Cafés-Philo en France, Un malentendu & un échec ? Education Nationale & Philosophie, L'humiliation - Jean-Christophe Grellety - E-Book

Cafés-Philo en France, Un malentendu & un échec ? Education Nationale & Philosophie, L'humiliation E-Book

Jean-Christophe Grellety

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Beschreibung

En France, au début des années 90, des cafés accueillirent des clients particuliers : assis ou debout, ils entendaient, autour d'un animateur, consacrer deux heures de leur temps pour un "café-philo". Dans le 1er texte, il s'agit de revenir sur ce qui fut, pour l'auteur, un engagement civique et intellectuel, auprès de Marc Sautet. Que s'est-il passé et pourquoi, selon l'auteur, il y a eu, malentendu et échec ? Non pas que là où ils se réunirent, les présents n'eurent aucune réussite : les cafés-philo incitaient à un usage de la parole, plus sérieux, digne, profond, que des jours de médias de commentaires, devenus, depuis, un fond sonore public bien problématique. Mais au regard de la référence socratique comme platonicienne, cette aventure collective a-t-elle réussi à susciter des dialogues civiques inédits et influents, qui touchent à l'essentiel, et l'essentiel, quel est-il ? Il est temps de procéder à un bilan critique. Le second texte propose une Histoire abrégée de l'Education Nationale, de la fin du 19ème à nos jours. De loin, les choses paraissent avoir été idylliques, comme les boomers le prétendent, mais à y regarder de plus près... Comment l'Etat a-t-il conçu l'instruction publique ? Quant aux 5 années du Blanquérisme, il faut accepter que les yeux saignent. Oui, les professeurs sont humiliés. Comparés aux joueurs de football, ils ne sont, pour parler un langage présidentiel, "rien". Et pourtant, comme le Tiers-Etat en 1789, ils sont, en fait, tout.

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Dédicaces, remerciements

Bien que nous ayons connu des désaccords fin 1996, je tiens à saluer la mémoire de Marc Sautet dont j’ai connu la personne, son indéniable et important travail intellectuel, ses vraies bonnes intentions pour notre monde. Décédé à peine la cinquantaine passée, il aura manqué à la vie publique en France de ces dernières années, de plus en plus occupée par des faussaires ou des dangereux.

À Eric Coulon, pour notre amitié d’étudiants, pour sa marginalité assumée dans un tel monde

À Jean-François Chazerans, pour son engagement dans l’histoire des cafés-philo, pour son expérience socratique, laquelle a exigé de lui, courage, constance, rigueur intellectuelle

À mes filles, Loreleï et Victoria, ou Victoria et Loreleï, à mes parents

À Joao-José, mon frère de liberté, lui aussi parti trop tôt, aux siens et à nos amis du Portugal

Aux êtres de bonne volonté, qui n’oublient pas que la devise constitutionnelle platonicienne, elle, incarnée dans les Dialogues, est plutôt « Fraternité, Égalité » - puisqu’il est impossible d’y intégrer la « liberté », en raison de son indétermination, de sa plasticité pour tout et rien dire.

« Il y a plus d’idées dans la Philosophie de votre Platon, orateur, que vous n’en rêvez des choses sur le ciel et sur la terre ». Auteur inconnu.

TABLE DES MATIÈRES

Préface

Cafés Philo en France - un malentendu & un échec ?

Éducation Nationale & Philosophie - l’humiliation

Bibliographie sélective

À propos de l’auteur (pour lui écrire)

À propos d’une lettre de Marc Sautet du 6 janvier 1997, à mon attention

Reproduction d’une lettre de Marc Sautet à mon attention

À la fin de chaque texte, les références indiquées par un numéro en parenthèse sont explicitées. Des lectrices et lecteurs considéreront sans doute que de nombreux propos ne sont pas associés à une référence, pourtant, évidentes pour eux, et ils auront raison : elles existent. Mais le texte aurait pu être surchargé de, ET il appartient aussi aux lectrices et lecteurs de les trouver par eux-mêmes. Comme avec les œuvres de Platon, comme avec toute œuvre digne de ce nom, une part du travail, en sus de la seule lecture, doit être accomplie par les lectrices et lecteurs. Il y a aussi une part explicite de non-dit. Parce qu’il est agréable pour un auteur de savoir si des lectrices et lecteurs l’ont perçu, entendu, et ce qu’ils en disent. De toute votre participation à la lecture de ce livre, soyez en d’ores et déjà remercié(e).

