Escale forcée à Brest - Stéphane Jaffrézic - E-Book

Escale forcée à Brest E-Book

Stéphane Jaffrezic

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Beschreibung

Navire au sec, armateur à l’eau…

Victime d'une avarie dans le rail d'Ouessant, un cargo est détourné vers Brest. Lors de la mise au sec du navire, les employés repèrent un cadavre qui s'avère être celui de l'armateur.
C'est l'occasion pour le capitaine Maxime Moreau, fraîchement entré dans les rangs de la PJ, de démontrer que sa réputation n'est pas usurpée. Très rapidement, des pistes semblent se dégager : les suspects ont, en effet, de réels mobiles d'en vouloir à la victime. Mais la duplicité humaine sait bien souvent profiter des apparences. Au capitaine d'en déchirer le voile, tout en luttant pied à pied contre les rivalités au sein de sa nouvelle équipe.

Dans ce 6e tome, le capitaine Maxime Moreau se lance dans une enquête passionnante au port de Brest.

EXTRAIT

Occupé à transcrire une conversation entre deux toxicos, je suis sorti de ma concentration par une suite de notes aigrelettes. Il me faut deux à trois secondes pour réaliser qu’elles proviennent du portable que l’on m’a confié hier vers quinze heures, quand j’ai endossé pour une semaine la responsabilité d’officier de police judiciaire de permanence. C’est, paraît-il, assez rare qu’il sonne…
— Allô.
— Bonjour capitaine Moreau. Ici le procureur Colinet. J’ai appris votre affectation à la PJ. Félicitations.
— Merci Monsieur le procureur.
— Je vous en prie, c’était parfaitement mérité. Votre dossier plaidait en votre faveur. Mais laissons là ces ronds de jambes. Battez le rappel de vos troupes et foncez me rejoindre à Brest, sur le port de commerce. On vient de découvrir un corps, et le décès n’a rien de naturel.

CE QU’EN PENSE LA CRITIQUE

Éditions Bargain, le succès du polar breton. – Ouest France

À PROPOS DE L'AUTEUR

Né à Concarneau en 1964, Stéphane Jaffrézic habite et travaille à Quimper. Il nous présente ici un huitième roman policier dont l'intrigue a pour cadre le Finistère-Nord. Cet auteur a également publié dans la collection Pol-Art plusieurs ouvrages.

À PROPOS DE L'ÉDITEUR

"Depuis sa création en 1996, pas moins de 3 millions d'exemplaires des 420 titres de la collection « Enquêtes et suspense » ont été vendus. [...] À chaque fois, la géographie est détaillée à l'extrême, et les lecteurs, qu'ils soient résidents ou de passage, peuvent voir évoluer les personnages dans les criques qu'ils fréquentent." - Clémentine Goldszal, M le Mag, août 2023

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Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

REMERCIEMENTS

- À Mireille Kervella,

- À Philippe Lalouer,

- À Vincent Martin, et Dominique Quéroué,

- À Hélène et Benoît,

- À toute l’équipe des Éditions Alain Bargain.

I

En posant le pied sur la dernière marche de l’escalier, je me dis que cette journée revêt un caractère exceptionnel. Au troisième étage du commissariat de la rue Théodore Le Hars, les locaux de la PJ sont ce samedi à mon unique disposition. Pour moi, pour moi seul. L’antenne quimpéroise n’a certes pas l’aura de la légendaire Police Judiciaire parisienne, mais d’être là me remue quand même les entrailles. J’ai intégré ce service depuis deux semaines, quittant presque à regret mon poste au commissariat de Concarneau et mes sympathiques collègues auxquels je commençais à m’attacher. Des liens s’étaient tissés. Avec David Fournot, Luc Pallas et Frédéric Gaubert, on s’est promis de garder le contact. Mais en se voyant de loin en loin, on sait ce que cela signifie…

Dépendant de la DIPJ1 installée à Rennes, notre effectif est de quatre agents pour Quimper et onze pour Brest. Chacun bosse de son côté, mais on se donne la main quand le coup est d’importance. En ce moment, mes efforts portent sur un vaste trafic de stupéfiants.

