Dans la tourmente des ténèbres - Bruno Guadagnini - E-Book

Dans la tourmente des ténèbres E-Book

Bruno Guadagnini

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Beschreibung

Printemps 1954, après le désastre de Dien Bien Phu, les troupes françaises capitulent. Ce dernier acte de la guerre d'Indochine, marque la fin du gouvernement Laniel. Début juin, Pierre Mendès France se voit confier à une large majorité, par les députés du Palais Bourbon, la présidence du Conseil. Alors qu'il est en pleine négociation avec les autorités vietnamiennes pour une sortie de conflit, son action est entravée "par l'affaire des fuites à l'Elysée". "PMF" convoque la DST pour s'occuper du problème. Pierre Malet, se retrouve une nouvelle fois auprès de Roger Wybot pour régler le conflit. La situation se complique, avec le feu qui couve sous les braises en Afrique du Nord. Mobilisé sur plusieurs fronts, la DST , pour pouvoir éteindre l'incendie, va devoir combattre un nouvel ennemi :"la Main Rouge" !

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Seitenzahl: 357

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Photos de couvertures : droits réservés

Du même auteur : Les sacrifiés de l’an 40.

Édition BoD, septembre 2021.

: Nom de code Grenelle.

Édition BoD, février 2022.

: La grande invasion.

Édition BoD, septembre 2022.

: Direction guerre froide.

Édition BoD, février 2023.

: Les méandres du Mékong.

Édition BoD, septembre 2023.

: Les nuits de l’éventreur.

Editions Bod, février 2024.

TABLE DES MATIÈRES

Introduction :

Chapitre 1 : Les murs ont des oreilles.

Chapitre 2 : Quelques Messieurs trop tranquilles.

Chapitre 3 : Mathilde, la fille maudite !

Chapitre 4 : La mauvaise rencontre.

Chapitre 5 : Plus de son, plus d’image.

Chapitre 6 : Quid ? Détective, le malentendu.

Chapitre 7 : La réunion de Marly.

Chapitre 8 : La grande menace.

Chapitre 9 : Marie se rebelle, Mons se rebiffe.

Chapitre 10 : Qui veut la peau de Pierre Malet ?

Chapitre 11 : La Toussaint sanglante.

Chapitre 12 : A la recherche de la « Vedette ».

Chapitre 13 : La filière maghrébine.

Chapitre 14 : Quitte ou double.

Chapitre 15 : Malet tend un piège.

Chapitre 16 : Piastre, le revers de la pièce.

Chapitre 17 : Mission au Maroc.

Chapitre 18 : Quand l’assassin mène l’enquête.

Chapitre 19 : Retour au bercail.

Chapitre 20 : Une drôle de bouillabaisse.

Chapitre 21 : French déconnection.

Chapitre 22 : D.S.T contre S.D.E.C.E.

Chapitre 23 : Le vieux porc de Marseille

Chapitre 24 : A qui le mot de la fin ?

Epilogue : Comment cacher la vérité sous le tapis !

Introduction

Quatre années viennent de s’écouler, depuis que Pierre Malet a reçu la Légion d’Honneur des mains du Président Vincent Auriol à l’Elysée. (Voir Les nuits de l’éventreur). Après avoir traversé beaucoup de tempêtes, la DST se retrouve aujourd’hui plus ou moins marginalisée par le pouvoir en place. Un pouvoir qui n’a pas cessé de changer. René Coty a succédé, à la surprise générale, à Vincent Auriol en janvier 1954 et nous avons déjà vu passer un deuxième gouvernement depuis cette date.

Joseph Laniel a logé 12 mois à Matignon. Mais, entre conflits sociaux et guerre d’Indochine, le désastre de Diên Biên Phu a eu raison de sa bonne volonté. Pierre Mendès France, homme de paix et de compromis, a repris les rênes d’un gouvernement depuis le 19 juin dernier, pour essayer de rétablir une certaine stabilité. Sa première décision fut de lancer un ultimatum aux autorités vietnamiennes afin que le conflit cesse. Un accord est trouvé à Genève, le 21 juillet, prévoyant, dès le cessez-le-feu, la libération des prisonniers sous 30 jours.

Pierre continue de couler des jours heureux avec Frida sa compagne et ses enfants Marie et Aloïs. De son côté, Jacqueline von Riegsburg, soeur de Pierre Malet, a donné naissance à une petite fille : Anne Sophie, il y a deux ans.

Dans son roman, l’auteur s’efforce de garder la chronologie et les grandes lignes de « l’Affaires des fuites ». Néanmoins, certaines dates ont été modifiées et les dialogues sont parfois imaginaires, pour pouvoir intégrer les protagonistes de la fiction. Les personnes ayant vécu ces évènements, sont marquées d’un *, afin de ne pas les confondre avec les personnages du roman.

Chapitre 1 : Les murs ont des oreilles.

Samedi 28 août.

Pierre Malet profite des joies de la mer au milieu de sa famille. Jacqueline et Manfred, sont venus passer quelque temps auprès d’eux dans la station balnéaire de Berk sur Mer. Puis ils sont repartis, laissant leurs enfants finir les vacances auprès de leurs cousins Marie et Aloïs. L’aînée Marie, surveille tout ce petit monde, avec autorité et bienveillance.

Le ciel bleu sur le sable de Merlimont, n’est même pas troublé par la brise marine apportant quelques cumulus. Pierre semble ailleurs et fixe les batteries côtières, vestiges du mur de l’Atlantique jalonnant la plage.

- Tu sembles t’ennuyer, mon chéri ?

- Pas du tout ; je me disais que, finalement ces bunkers, n’avaient eu aucune utilité, avec le débarquement des Alliés en Normandie !

- Je vois mon Commandant ! vieille déformation professionnelle d’ancien combattant ! D’après toi, les canons sont toujours opérationnels ?

- Sûrement pas ! Les gros 170 m/m sont toujours en place, mais les démineurs ont pris soin de faire sauter les affûts.