Préface

Le premier texte de ce livre entend évoquer, l’aventure collective des cafés-philo, commencée en France au début des années 1990, mais n’en constitue ni une Histoire complète et détaillée, ni une archive-enquête, sociologique et intellectuelle, parce que de tels livres, qui, à ma connaissance, n’existent pas, pourraient advenir par le fait d’un travailleur-démiurge capable d’aller chercher des matériaux éparpillés partout en France, de les assembler, enrichir, en accomplissant un travail titanesque qui est hors de ma portée, ou par un effort collectif d’animateurs et d’habitués de ces lieux. En outre, il ne peut se confondre avec de telles possibilités, puisque ce texte propose une critique des cafés-philo, non pas sur leur principe, mais sur ce qu’ils furent et sont, en général, et ce, quoi qu’il en soit de la bonne volonté des uns et des autres. Il s’agit donc d’exprimer cette critique, ses raisons. Le second texte traite de la situation des professeur(e)s en France, et, parmi eux, notamment des professeur(e)s de Philosophie, dans le cadre d’une Histoire, critique et progressiste, de l’Éducation Nationale en France, depuis ses pénibles commencements sous la tutelle d’un Jules Ferry, nationaliste et raciste. Il s’agit, quand cela est nécessaire, d’aider à dessiller les yeux sur le rapport entre l’État et l’Éducation Nationale, à mille lieues de toute philanthropie - hélas.

Ainsi, il est possible d’établir que la plupart des Ministres de l’Éducation Nationale n’ont nullement eu en vue le bien de TOUTE la jeunesse, dont celle issue des familles pauvres, modestes, ni celle de TOUS les professeurs, à l’exception notable de la maigre aristocratie enseignante, et que, de ce fait, son dernier pénible avatar, le Blanquérisme a été, pendant 5 ans, une continuité de cette Histoire, marquée, évidemment, par une aggravation dans les mesures anti sociales comme anti enseignantes. Là encore, comme pour le premier texte, il n’y a pas, à ma connaissance, d’ouvrage qui traite sérieusement de cette Histoire, d’une manière, précise, critique, radicale. Autant pour le premier sujet, les cafés-philo et la Philosophie, que pour le second, une Histoire critique de l’Éducation Nationale, l’humiliation des professeur(s) dans ce cadre et notamment à notre époque, ces deux textes sont ouverts au dialogue avec tous les concernés, et, en fonction des échanges à venir, selon qu’ils existent, un peu, beaucoup, ou pas du tout, ce livre est susceptible de compter de nouvelles éditions, pour tenir compte, des principaux éléments et des principales conclusions, des objections, suggestions, critiques, textes, que les uns et les autres voudront m’adresser, dès lors qu’ils sont fondés, argumentés. Mais même s’il ne devait pas y avoir de nouvelles éditions de, nous avons besoin de tels livres qui travaillent ces sujets, en globalité ou en partie. Le temps dira si…

Ces deux textes sont liés par la loi du temps : une atomisation, par des « bombes nucléaires », économiques, juridiques, donc, politiques, destinées à séparer les consciences, les citoyens, à en faire des « moi » sans liens les uns avec les autres : privés d’emplois (et de droits/ allocations), autœntrepreneurs, marcheurs-migrants des rues, citoyens incités à tourner autour de leur Moi, pendant que les généraux et artificiers de ces pratiques nucléaires, eux, forment une classe à l’exact opposé de cette atomisation, avec des membres soudés comme jamais. Loin d’être une insurrection contre cette réalité, la « bombe humaine » chantée par le groupe Téléphone dans les années 80, est le symbole de toute la violence étatique française, comme des pires États capitalistes, contre les populations et les citoyens. Il y a eu, il y a, le terrorisme des petits soldats de Daesh, qui meurent dans la foulée de leurs crimes, il y a le terrorisme politique « légal » par des pratiques qui visent à porter atteinte à l’intégrité physique, morale, des citoyens, via leurs « droits », leurs revenus, leurs conditions d’existence. Les livres d’une Histoire officielle réservent la « Terreur » à une courte période entre 1793 et 1794 - c’est dire à quel point ils ne sont pas sérieux… Du café-philo, quand j’ai entendu parler de cette nouvelle logique publique, j’en ai perçu et compris un sens évident, décisif, de résistance, et d’une résistance, consciente, organisée, dynamique. Ce qu’il en fut, c’est toute une Histoire…

