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Une comédie funèbre qui déride, où la mort devient une alliée pour les comédiennes qui ont peur de tomber sur un os.
Un seul en scène pour un face à face avec le temps… Clara est comédienne. Sa spécialité bien involontaire ? Mourir devant la caméra. Elle le pratique depuis ses débuts, comme une fatalité qui va devenir sa marque de fabrique. Et elle le fait avec tant de naturel ! Elle enchaîne les morts dans les scénarios, dans un comique de répétition qui jalonne son parcours professionnel, aiguillée par Marco, son agent et confident, distillant les conseils comme des capsules de cyanure. Une carrière sous le signe du deuil éclatant qui finit par la faire sortir du placard. De l’ombre à la lumière…
Derrière la légèreté du ton se cache une triste réalité du métier. L’obsolescence programmée des comédiennes qui atteignent leur date de péremption plus rapidement qu’un yaourt nature. Les rôles se raréfient au fil des rides naissantes, dans une vague de jeunisme galopant où les jeunes premières ont tendance à griller la priorité à leurs aînées. Et pourtant, ce désert scénique imposé entretient une soif de jouer, jusqu’à aiguiser l’appétit de mettre en mots leurs déboires dans un plaisir sans fin…
Le lecteur entre à pas feutrés dans les coulisses d’un métier, sans fard ni paillette, pour découvrir le jeu des apparences et l’envers nécrosé du décor.
À PROPOS DE L'AUTEURE
Journaliste depuis plus de vingt ans dans le domaine de la santé et de la culture,
Ange Lise écrit en fourmi qui accumule les manuscrits dans les tiroirs, en boulimique qui savoure les mots comme des gâteaux, en naufragée qui compte bien construire un radeau avec ses lignes pour éviter de se noyer trop vite.
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Seitenzahl: 74
Veröffentlichungsjahr: 2022
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Ange Lise
Cent morts sinon rien
Comédie funèbre
ISBN : 979-10-388-0352-7
Collection : Entr’actes
ISSN : 2109-8697
Dépôt légal : Mai 2022
© couverture Ex Æquo
© 2020 Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction intégrale ou partielle, réservés pour tous pays.
Toute modification interdite.
Éditions Ex Æquo
Clara : elle se rapproche à petits pas de la cinquantaine rayonnante. Une peau diaphane de blonde, qui met en valeur un visage un peu slave, sur une silhouette svelte. Une stature élégante comme une reine en sursis qui mesure ses mouvements.
Clara est seule en scène, dans un monologue en confidences, rythmé par les interventions envoix off de son agent, Marco, qui enfile le costume de l’agitateur bienveillant, et de sa mère qui intervient ponctuellement.
Marco, son agent, en voix off
(Le salon de Clara. Sobre et zen. Un fauteuil, une table, une étagère sur laquelle trône un César et un Bouddha côte à côte. Une décoration sans fioritures mais qui donne un côté cocon à son intérieur. Le mur blanc du fond se transforme en écran de cinéma, pendant les scènes filmées.)
CLARA
À 44 ans, je suis déjà morte 66 fois. Ça devient fatigant. Ma vie artistique n’aura été qu’une longue répétition de mon agonie. Je devrais réussir à trouver le mot de la fin avec tout cet entraînement… Je suis presque sûre qu’on m’accordera un César post mortem, pour me rendre un hommage cinématographique funèbre. J’ai pris dix ans à chacun de mes films. Autant dire que je n’ai pas gardé mon physique de jeune première très longtemps. Pourtant, j’étais faite pour jouer les rôles de princesses bien pailletées, de vierges découvrant l’amour dans les bras d’inconnus, de grandes amoureuses qui plaquent tout sur un coup de cœur… J’aurais dû me méfier du premier scénario que m’a confié Marco, mon agent qui a enterré ma carrière aussi vite qu’un croque-mort se débarrasse de ses clients.
(Clara et Marco en voix off.)
MARCO
(Voix off.)
CLARA
(Voix off.)
Tu es sûr ?
MARCO
(Voix off.)
Complètement ! Fais-moi confiance ! Je m’occupe de toi !
CLARA
(Voix in, en scène.)
Ça, pour s’occuper de moi… En même temps, je suis ingrate. J’avais vingt ans et je ramais à battre le record de traversée de l’océan Pacifique en solitaire. Je devrais être reconnaissante de sa croisière sur la mer Morte. Je coulais à pic, il m’a repêchée pour me faire flotter à la surface. J’ai commencé mon histoire d’amour avec la caméra pour une pub sur la prévention routière. Deux minutes trente au montage, trois heures de maquillage pour être crédible pour un crash sur l’autoroute. Je n’ai jamais pu passer mon permis après ça. J’avais trop peur de rejouer la scène inconsciemment. Et qu’au moment où j’entendrais « coupez », ça ne serait pas le réalisateur mais les pompiers qui viendraient désencastrer ma Clio achetée avec mes cachets.
Après la prévention routière, une association pour la lutte contre le cancer a trouvé mon visage à leur goût pour leur campagne. J’ai dû perdre quelques kilos pour obtenir le sésame qui me payait mes cours de théâtre. Je ne m’en plains pas. Une femme a toujours cinq kilos à perdre. Mais quand une association espagnole a fait appel à moi pour une pub contre l’anorexie, j’ai compris que je glissais sur une pente empoissonnée avant de pouvoir atteindre les sommets de la gloire.
(Clara et Marco en voix off.)
MARCO
(Voix off.)
De quoi tu te plains ? Tu as du travail.
CLARA
(Voix off.)
