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Que faisait à Caen ce héros militaire de l'ère victorienne dont la tombe a été vandalisée ? Pourquoi a-t-on consacré un opéra au mystérieux seigneur médiéval dont le château ruiné se dresse sur un promontoire près de Rouen ? Comment des centaines d'Anglais ont-ils pu être empoisonnés en quelques heures à l'arsenic ? Quelles furent les raisons des émeutes sociales violentes qui ont eu lieu entre ouvriers normands et anglais au XIXe siècle ? Qui s'est introduit dans le British Museum de Londres pour dégrader des sarcophages égyptiens ? Comment un jeune voleur de Jersey a-t-il échappé à la potence pendant les guerres napoléoniennes ? Autant de récits vivants illustrant les liens indéfectibles qui unissent la Normandie et la Grande-Bretagne depuis près de mille ans.
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Seitenzahl: 96
Veröffentlichungsjahr: 2022
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«Par les splendeurs de Dieu! Cette terre, voila que je l’ai saisie dans mes mains!»
Guillaume de Poitiers (XIe siècle)
(Gesta Guillelmi ducis Normannorum et regis Anglorum)
Une passion bicéphale pour le patrimoine
La Normandie, terre de lumières
Une étrange cérémonie macabre à Dieppe
Les bonbons mortels du Yorkshire : un drame victorien
L'homme mystérieux de l'abbaye de Jumièges
Le soldat de Jersey qu'on voulut pendre deux fois
Robert le Diable : le seigneur médiéval normand qui devint un héros lyrique
La malédiction de Shakespeare
Un homme ressuscite à Fécamp
Le héros anglais oublié de Caen
L'énigme du God Save the King
L'adolescent normand qui partit à la guerre sous l'uniforme anglais
Des femmes attaquent des momies au British Museum
Ouvriers normands contre travailleurs britanniques au XIXe siècle
Les épidémies en Normandie et le patrimoine architectural
Le viking Hrolf, christianisé en Rollon, fondateur de la Normandie.
Le patrimoine historique de la Normandie est d'une richesse réellement exceptionnelle. Stendhal n'écrivait-t-il pas, en 1838, que “Rouen est l'Athènes du genre gothique” ? Partout, des plus grandes cités aux plus modestes villages, l'histoire de cette province hors du commun se déroule comme une longue narration passionnée qu'un conteur enthousiaste réciterait à ses compères, le soir, à la veillée, devant un feu de cheminée crépitant. Fondé il y a plus de mille ans par une poignée de baroudeurs vikings aussi audacieux que pragmatiques, le duché de Normandie a tenu pendant des siècles une place à part sur l'échiquier perpétuellement troublé de l'Europe ancienne.
Par l'envahissement de l'Angleterre – une spectaculaire expédition militaire brutale, sanglante et sans merci réalisée en un temps record – Guillaume le Bâtard, que l'on nommera le Conquérant, bouleversa l'ordre du monde connu en jetant les fondements de la civilisation britannique, dont les échos sont encore perceptibles aujourd'hui. On songe à André Maurois qui, dans son Histoire d'Angleterre, écrivait avec ferveur : “Quelques tribus saxonnes et danoises, égarées sur une île en marge de l'Europe, mêlées à quelques survivants celto-romains et organisés par des aventuriers normands, sont devenus en quelques siècles maîtresses de la planète”. Grands organisateurs, certes, mais aussi grands innovateurs : pour des raisons politiques, les structures sociales, administratives et économiques ne furent pas les seules à être bouleversées, mais également les paysages et l'urbanisme, par la construction d'innombrables édifices érigés pour imposer à tous l'évidence de la puissance des nouveaux maîtres. De la Tour de Londres à la cathédrale de Durham, les exemples sont légion. Et l'expansion des Normands, voyageurs dans l'âme, n'a pas concerné que les régions du nord, puisqu'ils ont également abordé des contrées aussi éloignées que l'Italie méridionale, la Sicile et même Malte. Le Palais des Normands à Palerme et la cathédrale de Cefalu en sont quelques uns des témoins les mieux préservés. L'architecture normande s'est ainsi répandue bien au-delà des frontières de la Normandie.
