La grande invasion - Bruno Guadagnini - E-Book

La grande invasion E-Book

Bruno Guadagnini

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Beschreibung

Dans cette troisième partie des aventures de Pierre Malet (après Les sacrifiés de l'an 40, et Nom de code Grenelle), l'auteur couvre la période de novembre 1942 date de l'envahissement de la zone libre, à août 1944 au moment de la libération de Paris. Bruno Guadagnini, se livre à une véritable réflexion, dans cet ouvrage mi roman, mi essai, sur la période charnière de la seconde guerre mondiale, où les méandres de la résistance posent encore question aujourd'hui.

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Seitenzahl: 334

Veröffentlichungsjahr: 2022

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Photos de couvertures : droits réservés

Du même auteur : Les sacrifiés de l’an 40.

Edition BoD, septembre 2021.

: Nom de code Grenelle.

Edition BoD, Février 2022.

TABLE DES MATIERES

Introduction :

Chapitre 1 : Good Morning England.

Chapitre 2 : Darlan touché coulé.

Chapitre 3 : Voyage pour une France encore libre.

Chapitre 4 : Le sommet de Casa.

Chapitre 5 : Les pubs ont des oreilles.

Chapitre 6 : Dans les petits papiers du Général.

Chapitre 7 : J’aime à revoir la Normandie.

Chapitre 8 : Le tour des popotes

Chapitre 9 : Manouchian le loup solitaire.

Chapitre 10 : La surprise de Mathilde.

Chapitre 11 : Voyage au bout de l’ennui.

Chapitre 12 : Savoir se rendre utile.

Chapitre 13 : Rex, un vent pour l’unification.

Chapitre 14 : Le piège de « la Muette ».

Chapitre 15 : La souricière de Caluire.

Chapitre 16 : London comeback.

Chapitre 17 : En attendant le jour J.

Chapitre 18 : Le dossier Maurice Dufour.

Chapitre 19 : Infiltré

Chapitre 20 : Savoir donner du temps au temps.

Chapitre 21 : De Fortitude à Overlord.

Chapitre 22 : Premiers pas vers la liberté.

Chapitre 23 : Retour sur la mère patrie.

Epilogue : Règlement de compte

INTRODUCTION

(Résumé des deux premiers tomes « Les sacrifiés de l’an 40 » et « Nom de code Grenelle ».)

Pour Pierre Malet, tout commence en août 1939, au moment où la folie d’un homme va faire basculer le monde. Il n’a pas 19 ans et déjà ses rêves de chevauchées sur les terrains de rugby, ou sur la cendrée du stade de Colombes s’achèvent. Sa sœur Jacqueline infirmière, le voyait déjà professeur de médecine, il se retrouve sous l’uniforme en février 1940.

« La drôle de guerre » terminée, Pierre se voit balayé par la « blitz Krieg » des armées du Reich, au mois de mai dans la trouée de Sedan. Blessé pendant la débâcle, cloué sur un hôpital à Compiègne, il assiste impuissant à la signature de l'Armistice en juin 1940.

Malgré sa rencontre amoureuse avec Monique dans les Ardennes, le sergent Malet ne peut pas accepter l’inacceptable. Son ancien instructeur Maurice Dufour, lui propose alors, de devenir officier au 2e bureau et d’être en parallèle agent double du BCRA. Le « métier d’agent secret », n’est pas de tout repos, Monique l’institutrice le quitte et laisse la place à Mathilde l’infirmière. À l’envahissement de la zone libre en novembre 1942, le lieutenant Malet n’a d’autre choix, que de prendre le grand large pour l’Angleterre…

Comme dans les ouvrages précédents, afin d’éviter toute ambiguïté, sur des propos ou des situations imaginaires, les personnes physiques décrites dans ce roman ayant vécu ces événements, sont marquées d’un *.

Chapitre 1 : Good Morning England.

Samedi 14 novembre 1942, les falaises de Douvres, filtrent à travers la brume qui commence à se dissiper. Le clapotis des vagues, se mêle au bruit saccadé du moteur du chalutier. Après une traversée sans histoire, la côte approche, je me demande encore si j’ai fait le bon choix ? Mon partenaire de voyage, le pilote britannique s’exclame tout sourire en me regardant : « Good Morning England ! »

Un débarcadère à l’écart du port principal, nous accueille. Sur le quai deux véhicules nous attendent. L’anglais doit se contenter d’un camion Bedford, nous échangeons une dernière poignée de main. Je me tourne vers les marins normands, pour un dernier au revoir, ils sont déjà prêts pour rembarquer. Mon chauffeur m’attend, je reconnais la Riley de l’état-major du BCRA (Bureau Central de Renseignement et d’Action), que j’avais déjà empruntée, lors de mon premier voyage :

- Vous avez fait une bonne traversée, mon lieutenant ?

- Un peu secoué au départ de Criel sur Mer, mais je m’attendais à pire ! Quel est le programme de la journée ?

- Je vous amène à Londres, « Passy » (le Colonel André Dewavrin « patron » du BCRA) vous attend !

77 miles, séparent Douvres de la capitale londonienne, nous mettons un peu moins d’une heure trente pour la relier.

Je suis surpris de la direction que nous prenons :

- Nous n’allons pas au 4 Carlton Gardens ?

- Non, les locaux du BCRA ont été déménagés en mars dernier au 10 Duke Street ! le BCRA est désormais le BCRAM (Bureau Central de Renseignement et d’Action Militaire).

