Nom de code Grenelle - Bruno Guadagnini - E-Book

Nom de code Grenelle E-Book

Bruno Guadagnini

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Beschreibung

Après "Les sacrifiés de l'an 40" Bruno Guadagnini, publie la suite des aventures de Pierre Malet, allant de la période de juillet 1940 à novembre 1942, date de l'envahissement de la "zone libre" par les allemands. L'auteur, comme à son habitude, s'efforce de coller à l'actualité du moment, pour davantage confondre le lecteur entre fiction et réalité, afin de le mener au bout du suspens.

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Seitenzahl: 339

Veröffentlichungsjahr: 2022

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TABLE DES MATIERES

Introduction :

Chapitre 1 : La vie continue.

Chapitre 2 : L’heure du choix.

Chapitre 3 : Ici Londres !

Chapitre 4 : Plus dure sera la chute.

Chapitre 5 : Mathilde m’est revenue.

Chapitre 6 : Cure thermale à Vichy.

Chapitre 7 : Les écoutes jouent à cache-cache.

Chapitre 8 : La trahison de Georges Marty.

Chapitre 9 : Résistance dans la collaboration.

Chapitre 10 : Passage en zone libre.

Chapitre 11 : Jeu de rôles.

Chapitre 12 : Dans les griffes de la Gestapo

Chapitre 13 : « Beauharnais », nid d’espions.

Chapitre 14 : Le Fantôme de l’Opéra.

Chapitre 15 : L’étau se resserre.

Chapitre 16 : Opération Rutter.

Chapitre 17 : Vichy, douche le 2

e

bureau.

Chapitre 18 : La Rafle.

Chapitre 19 : De Rutter à Jubilee

Epilogue : Sauve qui peut !

INTRODUCTION

(Résumé du premier tome « Les sacrifiés de l’an 40 »)

Août 1939, Pierre Malet, ce jeune homme doté d’une mémoire phénoménale, sportif accompli, joueur de rugby, coureur de 400 m, promis sous l’impulsion de sa sœur Jacqueline, au plus grand avenir dans la médecine, voit sa vie basculer avec le déclenchement de la seconde guerre mondiale. De la faculté de médecine, il décide de s’engager, pour sauver des vies dans l’armée. Le destin en décide autrement, il se retrouve télégraphiste au service du « Chiffre ».

Après une formation à Montargis et une mutation au 147e RIF à Sedan, il rencontre l’amour de Monique Marcy, avant que l’invasion allemande ne les sépare. Pendant la débâcle, il perd ses quatre plus proches compagnons et se voit condamner à un lit d’hôpital pendant de longues semaines. Pierre, avec tous les sacrifices consentis ne peut accepter l’armistice du 21 juin 1940, demandé par le Maréchal Pétain…

Comme dans l’ouvrage précédent, afin d’éviter toute ambiguïté, sur des propos ou des situations imaginaires, les personnes physiques décrites dans ce roman ayant vécu ces événements, sont marquées d’un *.

CHAPITRE 1 : LA VIE CONTINUE.

Après la signature de l’armistice le 22 juin 1940, dans la forêt de Retonde, le cessez-le-feu devient effectif, le 25 juin. Jacqueline et moi finissons le mois à l’hôpital Bethléem de Compiègne. Puis ma sœur retrouve son établissement d’origine début juillet à Argenteuil, pendant que j’entame ma convalescence dans le pavillon de mes parents à Colombes.

La confusion règne en ce début d’été et je me rends rapidement à la Gendarmerie du secteur pour donner des nouvelles du « Sergent Malet ». Le Maréchal des Logis de permanence qui me reçoit, m’indique qu’il ne peut rien pour moi. Néanmoins, il tape consciencieusement un rapport à la machine, avant de griffonner un pli à l’attention de la Kommandantur de Saint Germain en Laye. Pour finir, il me demande de m’y rendre le plus rapidement possible.

N’’ayant pas l’habitude de discuter les ordres et encore moins dans cette période trouble, j’emprunte un véhicule au garage de mon père, pour me rendre le 15 juillet, au pavillon Joffre de Chabrignac, réquisitionné depuis peu par l’armée allemande. Pour l’occasion, je considère qu’il vaut mieux faire pitié qu’envie et je me trimbale avec ma béquille, en prenant soin d'être vêtu en civil, pour plus de discrétion.

L’Haupfeldwebel (Sergent-Chef), qui me reçoit, parle un excellent français. Après avoir lu le pli du gendarme, il examine mon livret militaire, avec attention, sous toutes les coutures. Ensuite il me lance froidement : « Suivant les accords d’armistice, vous êtes en zone occupée, donc considéré comme prisonnier de guerre ! » Je reste sans voix devant sa réponse, que je prends comme un uppercut en plein visage. Puis plus détendu il reprend : « Ne vous faites pas de souci, je ne pense pas que dans votre état, il soit nécessaire d’encombrer un peu plus les stalags ! » Il rédige une sorte d’ausweis, qu’il tamponne des deux côtés, me le tend et me recommande de ne pas m’absenter de mon domicile, sans prévenir la gendarmerie.

Sous l’effet de surprise, je ne sais même plus si j’ai pris le temps de le remercier. Je me dis que je suis un sacré veinard. Pensez donc, dans mes papiers tout indiquait que je faisais partie des transmissions et du « chiffre », il pouvait parfaitement me faire incarcérer pour un interrogatoire plus poussé. Sans doute le fait que je me sois présenté, diminué et spontanément, a joué en ma faveur. Je ne présente plus à ses yeux, sans doute, un quelconque danger pour le Reich.

