit Barbe, toujours prêt à lancer une malice, si les philosophes, c’est-à-dire ceux qui réfléchissent tant, ne sont pas encore plus bêtes que les autres, et si les plus sages ne sont pas ceux qui vont bonnement leur chemin, sans tant se soucier du présent et sans tant se préoccuper de l’avenir ?
– En ce cas, lui répliquai-je, les sages sont terriblement nombreux aujourd’hui, et je vous prie de leur faire mon compliment.
– Écoutez ! dit mon compagnon, le mieux serait de ne pas tant bavarder et de se mettre en route.
Il sortit de sa poche sa timbale de collégien, qu’il portait toujours dans nos excursions, la remplit à la source même de l’Ardèche – car tous ces bavardages avaient lieu au lever du soleil, sur le sommet de la Chavade – et, levant son verre, s’écria solennellement :
– Je bois à la santé de notre chère rivière, de notre cher département, de notre chère France, délivrée enfin de la corruption impériale !
J’en fis autant avec quelques variantes :
– À la santé et au bon sens de tout le monde, de nos compatriotes de l’Ardèche en particulier !…
J’ajoutai un peu plus bas :
Autant, du moins, que cela est compatible avec notre destinée, car, voyez-vous, ami Barbe, la corruptibilité n’est pas plus impériale que républicaine ; elle est simplement humaine. – Et notre camarade Pélican avait malheureusement raison quand il soutenait que la folie est notre élément naturel comme la maladie est notre lot infaillible. On peut souhaiter autre chose à ses semblables, on le doit même, mais on serait bien naïf de croire que l’homme a été mis sur la terre pour toujours s’amuser, se bien porter et ne jamais déraisonner.
La montagne de la Chavade, en latin Calveta, est ainsi nommée, dit-on, de la calvitie de son sommet qui ne présente qu’un large pâturage. Il est vrai que les bois abondent dans les ravins, et qu’ils sont habités par une multitude d’écureuils, sans compter les lièvres, les grives et les loups. Les grives de ces parages mangent la baie du toirier et leur chair, par conséquent, est loin d’avoir la saveur de la grive du Bas-Vivarais qui se nourrit des baies de genièvres, et du tourdre qui vient glaner dans nos vignes pendant les mois de septembre et d’octobre.
La Chavade marque, sur ce point de la chaîne cévenole, la ligne de division des eaux de l’Océan et de la Méditerranée. Tandis qu’à la gauche du col, les ruisseaux du Bru et de Montgros vont grossir l’Espezonnette, qui se jette dans l’Allier, et qu’à droite, le ruisseau de Mazan va se mêler au Vernasson qui rejoint la Loire deux ou trois lieues plus bas, l’Ardèche coule fraîche et modeste, sur le versant opposé, au milieu des herbes et des genêts. On dirait un filet d’argent dans un écrin d’émeraude. Mais, comme la pente est infiniment plus rapide de ce côté que vers l’ouest, les eaux limpides du ruisseau, qui prend sa source au quartier de Valeôu, dégringolent plus qu’elles ne courent, en scintillant au soleil et en chantant perpétuellement le refrain des cascades.
Il nous sembla que l’eau de l’Ardèche, prise à sa source, était un peu lourde. Les rivières sont comme les créatures humaines, d’une fraîcheur sauvage au début, mais elles s’adoucissent vite en s’imprégnant d’air et en se brisant aux rochers, jusqu’à ce qu’elles se corrompent dans leur cours inférieur, pour aller finalement se purifier dans la mer. Celle-ci est pour elles ce que la mort est pour nous : le terme fatal d’une existence et le principe d’une vie nouvelle. Le soleil évoque les vapeurs des océans, qui vont au sommet des montagnes raviver les rivières et former sur les plus hautes ces immenses bassins suspendus appelés glaciers, où les grands fleuves prennent leur source. Pourquoi ne voudrait-on pas qu’il y eût aussi un soleil pour les âmes qui sont les vapeurs cachées dans les ombres de la mort ? – Et voilà comment nier Dieu, c’est tout simplement nier le soleil !
Ici la vérité m’oblige à dire qu’après mûre réflexion, nous jugeâmes à peu près impossible de réaliser notre programme à la lettre, c’est-à-dire de suivre exactement le cours de l’Ardèche. Nous redescendîmes donc sur la grand-route et la suivîmes jusqu’à Mayres, non sans regretter bien souvent l’absence du petit sentier de la rive si poétiquement évoqué par Barbe.
Après Mayres, nous nous arrêtâmes un instant à Saint-Théofrède, ancienne métairie des moines du Monastier. Cela me remit en mémoire, certains détails que contient le cartulaire de Saint-Chaffre, à propos des démêlés continuels des moines de cette région avec les anciens seigneurs féodaux. – Il en résulte clairement que ces derniers étaient de vrais brigands, spoliant à l’envi les églises et les communautés religieuses, d’où l’on peut conclure, sans crainte de se tromper, qu’ils faisaient encore moins de façons avec les pauvres paysans, moins capables de leur résister. Aussi les moines s’empressèrent-ils de faciliter le départ de tous ces honnêtes chevaliers pour les Croisades, faisant ainsi d’une pierre deux coups, c’est-à-dire se débarrassant, eux et le pays, de gaillards fort incommodes, tout en réalisant le vœu le plus ardent de leur sentiment religieux.
