Erhalten Sie Zugang zu diesem und mehr als 300000 Büchern ab EUR 5,99 monatlich.
" Comme un flic dubitatif contemple sur son mur une nuée de post-it, je me suis mis en tête de construire un livre à partir de mes plus récentes divagations littéraires, politiques ou résolument futiles. Et bien ce n'est pas de la tarte ! " Après une longue carrière dans une entreprise publique, Étienne Day a fondé et animé pendant 10 ans une petite maison d'édition, qui a publié 62 ouvrages. Pour clore cette belle aventure, il a réuni dans le dernier, aujourd'hui réédité, un grand nombre de ses billets d'humeur, mêlés à des souvenirs plus lointains, qui ont émaillé sa page Facebook au cours de ces dernières années.
Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:
Seitenzahl: 121
Veröffentlichungsjahr: 2023
Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:
Comme un flic dubitatif contemple sur son mur une nuée de post-it, je me suis mis en tête de construire un livre à partir de mes plus récentes divagations littéraires, politiques ou résolument futiles. Et bien ce n'est pas de la tarte !
C'était une chose que Jacob Nielsen avait remarquée au cours de leurs conversations : les marins ne se donnaient pas de grands airs et ne cherchaient pas à se rendre agréables. Ils disaient ce qu'il en était et leur avis sur la question, sans détour.
Björn Larsson
1. LES ANNÉES
Perros-Guirec
Fontenay-le-Fleury
2. LES LIVRES
Le Verbe
Les Mots
Lire
Écrire
Éditer
3. LE CHATEAU
4. LES JOURS
L’Enfermement
La Vie
2018
Tous les quatre ans, je regarde quand même les deux dernières rencontres. Je n'ai pas regretté : un beau match. Ce n'était pas 98, mais les gens dans le bistrot avaient l'air presque heureux. Après, on est allé finir de siroter nos bières dans le bout de jardin, où quelques gamins tapaient dans un ballon jaune devant le plus petit qu'ils avaient placé dans les buts. Dans la rue, une vieille "Caravelle" décapotable vert d'eau est passée et repassée avec un drapeau. Deux petites filles, aux visages peinturlurés comme des peaux-rouges et perchées sur le petit mur de la plus belle maison, agitaient timidement de minuscules fanions devant un massif de roses kimono. L'air était doux mais commençait à fraîchir, comme le jour s'estompait lentement.
17 novembre 2019
Georges est rentré, après 11 jours de cavale. Beau poil, le ventre plein...
2015
Devant l'horreur je reste vide
Plié, fermé
Sur ce cri dans mon ventre
Qui ne peut pas sortir
Avec ce seul besoin impérieux, absolu
De serrer dans mes bras
Une personne que j'aime
Pour m'assurer qu'elle est toujours vivante
Chaude et odorante
11 avril 2020
Les bons côtés du confinement. Je ne savais plus écrire à la main. Grâce aux attestations, je fais chaque jours des progrès étonnants.
2014
Un soir que nous étions allés, avec mes petits enfants, voir sur le port du Brusc le feu d'artifice du 14 juillet. La petite foule bonhomme se pressait sur le quai, attendant patiemment que la nuit peu à peu s'épaississe. Quand la première fusée jaillit, transmettant de proche en proche le feu à chacun des ports voisins, comme l'incendie vole d'arbre en arbre. S'embrasèrent ainsi successivement Six-Fours, Sanary, Bandol puis La Ciotat. Je me retournai pour m'assurer de la présence à mes côtés des deux garçons et échanger avec eux un regard de connivence. Bien sûr, je vis tous les gentils badauds qui contemplaient la mer avec des yeux d'enfants, où dansaient des étoiles. Seul, le dos à la mer, Pierre contemplait la foule.
16 avril 2020
Mon nouveau masque est très joli. On dirait une petite culotte.
2013
Le port du Brusc, l'hiver. Les rares réverbères peinent à percer la nuit. Les quelques bateaux frissonnent dans le mistral glacial. Les trottoirs sont déserts, où courent les détritus. Seule l'immense boulangerie, illuminée comme un paquebot, affronte vaillamment la tempête, avec sa petite vendeuse bien seule à la passerelle. Toute la désespérance, comme un tableau d'Hopper.
