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Jacquet, cheminant, hospitalier, j'ai marché en totalité, sac à dos, à 8 reprises les voies de Compostelle entre 2012 et 2018. Soit plus de 600 jours, 18 000 km, plus de 27 millions de pas. Ce carnet de voyage de 4 mois (près de 350 clichés) est mon cheminement le plus long parcouru en France, Espagne et Portugal. Je vous propose d'en partager le vécu, avec ses forces (la spiritualité, les rencontres, le partage, la nature, le bien-être...) et ses faiblesses (les difficultés, le moral...). J'ai personnalisé mon parcours, puisque nous nous découvrons au fil du Chemin. Notre démarche, par nature personnelle, est différente de celles et ceux que nous croisons. Chemin de bienveillance, d'humilité, enrichissement, il nous enrichit, nous fait grandir. A chaque retour, ceux qui nous connaissent nous le dise. Bonne lecture. Alain
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Seitenzahl: 317
Veröffentlichungsjahr: 2024
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À Pauline, l’amour de ma vie
À mes fils Cédric, Yannick, Frédéric
À mes petits-enfants et arrière-petits-enfants
À mes compagnons de route lors de mes cheminements
À mes amis partageant mon goût du sensible et de l’humanisme
À Morgane Blomme-Petton pour la qualité de son illustration
Merci.
Note de l’auteur
Bonjour chères lectrices, chers lecteurs,
Lors de mes cheminements vers Saint-Jacques-de-Compostelle, ou sur la Francigena vers Rome, j’ai pris conscience de l’importance de notre échappée initiale de 1965 (j’avais 16 ans, Nathan, 17). Notre projet utopique consistait à rejoindre un kibboutz en Israël. Hélas, au bout de 56 jours, ce rêve utopique s’est arrêté brutalement à Izmir (Turquie).
Cheminant vers Compostelle, j’ai revisité ma vie, mes souffrances, mes blocages, parfois ma haine des adultes, des religieux… Descendu dans ma grotte intérieure, j’ai découvert celui que je suis au fond de moi-même. Désormais, avec Pauline, mon étoile, avec mes frères, je suis serein, apaisé. Le mot « Amour » a pris tout son sens.
Au fil de ces millions de pas, les souvenirs ont resurgi, été consignés, j’ai assumé. Libéré, j’ai pu reconstituer et regarder en face le puzzle de ces premières années de vie pénible, sans amour. Elles sont transcrites dans Destins croisés, un ouvrage d’espoir pour ceux n’ayant pas eu la chance d’être entourés d’une famille aimante.
Ce troisième cheminement de quatre mois, le plus long effectué vers Santiago et Fátima, se trouve dans la continuité de notre parcours initial, cinquante années plus tard. Il est aussi le rebond de mon accident de l’année précédente. Ayant perdu pied au bord d’un ravin près de la Motte-du-Caire (Alpes-de-Haute-Provence), je m’en suis tiré avec une cheville et la clavicule cassées. J’ai vu apparaître le spectre de la fin possible de mon existence. Ce signe du destin fut les prémices que le temps de la transmission était venu.
Dans mes échanges avec mes lecteurs ou lors de conférence, il m’est souvent posé la question de l’élément déclencheur m’ayant décidé à cheminer vers Compostelle.
En 2011, j’effectuais une randonnée en montagne avec l’un de mes petits fils de onze ans. Non loin de notre refuge du soir, il souhaita faire trempette dans un petit lac. Nous avions le temps. J’ai accepté, sachant que l’eau fraîche le pousserait à ressortir rapidement.
Il me rejoignit vite. Assis, pour la énième fois, nous parlons des projets d’avenir. Ceux-ci évoluaient au fil du temps. Il me montra le ciel, là où apparaissaient les premières étoiles.
« C’est là-haut que je veux aller », me dit-il.
Se tournant vers moi, il me renvoya ma demande. Surpris, je lui répondis en regardant les étoiles que ma vie était déjà bien remplie, mais que j’aimerais bien aller vers le champ des Étoiles qu’on appelle Compostelle. Il me questionna. Je lui racontai succinctement l’histoire de Jehan le Tonnerre dans Les Étoiles de Compostelle d’Henri Vincenot, un auteur que j’ai eu l’honneur de connaître, bien des années auparavant.
Fasciné, il me demanda pourquoi je ne réalisais pas ce projet. N’ayant pas bien réfléchi, mes explications furent peu convaincantes. Il me proposa : « Papy, si tu veux, on le fait ensemble. »
De nouveau pris de court, je lui répondis : « Pourquoi pas ? ».
C’est ainsi qu’après lui avoir offert ce livre, pendant plusieurs mois, nous avons randonné jusqu’à 15/20 km dans la journée. Nous avons aussi taillé nos bâtons de marche.
Au mois d’avril suivant, nous effectuons tous les deux les cinq premières étapes, de Vézelay à Nevers. Retournant à l’école, je l’ai ramené à Dijon (la fin des vacances). J’ai continué ce que nous avons commencé. Vous connaissez la suite.
Bonne découverte de ce vécu.