Il est question d’héroïne, de cocaïne et de shit. De grosses quantités.

Quatre gaillards sont parfaitement identifiés et, sans le savoir, vivent leurs derniers jours de liberté.

Mes collègues et moi ne voulons pas en rester là. Il nous faut toute la filière, grossiste compris. Ils sont placés sur écoutes. C’est pratique pour monter un dossier à charge.

Le hic c’est qu’il faut lire tous les SMS et écouter des conversations parfois longues de plusieurs minutes pour finalement ne rien en retenir, ou seulement un mot ou une phrase équivoque. C’est fastidieux.

Ça l’est encore plus quand, à l’approche d’une livraison, les trafiquants sollicitent leurs dealers. Je n’exagère rien en comptant plus de cent appels ou SMS pour un de mes suspects.

En multipliant ce chiffre par le nombre de dealers qu’il faut ensuite identifier et qu’il faut à leur tour mettre sur écoutes, on obtient quotidiennement une cascade de communications à traiter. Fatalement, le résultat est double le lundi matin, voire triple, car le week-end est par nature propice aux commerces illicites.

Pendant que les premières gouttes de café tombent au fond de la cafetière, j’interroge le Rescom. À destination exclusive de la police, ce réseau de communication reçoit les infractions, incidents ou accidents recensés sur le territoire national. À l’Ouest, rien de nouveau ce matin, sinon une flopée d’interpellations pour conduite en état d’ivresse, parfois suivies de rébellion.

Côté gendarmerie, on note des coups et blessures dans le Pays Bigouden et à Riec-sur-Belon, et la mise hors d’état de nuire d’un trio pris sur le fait alors qu’il s’apprêtait à s’introduire dans la mairie de Ploudalmézeau pour racler les fonds de tiroirs à la recherche de quelques euros.

Sinon, ce n’est que du réchauffé : depuis jeudi soir déjà, un homme de quarante-huit ans s’est volatilisé à Brest et on est également sans nouvelle de deux adolescents de Penmarch qui auraient fugué.

J’enregistre mentalement les descriptions physiques et vestimentaires des fugueurs et du disparu pour le cas où, sait-on jamais, je croiserais leur chemin.

Deux minutes plus tard, une tasse fumante à portée de la main, je suis plongé dans mon travail.

*

Je suis un homme d’action. De rester sagement assis à écouter des conversations téléphoniques finit vite par me saturer. C’était bien la peine de sauter au plafond en apprenant ma mutation à la PJ si je suis cantonné à un emploi de scribouillard ! En milieu de matinée, me vient l’envie de me dégourdir les jambes. La pluie s’est arrêtée de tomber, mais par la fenêtre fermée qui tremble sous les coups de boutoir du vent, le ciel d’un gris noirâtre est synonyme d’une averse imminente. Résigné, je retourne m’asseoir. Consultant le Rescom alimenté par de nouveaux faits divers, j’apprends que des teufeurs ont installé leur sono dans un champ près de Quimperlé et que deux chasseurs en sont venus aux mains du côté de Carhaix. Encore heureux qu’ils aient posé les fusils avant de se bastonner ! Étanche au bruit de la circulation, je me remets au travail.

Occupé à transcrire une conversation entre deux toxicos, je suis sorti de ma concentration par une suite de notes aigrelettes. Il me faut deux à trois secondes pour réaliser qu’elles proviennent du portable que l’on m’a confié hier vers quinze heures, quand j’ai endossé pour une semaine la responsabilité d’officier de police judiciaire de permanence. C’est, paraît-il, assez rare qu’il sonne…

— Allô.

— Bonjour capitaine Moreau. Ici le procureur Colinet. J’ai appris votre affectation à la PJ. Félicitations.

— Merci Monsieur le procureur.

— Je vous en prie, c’était parfaitement mérité. Votre dossier plaidait en votre faveur. Mais laissons là ces ronds de jambes. Battez le rappel de vos troupes et foncez me rejoindre à Brest, sur le port de commerce. On vient de découvrir un corps, et le décès n’a rien de naturel.