Les sorts de la Normandie et de la Grande-Bretagne sont donc intimement liés, depuis des siècles et des siècles. Le puissant vent de l’Histoire a soufflé sur ces deux terres, pour le meilleur et pour le pire, et s’intéresser à l’une, c’est forcément s’intéresser à l’autre. Ici, le patrimoine historique, c'est à la fois la tragédie du procès de Jeanne d'Arc et le rire de Falstaff, les dentelles de pierre de la cathédrale de Rouen et la cellule monacale de Bède à Jarrow, la statue équestre de Napoléon à Cherbourg et le trois-mâts Victory de Nelson à Portsmouth. La guerre de Cent Ans et l'Entente cordiale. Voltaire à Londres et Oscar Wilde à Dieppe. La Manche fut autant une barricade qu'un trait d'union.
Rappelons-le, martelons-le, même : l’Histoire n’est pas qu’un catalogue desséché de dates arides et de descriptions rugueuses, impersonnelles, rigides, qu’ânonnaient jadis en soupirant des écoliers las. Elle est avant tout une vaste tenture aux couleurs éclatantes, un fier étendard, un gonfalon claquant sous le noroît, dont chaque fil, fragile et délicat, est un exaltant récit profondément humain : souverains glorieux, puissants seigneurs, généraux avisés et graves ecclésiastiques se mêlent ici au savetier, à la fermière, au troubadour et au simple soldat. L'entrepreneur audacieux et l'ingénieur inventif croisent les politiciens retors et les artistes inspirés, des drames nationaux et de modestes bonheurs intimes s'entrelacent, des vérités indiscutables et des légendes fantastiques s'enchevêtrent. L’exploration des époques révolues a ceci de fascinant qu’elle permet de redonner vie à cette immense galerie de personnages, fameux ou humbles, sans lesquels le monde que nous connaissons ne serait pas ce qu’il est. Pour y parvenir, il faut oser pousser des poternes, s'immerger dans les archives et y prendre plaisir, voyager en allant au-delà des sentiers battus, accepter le prix de la patience, s'émerveiller de tout. On se retrouve alors, brusquement et parfois par hasard, face- à-face avec le mystère du destin.
En voici un aperçu.
La cathédrale de Rouen
Il y a ceux qui pensent que leur vie n'a de sens que dans l'immédiat, dans les fureurs urbaines et dans le bruit. Il y a ceux aussi qui s'imaginent que des futilités virtuelles, dont ils prétendent ne pouvoir se passer pour exister aux yeux du monde, peuvent remplacer un émerveillement vrai, et le sens profond de la rencontre authentique. Et puis il y a tous ceux, heureusement encore nombreux, qui savent faire la différence entre voir et regarder. Ce n'est pas par un simple effet du hasard que tant de grands peintres, français et anglais, se sont passionnés pour la Normandie, au point d'y créer un mouvement qui révolutionna l'histoire de l'art, l'impressionnisme. Boudin, Monet, Pissarro, Courbet, Renoir, mais aussi, pour les Anglais, Turner, Sickert, Steer, Sargent, autant de visionnaires qui prirent la liberté de bousculer les règles académiques pour s'engager sur des chemins novateurs, déstructurant les conventions, levant le voile sur des univers colorés et sensuels jamais vus auparavant. Ils avaient été subjugués par la diversité des panoramas, par la richesse de l'architecture, par la multiplicité des thèmes qu'ils pouvaient exploiter dans leurs œuvres. Mais bien plus que tout cela, ils avaient remarqué que quelque chose d'indicible et cependant d'essentiel faisait de la Normandie une terre d'exception : sa lumière, ou plutôt ses lumières, si nombreux et souvent imprévus sont les changements que l'on peut observer, parfois au cours d'une même journée. Oui, c'est bien ici la lumière qui transforme les choses et les êtres, les transcende, flatte le regard, inspire les penseurs, invite à la rêverie joyeuse quand le ciel est clément, ce qui est plus fréquent qu'on ne veut bien le dire, ou alors à la morosité interrogatrice quand les dégradés de gris composent la vaste palette des sentiments. Ainsi les lumières frémissantes de la Normandie sont elles toujours fécondes.
