Ce qui est au service
de la vie et de l’amour
Textes de Joël Weser
1
Ce qui est au service de la
vie et de l’amour
Grandir soi-même et accompagner la croissance
Textes de Joël Weser
Traduction
Bernard Munsch
23
En guise d’introduction à la version française de mon livre
Que vous teniez entre vos mains la version française de ce livre
constitue pour moi un cadeau très particulier de Bernard Munsch.
En effet, le français est ma langue maternelle, la langue de ma
maman. Je dois cette traduction à mon cher ami, Bernard. Il a
déjà traduit beaucoup de livres en français.
Il y a quelques mois, lors d’un téléphone, Bernard m’a vraiment
surpris en m’annonçant qu’il en avait déjà traduit une bonne
partie. J’en ai été très ému. Avec son calme habituel, il ajouta :
«Je trouve qu’il s’agit d’un livre important. J’aimerais qu’il soit
accessible à un plus vaste public.»
Le travail de traduction achevé, Claude Wüthrich en t la relec-
ture. Mes remerciements s’adressent donc aussi à lui.
D’où vient la relation particulière que j’ai avec la France ? - Tout
a commencé avec l’histoire de ma mère et de mon père. Pendant
la deuxième Guerre mondiale, comme soldat allemand, il a été
fait prisonnier. Après deux ans de détention, il prota d’une li-
bération anticipée à la condition de s’engager volontairement à
travailler en France pendant plusieurs années.
Très vite, mes parents se sont rencontrés : ils sont tombés amou-
reux. Coup sur coup, moi et mon petit frère sommes nés de cet
amour entre d’anciens «ennemis.» Nous avons tous les deux vu
le jour à Marseille. Peu après la naissance de mon frère, notre
famille a déménagé en Allemagne. En 1956 déjà, ma mère est
décédée. Pour arriver à supporter l’énorme douleur que cette
perte lui a causé, mon père ne s’exprima plus jamais en français,
plus un mot !
23
Par amour pour notre père, solidaires dans la souffrance, moi et
mon petit frère, nous avons aussi, en nous, laissé se taire notre
langue maternelle.
45
Table de matières
Ce qui est au service de la vie et de l’amour 5
La légèreté dans l’accompagnement d’autrui 13
Une invitation est présentée… 18
Les différents types de sentiments et leur maniement 50
Les sentiments constituent aussi des espèces d’invitation 67
De jeunes caïds et leur vie intérieure 75
De l’aide et de la dignité 101
La PrEssenz
®
centrée et bienveillante 103
L’attitude phénoménologique : 117
La force de la PrEssenz
®
144
Comment la conscience nous met en mouvement 210
Un langage concentré 269
S’élancer vers l’amour, pour ensuite s’en écarter ! 276
Remerciements 302
La liste des exercices de rencontre 306
45
Ce qui est au service de la vie et de l’amour
Du risque et du bonheur de grandir 6
Grandir soi-même et accompagner la croissance d’autrui 7
«Il doit bien encore y avoir autre chose !» 7
Se mettre en route vers soi-même 8
Le développement est un mouvement qui va vers l’inconnu 9
Le voyage peut commencer 9
67
Ce qui est au service de la vie et de l’amour
Du risque et du bonheur de grandir
Je me réjouis de vous rencontrer à travers ces lignes. Elles pré-
sentent les expériences que j’ai faites pendant des décennies de
travail avec de nombreuses personnes dans différentes situa-
tions et différents pays du monde. A présent, ce livre est entre
vos mains. Peut-être pour une brève rencontre seulement ou
au début d’un long voyage ensemble… Quelle que soit la page
qui vous accroche, si vous vous mettez à la lire, nous voyage-
rons ensemble. Vous vous trouverez confrontés à ce qui nous
touche, nous les humains.
Ce faisant, au-delà de nos opinions habituelles, nous rencon-
trons ce qui nous est vraiment utile dans toutes les situations
de nos vies personnelles et professionnelles. En vous appuyant
sur ce qui s’est passé au cours de votre vie et vos propres expé-
riences, nous pourrons examiner ensemble ce qui nous permet
de grandir, d’occuper notre place plus fermement, pour que
notre vie et nos relations deviennent plus satisfaisantes.
Comment réagissez-vous à l’instant à ce que vous venez de lire ?
Êtes-vous plus ouverts, plus fermés ou plutôt neutres ? Êtes-
vous intéressés ou une certaine résistance s’est-elle mobilisée,
vous retirez-vous ? A quoi reconnaissez-vous ces choses-là
dans votre corps ? De toute façon, il n’est pas possible que
vous n’y réagissiez pas ! Nous entrons toujours en résonance
avec les situations où nous nous trouvons, aux rencontres, avec
ce que nous lisons ou pensons.
Que se passe-t-il en moi pendant que j’écris ces lignes ? Je suis
assis, je tente de formuler des choses essentielles. Je suis tota-
lement concentré sur l’écran de mon ordinateur, je me sens à
67
l’étroit, je peine peut-être ? Ou est-ce que je vous regarde, vous
mes lecteurs ? Suis-je en contact avec vous pendant que j’écris
en m’adressant à vous ?
Nous sommes donc déjà en plein dans les processus qui sont à
l’œuvre en nous et entre nous, nous les humains.
Grandir soi-même et accompagner la croissance d’autrui
Ce livre a été conçu pour tous ceux qui ressentent le besoin
de continuer à grandir personnellement et dans leurs relations.
Pour nous les humains, grandir soi-même est toujours une af-
faire de relations. Grandir nous permet aussi de développer nos
capacités à en accompagner d’autres. C’est le cas dans toutes
les situations de la vie, que ce soit comme mère ou comme
père, comme mari ou épouse dans un couple, comme enfant
face à nos parents ou comme aidants dans un travail social avec
d’autres personnes, que nous soyons thérapeutes, enseignants,
conseillers ou dirigeants.