De retour à Colombes, je fais part de ma satisfaction et de mon soulagement à ma famille. Mon père me conforte, en prétendant que mon ordre de démobilisation ne devrait pas tarder. Il me propose de venir l’aider au garage pour la partie administrative et comptable. Sans emploi et dans une situation physique encore précaire, je lui donne mon accord avec enthousiasme.

Dans les jours suivants outre mon nouveau travail, je me rends régulièrement à l’hôpital d’Argenteuil, pour continuer la rééducation de ma jambe. Je n’ai plus besoin de béquille néanmoins je traîne encore fortement la patte. Il n’est pas question pour moi de reprendre le footing et j’avoue que l’absence d’activité physique me manque.

Je suis surpris de l’animation au garage. Les particuliers ne donnent pas beaucoup de travail, la plupart de leurs véhicules ont été réquisitionnés. Néanmoins nous retrouvons à l’atelier voitures et camions de l’administration et même de l’occupant ! Un comble, je travaille aujourd’hui indirectement pour le régime du Maréchal Pétain et pour les allemands que je combattais, un mois avant.

Tout cela me met mal à l’aise. Lorsque je m’en ouvre à mon père, lui l’ancien combattant de la grande guerre, hausse les épaules et me fait remarquer, que nous n’avons pas le choix pour vivre. Finalement, François Malet, le militant S.F.I.O prêt à pourfendre, les atteintes aux libertés, rentre dans le rang. Fin de nos passes d’armes pendant les repas au grand soulagement de « Maman Greta ».

Côté vie privée, le temps n’est plus au beau fixe. Ma sœur Jacqueline, vient d’apprendre que Marcel, son fiancé est incarcéré au stalag X II-D à Trèves, parmi ses compagnons de captivité figure Jean Paul Sartre. Avec Monique, j’ai parfois l’impression que nous formons déjà un vieux couple. Les passions des semaines sedanaises, se sont éteintes. Toutes les qualités que je lui trouvais, ses prises d’initiatives, son exubérance, finissent par se retourner contre elle. À contrario, Jacqueline et Monique se rapprochent de plus en plus, la rivalité du début de leur relation a disparu. Mademoiselle Marcy, vient d’obtenir sa mutation à Crépy en Valois, pour la rentrée scolaire de Septembre. Faute d’avoir pu trouver un appartement, elle vit toujours chez son oncle, alors que ses parents sont retournés sur Sedan. Avec tous ces changements, je n’ai pas oublié Mathilde Seigneur, l’infirmière de mes premiers soins à Reims. Nous échangeons une correspondance fournie et régulière. Son fiancé a été tué sur la Somme mi-juin, sans sa collègue antillaise Marie Thérèse, elle sombrait dans la dépression. Mathilde, ne manque pas de me rappeler que je lui dois toujours un repas.

J’ai cherché également à entrer en contact avec la famille de mes compagnons disparus. Impossible pour Julien « alias jus de pomme », issu de l’assistance il n’avait pas de famille.

Pour René « Le Dogue », trouver une adresse sur Saïgon relève d’une mission impossible. Par contre, je n’ai eu aucune difficulté pour joindre dans les Vosges Nicole, l’épouse de François « le Bûcheron », ainsi que les parents de Fabrizio « le Rital » sur Nice. Ils m’en sont tous reconnaissants, néanmoins je ne peux toujours pas me disculper de la disparition de mes amis.

En politique les changements sont aussi d’actualité. Bordeaux se trouvant en zone occupée, le gouvernement toujours sous la houlette du « Maréchal » a déménagé à l’hôtel du Parc à Vichy depuis le 1er juillet. Pierre Laval, banni par les radicaux en juin 1936, fait un retour en grâce comme numéro 2 du régime. Son entente avec Pétain laisse dubitatif. Les surnoms ne manquent pas : « Le Louis XI de grande banlieue », plus déplaisant encore le « maquignon de Châteldon », pour Léon Blum. Ex paria de la SFIO, Laval reste avec Paul Faure, la cible préférée de mon père. Curieusement aucun commentaire, ne sort de sa bouche depuis sa nomination. Dans cette atmosphère, un consensus semble se faire autour du Maréchal. L’attaque qui s’en suit de la flotte française par les anglais à Mers-el-Kébir, donne un peu plus de crédibilité au mouvement britannique, tuant de fait l’alliance franco-anglaise. Le 10 juillet, l’Assemblée Nationale donne les pleins pouvoirs à Philippe Pétain.

Une semaine s’est écoulée depuis ma première visite à la Kommandantur, quand je reçois une convocation à m’y rendre une deuxième fois. Jacqueline se veut rassurante. Elle me fait remarquer avec justesse, qu’ils auraient pu venir m’arrêter au garage, ou au domicile de nos parents avec deux gendarmes, sans plus de précaution.

Je suis reçu par le « Leutnant Müller », un officier de l’Ahbwer. La logique s’en trouve respectée, le contre-espionnage s’occupe d'un sous-officier de renseignement. L’homme, qui parle le français avec un fort accent prononcé, se montre particulièrement courtois :

- Sergent Malet, fous fous troufiez à Sedan le 10 mai dernier avec le 147e RIF ?

- Oui mon Lieutenant !

- Quels types de renseignements, afez fous traités ? Je marque un temps d’hésitation, puis décide de le jouer sur le ton de la plaisanterie.

- Vous savez mon Lieutenant tout en reculant rapidement devant la progression de votre armée, il m’était difficile de faire deux choses en même temps. D’autant que la 55e D.I, dans son repli stratégique de Fond Dagot a détruit les codes de chiffrage (historique). L’officier, baisse la tête pour essayer de garder son sérieux, j’ai trouvé le ton juste.

