Éclats de psychoboxe - Richard Hellbrunn - E-Book

Éclats de psychoboxe E-Book

Richard Hellbrunn

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Beschreibung

« Une fois notre expérience individuelle transformée en une expérience commune à toute l’espèce, nous ne la considérons plus qu’en spectateurs, qui ne sont plus touchés par la représentation que dans la mesure où elle leur offre une possibilité d’identification. »
Sabina Spielrein

La psychoboxe, depuis plus de quarante ans, s’efforce d’écouter ceux qui ont été traversés par leur rencontre avec la violence, qu’ils soient désignés comme auteurs ou comme victimes. Cette pratique ne se soutient que d’une scène, qui appelle un sujet à interpréter sa violence en la précipitant dans des formes vécues et perceptibles. Elle consiste à explorer, dans un cadre approprié, la singularité de chaque rapport subjectif à la violence en passant par la médiation d’un combat libre à frappe atténuée suivi d’une reprise par la parole, sans faire l’économie des sensations corporelles, du mouvement expressif et des affects.

À travers cet ouvrage, nous avons choisi de présenter et d’interroger la psychoboxe en croisant les regards de ceux qui la pratiquent depuis longtemps avec assiduité, avec ceux qui ont bien voulu s’y intéresser, du dehors, et qui ont accepté de nous faire part de leurs commentaires et de leurs critiques à partir de leurs champs de recherche respectifs.
Nous espérons ainsi contribuer, à partir de notre expérience si singulière, à des pensées plus larges visant à mieux intégrer les questions de la violence dans la culture.


À PROPOS DES AUTEURS

Richard Hellbrunn est psychologue clinicien, psychanalyste, professeur de boxe française, et fondateur de la psychoboxe.
Lionel Raufast est Docteur en Psychologie Clinique, psychanalyste et Président de l’Institut de Psychoboxe.

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Seitenzahl: 237

Veröffentlichungsjahr: 2023

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Éclats de Psychoboxe

Sous la direction de Richard Hellbrunn et Lionel Raufast

Sous la direction de Richard Hellbrunn et Lionel Raufast

Éclats de Psychoboxe

Préface de Richard Hellbrunn & Lionel Raufast

Ont collaboré à cet ouvrage :

OlivierBour

Vincent Estellon

Thierry Goguel d’Allondans

Richard Hellbrunn

Patrick Kékicheff

Alain Ledrich

Pascal Martin

ColetteMauri

Ghislain Pateux

Lionel Raufast

Joseph Rouzel

Patrick Schmoll

FrédéricVinot

SoniaWeber

Préface

Dans la brute assoupie

Un ange se réveille

Charles Baudelaire

Nous avons écrit ce petit livre pour aller à la rencontre des lecteurs qui s’intéressent, à titre professionnel ou privé, à ce qui, par l’irruption sauvage de la violence qui nous habite, revient de l’étonnement pour interroger l’humain en tant quetel.

La question incandescente de la violence ne saurait se limiter à des théorisations qui la simplifient. Ces simplifications rassurent. Certes. Mais elles délestent surtout la violence de sa complexité inquiétante. Pourrions-nous poser le problème un peu autrement ? Par exemple, en nous demandant ce que peut un corps violent ?

Nous avons en effet, de cette question insistante, une expérience singulière à travers une longue pratique de la psychoboxe, que nous essayons ici, non sans difficultés, de transmettre au dehors de sa pratique directe. L’écriture serait-elle à même de rendre compte, ne serait-ce que partiellement, de ce qui, à travers la spécificité même de notre expérience, ne peut passer que par le corps en mouvement ?