«Il doit bien encore y avoir autre chose !»
Nous autres humains, nous sommes animés par une profonde
envie de nous découvrir nous-mêmes, de nous développer an de
vivre toujours plus pleinement des relations gratiantes.
Qu’est-ce qui nous empêche de progresser dans ce domaine ?
Pourquoi des obstacles d’apparence parfois insurmontable se
mettent-ils en travers ? Pourquoi doutons-nous de réussir dans nos
relations ? Pourquoi nous renfermons-nous au lieu de nous ouvrir
? Pourquoi nous méons-nous du bonheur quand, subitement, il
se présente ? Pourquoi restons-nous dèles à tant de croyances qui
pourtant nous limitent, à tant de sentiments qui nous fragilisent,
tels que : «Constamment, je fais tout mon possible ! Mais ça ne
suft jamais !» - «Quand ça va trop bien, le coup de barre n’est
pas loin !» «La vie n’est pas rose !» etbien d’autres encore.
89
En même temps, très profondément en nous, il existe une cer-
titude qu’il nous arrive de pressentir. A l’intérieur de nous, une
voix afrme : «Cela ne peut quand même pas être tout !» ou
«Il doit bien y avoir encore autre chose !» Cette voix attire
notre attention sur le fait qu’il existe une sorte «d’attraction»
vers
un ailleurs situé bien au-delà des limitations qui nous pèsent,
un domaine qui, pourtant, nous est familier.
Se mettre en route vers soi-même
Comme je l’indiquais au début, je vous invite à un voyage un
peu comme avec le chemin de fer. Son but est de nous appro-
cher de nous-même, de notre être, de ce qui constitue notre uni-
cité qui, en n de compte, ne peut exister que grâce à nous.
En lisant ce livre, vous pouvez monter dans ce train ou en
descendre, en faisant totalement conance à votre impulsion
personnelle. Je vous conseille de vous attarder un moment lors-
qu’un titre, un mot-clé ou une afrmation vous touche et vous
invite à la méditation. Si quelque chose vous touche ou vous
déconcerte, interrompez votre lecture. Permettez à ce que vous
ressentez de pénétrer vraiment en vous. Et comme un objet qui
tombe dans l’eau tranquille d’un lac produit des vagues qui
partent dans toutes les directions, écoutez, ressentez, restez pré-
sents. Etonnez-vous devant le mouvement subtil qui se répand
en vous, devant ce qui se manifeste et se met à bouger. Devenez
vous-mêmes ce lac dans la forêt. En réalité, toutes les fois que
vous êtes touchés, quelque chose veut se manifester à vous.
Lorsque nous regardons, écoutons et nous permettons de res-
sentir les choses ainsi, en les captant à travers notre corps et
nos sens, tant d’informations, tant de sensations, d’impres-
sions et de perceptions nous atteignent à propos de ce qui nous
anime. A lui seul, notre cerveau n’en est pas capable.
89
Le développement est un mouvement qui va vers l’inconnu
Il s’agit donc d’un voyage où nous allons à la découverte de
nous-mêmes. Un tel voyage nous fait buter contre des fron-
tières qui, si nous voulons les dépasser et accéder à d’autres
paysages, exigent de nous des changements. D’une part, ce qui
nous est étranger, les espaces plus vastes nous font envie, ils
nous attirent ; de l’autre, ils nous inquiètent et nous font peur.
C’est bien pourquoi, nombreux sont ceux qui préfèrent rester
dans le cadre rassurant de leurs limites. Même si la vie leur
pèse lourdement, ils préfèrent rester attachés à leurs images in-
ternes habituelles, aux sentiments qu’ils connaissent, aux idées,
aux schémas corporels, à leurs croyances et à leurs modes de
comportements traditionnels. Cependant, l’être humain est très
profondément un être qui croît et se développe. Ce n’est que
lorsque nous abandonnons notre cocon apparemment rassurant,
bien qu’en réalité il nous limite de plus en plus étroitement, que
nous devenons le papillon que nous sommes effectivement.
Le voyage peut commencer
Partir à la découverte nécessite des préparatifs conséquents, un
équipement performant et l’attitude adéquate. Les expériences
que nous avons déjà faites dans la vie peuvent constituer de tels
préparatifs, en particulier, lorsqu’elles nous ont confrontés aux
questions essentielles concernant notre avenir. Peut-être aussi
quand elles se sont répétées et transformées pour nalement
se condenser dans les afrmations suivantes : «Cela ne peut
quand même pas être tout !» ou «Il doit bien y avoir encore
autre chose !» qui deviennent des certitudes.
Il se peut que vous ressentiez clairement que vous vous êtes
trompés, que votre vie actuelle vous semble vide et sans attrait,
alors qu’apparemment, tout paraît normal et correct. Il se peut
1011
aussi que vous vous sentiez mal et que ce mal-être vous pousse
en avant vers autre chose, quelque chose de nouveau.
Pour ce qui est de l’équipement, il se peut que vous ayez pris
conscience qu’il existe en vous une force qui vous soutient
quoiqu’il arrive, même si actuellement, votre chemin de vie se
heurte à de gros obstacles, que vous êtes incapables de conti-
nuer parce que vous avez plongé dans de graves crises profes-
sionnelles, familiales ou de santé.
La répétition de telles crises, ainsi que les prises de conscience
qu’elles favorisent, peuvent mener à un changement d’atti-
tude, à une disponibilité et à une ouverture à la nouveauté, à la
décision courageuse de ne plus vouloir, ni pouvoir, continuer
comme auparavant. Parfois, il peut s’avérer utile et impor-
tant d’inviter le contrôleur du train à nous aider ou de devenir
membre d’un groupe de voyageurs qui se fait accompagner par
un guide expérimenté.