- Avec la fin de la guerre d’Indochine, penses-tu que Mathilde (

Ex-femme de Pierre)

, va rentrer en France ?

Malet s’étonne de la question de sa compagne.

- Je n’en n’ai aucune idée ! Tu sais très bien, que depuis mon périple au Tonkin il y a quatre ans, je n’ai plus aucune nouvelle !

(Voir Les nuits de l’éventreur).

Dès son retour d’un congé de trois semaines, Pierre se plonge dans sa routine d’agent de contre-espionnage, en épluchant la presse quotidienne. Le « Monde » de ce premier lundi de septembre, titre sur la libération du Général de Castries*, ainsi que sur celle de Geneviève de Galard* (Infirmière, pilote d’hélicoptère, faite prisonnière à Diên Biên Phu). Dans ses déclarations, le Général révèle qu’il a pu s’entretenir avec les Colonels Bigeard et Langlois. Tout en souhaitant qu’ils soient libres rapidement, le journal ajoute que 9 886 personnes au total ont été libérées. Ainsi, le processus imaginé par Pierre Mendès France suivant les accords de Genève, se met en place. Néanmoins, 39 229 individus, sont encore portés disparus. La mortalité est telle dans les camps du Viet-Minh, qu’il y a peu d’espoir de revoir la plupart d’entre eux. Pierre laisse tomber sa lecture, en se disant qu’il a fallu près de huit années de guerre, pour en arriver à cette conclusion …

Mercredi 8 septembre.

Le Commissaire, installé à son bureau de la rue des Saussaies, continue d’expédier les affaires courantes et pense déjà au prochain un week-end en famille, tout en se demandant quelle surprise va lui réserver Frida. Ses pensées, sont soudain interrompues par le téléphone.

- Monsieur le Commissaire, Jeanne à l’appareil

(Secrétaire du service),

le patron vous attend dans son bureau !

Une demande, en milieu de semaine, de la part du Directeur de la DST, n’a peut-être rien d’inquiétant … Mais, pourquoi cet entretien ne pourrait-il pas attendre le briefing hebdomadaire du lundi ?

- Ah Pierre ! inutile de vous asseoir, il fait un temps magnifique ! Venez, allons prendre l’air !

Le ton guilleret n’est pas dans les habitudes de Roger Wybot. Il ouvre largement la porte fenêtre de son bureau. Les deux hommes sont désormais sur le balcon, sous le regard de plus en plus intrigué du Commissaire.

- Que se passe-t-il ? Wybot a perdu son sourire. Il parle à mots couverts, et Pierre, à cause des bruits de la rue, est obligé de tendre l’oreille pour saisir le sens de la conversation.

- Je viens d’avoir un entretien téléphonique avec le nouveau Directeur de la Sûreté Nationale, Jean Mairey*, entré en fonction il y a à peine un mois et demi !

Malet l’interrompt.

- Tout comme moi, vous l’avez déjà rencontré ? De mémoire, il est proche de Guy Mollet et plutôt soupe au lait !

- Tout à fait ! Mairey m’a demandé de faire une simple vérification technique : voir si, par hasard, il n’y aurait pas des micros indiscrets dans la salle du Conseil des Ministres !

Malet fronce les sourcils.

- C’est une blague ? vous n’avez pas cherché à en savoir plus ?

- Si, bien sûr ! je lui ai demandé des précisions pour pouvoir accomplir la tâche qu’il me confiait ! Il m’a plongé dans un certain mystère, me disant qu’il ne pouvait pas m’en dire plus ! Pour lui, il s’agit d’une affaire extrêmement confidentielle, considérée par le Président Mendès France comme un secret d’Etat !

- Qui d’autre est au courant ?

- Personne, même pas François Mitterrand ! (

Ministre de l’Intérieur)

. D’un autre côté, il est hors de question que je lance la DST dans une enquête sans en comprendre le sens !

- Certes, et que comptez-vous faire ?

- Je vais contacter André Pélabon* !

(Directeur de Cabinet de Mendès France

). Comme vous le savez, nous avons vécu quelques aventures ensemble pendant la guerre à Londres ! Au nom de notre amitié, il devrait se montrer un peu plus loquace que Mairey !

- J’entends bien, mais pour l’instant, qu’attendez-vous de ma part ?

- Dans un premier temps, la plus grande discrétion ! Ensuite, si nous avons cette discussion sur le balcon, c’est qu’il me semble que depuis quelque temps, trop de conversations sortent de nos bureaux !

Pierre a un léger sursaut.

- Soupçonneriez-vous des écoutes à la DST ?

- Je n’en sais rien, mais tout est possible ! J’ai besoin d’y réfléchir et nous prendrons les dispositions nécessaires la semaine prochaine !

En sortant du bureau de son patron, Pierre semble plus ou moins convaincu. Pour lui, la thèse des micros dissimulés ne tient pas. Par contre, des fuites à l’intérieur du service restent une possibilité et ce ne serait pas la première fois. Le Commissaire songe au stress que Wybot subit tous les jours. A force de traquer les complots, une forme de paranoïa ne finit-elle pas par s’installer ?

Vendredi 10 septembre.

Une agitation inhabituelle agite le 13 rue des Saussaies. Pierre s’adresse à Jeanne Lallemand pour savoir où se trouve son patron.

- Bonjour Jeanne, le boss n’est pas là aujourd’hui ?

La secrétaire sans âge, au chignon aussi raide que son attitude, lève à peine son regard terne de ses papiers.

- Non, Monsieur le Commissaire ! Monsieur Wybot, a rendez-vous à Matignon !

Au milieu des fonctionnaires qui s’agitent, Malet croise son collègue le Divisionnaire Berliat*.

- Salut, cherches-tu les micros ? plaisante-t-il

L’homme lui fait chut de la main.

- Viens, allons dans mon bureau ! Nous serons plus tranquilles pour parler !

Le cabinet de travail de Berliat est sans doute le lieu le plus pittoresque de la DST ! Au milieu de vivariums, serpentent une grande variété de reptiles, lézards, salamandres et autres caméléons. (Historique.)