Nous pensons ne pas pouvoir faire l’économie de cette question. Elle relève du saut sur scène et de la prise de parole. Nos patients s’y affrontent inlassablement. Nous ne pouvions pas nous exclure de ce mouvement. En plus de quarante années d’expérience et de croissance lente, la psychoboxe a réussi à créer son espace propre entre la psychanalyse, la boxe, la scène, le psychodrame et la danse-thérapie. Son efficience discrète se prolonge et se transmet de façon artisanale d’un psychoboxeur à l’autre à partir du geste, à bonne distance de la confusion émotionnelle brassée par les débats récurrents sur la violence et des dysfonctionnements institutionnels qui les alimentent. Former des praticiens n’est pas trop difficile si nous passons par une pratique soutenue articulée à la clinique singulière qui se dégage de notre expérience, et à quelques repères théoriques essentiellement issus du champ de la psychanalyse.

Il s’agit pour nous de soutenir fermement une position d’écoute en direction de ceux qui, traversés par une rencontre occasionnelle ou répétée avec une violence agie ou subie, ont le courage de mettre en travail une question vécue comme un irréductible ébranlement. Cet ébranlement dépasse radicalement leur capacité habituelle de parole et de pensée. En pratique, il s’agit de passer par l’image du corps en mouvement, qui s’exprime par un combat libre à frappe atténuée, pour en revenir à la parole par les échanges qui suivent cette confrontation. L’expérience sensorielle et affective du mouvement donne ainsi la réplique aux histoires fantomatiques que les mots peuvent porter.

L’efficience de la psychoboxe provient sans doute de sa proximité du passage à l’acte, tout en préservant, par le regard et l’écoute du psychoboxeur et de celui qui observe et veille, une dimension scénique propre à être reprise à chaud par la parole. Sur ce point crucial, la psychoboxe est davantage du côté de Dionysos que de celui d’Arès ou même d’Athéna. Certains psychoboxeurs pratiquent durant deux ou trois ans avant de reprendre le cours de leur carrière professionnelle antérieure ou nouvelle. Avec nous, ils n’ont fait que passer, mais ils emportent généralement une trace de leur passage. D’autres demeurent férus de psychoboxe. Ils s’acharnent à poursuivre assidûment, voire de manière addictive, cette voie pendant de longues années. Ils en font même l’axe essentiel de leur engagement dans leur travail et dans leur pensée.

Nous avons choisi de donner la parole à six d’entre eux, dans l’ordre de leur ancienneté en psychoboxe. Nous leur avons demandé d’aborder leur rencontre avec la psychoboxe et, plus largement, de décrire ses effets sur leur travail et leur personne. Nous ne voulions pas privilégier ici une approche clinique ou conceptuelle, ce que nous faisons dans d’autres écrits, pour en rester à l’écoute d’une parole du « dedans », de la part de ceux qui pratiquent et qui persistent. La pensée n’est pas absente de ces textes de praticiens. Elle est cependant articulée à une nécessité radicale de rendre compte d’une expérience vécue.

Nous avons ensuite demandé à huit non-praticiens, proches ou lointains, chacun ayant manifesté envers la psychoboxe un intérêt du « dehors », de lire les textes des praticiens, et de nous faire part, à leur tour de leurs critiques, remarques et commentaires. Une majorité d’entre eux exerce des activités de recherche. Mais pas seulement. Leurs textes sont construits à partir de leur lecture subjective, mais aussi de ce qu’ils pouvaient savoir par ailleurs de la psychoboxe, et au-delà de cette lecture subjective, des élaborations construites à partir de leurs champs respectifs. Il faut encore les remercier pour l’expérience bienveillante d’altérité qu’ils nous ont permise.

Nous avons fait le choix de présenter et d’illustrer la psychoboxe à travers ces éclats, plus proches des aspérités de notre expérience qu’un corpus affichant l’harmonie de sa cohérence. Là encore, l’ombre de Dionysos n’est pas loin de notre pratique et de notre manière d’en rendre compte.

Alors, en route pour les chemins de traverse de nos co-errances…

Richard Hellbrunn est Docteur en Psychologie Clinique, psychologue clinicien et psychanalyste. Il est le fondateur de la Psychoboxe.

Lionel Raufast est Docteur en Psychopathologie clinique et psychanalyse. Il est psychanalyste et Président de l’Institut de Psychoboxe.