Quel que soit ce qui vous anime, dans ce voyage, vous ne
pouvez pas commettre d’erreurs. Vous ne pouvez pas non plus
faire juste ! Il ne s’agit toujours que d’une seule chose : rester
présent à ce qui se passe et à ce qui se présente ! Le simple fait
de ne plus aborder ce qui se passe en vous comme étant hors
de vous, de ne plus les juger comme sans doute vous le faites
habituellement, constitue déjà un changement important. Ce
faisant, certains modes de comportements restrictifs courants se
modient de plus en plus : ils sont réécrits dans notre cerveau.
Par ailleurs et avec le temps, votre corps adopte une autre toni-
cité musculaire, votre âme s’ouvre à de nouvelles découvertes
plus profondes. Et si, subitement, vous vous retrouvez de nou-
veau dans l’ancien carrousel de vos pensées et de vos compor-
1011
tements, vous pouvez gentiment revenir dans le présent, vous
reconnecter avec ce que vos sens vous manifestent. De la sorte,
étonnés et pleinement éveillés, vous arrivez à reprendre contact
avec ce qui est raisonnable, avec ce qui fait sens.
A chaque étape de notre voyage, donc dans chaque texte de
ce livre, nous gardons le regard xé sur ce qui nous permet de
dépasser nos limites intérieures ou extérieures, celles qui em-
pêchent ou entravent notre développement. Car en fait, il s’agit
de nous découvrir nous-mêmes, de nous développer, de vivre
pleinement des relations enrichissantes. Bien que mes textes
abordent des thèmes différents, ils évoquent tous des rapports
essentiels, ceux qui sont importants pour vous aussi. Vouspou-
vez donc, en vous détendant toujours davantage, regarder par
la fenêtre du compartiment du train dans lequel vous êtes assis,
et observer les choses et les situations qui délent en vous et
devant vous.
Certaines de ces choses délent rapidement, d’autres plus len-
tement. Il arrive même qu’elles semblent s’arrêter jusqu’au mo-
ment où l’une d’elles, devenue un nouveau point de vue puisse
continuer son chemin. Constamment, un détail attire notre atten-
tion. Parfois, à tel point qu’il nous fascine comme s’il n’existait
plus rien d’autre. Ensuite, le bon moment arrivé, notre regard
s’élargit de nouveau : nous voyons le paysage en entier. Nous
nous rendons compte qu’en fait, cet élément fait partie d’un en-
semble bien plus vaste. En nous, des éléments s’unissent pour
former un tout, ils s’apaisent. Automatiquement, nous soufons:
une prise de conscience nous a enrichi ou nous savons mainte-
nant quel est le prochain pas important à poser.
Ainsi, notre compréhension, nos sensations et nos actes
dépassent de plus en plus le niveau superciel. Ouverts et
1213
vivants, nous entrons en contact avec la vie et l’amour, de
manière toujours plus globale.
Soyez les bienvenus dans notre commune aventure.
Cordialement, Joël Weser
1213
La légèreté dans l’accompagnement d’autrui
Accompagner un client, c’est comme planer ! 14
Accompagner laisse à l’autre sa liberté 15
Le plus souvent, les «bons» conseils
provoquent une fermeture 16
Nous sommes les seuls à pouvoir découvrir
ce qui nous est personnel 17
Il n’existe pas de croissance «d’occasion !» 17
1415
Accompagner laisse à l’autre sa liberté
Accompagner quelqu’un, c’est être avec quelqu’un qui, lui
aussi, est en mouvement, dans son mouvement. Lorsque nous
quittons la position d’accompagnant en intervenant dans le
mouvement d’autrui, instantanément, il en découle de vastes
conséquences : l’autre ne pourra plus trouver de solution par
lui-même et nous, nous perdrons notre insouciance. D’accom-
pagnant, nous devenons quelqu’un de soucieux, de contraint,
d’inquiet ou d’apitoyé.
Dans la plupart des cas, nous devenons semblables à notre
vis-à-vis puisque, désormais, nous aurons des ennuis nous
aussi. Il nous faudra fournir de gros efforts, nous montrer
soucieux, voire souffrir. De la sorte, que nous soyons parents,
enseignants, conseillers, éducateurs, coaches ou n’importe quoi
d’autre, nous perdons notre capacité à accompagner quelqu’un
de manière efcace. Il en va de même lorsque nous travaillons
ou vivons avec d’autres personnes.
Aussi différents soient-ils, les exercices relationnels que j’uti-
lise dans le cadre de ma méthode : PrEssenz
®
prouvent à
chaque fois, qu’une action voulue etciblée nefait que conforter
lasituation présente, donc qu’elle entrave, voire empêche lasolu-
tion, la croissance et le retour à la bonne santé. Plus nous prenons
clairement conscience des processus relationnels de notre vie
quotidienne, plus nous pouvons enfaire l’expérience etvérierce
que j’afrme ici. Si nous nous concentrons sur une procédure ou
que nous obéissons àune intention, d’un coup, notre perception
se rétrécit instantanément. Delasorte, nous excluons des élé-
ments essentiels, à la fois hors de nous et en nous.
Par contre, si nous reprenons notre place dans notre espace et
qu’ensuite, centrés etouverts, nous restons simplement présents,
1617
nous retrouvons notre liberté. Alors, la personne que nous accom-
pagnons est de nouveau considérée comme bonne, elle s’y re-
trouve conrmée, elle recouvre sa liberté. Elle réintègre son mou-
vement vers elle-même, le mouvement vers ce qui lui est propre.
Le plus souvent, les «bons» conseils
provoquent une fermeture
Lorsque les trucs, les conseils, voire les leçons que nous don-
nons avec les meilleures intentions ont pour effet qu’ils ré-
cusent à notre interlocuteur son caractère fondamentalement
bon, notre vis-à-vis se renferme. Chaque individu veut être
perçu, laissé et considéré tel qu’il est. Quand quelqu’un fait
l’expérience qu’il n’est pas reconnu pour ce qu’il est, il doit se
mettre à lutter pour maintenir et préserver sa dignité. En réalité,
cela instaure instantanément une situation où il perd le contact
avec lui-même. Parce qu’il est obligé de se protéger, la parade
qu’il installe, le lie à son vis-à-vis. Ce phénomène peut déjà
être observé chez les tout petits enfants.