- J’imagine que Wybot t’a déjà mis au courant ?

- Oui ! De mon côté, je suppose que le patron fait appel à ton expertise en la matière ?

Berliat toussote, ennuyé.

- Affirmatif … mais pour l’instant je n’ai rien trouvé ! J’attends son retour de Matignon, pour savoir si nous devons aller plus loin !

Les deux policiers ne tardent pas à recevoir une réponse : Roger Wybot, rentre de son rendez-vous.

- Bonjour Messieurs, ça tombe bien que vous soyez ensemble, suivez-moi !

Et, cette fois, le patron de la DST, ne prend pas le temps d’entraîner ses interlocuteurs sur le balcon de son bureau.

- Avez-vous rencontré Pélabon ? lance Malet impatient.

- Mieux : Mendès France assistait à notre entretien !

Les deux Commissaires montrent leur étonnement :

- Vraiment ? réagit Berliat

Après leur avoir fait signe de s’asseoir, Wybot développe calmement.

- Pour Mendès, il ne s’agit pas simplement d’une histoire de micros, mais plus globalement de l’existence de fuites graves, importantes et répétées ! Il met en cause, le Comité Supérieur de la Défense Nationale !

(Organisme ultrasecret, débattant des grands problèmes de défense et de stratégie militaire).

Le Président est revenu sur la dernière réunion du Comité du 28 juin, à laquelle il assistait pour la première fois ! Quelques jours plus tard, il s’est retrouvé en possession d’un document anonyme, reflétant pratiquement mot pour mot, les débats, les réflexions, les interventions des membres du Comité !

- Comment une chose pareille peut-elle être possible ? Berliat reste incrédule.

- C’est justement ce que nous devons découvrir, Messieurs ! sourit Wybot. De plus, d’autres divulgations ont eu lieu le 26 mai dernier, sous le règne de son prédécesseur à la tête de l’Etat (

Joseph Laniel

) !

- Vous êtes en train de nous expliquer, que le Comité de la Défense serait une véritable passoire ? intervient Malet.

- Justement, Mendès France ne croit pas du tout à une trahison d’un des membres du Comité ! D’où l’idée d’une possible existence de micros dans la salle du Conseil !

- Et, depuis cette date, personne n’est intervenu ? s’étonne Berliat.

- Ce genre de recherche appartient à la DST, nous devons aller beaucoup plus loin ! Je vais recevoir un ordre écrit pour pouvoir sonder les murs des salles de réunion ! Et vous, de votre côté, où en êtes-vous ?

- Mes hommes inspectent nos locaux depuis ce matin, sans rien trouver de suspect ! Je pense qu’ils auront terminé pour ce soir ! rapporte Berliat.

Très perplexe, Malet cherche à comprendre.

- Maintenant que nous connaissons plus ou moins la forme, il serait bon que nous nous penchions sur le fond !

- Vous ne croyez pas si bien dire ! Le Comité s’occupe des opérations d’Outre-Mer, tout nous ramène à l’Indochine ! Pierre, vous êtes le mieux placé à la DST pour traiter ce genre d’affaire !

- N’est-il pas déjà trop tard, au moment où Mendès finalise l’accord de paix avec les autorités vietnamiennes ?

- C’est possible ! Néanmoins, vous admettrez que nous ne pouvons pas rester sans rien faire vis-à-vis des coupables !

- Très bien, je m’en occupe et je vous rends compte dès que possible !

En sortant du bureau de son patron, Malet se montre dubitatif. Ce genre de mission le ramène neuf années en arrière, à l’époque de la Libération, où il s’agissait de faire le tri entre « les faux résistants et les bons collaborateurs ». De plus, même s’il n’a pas encore abordé le sujet avec Wybot, tout laisse à penser qu’un lien existe entre ces histoires d’écoute et « l’Affaire des généraux », 4 ans plus tôt. (Voir du même auteur « Les nuits de l’éventreur »).

Faute de mieux, c’est un bon point de départ. Le Commissaire se précipite aux archives de la DST, pour exhumer le dossier.

Lundi 13 septembre.

Pierre se plonge dans les nombreux documents d’époque, ne lui rappelant pas que des bons souvenirs. Tout à sa consultation, il entend toquer à la porte de son bureau. Il lève la tête au moment où Berliat entre dans la pièce.

- Bonjour « Grenelle » !

(Nom de guerre de Pierre Malet).

Le Divisionnaire, semble embarrassé.

- As-tu trouvé quelque chose ?

- Non, rien du tout, il n’y a pas le moindre micro chez nous !

Pierre s’efforce de prendre la chose du bon côté.

- Bon, c’est plutôt une bonne nouvelle, non ?

- Peut-être … je ne sais pas ! Wybot vient de recevoir la lettre de mission de la part du Chef de la Sûreté pour sonder les murs de l’Elysée ! Je fais rassembler le matos un peu spécial pour cette réalisation !

- Combien te faudra-t-il de temps, une fois le matériel réuni ?

- 48 heures, je pense ! Je dois faire vite, le prochain Comité est prévu mercredi prochain !

- Eh bien au moins nous serons fixés ! Ton travail sera pratiquement fini, alors que le mien ne fait que commencer !

Mardi 14 septembre.

Fin d’après-midi, rue des Saussaies ; Wybot cette fois, entre dans le bureau de Malet sans crier gare. Il jette un regard circulaire dans la pièce : elle est encombrée de dossiers, de cartons ... Il y en a partout : sur une table attenante, sur des chaises, sur le sol ... Le Directeur n’en revient pas !

- Que cherchez-vous ?

- Je pars du principe que, si ce problème d’écoute existe et que l’Indochine est concernée, nous devons pouvoir faire un lien avec « l’Affaire des généraux » ! De ce fait, j’épluche les différents comptes rendus et autres rapports des réunions !

- Avez-vous trouvé quelque chose ?

Malet paraît embarrassé.

- J’ai trop peu d’éléments pour l’instant, j’ai l’impression de chercher une aiguille dans une botte de foin !