Paroles de praticiens…

Au commencement

Richard Hellbrunn

Cet écrit me permet d’approfondir une discussion récurrente engagée de longue date avec quelques amis psychoboxeurs : serait-il envisageable de décrire et de penser la psychoboxe à partir des effets en retour qu’elle ne peut manquer d’avoir sur ceux qui s’y attachent en la pratiquant, au lieu d’en rester, comme nous l’avons fait jusqu’ici dans nos écrits, à une approche essentiellement clinique et conceptuelle ? Comment pouvons-nous alors témoigner de notre rencontre avec cette pratique singulière ? Pourquoi et comment avons-nous pu la poursuivre parfois durant de nombreuses années ? Qu’a-t-elle changé dans nos pratiques professionnelles, dans nos pensées, dans nos vies ?

Depuis le début, la psychoboxe ne se soutient que d’une tension dynamique entre des gestes, des affects et des représentations mis en scène dans le but d’en savoir un peu plus sur notre rapport singulier et collectif à la violence qui nous habite en tant qu’humains. Cette adresse que nous ouvrons suppose une capacité d’écoute qui ne peut se passer d’une certaine élaboration, faute de quoi l’entreprise ne pourrait que sombrer dans une agitation désordonnée, avec, au mieux, une pauvre tentative de mieux être cathartique d’avance vouée à la stérilité de sa répétition. C’est la parole qui établit le cadre et les objectifs de la psychoboxe et qui, à partir de cette antériorité, inscrit le surgissement du geste et des affects dans l’anticipation d’une reprise singulière de la parole subjective. Il n’est sans doute pas possible de tout dire de l’acte en son jaillissement, mais la parole en attente de sa formulation oriente dès le départ le geste vers le regard en lui donnant une scène où se déployer. Nous sommes donc quelques-uns à tenter l’aventure d’une écriture subjective et ouverte, que nous soumettrons ensuite à la pensée et à la critique d’auteurs plus distanciés dont le champ de recherche est susceptible de nous éclairer dans notre parcours. Voici ma contribution.

Je travaille actuellement avec des groupes d’hommes et de femmes, « auteurs » et « victimes » à Nancy, et quelques séances individuelles çà et là, et je mène des actions de formation auprès d’une soixantaine de personnes, réparties en plusieurs groupes, désireuses de pratiquer la psychoboxe. Ce qui m’a toujours impressionné, globalement, en pratiquant la psychoboxe, c’est l’extraordinaire plasticité de l’image inconsciente du corps, dès lors qu’elle se trouve appelée à se manifester comme telle !

Concrètement : un sujet engagé dans une séance de psychoboxe peut être complètement enfermé dans une répétition de gestes stéréotypés dont la combinaison le rend bien incapable de faire face à une situation d’opposition, jusqu’à l’impasse totale conduisant à l’interruption de la séquence de combat. Dès qu’il décide de reprendre, après quelques secondes de recueillement, il se comporte comme s’il avait intégré de façon immédiate les bénéfices d’un long apprentissage technique d’un sport de combat ou d’un art martial.

D’où nous vient cette émergence créatrice du geste en situation de tension ? L’histoire longue de l’humanité, en accumulant les guerres, les massacres, les tortures et les viols, aurait-elle déposé en chacun de nous une aptitude particulière à affronter, psychiquement et corporellement, les situations susceptibles de réveiller un « savoir » archaïque enfoui ? La psychoboxe permet d’explorer à l’envi cette dimension parfois peu reluisante de l’humain, sans pour autant en payer un prix trop lourd en termes de violence réelle ou de souffrance psychique. Il devient alors possible de supporter d’en savoir quelque chose et d’aménager ainsi un lieu d’écoute fine et bienveillante pour ceux qui ont été dépassés par leur propre violence agie, ou par celle qu’ils ont subie de la part des autres. Cette adresse singulière ouvre un espace entre corps et parole, qui se déploie entre clinique et théorie, du geste à l’affect, de l’affect à une parole revisitée par le corps. Il s’agit d’écouter, d’abord, avec son corps, pour mieux dire, un peu, et de pouvoir contenir pour métaboliser ce qui, de chaque rapport singulier à la violence, nous renvoie à une question plus générale, maintes fois esquissée et ressassée, d’Héraclite à Freud.