C’est le cas par exemple lorsque, par sollicitude, des parents
bien intentionnés pénètrent trop
avant dans le domaine de leur
enfant. Dans de telles situations, même avec de tout jeunes
enfants, on voit très clairement que leurs visages jusque-là ou-
verts, joyeux et étonnés changent instantanément. Subitement,
ils se gent, ils sont comme sans vie ; leur corps tout entier
perd sa mobilité et sa perméabilité qui étaient pourtant pré-
sentes jusque-là.
Prenons encore l’exemple d’un adulte : que ressentez-vous quand
quelqu’un vous dit : «Au fond, tu serais tout à fait en ordre… !»
Une telle phrase vous renferme plutôt qu’elle vous ouvre à celui
qui la prononce, parce que nous percevons immédiatement qu’un
«Mais…» va suivre ! Il remettra en question quelquechoseennous.
1617
Nous sommes les seuls à pouvoir découvrir
ce qui nous est personnel
Ce que quelqu’un d’autre veut nous montrer, nous rend inca-
pables de le découvrir à notre façon. Uniquement ce que nous
découvrons par nous-mêmes a vraiment de la force et de l’im-
portance. Nous les humains, nous avons tout ce qu’il nous faut.
Toutefois, pour que cela prenne forme et se manifeste, il lui
faut un contexte relationnel ouvert. Comme êtres sociaux, nous
ne grandissons que dans et par nos relations.
Il n’existe pas de croissance «d’occasion !»
Les solutions, les prises de conscience, la croissance et la vie
ne sont dénitivement pas possibles en «second hand.» Si
quelqu’un vit avec ce qui ne s’est pas manifesté en lui-même,
au bout de quelque temps, il se retrouvera immanquablement
devant la même porte : il doit découvrir ce qu’il y a derrière par
lui-même !
Si comme accompagnant, nous sommes capables de rester pré-
sent, centré et ouvert, à l’instant même, nous expérimentons
que ce qui nous ouvre, est aussi ce qui permet à notre vis-à-vis
de s’ouvrir, que ce qui nous rend fort est identique pour nous
deux.
1819
Une invitation est présentée
Que sont les invitations ? 21
Pour nous, la résonance est d’une importance
fondamentale 21
Quand l’attitude et les actes divergent 22
Dans les processus relationnels,
la réorientation est permanente 24
S’ouvrir à une expérience nouvelle 24
Le corps comme garde-fou dans le présent 25
1. Exercice de rencontre :
Se détendredansune situation tendue 26
Trouver la meilleure détente possible 27
Les expériences faites par des participants 29
Les invitations comme des manifestations du lien social 30
L’invitation à devenir semblable à notre vis-à-vis 31
Refuser l’invitation introduit un changement 32
Chaque élément inuence le système social,
(le mobile) dont il fait partie 32
Une perte de résonance induit de l’insécurité 32
Les comportements d’évitement initient
un nouveau recadrage 33
User de tactiques ne favorise pas les liens 33
1819
Les invitations sont des phénomènes tout à fait ordinaires 34
Les invitations ont un énorme pouvoir d’attraction 34
La résonance comme conrmation et gain de force 35
Un manque de résonance inquiète et affaiblit 35
La provocation comme invitation 36
L’invitation est acceptée ! 36
Les invitations que nous acceptons nous transforment 37
L’élève contrôle la situation 37
Nous extraire d’une invitation précédemment acceptée 39
La crise comme lieu du changement 41
Le transfert comme invitation 42
Il y a des invitations qui ouvrent et d’autres qui ferment 43
Les invitations qui instaurent une relation
sont aussi celles qui ont le plus de force 43
La découverte d’autres potentiels 44
2. Exercice de rencontre :
Être déjà libre et le rester 44
Expériences faites par des participants 45
Être soi-même une invitation accueillante 46
2021
Oser la relation nécessite du courage 47
Accepter notre vie 47
2021
Une invitation est présentée…
Que sont les invitations ?
Pour moi, l’invitation est la manifestation des processus essen-
tiels qui se déroulent entre les humains dans tous les domaines
de la vie, dans toutes les rencontres. Ces processus sont obser-
vables aussi bien dans la relation de couple que dans la relation
parents-enfants. Dans le domaine de l’école, ils se produisent
dans chaque classe, dans chaque collège d’enseignants. Les
invitations agissent dans tous les domaines du travail social,
dans toutes les séances de thérapie ; elles inuencent fortement
toutes les situations de toutes les équipes, qu’elles travaillent
dans des institutions ou dans les entreprises. Dans ce chapitre,
je m’intéresse aux innombrables invitations, le plus souvent
faites inconsciemment, à travers lesquelles nous autres hu-
mains, nous essayons continuellement de nous inuencer réci-
proquement.
Il est banal d’afrmer que le bâillement, la bonne humeur,
l’inquiétude ou l’insécurité sont des actes contagieux. Ils
agissent sur nos vis-à-vis comme des invitations à en faire de
même, à nous retrouver dans le même état, à ressentir la même
chose. En fait, ces processus se déroulent partout, chaque jour,
à chaque endroit, dans toutes les rencontres ; ils sont d’une
grande profondeur ! Leurs conséquences sont beaucoup plus
vastes que ce dont nous avons conscience généralement.