1 Direction Interrégionale de la Police Judiciaire.

II

Le brigadier-chef Justin Debolo à mon côté, nous faisons du cent quatre-vingts sur la voie express RN 165. À la hauteur de Châteaulin, une pluie diluvienne m’oblige à ralentir, mais nous progressons à une vitesse soutenue. Martiniquais né à Fort-de-France, solide comme un roc, mon passager me fait entièrement confiance. Tout juste s’il fronce les sourcils quand je joue du klaxon et des phares pour réclamer le passage. Lui seul était disponible et, en moins de douze minutes, il a fait le trajet depuis Rosporden pour me rejoindre devant le commissariat. Même au regard de la circulation d’un samedi matin, c’est une vraie performance.

— C’est tout ce que t’a dit le procureur ? demande-t-il d’une voix claire et fraîche comme celle d’un jeune majeur dont il a conservé un visage poupin.

— C’est tout. Pendant que je t’appelais et que je tentais de joindre Simon et Suzy, il se chargeait d’ameuter le commandant Denjoy et ses hommes. Comme ils sont sur Brest, ils seront sur place avant nous. Ce rendez-vous sur le port pourrait signifier une disparition rapide d’indices… Avec la flotte et le vent, ce n’est pas gagné si la scène de crime est en extérieur…

Nous échangeons tout au long de la route, regrettant que nos collègues Suzy Villard et Simon Jaouen ne soient pas joignables. Nous profitons de l’occasion pour mieux nous connaître. Quand je passe le pont de l’Iroise en déclenchant le radar fixe car l’aiguille du compteur flirte avec le cent vingt, je sais que Justin compte trente-neuf printemps et que Nathalie, son épouse, lui a donné deux garçons de douze et quinze ans. Je sais aussi qu’il retourne sur son île quand ses finances le lui permettent, en gros tous les deux ans.

Suivant les consignes du procureur, je prends la direction du port de commerce. Un virage théoriquement à cinquante à l’heure, et je remets la sauce dans la ligne droite. À un rond-point, je tourne à gauche vers la Direction Portuaire de la Chambre de Commerce et d’Industrie. Une trentaine de mètres, et un portail nous barre l’accès vers le radoub numéro 1. Occupé à taper la discute avec des agents en tenue près d’une Mégane Renault de la police brestoise, un agent de sécurité nous regarde survenir. Je montre ma carte de flic, et le portail glisse sur son rail.

C’est magique un port. Baigné de soleil ou comme aujourd’hui balayé par le vent et un crachin tenace, il y règne toujours une atmosphère étrange. Ici, rien que du béton et de l’acier. Pas de frivolité, on fait dans le lourd, le costaud, le durable. Cet espace est uniquement dévolu au travail. Seules touches de couleur, le bleu et le jaune d’une immense grue. J’oubliais le rouge de l’ambulance des pompiers, dont le gyrophare bleu se reflète dans les flaques. Pas mal de couleurs finalement, mais l’endroit n’en demeure pas moins froid, brut de décoffrage. Ils sont trois, les soldats du feu, à attendre l’autorisation d’intervenir. À quelques mètres, d’autres hommes et femmes, parmi lesquels je reconnais trois OPJ que j’ai déjà croisés. À l’écart, un autre petit groupe de trois hommes. Costard-cravate et se donnant l’air important. En toile de fond, un cargo blanc au beau milieu de la cale sèche.

Les mains dans les poches de nos blousons pour les protéger des morsures du froid, nous nous approchons, Justin et moi. Le Martiniquais, qui ne s’habituera jamais aux températures de la métropole, a un bonnet enfoncé sur la tête et a revêtu une doudoune qui ne semble pas lui suffire si j’en crois ses dents qui s’entrechoquent en produisant un son de castagnettes.

Nous avisant quand nous ne sommes plus qu’à quelques mètres, le responsable de la PJ, Pascal Denjoy, vient à notre rencontre. Il a le statut de commandant à l’échelon fonctionnel, ce qui signifie qu’il est chef de service. Rondouillard, proche de la cinquantaine, il est d’un abord peu engageant. En plus de l’habituelle petite lueur qui vous sonde au plus profond, ses petits yeux gris ont ce matin un éclat métallique.