Mon intuition initiale s’est transformée en une ferme conviction au fil de l’expérience : la violence n’est métabolisable qu’à partir de son expression. J’ai longtemps été seul à pratiquer, ou avec un binôme, et je passais pour un original plus ou moins toléré dans cette vieille ville bourgeoise de Strasbourg, dans laquelle il eût mieux valu faire partie d’un groupe confessionnel, d’un parti politique bien établi, ou d’un groupe d’influence quelconque, si l’on voulait faire avancer un projet. Je n’ai pas été soutenu, mais on ne m’a pas empêché de travailler non plus, dans les marges des institutions établies. Je dois beaucoup, dans ce qui m’a aidé à persévérer, à mon professeur de thèse de l’époque, le très regretté Jean-Pierre Bauer, dont la voix ferme et chaleureuse résonne toujours dans mon oreille. J’étais également en analyse lors de mes premières approches de la psychoboxe, et le silence plein de la présence vivante de mon analyste, son écoute rigoureuse et profondément bienveillante, sa parole rare et sans concessions, m’ont permis de ne pas tomber en chemin.

Petit à petit, j’ai été rejoint par des éducateurs, des psychologues, des boxeurs, des psychanalystes, des psychiatres. Plus récemment, des infirmiers, des psychomotriciens. Éducateurs et psychologues restent majoritaires parmi ceux qui s’engagent dans cette voie. Sur un plan très personnel, la psychoboxe m’a permis de développer, à l’opposé de ce que j’avais laborieusement appris par ma pratique préalable des sports de combat, ce que je nommerai, faute d’une meilleure appellation, une aptitude à la fluidité psychocorporelle en situation d’opposition. Je peux étendre ma perception et mes sensations à tout ce qui se passe dans un espace donné, en dilatant mon image du corps, ou, au contraire, me concentrer, me replier, et fixer mon attention sur un détail précis. Je peux aussi me laisser aller sans crainte à un morcellement des perceptions, des sensations et des affects, jusqu’à devenir un sujet dispersé dans l’espace par l’éclipse de son moi, pour me réunifier à nouveau, en une ou deux respirations, à partir d’un appui ferme ou d’un regard ouvert à l’anticipation. Il m’arrive fréquemment de sentir d’avance, sans le support du regard, là où je vais être touché par les coups de l’autre.

Il m’a été donné, par ailleurs, dans quelques situations réellement dangereuses, de saisir immédiatement, comme dans un ralenti, la complexité des positions dans l’espace, les issues, la diversité des forces engagées et de trouver la distance exacte à mettre au niveau du corps, des gestes, du regard, de la parole. J’ai également eu de la chance ! J’ai remarqué que tout ceci fonctionnait mieux lorsque j’étais fatigué, ou surpris, et en tout cas peu crispé sur un objectif à atteindre. Il ne s’agit sans doute pas là d’une spécificité de la psychoboxe. Ce n’est qu’un effet singulier d’un cheminement particulier. Bien des pratiquants confirmés de sports de combat ou d’arts martiaux pourraient décrire une évolution semblable. Il existe plusieurs accès, parfois ouverts par des contraintes dictées par la nécessité, à des aptitudes « normalement » bien enfouies que l’histoire a déposées en chacun denous.