Pour nous, la résonance est d’une importance fondamentale
Toutes les fois que nous les humains, nous nous rencontrons,
la manière dont nous nous présentons constitue une invitation
pour notre vis-à-vis. Cela signie que notre façon de nous
présenter, ce que nous disons, l’état dans lequel nous sommes,
2223
ainsi que ce qui nous y anime présentement, inuencent notre
interlocuteur. Pour nous, en tant qu’êtres sociaux, de telles in-
teractions ainsi que la résonance réciproque qu’elles instaurent,
sont d’importance existentielle. Bébés, nous ne survivons pas
sans elles. Sans elles, nous ne devenons pas des adultes ca-
pables de nous comporter socialement, de communiquer de fa-
çon empathique. Nous ne nous découvrons nous-mêmes, nous
ne pouvons développer notre personnalité qu’à travers et grâce
aux relations avec d’autres personnes.
De nombreuses invitations sont faites sans qu’un seul mot soit
exprimé. Elles sont principalement exprimées à travers ce qui
nous anime effectivement. Donc, par ce qu’il y a derrière ce qui
est dit : à savoir l’attitude, le ressenti, le sentiment ou l’état du
moment, celui dans lequel nous nous trouvons actuellement.
Nous réagissons immédiatement aux plus minimes change-
ments de mimique, aux mouvements des yeux, à la gestuelle ou
au tonus musculaire.
Quand l’attitude et les actes divergent
Nous avons conscience de certains de ces processus. Nous
connaissons l’insécurité qui s’installe quand quelqu’un se com-
porte de manière équivoque. Par exemple, quand un père dit à
son enfant qu’il va bien, alors que l’enfant ressent les choses
tout autrement. L’enfant réagit à l’état d’âme réel de son père :
il est insécurisé parce que ce qu’il entend et ce qu’il ressent di-
vergent. Comme adultes, nous disons alors que cette personne
n’est pas authentique, qu’elle n’est pas vraie. Nous constatons
qu’il y a là quelque chose d’étrange. Il est presque certain que
l’autre sera insécurisé lui aussi, même s’il dissimule habilement
son état d’âme réel.
2223
Un dirigeant est perçu comme insécurisant, même s’il invite
ses collaborateurs à garder le calme et à rester conants alors
que, lui-même, il est inquiet ou sous tension à cause des obs-
tacles que rencontre l’un de ses projets actuels. En réalité, son
appel au calme produira l’effet inverse de celui qu’il souhaite
atteindre : l’absence d’authenticité cause la méance. Elle pro-
duit de l’insécurité et conduit au retrait, alors que la conance
et la lucidité seraient nécessaires bien sûr. L’état d’esprit du
dirigeant atteint tous les collaborateurs ; il instaure une distan-
ciation qui affaiblit tout le monde.
En classe, il se produit une situation analogue lorsque l’ensei-
gnant, lui-même irrité, ordonne aux élèves remuants de retrou-
ver le calme. Au lieu de crier : «Du calme !», il serait plus adé-
quat qu’il s’écrie : «Enervement !» Dans la première situation,
par sa propre excitation, l’enseignant renforce encore celle de
ses élèves. L’excitation installée dans le cerveau des élèves est
encore boostée par celle du maître. La situation escalade encore
davantage. En fait, à cet instant-là, l’enseignant exige de ses
élèves ce dont il est lui-même incapable : à savoir, retrouver
le calme dans la situation donnée. Même si à la suite de son
injonction, les enfants ou les adolescents se calment, ils ne le
font pas parce qu’ils se sont vraiment calmés ! Ils le font parce
qu’ils ont peur des conséquences. Ils s’arrêtent malgré leur ex-
citation interne qui, néanmoins, continue à perturber l’appren-
tissage et la situation de la classe.
En revanche, si l’enseignant est capable de percevoir vraiment
la situation et de retrouver néanmoins son calme, cela apaisera
la classe. Il abandonne donc l’invitation que, dans son inquié-
tude, il avait émise. Il la remplace par une invitation à l’apaise-
ment.
2425
Dans les processus relationnels,
la réorientation est permanente
Nous ressentons constamment le besoin de retrouver un équi-
libre qui nous permet de nous sentir en sécurité. Pour ce faire,
dans une relation, nous devons saisir notre propre état d’âme
et celui de l’autre de manière à ce que nous soyons constam-
ment capables de correspondre à ce qui se passe à tout moment.
Un tel rééquilibrage nous transforme immédiatement. Par
exemple, en nous ouvrant plus ou moins, en nous refermant,
en augmentant notre tension musculaire pour nous défendre ou
au contraire, pour nous détendre. Déjà chez les bébés, on peut
observer qu’au moment où ils voient un visage inexpressif, ils
se détournent.
Pendant l’enfance, de tels processus se déroulent de manière
totalement inconsciente. Plus tard, nous pouvons aiguiser notre
perception de ces phénomènes. Elle nous permet d’augmenter
nos capacités de communication, nos compétences émotion-
nelles et relationnelles ainsi que nos possibilités corporelles,
énergétiques et mentales.
S’ouvrir à une expérience nouvelle
Avant de vous inviter à faire l’expérience de ces interactions,
j’aimerais m’étendre quelque peu sur la raison pour laquelle il
s’avère indispensable de rester présent à notre corps, lorsque
nous voulons faire une expérience vraiment nouvelle.
Nous parlons, discutons et lisons bien des choses. En réalité,
dans l’apprentissage et le développement, ce qui nous trans-
forme le plus, ce sont les expériences que nous faisons. Pour
faire une expérience vraiment nouvelle, il est indispensable
de nous y ouvrir le plus largement possible. Pour cela, nous
devons nous extraire de notre tête, de nos idées habituelles,
2425
de nos concepts, de nos croyances et des structures de notre
conscience.
Comment nous y prendre ?
En nous concentrant sur notre corps – peut-être en disant in-
térieurement : «Que se passe-t-il maintenant ? Qu’est-ce qui
bouge en moi ?»