- De mon côté, j’ai le résultat de la descente de Berliat à l’Elysée ! Nada ! il n’a rien trouvé, pas le moindre petit bout de micro, pas l’ombre d’un fil perdu !

- Quelle conclusion, pouvons-nous en tirer ?

- Sans les micros, on peut envisager que les fuites ont été organisées ! J’ai eu un bref entretien avec Mendès France, pour lui faire remarquer, que si on ne les a pas trouvés, c’est parce qu’ils ont été enlevés !!!

Pierre réfléchit une seconde.

- Pensez-vous qu’ils puissent être installés temporairement à chaque réunion puis retirés immédiatement à la fin ?

- Effectivement, c’est une possibilité. La prochaine réunion a lieu demain à 10 heures ! Dans ce cas, soit les micros sont déjà en place dans la salle du Conseil, ou, plus sûrement ils seront installés cette nuit !

- Croyez-vous que nous aurons la possibilité de mettre en place une surveillance sur place ?

- Non, il est déjà trop tard ! Vous vous doutez bien du nombre d’autorisations qu’il faut pour pouvoir accéder à l’Elysée dans ces conditions ! J’ai insisté auprès de Mendès sur le fait qu’il ne faut pas négliger d’autres pistes ! Par exemple, des fuites à l’intérieur du Comité, je l’ai imploré pour qu’il me laisse libre d’ouvrir une enquête !

- Comment a-t-il réagi ?

- Pour l’instant, il est dans le déni : je pense qu’il craint les réactions politiques ! Il faut laisser un peu de temps au temps, nous verrons bien après la réunion de demain ! Pourtant, j’entrevois un premier fil conducteur, permettant de circonscrire les recherches au sein du Comité ! Nous avons un début de certitude, indiquant que les premières fuites se sont produites sous le cabinet Laniel le 26 mai, puis sous le cabinet Mendès France le 28 juin ! La composition du cabinet a été en grande partie remaniée entre deux : nous pouvons donc en déduire que le coupable présumé a dû fonctionner sous les deux gouvernements ! Vous voyez où je veux en venir ?

- Vous allez me demander de me procurer les listes des membres du Comité de la Défense Nationale, sous les deux gouvernements, pour faire ensuite le rapprochement ?

- Exactement ! mais ne croyez pas qu’il s’agisse d’une sinécure, la liste fait partie des documents ultrasecrets !

Jeudi 16 septembre.

Pierre décide d’employer les grands moyens. Avec un certain culot, il téléphone rue de Varenne à l’hôtel de Matignon, pour joindre directement André Pélabon.

- Bonjour Monsieur le Directeur de Cabinet, Commissaire Fixin Malet de la DST ! J’aurais besoin pour une enquête importante, que vous me communiquiez, les listes des membres du Comité de la Défense Nationale, sous les gouvernements Laniel et Mendès France !

- Je sais très bien qui vous êtes Commissaire, et donc, vous devez savoir que ces documents sont ultrasecrets !

- Si vous me connaissez, Monsieur le Directeur de Cabinet, vous devez aussi savoir, que je suis Commandant de réserve dans les Services de Contre-Espionnage de l’Armée, donc assujetti au Secret Défense !

Après un long silence, Pélabon reprend :

- Très bien Commissaire, j’en réfère à Monsieur le Président du Conseil et je vous tiens au courant rapidement !

Le lendemain Pierre Malet découvre sur son bureau les listes demandées. Il commence à passer en revue les participants aux réunions du 26 mai et du 28 juin. Le Président de la République René Coty en fait partie ainsi que le Président du Conseil, les ministres et secrétaires d’Etat concernés par les sujets : Défense, Finances, Intérieur, trois ou quatre généraux, représentant les différentes armes de l’Armée et enfin, deux hauts fonctionnaires, le Secrétaire Général du Gouvernement André Ségalat* et le Secrétaire Général de la Défense Nationale, Jean Mons *. Après cette première vérification, Malet avertit son Directeur, qui lui demande de le rejoindre sur le champ. Wybot montre à la fois son étonnement et sa satisfaction :

- Pierre, je ne sais pas comme vous avez pu vous y prendre, mais une chose est sûre : vous devez être plus en odeur de sainteté que moi auprès des autorités !

- Sans doute le prestige de l’uniforme Monsieur le Directeur ! sourit le Commissaire.

Wybot commence à éplucher les listes et, après un long silence, reprend la parole.

- Je voudrais éviter de froisser Mendès ! Pensez-vous à une possible trahison des généraux ?

- Depuis « L’Affaire des généraux »

(Voir Les Nuits de l’éventreur)

, tout est possible ! L’Armée prête à venger Mast* et Revers* auprès des politiques ? Pourquoi pas ? Mais, nous ne pouvons pas exploiter que cette seule piste !

- Si nous devons écarter les politiques, au moins dans un premier temps, restent les fonctionnaires !

- Dans ce cas, je vois bien Ségalat ou Mons en tête d’affiche ?

Wybot ne parvient pas à trancher !

- Ecoutez, je vais reprendre avec Mendès, avant de lâcher les chiens !

- De mon côté, je peux toujours commencer à fouiller dans le passé de ces Messieurs ?

- Parfait ! je laisse des consignes à Jeanne Lallemand pour que vous puissiez accéder à leurs fiches !

19 septembre.

En cette journée dominicale, les familles Malet et von Riegsburg, sont réunies chez les parents dans le pavillon de Colombes. Pendant que les petits enfants profitent de l’été indien dans le jardin, les grands sont dans le séjour à l’heure de l’apéritif. Jacqueline s’adresse à son frère :

- Pierre, as-tu lu dans la presse ? avec le cessez-le-feu en Indochine, bon nombre de Français sont rapatriés, ainsi que des binationaux.

- C’est normal, ils veulent éviter une chasse aux sorcières !

- Penses-tu que Mathilde va rentrer ?

Pierre s’attendait à cette question.

- Je n’en n’ai pas la moindre idée ! Si elle revient sur le territoire, elle risque la prison !