La première lumière est celle qui baigne les campagnes fertiles de ce territoire si riche d'histoire et de patrimoine. Voici les prairies frissonnantes sous le frôlement du vent marin, les bois sombres et mystérieux, les clos-masures typiques du pays de Caux, les falaises abruptes lentement rongées par les flots, les jardins enchanteurs, les chemins où galopaient jadis les souverains d'Angleterre et de France. La lumière normande, c'est aussi celle qui caresse avec délicatesse, avec respect, les sculptures et les monuments. La lumière rehausse les détails de chaque édifice de pierre ou de bois, elle redonne vie, au fil des heures, à tous ces personnages rescapés de l'immensité du temps. De tous les arts, l'architecture est peut-être celui qui définit le mieux la richesse et la diversité d'une culture. L'architecture est l'expression fondamentale du peuple qui l'a imaginée. Elle est le reflet d'une pensée, d'un élan, d'un concept global qui révèle, à travers toutes ses différentes fonctions – régalienne, religieuse, militaire, pratique, rurale – une essence particulière. Elle est aussi à l'image des aspirations les plus élevées de ses concepteurs, comme de leurs terreurs les plus sourdes. Elle n'est pas seulement une représentation de la vie à une époque donnée, elle est la vie elle-même. Ce n'est d'ailleurs pas forcément dans les plus grandes envolées constructives que se dévoilent les plus passionnants secrets : quand elle est foisonnante de détails, comme c'est notamment le cas à l'époque médiévale, l'architecture devient un immense et passionnant livre ouvert sur le passé, où sont décrits dans la pierre ou le bois les joies et les peurs des puissants comme des gens les plus ordinaires.
A l'intérieur des cathédrales et des églises abbatiales, ce sont d'autres triomphes de lumière qui s'expriment en majesté dans les vitraux. Brusquement, dès le lever du soleil, ces parois si hautes qu'elles semblent vouloir toucher le ciel et qui, toute la nuit, étaient restées comme endormies, révèlent tout un peuple coloré. Des saints, des anges, des rois et des manants, des artisans, des bienheureux et des maudits, des pauvres et des fortunés, des vertueux et des misérables, toute une foule fervente s'est invitée dans ces vastes bâtiments, et vous regarde.
Il y a d'autres lumières encore, ce sont les lumières de l'esprit, les étincelles de l'inspiration, car la Normandie est une terre d'écriture, et d'écrivains. Déjà, à l'époque lointaine des grandes abbayes, les plumes crissaient sur le parchemin, et les enluminures parées d'or jetaient d'étranges éclats de lumière dans la pénombre du scriptorium. Puis, les grands génies de la littérature française sont nés, ou ont vécu ici. Guy de Maupassant et sa vision acérée de ses contemporains, Gustave Flaubert au style d'une incomparable subtilité, Pierre Corneille et la maîtrise absolue de la versification du Grand Siècle. Et tant d'autres, Victor Hugo dont la fille adorée se noya tragiquement à Villequier, Hector Malot, Barbey d'Aurevilly, Marcel Proust, André Gide, Jacques Prévert dont la maison se situe dans le Cotentin, Maurice Leblanc dont la maison est aussi toujours là, à Etretat... La liste est longue.
Mais il eut aussi les lumières noires de la Normandie, et derrière les lourdes portes de l'Histoire se dissimulent les flammes terribles des bûchers, les cris des torturés et l'angoisse des désespérés emportés par d'horribles épidémies. Ainsi, du procès de Jeanne d'Arc aux charniers débordant de cadavres, en passant par les infâmes guerres de religion, bien souvent la mort a jeté son regard glacial sur les terres normandes. Et puis vinrent les deux conflits mondiaux, un jeu d'échecs effrayant où les lumières, cette fois, furent des éclairs de combats déchirant les cieux et bouleversant à jamais la destinée de millions d'hommes. Finalement, les alliés ont débarqué sur les plages normandes, le temps de l'angoisse et de l'amertume est passé, et la Normandie a pu panser ses plaies, même si les bombardements ont à jamais rayé de la carte un nombre considérable de merveilles du patrimoine. Petit à petit son ciel s'est éclairé à nouveau de lumières d'espoir, dans une bienfaisante renaissance et la joie d'exister dans une liberté retrouvée. Aujourd'hui, quand le voyageur entend au loin la chanson apaisante des cloches d'une église campagnarde, ou quand il s'émerveille d'un visage sculpté dont le regard l'interpelle par-delà les siècles, ou encore quand, le soir, les vagues de la mer se transforment en or grâce à une merveilleuse alchimie poétique, c'est la conscience historique et culturelle de toute la région qui le saisit, l'enveloppe et l'éblouit. Car s'il est une lumière que l'on ne peut éteindre, c'est bien celle de l'âme.