Cafés-Philo en France - un malentendu et un échec ?

Cet ouvrage propose un récit personnel, et nécessairement partiel, des débuts de l’histoire des cafés-philo, et, par conséquent, de et sur la pensée philosophique, la vie sociale et politique en France, et n’entend nullement prétendre à pouvoir parler pour tout le monde, notamment pour les animateurs de ces débats dans les cafés. Les moyens de communication n’étant pas ce qu’ils sont devenus depuis, il n’était pas possible, depuis le milieu des années 90 jusqu’à aujourd’hui, de constituer et de maintenir avec la majorité des animateurs des cafésphilo, un contact constant et ainsi il va de soi qu’ils ont leur expérience de, et que, s’ils lisent ou entendent parler de ce livre, ils pourront exprimer alors leur propre interprétation de leur expérience et de cette Histoire. C’est ainsi quelque chose de précieux que les débats des « cafésphilo » ont pu permettre d’apprendre aux uns et aux autres, c’est qu’il est très risqué de prétendre comprendre les autres en se mettant à leur place, parce que, si l’empathie, la sensibilité, l’intelligence, y incitent et y invitent, il y a une différence substantielle entre le faire et croire l’avoir fait. Si, se mettre à la place de, continue d’être une loi humaine essentielle - avec « l’empathie »., il faut avoir à l’esprit qu’il y a une présupposition que nous le fassions, qui se distingue d’une expérience singulière quand nous le faisons vraiment. Mais prendre en compte des singularités n’implique pas que nous soyons interdits de conclusions communes et générales : encore faut-il qu’elles soient fondées. C’est là un écueil que tant de jeunes élèves de la classe de terminale de Philosophie énoncent fréquemment et ne parviennent pas à dépasser, la relativité des perceptions et opinions (chacun pense…).

Ce sera un des objectifs de ce livre, une de ces ambitions, et l’auteur est toujours le plus mal placé pour juger de la réalisation ou non, de cette intentionnalité. Le titre de ce livre est assez explicite : de cette aventure des « cafésphilo », l’auteur que je suis considère qu’il peut établir, et c’est donc le propos principal de ce livre, qu’il y a eu, malentendu, échec, échecs au pluriel, et qu’il s’agit d’en comprendre les causes. Et, s’il y a eu échec, c’est donc que, au regard des capacités induites, potentielles comme des intentionnalités elles-mêmes, les résultats possibles, attendus, désirables, ne sont pas advenus ou peu ou insuffisamment. Et il va donc falloir s’en expliquer. Entre 1991 et 1994, je suivais des études de Philosophie à l’UFR de Toulouse Le Mirail, après les avoir commencées à Bordeaux. Avec un ami, lui-même engagé dans de telles études, Éric Coulon, nous avions entendu parler de la démarche toute nouvelle de Marc Sautet à Paris, au Café des Phares, et également qu’il était annoncé quelque temps plus tard à Toulouse. Nous lui avons écrit et quelques semaines plus tard, nous recevions une réponse de sa part, dans laquelle il nous confirmait sa venue et nous proposait de nous rencontrer à cette occasion. C’est ce qui eut lieu. La rencontre, prévue pour durer de 30 minutes à une heure, dura toute une après-midi. Nous rencontrions, et c’était une première pour nous, un intellectuel, qui n’associait pas pensée philosophique et « Université », comme si la pensée profonde était le fait, pratiquée par, réservée à, une petite élite, ce dont trop de nos cours nous faisaient douter (à ce sujet, lire le développement consacré aux Universités, à la pensée philosophique dans les Universités, à la fin du second texte).