Le corps comme garde-fou dans le présent
Dans la vie, nos sens utilisent notre corps comme champ d’ex-
périmentation. Si, comme une vaste plage ou la voile tendue
d’un bateau, nous y exposons notre corps, que nous laissons
nos sens devenir aussi réceptifs que possible, d’innombrables
sensations, sentiments et états d’âme nous atteignent. En re-
vanche, si nous nous obstinons à rester dans le monde de nos
pensées, nous ne serons pas ouverts à toutes ces choses. Ce
n’est que dans nos corps qu’elles prennent sens et que, par la
suite, quelque chose de judicieux pour notre développement
peut se manifester.
Pour proter des exercices que je vais décrire ci-dessous, il ne
vous faut qu’une autre personne disposée, elle aussi, à faire une
expérience nouvelle.
Dans chaque rencontre, nous sommes partie prenante de la
situation. Nous sommes liés l’un à l’autre, nous interagissons
comme le font les différentes pièces d’un mobile suspendu au
plafond. Par notre manière d’y être présent, nous inuençons
instantanément ce qui se passe. Il en va de même quand nous
rencontrons quelqu’un, un objet ou quand survient un évène-
ment. Dans l’exercice qui suit, il s’agit de faire l’expérience
que et de quelle manière, notre tension musculaire momentanée
2627
agit sur notre partenaire.
Transposée à toute autre situation, cela signie ceci : quelqu’un
prend conscience d’une situation très tendue, par exemple avec
ses élèves, dans son équipe, avec un enfant ou avec son parte-
naire ; ensuite, de façon ciblée, il se relâche tout en restant pré-
sent à la situation.
1.
Exercice de rencontre :
Se détendre dans une situation tendue
Déroulement de l’exercice
Deux personnes se placent face à face. Pour commencer, elles
se centrent. L’unedes deux saisit les poignets de l’autre avec
force. De la sorte, elle contraint
l’autre à installer elle aussi une forte
tension musculaire. La personne qui
tient l’autre se ge dans cette posi-
tion, un peu comme si elle se trans-
formait en pierre. Ce faisant, tout en observant ce qui se passe,
elle renonce consciemment à tout mouvement. Comme si elle
disait intérieurement : «Non, je ne veux pas de ça !», la per-
sonne tenue réagit immédiatement à cette contrainte. Elle serre
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les poings, elle résiste à la situation. Une situation de tension et
de blocage s’installe.
La situation est représentative d’un processus banal dans la vie
quotidienne : quelqu’un nous attaque verbalement et, instinc-
tivement, nous y réagissons, nous sommes prêts à nous battre
et à nous défendre. D’un coup, une situation de grosse tension
s’installe.
Trouver la meilleure détente possible
Les deux partenaires se permettent de ressentir pleinement la
situation :
Que se passe-t-il avec moi ?
Comment est ma respiration ?
Quelles sensations, quels sentiments, quels états d’âme s’ins-
taurent ?
Comment est ma perception, que se passe-t-il en moi sur le
plan énergétique ?
(Sommes-nous fermés, éplorés, retenus, dirigés en avant, en
haut, en bas) ?
Quel lien ai-je avec le sol, avec moi-même, avec mon vis-à-vis ?
Prenez le temps de ressentir ce qui se passe.
Ensuite, la personne dont les poignets sont tenus se détend en
se disant intérieurement par exemple : «Si cela dure, ce ne sera
pas bon pour moi. Néanmoins, je vais me détendre quand même.»
Elle se permet donc d’aller le mieux possible dans cette situa-
tion. Toutefois, sans abandonner son attitude physique. Elle
reste ferme et debout.
Permettez au mouvement de détente de parcourir votre corps
tout entier, du haut en bas ; peut-être en le soutenant grâce à
une respiration plus légère. Abandonnez tout simplement vos
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bras à la personne qui les tient et, tout en continuant à vous dé-
contracter, débloquez légèrement vos genoux – un peu comme
si, satisfait et conant, vous vous asseyez sur un tabouret juste
placé sous vos fesses.
Pendant toute la durée de l’exercice, les deux partenaires ob-
servent attentivement les changements qui se produisent en
eux, dans la situation et dans leur relation.
Que se passe-t-il avec la respiration?
Que se passe-t-il sur le plan énergétique ?
Quelle relation ai-je avec moi-même et avec mon vis-à-vis ?
Qu’est-ce que je ressens ? Suis-je poussé à agir ?
Là aussi, prenez beaucoup de temps pour ressentir ce qui se
passe. Vériez s’il vous vient l’impulsion de mettre n à la
rencontre le plus rapidement possible, donc à l’esquiver. N’y
obéissez pas ! Maintenez le contact !
En réalité, lorsque nous laissons sufsamment de temps à une
expérience, le plus souvent, d’autres lui succèdent.
Je vous recommande de commencer en vous permettant de
vivre pleinement cette expérience, d’échanger vos expériences
avec votre partenaire et, seulement après, de poursuivre votre
lecture.
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Les expériences faites par des participants
Les personnes qui se sont détendues :
La personne qui était tenue ressent immédiatement que
lorsqu’elle se détend, tout change aussi bien en elle-
même, chez son vis-à-vis que dans la situation. Après
s’être détendue, elle a généralement le sentiment d’être
plus libre, voire libérée de la pression et de la tension
qui s’était emparée d’elle. Un instant auparavant, elle
les affrontait, elle en était comme prisonnière. A pré-
sent, elle peut de nouveau bouger, elle est en pleine pos-
session de ses moyens. Elle perçoit clairement qu’in-
volontairement, la personne qui la tient, se détend elle
aussi. De temps à autre, elle tente encore de renforcer
la prise des poignets mais, fondamentalement, à chaque
tentative, elle s’affaiblit et, bientôt, elle nit par lâcher
prise.
Les personnes qui tiennent :
Ces personnes, en particulier celles qui font l’exercice
pour la première fois, sont très étonnées de constater
combien elles réagissent fortement et, tout à fait in-
volontairement, à la solution qu’adopte leur vis-à-vis.