Alain
Mon troisième parcours
La via Gebennensis : Genève - Le Puy-en-Velay
14 à 24 : Hospitalier au Puy-en-Velay (11 jours)
Sur la Régordane, à travers les Cévennes
Sur le Chemin d’Arles (France)
Sur le Camino Aragonés (Espagne)
Sur le Camino Norte (Espagne)
Sur le Camino Primitivo (Espagne)
Sur le Camino Frances (Espagne)
Sur le Caminho Português (Portugal, Espagne)
La Ruta Maritima, Spiritual Variant (Espagne)
Fin du Caminho Português (Espagne)
Mes ouvrages disponibles
Mes derniers ouvrages
Jacquet, Cheminant, j’ai parcouru totalement, à huit reprises, les voies de Compostelle entre 2012 et 2020, effectuant en plus de 600 jours, plus de 18 000 km, plus de 27 millions de pas.
Avec ce carnet de voyage, j’ai le souhait de partager le vécu de mon périple. Avec ses forces (les belles rencontres, la spiritualité, le partage, la nature, le bien-être…), mais aussi ses faiblesses (les difficultés, les coups de gueule, les mauvais comportements…).
Je l’ai rédigé à partir de mes notes de voyage, pour en garder toute la saveur du moment. Le ressenti d’un jour est différent de la journée du lendemain, ma perception évoluant au fil du temps. Si je personnalise mon parcours, c’est que chacun de nous se découvre sur son chemin, par essence personnel, différent de celui de nos compagnes ou compagnons de route.
« Cheminant », ce terme me convient mieux que celui de pèlerin. Par nature tolérant, j’accepte sans restriction toutes les croyances, y compris son absence affirmée. Le Chemin est un parcours de bienveillance, d’humilité, d’enrichissement qui fait grandir. À chaque départ, nous revenons différents. Du moins, c’est ce que les autres nous disent, nous renvoient.
Ayant inclus environ 350 clichés, vous pouvez en consulter plus d’un millier d’autres sur mon blog : www.bourguignon-la-passion.fr — onglet 2015.
Ci-dessous, vous trouverez les tracés de ce cheminement. En chemin, j’ai découvert la Ruta Maritima, la variante spirituelle avec la traversée de la baie d’Arousa en bateau. Un moyen de revivre symboliquement l’arrivée légendaire de la dépouille de Jacques le Majeur à Iria Flavia, l’actuel Padrón. Deux arrivées dans la même année dans la cité galicienne de Santiago.
À très bientôt,
Alain Lequien, dit Bourguignon la Passion
Mon premier parcours de Genève à Santiago, par Le Puy-en- Velay (11 jours hospitalier), Arles, Toulouse, le col du Somport, Puente-la-Reina, San Sebastian, Oviedo, Lugo, Melide.
Dans la continuité, mon second parcours de Fátima (à partir de Lisbonne) à Santiago, par Coimbra, Porto, Pontevedra, La Ruta Maritima, Padrón.
13 h. Me voilà prêt à repartir sur le Chemin de Compostelle. Un vrai plaisir tant mes pieds me démangeaient depuis que ma cheville et ma clavicule cassées l’an dernier sont opérationnelles. J’ai choisi d’effec-tuer mon cheminement à l’ancienne, une dépense moyenne de 30/35 € par jour.
Ma réflexion du jour : « L’important n’est pas de convaincre, mais de donner à réfléchir. »
Je rejoins Genève en covoiturage pratiqué souvent comme chauffeur, en me déplaçant pour dispenser des cours de management. Blablacar m’a même nommé ambassadeur. (Sourires, belle promotion !)
Jean-Pierre et son épouse me prennent en charge à la gare de Dijon. Il privilégie les routes à l’autoroute. Un moyen de redécouvrir le parcours franc-comtois par Dole, Poligny (salut, Bruno), Les Rousses, Gex, St Julien. Un parcours avec des personnes sympathiques.
À 17 h, nous arrivons à Saint-Julien-en-Genevois (à la frontière suisse) où ils demeurent. Dans la cité, aucune trace visible du tracé, il n’y passe pas. Visite de l’église moderne n’ayant pas la saveur des vieilles pierres. Dans un café, le propriétaire me dit que sa femme est galicienne. Un étonnant présage, je penserai à elle à Santiago.
Première photo avec un vieux monsieur bardé de médailles. Ah oui ! Nous sommes le 8 mai, je comprends pourquoi. Je ne passe pas inaperçu avec mon bâton, mon sac et mon grand chapeau à l’Indiana Jones.
Début de la marche. Je suis obligé de demander ma direction à plusieurs reprises, le fléchage est absent. Mes huit premiers kilomètres sont parcourus sous un ciel couvert. Il ne pleut pas, il fait lourd.
Les signes jacquaires apparaissent : en haut d’un arbre, un Saint-Jacques taillé à La Forge. Devant le camping, un Saint-Jacques bien étrange. Sur le parcours, des klaxons de bienvenue. Les Savoyards sont cools.
Arrivée vers 18 h 30 chez mes hôtes. L’accueil est simple, celui de montagnards partant le lendemain dans le Queyras (Hautes-Alpes).
Bonne douche, un dîner sans chichi où nous parlons de montagne.
À 20 h 30, dans la chambre, je tape ce texte et travaille les quelques photos du jour. C’est le démarrage, je suis un diesel…
Départ très matinal, mes hôtes rejoignent leur randonnée vers 11 h. Petit-déjeuner simple et rapide. Tout commence par une montée raide suivie de champs. Le sentier est boueux. Premier petit village, Beaumont, où se trouve une belle fresque murale.