- Je fois ! Dans votre dossier ficure une plessure, dans la région de l’Arconne ?

- Rassurez-vous mon lieutenant, vos troupes n’y sont pour rien, avec mes hommes, nous avons probablement sauté sur une mine égarée par l’armée française ! Cette fois Müller ne se contient plus et pouffe sans retenue.

- Ach, si les guerres ze cagnaient à l’humour, vous les franzais, vous seriez impatables ! Sur cet entre fait, un soldat entre dans le bureau et vient parler à l’oreille de Müller.

- Auf gut ! (Ah bon !), l’officier réagit à l’intervention de son interlocuteur.

- Sergent Pierre Malet vous êtes pien le fils de François Malet, caragiste à Bois-Colombes ? Je ne vois pas où il veut en venir.

- Tout à fait mon Lieutenant !

- Fous foyez, nos services sont parfaitement renseignés ! Le carage entretient une partie de nos féhicules !

Bien que je ne comprenne pas grand-chose de l’allemand, je crois deviner qu’il se montre satisfait de notre discussion et qu’il va bientôt y mettre un terme. Il griffonne quelques mots sur une feuille de papier et la tend à son subordonné.

- Bitte tippen sie dieses dokument ein und leiten sie an die Gendarmerie von Colombes weiter ! (Veuillez taper ce document et le transmettre à la Gendarmerie de Colombes !)

- Ja Herr Leutenant ! Müller me fait ensuite un second Ausweis, tout aussi tamponné que le premier.

- Foilà Sergent, vous devriez recevoir votre ordre de démopilisation prochainement ! Il me raccompagne à la porte de son bureau.

- Ce fut un plaisir pour moi Herr Malet !

- Pour moi aussi lieutenant Müller ! En partant je ne peux m’empêcher de penser, tout ça pour ça ! Il suffit d’entretenir quelques véhicules de l’armée allemande, pour ne plus passer pour suspect.

Si pour l’instant l’occupation allemande semble bien paisible, il n’en n’est pas de même des premières mesures prises par Vichy. Les communications faites au journal officiel, commencent toujours par la même formule :

« Nous, Philippe Pétain maréchal de France, Chef d’État français, le Conseil des ministres entendu, décrétons… » Les décisions les plus expéditives, concernent les juifs avec une déchéance de la nationalité française et la confiscation des biens des personnes ayant quitté la France depuis le 10 mai dernier. Dans l’esprit du vieux Maréchal, il s’agit probablement d’une interprétation martelée par son gouvernement : « Travail, Famille, Patrie ».

Je suis invité pour le week-end à venir à Crépy en Valois par l’oncle et la tante de Monique. Faute d’avoir pu faire connaissance de ses parents, je vais pouvoir découvrir au moins une partie de sa famille. L’avantage avec le garage c’est que je bénéficie de certains passe-droits. Je peux me procurer un véhicule facilement pour me déplacer et l’approvisionnement de nos cuves de carburant, ne présente pour l’instant aucun problème, compte tenu des relations qu’entretient mon père avec l’occupant.

Pour ne pas arriver les mains vides j’ai naturellement acheté des fleurs et j’apporte une bouteille d’un grand cru de Saint Emilion, un Château Cheval Blanc de 1936. Pour la provenance, je n’ai pas demandé d’explication à mon père, il récupère de temps en temps ce genre de denrée via l’occupant.

En arrivant sur place, je suis atterré par le spectacle de désolation qu’offre la ville. De nombreuses habitations, partant de la « porte de Paris » et débouchant sur le centre-ville sont partiellement détruites, par les combats de la mi-juin. J’apprends que la bijouterie de l’oncle de Monique, a été pulvérisée par des obus. L’habitation principale en périphérie n’a subi aucun dégât, néanmoins je ne peux m’empêcher d’avoir une peur rétrospective et je m’en ouvre auprès de « Moma » :

- Pourquoi tu ne m’en as pas parlé ? Vous n’avez pas cherché à fuir ? Son visage affiche la douleur.

- Mais enfin Pierre, pendant ce temps tu souffrais sur ton lit d’hôpital ! Et puis fuir, nous n’avions aucun endroit où partir ! Pour toute réponse, je me contente de la serrer dans mes bras.

La famille Marcy se montre particulièrement agréable avec moi, même si la table reste frugale compte tenu des restrictions, le tonton apprécie particulièrement le Bordeaux. L’après-midi, nous arpentons avec « Moma » les rues de Crépy, comme nous le faisions moins de trois mois plus tôt à Sedan. Je découvre ces ruelles anciennes, l’imposante ceinture de remparts, dans laquelle se fond le prieuré de l’Abbaye Saint-Arnould. Devant la collégiale Saint Thomas de Canterbury, Monique me précise que les mutilations de l’édifice, n’ont rien à voir avec les événements récents, mais datent du 19e siècle.

Nous finissons notre journée par le Château de Geresme, qui nous ramène à la triste réalité du moment. Son accès et les vingt et un hectares de son parc, sont interdits, squattés par l’occupant. La promenade m’a fatigué, ma jambe me rappelle à son bon souvenir.

Le lit que nous partageons le soir, me fait penser étrangement à celui de l’appartement de Monique à Sedan. Pas plus de 120 centimètres de large, facilitant les contacts. Entre deux câlins, « Moma », ne peut pas s’empêcher de parler.

- Pierrot comment vois-tu notre avenir ? La question me désarme, en fait je ne me vois pas finir mes jours avec Monique.

- Avec la guerre ? comment veux-tu faire des projets d’avenir ?

