Désinformation et campagnes électorales - Yves-Marie Doublet - E-Book

Désinformation et campagnes électorales E-Book

Yves-Marie Doublet

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Beschreibung

Comment lutter contre les « fake news » ? Quel est leur pouvoir d’ingérence dans les processus démocratiques, notamment les élections ? Depuis l’été 2016, les infox désignent la diffusion virale et délibérée de fausses nouvelles sur internet et dans les médias sociaux, dans le but, par exemple, de discréditer un parti politique, d’entacher la réputation d’une personne ou de remettre en cause une vérité scientifique. Cette pratique, qui empêche les citoyens de prendre des décisions éclairées, s’est beaucoup répandue. Son impact en est d’autant plus important que sa diffusion est extrêmement rapide et que l’identification des auteurs de telles initiatives et du matériel numérique utilisé est très difficile. Ce rapport s’efforce de répondre aux questions soulevées par ce phénomène – tout spécialement pendant les campagnes électorales – et présente des propositions pour mettre en place un cadre juridique au niveau européen.

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Désinformation

et campagnes électorales

 

 

Yves-Marie Doublet

 

 

Direction générale de la démocratie

Gouvernance démocratique

Division de l’assistance électorale

 

 

Conseil de l’EuropeFacebook.com/CouncilOfEuropePublications

Sommaire

 

Cliquez ici pour consulter la table des matières complète, ou allez directement sur l’option « Table des matières » de votre lecteur numérique.

Introduction

1. Pour le Cambridge Dictionary, les fake news sont des « histoires fausses qui ont l’apparence d’un traitement de l’actualité, qui sont diffusées sur internet ou d’autres médias, et qui sont généralement créées pour influencer les opinions politiques ou faire une blague ».

2. Depuis l’été 2016, les fakes news désignent la diffusion virale délibérée de fausses nouvelles sur internet et les médias sociaux1. Ces mots, qui désignent un contenu fabriqué, un contenu manipulé, une imposture et un contenu trompeur, ou encore un contexte ou une connexion erronés, voire une satire et une parodie, ont donc pris des sens divers. Le Guardian a été le premier journal à mentionner que la petite ville de Veles, en Macédoine, est à l’origine de ce phénomène. Veles est le lieu où des sites politiques ont utilisé le piège à clics, qui pousse les visiteurs à cliquer sur un lien vers une page web particulière, aux fins de gagner de l’argent en surfant sur la Trumpmania pendant la campagne électorale américaine en 2016. Plus de 100 sites affichant des fausses nouvelles ont été animés par des adolescents de cette ville. Une enquête menée par le site américain Buzzfeed le 3 novembre 2016, quelques jours avant l’élection présidentielle américaine, explique le succès du phénomène : « La meilleure façon de créer de la rumeur médiatique est d’associer des publications politiques sur Facebook à des contenus à caractère sensationnel et souvent faux, ce qui peut plaire aux partisans de Trump2. »

3. Cette approche impose de faire la distinction entre la fausse information, la désinformation et la propagande, ce que décrit très précisément la chercheuse américaine Renee DiResta, directrice de l’analyse des politiques à Data for Democracy3. La fausse information fait référence à des informations incorrectes ou erronées relayées par des journalistes sans intention de nuire. La désinformation est une tentative délibérée d’amener le public à croire des choses fausses. Elle consiste à fabriquer des informations qui sont mélangées à des faits et des pratiques qui dépassent le cadre du traitement de l’actualité. Il s’agit notamment de comptes automatisés utilisés pour des réseaux de faux abonnés, de vidéos manipulées ou de publicités ciblées4. Cette technique est diffusée par un groupe qui vise un autre groupe et trompe les lecteurs.

4. Dans cette hiérarchie des différents modes de communication, la propagande désigne des informations qui ont un contenu programmatique spécifique et qui sont diffusées par un gouvernement, des organisations ou des individus. En novembre 2017, le Premier ministre britannique a déclaré que la diffusion de fausses nouvelles était un moyen de « transformer l’information en arme »5. Ces différents contenus sont souvent considérés comme des fausses nouvelles mais les moyens et les intentions diffèrent d’un type d’information à l’autre. D’un point de vue social, les fausses nouvelles contribuent à former des communautés qui ont accès aux mêmes opinions, partagent la même idéologie et les mêmes théories conspirationnistes6.