Maman Greta, s’en offusque.

- Ah bon ? pour quelle raison ?

- Maman, visiblement, tu n’es pas au courant de tout ! Mathilde, n’était pas retenue par le vietminh contre sa volonté !

Un ange passe …

Chapitre 2 : Quelques messieurs trop tranquilles.

Lundi 20 septembre.

L’heure du bouclage approche dans les locaux de « Quid ? Détective » : une édition spéciale doit sortir en milieu de semaine. La tension est à son paroxysme : Frida Dupire fait une dernière relecture avant d’apporter la maquette à son rédacteur en chef Jean Barrois. Jean Hubert de la Parent, « le journaliste vedette », toujours dans ses tenues excentriques dont lui seul a le secret, fait les cents pas.

- « Jean Hub », arrêtez de déambuler dans tous les sens, vous me donnez le tournis !

- Frida, ne me dites pas que vous n’êtes pas au courant ! Robert Cohen est devenu Champion du Monde cette nuit, à Bangkok !

- Je ne connais pas cette personne !

- Mais enfin Frida ! le petit Bônois, notre poids coq … ! Il n’a fait qu’une bouchée du Thaïlandais Songkitrat pour le titre laissé vacant par l’Australien Carruthers !

Jean Hubert esquisse quelques jeux de jambes, accompagnés de plusieurs swings dans le vide. La secrétaire daigne enfin lever les yeux de sa lecture.

- Vous savez très bien, qu’en dehors de Marcel Cerdan, je ne connais aucun boxeur !

Au même moment, rue des Saussaies, se déroule le briefing hebdomadaire de la DST. Wybot prend Pierre Malet à part :

- Nous avons rendez-vous à 14 heures à Matignon !

- Nous ? S’étonne Pierre.

- Oui, enfin, plus exactement, JE suis convoqué, mais je pense que NOUS ne serons pas trop de deux pour convaincre Mendès de nous laisser un peu les coudées franches dans l’affaire qui nous préoccupe !

Les deux hommes sont à l’heure dite dans la résidence du Président du Conseil. Ils ne patientent que quelques minutes avant qu’un greffier ne leur enjoigne de le suivre. Les murs de l’escalier menant au bureau de Pierre Mendès France sont peints en trompe l’oeil imitant le marbre. Les voilà dans le cabinet de travail, appelé « Salon Blanc ».

- Permettez-moi Monsieur le Président, de vous présenter le Commissaire Fixin Malet ! annonce Wybot.

Mendès, le sourcil tombant et l’oeil vif, du haut de son mètre soixante-dix, semble jauger les 184 centimètres de Malet !

- Je connais le Commissaire de réputation ! Mais dites-moi, si vous êtes venus à deux, c’est sans doute pour m’extorquer quelques autorisations !

- Mon équipe, comme vous le savez déjà, n’a trouvé aucune forme de micro, dans la salle du Conseil ! De plus les murs ont été sondés en vain ! le ton de Wybot est grave.

Mendès fait une grimace de chimpanzé amical et pensif !

- Si votre hypothèse tient sur d’éventuelles fuites à l’intérieur du Comité, elles ne peuvent provenir que des généraux ! Depuis que je m’efforce de régler le problème en Indochine, ils n’ont aucune confiance en moi et souhaitent continuer le combat

Malet exprime son scepticisme.

- Si je peux me permettre Monsieur le Président, les fuites ont commencé sous le gouvernement de votre prédécesseur, le Président Laniel ! Peut-on affirmer que les généraux, avaient une raison de le détester ?

Mendès semble ébranlé par la question, mais répond fermement.

- Eh bien s’il s’agit d’un ministre, allez jusqu’au bout ! Avez-vous « un champion » ? Dans ce cas, arrêtez-le !

- Disons que le champ des possibilités est relativement restreint ! Wybot s’efforce de reprendre le raisonnement ; le Président Coty assistait aux deux réunions sous les différents gouvernements ! Mais vous conviendrez avec moi, que nous pouvons exclure le Chef de l’Etat ! Seuls Edgar Faure, Ministre des Finances sous le gouvernement Laniel et actuel Ministre des Affaires Etrangères, rentrent dans ce moule !

- Soupçonner Edgar Faure ? vous n’y pensez pas ?

- Dans le cas contraire, deux hauts fonctionnaires ont le profil, André Ségalat et Jean Mons ! poursuit le Directeur de la DST

- Ségalat ? Impossible ! affirme Mendès. La probité du Secrétaire Général du Gouvernement reste légendaire ! On ne saurait suspecter un homme tel que lui, dont le passé est irréprochable et exemplaire !

- Il ne reste plus que Jean Mons ?

Mendès hoche négativement la tête.

- Je vous rappelle tout de même qu’il a été le Chef de Cabinet de Léon Blum en 1946 ! Pensez-vous un seul instant, que Communistes et Socialistes puissent s’unir dans une opération aussi machiavélique ?

- Donc, nous sommes dans l’impasse ? constate Wybot. Pour en sortir, j’aimerais avoir accès aux documents Secret Défense, de façon plus approfondie que la liste des membres du Comité ! Sinon je ne vois pas comment le Commissaire et moi pourrons progresser ? En attendant, Monsieur le Président, puis je vous demander dans quelles conditions vous avez eu vent de cette ténébreuse affaire ?

- Il s’agit du Commissaire Dides* ! Mendès a lâché le nom de son indic.

Après avoir pris congé du Président Conseil, le Directeur et le Commissaire débriefent : « Rentrons au bureau, j’ai un dossier long comme le bras sur ce Jean Dides, vous allez pouvoir le consulter ! »

Les fichiers de Roger Wybot ne sont pas une légende. Depuis la création du BCRA à Londres pendant la guerre, le jeune capitaine de l’époque n’a cessé d’empiler les renseignements sur tous les politiques, les gradés et les hauts fonctionnaires. Pierre Malet est bien placé pour le savoir : sa compagne Frida Dupire en était la « gardienne du temple ». (Voir Direction guerre froide). Aujourd’hui, Jeanne Lallemand a repris le flambeau.