- En tout cas, je suis bien contente d’avoir obtenu ma mutation à l’école Sainte Marie, nous pourrons nous voir régulièrement le week-end ! Si j’ai botté, une première fois en touche, je suis partagé et je n’ai pas envie de rompre.

- Bien sûr mon cœur, je te propose de commencer dès le weekend prochain, tu viens à Colombes, mes parents et Jacqueline seront enchantés de te voir. Je sais vous allez trouver mon attitude pas très fair-play, mais que voulez-vous je ne suis qu’un homme, avec ses doutes, ses incertitudes sur ses propres sentiments.

Je n’espère qu’une chose, que le recul du temps me permette de voir un peu plus clair dans mon esprit et mes pensées. En rentrant le dimanche sur Colombes, je me fais arrêter deux fois. Une première fois à Compiègne par la police, une seconde fois sur Pontoise par la Feldgendarmerie. Dans les deux cas, mon précieux Ausweis, me permet de me libérer rapidement.

Le week-end suivant ne ressemble en rien au précédent. Jacqueline et Monique sont tellement contentes de se retrouver qu’elles n’arrêtent pas de papoter entre elles. Finalement je passe au second plan. Les repas n’ont également rien à voir, entre les combines du garage et le marché noir qui se met en place, la table se montre plutôt bien garnie. L’alimentation devient bientôt le principal sujet de discussion et de polémique. Ma sœur ouvre le feu :

- Avant-guerre, les repas à l’hôpital n’étaient déjà pas terribles, aujourd’hui la nourriture que nous distribuons n’est pas faite pour remettre les malades sur pied ! Monique abonde dans son sens.

- Beaucoup trop de gens ne trouvent plus de quoi s’alimenter, c’est pire dans les grandes villes que dans les campagnes ! Mon père cherche à se défendre.

- Écoutez les filles ce n’est pas parce qu’un certain nombre de personnes, n’ont rien à manger, que nous devons nous abstenir par solidarité ! Puis invariablement le débat bascule sur la politique du moment.

Un certain nombre de responsables de Vichy, Pierre Laval en premier rendent coupable le gouvernement de Paul Reynaud, d’avoir plongé la France dans la guerre et le chaos. Des paroles aux actes, le 8 août, soit 48 heures plus tôt, Edouard Daladier, Léon Blum, Georges Mandel et Général Gamelin ont été arrêtés. Papa n’a pas un mot pour Blum, pendant que Maman pour une fois intervient :

- Et toi Pierre, tu ne dis rien, tu es pourtant le mieux placé pour en parler.

- Écoutez, qu’un certain nombre de politiques français se soient fourvoyés et que notre état-major ait manqué de discernement, avec une armée mal préparée ne fait plus de doute. Mais je suis sûr d’une chose, l’Allemagne voulait en découdre et la guerre aujourd’hui ou demain devenait inévitable. Maintenant si vous me demandez, comment nous allons pouvoir nous en sortir, je n’ai pour l’instant pas la bonne solution, et je ne suis pas sûr que Vichy puisse la trouver… Ma dernière phrase apaise la discussion, pendant quelques instants nous entendons une mouche voler. « Maman Greta », trouve une échappatoire, en parlant de la pluie et du beau temps.

Pour m'être agréable, Jacqueline, propose que nous nous rendions le dimanche au stade Yves du Manoir, pour un match de rugby de bienfaisance entre la Croix Rouge et les juniors du Racing. Monique, avec « son chauvinisme sportif » se montre enthousiaste. Jean Borotra, « le basque bondissant », ancien vainqueur de la coupe Davies, fraîchement nommé « Commissaire Général à l’Éducation Sportive », par Abel Bonard, Ministre de l’Éducation, doit donner le coup d’envoi. Je croise dans les coursives plusieurs personnalités, du temps de mes beaux jours au stade. Alors que nous avons des places dans la « tribune Marathon », je croise André Dehaye* (Président du Racing) :

- Salut Malet, le terrain vous manque ?

- Sans aucun doute Président, malheureusement, une vieille blessure m’empêche de rejoindre la pelouse ! André, peut être sous le charme des filles, nous invite à le rejoindre dans la tribune présidentielle.

Le match d’une piètre qualité, ne me passionne guère. Monique entre deux discussions de chiffons avec Jacqueline manifeste bruyamment son exubérance « Pierrot dommage que tu ne sois pas au cœur de la mêlée ! » Elle supporte mon club de cœur, pendant que ma sœur, corporatisme oblige, donne sa préférence à la Croix Rouge. Faute de voir du beau jeu, je me concentre sur les journalistes. Borotra, se livre à une véritable entreprise de communication, prônant le sport et la jeunesse comme l’avenir de la France, tout en soulignant l’intérêt du Maréchal pour ce type de rencontre.

J’ai passé une meilleure après-midi, à écouter le petit jeu politique, qu’à regarder le match. Pour la petite histoire le Racing l’emporte péniblement 9 à 6, par la grâce de son buteur. Finalement les filles, ont passé un excellent moment ensemble, dans un week-end où j’étais seulement présent…dans le décor.

Au garage, je trouve mes marques rapidement, sans toucher ni tournevis, ni clef anglaise. Le travail administratif entre la comptabilité, la facturation et surtout l’approvisionnement, m’accapare à 100%.

Trouver des pièces de rechanges auprès de fournisseurs traditionnels, plongés dans la difficulté, relève souvent du parcours du combattant. En général, mon père intervient en me disant : « Pierre tu t’y prends mal ! » Il me montre la voie à suivre, par un coup de téléphone à une personne haut placée de sa connaissance et souvent de nationalité allemande.