Ainsi « Passy » a obtenu gain de cause, se tenir à l’écart du reste de l’état-major, pour plus de confidentialité. L’immeuble d’aspect banal se situe dans le quartier chic de Mayfair, à proximité de la station de métro Bond Street dans Westminster. Le colonel m’accueille avec sa bonhomie habituelle, mêlée d’ironie :

- Quel bon vent vous amène lieutenant ? je lui réponds sur le même ton.

- Je suis devenu personnage indésirable dans l’hexagone, à la fois à Vichy et à Paris pour les allemands !

- Vous êtes au courant de l’évolution de la situation en France ?

- En partie, les allemands envahissaient, la zone libre au moment où je me préparais à embarquer !

- Exact, ils sont aujourd’hui à Marseille et demain ils devraient arriver sur Toulon !

- Que va devenir la flotte française ?

- Darlan retourne « sa vareuse » ! Depuis Alger, il ordonne à la flotte de rejoindre l’Afrique du Nord !

- Qu’avez-vous comme projets, me concernant mon colonel ? « Passy » sourit

- Pour être tout à fait franc, je ne vous attendais pas ! Je ne sais pas ce que je vais faire de vous ! il marque un temps d’arrêt. Mais rassurez-vous, ce ne sont pas les occupations qui manquent pour un homme comme vous ! En attendant toutes vos affaires, ainsi que vos papiers, laissés lors de votre première visite sont à votre disposition !

- J’ai oublié de vous dire, je n’ai plus vraiment d’identité !

- Comment ça ?

- Au moment de mon départ, je me suis fabriqué, une fausse mort, avec un faux cadavre ! Officiellement Pierre Malet n’existe plus ! ma réponse a le don d’amuser Dewavrin.

- Sage précaution ! Aucune importance, récupérez vos anciens papiers pour aujourd’hui, sinon vous ne pourrez pas circuler ! La semaine prochaine, nous vous en ferons confectionner de nouveaux avec « une vraie fausse identité » !

Je retrouve avec plaisir Jacqueline Girard*, la préposée aux tâches administratives, qui avait guidé mes premiers pas lors de mon premier séjour à Londres :

- Tenez lieutenant, voici vos papiers, le « laissez-passer » de la France Libre et votre « Identy card » du « Foreign Officer » !

- Jacqueline, il faut que je vous dise, j’ai besoin d’une nouvelle identité !

- Très bien, revenez me voir lundi, nous réglerons le problème ! Vous pouvez passer à l’habillement, pour récupérer « votre garde-robe ! »

Les nouveaux locaux, n'ont rien à voir avec les anciens. Ils occupent désormais trois étages. Passy utilise le premier avec la section de commandement, le deuxième concerne l’intendance et le troisième regroupe la section transmissions. Sans la moindre surprise, je rentre dans mes uniformes, que j’avais laissés deux ans plus tôt. Je vois avec satisfaction que j’ai gardé la ligne. Le capitaine Georges Lecot* alias « Drouot » vient me rejoindre :

- Bonjour Pierre, heureux de vous retrouver et de savoir que nous allons de nouveau travailler ensemble !

- Ne me dites pas que je vais devoir encore devoir rejouer les professeurs de « radio crypto » ? Drouot éclate de rire.

- Eh bien si « mon cher Grenelle » ! (Nom de code de Pierre Malet). Vous avez tout le talent pour le faire ! N’oubliez pas que vous n’étiez pas attendu !

- Il faut bien vous trouver une occupation, en attendant mieux ! Le capitaine voit que je commence à tirer une tête de six pieds de long. Après l’épisode de Sedan en avril 1940 et de Londres en septembre de la même année, je vais devoir me goinfrer une troisième fois des apprentis « radio chiffreur ».

- Écoutez lieutenant, je sais très bien que vous avez d’autres capacités, que de jouer les instructeurs radios ! Néanmoins nous avons dans ce domaine un besoin réel ! Nous perdons en France régulièrement des « radios-crypter », qui tombent aux mains de l’ennemi ! De plus vous savez très bien que Passy, refuse pour des raisons de sécurité, de mélanger le service de renseignement avec le service action !

« Drouot » se montre intarissable. Je finis par céder, pour qu’il arrête son inventaire d’arguments à la Prévert :

- Très bien mon capitaine, « si c’est pour la France ! » Lecot goûte moyennement mon ironie.

- Vous seriez surpris lieutenant des changements, qu’il peut y avoir depuis deux ans au BCRA ! « Le Général » en a assez des électrons libres, qui font « leur petite soupe, dans leur petite casserole, sur leur petit feu ! » La France Libre, ce n’est pas Vichy ! Comme vous le savez « Passy », le suit les yeux fermés. ! Le général Delestraint*, vient d’être nommé Chef de l’Armée secrète en France avec Henry Frenay du réseau « Combat » pour le seconder ! Il s’agit de fédérer, l’ensemble des réseaux de résistance, l’amateurisme c’est fini !

J’ai sans doute eu une parole malheureuse. Drouot ne me connaît pas assez, s’il pense que je peux jouer à l’électron libre. Je préfère changer de sujet :

- Pour la logistique me concernant, comment les choses vont-elles se passer ? Lecot redevient plus agréable.

- Vous allez être content ! Comme rien n’était prêt pour vous accueillir et que demain c’est « Sunday closed», vous allez passer 48 heures chez Mrs Brown ! (Voir « Nom de code Grenelle »). Sinon à partir de lundi vous retrouverez vos quartiers au 8 Duke Street, vous n'aurez que la rue à traverser !

Mrs Brown, m’accueille avec sa bonhomie habituelle, comme si nous nous étions quittés la veille :

- Good Evening, Mister « Malette » !