Cette rencontre m’avait convaincu de la pertinence de m’engager auprès de Marc Sautet dans l’animation et le développement des cafés-philo, depuis celui, initial et initiateur, du Café des Phares. C’est ce que je proposais à Marc Sautet, et il m’invita à l’assister, au Café des Phares dans un premier temps, puis pour son Cabinet de Philosophie, rue Sévigné, à quelques centaines de mètres à peine de la place de la Bastille. Pour lui, les choses s’accéléraient : des chaînes de télévision étaient venues réaliser des courts reportages pour parler de ce qu’elles présentaient comme une nouvelle « mode civique française », et de l’autre, une maison d’édition, à l’époque encore cornaquée par Robert Laffont en personne, lui avait proposé de publier un essai, tant sur cette expérience que sur ses idées. Marc Sautet, qui n’était pas du sérail, parisien, et qui n’était pas intéressé pour en être, appréciait au moins de ne pas avoir de difficulté à faire paraître un ouvrage et il s’était donc mis à l’écriture de ce qui allait devenir « Un café pour Socrate » (1). Marc Sautet était grand (plus d’un mètre quatre-vingt-dix), blond/châtain, aux yeux très bleus, avec un visage et des expressions assez proches d’un Bruce Willis. Il était mince et musclé, parce qu’il pratiquait une gymnastique quotidienne, et, à 50 années passées, il pouvait exhiber des pectoraux de surfeur, ce qu’il pratiquait de temps en temps. Il a sans doute été un grand séducteur pendant les années qui ont précédé, mais, parvenu à cet âge, il était marié. De sa jeunesse, il évoquait, avec émotion, sa participation aux évènements de mai 1968, par un engagement dans un parti trotskiste, ce dont témoignait sa bibliothèque avec quelques ouvrages du « vieux », le surnom affectueux que les adeptes de, ont donné et donnent encore à Léon.

À l’approche de la cinquantaine, il ne paraissait pas continuer d’être trotskiste. Comme les autres, il avait assisté, dans les années 70, à la conversion française au capitalisme le plus revendiqué et actif, dans ce qui pouvait paraître alors les débuts d’une américanisation, depuis développée dans des proportions inouïes. Ces années Giscard avaient été celles de mon enfance, et mes souvenirs de, rappellent une France grise, avec une télévision qui prenait de plus en plus de place partout, et un président qui était déjà dans des astuces de communication, qui ne parvenaient pas à dissimuler l’étendue de son mépris XXL envers les pauvres, les ouvriers. Ainsi, enfant, je découvrais ce que j’allais appeler plus tard le « racisme social » (2). Marc dut constater à quel point la classe ouvrière faisait l’objet et d’une exploitation tous azimuts, et d’une attaque politicoéconomique en règle, par la fermeture de milliers d’entreprises, usines, industrielles, au profit des États-Unis ou de l’Allemagne. Avec les années 80, l’URSS s’engagea sur le chemin, inattendu, d’un hara-kiri, et, alors que je le rencontrais à Toulouse, puis que je commençais à l’assister au Café des Phares, la guerre froide avait pris officiellement fin, en même temps qu’une nouvelle guerre avait conduit l’Irak à sa première grave défaite, face à une coalition internationale dans laquelle se trouvaient des soldats français. Un conflit titanesque, mondial, se terminait en eau de boudin, par la débandade d’un camp, réputé pourtant extrêmement austère et rigoureux. Trente ans plus tard, les conditions, les circonstances de cette soumission des États et peuples qui composaient l’URSS, ne sont toujours pas éclaircies.