De temps à autres, je suis détaché, pour aller livrer où dépanner des véhicules de ces messieurs. Mon père insiste : « Pierre fais toi des relations, avec des personnes influentes, tu seras toujours payé en retour ! »

Bref toutes ses interventions, me mettent mal à l’aise et finissent par me saouler. Si le job ne me déplaît pas, je ne me vois pas travailler encore de longs mois dans ces conditions, que je trouve parfois malsaines. J’ai beau prendre le problème par n’importe quel bout, je suis dans l’impasse. D’un côté officiellement, je suis encore militaire, de l’autre si je dois quitter le garage, vers quelle activité dois-je me tourner ? Sans oublier que les offres d’emploi ne sont pas légion et sans occulter le risque de conflit familial à venir.

La deuxième semaine d’août, m’apporte un début de réponse. Je reçois par courrier, mon ordre de démobilisation, avec radiation des cadres de l’armée, le tout assorti d’un certificat de cessation de paiement effectif au 31 du mois en cours. Le document fait l’objet d’un double rédigé en allemand.

Je me rends compte que le processus n’a pas suivi la procédure habituelle, dans la mesure où je ne suis pas un appelé du contingent, mais un engagé volontaire qui possède un contrat de 24 mois. « L’arrangement », se fait sous la forme d’une invalidité de guerre pour ma blessure, au minimum envisageable de 10%. Mon expérience dans l’armée n’aura duré que 7 mois, néanmoins je ne vais pas me plaindre, c’est toujours mieux que de rejoindre un stalag en Allemagne.

J’ai ainsi un peu plus les mains libres, pour essayer de donner un autre sens à mon existence…

CHAPITRE 2 : À L’HEURE DU CHOIX.

Le mois, d’août file à une vitesse folle. La rentrée de septembre arrive, Monique reprend le chemin de l’école et nos rendez-vous deviennent moins fréquents. Le lundi 8 septembre, je reçois un étrange coup de téléphone au garage :

- Allô Sergent Malet ? Je marque un temps d’hésitation.

- J’ai été démobilisé, depuis moins d’un mois, je ne fais plus partie de l’armée ! Qui est à l’appareil ?

- Je ne peux pas vous le dire, vous vous souvenez que le téléphone représente un danger pour la confidentialité ! La voix m’est loin d’être inconnue et je fouille dans ma mémoire, pour essayer d’y mettre un nom.

- Que me voulez-vous ?

- Je souhaiterais que nous rencontrions rapidement, j’ai une proposition à vous faire, qui devrait vous intéresser ! Pris de court, j’avoue que je réponds, sans réfléchir.

- Très bien, à quel moment et à quel endroit ? Mon ton ferme, montre que je n’ai pas l’intention de me défiler.

- Disons, jeudi à 11 heures près de la statue du dieu Pan au parc des Buttes- Chaumont ! Est-ce que cela vous convient ?

- Je vais m’organiser en conséquence, comment vais-je pouvoir vous reconnaître ?

- Ne vous inquiétez Pierre, moi je vous reconnaîtrai ! Bonne journée à Jeudi !

Je n’ai pas le temps de rajouter un mot qu’il a déjà raccroché. N’ayant toujours pas reconnu cette voix qui me semble pourtant familière, j’essaye de rassembler le puzzle de notre conversation pour pouvoir l’identifier. La personne connaît mon nom, mon prénom et mon grade dans l’armée. Je pense tout d’abord qu’il s’agit d’un militaire. De plus, il parle de confidentialité au téléphone, comme quelqu’un faisant partie des transmissions et du « chiffre » en particulier. Soudain un nom me vient à l’esprit, le Lieutenant Duval, mon officier instructeur au centre de formation de Montargis.

Plus je réfléchis, moins j’ai de doutes, que peut-il me vouloir ? S’il s’agissait d’un simple rendez-vous de courtoisie, il aurait pris moins de précautions. D’autant que Duval n’est pas du style joueur, je me remémore le courrier que m’avait envoyé Jacqueline avec l’enveloppe cryptographiée et le savon que je m’étais fait passer à la suite. (Voir premier tome « les sacrifiés de l’an 40 »).

Retrouvant mes vieux réflexes de l’armée, je reste d’une discrétion absolue sur cet entretien, y compris au niveau de ma famille. Je me contente de dire à mon père de pas compter sur moi jeudi et que je prends ma journée : « Je vois tu profites du jour de repos de Monique, pour aller la rejoindre ? » pour toute réponse, je me contente d’un sourire : « Embrasse là pour moi ! »

De mon côté, je dois me montrer d’une prudence de sioux, si je m’étais trompé, s’il s’agissait d’un piège ? Mais pour quelle raison ? En tout état de cause, je ne suis pas décidé à renoncer maintenant.

Je fouille dans un tiroir pour récupérer mon pistolet MAS 35 d’ordonnance. À la réflexion, je finis par le reposer, en cas de contrôle et de fouille, je ne vois pas comment me justifier.

Soyons patient, il ne reste que 48 heures avant d’être fixé…

Jeudi 12 septembre, c’est l’été indien sur Paris. Il est 11 heures, je suis seul à contempler la statue du dieu Pan, que je trouve particulièrement hideuse. Est-ce que je me suis fait poser un lapin ? Dix minutes s'écoulent quand soudain j’entends une voix dans mon dos :

- Bel objet ne trouvez-vous pas Monsieur Malet ? Je me retourne, il s’agit bien du Lieutenant Maurice Duval en civil.

- Bonjour mon lieutenant, je suppose que vous ne m’avez pas fait venir pour me parler sculpture ?