- Good Evening Mrs Brown !

Elle me demande, comment je compte occuper ma journée de demain dimanche ? Je lui fais remarquer, que lors de mon premier séjour, je n’ai pas eu le loisir de visiter Londres. Je ne connais de la capitale qu’un ou deux pubs fréquentés par mes collègues du BCRA ou son métro, la plupart du temps le soir pendant le blitz. Mrs Brown, me fait remarquer que les bombardements allemands, sont devenus beaucoup plus sporadiques, depuis l’envahissement de la Russie.

En attendant, elle me propose de prendre ma revanche aux échecs. Je n’ai pas gardé de nos premières parties, un souvenir impérissable, où un peu trop sûr de moi, je me suis fait battre à plate couture. Je m’efforce de me concentrer un maximum, en faisant appel encore une fois à ma mémoire. Je gagne la première partie, puis en décompression je perds la deuxième. La belle, fait l’objet d’une lutte intense et acharnée pour finir par un pat, l’honneur est sauf.

Le lendemain, j’arpente les rues de Londres. Ma visite, n’a rien de touristique. Certains endroits sont ravagés par les stigmates de la guerre. Si la cathédrale Saint Paul est relativement préservée à moins de 300 mètres, les deux côtés de la rue de Cannon Streer, ne sont qu’un amoncellement de gravas. Pas moyen de trouver un troquet, les deux plus célèbres du secteur Ye Olde Mitre et Ye Olde Cheshire Cheese, sont fermés. Ce dernier sans Conan Doyle, Mark Twain et Oscar Wilde, habitués des lieux, présente moins d’intérêt.

Tower Bridge, comme le quasi-totalité des monuments se camoufle sous des sacs de sable, pour éviter la destruction. Je finis par trouver un Pub ouvert, non loin de là au bord de la tamise. « The Prospect of Whitby », dont la légende dit qu’il s’agit d’un repaire de pirates.

Le tenancier visiblement, n’a rien contre les officiers français de l’armée de terre et m’accueille, en français dans le texte, par un « Vive de Gaulle, vive la France » !

Le jour commence à décliner, il est temps pour moi de rentrer chez Mrs Brown. J’essaye de me concentrer sur ma journée de demain, pourtant mes pensées se tournent vers Mathilde et ma famille…

Lundi 16 novembre, « nine o’clock », au ten Duke Street. Comme « Monday every morning », Passy prend soin de faire un briefing, pour tous les officiers du BCRA, dans une salle du 3e étage. Le sujet principal, concerne les événements de jeudi dernier en France :

Le général de Lattre de Tassigny, a été appréhendé par les autorités de Vichy. À l’annonce de l’invasion de la zone sud, le commandant de la division militaire de Montpellier, avec quelques autres officiers, s’est mis en tête d’appliquer le plan de résistance élaboré par le général Giraud. Il s’agissait de faire évacuer une partie de l’armée d’armistice, en direction de l’Algérie. Le général Eugène Bridoux, secrétaire d’État à la guerre, ne l’a pas entendu de cette oreille.

Le même jour à Saint Pourçain, Maxime Weygand se voit interpellé par la Gestapo. Détesté par Hitler, le führer n’a même pas daigné avertir le Maréchal Pétain à l’avance. Le mythe de la collaboration, vient de s’effondrer. Depuis son retour d’Afrique du nord Weygand, n’occupait plus de fonction officielle. Néanmoins, il incarnait un symbole de la résistance à l’occupation allemande, au regard des détracteurs de la politique de collaboration, incarnée par Pierre Laval. L’occupant, vient de balayer l’ultime obstacle qui pouvait s’opposer en zone sud. Une fois le laïus de Passy terminé, je lance le débat par une question :

- En gros, Vichy n’existe plus ?

- On peut voir les choses ainsi Lieutenant, vous êtes parti au bon moment !

Chacun retourne à ses occupations, Drouot me prend à part, pour me présenter mes élèves stagiaires, qui ne sont que cinq. Nous avons prévu de commencer la formation le lendemain, en attendant, il faut que je m’occupe de ma nouvelle identité.

Comme à son habitude Jacqueline Gérard* prend toute la logistique en charge :

- Vous avez réfléchi à votre nouvelle identité lieutenant ? j’avoue que je suis pris un peu de court.

- Non pas vraiment !

Je ne sais trop pourquoi, en qualité d’amateur de vin de bourgogne, je lui crie le premier nom qui me passe par la tête :

- Fixin ! Que diriez-vous de Pierre Fixin !

- Pourquoi pas ?

Elle fouille alors dans un tiroir, pour sortir une paire de lunettes et un postiche de moustache. Je la regarde d’un air interrogatif :

- Que dois-je en faire ?

- Les mettre pour les photos ! Quitte à changer d’identité, il est préférable aussi de changer de tête ! Je m’exécute, elle me tend un miroir, je fais une mimique ridicule.

- Bien venu au monde « Mister Fixin » !

Je n’ai plus qu’à me faire tirer le portrait. Le service parfaitement rodé, me permet de prendre possession de mes nouveaux papiers en fin de journée. La préposée me présente la totale, « laissez-passer » « Identity Card » et même une carte d’identité française. « Celle-là, je la garde ! » me dit-elle. « Elle vous sera remise, le jour où vous partirez en mission pour la France ! » je suis en partie réconforté, je ne devrais pas moisir à Londres jusqu’à la fin de la guerre.