Chaque nouvelle séance de psychoboxe permet de se retremper dans ce creuset archaïque, pour en ressortir, un peu plus altéré et plus perméable à cette dimension cachée, qui se niche pourtant au plus profond de la culture. Il reste plus difficile de parler de la psychoboxe que de la mettre en jeu par la pratique. Les psychoboxeurs s’engagent pourtant à ne pas reculer devant cet effort de transmission par la parole et l’écriture, même s’il est toujours, au moins partiellement, voué à l’échec. Il s’agit là pour moi de la partie la moins assurée de l’exercice. Lorsque la psychoboxe se met en place dans une nouvelle ville, ou dans une institution, elle est souvent demandée par une partie de l’équipe qui en a entendu parler dans une conférence, ou qui a lu un livre qui en traite. Il faut donc expliquer aux partenaires du projet, ou au reste de l’équipe, de quoi il s’agit et comment ça fonctionne. Ce travail de présentation de la psychoboxe fait immédiatement émerger toutes les résistances institutionnelles, groupales et personnelles, plus ou moins teintées d’idéologies : certains, considérant que la violence est inévitable, voudraient la juguler en renforçant une remise en « ordre » de la société. Ils gardent contre vents et marées toute leur confiance en un appareil répressif et pénal qui a largement fait la preuve de son inefficacité en la matière.

D’autres misent entièrement sur une prévention permettant, idéalement, d’échapper à la confrontation violente et de préserver une bonne conscience gravée dans le marbre d’une peu coûteuse éthique d’opinion. Il est difficile de franchir ces barrières défensives pour parvenir à un véritable travail, transversal aux sujets, aux groupes et aux institutions, concernant notre rapport profond à la violence. Une telle approche, en effet, ne peut que démasquer le principe général de démission alternée qui vise simplement à faire porter le travail à un autre corps professionnel, ou à une autre institution, faisant ainsi tourner les malheureux sujets déjà subjectivement captifs d’une répétition d’actes violents dont ils ne peuvent le plus souvent rien dire. Leur destin institutionnel se limite à une réminiscence du grand enfermement, plus ou moins couplé à la Nef des fous. La violence fait pourtant recette, dans le confort établi par la « bonne distance », dans les médias, les fictions, la littérature, sans omettre la propagande politique, mais personne ne tient à s’en occuper réellement, pour éviter, sans doute, de s’y perdre. Les pauvres débats actuels, affligeants, sur les violences en temps de paix ou de guerre, oscillent entre la désignation de figures archaïques de bons et de mauvais objets, et un florilège de représentations simplistes destinées à supprimer toute violence en nous épargnant de trop violents efforts de pensée. Ma position personnelle — puisque c’est de cela dont il est question dans cet écrit — est de me retirer de tout débat stérile, pour approfondir le travail avec quelques autres. J’ai pris la liberté de lâcher dans la nature humaine un espace de parole et de pensée qui fait toute sa place aux mouvements du corps et aux affects, ce qui s’avère être une approche particulièrement efficace pour ceux qui supportent de vouloir en savoir plus sur leur rapport à la violence.

Cette pratique, et les quelques réflexions théoriques qui l’accompagnent, a peu de chances de se développer en extension par les temps qui courent. Il me reste à la poursuivre et à approfondir la pensée qui s’en dégage, avec un nombre restreint de praticiens. Ces derniers ne seront pas légion, n’y trouvant ni gloire ni argent : d’où également cet écrit partagé afin de découvrir avec eux ce qu’ils peuvent bien gagner à persister dans cette étrange entreprise. De mon côté, je suis profondément soulagé de ne plus avoir à participer à des discussions vaines et répétitives, qui montrent jusqu’à saturation comment la violence directement exprimée par les uns est en quelque sorte appelée, voire aspirée par la bêtise et la lâcheté des autres. Tout ceci a partie liée !