Pierre découvre en Jean Dides un personnage teinté de « romantisme ». A 22 ans, il est rentré dans la police pour échapper au Séminaire. Depuis la naissance de la IVe République, il se révèle plutôt comme « l’homme des basses oeuvres », tout en muscles. Par certains côtés, il n’a rien à envier au Directeur de la DST, avec fichiers, classeurs, organigrammes, indicateurs spécialisés dans les enquêtes sur le Parti Communiste et ses filiales.

Charles Delarue*, son bras droit, ancien policier des Brigades Spéciales sous Vichy, révoqué à la Libération, s’est évadé du camp de Noé, où il purgeait une peine de prison de vingt ans de travaux forcés pour collaboration. Dides a réussi plus ou moins sa réhabilitation en le faisant changer de nom. Il devient « Charles Cartier* », muni d’un vrai-faux passeport ! Depuis, « Monsieur Charles » pour les intimes, s’entoure de personnages peu scrupuleux pour faire la chasse aux communistes. Bonjour le club des poètes !

Malet commence à comprendre pourquoi le service de Dides ne rentre pas dans les petits papiers de Wybot. A la DST, son Directeur s’est toujours efforcé de recruter des personnes exemptes de tout reproche. Le Commissaire ne comprend pas que des politiques puissent s’attacher les services d’organismes « borderline », sortes de Renseignements Généraux parallèles, qui passent le plus clair de leur temps à mettre des bâtons dans les roues de la DST. Wybot pénètre dans le bureau de Malet, toujours dans ses lectures.

- Vous devez commencer à cerner le personnage de « notre ami Dides » ?

- Effectivement ; mais ne devrions-nous pas nous intéresser d’abord à Delarue ?

Wybot tarde à répondre et fixe ses chaussures d’un air gêné.

- Pierre, j’ai quelque chose de … disons … délicat à vous dire !

- Je vous écoute ?

- Mathilde, votre ex-femme, vient d’être arrêtée au Bourget à sa descente d’avion !

Pierre accuse le coup.

- Où l’ont-ils emmenée ?

- À la prison Saint Lazare !

- Que lui reproche-t-on exactement ?

- Intelligence avec l’ennemi !

- C’est parfaitement ridicule ! Elle a passé la quasi-totalité de son existence à soigner des gens, souvent les plus démunis ! s’indigne Malet

- Logiquement, le Procureur devrait confier l’enquête à la DST ! Cependant, vous conviendrez que je ne peux pas vous attribuer le dossier ! D’abord pour ne pas vous compromettre, ensuite pour éviter les conflits d’intérêts !

- Je comprends tout à fait ! Qui comptez-vous mettre en place pour s’en occuper ?

- Le commissaire Serre* !

- Très bon choix ! constate Malet soulagé.

Il respire : pour lui, René Serre est un homme impartial et magnanime. Avec lui, pense-t-il, le risque de coups tordus est écarté.

- Il est tard, je vous conseille de rentrer chez vous ! Après, si vous souhaitez prendre une ou deux journées pour vous reposer, il suffit de prévenir Jeanne Lallemand ! Naturellement, je vous tiens au courant pour la suite !

De retour à son domicile, rue du Docteur Roux, le Commissaire a du mal à faire bonne figure auprès de sa compagne :

- Mon chéri, depuis que nous sommes à table, je vois bien que quelque chose te contrarie ?

Malet fait non de la tête, tout en désignant les enfants. Frida comprend que Pierre ne dira rien devant Marie et Aloïs. Une fois le repas terminé, elle s’empresse d’envoyer le garçon et la fille se coucher plus tôt qu’à l’habitude.

- Papa, viens nous raconter une histoire avant de nous endormir !

Pierre sait très bien que son fils est passionné de westerns et il s’efforce de développer son imagination avec les aventures de Cochise et Geronimo. Après un petit quart d’heure, il peut rejoindre sa compagne dans le séjour :

- Alors, maintenant, dis-moi tout !

- Mathilde a été arrêtée au Bourget et vient d’être incarcérée à la prison Saint Lazare !

Frida est tout aussi ébranlée que l’a été Pierre. Après un petit silence, elle reprend d’une voix chevrotante :

- Que comptes-tu faire ?

- Dans un premier temps, lui trouver un avocat !

- Est-ce que tu en connais un bon ?

- J’ai pensé au Commandant Richard : il est retourné dans le civil ! C’est lui qui avait défendu Manfred, lors de son procès !

(Voir Les méandres du Mékong).

- Oui je me souviens, au cours de ton déplacement à Baden Baden en août 1946 ! Et ensuite ?

- Pour l’instant on ne peut présager de rien ! Je te demande simplement de tenir Marie à l’écart de toute cette histoire.

Mardi 21 septembre.

Le Commissaire Malet est à son poste, rue des Saussaies, toujours plongé dans le dossier des écoutes. Il s’interrompt pour appeler Maître Richard :

- Bonjour Maître, Pierre Fixin Malet à l’appareil !

Un petit silence avant que son interlocuteur ne réagisse.

- Tiens-donc, comment allez-vous Capitaine ?

- Bien ! Je suis devenu Commandant de réserve depuis notre dernière rencontre et surtout Commissaire à la DST ! Je me permets de vous contacter concernant mon ex-femme Mathilde, actuellement incarcérée et qui va avoir besoin « d’un conseil » !

- Naturellement. Si vous êtes disponible, nous pouvons nous retrouver à mon étude cet après-midi … disons 15heures ?

- Parfait Maître, à tout à l’heure !

Sur ces entrefaites, Wybot frappe à la porte du Commissaire et entre dans la pièce sans attendre la réponse.

- Je viens d’avoir Mendès au téléphone ; il a connaissance de nouvelles fuites dans la Commission depuis la dernière réunion ! Mais là, tenez-vous bien : le sujet n’a rien à voir avec l’Indochine ! La divulgation, porte sur le dossier de la Communauté Européenne de Défense !