Le soir, je prends disposition de « mon nouveau chez moi » au 8 Duke Street. Les officiers ont droit à une chambre individuelle. La mienne n’est pas très grande mais comporte l’essentiel, un lit, une armoire, une table de travail avec une lampe de bureau et une chaise. Une salle de bains commune et des toilettes, sont à disposition à chaque étage.

Au moment de me coucher, je me regarde dans la glace pour retirer mes moustaches. Je me dis, que je ne vais pas m’amuser tous les jours à remettre ce postiche ridicule.

Il serait plus simple d’en laisser pousser des vraies. Finalement, je pense « que mon petit côté Errol Flynn » ne devrait pas déplaire à Mathilde.

En ce mardi de novembre, je squatte une partie de la pièce « Missions Matériel Transmission » avec mes cinq stagiaires. Drouot, a demandé au Lieutenant Pernod* et à son assistante madame Clothint* de nous aménager une partie de leurs locaux, afin de ne pas troubler la salle de transmission officielle. Comme d’habitude, je me livre à un premier état des lieux, sur la capacité des uns et des autres en télégraphie. Dans l’ensemble, le niveau ne plane pas haut. De plus, certains ont pris de mauvaises habitudes, dans leurs méthodes de transmission. En conséquence, je décide de repartir de la base.

Le soir, je propose pour mieux souder l’équipe, d’amener les gars à « The Golden Fleece », un pub à deux pas, où « les frenchies » ont leurs habitudes. Les questions fusent sur mon passé dans l’armée et sur mon parcours depuis la campagne de France. La plupart sont étonnés sur les relations que j’ai pu entretenir entre Vichy, l’Abwer et l’ambassade d’Allemagne à Paris. (Voir « Nom de code Grenelle »). Ils sont tous motivés pour partir en opération, je me contente pour l’instant de leur dire qu’il ne faut pas griller les étapes.

La formation, continue de se dérouler naturellement toute la semaine. Je fais beaucoup plus de spécifique avec eux, que j’ai pu en faire lors de mes premières formations à Sedan, ou à Ringway, lors du passage de mon brevet de parachutisme.

Les nouvelles, continuent d’affluer de France par nos indicateurs. Pétain, devient de plus en plus une marionnette aux mains de l’occupant. L’acte constitutionnel N°12, donne le pouvoir à Pierre Laval, de signer seul lois et décrets.

Les conséquences sont rapides, en fin de semaine. Paul Raynaud et Georges Mandel, détenus au fort du Portalet dans les Pyrénées, sont remis par la gendarmerie aux nazis et seront expédiés, au camp de Sachsenhausen en Allemagne.

Lundi 23 novembre, pendant le briefing, Passy se montre d’une humeur exécrable. En Tunisie, les forces de l’Axe ont pris l’avantage sur les alliés. L’attitude de l’Amiral Platon*, qui a convaincu les amiraux Esteva* et Derrien* de laisser les allemands entrer dans Tunis et Bizerte, malgré l’opposition du Général Georges Barré*, empêche les troupes alliées de développer leur dispositif, sur le reste de la côte méditerranéenne.

Plus fâcheux encore, les américains cherchent à mettre un terme à la polémique en Afrique du Nord. La position de l’amiral Darlan, reste toujours aussi ambiguë. « Officieusement », il a rejoint les alliés, néanmoins, il veut ménager Philippe Pétain. Dans une lettre envoyée d’Alger, il écrit au maréchal : « Les américains se sont déclarés prêts à travailler avec Giraud et à couper tout contact avec vous. […] Je crains qu’il n’en résulte des désordres graves et que l’Afrique ne soit perdue pour nous. En conséquence, j’ordonne la suspension des hostilités et une neutralité entière vis-à-vis des belligérants, sous réserve que je conserve une autorité totale sur l’Afrique en votre nom. »

Darlan, obtient des alliés d’être nommé, haut-commissaire en Afrique du Nord, sans cesser de représenter Vichy. Le vieux Maréchal n’est pas dupe, dénonce une « félonie », sans se couper totalement de son appui secrètement. L’amiral en profite pour confier le commandement militaire à Giraud au détriment de De Gaulle, excusant un peu plus le courroux de Passy.

Au milieu de cette nébuleuse, Roosevelt se fend d’une conférence de presse, expliquant, qu’il s’agit d’un accord provisoire, uniquement justifié par les nécessités de la guerre.

Un peu plus tard dans la journée Drouot, me prend à part :

- Où en êtes-vous avec les stagiaires ?

- Vous savez, j’ai entamé leurs formations depuis une semaine à peine ! Ils sont tous d’un niveau différent, ce qui ne facilite pas ma tâche !

- Passy s’impatiente, Le besoin est urgent sur le terrain !

- Écoutez, mon capitaine, sauf votre respect, je ne vais pas donner mon feu vert à des hommes qui ne sont pas prêts, avec tous les risques que cela comporte pour les réseaux et eux même !

- Très bien je comprends ! Combien vous faut-il de temps encore ?

- Jacob est le meilleur élément, je vais accélérer sa formation ! Je pense que d’ici huit jours il sera opérationnel ! Pour les quatre autres, il me faut plus de temps !

Drouot se contente pour toute réponse, de me faire un signe de tête, je peux rejoindre les futurs « radios-crypter »…

Chapitre 2 : Darlan, touché, coulé.