Le travail en profondeur avec ceux qui veulent bien s’y risquer est, au contraire, très vivant et stimulant pour la pensée. Je suis à chaque fois impressionné par la sagacité et la finesse des observations faites par ceux qui rencontrent la psychoboxe pour la première fois, comme s’il suffisait d’entrer dans ce cadre pour qu’une intelligence psychocorporelle apparaisse, à partir de la seule autorisation qu’un sujet se donne de lui laisser libre cours. La psychoboxe s’éprouve comme un saut, une rupture dans la continuité, à la différence d’une pédagogie programmée et progressive. Elle s’appuie, en la dévoilant, sur une étrange familiarité qui nous lie à la violence dans ce qu’elle a de plus profond, et sur notre appréhension immédiate des rapports de force les plus archaïques. Nous ne faisons alors que nommer et remettre en travail ces potentialités en articulant les mouvements du corps, les affects, et une parole revivifiée. Ce saut dans l’espace psychique s’opère dès que nous devenons capables de suspendre les performances du Moi en tant qu’il cherche à maîtriser les situations difficiles qui nous atteignent, pour laisser aller une fluidité du corps en mouvement qui échappe largement à la conscience que nous pouvons en avoir.

Ce qui est moins drôle, en revanche, c’est l’extraordinaire fragilité des quelques progrès réalisés lors de longues et souvent laborieuses approches institutionnelles, privées ou publiques, locales ou nationales. L’intelligence et le courage qui ont rendu cette pratique efficiente, parfois pendant de nombreuses années, s’effacent très souvent, sans laisser de traces, en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. Il suffit de quelques changements dans l’équipe, ou de l’arrivée d’un nouveau gestionnaire, pour que s’installe à nouveau cette faiblesse de pensée qui ne fait que répondre en écho à l’indigence des débats actuels : toutes les opinions se valent, à chacun son idée selon ses croyances, son groupe d’appartenance, son identité, son monde. La cacophonie qui en résulte transforme l’espace institutionnel en pétaudière. La paresse intellectuelle, seule valeur réellement transversale, renvoie chacun au miroir de son narcissisme, et le conduit à occuper triomphalement son petit espace de confort qu’il défend bec et ongles contre tout questionnement extérieur. Difficile de mener un travail éducatif ou thérapeutique si la seule règle est de ne pas déranger ceux qui usurpent la place.

Je n’ai jamais eu à regretter de m’investir auprès de ceux qui cherchent à sortir d’un trauma massif, ou à rompre une répétition de passages à l’acte violents, alors que j’ai perdu beaucoup de temps à nager contre le courant de nos institutions. J’aurais sans doute aussi regretté de n’avoir rien tenté, tellement je tenais à garder quelques illusions citoyennes, mais j’ai mis trop longtemps à comprendre que nos institutions n’étaient là que pour assurer leur propre survie, préoccupation qui capte toute leur énergie. Pour finir, que puis-je retenir de ce qui reste pour moi une belle aventure ? Une ouverture à une pensée de l’archaïque déposée dans les mouvements du corps, partagée avec quelques autres, peu nombreux, mais présents de tout leur engagement. C’est beaucoup ! Je leur adresse toute ma gratitude. J’ai également rencontré, par cette pratique, la question du mal, ce qui ne me laisse pas indemne.

Quand j’étais jeune, comme disent les Anciens, je croyais que la psychanalyse me permettrait de tout dire, alors que je boxais par ailleurs pour acquérir une belle maîtrise pulsionnelle par les techniques du corps. Je voulais rester et devenir « propre sur moi ». Heureusement, j’ai échoué ! En croisant ces registres, j’ai appris à écouter avec le corps, sans pour autant comprendre, et j’ai renoncé également à pouvoir tout dire. C’est dans ce parcours d’incomplétude que j’ai rencontré le mal. Je crois que la modernité a perdu la capacité de penser le mal, lui préférant la notion plus distanciée et factuelle de violence, qui se prêterait plus aisément à l’illusion d’une maîtrise technocratique, travers largement dominant dans lequel la psychoboxe persiste à ne pas tomber.