Ainsi, alors que les premiers débats dans ces cafés-philo commençaient, nous assistions à une nouvelle époque de l’Histoire, que, pour beaucoup, nous n’avions anticipée ni dans son sens ni dans ses conséquences. Il semblait alors que le capitalisme américain, le capitalisme et les États-Unis, triomphaient, et triomphaient définitivement, ou pour très longtemps, puisque la Russie allait chuter pour ne plus compter, et la Chine commençait à peine sa mutation qui devait l’amener, maintenant, à être une des premières puissances politiques mondiales. Si le capitalisme triomphait, avec son symbole mondial, le cinéma américain, cela signifiait que, comme les médias et « experts » les appellent depuis, les « perdants de la mondialisation », étaient déjà nombreux et menaçaient de le devenir plus encore. Et c’était une intuition de Marc Sautet : devant nous, se profilait une crise politique, économique, civique, comparable à celle que l’Athènes impériale et impérialiste avait connue à l’époque de Socrate et Platon. Mêmes causes, mêmes effets ? Pour la constitution et le développement de sa pensée, Marc Sautet a beaucoup travaillé sur Nietzsche, mais il le fit avec cette particularité de ne pas être nietzschéen. Il avait obtenu une bourse pour aller vivre et travailler en Suisse, afin d’examiner des archives locales, dont une part provenait de Nietzsche lui-même. Marc Sautet constatait un « mystère » : Nietzsche était devenu un auteur « populaire », cité partout, un « modèle » de l’auteur indépendant, rebelle, contestataire des « valeurs dominantes », alors qu’une étude sérieuse de son œuvre, de son propos, de ses obsessions, de ses orientations, amenait à conclure nécessairement que cet auteur allemand était avant tout, réactionnaire, et que l’instrumentalisation de son œuvre par sa sœur au profit du nazisme avait été rendue possible par des propos de Nietzsche, bien qu’il ait été aussi capable de tenir des propos contraires. Par exemple, et il s’agit là de bribes d’écrits que Nietzsche n’a pu publier, puisqu’il n’a pas terminé d’écrire un nouveau livre, et parce qu’il a perdu la raison, il a pu faire l’éloge des « plus forts contre les plus faibles », alors que dans des livres parus antérieurement, il a aussi pu exprimer une critique radicale de et sur les Allemands, assimilés à des brutes, faire l’éloge des Juifs, autrement dit tenir des propos incompatibles avec les sentiments et les dogmes nazis. Mais si Nietzsche ne peut donc être embrigadé au service du nazisme qui, en outre, a survécu à 1945, cela ne change rien à ses logiques réactionnaires. Et c’est ce que Marc Sautet explique en détail dans « Nietzsche et la Commune » (3). Aussi, comment un auteur réactionnaire, peut-il devenir un auteur… « contestataire », révolutionnaire ? Il est donc possible de transformer le plomb (ou pire encore) en or ? La quête chimique de l’Alchimie a donc été une impasse, alors que l’Action Littéraire a réalisé ces transmutations. Un des champs de cette Action Littéraire alchimique a pris corps dans notre monde avec « la publicité ». Par ses mantras, ses slogans, indéfiniment répétés, monologues absolus, le Verbe transforme bien des choses de peu de valeur en « or », à commencer par les publicitaires eux-mêmes. Les « valeurs littéraires » sont également devenues des sujets majeurs de telles pratiques publicitaires : des auteurs morts sont désormais exploités, de toutes les façons possibles, et sans qu’ils y puissent quoi que ce soit, et des auteurs vivants sont promus en tant que « phares » de la pensée et de la narration, quoi qu’il en soit de l’épaisseur de leur œuvre.