Mes élèves, m’invitent le samedi, à fêter mon anniversaire dans « notre repaire de The Golden Fleece ». 22 ans, déjà majeur depuis un an, mais pas toujours responsable, comme pourrait le dire ma sœur Jacqueline. Je n’ai pas vraiment le cœur à festoyer, Mathilde me manque, alors que nous ne sommes séparés que depuis trois semaines à peine. Pour l’occasion, les gars se sont cotisés pour m’acheter une pipe. Il parait qu’avec ma moustache naissante, ça me donne un côté british. Au fil de la soirée et après quelques pintes de bière, je finis par être pris dans l’ambiance.

Nous fêtons également, la validation d’Edgar Jacob officiellement « chiffreur télégraphiste ». Son départ pour la France doit s’organiser dans le courant de la semaine à venir. La France justement, occupe pleinement la conversation de la soirée. Les marins français se sont sabordés, la veille dans la rade de Toulon. Le débat contradictoire entre nous, fait monter le ton de la discussion. 2 cuirassés, un croiseur cuirassé, 7 croiseurs, 29 destroyers et 2 sous- marins, reposent désormais par le fond. Seuls, les sous-marins « Casabianca », « Le Glorieux » et « Marsouin » au prix d’une audace folle, parviennent à échapper au barrage de mines tendu par les allemands à l’entrée du port. (Ils rejoignent trois jours plus tard, le port d’Alger).

Dans notre groupe, une partie décrit la situation comme la seule possible, pour éviter que la flotte ne tombe aux mains des allemands. D’autres regrettent, que les marins ne se soient pas battus jusqu’au bout pour l’honneur du drapeau.

Churchill, lui-même avait espéré un moment que la marine française pencherait du côté des alliés : « Je ramperais sur des kilomètres pour rencontrer l’amiral Darlan, malgré la haine que je lui porte, pour le convaincre de mettre sa flotte à notre disposition ! »

Les avis ne sont pas tranchés, comme celui de l’amiral Jean Laborde, commandant en chef. Pendant que Darlan recommande à l’armada de rejoindre l’Afrique du Nord, Laborde, attend confirmation du Maréchal Pétain. Tous deux pensaient que l’occupant ne saisirait jamais des navires. Peine perdue les allemands avaient bien prévu de capturer la flotte intacte.

Pour rassurer Drouot, je lui confirme que les quatre stagiaires restants seront opérationnels pour Noël. Cette nouvelle est d’autant mieux venue, qu’avec l’occupation à 100% du territoire français, les principaux réseaux de résistance de la zone sud, comme « Combat », « Libération », et « Franc-Tireur », ont un besoin de plus en plus pressant de transmission.

Alors que l’armée d’armistice de Vichy, est officiellement dissoute le 1er décembre, ses meilleurs éléments en profitent pour rejoindre l’armée secrète. À Alger, l’Amiral Darlan exploite la situation pour créer un Conseil Impérial, considérant le Maréchal Pétain, comme prisonnier des allemands. Pour se faire, il s’adjoint, le général Bergeret, ex-secrétaire d’État de l’Air de Vichy, le général Giraud assume le commandement des forces armées. Eisenhower, totalement imperméable aux subtilités de la politique française, considère l’amiral comme chef d’État. En coulisse, pourtant Roosevelt dit que l’amiral n’est « qu’un fruit mûr » que les américains laisseront tomber quand il sera pressé.

La conversation, revient aux oreilles de l’amiral, qui contre-attaque, en affirmant dans un courrier « sa volonté de cesser ses fonctions le jour où la souveraineté française sera un fait accompli ». Cette lettre semble porter ses effets et dans le petit jeu politique qui se trame,

Eisenhower continue de se montrer aimable, avec Darlan. De Gaulle et Churchill, sont pour une fois d’accord, l’amiral « a trop de casseroles au cul », de son côté Giraud, n’a pas le poids politique nécessaire. Néanmoins, le premier ministre anglais, pour ne pas froisser l’allié américain, refuse de soutenir officiellement le Chef de la France Libre, pour prendre la succession de François Darlan.

De Gaulle, ne peut pas rester inactif, avec l’accord de Churchill, il charge le général François d’Astier, frère d’Emmanuel chef du réseau « Libération », de faire un rapprochement avec Giraud, entre les gaullistes et la résistance intérieure. D’Astier s’envole pour Alger avec 38 000 dollars. Darlan, considère naturellement qu’il s’agit d’un défi à son autorité et fait tout pour s’opposer. Il apprend l’atterrissage du général à Maison Blanche et charge la police de surveiller ses allées et venues. Parmi les deux patrons de la police, nous retrouvons la commissaire Achiari* et…Henri d’Astier, son autre frère. Le général d’Astier, peut poursuivre tranquillement sa mission et prendre contact à l’hôtel Aletti avec Murphy le consul américain.

Dimanche 20 décembre, une entrevue est organisée entre François d’Astier et Ike Eisenhower à l’hôtel Saint Georges. Le français, demande à l’américain, de lui donner l’autorisation de parcourir l’Afrique du Nord et l’Afrique occidentale, pour pouvoir rassembler les gaullistes. Ike, botte en touche et lui demande de se rapprocher de Darlan.

À Londres, la France libre et le BCRA, s’efforce de se tenir au courant, au jour le jour de l’évolution de la situation. Passy dans son intervention hebdomadaire, ne manque pas de nous tenir informé. Au milieu de ces incertitudes, nous sentons bien qu’une étincelle, peut faire basculer la situation dans un sens ou dans l’autre.

De son côté, Laval ne reste pas dans l’ombre et déclare à la presse : « Je renverserai impitoyablement tout ce qui sur ma route, m’empêchera de sauver la France ». Dans le même temps, l’Allemagne augmente les frais d’occupation journaliers, les faisant passer de 15 à 25 millions de Reichsmarks.