Les anciens barons de Montlaur et d’Aubenas possédaient les terres de Mayres et de Barnas ; celle-ci était de la paroisse de Saint-Martin-de-Mayres (de Matribus.) Il résulte d’une transaction passée en 1492 entre Louis de Montlaur et les habitants de Barnas, que ceux-ci prétendaient avoir le droit de faire paître leurs bestiaux dans le mandement de Mayres et d’y prendre tout le bois nécessaire à leur usage. Le seigneur de Montlaur leur contestait ce droit, bien qu’ils déclarassent l’exercer de temps immémorial et être munis de documents justificatifs. Les hommes de Barnas prétendaient aussi avoir le droit de pêche dans l’Ardèche depuis le pal de Barnas jusqu’au pont de Barnas. Enfin, on transigea avec l’intervention de Me François Aloïson, d’Aubenas. – Le seigneur de Montlaur accorda le droit de pâturage dans ses terres de Mayres aux endroits et avec les formes d’usage, et non autrement ; idem, pour le bois nécessaire à leur usage, mais non pour le vendre ni le donner ; idem pour la pêche, sauf le temps prohibé (scilicet tempore de gruons piscium.) – Il confirma toutes les libertés et franchises octroyées par lui et ses prédécesseurs. Tout cela convenu, les hommes de Barnas donnèrent au seigneur de Montlaur, à titre de don, la somme de treize livres tournois. L’acte fut passé au château d’Aubenas par le notaire de Thueyts, la Faissa, avec l’intervention de deux notaires d’Aubenas, Vital Sabatier et Bernard Sanglier.
Nous quittâmes la route avant d’arriver à Thueyts, pour aller boire un verre d’eau minérale à la fontaine de Luzet. Puis nous suivîmes, non sans quelque fatigue, le cours de la rivière. En traversant les prairies de la Vernède, sous la magnifique chaussée basaltique qui soutient le bourg de Thueyts, Barbe mit sur le tapis la question de l’étymologie de l’Ardèche. Il avait gardé de ses souvenirs classiques l’idée que ce mot venait d’ardesco, je brûle, ce qui est assez naturel, pour une rivière qui a eu si longtemps des volcans à droite et à gauche : d’un côté la Gravenne de Montpezat et la Gravenne de Thueyts, et de l’autre le Soulhol, volcan de Neyrac, sans compter l’énorme coulée noire du Ray-Pic, qui s’est prolongée le long de Fontaulière jusqu’au pont de la Beaume, où les basaltes bleus de Soulhol sont venus se superposer sur elle. Cette étymologie est donc fort raisonnable. M. Jules Baïssac en donne une autre qui a le mérite d’expliquer les deux noms qu’a portés notre grande rivière. Selon lui, Ardèche vient du mot celte dik, fumant, qui combiné avec l’article an ou ar, selon la consonne qui suit, a fait ar dik et an tik (Ardesca et Hentica).
Notons ici que l’Ardèche figure sous le nom d’Ertica et Entica dans des chartes citées par le Bulletin de l’Académie delphinale (t. -5) et qu’on a cru la retrouver aussi dans les trois lettres A.T.R., débris d’une inscription des Arènes de Nîmes, que l’on suppose signifier Atrica.
Notons enfin que dans un livre, classique au XVIIe siècle, Descriptio fluminum Galliœ, de Papirius Masson, notre pauvre rivière d’Ardèche n’est même pas désignée sous son vrai nom. L’auteur qui, cependant, a décrit avec une exactitude relative la Cance, la Deome et le Doux, parle simplement d’une rivière qu’il faut passer en barque près de Viviers et le malheureux l’appelle Achassia.
Nous allâmes déjeuner à Neyrac, à l’ombre des grands châtaigniers. On nous servit des truites exquises, un perdreau artistement orné de tranches de lard et de feuilles de vignes, avec un plat de ce délicieux champignon que les savants appellent oronge et que les Vivarois appellent le roumanel, mot qui, dans leur langage, signifie le champignon en général, mais veut dire ici le champignon par excellence. Barbe soutint que le parfum de l’oronge dans les dîners d’été, valait celui de la truffe dans les soupers d’hiver. Il fit au cuisinier des compliments, d’ailleurs mérités, où l’on sentait une conviction profonde, ce qui ne l’empêcha pas, l’instant d’après, de foudroyer la corruption impériale et de célébrer l’austérité républicaine.
Neyrac dépend de la commune de Meyras, dont le bourg principal est situé sur la colline, de l’autre côté de l’Ardèche. Une famille, aujourd’hui disparue, a tenu longtemps la principale place à Meyras, c’était celle des Desportes. Un de ses membres, Auguste Desportes, a été un écrivain distingué. Il a fait jouer à l’Odéon, en janvier 1843, une comédie en vers, Molière à Chambord, qui eut un certain succès. Il est l’auteur de l’article sur l’instruction publique en France (1842), paru dans le recueil intitulé Patria. Il a publié, de plus, une traduction de Perse en vers, et un conte anecdotique, le Duel d’Young ou la Peine du Talion, Lyon 1822. Auguste Desportes était, en dernier lieu, attaché au catalogue de la Bibliothèque nationale. Né à Aubenas le 17 avril 1797, il est mort à Paris en mai 1866.
Nous fîmes en voiture le reste de la journée, et l’on conviendra qu’après avoir marché de la Chavade à Neyrac, nous étions bien en droit de continuer notre excursion dans des conditions moins fatigantes. Nous visitâmes ainsi les sources minérales du Pestrin et celles de Prades, les ruines du château de Ventadour, Nieigles, Arlix où l’on nous montra l’emplacement d’une chapelle des moines de St-Chaffre, enfin la Bégude et Vals, mais nous avons parlé de toute cette région assez longuement dans un autre ouvrage, et nous ne voyons guère la nécessité d’en rebattre ici les oreilles de nos lecteurs.
Nous allâmes coucher à Vals, à l’hôtel Armand, où le plus aimable et le plus intelligent des hôteliers, mort malheureusement depuis, nous servit un vrai dîner de gourmet, comme pour prouver une fois de plus à Barbe, que la corruption culinaire s’accommode aussi bien de la République que de l’Empire. Il fut arrosé d’un excellent vin que produisaient autrefois les vignobles de Fons, près d’Aubenas, et Barbe prétendit que si l’école de Salerne, qui permet de se griser une fois par mois, avait connu ce vin-là, elle aurait certainement étendu la permission à la quinzaine.
Le sentier de la béalière. – Le sorcier de Fontanille. – L’antiquité d’Ucel. – Destruction du fort par les Aragonais. – La chapelle de St-Chaffre. – Le prieuré de St-Benoit. – Le Cheylard de Mercuer. – L’Hermitage. – La maladrerie. – Le monastère de Bellecombe. – Le Pont d’Aubenas et les commencements de l’industrie de la soie. – La famille Deydier. – Les manuscrits d’Henri Deydier. – La révolte de Roure. – Ce que vaut la légende de la baronnie d’Aubenas gagnée au lansquenet. – Blanche Maurin. – La route de l’Échelette. – Le camp de Jastres. – Traces de la voie romaine à Croscillac.