Le caban boutonné jusqu’en haut, il sort une main d’une poche et dit d’une voix mesurée, comme lors d’un enterrement :

— Salut Juju. Salut Maxime. Ben dis donc, vous avez fait fissa !

— On n’a pas musardé en route. Qu’est-ce qui se passe exactement ?

— Les employés chargés de mettre ce cargo au sec ont aperçu un corps dans le radoub. Aussitôt, ils ont stoppé les pompes et ils nous ont appelés. On ne touche à rien pour l’instant.

— On connaît la cause de la mort ? Selon le procureur, tout à l’heure au téléphone, il y aurait un obstacle médico-légal.

— Pas besoin du toubib pour décider de la nécessité d’un obstacle médico-légal : le type a une lame plantée dans le bidon. Dis, Max, c’est bien toi l’OPJ de permanence ?

— Oui, depuis hier.

— Eh bien, j’ai l’honneur de t’apprendre que cette affaire te revient de droit. Tu connais les OPJ de Brest ?

Jetant un œil par-dessus son épaule, je réponds :

— Seulement toi et deux d’entre eux.

— Et le procureur Colinet ?

— Pas physiquement, non. Je l’ai eu au téléphone tout à l’heure, et il y a quelques mois pour une affaire du côté de Fouesnant1, mais ça s’arrête là.

— Viens que je te présente.

Le ton est sans chaleur, uniquement dicté par la nécessité. Ils sont huit, tapant la semelle pour se réchauffer les pieds. Commençant par le procureur, Denjoy me donne ensuite les grades et identités des OPJ brestois avec qui il pourra m’arriver de travailler lorsque, comme aujourd’hui, un gros coup mobilise la quasi-totalité de l’effectif. Dans un premier temps, je ne retiens que les prénoms et les grades. Deux femmes figurent au nombre des OPJ, Solène et Maela. On est encore loin de l’égalité des sexes dont on nous rabat les oreilles, mais ça fait du bien de savoir que notre société évolue.

Un signe de tête de Colinet me suggère d’avancer jusqu’au bord du radoub. Même si on aperçoit sa ligne de flottaison, le cargo n’est pas encore complètement hors d’eau, il y a encore une hauteur d’au moins deux ou trois mètres avant que ce ne soit le cas. Une trentaine de mètres plus bas que nous, le corps d’un homme, les bras en croix, allongé sur le dos, affleure la surface. Il porte un pantalon de couleur sombre et une veste plus claire, ouverte sur un pull dans lequel on aperçoit le manche d’un couteau. De grande taille, autant qu’il soit possible d’en juger auprès de l’imposante masse du cargo, l’individu a le crâne aussi lisse qu’une boule de billard.

— Voilà le malheureux, fait le procureur. Maintenant que vous êtes là, capitaine Moreau, je vous charge officiellement de cette enquête. J’ai averti le SRIJ2. Le temps qu’ils viennent de Rennes, ils seront là dans moins d’une heure maintenant. Pendant qu’ils s’occuperont de découvrir des indices, tentez d’identifier la victime. Vous avez mon numéro de portable, prévenez-moi quand ce sera fait.

— Je sais déjà qui il est, Monsieur le procureur.

S’arrêtant de souffler dans les mains ou de danser d’un pied sur l’autre pour se réchauffer, tous s’approchent et me regardent comme si j’étais un extraterrestre. Posant deux yeux ronds sur moi, Colinet bégaye :

— Ben… mais… comment que… dites… mais… Alors là, Moreau, vous m’épatez !

— Je n’ai aucun mérite, j’ai lu ce matin sur le Rescom la description d’un homme porté disparu depuis jeudi soir. Les vêtements de la victime correspondent au signalement. Idem pour la taille et le fait qu’il n’ait plus un poil sur le caillou. Ce serait une drôle de coïncidence que ce ne soit pas notre disparu.

— Chapeau, Max ! commente Denjoy en applaudissant lentement d’une manière ironique. À peine arrivé, tu nous troues.