Petit mot de Gandhi : « Le courage n’est rien sans la sérénité. »
Traversant une forêt, je découvre un Saint-Jacques de belle facture. Moment de repos bien utile, après la gadoue du début de journée. Je découvre la Chartreuse de Pomier, fondée vers 11701. Durant deux siècles, elle fut agrandie et administrée par les Chartreux. Ils possédaient de nombreuses vignes et moulins jusqu’à Genève. Pour exploiter leurs biens, ils faisaient appel à des albergataires, leur payant leurs droits en espèces ou en nature.
Lors de la Réforme protestante de 1535, qui mit à mal les États du duc de Savoie, elle est épargnée. Cependant, vers 1588, la maison subit des dépravations. À partir de 1780, les idées révolutionnaires pénètrent en Genevois. Les Chartreux voient leur prestige baisser, accusés d’exploiter « les mangeurs de sérac », les petites gens. Une trentaine de serviteurs sont encore présents lors de la Révolution française pour s’occuper des champs et des animaux.
En 1792, le couvent est occupé par les membres de la commune libre de Carouges. Dès 1793, les moines se réfugient dans le Piémont. Le couvent est racheté par un dénommé Aguimac pour 74 480 livres. Il installe une indiennerie (fabrique de toiles peintes), puis une fabrique de faïence, enfin une brasserie à bière. En 1884, Jérémie Girod rachète les lieux pour les transformer en hôtellerie. Elle recevra de nombreux hôtes de marque comme le futur Jean XXIII ou Jacques Chirac. De nos jours, elle conserve une vocation d’accueil.
À Présilly, rencontre de mon premier marcheur, un policier de Munich parti depuis quatre semaines. Nous marchons de pair pendant une bonne heure. Plus rapide, il poursuit seul.
Nous ne nous reverrons plus. « Rien ne sert de courir », telle est ma devise. Peu après, rencontre sympathique d’une belle cavalière, l’occasion de parler de l’élevage des équidés dans la région.
Au col du mont Sion, je suis doublé par un autre marcheur. Moins sympathique, à moins qu’il ne soit plongé dans son trip, je n’ai aucune réponse à mon simple bonjour.
À Contamine-Sarzin, découverte d’un étrange oratoire réalisé en pierres. Un bien bel ouvrage sans beaucoup de moyens. Dans un hameau, je demande de l’eau à un jeune couple qui me remplit ma gourde. Elle est bien fraîche, il fait très chaud.
J’arrive au gîte d’étape de Chaumont. Nouvelle rencontre avec Claude, un grand sportif. Notre conversation tourne autour de la course à pied, étant moi-même un ex-marathonien. Coureur d’ultrafond, il accomplit des 100 km (13 heures) et des courses de 24 heures (193 km). Depuis deux ans, il ralentit la compétition, sentant l’arrivée de l’âge de la retraite sportive. Les valeurs de compétition prennent un aspect plus cool. « D’ici quatre ans, me dit-il, j’envisage de suivre ton Chemin. » Son état d’esprit évolue. Il se pose d’autres questions sur la vie en général, la sienne en particulier. Il sait qu’il lui faudra faire le deuil de ce qu’il a été, de ce qu’il ne sera plus. Je le comprends d’autant mieux que j’ai vécu cette même transformation dans les années 90′. Du siècle dernier, bien entendu.
À 7 h, nous quittons le gîte. Claude continue vers Annecy alors que je poursuis vers Le Puy-en-Velay. Ainsi va la vie ! Après la rencontre, chacun reprend le cours de sa vie. Peu de temps après, j’ai reçu son SMS sympathique.
Mon proverbe chinois du jour : « Si tu veux être heureux pendant une heure, fais la sieste. Si tu veux être heureux pendant une journée, va à la pêche. Si tu veux être heureux toute ta vie, aide ton prochain. »
Le temps est si beau qu’au bout de quelques centaines de mètres, je retire mon k-way. En fait, il ne se passe rien de spécial, sinon les chants d’oiseaux, un avion passant dans le ciel…
Après une grande descente sur un chemin de terre, j’arrive à Frangy, petite cité commerçante. J’en profite pour me recharger en carburant monétaire bien utile pour payer mes frais. Dans les gîtes, il n’est pas question de carte bancaire.
Mon cheminement se poursuit ainsi avec quelques rencontres. Ici, un vieux monsieur au pas rapide et décidé avec son bâton. Là, trois vététistes un peu paumés avec leurs cartes. Plus loin, un tracteur retirant des ronces sur le bas-côté. Puis, un quad portant un parasol… En passant devant une maison, j’entends une musique forte : sur des tables dans la cour, des boissons fraîches. Cela me donne soif. J’en profite pour me désaltérer avec ma poche d’eau. La vie, quoi…
J’arrive sur le pont passant sur le Fier, la frontière entre la Haute-Savoie et la Savoie. Il est midi passé, il fait très chaud. Je m’arrête devant un restaurant. J’ai faim et pas grand-chose dans le sac. Mon imprévision me joue parfois des tours… Je m’autorise une salade landaise et du coca bien frais. Ne rigolez pas amis bourguignons. Quand on marche, pas question de boire du vin. Je ne passe pas inaperçu avec ma dégaine et mon bâton aux couleurs rouge et blanches. Une femme et sa fille viennent échanger. Elles ont marché du Puy à Moissac. Un bon souvenir.