Darlan, dont l’autorité s’épuise aux yeux de tous, finit par obtenir l’expulsion de François d’Astier le 23 décembre. L’étincelle attendue, enflamme bientôt la polémique. Jeudi 24 décembre, à 15h30, l’amiral escorté par le commandant Hourcade*, son officier d’ordonnance, pénètre dans son bureau du palais d’Été. Deux coups de feu claquent et pendant qu’Hourcade, se précipite dans la pièce, un jeune homme cherche à s’enfuir. Une échauffourée, oppose les deux hommes. Alors que le commandant se blesse dans la bagarre, deux spahis de garde, parviennent à maîtriser l’assaillant.

L’amiral toujours vivant, est évacué rapidement, pour être conduit dans le même hôpital où son fils se fait soigner. À peine admis en salle d’opération, Darlan décède des suites de ses blessures.

Sa succession, s’organise dans les heures qui suivent. Le général Noguès* assure l’intérim, pendant que le Général Mark Clark, adjoint d’Eisenhower, propose qu’Henri Giraud prenne le pouvoir. Les américains, imposent un blackout médiatique sur l’événement et ordonnent à la radio, de mettre l’axe en responsabilité de l’attentat.

La police, procède à l’interrogatoire du présumé coupable. Il présente des papiers au nom de Borand. L’enquête menée par le commissaire Garidacci*, découvre rapidement qu’il s’agit d’une fausse identité. L’individu s’appelle en réalité Fernand Bonnier de la Chapelle*, il a 20 ans, son père travaille comme journaliste à « la Dépêche d’Alger ». Dans une première déclaration, il déclare ne pas avoir agi seul, mais pour le compte de l’abbé Cordier*, qui lui aurait procuré l’arme et le plan du bureau. Henri d’Astier, Secrétaire-adjoint aux Affaires politiques au Haut-Commissariat, serait la tête pensante.

En prononçant le nom « d’Astier », Bonnier envoie un pavé dans la mare. Sans attendre le 25 décembre, jour de Noël, Fernand Bonnier est présenté devant le tribunal de la 19e région militaire. Son avocat, Maitre Sansonetti* ne peut obtenir un supplément d’enquête. L’avocat, sait que son client va être condamné à la peine de mort. Il lui conseille de changer sa version, afin de bénéficier d’une grâce. C'est pourquoi Fernand Bonnier avoue cette fois avoir agi seul : « J’ai tué l’amiral Darlan, parce c’est un traître ! Il vendait la France à l’Allemagne, pour son profit ! »

Le jury le condamne sans surprise à la peine capitale. La sentence est exécutée le 26 décembre à 7 H 45, après que le général Giraud refuse la grâce demandée par Henri d’Astier. L’élimination de Bonnier arrange beaucoup de monde. La quasi-totalité des voix officielles, à l’exception de celles des gaullistes, condamnent le geste du meurtrier. Que peut-il se cacher, derrière ses paroles d’hypocrite ? Giraud qui craint « d’être le prochain sur la liste », diligente une enquête via le 2e Bureau, la police étant mouillée dans l’affaire.

Le rapport fourni, fait état que des contacts ont été pris entre le comte de Paris (prétendant au trône) et Henri d’Astier, sans indiquer formellement qui sont les investigateurs du crime. Giraud obsédé par un possible assassinat, fait opérer une rafle dans les milieux gaullistes. Achiari*, Aboulker* et Louis Joxe, sont internés dans le camp de Laghouat au Sahara. Le 1er janvier, le commissaire Garidacci*, prévient le préfet de police d’Alger, que le commissaire Achiari et ses collaborateurs, sont innocents du meurtre de Darlan.

Achiari interrogé, charge Henri d’Astier et l’abbé Cordier, les deux hommes sont arrêtés le 10 janvier, puis…Garidacci le lendemain. Le complot est né du « corps francs de Monsabert », un régiment de volontaires pour le front tunisien. Bonnier, un ancien des chantiers de jeunesse, revendique alors de tuer Darlan. Une fois « le bras armé » trouvé, les investigateurs n’ont plus qu’à agir.

Achiari développe : « En faisant tuer Darlan, Henri d’Astier offre la succession au comte de Paris, dont il serait le Ministre de l’Intérieur ! » Bonnier serait gracié pour son acte héroïque. (Il sera réhabilité un an plus tard).

Précision de l’auteur : (Plusieurs ouvrages seront consacrés à cet épisode de la guerre. Le plus sérieux « le Meurtre de l’Amiral Darlan » de Peter Tomkins, confirme les faits évoqués ci-dessus. Un autre plus à charge d’Henri de Kerillis, « De Gaulle dictateur » explique que Darlan a été exécuté par les gaullistes pour éliminer un concurrent du Général. Néanmoins, une chose est sûre Darlan, dans sa politique à géométrie variable, s’était grillé dans toutes les directions, de Vichy à Alger en passant par Berlin, Londres et Washington. Il n’était plus qu’un homme seul.

De plus le raccourci, fait par l’auteur entre François d’Astier et son frère Henri, se dévoile un peu simpliste.)

Lundi 28 décembre, pas de trêve des confiseurs, nous sommes tous réunis pour le briefing hebdomadaire de Passy, qui ne manque pas de nous parler de l’Afrique du Nord. Pour ma part, j’ai fini ma mission de formation, je suis plutôt en mode décontraction.