Le mal oscille entre deux figures bien contrastées : tout d’abord la nébuleuse informe d’une ambiance qui ne se manifeste que par ses effets, sans qu’il soit possible de se la représenter, et sans pouvoir différencier ce qui procéderait d’une « cause » extérieure ou d’un trouble purement intrapsychique, mais aussi, à l’opposé, l’effroi d’une représentation envahissante, dense, puissante, brutale, qui écrase le sujet, le laissant sidéré, incapable de bouger, de parler, de penser. Il m’arrive, dans ma pratique, de l’éprouver sous la forme d’un malaise diffus, qui me prend au corps, à partir de petits détails dispersés dans une situation complexe, sans que je puisse à ce stade les relier par la pensée. Il est présent aussi dans le choc éprouvé par la rencontre avec de grands pervers qui tentent d’attirer leur interlocuteur dans leur savoir autoproclamé sur la jouissance. Je ne l’ai jamais ressenti autant que dans la trace qu’il laisse dans le corps expressif de ses victimes : regards d’enfants maltraités, torturés, violés, regards étonnés, qui n’en « reviennent pas », effondrement des défenses, en pleine séance de psychoboxe, à en pleurer en tombant par terre. Tout ceci me donne envie d’excorporer cette part maudite d’une humanité dont je fais pourtant partie, à mon corps défendant.

Il ne me reste plus qu’à prendre une longue douche avant de me plonger dans la forêt encore vivante avec mon chien, qui m’entraîne généreusement, pour l’éternité d’un instant, dans l’illusion réparatrice d’une innocence animale partagée.

Ma vie et la Psychoboxe

Pascal Martin

Seuls les commencements ont la faculté de dévoiler une vérité cachée.

J. P. Kauffmann, « La chambre noire de Longwood ».

Comme pour Freud et la psychanalyse (la comparaison s’arrêtera tout de suite après), ma vie a été bouleversée par la Psychoboxe. C’est de cette rencontre et de quelques autres que je veux écrire ici quelques éléments constitutifs. La violence. Je n’ai jamais été fasciné par la violence : j’en ai toujours eu peur. Terriblement.

J’ai d’abord pensé que seul(e)s les autres étaient violent(e)s. Je ne me voyais que comme victime potentielle des agissements destructeurs de ces autres que je croisais. Je fuyais les bagarres ; même les jeux un peu trop virils m’effrayaient au point de toujours trouver un prétexte pour aller voir ailleurs si j’y étais… Par bonheur j’y étais. J’ai choisi des sports individuels après un essai triste au football (où j’ai choisi la place de gardien passoire pendant un moment) et une peur viscérale pour le rugby et le judo que je devais certainement juger comme trop intrusifs pourmoi.

Aborder la question de la violence dans une pratique qui ne le soit pas (trop) était une de mes priorités lorsque j’avais vingt ans. En entrant en analyse, je suis aussi entré en karaté… à côté. Autant le divan, la parole émise dans un silence apaisant (parfois angoissant) me comblait, autant le karaté me « parlait mal » en sachant pertinemment que je devais m’y coltiner. J’aurais pu me contenter de parler de ma peur de la violence, de me demander comment cette peur s’articulait avec l’absence d’un père protecteur et présent. J’aurais pu me contenter de cela mais je sentais précisément, qu’une fois encore je reculais devant ce corps craignant les coups. Il ne me venait même pas à l’esprit que je pouvais moi aussi donner, au lieu de « seulement » recevoir. Le karaté avait ceci de parfait pour moi que c’était d’abord et surtout une mise en scène de la puissance corporelle par l’apprentissage obsessionnel de gestes techniques et de rituels de combat que je résumais à l’époque fort bien : « on dirait que je te tue… ».

Une paix de compromis s’installait en moi entre la violence que j’abordais avec une frilosité toute névrotique encore et mon corps toujours persuadé avec son habitant qu’il ne savait que recevoir des coups. Un stage de karaté d’une semaine portant sur les limites m’a appris que je savais, voulais, désirais aussi faire acte de violence sur l’autre, peu importait alors le prix qu’il y aurait à payer pour cette physique audace ! Un goût de sang dans la bouche m’a fait cesser de sucer mon pouce du jour au lendemain… j’avais alors vingt-six ans. Il y a comme ça des symptômes qui ont la vie dure… mais finissent pourtant par quitter le terrain… La pratique des arts martiaux m’a forcé à regarder de près ce qui m’angoissait et m’angoisse toujours (me cogner la tête malencontreusement me rend fou de colère encore aujourd’hui). Toucher violemment mon visage reste une expérience difficile pour moi ; elle est exactement de même nature que de signer un texte écrit parmoi !