Le vieux château d’Ucel qu’on aperçoit, de l’autre côté de l’Ardèche, étalant ses ruines nues sur une pointe de grès, tentait depuis longtemps notre curiosité. Chaque année, en descendant d’Aubenas à la Bégude, nous nous promettions d’aller le visiter et chaque année ce beau projet tombait dans l’eau. C’était le cas ou jamais, cette fois, de s’armer de courage contre la chaleur et les mauvais chemins. Nous quittâmes donc l’hôtel Armand de grand matin, nous dirigeant sur Ucel.
– Par où ? vont me dire ceux qui connaissent Vals.
On a fait, depuis, un chemin présentable de Vals à Ucel. Mais alors il n’existait que deux sentiers aussi primitifs l’un que l’autre : le premier grimpant la colline de Fontanille, le second suivant le bord de l’Ardèche.
Nous choisîmes ce dernier, dans l’espoir d’y trouver moins de fatigue et en nous étonnant que Vals n’eût pas encore songé à établir de ce côté la plus agréable, on pourrait dire la seule promenade, qu’il lui soit possible d’offrir à sa brillante clientèle d’été.
Après avoir longé le joli bois de chênes de M. de Sampigny, acquis depuis peu par la Société des eaux de Vichy, il fallut, le chemin s’étant évanoui sous nos pieds, suivre le mur de soutènement d’une béalière. Mais celui-ci, fréquemment débordé par l’eau et métamorphosé en cascade, n’était pas toujours d’un passage facile et nous dûmes plusieurs fois descendre dans le lit de l’Ardèche et sauter, au petit bonheur, d’une pierre à l’autre, parmi celles qui émergeaient de l’eau. Il m’arriva d’envier à ce moment le sort des échassiers qui n’ont à compromettre dans l’eau ni bottines ni pantalons. Barbe, ayant fait deux ou trois fausses manœuvres, fut vivement tenté de retourner en arrière. Je lui prêchai la patience pendant quelques minutes que nous passâmes sur un rocher entre la rivière et la béalière pour écouler l’eau de nos chaussures. De jolies libellules bleues et vertes (que les enfants du pays appellent des trempes-cul) passaient sur la béalière en nous faisant la nique, tandis que l’eau de l’Ardèche nous accompagnait d’un murmure moqueur. Les saponaires, les menthes, les persicaires, tout le peuple fleuri des bords humides, nous saluaient de miroitements ironiques. C’était charmant, sauf les pieds mouillés.
Une alerte paysanne, avec un panier sous le bras, venant de Vals, franchit sous nos yeux tous les écueils, les pieds secs dans ses gros souliers. On eût dit que les pointes de rocher et les rebords inégaux de la béalière la connaissaient ; chacun de ses pas s’emboîtait dans les accidents du chemin comme une roue dans un engrenage.
Cela nous rassura un peu sur la suite de notre aventure. Puisqu’elle passe, dîmes-nous, c’est qu’on peut passer, sauf à risquer un petit bain de pieds de plus. Et, nous étant rechaussés, nous reprîmes bravement notre course. Au reste, le sentier s’améliora bientôt, et nous nous trouvâmes un quart d’heure après au-dessous d’Ucel.
En grimpant la colline pour aller chez notre ancien camarade de collège, M. Victor Martin, d’Ucel, qui nous avait fait préparer des chevaux, nous fîmes la rencontre de deux paysans qui semblaient guetter et surveiller de loin un individu cheminant dans les châtaigniers.
– Qu’est-ce que vous regardez là ?
– Monsieur, c’est le sorcier !
– Quel sorcier ?
– Comment ! vous n’avez pas entendu parler d’Allègre, de Fontanille ?
Ils nous expliquèrent que cet Allègre jetait des sorts aux bêtes, que tous les moutons qu’il avait regardés crevaient bientôt, qu’il arrêtait ou rendait à volonté le lait des vaches et des chèvres, qu’à sa voix les chenilles et autres insectes descendaient du haut des pins et venaient défiler devant lui, et autres merveilles de ce genre. Nous eûmes beau leur dire que c’était absurde, ils n’en démordirent pas, et il était évident qu’ils croyaient à la sorcellerie d’Allègre au moins autant qu’à l’existence du bon Dieu. Nous les priâmes d’appeler Allègre dont nous aurions été heureux de certifier de visu le pouvoir infernal ; mais ils se gardèrent bien de se rendre à notre désir et nous vîmes, à leur langage, qu’ils redoutaient par-dessus tout le contact du sorcier dans la crainte qu’il ne leur jetât un mauvais sort.
Le ruisseau qui se jette dans l’Ardèche au bas d’Ucel s’appelle le Sandron ou le Cendron : je penche pour ce dernier nom, parce qu’il décèle mieux l’étymologie probable de ce cours d’eau, c’est-à-dire les cendres volcaniques qu’il remue et entraîne depuis l’Escrinet où il prend sa source.
Sous le vieil Ucel, on aperçoit entre le chemin et les ruines du château, la trace de vieilles habitations primitives creusées dans le grès. Là vécut probablement la première population autochtone de la contrée dont l’histoire n’est pas même soupçonnée. Il est certain qu’on a trouvé dans ces parages beaucoup de hachettes en silex, indices d’une période plus ou moins troglodytique. Plus tard, bien avant les Romains sans doute, les Ucellois se groupèrent autour du château fort qui s’éleva pour les protéger, et dont la tâche principale fut évidemment de garder la voie qui passait dans le col entre la montagne et le vieil Ucel. Il y a lieu, par suite, de croire qu’Ucel est plus ancien qu’Aubenas, à cause de sa position sur la voie de la rive gauche de l’Ardèche plus importante et plus ancienne que celle de la rive droite. M. de St-Andéol croit qu’Ucel était la première étape de la voie romaine d’Albe à Gergovie, et Montpezat la seconde. Son nom viendrait du latin uscire et exprimerait la position comme issue. On y voit encore, dit-il, au pied du château, l’enceinte d’une piscine romaine.