Elles se détendent elles aussi. Beaucoup d’entre elles
se sentent à la fois, contraintes et soulagées de devoir
lâcher prise elles aussi. Celles qui tentent spontanément
de récupérer la tension qu’elles sont en train de perdre,
doivent y mettre encore plus de force. Cela se termine
presque chaque fois par de l’épuisement. Les partici-
pants qui tiennent ont le sentiment qu’ils ne sont pas
libres, ni dans leurs actes, ni dans leur être mais que,
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bien au contraire, ils sont directement dépendants de
leur vis-à-vis. Lorsque celui-ci se relâche, la pression
qu’eux-mêmes exercent sur l’autre, devient de plus en
plus vaine. Et que, plus la personne qui se relâche s’oc-
cupe effectivement de son bien-être personnel, moins
elle est animée par certaines intentions envers celle qui
la tient.
Les invitations comme des manifestations du lien social
Dans cet exercice, nous utilisons une forte tension corporelle.
Elle sert d’invitation à l’autre participant. L’invitation est ac-
ceptée quand l’autre y répond par une tension similaire. De la
sorte, les deux instaurent un réseau de tensions stable et gé.
Ils sont donc interdépendants. La nature de telles rencontres est
la raideur.
C’est aussi le cas pour la stabilité d’un pont. La pression
qu’exerce chacun des arcs est de force égale à celle à laquelle
les deux piliers, solidement ancrés dans le sol, sont capables de
résister sans bouger.
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Chacun des arcs tient sa stabilité de la résistance que l’autre lui op-
pose.
Quand l’un des fondements bouge (ou que l’un des partenaires
de l’exercice se détend) inévitablement, le pont se met à bouger
et s’écroule, le pont cède.
L’invitation à devenir semblable à notre vis-à-vis
Ces faits sont transposables à toute forme d’invitation. Par
exemple lorsque, sous la forme d’une indignation au sujet d’un
collègue ou d’un élève, quelqu’un vous adresse une invitation
et qu’en vous indignant vous aussi, vous l’acceptez, un pro-
cessus s’enclenche : en nous et dans notre relation, quelque
chose se solidie. Ensuite et le plus souvent inconsciemment,
vous adoptez le point de vue, les sentiments et l’attitude de la
personne qui vous a adressé cette invitation. Et en l’acceptant,
nous lui devenons semblables.
Lorsque nous avons pris position de manière restrictive et -
gée, saisir la situation dans un contexte plus large et trouver des
solutions ne sont donc plus possibles.
En revanche, si nous en prenons conscience, si nous restons en
lien avec nos propres compétences, celles qui nous permettent
de nous détacher corporellement et de retomber sur nos pieds,
subitement, tous les éléments de la situation changent : nous-
mêmes, la situation et notre vis-à-vis. Instantanément, celui-ci
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doit changer lui aussi parce que nous ne réagissons plus comme
nous y sommes invités ou que nous ne résonnons pas à son
comportement comme il le veut.
Refuser l’invitation introduit un changement
Transposé à la vie quotidienne, cela signie que si, dans une
situation de tension, comme accompagnant, dirigeant, parte-
naire ou parent face à un enfant ou un client, je suis capable
de rétablir une attitude de bienveillance décontractée, notre
situation change du tout au tout. Mon propre changement met
mon vis-à-vis en mouvement : il doit changer lui aussi. Dans
chaque situation, dans chaque rencontre, nous sommes toujours
des participants actifs. Nous les inuençons et, elles, elles nous
mettent en mouvement.
Chaque élément inuence le système social,
(le mobile) dont il fait partie
On peut comparer cela à un mobile : tous ses éléments sont liés
entre eux, de telle manière que le mouvement d’un seul élé-
ment inuence tous les autres. Il est donc impossible que nous
n’ayons pas d’inuence.
Dans l’exercice de rencontre décrit plus haut, la détente de
l’un des partenaires fait que l’autre se détend lui aussi : il est
troublé. Il se peut qu’instinctivement, il y réagisse en serrant
les poignets de son partenaire encore plus fort an de rétablir la
situation d’avant.
Une perte de résonance induit de l’insécurité
Au moment où l’autre prend ses distances, celui qui a saisi ses
poignets se met à hésiter. Cette hésitation manifeste que le
changement de situation fait qu’il n’est plus en résonance avec
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ce qui fondait l’attitude qui, précédemment, dictait ses actes.
Pour ainsi dire, il oscille maintenant autour du centre qu’il a
perdu, en vue de retrouver un autre équilibre adéquat. Chaque
fois que notre situation change, nous devons nous resituer, re-
créer une nouvelle assurance.
Les comportements d’évitement initient
un nouveau recadrage
Nous pouvons souvent observer cela dans notre quotidien ou
dans celui d’autres personnes. Nous tentons d’échapper à
l’insécurité qui accompagne toujours un changement soudain
de résonance par le biais de comportements qui nous font
en ignorer certains aspects. C’est comme si nous jouions à
saute-moutons ! Ces comportements peuvent consister à nous
gratter la tête, à nous racler la gorge, le plus souvent en posant
la main devant la bouche, à tirer comme incidemment le col
de notre chemise comme si elle était devenue trop étroite, ou à
saisir notre tasse de café et bien d’autres gestes encore. Subite-
ment, nos actes semblent ne plus avoir de but. Instinctivement,
nous nous raccrochons à un comportement bien ancré ; il nous
permet de recouvrer notre aplomb habituel. Généralement,
mais pas automatiquement, nous trouvons une nouvelle ma-
nière de répondre à la situation qui nous a insécurisés. Ensuite,
nous redevenons capables d’agir.