Je laisse cette répétition de « moi » car elle est en plein centre de ce qui me questionne encore. La psychoboxe m’a permis vraiment de me confronter « pour de vrai » avec ma propre capacité et volonté de destruction. Je n’ai jamais été très courageux, non par manque de courage mais par peur viscérale d’avoir mal, au visage principalement. Casser la gueule a toujours été pour moi une expression plus proche du réel que de l’imaginaire ! Les travaux d’Emmanuel Lévinas traitant du visage et de l’identité qui s’y trouve m’ont éclairé quant à cette peur incontrôlable. Mon analyse m’a accompagné. Pour résumer : avant la rencontre avec la psychoboxe, j’avais une peur presque panique de recevoir des coups, surtout au visage. Accompagnant ou recouvrant cette peur, une pratique des arts martiaux servant ma résistance à l’idée que je pouvais être moi-même violent. Un compromis névrotique assez bien « joué » et que l’analyse elle-même n’aurait pas réussi à lever vraiment tant le corps réel allongé sur le divan n’a pas grand-chose à dire de lui-même… C’est là sans doute ce qui fait limite à la cure quand il est question de violence corporelle mais ce n’est pas certain. Il serait plus juste de dire que c’est ce qui a fait limite chez moi, analysant, et aussi chez mon analyste… La question de la violence sur le divan reste pour moi une question ouverte qui demande certainement plus d’aptitudes à dépasser la cure type que de pensées rationnelles à la maintenir et justifier en l’état. Les psychanalystes ont aussi un corps violent mais de toute évidence et à quelques exceptions près, botter en touche reste la résistance dormante et dominante.

Les rencontres

Je n’ai pas rencontré la psychoboxe — j’ai rencontré Richard Hellbrunn. C’est pour moi essentiel. Il me semble, c’est du moins ma représentation, qu’une pensée originale, créatrice et vouée à une transformation des schémas de pensée traditionnelle, ne peut se percevoir et s’adopter sans la présence symbolique de celui ou de celle qui en est l’auteur. Je pense au Marxisme, à la Psychanalyse Freudienne puis Lacanienne et à la Philosophie. Je pense aussi, d’une façon plus triviale mais pas moins importante, à la musique, à la littérature et à la gastronomie. Ces espaces de renouveau et de remise en question de ses représentations tiennent leur pertinence par la construction et la rigueur de la pensée mais aussi par l’incarnation de cette pensée. En même temps, ce n’est pas si tranché ! Il y a un passage qui n’est pas obligé : l’imaginaire de celui qui reçoit peut être suffisant pour faire mouvement et transformation. Il me semble cependant que lorsqu’il est possible de voir ce qui se cache derrière la création, l’effet de surprise passé (c’est souvent le cas) produit une plus-value de la pensée ainsi incarnée. La trace laissée par le visage (principalement) de l’auteur est forte et durable. J’insiste un peu là-dessus car les combats de psychoboxe ont souvent à faire avec cet indicible de la rencontre et ce n’est pas anodin.

J’ai donc d’abord rencontré Richard Hellbrunn. À l’université où je crois pouvoir dire que nous nous sommes ennuyés, sur les tatamis d’un club de karaté où je pense pouvoir dire que Richard s’est ennuyé, dans les longues années professionnelles où il m’est arrivé de m’ennuyer mais pas trop et enfin dans le monde de l’amitié où je crois pouvoir dire que nous ne nous ennuierons jamais. La psychoboxe ne m’a jamais ennuyé.

Cure type et psychoboxe

La cure type a ses limites ; lui demander tout équivaut à ne pas vouloir savoir que tout



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