Au Moyen Âge, le château fut agrandi et fortifié. On peut voir, à ses abords escarpés comme à l’épaisseur des murailles, que c’était un ouvrage fort respectable et dont la possession devait être fort appréciée par les dominateurs de la contrée. Ce qui ne l’empêcha pas d’être détruit pour ne plus jamais se relever. On suppose que sa destruction fut l’œuvre des Aragonais. M. Martin fixe à l’année 1185 la date de cet évènement, mais il ne me semble pas qu’on ait à cet égard aucun document authentique. Il en est de même d’une autre tradition suivant laquelle un noble Raymond du Mézenc aurait été alors fait prisonnier, ce qui aurait obligé sa mère, la dame du Mézenc, de vendre des terres pour payer sa rançon.
Les auteurs de l’Histoire du Languedoc citent quelques données historiques sur des seigneurs d’Ussel ou Ucel qu’il est bon de signaler ici.
En 1169, Galburge d’Ussel et Hugues d’Ussel, son fils, étant à Uzès, font hommage à Raymond, comte de Toulouse, pour les châteaux d’Ussel, de St-Laurent et de la Roche, en présence de Raymond, évêque d’Uzès, et de Bernard d’Uzès, son frère.
En 1252, Raymond de Yssello ou Wisselo revenait de la Terre-Sainte, lorsqu’avec d’autres seigneurs, il obtint des lettres de Saint-Louis, portant confirmation d’une sentence rendue en leur faveur par Olivier des Ternes.
Raymond d’Ucel se conduisit vaillamment à la bataille de la Mansourah. Entre 1319 et 1324, Guillaume d’Ussel et Baudouin d’Ussel, frères, damoiseaux, sont feudataires médiats du Roi et, comme tels, portés dans la plainte adressée au Roi par Pierre d’Auriac, sergent d’armes et bailli royal du Vivarais et du Valentinois, au sujet des entreprises faites par les évêques de Viviers sur les juridictions royales.
Ces données se rapportent-elles toutes à la famille d’Ucel de la région d’Aubenas ? Nous n’oserions l’affirmer. Il est certain que celle-ci acquit plus tard le château de Craux et la coseigneurie d’Antraigues et il nous serait aisé d’en retrouver toute la généalogie dans les registres notariaux que nous avons en mains. Le dernier marquis d’Ucel est mort sans postérité au siècle dernier dans sa maison d’Aubenas, aujourd’hui maison Terrin.
On voit encore, dans l’enceinte du fort d’Ucel, la voûte très ancienne de la chapelle du château qui servait d’église paroissiale.
Au-dessous du fort, toujours dans l’enceinte du castrum, sont les ruines de la chapelle St-Bernard, qui servit au culte pendant trois siècles après la destruction du fort.
Rien ne prouve que le château d’Ucel ait été habité ni même reconstruit depuis. Le fief d’Ucel fut cédé plus tard aux Montlaur. Nous avons à peine besoin de noter en passant que la légende de Blanche d’Ucel, rapportée dans un des opuscules du brave docteur Tourrette, est toute moderne et de pure imagination.
Des ruines du fort, d’où l’on jouit d’une vue admirable sur tout le bassin d’Aubenas, nous descendîmes dans la voie romaine qui nous conduisit sur la colline en face où s’élève le nouvel Ucel. C’est là qu’était la chapelle bâtie au Xe siècle par les moines de St-Chaffre. Outre l’établissement de ces moines, il y avait à Ucel, dès le XIIe siècle un prieuré dépendant de Cluny. Ce prieuré était fort riche, c’était le vrai seigneur d’Ucel. Peu de familles étaient exemptes de reconnaissances envers lui et de l’hommage qui, ordinairement, se formulait ainsi : « fait hommage à genoux, tête nue, les mains jointes et incluses dans celles du prieur. » Hugues Tronchet, prieur d’Ucel, en 1339, avait plus de deux mille reconnaissances, dont 600 à Ucel, 700 à Vals ou St-Andéol de Bourlenc, 200 à Antraigues, 150 à Mercuer, 120 à St-Privat, 100 à Lussas et la Villedieu, 68 à Aubenas, etc.
Vers 1420, les prieurs acquirent de l’abbaye de St-Chaffre, leur monastère et église d’Ucel, moyennant une somme d’argent, la cession des reconnaissances qu’ils avaient près du Monastier, et une pension annuelle de 25 muids de vin (chaque muid comprenant 26 setiers), plus 33 livres par an à la chamarrerie de St-Chaffre.
Les moines de St-Chaffre se retirèrent alors de l’autre côté de l’Ardèche, dans leur riche maison du Cheylard, que leur ordre a possédée jusqu’en 1789 près du ruisseau de Mercoire, au-dessous de la colline du Temple (Mercuer). La brasserie Scharff occupe aujourd’hui l’ancien bâtiment du Cheylard, dont les celliers splendides servaient d’entrepôt pour les approvisionnements de grains réservés aux années de disette.
L’église actuelle d’Ucel ne date que de 1841 ; on a utilisé pour la sacristie seulement le chœur et deux chapelles de l’ancienne église monacale.
La chapelle de St-Bernard, dont nous avons parlé plus haut, avait des recteurs qui sont mentionnés dans bon nombre de documents locaux. En 1664, cet édifice était en fort mauvais état, et le recteur obtient alors l’autorisation de faire le service religieux à St-Privat. Chacun de ses successeurs, curé d’une autre paroisse, obtient de même l’autorisation de transporter le service chez lui.
En 1676, frère Raymond Brandès, procureur général de l’ordre de N.D. de la Merci, pour la rédemption des captifs, dans le diocèse de Viviers, nomme Laurent Teston, marguillier et questeur de la rédemption des captifs, dans le lieu et paroisse de St-Bernard d’Ucel, pour faire la quête tous les dimanches et fêtes de l’année dans la susdite paroisse, et, en temps de moisson, de porte en porte dans toute l’étendue de la paroisse. Ce Teston était de Bénéfice (St-Andéol de Bourlenc).