- Je vois, nous nageons en plein vaudeville !

- Et vous, de votre côté, avez-vous trouvé quelque chose ?

- Dans l’équipe de Jean Dides, un certain André Baranès* semble être son meilleur indicateur ! Officiellement, l’individu est pigiste à « Libération », le « canard » d’Emmanuel d’Astier de la Vigerie !

- Je vois où vous voulez en venir ! Vous pensez pouvoir établir un lien entre les fuites, Baranès et le Parti Communiste ?

- Disons que c’est un peu plus compliqué que cela ! Je ne vois pas Jean Dides s’entourer d’une personne procommuniste ; je pense plutôt que Baranès se sert de « Libération » pour pouvoir infiltrer le Parti !

- Très bien, continuez d’exploiter cette piste ! D’autre part, nous avons la confirmation que le Parquet nous confie, dans un premier temps, le dossier de votre ex-femme ! Elle doit nous être présentée, jeudi prochain à 14 heures !

- De mon côté, j’ai pris rendez-vous pour cet après-midi avec un avocat.

Le cabinet de Maître Jean Daniel Richard se situe rue de Vaugirard, non loin du domicile de Pierre Malet. L’ancien Commandant n’a pas trop changé depuis huit ans. Si les traits de son visage se sont un peu creusés, sa frêle silhouette et sa moustache en guidon de vélo, font toujours penser à un ancien Major de l’Armée des Indes !

- Dites-moi Commissaire, toujours amateur « de vieux Malte » ? et avant que Pierre ne réponde, l’avocat sort deux verres et une carafe de whisky.

- Oui, mais alors léger ! Juste un « baby » en digestif !

- Dites-moi quel bon vent vous amène ?

- En Indochine, les Vietnamiens diraient un mauvais « vent du Laos » ! A son arrivée en France, mon ex-femme Mathilde vient d’être arrêtée, au motif « Intelligence avec l’ennemi » ! Situation parfaitement ridicule : Mathilde s’est contentée depuis ces dernières années de soigner uniquement des malades et des blessés ! Certes, la plupart d’entre eux étaient Vietminhs, mais il n’y a pas matière à l’accuser d’espionnage, ou de tout autre chose !

- Très bien, qu’avons-nous pour étayer ces affirmations !

Malet ouvre un porte documents dont il extrait une chemise en carton.

- Je vous ai préparé le document suivant : en avril 1950, Mathilde a permis de neutraliser deux dangereux espions, ennemis de la France, Van Tran et Chen Zhang !

(Voir Les Nuits de l’éventreur)

.

Me Richard examine le texte, puis relève la tête avec un petit sourire satisfait.

- Effectivement, il s’agit d’un élément capital ! Où se trouve actuellement Mathilde ?

- À la prison Saint-Lazare !

- Très bien ! j’accepte sa défense et pour les honoraires, nous verrons plus tard ! Qui est en charge de l’enquête ?

- Vous n’allez pas me croire … pour l’instant, la DST !

- Ce n’est pas vraiment un problème, à part peut-être pour vous ?

- Croyez-vous que, malgré tout, je puisse la rencontrer ?

- Vous êtes Commissaire de Police, Officier Supérieur de réserve, je ne vois pas qui pourrait s’y opposer ! Toutefois, ne bougez pas avant demain après-midi : d’ici là, je serai déjà intervenu !

Mercredi 22 septembre.

En attendant d’aller à la prison Saint Lazare, le Commissaire, vêtu de son uniforme de réserve, compulse les documents mis à sa disposition sur l’affaire des écoutes. Comme cela devient une habitude, Wybot fait irruption dans son bureau et lâche un trait d’humour.

- Tiens ? drôle de tenue, pour un Commissaire de la DST ! Nous ne sommes pourtant pas Mardi gras ?

- Je dois me rendre à la prison Saint Lazare dans l’après-midi … Les gardiens sont toujours friands d’uniforme, surtout lorsqu’ils comportent « quatre ficelles » et des barrettes de décoration !

- Avez-vous trouvé quelque chose de neuf ?

- Je me pose surtout des questions concernant les dernières fuites sur la CED

(Communauté Européenne de Défense)

 ! Le Parlement français a refusé de ratifier l’accord, il y a moins de trois semaines et je me demandais s’il pouvait exister un rapport ?

- Directement, sûrement pas ! La Chambre des Députés avait déjà repoussé le traité, avant la réunion ! Maintenant vous êtes parfaitement au courant des menaces que font peser les Américains et les Britanniques sur la possibilité d’autoriser la RFA de posséder sa propre armée : le réarmement de l’Allemagne de l’Ouest, pour certains, représente toujours une menace !

- Je veux bien, mais Moscou reste bien silencieux ! Ni la CED, ni une armée en RFA, n’arrangeraient les petits papiers des Russes ! De là à penser « que l’indicateur de la commission » renseigne l’Union Soviétique, il n’y a pas loin !

- Possible ! Une hypothèse de plus à creuser !

Le Commissaire se présente en début d’après-midi au 107 rue du Faubourg Saint Denis. Extérieurement, l’immense bâtisse ressemble plus à un bâtiment administratif qu’à une prison. Un groupe de personnes patiente sur le trottoir, attendant visiblement un accès « au parloir ». Pierre grille la file sous les regards réprobateurs et les murmures dans les rangs d’attente. Il s’adresse au planton et lui montre sa carte de Police :

- Bonjour, Commandant Fixin Malet, Commissaire à la DST, pourrais-je m’entretenir avec le Directeur ?

- Certainement mon Commandant, je vous fais accompagner par le concierge !

- Ah le prestige de l’uniforme ! pense Pierre en lui-même.

L’aspect intérieur de la prison n’a rien à voir avec l’extérieur. Les deux hommes avancent sur des pavés disjoints. Les murs austères, sinistres et lugubres, aux façades parfois fissurées, suintent d’humidité. Pierre s’en inquiète :

- Dites-moi, vous n’avez pas peur de l’effondrement de certaines parties ?