— Je n’ai pas son nom en tête, mais il suffit d’interroger le Rescom pour l’apprendre, et par là même celui de la personne qui a signalé la disparition.

— Je crois que cette enquête débute sous les meilleurs auspices, sourit le procureur. Je dois filer, mais tenez-moi au courant. Bon courage, Messieurs !

Nous le regardons s’éloigner, avant que le commandant Denjoy déclare en se frottant les mains l’une contre l’autre :

— Tu aurais pu attendre, tu nous as fait passer pour des nazes…

Le ton est aigre-doux. Mes collègues se découvrent soudain un motif pour s’éloigner sans en avoir l’air. J’esquisse un sourire gêné et tente d’atténuer :

— Normalement, vous ne bossez pas aujourd’hui, donc vous n’aviez pas à consulter le Rescom. On fait quoi, là ?

Il me scrute un instant de ses billes aussi froides que l’acier dont elles ont la teinte, avant de dire :

— On attend le SRIJ. Avant que toi et Justin arriviez, on se préparait à recueillir les témoignages des employés du radoub. Ce sont eux qui ont aperçu le corps. On va d’ailleurs s’y mettre… Éric, Laurent, Justin et Alex, vous prenez chacun un gars et vous enregistrez leur déposition. Les autres, vous furetez le long du quai, et si vous voyez quelque chose de particulier, vous ne polluez pas la scène et vous nous appelez. Allez, au boulot !

— Et nous ?

— À ton avis ? Tiens, pour tes débuts dans le service, je vais te laisser l’initiative. À toi de dire ce qu’on va faire. Vas-y, je t’écoute…

Ça sent le bizutage.

— Eh bien… je vais appeler le commissariat de Brest pour obtenir l’identité de la personne qui a annoncé la disparition. Je vais ensuite la faire venir ici. J’ai bon ?

— Oui. Et pendant ce temps ?

— Pendant ce temps ? J’irai bien boire un café, mais ça ne ferait pas professionnel, alors je propose qu’on interroge le responsable du site. Je suis curieux de savoir comment tout cela fonctionne. Ça nous aidera peut-être à y voir plus clair…

*

Après un court dialogue par radio avec un agent du commissariat central de Brest, ce qui permet de mettre un nom sur la victime, un certain Lionel Abadie domicilié à Lorient, je fais la connaissance de Charles Tourneur, le responsable des installations portuaires, et de Jean-Louis Mignard, agent de maîtrise responsable des opérations ce matin. Petit bouc soigneusement taillé et moustache poivre et sel, le premier affiche une bonne cinquantaine d’années. De ma taille, trapu, à moins que ce ne soit son gros pull et son blouson qui fassent cet effet, il a la tête des mauvais jours. Sensiblement du même âge, le second est bien plus grand. Lui non plus ne goûte pas la situation. Déjà qu’on le fait bosser un samedi, voilà que la mise au sec du cargo prend du retard ! Il s’était sûrement établi un planning pour la journée, mais la découverte d’un cadavre vient contrecarrer ses plans.

— Quelle est votre fonction, monsieur Tourneur ? je questionne en sortant stylo et carnet de ma poche.

— Je suis employé par la CCI3. Je suis responsable du service exploitation et également de la sûreté des installations portuaires.

— Pouvez-vous me décrire précisément les circonstances de la découverte du corps ?

— Je n’étais pas là. Jean-Louis m’a appelé sitôt qu’il a vu le corps. Je ne suis ici que depuis une dizaine de minutes.

— D’accord. Donc vous ne pouvez pas nous renseigner…

— Non.

Me tournant vers l’autre homme, je reprends ma première question. Il se racle la gorge avant de répondre :

— Eh bien… le bateau était parfaitement aligné, les pompes étaient en action, un plongeur s’était assuré de la bonne position du navire sur ses tins, tout se déroulait normalement.

— Les tins, avez-vous dit ?

— Oui, les tins. Ce sont les blocs de béton sur lesquels le bateau vient se poser.

— Vous voulez dire que la coque du bateau va reposer sur du béton ?