Le recteur de St-Bernard et le curé d’Ucel autorisent, de leur côté, Teston. Celui-ci a promis cinq livres pour faire couvrir la chapelle de St-Bernard.
En 1679, Blanchard, procureur des captifs, a reçu de Teston une livre cinq sols, produit de ses quêtes de trois ans. En 1684, Raymond Brandès a reçu de Teston deux livres. En 1685, Teston verse encore dix sols.
Vers cette époque, la chapelle de St-Bernard était hors d’usage depuis un siècle ; la dévotion en fut transportée à l’Hermitage, où l’on célébrait solennellement, le 26 mars, la fête de St-Bernard. Il y avait des messes, des prédications, des quêtes et un grand concours de fidèles.
Le curé d’Ucel atteste qu’Eschalier, marguillier de l’Hermitage, a payé le dû de sa charge qui est de 6 livres. Il y avait des marguilliers distincts à St-Bernard et à l’Hermitage.
En 1687, la chapelle de l’Hermitage était desservie par le frère André, ermite. Elle était encore occupée en 1789 par des Frères de la Merci, qui y quêtaient pour la rédemption des captifs ; on y lit l’inscription suivante :
P.T.
Ω CCCC
7. III.
Ce qui voudrait dire, selon M. Martin :
Posuerunt templi lapidem
1473.
L’écu de la chapelle représente une croix grecque à double croisillon, avec deux têtes de lion au bas.
L’Ardèche, qui lèche aujourd’hui le pied d’Ucel, en était autrefois plus éloignée. Les vieux actes constatent l’existence d’une plaine ou Plot, qui s’étendait là où coule aujourd’hui la rivière.
Ucel possédait, au Moyen Âge, une maladrerie ou maladière, dont on peut voir encore les vestiges dans une grange de M. Deydier, entre le pont d’Aubenas et le village du Sartre. Nous avons trouvé, dans les registres notariaux d’Aubenas, plusieurs actes se rapportant à des prêtres lépreux relégués dans cette maladrerie.
La chartreuse de Bonnefoy avait une maison sur la paroisse d’Ucel, qui fut construite vers 1450. Je trouve un prix-fait de la construction dans les registres du notaire Rochette. Cette maison était dans la plaine d’Aubenas, près de la maison Cuchet.
Un couvent des Dames de Bellecombe, dont la maison-mère était en Velay, existait près du ruisseau de la Chavade, entre la Maladière et le Sartre. Il était bien bâti et paraît avoir eu de l’importance. Une des voûtes de l’église, au sud du bâtiment, est encore conservée ; à côté, on voit de vieux murs et des vestiges ont été retrouvés le long du ruisseau. La maison Borne est bâtie avec les pierres du couvent et une des croisées est en partie conservée. L’abbesse de Bellecombe était, en 1328, dame Isante de Tornel ; en 1444, dame Marguerite de St-Prézet ; en 1564, dame Françoise de la Tour St-Vidal. Ces religieuses ont joui jusqu’en 1789 de leurs terres et reconnaissances.
Le Pont-d’Aubenas fait partie de la commune d’Ucel. On y remarque de nombreuses usines et notamment celles de M. Deydier. Le Pont d’Aubenas a été, pendant la première moitié de ce siècle, le pays le plus riche de l’Ardèche, grâce à la soie, et s’est naturellement beaucoup ressenti de la décadence de cette industrie. L’état sanitaire au Pont s’est toujours aussi plus ou moins ressenti de l’altération que les usines occasionnent aux eaux de l’Ardèche. Nous nous rappelons d’avoir vu dans les comptes-rendus des États du Vivarais, que des plaintes s’étaient élevées de cette localité en 1784 au sujet des eaux croupissantes qui occasionnaient des fièvres et des maladies épidémiques fatales à beaucoup d’ouvriers. Les États du Vivarais accordèrent 1 800 livres pour ouvrir des canaux et assainir la contrée. Le rouissage des chanvres fut sans doute considéré comme une cause d’épidémie, car il fut alors prohibé.
Les usines de M. Deydier, que nous visitâmes en passant, rappellent la plus belle page de l’histoire de la soie en Vivarais. L’introduction des fabriques de soie dans nos montagnes coïncida avec la révolte de Roure. Cette industrie débuta, comme nous l’avons vu, à Chomérac, en 1670, par les soins de Jean Deydier. Son fils Jacques vint en 1675 fonder un autre atelier au Pont-d’Aubenas, et il y fut aidé, comme son père l’avait été à Chomérac, par les conseils d’un Bolonais nommé Benay qui, appelé par Colbert, avait apporté cette industrie en France.
En 1751, fut fondée la célèbre manufacture royale des soies, à la suite d’un traité passé entre M. Henry Deydier et le célèbre Vaucanson qui en construisit tout le mécanisme sur un nouveau système. Cet établissement avait un portier à la livrée du roi et quatre commis exempts de la milice. Les armoiries de la famille Deydier figuraient sur la porte principale, au-dessous des armes du roi. Elles étaient sur un marbre blanc qui fut brisé en 1793.
Un autre Henri Deydier a continué dignement de nos jours la gloire de cette famille. Celui-ci, mort le 30 juillet 1862, à l’âge de 66 ans, a été maire d’Ucel, président du tribunal de commerce d’Aubenas, président de la Société d’agriculture de l’Ardèche et membre de la Société linnéenne de Lyon. Tour à tour industriel, peintre, musicien, poète et enfin historien, il a laissé partout la trace d’un esprit supérieur, en même temps que la renommée d’un homme aimable et loyal.