Ainsi, de Nietzsche : ni un très grand penseur, ni un penseur mineur, il ne mérite ni les dithyrambes d’un fanatisme qui s’ignore, ni l’oubli dans lequel disparaissent tant d’auteurs, quelle que soit la valeur de leurs écrits, travaux. En effet, l’œuvre de Nietzsche relève surtout du commentaire culturel, de l’évaluation de la valeur des œuvres et des comportements humains, sociaux, à propos desquels il valorise systématiquement celui qui se singularise - l’individu-roi, sans soutien collectif, à l’image de ce qu’il fut dans sa vie. Cette œuvre est une autobiographie : c’est ce qu’il voulut, sans se rendre compte des limites que cette volonté impliquait. Des milliers de problèmes ontologiques, politiques, philosophiques, lui sont inconnus, étrangers, et pourtant, des nietzschéens n’hésitent pas à en faire un penseur qui aurait eu une pensée totale, cohérente et inédite. L’art publicitaire pour de tels auteurs consiste à affirmer que leur œuvre contient des « secrets » qu’il faut donc chercher pour trouver : puisque, ainsi, pour les trouver, il faut donc lire ce livre, puis un autre. Et ainsi certains passent une vie à chercher des secrets qui n’existent pas. L’Action Littéraire alchimique parisienne a fait de même avec Michel Houellebecq, et tant d’autres : les lecteurs sont motivés par des promesses folles, et, pour la plupart, n’osent avouer leur immense déception, de passer pour des rabat-joie qui n’y connaissent rien, n’ont rien compris. La transformation du plomb en or se fait donc par un décret public, proclamé par des milliers de hérauts (« c’est génial »), et par le fait que le peuple s’y soumet, en transférant des parts de ses modestes ressources à ces rentiers : paiement d’une taxe politique, en affichant chez soi le titre de la dite taxe.

Dans « Le Phèdre » (4), Platon interroge cet enthousiasme mondain pour des sophistes lettrés dont les propos sont, pourtant, si lumineusement superficiels, mais perçus par des citoyens perdus comme des « penseurs profonds » : vertige d’une inversion de la réalité. Dans les salons littéraires mondains, on écoute l’auteur se lire, et on l’applaudit, comme on applaudit un soliste, violoniste, pianiste. Une petite musique s’est fait entendre. Antérieurement, ladite musique était objectivement telle, puisque les lettrés dominants étaient les poètes, avant que la phrase ne vienne supplanter le vers. Ainsi, à Paris, le monologue était roi, et il l’est encore : par le pouvoir politique qui n’aime rien tant que s’écouter et se féliciter, que dicter et être obéi, par l’écho de ce pouvoir politique dans le pouvoir écrit, pour écouter cette parole politique, la commenter, en faire l’éloge, par le pouvoir économique, double du pouvoir politique, pour les mêmes plaisirs et exigences. Or, c’est au cœur de cette ville terrible, qui n’est tellement pas « la ville de l’Amour », comme le proclament des millions de tee-shirts arborés par des inconscients, que des « cafés-philo » sont apparus. Il y avait donc une signification politique claire : avec les cafés-philo, les citoyens qui subissaient les bombardements de la parole/vérité unique prenaient la parole, et dans un cadre de dialogue, allaient pouvoir tenter de la comprendre, de la contredire. Mais, depuis la création et la diffusion des « cafés philo », il y a eu un malentendu permanent, avec la réduction a minima : en lieu et place de dialogues, d’orientation philosophique, les cafés proposeraient, incarneraient, soutiendraient, des dialogues, civiques, ce qui serait suffisant pour qu’il y ait une pensée philosophante.

À l’instar d’une séance de psychanalyse, le café-philo serait le lieu d’une parole « libre », surtout populaire, qui aurait besoin de s’exprimer, de se faire entendre. Il faut dire que les relations sociales en France sont marquées par la puissance des autorités instituées, l’État, les institutions, les grandes entreprises, le patronat, lesquelles imposent leur parole, par des monologues. 30 ans après la création des « cafés-philo », la situation française s’est même aggravée, avec un pouvoir politique qui n’hésite pas à multiplier les diktats (appelés « 49.3 » en raison d’un article constitutionnel) à l’Assemblée Nationale, à faire disparaître les vrais opposants de toute expression dans les médias de masse, à soutenir des programmes télévisuels, superficiels, ineptes, voire dangereux, par lesquels la plus grande partie de la réelle vie populaire n’est jamais représentée, comme il en va de même à l’Assemblée Nationale en France par l’absence de toute participation des Français pauvres à celle-ci, alors qu’ils sont majoritaires. La violence politique est immense : il y a les autorisés à parler, et qui, en plus, s’écoutent parler, et les interdits de parole. En trente ans, la situation s’est donc aggravée, alors qu’elle avait déjà atteint des niveaux dramatiques. Des médias contribuent même à cette violence politique, en donnant la parole aux seuls autorisés d’État, comme lors de la courte grève à la SNCF du Noël 2022, avec des micros ouverts aux représentants de l’État, du patronat, à des usagers, et jamais ou le plus rarement possible aux grévistes eux-mêmes. Et cette violence politique n’est pas récente : elle définit l’êtrefrançais, depuis des décennies, et au-delà.