Le concierge esquisse un pâle sourire et lui fait un historique du bâtiment.

- Vous savez Commandant, les premières constructions datent du VII° siècle, elles avaient été érigées pour en faire une léproserie ! Au fil du temps le lieu est devenu une prison, Beaumarchais y fut même enfermé quelques jours. Puis, au 19e siècle, l’endroit a été transformé uniquement en prison pour femmes ! Le tout servant d’Internement administratif et d’Hôpital pour les prostitués atteintes de la syphilis. Des travaux ont bien été entrepris dans les années 30 ! Mais, depuis la guerre, les politiques s’interrogent : la rénover ? la détruire ?

Après cinq minutes de marche, ils arrivent dans le bureau du Directeur.

L’homme, bien mis, costume prince de Galles, régate club et pochette assortie, tranche avec les tenues du personnel.

- Bonjour Commissaire, vous souhaitiez me rencontrer ?

- Effectivement, Monsieur le Directeur ! Vous détenez depuis lundi, une prévenue répondant au nom de Mathilde Seigneur ! Aurais-je la possibilité de m’entretenir un instant avec elle ?

- Je ne comprends pas bien votre démarche, dans la mesure où elle doit être présentée demain à 14 heures, dans les locaux de la DST ?

- Je suis parfaitement au courant. Mais avant l’interrogatoire de Madame Seigneur, il nous est nécessaire d’éclairer un ou deux points, de manière un peu plus informelle !

Le Directeur prend un fume-cigarettes et, avec un petit sourire ironique :

- Savez-vous que ce lieu a détenu Mata Hari ? C’est en quelque sorte, notre deuxième espionne !

- Non, pour Mata Hari, je n’étais pas au courant ! Mais je pense qu’il est bon de relativiser concernant Mathilde Seigneur !

- Très bien, ; je fais amener la prévenue dans le deuxième parloir, celui réservé aux avocats, vous serez plus tranquilles.

Pierre traverse alors un dédale de couloirs. Un mince corridor délimité par des grilles, sépare deux salles : il croit reconnaître le parloir. Puis, le gardien l’introduit dans une pièce hermétiquement fermée, malodorante d’humidité et de transpiration. Mathilde amaigrie, les traits tirés, le regard vide, assise sur une chaise est accoudée à une table ; il voit son visage juste éclairé par une simple lampe, dont le fil torsadé pend du plafond.

- Bonjour Mathilde, comment es-tu traitée ?

- Je n’ai pas à me plaindre, je suis dans « une pistole » !

Pierre hausse les sourcils.

- Une pistole, c’est-à-dire ?

- Mise à l’isolement, dans une cellule individuelle !

- Cette prison n’est que crasse et pourriture immonde ! Il faut absolument que je te fasse sortir de ce cloaque !

- Tu sais, j’ai parfois connu bien pire en Indochine !

- As-tu rencontré, Maître Richard ?

- Oui. Je te remercie d’avoir fait le nécessaire ! Il s’est montré plutôt optimiste pour la suite de mon dossier !

- Mathilde, il y a une chose que je ne comprends pas : pourquoi es-tu revenue en France, sans chercher à me prévenir ?

- Parce que je suis persuadée que tu m’aurais dissuadée ! Il faut comprendre que tout a changé à Hanoï et dans tout le Vietnam ! Les Français sont traqués, sans parler « des Baodaïstes » !

(Littéralement, les Vietnamiens proches de l’empereur Bao Daï, ayant collaboré avec les Français)

Je suis très inquiète pour mon frère, ma belle-soeur et leurs enfants ! A propos, comment va notre petite Marie ?

- Elle va très bien : elle vient d’effectuer sa rentrée en 5e, avec un an d’avance !

- Crois-tu que je pourrai la rencontrer prochainement ?

- Tu peux comprendre que, pour l’instant, ce n’est pas d’actualité ! Si je peux te donner un seul conseil, c’est de te tenir à carreau !

- Ne t’inquiète pas, je n’ai pas l’intention de me retrouver à « la ménagerie » !

- De quoi parles-tu ?

- Il s’agit de cachots empilés les uns sur les autres ! A l’origine, l’endroit était réservé aux enfants ! On ne peut pas s’y tenir debout, ni même couché ! les seules positions possibles, sont assis ou recroquevillé en boule !

(Historique)

.

- C’est pire que tout ! Bon je vais devoir te laisser, nous aurons peut-être l’occasion de nous croiser demain à la DST !

Malet rejoint son domicile, la tête embrumée de questions. Frida ne manque pas de l’interroger dès son retour :

- As-tu pu voir Mathilde ?

Pierre attend que les enfants soient dans leurs chambres pour lui répondre.

- Oui, ses conditions d’incarcération sont épouvantables ! La prison Saint Lazare n’est pas loin de ressembler à un camp de concentration !

- Mais son avocat devrait être capable de la faire libérer rapidement, non ?

Pierre semble moins affirmatif.

- Sans doute ! Mais par la suite, d’autres problèmes vont se poser !

- Ah bon ? lesquels ?

- Je me demande après sa libération, quels seront ses projets pour son avenir personnel et ses intentions vis-à-vis de Marie ?

- Tu penses qu’elle pourrait demander un droit de visite, voire une garde partagée ?

- C’est possible. Mais je suis plus inquiet sur la manière dont va réagir Marie ? Il va falloir à un moment ou à un autre aborder le sujet avec elle !

Frida se blottit contre son chéri.

- Rien ne presse ! Il sera toujours temps de préparer Marie, le jour ou Mathilde sortira de prison !

Chapitre 3 : Mathilde, la fille maudite !

Jeudi 23 septembre.

Wybot de bonne humeur, se tourne vers Malet :

- Pierre, même si vous ne pouvez pas assister physiquement à l’interrogatoire de votre ex-femme, vous aurez la possibilité de le suivre derrière la vitre !

- Très bien, je vous remercie !

- Autre chose, je viens de m’entretenir avec Pierre Bertaux* (

Directeur Général de la Sûreté Nationale)