M. Vaschalde, dans sa Vie des poètes vivarois, a reproduit quelques-unes des chansons de M. Henri Deydier qui suffisent à faire connaître l’esprit et la facilité poétique de l’auteur. Mais un titre, bien autrement sérieux pour M. Deydier, se trouve dans les deux gros volumes in-folio qu’il a laissés sous le titre de Noblesse et Bourgeoisie, et que nous avons pu parcourir, grâce à l’obligeance de M. Frédéric Combier, gendre de M. Deydier. Ces deux volumes contiennent environ deux cents notices généalogiques sur des familles nobles ou bourgeoises de l’ancien Vivarais, et une foule de petites notes sur d’autres familles moins importantes ou moins connues de l’auteur. M. Deydier a fait, à ce point de vue, pour le Bas-Vivarais, ce que du Solier avait déjà fait pour le nord du département. Leurs manuscrits réunis forment, sinon un travail complet, car le sujet est d’une immense étendue, mais certainement une large et solide base pour la connaissance des anciennes familles du pays. Ajoutons en ce qui concerne l’œuvre de M. Deydier, que les notes généalogiques y sont accompagnées d’une infinité de faits historiques qui donnent à ce travail une importance beaucoup plus grande qu’on ne pourrait le croire de prime abord. L’histoire d’Aubenas et des environs s’y trouve tout entière avec une grande abondance de détails, dont beaucoup sont entièrement inédits et pourraient faire l’objet de plusieurs études fort intéressantes. La révolte de Roure de 1670, par exemple, y apparaît sous un jour nouveau, surtout en ce qui concerne la personnalité de son chef qui fut – Molière n’avait pas prévu ce cas-là – un véritable général de révolte malgré lui. D’autre part, Roure n’était pas un vulgaire laboureur comme on l’a désigné dans les actes judiciaires du temps, mais un ex-officier, de petite noblesse, possédant le fief de la Rande, à la Chapelle, et dont la famille se prétendait parente des Roure du Gras.
Notons, en passant, la réfutation d’un conte d’Ovide de Valgorge sur l’installation des Vogué à Aubenas, passé en article de foi auprès de beaucoup de bonnes gens.
« Cet auteur, dit M. Deydier, prétend que le prince d’Harcourt perdit au lansquenet, dans une seule nuit, les baronnies de Montlaur, d’Aubenas et de St-Remèze. Or, celle de Montlaur fut acquise en 1699 par Melchior de Vogué ; celles d’Aubenas et de St-Remèze le furent par Cérice de Vogué le 4 avril 1716 en un acte bien connu ; et les gains au jeu (si tant est qu’il en ait fait de si considérables) s’appliquent à Elzéar de Vogué pendant sa campagne d’Italie en 1745, vingt-neuf ans après l’achat d’Aubenas. »
Le cas de Blanche Maurin pourrait fournir un joli sujet de roman à M. Léon Vedel. C’était la fille de Louis Maurin, agent général du prince d’Harcourt, l’une des victimes de la haine populaire lors de la révolte de Roure. Il paraît qu’elle était extrêmement belle et l’on peut encore, du reste, s’en assurer par son portrait qui figure, dans les fresques de l’église des Jésuites, sous l’emblème de l’Espérance appuyée sur une ancre. Le prince d’Harcourt, quoique marié à Anne d’Ornano, en devint vivement épris et, pour vaincre sa résistance – ce qui prouve qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil – lui fit des cadeaux considérables dont Anne d’Ornano plus tard fit annuler une partie.
Barbe murmura instinctivement le mot de corruption impériale, en avouant qu’il ne manquerait pas d’aller voir l’Espérance à l’église, la première fois qu’il passerait à Aubenas.
Le travail de M. Deydier est trop volumineux pour être jamais imprimé, et, s’il l’était quelque jour, il aurait besoin d’être complété et corrigé par des notes nombreuses. Tel qu’il est, il n’en constitue pas moins un monument des plus précieux pour l’histoire de notre pays, et il serait fort à désirer qu’une œuvre pareille ne restât pas à l’état d’exemplaire unique, car s’il venait à disparaître par suite d’un de ces sinistres auxquels toutes les maisons sont sujettes, ce serait une véritable perte pour le département.
Après St-Privat, où l’on trouve quelques traces de construction romaine, nous grimpâmes au rocher de Jastres par le fameux chemin de l’Échelette qui paraît reproduire exactement l’ancien parcours de la voie romaine. Cet endroit était autrefois très mal famé. La sauvagerie et la solitude de la contrée y attiraient les détrousseurs de grand chemin. La tradition rapporte qu’on aurait pendu plusieurs de ces derniers à Mias pour l’exemple des autres.
Deux anciennes stations gallo-romaines occupent les deux mamelons de Jastres. La première, au nord, entre St-Privat et Ville, forme un rectangle d’environ cent mètres de large sur deux cents de long, dont le mur d’enceinte est parfaitement marqué.
On y reconnaît la trace de trois tours rondes et d’une carrée. Une grange a été bâtie sur l’emplacement de cette dernière. On appelle cet endroit los Tourres, tandis que le nom de los Paretos (les murailles) est réservé au vaste camp qui occupe le mamelon plus élevé qui domine le pont de Ville. Le mur circulaire en pierres sèches, qui entourait ce camp, a trois ou quatre kilomètres de longueur. Ce mur qui paraît debout à distance, est presque partout détruit et ses débris forment à la montagne une ceinture grise de cinq ou six mètres de largeur. On appelle aussi cet endroit le Clos. Il appartient à M. Rigaud, de la Villedieu.
La station militaire des Tourres, dans laquelle M. de St-Andéol voit un ancien oppidum gaulois, a tous les caractères d’un établissement permanent et formait évidemment le principal ouvrage avancé d’Alba Augusta au nord-ouest. Les Romains surveillaient de là tous les défilés des Cévennes par lesquels pouvait venir l’ennemi.
Le camp plus vaste des Paretos n’a pu être qu’une station provisoire répondant à d’urgents et graves besoins de défense, et peut-être est-ce là que se retrancha l’armée chargée de défendre Alba Augusta contre Chrocus.
On a trouvé dans cette région beaucoup de débris d’ossements, d’armes, de monnaies et de médailles : il serait aisé, si tous ces débris étaient réunis au même endroit, de résoudre la question ; mais il s’agit bien d’art et de science par le temps qui court ! Où est le musée Malbos ? Et l’on parle de monter une nouvelle Société savante, quand on relègue dans des galetas les objets qui devaient servir de noyau à la plus intéressante et à la plus instructive des collections ardéchoises !