5. Les fausses nouvelles peuvent prendre plusieurs formes : déclarations, expression d’opinions infondées ou discours haineux contre des groupes sociaux ou des minorités. L’initiative de cette manipulation de l’opinion publique peut être d’origine privée, mais certains gouvernements tentent de contrôler les médias sociaux pour façonner l’opinion publique, contrer l’opposition et désamorcer les critiques.

6. Au cours des dernières années, cette pratique, qui empêche les citoyens de prendre des décisions éclairées, s’est beaucoup répandue. L’impact de ce phénomène est d’autant plus important que sa diffusion est extrêmement rapide et que l’identification des auteurs de telles campagnes et du matériel numérique est très difficile.

7. Plusieurs facteurs expliquent le développement du phénomène des fausses nouvelles :

L’impact des médias sociaux : en 2016, le nombre d’utilisateurs actifs de Facebook s’élevait à 2 milliards par mois et Twitter comptait 400 millions d’utilisateurs. On compte environ 1,8 milliard d’utilisateurs mensuels de YouTube. Dans son Digital News Report 2018, Reuters Institute for the Study of Journalism considère que Facebook est de loin le réseau le plus important pour trouver, lire, regarder et partager des informations d’actualité, même si son utilisation est tombée de 42 % en 2016 à 36 % en 2018. Rien qu’aux États-Unis, 62 % des adultes reçoivent des informations d’actualité sur les médias sociaux7. Pour chaque groupe d’âge de moins de 45 ans, les actualités en ligne sont plus importantes que les actualités télévisées.

Les méthodes et leur vitesse : Facebook a créé un modèle de ciblage qui permet à des partis politiques d’accéder à plus de 162 millions d’utilisateurs américains pendant une campagne électorale et de les cibler individuellement par âge, sexe, district du Congrès et intérêts8. Il a été souligné que les médias numériques utilisent un processus d’algorithme pour viser à la fois les clients et les électeurs. Des comptes robots sont créés pour influencer le discours politique. Ces comptes tweetent et retweetent en utilisant souvent des faux likes (j’aime) et followers (abonnés) pour atteindre un large public. En outre, une étude récente du Massachusetts Institute of Technology a montré que les fausses nouvelles se propagent plus rapidement que les vraies, qu’elles sont beaucoup plus susceptibles d’être retweetées que les vraies (dans une proportion de 70 %) et que les nouvelles vraies mettent environ six fois plus de temps à atteindre 1 500 personnes (par exemple) que les fausses9.

Les coûts : on constate qu’ils ont baissé et qu’ils reposent sur une stratégie à court terme qui n’a pas pour objet de promouvoir la qualité. En effet, il suffit de disposer de 40 000 euros pour financer une opération de propagande sur les réseaux sociaux, de 5 000 euros pour lancer une initiative de discours haineux et de 2 600 euros pour acheter 300 000 abonnés sur Twitter10. Des informations fausses et préjudiciables sont produites à des fins lucratives. On a donc assisté pendant plusieurs années à un mariage entre des entreprises numériques et des entreprises de médias, et des responsables de campagnes politiques ont combiné des profils d’électeurs à des informations commerciales provenant de revendeurs de données (data brokers). Cette évolution, qui a favorisé l’essor du marketing politique fondé sur l’analyse de données, peut avoir une incidence considérable sur la société, l’équité électorale et la démocratie.