22 avril 2020
J'essaie de m'extraire de ce merdier. Je pense à Cécile, dont je prépare le livre, à ce qu'elle aurait dit de la situation et du livre, qui m'aurait fait rire aux larmes. Je pense à ses amis, malheureux de ne pas trouver les mots. À ceux qui se lancent avec le courage du désespoir. Je pense à Jacques Perry, qui nous a quitté il y a demain quatre ans, à sa gouaille, à ce qu'il aurait dit lui aussi. Je pense à Katalin, qui a réalisé sur ses archives un travail phénoménal, pour le voir refusé par l'IMEC. Je pense à mes amis, qui ont quelque influence sur ces ayatollahs et qui pourraient l'aider, après que Nourrissier, Mauriac, Garcin et bien d'autres aient salué celui qui fut un écrivain majeur du XXe siècle.
1998
« Frogs machine » (RM 800), biquille fabuleux dessiné par Marc Lombard, volé en 1998 au milieu de la nuit dans le port de Perros Guirec et naufragé près de Costaérès. Un vrai polar…
25 avril 2020
Parfois sous mes fenêtres, une silhouette craintive accélère le pas. Mais comment distinguer un fantôme d'un honnête citoyen pourvu de son attestation de déplacement dérogatoire ?
1997
À Londres, où j'effectuais un stage d'anglais, pour tenter tardivement et désespérément d'en maîtriser les rudiments, une jeune japonaise, qui partageait mon calvaire, me montra un jour sa photo en robe traditionnelle bleue, avec un nœud immense au bas des reins. Sa copine sourit et me glissa furtivement dans l'oreille : « C'est une demande en mariage. »
27 avril 2020
Yahto vient de me rapporter une petite feuille en cadeau, comme il faisait avec Cécile. Elle disait de lui qu'il était un poète. Cela dit, j'ai d'abord eu très peur : j'ai cru à un bébé souris !
1990
La première fois que j'ai entendu parler de réseaux, c'était dans les années 90 lorsque les politiques ont pris la tête de l'entreprise où je travaillais, pour y remplacer les polytechniciens. Il s'agissait alors plutôt de lobbying. Internet balbutiait encore. Mais j'ai alors eu le pressentiment que ce concept allait à l'encontre de la démocratie. Aujourd'hui, bien au delà du lobbying initial, les réseaux devenus « sociaux » nous enferment dans des bulles avec tous ceux qui pensent à peu près comme nous et appartiennent au même milieu social. Cette atomisation de la société ne peut qu'encourager les replis identitaires les plus dangereux. Nous avons besoin de la différence des autres, pour faire vivre la démocratie.
9 mai 2020
100 km à vol de mouette. J'pourrais aller à Guernesey. Suffit d'embouquer la passe Est au sud de Tomé. Tu bloques la barre et tu atterris 8h après pile poil sur la pointe Sud-Est. Mais je n'ai plus de bateau. Je vais prendre un chat ailé.
Dans les îles anglo-normandes, seules parcelles du Royaume-Uni qui aient été occupées par une puissance étrangère, on fête le 9 mai, jour de la reddition des nazis restés sur place, après que les alliés les aient négligés et laissés derrière eux, dans leur progression victorieuse.
Il faut lire le le livre de G.B. Edwards, Sarnia.
L'ouvrage a été admiré par John Fowles qui a écrit une préface à l'édition anglaise et salué par William Golding comme « une œuvre de génie ». Maurice Nadeau, quant à lui, dans sa présentation de l'édition en français de 1982 parle d'une « exceptionnelle réussite », d'« un subtil, complexe et magique composé d'espace, de temps, de souffrances et de joies humaines, (qui) se tient ainsi entre terre et ciel pour une éternité de lectures ».