Nous cherchons vainement la trace de l’ancien pavé romain, mais il n’est pas douteux que la voie passait aux abords du camp. De là, elle descendait à la Villedieu et traversait le pont de l’Auzon.
Le président Challamel, dans sa Chronologie manuscrite du Vivarais, raconte qu’il en découvrit lui-même des vestiges en faisant planter une vigne au quartier de Croscillac ou Croussillac. C’était « une grande quantité de pierraille transportée de la rivière d’Auzon, dont on avait rempli une espèce de fossé d’environ deux toises de largeur. » La direction de ce fossé était de St-Germain à l’ancienne ville de Croscillac qui est détruite, mais dont l’existence est prouvée par une grande quantité de tuiles, par des voûtes souterraines et des tombeaux.
Au bord de la voie romaine, le président Challamel découvrit un ancien tombeau construit à chaux et à sable, contenant deux fioles en verre ayant contenu du vin, un vase en verre en forme de compotier et un gobelet en verre ayant un couvercle de cuivre. Au-dessous de ces objets se trouvaient beaucoup de débris de verre ou d’ouvrages en terre cuite, les goulots de cinq urnes funéraires et de petits fragments d’os à demi-brûlés. Ce tombeau remontait au moins à Marc-Aurèle, puisqu’on cessa à cette époque de brûler les corps, mais il devait être plus ancien, le nombre des urnes funéraires indiquant des inhumations faites à diverses époques. D’autre part, comme les Romains étaient dans l’usage d’inhumer les corps à côté des grandes routes, le président Challamel conclut que la voie en question est une de celles qu’Agrippa fit construire dans les Gaules l’an 22 avant J.-C. La pierre milliaire de St-Germain était sur cette voie.
Nous aurions pu aller du camp des Paretos à Vogué par la belle route qui traverse la Villedieu. Mais c’eût été s’écarter de notre programme qui consistait à ne jamais perdre de vue la rivière d’Ardèche. Nos chevaux avaient heureusement le jarret montagnard, et le guide nous fit descendre directement à Vogué, par un sentier de l’ancien temps.
Nous traversâmes ainsi le Gras de Vogué, où nous reconnûmes la place de quelques tumuli, dont deux ont été fouillés. Des lauzes placées à la surface du sol indiquent l’emplacement des corps. Il y a plusieurs squelettes dans chaque tumulus, ce qui indique les suites d’un combat ou d’une épidémie.
Le village et le château de Vogué. – La famille de Vogué. – Le choléra. – Le dévouement des prêtres et les médailles des préfets. – Le prix-fait du pont de Vogué en 1456. – Les Salles et le Boudenas. – St-Maurice d’Ardèche. – Le patrice Antherius. – Un vieux sarcophage de marbre blanc. – Le Mercure helvien. – La famille Tastevin. – Un roi d’Yvetot.
Le village de Vogué est coquettement assis aux bords de l’Ardèche, à un kilomètre environ de la gare du chemin de fer, et ses habitants ont maintenant plusieurs fois par jour le spectacle des trains d’Aubenas et de Vals filant comme des fantômes aériens sur le haut viaduc qui traverse le profond ravin où coule la rivière.
La belle tour carrée, bâtie sur le bord même de l’Ardèche, où l’on percevait autrefois les péages, a été aux trois quarts démolie pour l’élargissement de la grande route, mais ce qui en reste montre qu’on bâtissait jadis aussi solidement qu’aujourd’hui.
Une autre tour se dresse sur la cime d’un rocher qui domine la vallée.
L’église est de date récente et n’a de remarquable que ses fonts-baptismaux, formés d’une vieille cuve en pierre, de forme cylindrique, où grimacent deux figures de type païen, séparées par deux cornes d’abondance. Aucun emblème chrétien n’orne ce vénérable débris qui doit remonter à une époque très reculée.
Le château, dont l’aspect monumental et les vastes proportions donnent une haute idée de l’importance de ses anciens maîtres, date du commencement du XVIIe siècle. Du moins, l’ancien manoir fut alors comme noyé dans la nouvelle construction que fit élever Melchior de Vogué. Le vaste corps de logis flanqué de grosses tours aux quatre angles est l’œuvre de ce dernier, ainsi que la belle avenue de marronniers destinée à masquer les roches arides et abruptes qui s’élèvent perpendiculairement derrière l’habitation seigneuriale. Vendu comme bien national sous la Révolution, ce château a été racheté depuis par la famille de Vogué au prix de trois mille francs. Une moitié de l’édifice est en ruines. L’autre moitié, celle qui comprenait les plus beaux appartements, a été réparée et aménagée par le marquis de Vogué, qui y a installé l’école des sœurs.
La famille de Vogué, dont Rochecolombe fut le berceau, est une des plus anciennes du Vivarais. C’est une noblesse de miles, c’est-à-dire d’épée, et son importance est attestée par de nombreux titres dont les généalogistes donnent la substance.
Le plus ancien membre connu est Bertrand de Vogué qui, en 1084, contribua avec Bermonde sa femme, à la fondation du monastère de la Villedieu.
Deux Raymond de Vogué, chevaliers, prennent part aux croisades, le premier avec Philippe-Auguste en 1189, et le second avec St-Louis en 1248.
À la fin du XIIIe siècle, un autre Raymond de Vogué exempte de la taille à volonté, sous la réserve des cas impériaux, ses vassaux de Vogué, Rochecolombe, St-Germain, la Villedieu, St-Laurent-en-Coiron, St-Maurice, Lanas et la Chapelle. C’est le même sans doute qui, en 1303, assiste à une assemblée de noblesse tenue à Montpellier à l’occasion des différends de Philippe le Bel avec le pape Boniface VIII.