Entre le moment de l’apparition des « cafés-philo » et aujourd’hui, l’industrie informatique a créé des techniques de diffusion des informations, dont les fameux « réseaux sociaux » (ou sociaux-asociaux), via lesquels cette parole populaire s’exprime, pour le meilleur et pour le pire. Ces techniques-outils sont les meilleurs alliés et de la population, pour l’expression de sa conscience d’elle-même, mais aussi des polices et des entreprises de la surveillance générale de la population, au service des États, raison pour laquelle nombre d’États, dont le français, si irrités par cette expression populaire libre, préfèrent, in fine, laisser cette liberté, matrice d’une mine d’informations pour ficher la population, sous toutes les coutures. Ils sont aussi de nouvelles « chaînes » qui se sont ajoutées à celles qui existaient pour imposer un état de fait structurel dans les États occidentaux, une population, encadrée, tenue, comme des prisonniers dans une prison « ouverte », aux barreaux invisibles. Il faut dire que, même dans un café, une brasserie, les citoyennes et citoyens ne sont pas vraiment libres de leur parole : des « archivistes » s’y associent, pour rédiger, après, des notes, destinées au Ministère de l’Intérieur, à ce qui s’appelait encore il y a quelques années les Renseignements Généraux. Lesquels n’ont pas attendu les réseaux sociaux, les téléphones, pour pister et collecter une foultitude d’informations sur les citoyens, puisque, en France notamment, la police est l’une des principales administrations, une des plus actives (et Joseph Fouché en est son symbole… terrible), l’administration centrale de l’État, en élaborant ainsi des dossiers substantiels sur les uns et les autres, histoire de se servir de ces informations, si…