Je reprends la route sans traîner. Un peu plus loin, une grande famille attablée autour d’un camping-car me propose un café. J’accepte avec plaisir. Nous échangeons sur le Chemin, le compagnonnage (l’un d’eux est compagnon), le sport… le temps passe vite. Il faut repartir.
Il fait très chaud. Dans une montée, rencontre d’un couple ayant sillonné la voie du Puy. Ils ont apprécié leur expérience. En repartant, je me dis que le jour où j’arrêterai, une nouvelle petite mort m’attend, comme celle vécue en stoppant le marathon. Il faut s’y préparer…
Après plusieurs kilomètres sur une grande route (ah ! ces bagnoles et motos qui foncent, pour gagner quelques minutes), j’arrive au camping de Serrières-en-Chautagne. Je suis accueilli par une agente martiniquaise qui me place dans un Mobil-home. C’est l’occasion de parler de la Madinina, l’Île aux fleurs, là où est née mon épouse.
Le soir est calme : une petite bière, une salade de saumon. La fatigue et la chaleur du jour prennent le dessus sur ma volonté. Morphée m’accueille sans tarder.
Le temps est frais, le soleil apparaît timidement derrière les nuages du matin. Petit café au seul bar du coin.
Mon proverbe chinois du jour : « Si ce que tu as à dire n’est pas plus beau que le silence, alors tais-toi. »
Sans traîner, je reprends ma pérégrination par de longues allées de terre blanche tassée. Que dire de ces premières heures ? Pas grandchose sinon le chant des oiseaux, le caquètement des canards. Personne en vue. Vers Pont de La Loi, un petit pont de bois surplombe une minuscule rivière. Arrêt-buffet du matin. Un hélicoptère vert et blanc tourne à plusieurs reprises sur le Rhône et les forêts environnantes. Son bruit est malvenu, en volant bas.
J’arrive au bord du canal allant vers Chanaz. Une légende raconte qu’il aurait été creusé en une nuit pour permettre à une princesse de Châtillon de rejoindre sans encombre son bien-aimé, un gentilhomme du Bugey. Je rencontre Raul, un pèlerin mexicain vivant en Allemagne. Il a des problèmes de genoux. Il veut effectuer 35 km par jour, une folie d’autant qu’il est surchargé. Il commence à en payer les conséquences.
J’arrive à Chanaz, une petite station accueillante et touristique. Maisons sur pilotis, les pieds dans l’eau, petits ponts, restaurants au bord de l’eau, tout cela ressemble à une carte postale pour chalands au portefeuille bien fourni. Pas pour le pauvre cheminant, voulant rester dans l’humilité.
Revenant des provisions, je retrouve Raul cherchant un endroit pour dormir. Je mets à son service mon anglais franchouillard pour l’amener à la maison du tourisme. Il dormira au camping, ce soir.
Qui a dit que cheminer vers Compostelle était une simple balade ? Il y a des moments forts, mais aussi, avouons-le, des moments plus difficiles. Il faut savoir les accepter. Je lui donne l’adresse de la halte jacquaire du Puy où je serai du 21 au 31 mai. Au cas où…
J’entreprends une montée raide à travers un bois surplombant un ancien moulin à grande roue à aubes en bois fonctionnant toujours. Je marche tranquillement de mon pas de sénateur sur des petites routes ou des chemins plus ou moins pierreux.
À la chapelle d’Orgeval, un oratoire fut bâti en 1845 par les habitants de Landard, pour demander la protection de la Vierge. J’y rencontre deux marcheurs torse-nu faisant sécher leur linge. Buvant du vin, il m’en offre un verre que j’accepte. Pas de commentaire sur sa qualité indéniablement différente de nos vins bourguignons… C’est le geste qui compte. Ils repartent vite.
Je reprends la route, ma destination est encore lointaine.
Désormais, je traverse des vignes où s’affairent de nombreux ouvriers entretenant les ceps. Ils arrachent les mauvais rejetons, mais je laisse mes amis vignerons faire les commentaires appropriés. Ne jamais s’engager sur des chemins brûlants.
Je rejoins les bords de la déviation du Rhône pour arriver à Yenne. De l’autre côté, c’est l’Ain, « la France où l’on va travailler », me dit le patron du camping où je loge ce soir. Cent cinquante ans après le rattachement de la Savoie à la France, les anciens réflexes demeurent. Lors de la rédaction d’ouvrages2, je suis déjà passé par ici. Yenne est aussi la patrie du gâteau de Savoie. Son origine remonterait au bâtard Pierre de Yenne qui le fit servir au comte Vert de Savoie aux alentours de l’an de grâce 1348.
Ce soir, je dors dans une yourte à quatre places, une expérience à découvrir. J’y rencontre Robert, un membre de la Fédération française de randonnée venu reconnaître le balisage du GR9 qui cohabite un moment avec le GR65, la voie du Puy-en-Velay. Nous mangeons dans un kebab, il n’y a pas grand-chose d’ouvert. L’occasion de mieux nous connaître, demain, nous cheminerons ensemble ? C’est déjà un autre jour…
Ma pensée du jour : « Chaque être crie en silence pour être lu autrement ». (Simone Weil)
Il est déjà tard lorsque nous prenons la route après avoir pris notre café bu au bar du coin. La nuit dans la yourte fut revigorante, fraîche, si bien qu’il fallut rajouter une couverture sur le sac de couchage.