8. Cette évolution soulève un certain nombre de questions. En quoi les fausses nouvelles sont-elles différentes des fausses informations qui ont été utilisées dans le passé, par exemple par les deux superpuissances pendant la guerre froide ? Les médias sociaux modifient-ils les pratiques qui sont généralement utilisées lors des campagnes électorales ? Les fausses nouvelles ont-elles eu une incidence réelle sur le résultat des élections ? Devrions-nous considérer que ces pratiques sont les effets secondaires d’une mutation technologique et qu’elles sont d’autant plus inévitables qu’elles sont difficiles à réglementer ? Devrions-nous répondre à ce phénomène en s’appuyant sur une approche fondée sur l’autorégulation ou sur la réglementation ? Quelle option choisir si l’autorégulation se révèle inefficace, en particulier lorsque les pratiques en question sont menées en dehors du territoire où se déroulent les élections ? Une approche réglementaire est-elle conforme au principe de la liberté d’expression ? Quels types d’instruments juridiques ont été introduits jusqu’à présent dans différents États membres du Conseil de l’Europe ou dans d’autres pays pour lutter contre les fausses nouvelles ? Quels enseignements tirer de ces expériences ? Comment la protection de la vie privée des citoyens est-elle garantie ? Faut-il prendre des mesures juridiques au niveau international, compte tenu des nombreux cas de déstabilisation des campagnes électorales récemment enregistrés dans divers pays ? Outre un éventuel cadre réglementaire, comment sensibiliser davantage le public à la nécessité de vérifier l’authenticité des informations et les faits, et comment l’aider à porter un jugement plus éclairé sur les contenus éditoriaux publiés dans les médias ?

9. Le présent rapport s’efforce de répondre à ces questions et de faire des propositions pour mettre en place un cadre juridique au niveau du Conseil de l’Europe.

1 « Fake News Definition und Rechtslage », Wissenschaftlicher Dienste, Deutscher Bundestag, 2017.

2 « L’histoire vraie des fake news », L’Opinion, 1315, 7 août 2018.

3 « How do we know what’s true anymore ? », YouTube, 13 avril 2018.

4 « Une approche pluridimensionnelle de la désinformation » : rapport du Groupe d’experts de haut niveau sur les fausses informations et la désinformation en ligne, Commission européenne, 12 mars 2018 (en anglais uniquement).

5 Buchan L. " Theresa May warns Russia over election meddling and vows to protect the UK", The Independent, 13 novembre 2017.

6 Zizek, S., « Fake News, Wohin das Auge reicht », Neue Zürcher Zeitung, 6 août 2018.

7 Allcott, H., Genztkow, M., « Social Media and Fake News in the 2016 Election », Journal of Economic Perspectives, Volume 31, 2, 2017, pp. 211-236.

8 Chester, J., “The role of digital marketing in political campaigns”, Internet Policy Review, Center for digital democracy, Washington, D. C., 31 décembre 2017.

9 http://news.mit.edu/2018/study-twitter-false-news-travels-faster-true-stories-0308.

10 www.assemblee-nationale.fr/15/pdf/rapports/r0990.pdf.

1. Aperçu général de la situation

10. La question des fausses nouvelles peut être examinée à la fois du point de vue technique et du point de vue politique.

1.1. Données techniques

11. Il est utile de passer en revue les diverses techniques qui peuvent être utilisées dans les médias sociaux pour mieux comprendre leur importance dans ce contexte.

12. Des études montrent que les personnes qui prennent connaissance des informations d’actualités par des algorithmes (de recherche, de détection d’agrégats sociaux et d’autres)1 et non par des éditeurs sont plus nombreuses et que les algorithmes présentent une plus grande variété de sources en ligne à la plupart des utilisateurs. Or, les algorithmes ne sont pas neutres. Ils ont été conçus avec une précision maximale pour choisir, trier, classer, hiérarchiser, filtrer et cibler les informations disponibles ou les actualités de dernière minute. Ils constituent un moyen d’organiser les informations à grande échelle en améliorant certains aspects de celles-ci. Les algorithmes de calcul ont recours à l’apprentissage automatique pour produire un résultat. Les algorithmes d’apprentissage automatique sont utilisés comme des « généralisateurs » alimentés par des données à partir desquelles ils peuvent apprendre. L’algorithme prend ses propres décisions concernant les opérations à effectuer pour accomplir la tâche en question. Cette technique permet d’effectuer des tâches beaucoup plus complexes qu’un algorithme classique. Andrew Ng, de l’université Stanford, définit l’apprentissage automatique comme suit : « la science qui permet aux ordinateurs d’agir sans qu’ils aient à être explicitement programmés ». Il s’agit en particulier de la conception, de l’analyse, du développement et de la mise en œuvre de méthodes qui permettent à une machine de fonctionner via un processus systématique et d’accomplir des tâches difficiles.

Un véritable modèle commercial reposant sur la collecte de données monétisées et la supervision du comportement individuel en ligne a été développé2