1985
Jean Fabre nous a quitté. Nous nous étions connus par nos filles, élèves de la même école et nous avons passé tant de bons moments ensemble. Puis la retraite nous a éloigné. Au milieu de tous ces bons souvenirs, je revis cette traversée à la voile de Granville à Trégastel, durant laquelle un méchant coup de vent nous avait cueilli à 6 h du matin au large de Bréhat. Dans une mer devenue jaune, il nous fallut remonter lentement contre vent et courant. Nous en avons bien chié avec jubilation. Arrivés avec 12 h de retard au mouillage du Coz Pors, lorsque nous entreprîmes mollement de gonfler notre annexe, les feux du 14 juillet, tirés de l’îlot le plus proche, explosèrent à ce moment précis pour nous souhaiter la bienvenue. Je lui dédie ce moment de pure joie enfantine (26 novembre 2020)
9 mai 2020
L'évitement
Ça déconfine, ça déconfine. Faut dire qu'il fait très beau. Beaucoup de monde sur le port et dans les commerces, comme à Pâques. Comment allons-nous vivre comme ça en nous évitant ? Je préférais ne voir personne.
1981
Le 10 mai 1981, c'était chouette. J'aurais aimé être à la Bastille. Mais nous étions trop loin. Alors nous avons trinqué avec des voisins (2e maison à droite), marchands de chaussures à la retraite, dont nous n'aurions jamais imaginé qu'ils se réjouissaient autant que nous et qu'elle avait sauté, enfant, sur les genoux de Jaurès !
9 mai 2020
Dans les commerces de bouffe, à partir de lundi, mesures drastiques : masque obligatoire, lavage des mains obligatoire et sens de circulation. Super. Ça aurait été encore mieux durant le confinent ! Mais c'est vrai j'oubliais : y'avait pas de masques, ni de gel. J'suis con...
1968
Petit écho de la mode
Paraît que le vintage est à la mode. Vingt dieux ! Qu'est-ce que je portais en 68 ? Costume en velours côtelé chamois et chemise bleu pétard (genre valise de Cécile quand elle est descendue du train, mais ça c'était bien plus tard). Dans les amphis houleux on me hélait ainsi : Et toi la chemise bleue ! Ce qui devait vouloir dire : Tu vas nous faire chier encore longtemps ? L'année d'après, en 69, c'était caban, Levi's et Clarks. Ah les Clarks, un truc à se tordre les pieds. Je déconseille.
3 juin 2020
Il y a tout juste un an, Cécile entrait dans son dernier confinement, dont elle ne parviendrait à s’échapper qu’en prenant son envol.
Affection et reconnaissance aux infirmières et aides-soignantes qui l’ont dorlotée, cajolée, bichonnée pendant ses derniers mois.
Il faut dire qu’elle n’a jamais cessé de faire le clown, au point que les filles ne rataient jamais la moindre occasion de se regrouper dans sa chambre pour l’écouter et rigoler.
1968
Ce qui manque le plus aujourd'hui, c'est que les gens se parlent. La parole est pourtant ce qui distingue l'homme de l'animal.
En mai 68, nous voulions d'abord ouvrir les portes et les fenêtres de l'université sur le monde moderne, introduire par exemple d'avantage de sciences sociales dans les études littéraires. C'était gentil. Ou bien pouvoir rendre visite aux filles dans les cités U. C'était coquin.
Et puis vint la grève générale et nous avons voulu faire la révolution. Alors nous avons attendu que le PC déterre les fusils de la résistance, mais les fusils ne sont pas venus. Si bien que lorsque est venue la claque de nos grands-pères titubants sur les Champs-Élysées, et que, le lendemain, l'essence est revenue aux pompes, nous sommes tous partis en vacances avec nos Deuch et nos Fiat 600, pour faire chier Jean Vilar à Avignon (et pas en Avignon). C'était pas très malin.
Mais, au delà de ces péripéties, qui paraissent aujourd'hui un peu dérisoires, le souvenir le plus bouleversant qui me reste de ces quelques journées de folie, c'est, au lendemain de la nuit des barricades, ces groupes de personnes de tous âges, ne se connaissant pas, qui se sont constitués spontanément partout, sur toutes les places de France pour parler, simplement SE PARLER.