Tout commence par une montée raide sous un soleil déjà présent.
Notre première halte est pour Notre-Dame de la Montagne, une petite chapelle surplombant la cité. Elle fut construite lors de la fièvre des Savoyards à la suite du rattachement de la Savoie à la France en 1860. La statue de cette Vierge fut réalisée par l’artiste qui réalisa celle de La Fourvière de Lyon. Les habitants pensaient qu’elle protégerait la cité à la suite des incendies de 1840 et de 1850.
Cet arrêt fut le bienvenu pour reprendre son souffle, et quitter le kway.
Nous montons toujours, avec parfois, des faux plats. Arrivés à un surplomb, nous lisons une information disant qu’en face, en France selon les habitants de Yenne (Ain), se trouve le tombeau de Pierre Boisson. Né en 1819, ce personnage rêvait d’Amérique. Adolescent, il quitta la région pour s’embarquer à Marseille sur un voilier vers le Mexique. Il fit fortune comme dentiste. Revenu en 1875, il demanda à être enterré dans sa terre natale. Les autorités locales le lui interdirent, il était franc-maçon. Il fit ériger un monument de l’autre côté du Rhône pour regarder sa ville natale. Sa construction dura cinq ans. Il fallut transporter les matériaux sur une barque, puis les porter à dos d’homme.
Nous arrivons à un nouveau promontoire où nous découvrons, sur l’autre rive du Rhône, la Chartreuse de Pierre-Châtel de Virignin (Ain). Surnommé jadis Castrum Petra, ce piton servit de base à la construction d’une maison forte utilisée par les Princes de Savoie3. En 1383, elle fut transformée en monastère par les Chartreux. Assiégés par les Autrichiens en 1814, ils ne purent s’en emparer. Entre 1840 et 1850, un fortin fut construit. Avec la réunion de la Savoie à la France, le lieu perdit sa vocation stratégique.
Par moment, le sentier est raide. Très bon marcheur, Robert le gravit allégrement alors que je souffre. Il m’attend de temps à autre, mais cela doit être pesant pour lui.
Nous découvrons une croix taillée dans un ancien menhir. Pesant près de 700 kg, elle faisait partie d’un groupe ternaire, les autres ayant disparu. Cet ancien lieu de pèlerinage est encombré de feuillus.
Un peu plus loin, une énorme pierre qui roule, censée cacher un trésor. On n’y accède qu’entre les douze coups de minuit, le soir de Noël. Gare à celui restant au-delà de ce temps pour récupérer le maximum de pièces d’or. Il risquait d’y rester enfermé toute une année. Cette légende est présente dans de nombreuses régions de France.
Le soleil tape toujours. Alors que nous nous échangeons sur les croix des pèlerins décédés sur le Chemin de Compostelle, nous tombons sur une stèle datant de 2008 avec la mention Ultreïa ! Le signe de ralliement des jacquets.
Ainsi, ici, comme l’a voulu Molière : « Mourir en jouant sur une scène, un pèlerin (ou une pèlerine) est décédé en marchant vers le Chemin des étoiles ». Belle destinée.
Nous arrivons au mont Tournier que nous contournons avant de nous rendre aux Chamois. Robert y a réservé sa nuit. J’y fais halte, même si son coût est plus élevé que mes prévisions. Après la nuit de la yourte d’hier… L’accueil est chaleureux, l’endroit digne d’une chambre d’hôtes même s’il est classé en gîte. Le dîner est class, en compagnie d’un Suisse allemand et d’un Allemand.
Mon sommeil a été réparateur. Je suis en forme pour aborder la suite de mon cheminement. Il est vrai que de ma fenêtre, j’aperçois un paysage comme je les aime : vallonnés, verts, un ciel radieux, bref, une envie de m’ébattre dans les alpages.
Ma pensée du jour : « À force de sacrifier à l’essentiel pour l’urgent, on finit par oublier l’urgence de l’essentiel ». (Edgar Morin)
Après le petit-déjeuner solide, nous marchons de concert quelques centaines de mètres. Au village, je me dirige vers Saint-Genix-surGuiers, Robert continue vers la Chartreuse par le GR9.
Merci, Robert d’avoir été un compagnon attentionné.
À mi-chemin de la cité, un paysan a mis à la disposition des marcheurs dans une grange du café, du thé, et des coquilles Saint-Jacques à placer sur le sac. Tout cela pour quelques euros. Passant devant une chambre d’hôtes, trois dames attablées me proposent de boire un café. Je l’accepte avec plaisir.
Saint-Genix, la cité de Louis Mandrin, le célèbre capitaine des contrebandiers savoyards qui lutta contre les Fermiers généraux de Louis XV. J’ai toujours espoir d’écrire un jour un ouvrage à son sujet, tant il représente à mes yeux le prérévolutionnaire type.
L’histoire légendaire de la ville est liée à Agathe, une jeune chrétienne née en Sicile, martyrisée pour avoir repoussé les avances du proconsul. Elle fut condamnée à avoir les seins coupés. Contrairement aux attentes de son bourreau, ils repoussèrent miraculeusement.