- Pas uniquement Pierre, effectivement ! Faisons quelques pas voulez-vous, ensuite, je vous invite au restaurant ! Pour en finir avec le dieu Pan elle est l’œuvre du sculpteur grec Fanis Sakkelariou et a été offerte à la ville de Paris. Depuis début juillet il n’y a plus de lieutenant Duval, mais le capitaine Duval affecté au 2e bureau.

- Je vois finalement, vous êtes passé de l’instruction au renseignement proprement dit !

- On peut voir les choses de cette manière ! Entre temps j’ai combattu tout de même sur la Somme avec une partie du 38e R.G et j’ai échappé à la captivité en me sauvant en moto.

- Mais vous, parlez-moi de vous, je suppose que sur Sedan, ça ne devait pas être une partie de plaisir ? j’ai beaucoup pensé à vous et au drame dans lequel vous étiez plongé !

Je lui fais un topo détaillé de mon expérience sedanaise, avec dans un premier temps, mon rôle de formateur radio et au « chiffre ». Puis, j’évoque la débâcle à partir du 12 mai, pour finir avec notre voiture radio sautant sur une mine. Je lui fais comprendre, que l’armistice me laisse un goût particulièrement amer et que j’en veux à Philippe Pétain.

Nous sommes déjà sortis, du parc des Buttes - Chaumont depuis un petit moment et nous nous dirigeons vers un bistrot discret, ne payant pas de mine.

Nous pénétrons dans le restaurant déjà grandement occupé, au bar un homme fait un signe de la tête à Duval sans dire un mot. Le capitaine lui répond par le même signe, nous traversons la salle pour pénétrer dans une petite arrière-cour. Une minuscule table ronde dont le couvert a été dressé pour deux, nous attend. « Asseyons-nous ici dit Duval, loin des oreilles indiscrètes ». Puis il enchaîne :

- Vous savez à Vichy, rien n’est ni tout blanc, ni tout noir ! En apparence, le gouvernement mis en place, n’est plus en conflit avec les vainqueurs. L’armistice signé par le Maréchal Pétain va dans ce sens, sauf que le vainqueur de Verdun, veut toujours préserver ses compatriotes de l’oppression allemande. « Les vassaux », Pierre Laval et l’Amiral Darlan, vont aussi dans ce sens, toutefois les moyens pour y parvenir diffèrent entre eux ! Duval s’interrompt quand le serveur nous apporte des crudités, sans que nous n’ayons rien commandé. Il revient avec une corbeille de pain et une carafe de vin. Une fois éloigné, le capitaine reprend :

- Laval est convaincu que l’Allemagne va gagner la guerre et que la France doit « prendre sa place dans un ordre nouveau ». Darlan lui est plus subtil et plus à géométrie variable. Il pense qu’il faut ménager l’Allemagne en attendant que les choses tournent mal pour le Reich.

- Enfin Pétain, quant à lui déteste le « boche », il exècre également la 3e République et son système qui selon lui, a conduit la France à la catastrophe. Il bâtit « son ordre nouveau ». Laval et Darlan, ont au moins un point commun, ils abhorrent les anglais, alors que Pétain souhaite garder un contact avec ses anciens alliés. Au milieu de ces contradictions, le Général Charles Huntziger, responsable des 100 000 hommes encore sous les drapeaux, essaye de trouver sa place. Lui, est sincèrement convaincu qu’il y’a encore quelque chose à faire, pour renverser la situation ! Le serveur nous débarrasse de notre entrée et nous apporte un lapin en sauce. La discussion se poursuit.

- Le traité d’armistice a prévu la dissolution du 5e bureau (organisme chargé du renseignement) et la fin des Services Spéciaux. Le 2e bureau (contre-espionnage) existe toujours avec l’aval de l’occupant, afin d’éviter les complots contre Vichy et les allemands. Poussé par Maxime Weygand, le Colonel Louis Rivet*, dont je dépends a fondé à l’intérieur une cellule, le BMA (Bureau des Menées Antinationales) pour plus d’indépendance. Duval s’interrompt, une personne va aux toilettes au fond de la cours.

Quelques instants plus tard, il continue son exposé :

- Tant que les anglais tiendront, il nous reste un espoir. Churchill, vient de faire mettre en place une nouvelle organisation secrète le Spécial Opérations Executive (SOE) en complément du MI 6, avec lequel nous sommes en contact, ainsi qu’avec le Colonel Passy responsable du BCRA (Bureau Central de Renseignement et d’Action), André Dewavrin alias Passy est un des plus proches collaborateurs du Général de Gaulle. Duval, lit certainement une moue de scepticisme sur mon visage, du coup je reprends la parole :

- Écoutez mon capitaine, sauf votre respect, ça fait beaucoup d’informations en peu de temps pour ma petite tête. Je ne vois pas très bien où vous voulez en venir ? Nous sommes privés de dessert, néanmoins nous avons droit à deux cafés, enfin je suppose qu’il s’agit de café…ou simplement d’orge grillé !

- Pierre, je ne vais pas y aller par quatre chemins, à Montargis vous étiez mon meilleur élément, aujourd’hui je suis responsable de l’antenne du BMA que je dirige sur Paris, depuis la préfecture de police. Nous servons d’interaction entre Londres et Vichy, de plus nous avons des contacts réguliers avec l’Ahbwer.

- Notre structure est courte, je suis seul avec une secrétaire et j’ai absolument besoin d’un adjoint. Je pense que vous représentez parfaitement l’homme de la situation ! J’ai autant de mal à digérer la proposition que le repas. Duval, cherche un peu plus à me convaincre.