User de tactiques ne favorise pas les liens
Dans notre vie quotidienne, plus nous prenons consciemment
nos distances de situations qui nous limitent ou causent des
conits, plus nous percevons rapidement ces mouvements
d’évitement chez notre vis-à-vis. Lorsque nous essayons de ti-
rer un prot personnel de son insécurité et de sa déstabilisation,
notre bénéce ne sera qu’apparent. En réalité, nous extraire de
telles situations, sans obéir à des calculs tactiques, nous rend
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plus forts tous les deux, parce qu’une telle attitude relève de la
bienveillance. Chacun se cherche et se trouve d’une autre fa-
çon. La relation et ses possibilités s’élargissent.
Les invitations sont des phénomènes tout à fait ordinaires
Les invitations sont faites constamment. Elles sont d’une diver-
sité innie, tout comme le sont les personnes et les situations
elles-mêmes. Par un grand nombre d’invitations, nous essayons
de faire entrer la situation dans un cadre familier et sécurisant
et de l’y amarrer fermement.
Nous essayons par exemple d’inviter quelqu’un à adopter le
même point de vue que nous :
«Mon problème est notre collègue Dupont. Il s’est per-
mis de faire…»
ou, nous l’invitons à reprendre ce qui est de notre respon-
sabilité : «Oui, aujourd’hui je ne vais pas bien du tout.
J’espère que vous pourrez faire quelque chose pour moi.»
ou nous l’invitons à ressentir les choses comme nous :
«C’est vraiment effarant qu’elle pense pouvoir nous trai-
ter de cette façon !»
Les invitations ont un énorme pouvoir d’attraction
Chacun d’entre nous a déjà fait l’expérience du pouvoir d’at-
traction énorme que ces invitations peuvent exercer sur nous.
Juste auparavant, nous étions détendus, occupés à nos affaires
personnelles alors que, l’instant d’après, nous sommes sub-
mergés par l’agitation d’un collaborateur stressé. Le poids sous
lequel ploie notre vis-à-vis se met à nous peser : il nous met
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sous pression, nous devons lui venir en aide ; ou encore, épaule
contre épaule, nous nous retrouvons ensemble dans une même
indignation : le comportement d’un autre collègue nous laisse
sans voix tous les deux. Nous avons donc repris à notre compte
le point de vue, les sensations, les sentiments et l’attitude cor-
porelle d’autrui. Nous lui sommes devenus semblables !
La résonance comme conrmation et gain de force
L’autre déclenche en nous une résonance semblable à son
propre état d’âme. Cela raffermit son attitude et le rend lui-
même plus fort. Il vit cela comme une conrmation : son point
de vue, son comportement et son afrmation sont donc les
bons. Cela va de pair avec un sentiment de puissance : il gère et
contrôle la situation.
Que serait-il arrivé si, toujours sous l’emprise de la même indi-
gnation, il était entré dans le bureau d’un autre collègue et que
celui-ci n’ait absolument pas partagé son point de vue ? Imagi-
nons que ledit autre collègue, tombé amoureux depuis peu, lui
ait répondu avec son ouverture d’esprit et sa bienveillance du
moment : «Tu sais quoi ? Oublie Dupont ! - Notre devise doit
être : vivre et laisser vivre !»
Un manque de résonance inquiète et affaiblit
Dans l’intention de se voir conrmé dans son point de vue et
d’être soutenu dans sa colère, il tombe à plat. C’est précisé-
ment l’expérience que fait faire l’exercice que j’ai décrit plus
haut à la personne qui saisit l’autre par les poignets au moment
où celle-ci ne réagit d’aucune façon à l’énergie avec laquelle
l’autre lui a saisi les poignets. La détente ressentie dans les bras
de son vis-à-vis resté calme, décontenance l’autre instantané-
ment. Nous perdons notre vivacité quand nous ressentons que
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nos actes n’ont plus de sens. Ce processus est instinctif. Il se
déroule le plus souvent inconsciemment. Un tel processus est
directement transposable à d’innombrables autres situations.
Par exemple, à ce qui se passe dans un jardin d’enfants, dans le
cadre d’un travail social ou lors d’une séance de travail entre
un dirigeant et son équipe.
La provocation comme invitation
La situation de la classe que je décris ci-dessous est elle aussi
aisément transposable à de nombreuses autres situations dans
l’entreprise, dans la famille ou toute forme de travail en groupe
ou entre deux personnes qui se rencontrent.
De bonne humeur, une enseignante entre dans sa salle de
classe. En s’adressant à tous ses élèves, elle les salue d’un :
«Bonjour !» amical. Un moment plus tard, l’un des élèves la
provoque. D’un coup, toute l’attention se concentre sur ce-
lui-là.
Que se passe-t-il alors dans la classe ?
Il y a encore un instant, l’enseignante était largement ouverte
au groupe tout entier ; elle était en contact avec tous les élèves.
D’un coup, la provocation de l’élève rompt son ouverture. La
largesse de perception de l’enseignante disparaît.
L’invitation est acceptée !
A présent, sa perception est entièrement focalisée sur un seul
élève. Immédiatement, elle perd de vue les autres élèves et bien
d’autres choses encore. Sa xation sur l’élève exclut tout le
reste qui passe à l’arrière-plan. Instantanément, cela a de vastes
répercussions sur la classe toute entière. Les élèves sentent
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que l’enseignante a perdu le contact avec eux : ils s’agitent.
Une partie des élèves se met à ricaner et à chuchoter : «On va
se marrer !» Un autre groupe d’élèves ouvre grand les yeux
et pense : «Oh non, pas encore une fois ! Dans deux jours,
nous aurons une épreuve. Nous voulions en répéter la ma-
tière aujourd’hui !» D’autres élèves sont agacés et lassés : ils
s’adossent lourdement aux dossiers de leurs chaises. Ils savent
qu’une fois de plus, le fauteur de trouble fait son numéro : il a
réussi à attirer toute l’attention sur lui.
Les invitations que nous acceptons nous transforment
Comme c’est le cas le plus souvent, cette monopolisation de
l’attention de l’enseignante sur un seul élève a de multiples
conséquences. Non seulement la largeur d’attention de l’en-