— Indirectement. Les blocs sont recouverts d’un bois dur, du chêne ou de l’azobé, puis d’une couche d’environ deux centimètres de peuplier, un bois plus tendre.

— Je vois. Poursuivez…

— Où en étais-je ? Ah oui, lorsque le plongeur m’a dit par radio qu’il avait vérifié le positionnement de la quille sur les tins, nous avons repris les opérations de pompage. J’étais là-bas, près du local des pompes, quand le plongeur, avec qui j’étais toujours relié par radio, a hurlé dans mon oreille qu’il venait de voir un corps. Je me suis approché du bord et, à mon tour, je l’ai vu. J’ai immédiatement arrêté les pompes et j’ai appelé les pompiers. À ce moment-là, je ne savais pas pour le couteau dans le ventre.

— Qu’avez-vous fait en attendant l’arrivée des secours ?

— Le plongeur a nagé en direction du noyé, enfin celui que l’on croyait noyé, mais quand il l’a retourné et qu’il a vu le couteau, il a fait demi-tour. De toute façon, il n’y avait plus rien à faire pour lui. On a décidé d’attendre. J’en ai profité pour téléphoner à Charles.

— Vous avez bien fait. Voyez-vous autre chose à ajouter ?

— Non, sinon que j’aimerais savoir quand on va pouvoir reprendre le travail.

— Il va falloir patienter, monsieur Mignard. Les techniciens sont sur la route. Ils vont procéder à toutes sortes de relevés qui risquent de prendre du temps. On vous dira quand nous en aurons terminé.

— Ça veut dire combien de temps, en gros ?

— Bonne question, dis-je en consultant ma montre. Il est onze heures vingt-cinq, le SRIJ sera sur le site vers midi… À vue de nez, je pense que vous pourrez reprendre les opérations de pompage entre quinze et dix-sept heures. Peut-être avant, peut-être après…

Il est abattu, l’agent de maîtrise de la CCI. Son samedi après-midi est gâché.

— Quand tous auront été entendus par les policiers, vous et vos hommes pourrez aller vous mettre au chaud. Demandez-leur de se retirer à l’écart du site et de ne rien toucher.

— Ce ne sont pas mes hommes. Ils travaillent pour l’entreprise du port qui doit réparer la coque du navire.

J’ai suivi son regard vers une large balafre au bâbord de l’étrave du cargo, à laquelle je n’avais pas fait attention auparavant. Je subodore qu’il s’agit là du motif de l’entrée en cale sèche.

— Oh, une dernière question… Le radoub est-il accessible la nuit ?

— Bien sûr que non ! L’endroit est sécurisé nuit et jour.

— Il est donc vraisemblable que l’homme n’a pas été poignardé ici…

— Ah ça, je ne pourrais le certifier, se défend Tourneur. Mais il y a, à mon avis, plus de chance que le corps ait été poussé par le courant pour entrer dans le radoub.

— Ce qui pourrait signifier qu’il a été poignardé ailleurs…

— Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit ! Je ne fais qu’émettre une hypothèse, mais je n’en sais rien du tout. Attendez, il faut que j’aille voir le commandant du bateau.

— Allez-y, je vous en prie. Nous reprendrons plus tard. J’aurai besoin d’enregistrer vos témoignages.

Les deux hommes marchent vers le bord du radoub, alors que le crachin se transforme en une pluie glaciale. La combinaison des éléments pétrifie nos visages.

À bord du cargo, deux hommes au bleu de travail sali par de la graisse sont appuyés au bastingage. Pragmatiques, ils attendent notre bon vouloir. Un troisième, l’air contrarié, les accompagne. À vol d’oiseau, il n’y a que cinq ou six mètres entre nous, mais une profonde fosse nous sépare, au fond de laquelle flotte un corps sur des eaux noires qui détiennent un épais mystère.

— Il faut encore attendre ! crie Charles Tourneur aux trois marins de commerce. Je vous préviens dès qu’on reprend le pompage. Je ne vous cache pas qu’il y en a pour un moment.

Du bord, le troisième homme m’interpelle d’une voix aiguë qui traduit son énervement :

— Vous êtes de la police ?