AU XVe et au XVIe siècle, la famille de Vogué, encore plus connue sous le nom de Rochecolombe, ne possédait Vogué qu’en partie. Elle y avait pour coseigneurs les Rochemure du Besset et les du Roure de Beaumont-Brison. Melchior de Rochecolombe acheta les droits des premiers vers 1600 et ceux des seconds en 1623. Ce fut alors que, devenu seigneur unique de Vogué, il fit agrandir le vieux château. C’est aussi à cette époque que le nom de Vogué se substitua peu à peu à celui de Rochecolombe que lui donne constamment l’auteur des Commentaires du Soldat du Vivarais. Nous avons signalé, à propos de Vallon, l’héroïsme de ce Rochecolombe qui en 1621, voit son fils tomber mourant à ses pieds et attend pour le secourir d’avoir complètement battu l’ennemi. Il s’agit ici de Melchior de Vogué, celui qui rendit de si grands services à la cause royale et catholique et refusa de s’associer à la révolte du duc de Montmorency. On dit qu’il a laissé un manuscrit intitulé : Trésor des maisons de Vogué et de Rochecolombe. Son frère, Louis de Vogué, fut la tige des Vogué de Peloux et de Gourdan.
Georges de Vogué, fils de Melchior, qui était grand bailli du Vivarais lors de la révolte de Roure, s’employa puissamment à pacifier le pays. Il avait épousé en 1636 Françoise Grimoard du Roure, et c’est de son beau-frère, le comte du Roure, qu’il avait reçu la charge de bailli d’épée du Vivarais, laquelle resta dans la famille de Vogué près d’un siècle, de 1649 à 1738.
Son fils Melchior épousa Gabrielle de Champetières, héritière de la seconde branche de Lafayette et son petit-fils Cérice épousa Marie-Lucrèce de Tournesi, dame de Poussan en Languedoc. Le produit de la vente des terres de Poussan, de Tournesi et de la baronnie de Champetières permit à Cérice d’acquérir la baronnie de Montlaur en 1699 et celles d’Aubenas et St-Remèze en 1715, au prix de 360 000 livres – ce qui ne ressemble en rien, comme on le voit, à la fameuse partie de lansquenet imaginée ou trop facilement accueillie par M. de Valgorge.
Le marquis Cérice de Vogué était au combat de Vagnas, le 10 février 1703, contre les Camisards, et il a laissé des Mémoires manuscrits où se trouvent ces belles paroles :
« Mon intention n’est pas de m’étendre beaucoup sur la noblesse dont je fais peu de cas lorsqu’elle n’est pas soutenue par la vertu dont j’aimerais bien mieux laisser des exemples à mes enfants que de vains titres qui ne serviraient qu’à les déshonorer s’ils n’y répondaient pas par leurs sentiments ou par leurs actions. »
Cérice mourut à Vogué en 1739. Son fils aîné, Charles-François Elzéar, épousa en 1732 Marie-Madeleine de Truchet de Chambarlhac qui lui apporta la baronnie de St-Agrève et les terres de Beaufort et de Gigord en Dauphiné. Elzéar eut une carrière militaire des plus brillantes ; il était maréchal de champ en 1748 et inspecteur de la cavalerie en 1759. Il fit de nombreuses campagnes en Allemagne et en Italie et mourut à Aubenas en 1782, à la veille de devenir maréchal de France.
La branche des Vogué-Gourdan remonte à 1604, date du mariage de Louis de Vogué (le frère de Melchior) avec Marguerite du Peloux, héritière des seigneuries du Peloux, de Gourdan, de Marclan, etc.
Son petit-fils, Jacques, comte de Vogué, épousa en 1695 Charlotte de Villars, la sœur du maréchal.
Pierre, fils de Jacques et de Charlotte, hérita en 1770 de la moitié des biens du duc de Villars (fils du maréchal), grand d’Espagne de première classe. On évaluait sa part de succession à cent mille livres de rentes (le marquis de Jovyac, dans une lettre à dom Bourotte, dit seulement quarante-quatre mille).
Pierre mourut sans enfants, laissant son titre de grand d’Espagne à son cousin le marquis Elzéar de Vogué, chef de la branche aînée, mais instituant pour son héritier et légataire universel le frère cadet du marquis, Jacques-Joseph-Félix, vicomte de Vogué-Montlaur. Ce dernier n’eut qu’un fils qu’il perdit à l’âge de 26 ans. Il laissa en mourant la terre de Gourdan à son petit-neveu Eugène-Jacques-Joseph-Innocent. Cette terre a été vendue avec le château, il y a une quinzaine d’années, à M. Frank-Roux.
Au siècle dernier, la famille de Vogué possédait les quatre baronnies d’Aubenas, Montlaur, Balazuc et St-Agrève. C’était la plus considérable du Vivarais. La plupart de ses membres, divisés en trois branches (Vogué, Tresque et Gourdan), finirent par se disperser et se transplantèrent hors du département. Une branche, notamment, est devenue considérable en Bourgogne, où elle possède l’antique château de Comarain et l’hôtel Bouhier, à Dijon, mais nous sommes heureux de constater que, grâce à cet attrait du pays d’origine qui agit, paraît-il, aussi puissamment sur les grands que sur les petits, la branche aînée a toujours tendu à revenir parmi nous.
Léonce de Vogué (le père du marquis actuel), qui fut un homme d’un rare mérite, avec beaucoup d’originalité, n’aimait rien tant qu’à s’entretenir de l’Ardèche. C’est ce personnage, appelé le marquis forgeron, parce qu’il prit ce titre dans sa circulaire électorale de 1848, qui, après une carrière militaire terminée par un refus de serment en 1830, fut envoyé par les électeurs du Cher aux assemblées politiques de la seconde république où les folies de la gauche ne tardèrent pas à le jeter dans les bras de la droite. Après le 2 décembre, qu’il blâma hautement, Léonce de Vogué rentra de nouveau dans la vie privée, mais pour en sortir encore en 1871. Il fut alors envoyé à l’Assemblée nationale par cinquante-deux mille voix, et y siégea constamment à droite. Il est mort en 1877.
Son fils, Charles-Jean Melchior, marquis de Vogué, né en 1829, est aussi connu comme archéologue que comme diplomate. En 1853-54, il fit un grand voyage en Palestine, et les savantes publications qui en furent la suite : Les églises de la Terre-Sainte (1859), les Évènements de Syrie (1860), le Temple de Jérusalem (1864), l’Architecture civile et religieuse du 1