Direction les Abrets. Après quelques kilomètres, un banc accueillant me permet de manger après la montée raide. Le ciel est dégagé, le temps lourd. Sous un arbre, je m’allonge et… m’endors. Je suis réveillé par l’arrivée d’un tracteur.
Je trouve alors un message réalisé sur bois d’Alain et Florentine qui me décide à me rendre à leur accueil.
Bien m’en prit. L’accueil est chaleureux. Mes hôtes consacrent les recettes de l’accueil jacquaire à la formation d’une quinzaine de jeunes à Madagascar, pays d’origine de Florentine. Je dors dans la chambre de la grand-mère absente.
Le repas du soir conséquent est pris en compagnie de mes accueillants et d’un couple ardéchois et de leur fille venus en chambre d’hôtes. Le prix pèlerin est adapté à la bonne cause qu’ils défendent. Je vous recommande cet accueil généreux.
Après le petit-déjeuner, et la photo de Florentine sur le pas de sa maison, départ vers ma nouvelle étape.
Ma pensée du jour : « Dureté et rigidité sont compagnons de la mort, fragilité et souplesse sont compagnons de la vie. » (Lao-Tseu)
Passage à Saint-Ondras où je suis doublé par un couple participant à un rallye pédestre. En arrivant à l’entrée de Valencogne, les bénévoles qui tiennent le ravitaillement m’offrent boisson et nourriture. À la sortie du village, à la croisée d’une route, un Saint-Jacques de belle prestance. Encourageant pour le Chemin !
Direction Le Pin. Je passe près du lac de Paladru. Je n’ai pas le courage d’aller me tremper les pieds. Des agriculteurs y vivaient 2 700 ans av. J.-C., dans un village néolithique. Au Pin, petit arrêt de boisson bien fraîche, on ne se refait pas. Belle grimpette pour atteindre l’ancienne chartreuse de la Sylve-Bénite fondée en 1116. Non visitable, on l’entr’aperçoit au-dessus des murs.
Arrêt-repas en forêt. Je suis dérangé par l’arrivée de cavaliers s’installant bruyamment. Je préfère m’éloigner pour rejoindre Oktar, le pèlerin suisse rencontré aux Chamois. Nous nous rendons à l’accueil jacquaire. Après un parcours saute-mouton, nous arrivons au Grand-Lemps. Cette petite cité accueillit des artistes comme Pierre Bonnard issu du cru, Alfred Jarry. Lamartine rendit visite à son ami de collège, Aymon de Virieu, sa famille possédant le château. Il y écrivit l’un de ses plus célèbres poèmes, Le Vallon.
Nous sommes accueillis par Line et Paul. La soirée se passe avec des échanges intéressants. Oktar étant avocat, nous échangeons sur le droit de nos deux pays. Un nouvel enrichissement sur un sujet fort concernant la justice des hommes que je rends aux prud’hommes.
Il y a des angoisses à dépasser. Ce soir, je dépasserai les 170 km de mon accident de l’an dernier, qui faillit mal tourner. Sur le Via Domitia (voie Domitienne) reliant Briançon à Arles, je suis tombé sur le bord d’un ravin, m’en tirant avec une cheville et une clavicule cassées.
Ma réflexion du jour : « Le véritable voyage de découverte ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages, mais à avoir de nouveaux yeux. » (Marcel Proust)
Il fait gris et frais. Oktar prend son temps pour se préparer. Je pars devant. Je ne l’ai pas revu. Nous nous croisons, nous marchons ensemble pendant quelques heures, nous partageons gîte et couverts, nous nous perdons, et peut-être qu’un jour, nous nous retrouverons.
À la sortie du Grand-Lemps, la décoration murale de La Fée verte attire mon attention. Le dessinateur-peintre est génial : il a su donner vie et beauté à des scènes quotidiennes.
Le parcours est plat, sans intérêt majeur. En passant dans un village, une étrange tour de brique accolée à l’église ? Vers Gilonnay se trouve le partage entre deux voies. L’une part en direction du Puy-en-Velay, l’autre, à gauche, vers Arles par Saint-Antoine-l’Abbaye. Ce choix est marqué par le cube géant de l’Association des Amis de Saint-Jacques Rhône-Alpes, gestionnaire du Relais Saint-Jacques au Puy-en-Velay où je serais hospitalier durant onze jours.
À midi, j’atteins La Côte-Saint-André, ville natale d’Hector Berlioz. Il quitta la cité vers 18 ans pour devenir le musicien de génie que nous connaissons. Il y composa à 12 ans ses premières romances. La cité abrite aussi le château de Louis XI et des halles médiévales.
Le temps se gâte, il se met à pleuvioter. Le vent commence à souffler, remettre le k-way est de rigueur. Un Saint-Jacques me salue en passant. J’arrive au camping de Faramans, juste à temps pour me réfugier le temps d’une grosse averse.
Je repars vers Pommier-de-Beaurepaire. Le trajet est pénible : pluie, vent par rafales, bref désagréable. En arrivant, je me réfugie dans l’église pour attendre mes hôtes. Il n’est pas rare que ceux demeurant hors du parcours viennent nous récupérer pour passer la nuit et nous redéposer au même endroit le lendemain.