Je ne me plains pas, Marco. J’essaie de me diversifier !
MARCO
(Voix off.)
La diversification, c’est mauvais quand c’est trop tôt chez les bébés. Alors chez les jeunes comédiennes… C’est la mort assurée !
CLARA
(Voix in, en scène.)
Il a dû me porter la poisse avec sa prédiction. Après une énième pub pour une assurance décès, alors que je caressais l’espoir, un jour, de défendre une assurance vie, Marco, un pied dans le showbiz, une main au panier, avait réussi à me glisser en figurante dans les clips de Marilyn Manson. Il était fier.
(Clara et Marco en voix off.)
MARCO
(Voix off.)
Tu t’internationalises !
CLARA
(Voix off.)
Je me zombifie, tu veux dire !
MARCO
(Voix off.)
Jamais contente !
CLARA
(Voix off.)
Jamais vivante plutôt.
MARCO
(Voix off.)
C’est un grand artiste tu sais !
CLARA
(Voix off.)
Je ne remets pas en cause son talent. Mais j’aurais préféré un chanteur gai. Tu sais, un chanteur qui chante l’espoir, les oiseaux, le ciel bleu, l’amour…
MARCO
(Voix off.)
Un peu comme Léo Ferré ?
CLARA
(Voix in, en scène.)
C’est à ce moment que j’ai compris le fossé qui nous séparait. Léo, l’homme de mes déprimes profondes, qui met mon âme à vif tellement sa poésie me poignarde de mélancolie. Léo, l’homme qui a gâché tous mes anniversaires car tous les ans, à l’heure du bilan, j’écoute « La Mémoire et la mer », et à la fin de la chanson, entre deux sanglots, j’hésite encore entre la corde et le fusil à pompe. Léo, je t’aime, mais tu me comprendras, je pense, si je ne te range pas tout à fait parmi les chanteurs gais et légers. Ceux qu’on a envie d’avoir au saut du lit, un dimanche matin, après une grasse matinée accomplie comme un devoir. Ces tubes idiots qui vous trottinent dans la tête aux premiers fredonnements. Un cocktail de bonne humeur qui te donne envie de danser et d’embrasser le soleil.
(Clara et Marco en Voix off.)
MARCO
(Voix off.)
Tu n’as rien contre être crucifiée ?
CLARA
(Voix off.)
Non, Marco. C’était mon rêve caché.
MARCO
(Voix off.)
Ah, tant mieux ! J’ai eu un doute un moment. Avec la religion, on ne sait jamais.
CLARA
(Voix in, en scène.)
Seigneur, chacun porte sa croix, mais là, c’est rude. Ai-je été un serial killeur dans une vie antérieure et suis-je condamnée à expier pour toutes les vies que j’ai prises ? T’ai-je offensé le jour où j’ai refusé de communier en disant au curé que j’étais végétarienne et que je refusais de manger le corps du Christ ? Je demande juste un peu de lumière, un peu d’espoir pour mes rôles. Je désespère que mes personnages de série télé meurent au bout du quatrième épisode alors que le programme est un succès.
(Marco en Voix off.)
MARCO
(Voix off.)
Ils ont longuement hésité avec toi pour le rôle de l’ange, mais finalement ils ont préféré prendre un transsexuel pour incarner Gabriel.
CLARA
(Voix in, en scène.)
Amen ! Je me suis résignée à prendre ce qu’on me donnait pendant une période. Après un clip sataniste qui est venu hanter mes nuits pendant de longs mois, j’ai enchaîné sur un rôle de vampire sexy qui suçait beaucoup pour survivre.
(Clara et Marco en Voix off.)
CLARA
(Voix off.)
Marco, rassure-moi, on n’est pas tombés dans le porno au moins ? J’ai un doute en lisant le synopsis.
MARCO
(Voix off.)
Comment peux-tu penser une seule minute que je t’abaisserais à jouer dans du X en te prenant par surprise ? Je t’ai déjà déçue ?
CLARA
(Voix off. Grand silence avant de répondre.)
Non, bien, sûr, mais dans mon esprit, un vampire ne fréquente pas les clubs échangistes.
MARCO
(Voix off.)
Tu as une vision trop morbide, Clara ! Le vampire moderne est très ouvert.
CLARA
(Voix off.)
Pas trop, j’espère !
MARCO
(Voix off.)
Fais-moi confiance !
CLARA
(Voix in, en scène.)
J’avais faim ? Avais-je le choix ? Je me suis retrouvée sur le tournage à apprendre des dialogues qui m’ont confirmé que le vampire moderne, en plus de perdre son âme, avait perdu son cerveau. Des partenaires
bâtis comme des taureaux shootés aux hormones, parce que la vampire moderne est une vache folle qui s’assume. Dire que j’avais vibré dans ma jeunesse avec le Dracula de Bram Stoker. J’aurais donné n’importe quoi pour être vampirisée alors, et à chaque fois que je faisais une prise de sang, j’avais une pensée émue pour cet individu aux longues dents qui me faisait frémir, rien qu’en frôlant le cou de ses victimes. Le bon point : j’étais déjà morte. Du coup, je ne pouvais pas remourir une deuxième fois au bout d’une saison.
(On entend le générique de la série qui monte doucement pendant que la lumière se fait plus douce.)
(Clara et Marco en Voix off.)
CLARA
(Voix off.)
Marco ?
MARCO
(Voix off.)
Oui, ma chérie ?
CLARA
(Voix off.)
Depuis quand les vampires ont des accidents de la route ?
MARCO
(Voix off.)