Les outils informatiques n’ont fait que faciliter ce travail, et augmenter les données issues et concernant la vie privée, laquelle, dans les Etats-Léviathan que nous connaissons, est devenue une fiction, une blague. Dans un contexte aussi mauvais et dégradé plus encore par les orientations politiques de ces dernières décennies comme années, l’impulsion donnée par Marc Sautet pour organiser des débats civiques, publics, « libres », d’orientation philosophique, a donc pu légitimement motiver, réjouir, comme un espace où il est possible de respirer, alors que, dès les limites de cet espace franchi, tout devient si irrespirable. MAIS ce besoin d’un espace d’une parole civique, publique, libre, a pu être confondu avec l’objectif de dialogues philosophiques, alors que ceux-ci dépassent cette condition nécessaire, puisqu’elle est insuffisante. Et c’est pourquoi il est indispensable de connaître exactement ce que furent, la conscience, la parole, socratiques comme platoniciennes. Aujourd’hui, des démagogues, que Socrate et Platon qualifieraient de « sophistes » usent du terme de « philosophes » pour s’identifier et pour identifier toute question posée dans un état de non-nécessité, un « débat », avec une question, une réflexion, philosophiques. Et c’est ainsi que nous subissons une pluie de « sujets », comme : qu’est-ce que la mort ? Qu’est-ce que la nature ? Etc., alors qu’il s’agit, certes, de questions, mais non de questions philosophiques, lesquelles, au contraire, requièrent une précision, une adaptation au langage vivant, dominant. Socrate ne pose pas des questions aussi générales, des questions vagues qui sont alors de vagues questions, mais des questions précises ET des questions problématiques pour ses interlocuteurs. Et ce sont ces questions précises, « ennuyeuses », gênantes, qui ont contribué et à sa réputation dans cette Athènes esclavagiste et impérialiste du 5ème siècle avant JC, et à sa mauvaise réputation. Or, à l’évidence, ce type de questions n’était pas apprécié par nombre d’Athéniens du temps de Socrate, pas plus qu’elles ne le sont aujourd’hui, par nombre de Français, et, au-delà, et si elles étaient posées et travaillées dans des « cafés-philo », il y a fort à parier que celles et ceux qui les énonceraient seraient rapidement mis en cause publiquement. C’est l’expérience qu’un animateur d’un café-philo, à Poitiers, professeur de Philosophie par ailleurs, a vécue, au sein de l’Éducation Nationale : Jean-François Chazerans (5) a osé s’interroger sur un « sacré » français, les morts de « Charlie-Hebdo », en liaison avec des morts non-français, tués par des soldats français dans des actions militaires hors de France. Choqué par le massacre de Charlie-Hebdo (rendue possible par la conjonction de la détermination des deux assassins ET de la minimisation de la surveillance de cette rédaction), Jean-François a accepté que les élèves d’une classe en parlent, dans le cadre d’un débat, toujours sous l’égide du principe de la pensée philosophique. Dénoncé par une élève qui a assisté à ce débat en classe sans l’écouter vraiment, à ses parents, et ceux-ci à l’établissement, après le massacre dans la rédaction de Charlie-Hebdo, le 7 janvier 2015, il fit l’objet d’une procédure interne de l’Éducation Nationale, avant d’être judiciairement suspecté d’« apologie de terrorisme ». À propos de cette lettre familiale invoquant le témoignage de leur fille, Jean-François Chazerans rappelle (6) : « Malgré ce qu’ont affirmé le recteur à la presse, et les inspecteurs lors de la commission d’enquête, que plusieurs lettres de parents d’élèves ont été envoyées directement au rectorat, tout a commencé par une seule lettre d’un parent d’élève – sur les 55 élèves que j’avais ce jour-là et sur les 186 élèves que j’avais en cours cette année-là – envoyée à ma proviseure suite à l’un de mes cours au lendemain de l’attentat contre Charlie-Hebdo. Lettre qui interrogeait : « Est-il normal que les professeurs défendent le terrorisme donnent leur opinion politique voire leur religion ? », qui me reprochait d’avoir dit : « Les militaires envoyés dans les pays en guerre c’est de l’impérialisme » et m’accusait d’avoir déclaré : « les crapules de Charlie Hebdo ont mérité d’être tués ». C’est donc sur la parole d’une seule élève que ce professeur a été mis en cause, et dans la durée. Publiquement, il a expliqué ce qui s’est passé et ce qu’il a réellement dit : « Ni l’élève qui n’a manifestement pas compris ni écouté, ni ses parents qui ont envoyé le courrier malveillant et diffamatoire, n’ont cherché à vérifier que j’aurais bien dit ce dont ils m’ont accusé sans preuves en me demandant des explications. (…) Comment cette élève qui n’avait manifestement pas tout compris et pas écouté peut-elle en parler à ses parents de la sorte sans être venue demander des explications à la fin du cours ou du cours suivant ? Il faut dire à sa décharge que le rectorat ne lui en a pas laissé le temps. » Faut-il rappeler que Samuel Paty a été mis en cause, également, à cause d’une élève, qui n’était pas elle-même présente au cours qu’elle a dénoncé auprès de ses parents ? Il rappelle qu’il y avait, entre lui et le Rectorat, a minima, des désaccords, si ce n’est des contentieux, et que l’occasion a fait le larron : « Quoi qu’il en soit, l’aubaine était certainement trop belle pour le Recteur qui attendait probablement un faux pas de ma part et qui, après son diaporama stupide et raciste sur les élèves en cours de radicalisation, devait se refaire une respectabilité » Les procédures engagées par le Rectorat relèvent de l’enquête policière, en ignorant les règles statutaires de la Fonction Publique qui concernent l’Éducation National, puisque, tels des agents de police, ils ont commencé par constituer un dossier à partir des on-dit et rumeurs, et ce afin de préparer leurs collègues, eux, vrais fonctionnaires de police, une fois que le dossier sera transmis à celle-ci, « les