3 juin 2020
Retour au camp de base. Plaisir de retrouver Marie, Seb, Jean et les autres. Marie s'est fait couper les cheveux. Pendant le confinement elle est allée ramasser fraises et tomates chez un maraîcher. Seb, lui, a préféré bouquiner et s'est enquis de mes dernières publications. Quant à Jean, tout beau et tout bronzé, il a bien profité de son jardin. On est tous un peu sonnés, mais ça va aller.
1966
J'ai conservé intacte de mes années de jeunesse une totale fascination pour les suffixes, découverts avec Alain Lerond, éminent linguiste d'une Université qui ressemblait plus à celle que décrit Anatole France dans sa tétralogie « Histoire contemporaine » qu'à celle d'aujourd'hui et dont j'ai la nostalgie. À de très rares exceptions près, elle fourmillait alors de professeurs exceptionnels, hauts en couleur, dont la science le disputait à un humour dévastateur et qui sont aujourd'hui tombés dans l'oubli. En si peu de temps ils m'ont tout appris et fait de moi ce que je suis. Ce furent sans le moindre doute les plus belles années de ma vie.
19 juin 2020
Croisé le croque-mort. M’a pas serré la main. « Corona », il a dit. Mais il avait son bon sourire, que j’aime bien. Du coup, j’en ai chialé comme une madeleine de prout.
Croque-mort, c'est joli. Ça me donne l'envie de mordre dans les fesses d’un ange.
1962
Après que Baudelaire m'a fait brutalement m'éloigner des sciences, deux poètes, parmi tant d'autres, découverts à l'adolescence, m'ont durablement marqué : Saint-John Perse et Octavio Paz.
De ce dernier, « Pierre de soleil » ne quittait pas la table de mes 18 ans. J'aime particulièrement ce passage, que j'ai toujours en tête :
« ta jupe de maïs ondule et chante,
ta jupe de cristal, ta jupe d'eau,
tes lèvres, tes cheveux, tes yeux,
toute la nuit tu es pluie, tout le jour
tu ouvres ma poitrine avec tes doigts d'eau,
tu fermes mes yeux avec ta bouche d'eau,
sur mes os tu es pluie, dans ma poitrine
un arbre liquide creuse des racines d'eau »
6 juillet 2020
La distanciation dite « sociale » va faire de nous des « intouchables », comme les Dalits en Inde, auxquels sont dévolues les tâches « impures », comme le ramassage des ordures ou le nettoiement des latrines, pour un salaire de misère. Un peu tous ces métiers, qui nous ont permis de survivre pendant le confinement…
1962
Quand j'étais môme, il y avait plein de Traités : le délicieux Traité de volupté pratique, piqué à mon frère qui l'avait fauché à mon père et qui datait au mieux des années 30, mais aussi le Traité élémentaire de magie pratique du très estimable Papus et même le Traité pratique d'astrologie d'André Barbault. J'aimais bien le côté pratique, façon salon des arts ménagers, le parc d'attraction de l'époque.
Aujourd'hui il nous reste : Il a traité ma sœur…
6 juillet 2020
À bien y réfléchir, je ne vois qu'un seul moyen de nous en débarrasser : un formidable éclat de rire. Ça peut marcher.
1961
Odette Dagan m'a à peu près tout appris. J'étais très jeune. 17 ans, le bac en poche, je m’étais mis en tête de passer le concours de l’IDHEC (aujourd’hui SOFREMIS). Les autres avaient 5 ans de plus que moi, au minimum une licence. En dépit de mes notes honorables, on a bien voulu m’expliquer que j’avais tout le temps.
Sacré bonne femme, demeurée inconnue hors des cercles cinéphiles de l’époque, qui pourtant a formé des types comme Alain Cavalier. Elle n'a écrit aucun livre, mais reste étonnamment vivante dans la mémoire des ses anciens élèves, dont j’ai rencontré certains qu’ils l’ont connue quelques trente années après moi.
À l’époque, elle nous avait fait rencontrer Jean Renoir, toute une après-midi chez une de ses amies, où le grand cinéaste nous avait projeté en 16mm une version définitive de « French Cancan », dont il avait restauré le montage initial, quelque peu saboté par la production. Devant le maître qu’elle vénérait, notre chère professeur n’avait cessé de rire sous cape comme une petite fille.