Lorsqu’Évelyne arrive, je suis frigorifié… Accueil bienveillant de mes hôtes, Évelyne et Max, autour d’un repas copieux et d’une ambiance chaleureuse. Cette étape est l’occasion de découvrir le travail de forestier, de recherche de contrat des paysans comme complément à leurs activités agricoles. Une approche de la dureté du travail manuel cassant les reins que nous, urbains, nous ne mesurons pas.
La journée a été rude, je ne traîne pas trop. Après la tisane, le lit confortable me tend ses bras. Je ne me fais pas prier.
Max me dépose sur la route. Le temps est humide et frais. Notre conversation d’hier soir m’a ouvert l’esprit, donnant du contenu aux échanges actuels avec Noël-Jean, dans la Commission éthique au travail à laquelle nous participons. Hasard de la rencontre ?
Ma pensée du jour : « Nous sommes composés de nature et d’aventure. » (Jacques Maritain)
Le cheminement débute par des sentiers boueux, suivis de routes goudronnées ou pierreuses, longeant la ligne de TGV. Après le passage sous le pont, un marcheur me double. Nous ne pouvons pas échanger, il est malentendant. Il marche vite malgré son énorme sac.
Au croisement, je choisis la variante passant par la forêt de Taravas- Champuis, nom donné en l’honneur du dieu protecteur gaulois Taranis, assimilé au dieu du tonnerre Vulcain. Jadis, il y avait de nombreux loups. Les sentiers sont défoncés par les travaux forestiers. Aujourd’hui, aucune activité humaine.
Quelques kilomètres plus loin, alors que je mange une pomme, un jeune couple suisse arrive. Nous cheminons ensemble pendant plusieurs kilomètres avant de retrouver la direction de Bellegarde.
À Assieu, nouvelle boisson fraîche dans un bar. J’y déjeune, car il sert un repas ouvrier peu onéreux et consistant. C’est l’occasion de répondre aux questions des gens du cru sur ma marche.
Je reprends mon parcours vers Auberives-sur-Varèze et Clonas-sur-Varèze que je traverse rapidement. Ayant marché une trentaine de kilomètres, je reporte ma traversée du Rhône au lendemain.
Je me dirige vers la maison de Colette et Jean-Pierre, à Saint-Alban-Rhône. Ces accueillants sont charmants. Lui est un ancien officier supérieur de marine de 85 ans, Colette est plus jeune.
J’y trouve Édith, une pèlerine suisse avec qui je continuerai.
La pensée du jour est de Gilbert Cesbron : « Qu’est-ce que réussir ? Remplir son contrat avec la société s’appelle la réussite ; avec les siens le bonheur ; avec Dieu la sainteté. »
Après le petit-déjeuner copieux, nous traversons le Rhône par le pont routier venteux de Chavanay. Il faut se tenir à la barre du pont.
À Chavanay, nous entrons dans le département du Rhône. Dans cette petite cité vinicole de Côtes du Rhône, le raisin pousse sur des terrasses de culture aux nombreuses pierres sèches.
Après le retrait d’argent au distributeur, je retrouve Édith et le couple suisse. Nous entamons la montée vers la chapelle du Calvaire restaurée depuis quelques années. Le panorama sur les petites cités environnantes et le Rhône est magnifique sous un soleil hésitant. Il faut redescendre parmi les vignes vers Bessey.
Je me retrouve seul, le jeune couple s’est éloigné, Édith reste en arrière. Rencontre d’un couple âgé accompagné de leur gros chien. L’homme, un Alsacien, porte une bouteille d’oxygène dans son sac à dos relié à un tuyau pour lui permettre de respirer tout en marchant lentement. Nous parlons de nos difficultés de la marche. Elles sont sans commune mesure de celles de cet homme courageux.
Dans une descente rapide pierreuse, je croise un couple de vététistes. Les vergers ont remplacé les vignes. De loin, j’aperçois Édith marchant à grands pas. Je ralentis pour lui permettre de me rejoindre.
Près de Saint-Appolinard, une vieille dame nous propose de l’eau. Ma cheville gauche étant très gonflée (celle réopérée), elle m’amène une bassine d’eau fraîche pour la faire tremper. Cela me fait beaucoup de bien. Nous sommes dimanche, il n’est pas possible d’acheter des provisions. Généreusement, elle revient en nous donnant un morceau de pain. Qui a dit que les gens ne sont pas bienfaisants ?
Nous entamons la montée vers la Croix de Sainte-Blandine, près de 300 mètres de dénivelé positif. Le soleil brille, il fait chaud. Alors qu’Edith grimpe facilement, je reste à la traîne. Un couple d’une quarantaine d’années arrive à mon niveau. Ils ne font qu’un aller et retour vers le col. Nous échangeons sur Compostelle. La femme sort du sac un paquet de gâteau qu’elle m’offre. C’est le jour… Je le partage avec Édith devant le gîte où elle devait s’arrêter. En fait, elle attend toujours la réponse de l’accueillant.
Pour ma part, je continue jusqu’à Bourg-Argental malgré la taille de ma cheville douloureuse. Je téléphone à mes hôtes du soir, Christiane et Jean-Paul, en leur proposant d’accueillir aussi Édith. Ils sont d’accord. Nous repartons. En route, nous croisons Jean-Paul en voiture, venu récupérer Andréa, une jeune Suissesse en difficulté. Nous montons à bord.