Une fois la réunion terminée, Drouot m’alpague par le bras, pour me signifier que Dewavrin veut me voir immédiatement dans son bureau. Ce mode de convocation à la va vite, ne me laisse guère entrevoir quelque chose de positif. Néanmoins je sais très bien qu’il n’est pas bon de faire attendre « Passy », surtout quand il est de mauvaise humeur. Pourtant, il m’accueille tout sourire :

- Ah Malet ! Enfin je devais dire Fixin ! Asseyez-vous, j’ai une nouvelle mission pour vous !

- Je vous écoute mon Colonel !

- Vous partez pour Alger par avion lundi prochain, pour porter un courrier du général De Gaulle au général Giraud !

Il me montre le pli, sans me le donner et le dépose ensuite dans le coffre placé derrière lui. Puis il ajoute :

- Vous devez vous doutez, qu’une lettre expédiée par porteur spécial, est de la plus haute importance ?

- En connaissez-vous le contenu ?

- Dans les grandes lignes ! Avec la mort de Darlan, il règne en Afrique du Nord, une période d’incertitude ! Une réunion entre les alliés dont la date et le lieu, sont pour l’instant tenus secrets, doit avoir lieu en début d’année ! Le Général veut rencontrer Giraud avant, pour que la France parle d’une même voix !

- Pourquoi suis-je choisi pour cette mission ? Je ne suis qu’un officier subalterne !

- Nous sommes des militaires, mais avant tout nous baignons dans la politique ! Le général François d’Astier, émissaire du Général, vient d’être expulsé, avant lui René Pleven (Commissaire aux Colonies), n’a pas pu se déplacer, Churchill n’était pas chaud ! Un « officier subalterne », comme vous dites, provoque moins de méfiance ! Vous avez le bon profil, vous faites partie du « chiffre » vous êtes soumis au secret et à la confidentialité, de plus … vous êtes disponible ! cette dernière remarque, ne me satisfait pas particulièrement.

- Très bien mon colonel ! Et pour les modalités ?

- Vous voyez avec le lieutenant Martin* (secrétaire de Dewavrin) et Jaqueline Girard, je vais leur passer les consignes !

Il me reste la semaine pour me préparer. Il ne me déplaît pas, de travailler pour la première fois avec Jean Martin. Nous sommes de la même génération, nous avons le même grade, le tutoiement et la confiance s’installent rapidement entre nous. Le fait d’être le bras droit de Passy, lui ouvre des perspectives, pour avoir une meilleure vision de la situation du moment :

- Pierre, ne crois pas que ta mission consiste uniquement à jouer « les estafettes ! »

- Je me doute, mais j’ai du mal à cerner vraiment mon rôle !

- Je sais que Passy attend de toi et De Gaulle aussi probablement, une véritable analyse de ton rendez-vous avec Giraud !

Jean, marque un temps d’arrêt, avant de reprendre le fil de la conversation :

- Je pense que le « Général », ne se fait pas d’illusions sur un retour positif de la part Giraud ! Ce dernier a la réputation d’être fuyant et peu sûr de lui ! Les fils de l’assassinat de Darlan, ne sont pas encore totalement dénoués et l’intronisation de Giraud n’est qu’une illusion ! L’Afrique du Nord avant l’arrivée des américains, représentait plus au moins « une France Libre » ! Aujourd’hui Eisenhower et le général Clark, mènent le bal !

- Fichtre ! Au milieu de tout ça, ma marge de manœuvre, s’en trouve considérablement réduite !

- Le renseignement, tout le renseignement, rien que le renseignement ! En tant qu’officier du 2e bureau et faisant partie « du chiffre », tu dois être parfaitement dans ton élément ! Je ne suis pas sûr, que tu apprennes grand-chose de la part de Giraud, par contre si tu peux avoir un rendez-vous avec les ricains, saute sur l’occasion ! Je pense que tu en apprendras beaucoup plus ! Même si « le Yankee » se montre manipulateur, son côté hâbleur, reprend souvent le dessus et il pourra éclairer « ta lanterne » !

Je sors de mon entretien avec Jean Martin, à la fois conforté et inquiet. J’ai bien compris que je ne suis plus « le petit commissionnaire ». Toutefois, les éléments que je pourrai récupérer, ou pas, peuvent changer la donne pour la suite, d’où l’intérêt de ma mission…

Je poursuis ma préparation avec Jacqueline Girard, « l’adorable fiancée » de Jean Martin. En 48 heures, elle a réussi à régler tous les détails. Je dois embarquer à minuit de Northolt, pour me poser vers 4 heures du matin à l’aérodrome d’Alger Maison Blanche. Le rendez-vous avec le Général Giraud, est fixé à l’hôtel Aletti le lendemain mardi, à 10 heures. Je me dis, que mon voyage me laisse peu de temps pour récupérer et garder les idées claires. Pour plus de tranquillité, je suis logé, dans la « villa des Oliviers », une petite résidence du quartier d’El Biar, équipée d’une station radio, en liaison régulière avec la France libre.

Lorsque je m’étonne sur le temps de vol, Jacqueline m’explique, que l’appareil au lieu de faire les 1700 km traditionnels, en boucle près de 2000, pour éviter le survol de la France. Il doit longer les côtes de l’océan atlantique, en volant à basse altitude, pour pouvoir échapper aux radars. Une fois au Pays Basque, le survol de l’Espagne, pays neutre, doit se passer en principe sans problème.