- Si vous acceptez la mission, j’ai prévu pour vous mettre en confiance, de vous faire faire un séjour de quelques semaines à Londres. Je ne vous demande pas une réponse instantanée, je comprends que tout cela demande une certaine réflexion ! Il sort un bout de papier sur lequel il griffonne.

- Voilà mon numéro téléphone, à la préfecture, j’attends votre appel, en souhaitant une réponse positive de votre part ! Dans ce cas, nous prendrons rendez-vous pour les modalités.

Mine de rien nous avons passé deux heures à table. Nous nous séparons d’une poignée de main ferme à la sortie du restaurant. Le sourire du capitaine, m’en dit long sur son optimisme en vue d’une future collaboration entre nous. De retour à Colombes par le Métro et le train, je ne manque pas de cogiter. Bien sûr au départ, rien ne me laissait présager une telle proposition. Duval s’est montré tour à tour rassurant et inquiétant sur la fonction qu’il me propose, mais comment pourrait-il en être autrement ? Le renseignement en temps de paix, n’est jamais de tout repos.

Alors en temps de guerre… j’imagine, les pressions, les petits jeux politiques à Vichy, à Londres, sans oublier l’occupant à Paris. Néanmoins je me refuse de laisser Duval dans l’incertitude, mon choix sera fait dimanche soir au plus tard.

De retour à la maison je suis assailli de questions par mes parents : « Monique allait-elle bien ? Sa rentrée scolaire s’est-elle bien passée ? Ses collègues sont-ils gentils avec elle ? etc…Seule curieusement, ma sœur ne pipe mot, comme si elle pressentait déjà quelque chose.

Je réembauche le vendredi au garage, sans motivation particulière. Je suis d’autant plus contrarié, que nous allons devoir travailler exceptionnellement le samedi. Ces Messieurs de la Wehrmacht, doivent absolument réceptionner des véhicules donnés à réviser lundi matin.

Je vais devoir quitter ma paperasse, pour me plonger les mains dans le cambouis. Mon père tout sourire, me dit que ce n’est pas bien grave : « Tu as déjà vu Monique Jeudi ! », bref mon week-end est fichu. Le dimanche, ma décision devient effective. Sur un ton ironique, je pense que quitte à travailler pour les allemands …autant le faire dans le cadre de la résistance à Londres ! Et puis je me dis que ma mobilisation précédente, me permet d’échapper aux « chantiers pour la jeunesse » de la classe 1920, mis en place pour remplacer le service militaire.

Lundi 15 septembre, j’appelle la préfecture de police :

- Mes respects mon capitaine, Pierre Malet, je vous appelle « pour notre projet de vacances », pourrions-nous nous rencontrer rapidement ?

- Naturellement, je vous propose demain matin à 10 heures à mon bureau !

- Parfait mon capitaine, à demain ! Suivant la consigne apprise précédemment, moins on en dit au téléphone, plus la discussion s’en trouve sécurisée.

Le soir, j’avertis mon père que je serai absent demain une partie de la journée, sans plus de précision. Je me pointe, comme convenu le lendemain, au 12 quai de Gesvres, où il faut montrer patte blanche. Un planton me demande ma carte d’identité, puis à l’accueil lorsque je m’annonce, le réceptionniste consulte un grand cahier où doit figurer l’heure de mon rendez-vous. Il passe ensuite un coup de téléphone. Une femme, la quarantaine bien tassée, sans élégance vestimentaire, se présente et m’accompagne ensuite au deuxième étage. Dans une pièce relativement spacieuse, le capitaine m’accueille :

- Ah Pierre, je vois que vous avez connaissance avec Bernadette, ma secrétaire ?

- Oui encore trop brièvement mon capitaine ! Il me fait asseoir, pendant que la secrétaire s’éclipse.

- Au fait je ne vous ai pas demandé, parlez-vous Anglais et Allemand ?

- En anglais je me débrouille et je suis capable de suivre une conversation, mais pour l’allemand, c’est « nein » !

- Bon ce n’est pas l’essentiel, nous verrons plus tard ! Il se lève et ouvre une porte.

- Bernadette nous sortons une petite heure, vous prendrez en note la liste des appels ! Une fois sorti du bâtiment, il se livre à quelques confidences :

- Je n’ai aucune confiance en cette Bernadette, j’aurai préféré choisir moi-même mon assistante, mais elle m’a été imposée par la préfecture de Police. Pas besoin de vous dire que je la soupçonne, de communiquer certaines informations. Nous marchons maintenant sur les quais de seine.

- Ici, nous sommes plus tranquilles ! Allons à l’essentiel, vous partez pour Londres par avion samedi prochain ! Je m’arrête de marcher sous l’effet de surprise.

- Comment ça, déjà ?

- Oui, j’avais anticipé votre réponse ! De plus, nous n’avons pas trop le choix, à cause de la météo et de la pleine lune favorable ! Sinon nous serions dans l’obligation de reporter d’un mois ! Naturellement, le Colonel Passy et son équipe, préparent votre arrivée ! Puis il me tend une enveloppe cachetée.

- Vous trouverez toutes les consignes nécessaires pour votre voyage dans ce pli ! Après en avoir pris connaissance, détruisez-les sans laisser de trace !

- Voilà bienvenu au BMA et bonne chance ! Nous n’aurons pas l’occasion de nous revoir d’ici samedi, je vous dis à bientôt !

La poignée de main échangée, se veut aussi ferme que celle de la semaine dernière. Il n’a pas dû se passer plus de vingt minutes à partir du moment où nous avons quitté la préfecture de police. Dans le métro et le train qui me ramènent sur Colombes, je me garde bien d’ouvrir l’enveloppe, attendant un moment plus propice. Je réfléchis sur la manière de m’éclipser auprès de ma famille, le plus discrètement possible, sans les inquiéter. Partir un samedi, présente au moins un avantage, je peux toujours dire que je vais passer le dimanche avec Monique à Crépy en Valois.