Comme j’acquiesce, il me fait signe d’approcher. Pour moi qui suis sujet au vertige, la présence du garde-fou est à peine réconfortante.

— Je vous demande d’être patient. D’ici quelques petites heures, vous pourrez mettre pied à terre.

— Ce n’est pas le souci, réplique-t-il, nous sommes habitués à rester à bord. Je voulais vous dire qu’on le connaît, c’est notre patron.

La pointe de son menton a plongé vers le fond du radoub, vers la forme immobile qui baigne trente mètres plus bas.

Il continue :

— Il s’appelle Lionel Abadie. Il est, plutôt était, armateur à Lorient. Ce navire lui appartenait.

Le nom et le prénom correspondent bien à ceux qui m’ont été donnés par l’agent du commissariat.

Du reste, les deux autres marins, toujours accoudés au bastingage, opinent pour montrer leur approbation.

— Savez-vous ce qu’il faisait à Brest ? L’avez-vous vu ces dernières heures ?

Ils font oui de la tête, mais c’est le même, un homme aux cheveux blancs et à la face burinée par l’air du large, qui conserve l’initiative de la parole :

— On l’a vu avant-hier soir. Il est monté à bord dès que nous avons accosté.

— Était-il seul ?

— Oui.

Un éclair zèbre soudain le ciel et une pluie de plus en plus violente s’abat sur nous, balayant le sol par rafales.

Il convient de se planquer, sinon c’est la certitude d’être trempé comme une soupe.

— Ne touchez à rien à bord et attendez nos directives ! On vous tient au courant.

Et vite, je cours derrière Charles Tourneur et Jean-Louis Mignard qui se hâtent vers le local technique des pompes. Au premier coup de tonnerre, Pascal Denjoy et les OPJ se ruent vers l’ambulance des pompiers dont les pneus témoignent de la surcharge. Les trois hommes en costume aperçus plus tôt se sont, quant à eux, engouffrés dans leurs voitures.

*

Il a plu sans discontinuer durant une demi-heure. Un véritable orage. L’ambulance des pompiers se révélant trop petite pour tous, les plus courageux nous ont rejoints. Justin Debolo nous a fait rire quand, en s’ébrouant, il a murmuré d’un air anéanti qu’il allait demander sa mutation pour les Dom Tom. Peu avare de clichés, un OPJ brestois a alors décliné l’inévitable Barbara, le poème de Jacques Prévert, et son célèbre refrain : « Rappelle-toi Barbara il pleuvait sans cesse sur Brest ce jour-là… »

Le retour au bord du radoub coïncide avec l’arrivée des techniciens du SRIJ. Ils sont trois, deux femmes dont l’une est la responsable, et un homme. Le commandant Pascal Denjoy et moi les accueillons avant de leur désigner le corps. Pendant qu’ils préparent leur matériel et enfilent leur combinaison, mon attention est attirée par la venue d’un policier en uniforme et d’un type qui marchent droit vers moi. La quarantaine avancée, l’inconnu possède une bedaine incroyable, à rendre jaloux les sumos japonais. Cette proéminence rend impossible la fermeture de son manteau.

À vue de nez, j’estime qu’il doit peser un bon quintal et demi. Une barbe et une moustache lui dévorent le visage, ne laissant que peu de place aux lèvres pâles.

— Monsieur a été appelé par le poste. Il dit avoir signalé la disparition d’un ami.

— D’accord, merci, dis-je au policier avant de tendre la main au second. Bonjour, Monsieur, c’est moi qui ai demandé à ce que vous…

— Il est arrivé malheur à Lionel ? C’est ça ? Où est-il ?

Il a deviné à mon visage et à ma voix dans laquelle perce une évidente compassion qu’une catastrophe s’est produite. En pénétrant dans un lieu qui réclame patte blanche pour y être introduit, à seulement quelques dizaines de mètres des eaux du port, il sait désormais qu’il doit s’attendre au pire. La présence policière et le VSAB4 des pompiers étayent sa certitude. À mots choisis, je lui apprends la terrible nouvelle, sans m’ouvrir sur les causes du décès. Je lui laisse quelques instants avant de reprendre la parole :

— Vous êtes le premier de ses proches que nous ayons pu joindre. Comment vous appelez-vous, Monsieur ?