Je consacre le temps qui me reste, pour m’imprégner de la personnalité d’Henri Giraud. Finalement, je ne connais que peu de choses sur sa personne, à part le portrait peu flatteur que m’en font les gaullistes. J’ai bien compris, la rivalité qui se noue entre les deux généraux, pour la succession de Darlan. Néanmoins, je préfère me faire mon opinion tout seul. Je me remémore la période de Mai 1940, lorsque dans le cadre du plan Dyle-Bréda, il était à la tête de la 7e armée sur la Hollande, avant de succéder au Général Corap, puis sa capture par l’ennemi à Wassigny suivie de son incarcération à la forteresse de Königstein. (Voir premier tome : « Les sacrifiés de l’an 40 »).

J’apprends que le 17 avril dernier, il s’est évadé dans des conditions rocambolesques. Sa femme, lui a fourni une corde par fragments, dissimulée dans des pots de confiture. Il a ensuite faussé compagnie à ses geôliers, pour descendre un mur de 40 mètres de la forteresse. Après un périple en train à travers l’Allemagne et la Suisse, il a fini par rejoindre la ville de Vichy.

Maréchaliste convaincu, Pétain lui fait un bon accueil, alors qu’Otto Abetz (ambassadeur d’Allemagne à Paris), cherche à le renvoyer en Allemagne, avec la complicité de Laval. Giraud s’installe à Lyon, puis prend contact avec le général Weygand, qui de retour d’Afrique du Nord, insiste pour qu’il prenne la tête d’un mouvement de libération.

En Afrique du Nord, un certain nombre de personnalités françaises, préparent le débarquement des américains. Afin de contrer Darlan, pour l’instant toujours « vichyssois », il faut une personnalité militaire. Giraud, devient la figure de proue avec la bénédiction des américains et débarque à Alger au début du mois de novembre.

Je n’ai guère envie de faire la fête pour le réveillon de la Saint Sylvestre, malgré la sollicitation des uns et des autres. Je me préoccupe des deniers préparatifs. Une « Hagelin » C 36 (machine à chiffrer), programmée est mise à ma disposition pour le voyage. Je ne récupère le précieux courrier du Général de Gaulle, que le lundi au dernier moment. La lettre désormais sous double enveloppe, porte le cachet rouge « Top Secret ».

Lundi 4 janvier 1943, 23 h45 un Armstrong Whitworth, fait chauffer ses moteurs, sur le tarmac de Northolt et m’attend pour décoller. Je suis le seul passager, au milieu des quatre hommes d’équipage. Lorsque je m’étonne sur le choix de l’appareil, considéré généralement comme un bombardier, le navigateur, m’indique que l’avion trop lent et peu armée est utilisé désormais pour le transport.

Compte tenu des mes premières expériences en vol, ce n’est pas fait pour me rassurer…

Chapitre 3 : Voyage pour une France encore libre.

Après avoir traversé le Channel, nous atteignons la pointe Bretagne, pour redescendre par l’océan. Le navigateur, toujours aussi rassurant, m’indique qu’il faut éviter de faire trop de détours, à cause de l’autonomie de l’appareil en carburant. Puis, il m’invite à prendre place à côté du pilote. La lune, renvoie des reflets magnifiques sur l’eau. Mais le petit jeu consistant à voler au ras des vagues, finit par me lasser très vite et je retourne à l’arrière de l’avion.

Je finis par m’assoupir un moment. Soudain, en regardant à travers un hublot, j’aperçois des lumières, je devine que nous traversons la péninsule ibérique. Le vol finalement, se passe sans encombre, nous nous posons à 3h55 sur l’aérodrome d’Alger Maison blanche. La température au sol ne dépasse pas 4 ou 5°, je m’attendais à plus, même si le temps sec, remplace le crachin britannique.

L’Etat Major, ne fait pas dans la demi-mesure, une Cadillac avec chauffeur est là pour m’accueillir. Il ne faut pas plus d’un quart d’heure de nuit pour monter en direction d’El Biar et retrouver la « villa des Oliviers ». Je ne perds pas au change, avec ma résidence londonienne. Si je ne fais que deviner, dans la pénombre, l’architecture mauresque de la villa, des boys, sont à l’accueil pour me débarrasser de mes bagages.

Je pose la question, combien de temps dois-je prévoir demain pour me rendre à l’Hôtel Aletti ? Le réceptionniste m’indique qu’il faut une heure tout au plus. Il tient à ma disposition un véhicule, néanmoins, il me conseille de prendre le tramway, pour éviter les embouteillages. Je lui demande donc de me faire réveiller à 8 heures précises.

Finalement, je ne réussis pas vraiment à trouver le sommeil, ce rendez-vous décidément, me rend terriblement nerveux. La douche glacée du matin, me permet de retrouver un peu mes esprits. Le breakfast, me change des œufs au bacon. Un vrai café particulièrement hard, m’oblige à rajouter du lait. La table comprend Baghir, surnommé crêpes aux mille trous, Mokh echikh signifiant « cervelle de vieillard ». Je crois comprendre qu’il s’agit de la version sucrée, faite d’un mélange de beurre, de miel et de fleur d’oranger, ainsi que des dattes séchées. Bref, le sucré a remplacé le salé.

Le temps passe, je n’ai pas encore le loisir de profiter du jardin arboré de palmiers, malgré les 15 degrés du matin. Je dois récupérer le tramway pour me rendre à mon entretien. Il s’agit d’une espèce de tortillard jaune, avançant à la vitesse d’une tortue rhumatisante. Une nuée de gamins court après en s’accrochant parfois, pour quémander un peu de monnaie. Je crois bien finir les poches vides à mon arrivée. Si je suis bien parti d’Angleterre avec des francs français, les pièces que je leur distribue, ne sont que des pennys, dont je ne connais pas l’usage qu’ils vont pouvoir en faire.