Nous passons une très bonne soirée avec des personnes très engagées dans la relation à l’autre. Un moment d’une grande qualité.
Pensée du jour (Bertrand Vergely) : « Il y a des larmes plus douloureuses que celles que l’on pleure ; ce sont celles que l’on n’arrive pas à pleurer. »
Je suis dans une grande interrogation ce matin. Dans trois jours, je serais hospitalier au Puy-en-Velay. Il me reste environ 90 km à parcourir. 30 km par jour, ce n’est pas une difficulté en temps normal. Mais, avec cette fichue cheville enflée ? Je dois éviter de me mettre en embarras pour la suite de mon cheminement.
La solution est de rejoindre Montfaucon-en-Velay en raccourcissant le trajet d’une trentaine de kilomètres. Ce n’est pas dans ma logique, mais la situation me semble être un cas de force majeure. La seule possibilité, du fait de l’absence de transport en commun, est de faire de l’auto-stop. Cela me rappellera le temps de ma jeunesse.
Jean-Paul me dépose à la sortie de la cité. Quelques minutes plus tard, un jeune homme me prend en charge. Ses parents ont cheminé vers Compostelle. Une vraie chance. Il fait un détour pour me déposer à 6 km de Montfaucon. Là, je remonte la longue côte face aux voitures. Ce n’est pas très prudent, mais il faut faire avec. Non loin de l’entrée de la cité, un minibus s’arrête. Le chauffeur me fait signe de monter pour me déposer en centre-ville où passe le Chemin de Compostelle.
À l’arrivée, j’entame la voie vers Tence, passant sur des petites routes, des sentiers herbeux ou terreux, des hameaux.
À la Petite Papeterie (Tence), je découvre l’histoire du lieu. À Tence, un jeune homme à sa fenêtre m’envoie son bonjour. Nous échangeons quelques mots. Sa compagne m’invite à partager leur repas. J’accepte avec joie. C’est pizza-purée. Elsa et Éric viennent de terminer leur apprentissage de bourrelier à Decazeville (une cité du parcours).
Venus passer quelques jours ici, Elsa est fière d’avoir terminé seconde du concours départemental du meilleur apprenti. Bravo, Elsa !
Au bout d’une heure, je reprends la route vers Saint-Jeures où je pense me reposer au gîte d’étape. Hélas, il est fermé depuis décembre dernier. Je suis fatigué. Gilbert, le mari de Ninou, de l’accueil jacquaire d’Araules, vient me chercher. J’y passe une très bonne soirée en compagnie du couple rencontré à Montfaucon et d’un Autrichien, Christophe. Très belle discussion sur le déisme et les théismes.
Ma pensée du matin : « On ne peut comprendre l’autre qu’en marchant deux kilomètres dans ses mocassins. » (Proverbe indien)
Après un sommeil réparateur et un petit-déjeuner copieux, je reprends la route pour mon avant-dernière étape de ce Genève-Le Puyen-Velay. Après quelques montées pierreuses, quelques kilomètres plus loin, je découvre des paysages étranges aux formes héritées d’un volcanisme ancien. Nous sommes dans le pays du Meygal. Je passe près de Queyrières, à 1 200 mètres d’altitude, s’étendant devant une butte balsamique. Sur celle-ci existait au 11e siècle un château aujourd’hui disparu. Il est vrai que les temps ont changé.
À Monedeyres, je prends un peu de repos près de l’église. En fait, il s’agit d’une salle des fêtes. Pour quelle raison ? Rattachés à la paroisse de Queyrières, les habitants considéraient leur village trop éloigné de l’église officielle. En 1887, ils décidèrent de construire leur lieu de culte. Terminée en 1914, elle ne fut jamais consacrée par les autorités religieuses. Cette histoire singulière inspira Jules Romains dans sa pièce Cromedeyre le Vieil. Autre originalité, la maison de la Béate, une « religieuse laïque » se dévouant à la population. Les enfants recevaient la catéchèse, l’apprentissage du calcul et de la lecture. Ces lieux situés sur des rivières-gaves sont propices à l’édification de moulins à rodet ou à pirouette, portant le nom du propriétaire, à l’exemple du moulin Guérin que je croise. Avec la force de l’eau, ils moudraient le blé et les céréales en leur procurant un revenu appréciable.
À Saint-Julien-Chapteuil, je déguste un sandwich au jambon local. On y trouve de nombreuses références à Jules Romains. Dans l’église romane du 12e siècle, restaurée au 19e siècle, une chapelle est dédiée à saint Jacques.
Reprise par une longue montée vers Saint-Pierre-Eynac situé hors du parcours. J’y passe la nuit. À l’entrée du village, l’église romane du 11e siècle bâtie par des moines de La Chaise-Dieu. Une chapelle est consacrée à l’abbé Perbet, tué par les gardes nationaux. Les habitants lui attribuent de nombreuses guérisons.
L’étape étant courte, j’arrive tôt au refuge. Je suis rejoint par les marcheurs rencontrés hier soir. Nous partageons le repas du soir.
C’est la dernière étape de la première partie de mon cheminement. Je passerai 11 jours au Puy-en-Velay comme hospitalier.
Après avoir reçu, il faut savoir donner.