Le soir dans ma chambre, je décachette, l’enveloppe dans laquelle se trouve un aller simple Argenteuil-Gisors. La lettre qui l’accompagne me donne les consignes suivantes : « Cher Pierre, vous voudrez bien trouver ci-joint un billet de train, pour Gisors samedi en fin d’après-midi. Une fois arrivé à la gare, vous devrez vous rendre à l’hôpital de Gisors, retrouver le Docteur Jacques Morel, qui vous donnera la marche à suivre.

Munissez-vous d’un minimum de bagages. Bien cordialement signé « Glacière ». La signature ne manque pas de m’intriguer. J’ai bien compris qu’il s’agit d’un nom de code, ainsi le capitaine prend un maximum de précautions, seul le nom du médecin figure dans le message. Comme convenu je brûle le tout dans un cendrier, sauf naturellement le billet de train.

Je me montre particulièrement aimable le lendemain au garage, en particulier avec les allemands que je croise, mon père me trouve « transformé ». Je fais mine de rien jusqu’au vendredi soir.

N’ayant pas d’autres choix, je vais faire passer mon message par la personne en qui j’ai le plus confiance, ma sœur :

- Jacqueline, j’ai besoin de te parler !

- Je t’écoute !

- Samedi, je ne vais pas à Crépy en Valois et je vais devoir m’absenter quelque temps ! Son visage marque l’étonnement.

- Je te charge d’en avertir, les parents et Monique, avec le plus de diplomatie possible, en les rassurant. Cette fois Jacqueline se décompose.

- Quelque temps c’est-à-dire ?

- Je ne sais pas, quelques semaines tout au plus ! Je ne peux pas t’en dire davantage !

- Pierre, dans quel guêpier, tu t’es encore fourré ? Elle se précipite dans mes bras et me serre de toutes ses forces. Je lui place un baiser sur le front en lui glissant à l’oreille : « Fais moi confiance, encore une fois ! »

Samedi 21, 17 heures, je flâne sur le quai de la gare d’Argenteuil en attendant mon train. Une petite valise à la main, je suis dans un état d’excitation et de nervosité extrême, vivement que je puisse découvrir Big Ben.

Le convoi est omnibus, l’horloge indique 19 heures au terminus de Gisors. Il ne me faut pas plus d’un quart d’heure à pied, de la gare, pour rejoindre l’hôpital. À l’accueil je me présente et demande le docteur Morel. Un homme en blouse blanche de ma taille, de forte corpulence, apparaît peu après. Il doit avoir la cinquantaine, je remarque surtout ses grosses lunettes rondes à monture d’écaille.

- Bonjour Monsieur Malet, j’ai encore quelques patients à voir, rien ne presse, allez prendre quelques forces en cuisine avant « le grand saut », vous en aurez besoin ! Reprendre vigueur avec la nourriture d’un hôpital, relève d’un tour de force. Ma sœur avait raison, non seulement c’est infect, mais en plus c’est peu nourrissant. Morel, vient me récupérer, sans sa blouse sur le coup de 20h30.

- Allons-y !

- À quel endroit partons-nous ?

- À Tierceville, il y’a cinq kilomètres à parcourir de Gisors ! Nous grimpons dans sa traction Citroën. En « bon garagiste », je remarque la transformation du véhicule avec les bouteilles de gaz sur le toit. Je m’inquiète pour les horaires.

- Nous sommes en limite de couvre-feu ?

- Oui, mais ne vous inquiétez pas, mon caducée sur le pare-brise me sert d’Ausweis ! Si on vous pose des questions, vous êtes mon assistant ! Vous savez les allemands, sont très respectueux envers le corps médical ! Nous n’avons pas parcouru plus de deux kilomètres, que la Feldgendarmerie nous arrête à la hauteur d’Eragny sur Epte. Le docteur a l’air de connaître un des deux militaires.

- Papier bitte ! Souriant, Morel présente les documents demandés.

- Déjà en place ce soir ?

- Ja, Herr Doctor ? Son collègue est plus suspicieux, il examine ma carte d’identité attentivement et me demande un Ausweis. Morel intervient.

- Il s’agit de mon assistant ! Nous devons retrouver un malade à Tierceville ! Je lui montre le document que m’avait fourni le lieutenant Muller à Saint Germain.

- Sie waren bei der Armee ? (Vous étiez dans l’armée ?) Je reste ferme dans ma réponse, sans me dégonfler.

- Oui, je viens de reprendre mes études de médecine ! Finalement ils nous laissent continuer notre route. Je fais part de mon soulagement au toubib.

- Nous ne sommes pas malheureux, je n’étais pas rassuré !

- Vous vous en être très bien sorti ! Ils contrôlent souvent à cet endroit, limite de l’Oise, aux portes de la Normandie ! Je connais plusieurs de ces Feldgendarmes, mais je suis rarement escorté par un passager !

Nous arrivons à destination, une petite cabane à l’abri des regards, nichée à l’orée d’un bois. Morel, frappe à la porte, trois coups secs et deux coups longs : « Marie, c’est le Docteur Morel ! » La porte s’ouvre, dans la pénombre, une silhouette se dessine. Difficile d’identifier, s’il s’agit d’une jeune femme, ou d’un jeune garçon encore adolescent. Habillée d’une combinaison de chantier largement trop grande, le cheveu court avec un béret vissé sur la tête, un pistolet mitrailleur en bandoulière, heureusement que je suis accompagné, sinon j’aurais des frissons.