— Paul Charvet.

— Bien, dis-je en obtenant confirmation qu’il s’agit du quidam qui, dès hier matin, a signalé la disparition estimée à jeudi soir. Comment le connaissiez-vous ?

— Lionel était un ami. Nous nous connaissions depuis l’enfance. Nous avons grandi dans le quartier de Saint-Marc, ici à Brest. Ses… ses parents et les miens étaient amis bien avant nous déjà. Que lui est-il arrivé exactement ?

— Quand l’avez-vous vu pour la dernière fois ? dis-je, éludant ainsi sa question par une autre.

— Avant-hier soir. Nous avons dîné en compagnie de copains. À un moment du repas, il a quitté la table et n’y est jamais revenu. Nous l’avons attendu toute la soirée. Lorsque le restaurant a fermé, nous l’avons cherché. Ne le trouvant pas et supposant qu’il était à bord du cargo, nous nous sommes résolus à rentrer chacun chez soi. Hier matin, je me suis levé de bonne heure et j’ai tenté plusieurs fois de le joindre sur son portable. Jamais il n’a répondu à mon appel. Avant d’aller travailler, je suis passé par le quai de la Douane. Sa voiture y était toujours. J’ai alors eu un mauvais pressentiment. Je me suis rendu au commissariat pour avertir les services de police.

— Tout cela est très intéressant. Je vous prie de m’excuser, je reviens dans une minute.

Je m’enquiers auprès de Tourneur d’un endroit pour pouvoir interroger Charvet dans de bonnes conditions. Sans réticence, il me propose la salle technique d’où l’on commande l’action des pompes. Je vais vite chercher ordinateur portable et mini-imprimante dans le coffre de la voiture de service, ainsi que l’appareil photo qui ne quitte jamais la boîte à gants. Le gros homme a bien des difficultés à monter les quelques marches qui mènent au local technique. La porte ouverte, il n’a pas un regard pour les tableaux électriques et les écrans de contrôle.

— Allez-y, entrez et mettez-vous à l’aise. Je vais enregistrer tout de suite votre déposition. Ainsi, je n’aurai plus à vous embêter par la suite. Quels sont vos nom, prénom, adresse et profession ?

— Je m’appelle Paul Charvet. J’habite Le Relecq-Kerhuon. Je suis ingénieur en électronique. Je travaille pour une grosse société, “Brest Electro-Pro”. La personne disparue se nommait Lionel Abadie. Il était armateur, ses bureaux étaient à Lorient.

Une bonne minute m’est nécessaire pour taper sur le clavier cette avalanche de renseignements. Dans l’intervalle, il s’est essuyé les yeux d’un revers de main pour gommer les larmes qui lui sont venues en prononçant le prénom et le nom de son copain de toujours.

— Quel lien entreteniez-vous avec Lionel Abadie ?

— Nous nous connaissions depuis l’enfance. Nous habitions la même rue et passions tout notre temps ensemble. Après le lycée, nos études nous ont séparés, mais nous avons continué à nous fréquenter à chaque occasion… On se faisait une telle joie de se revoir, avant-hier soir ! Tenez, si je vous disais, nous passions tous les ans nos vacances ensemble. Nos épouses étaient devenues inséparables.

Comme je lève un œil interrogateur, il précise :

— Je dis étaient, parce que ma femme est morte d’une terrible maladie, voici cinq ans. Très jeune, Lionel a touché un énorme héritage qu’il a investi dans l’armement de son oncle, à Lorient. Lorsque cet oncle a décidé de se retirer des affaires et de profiter d’une retraite bien méritée, son neveu est tout naturellement devenu le PDG de l’armement. Avant-hier matin, il m’a téléphoné pour m’avertir de son arrivée en début de soirée. Cela n’était pas prévu, mais il se trouve qu’un de ses cargos était dérouté sur Brest pour une réparation. Nous avions à faire chacun de notre côté dans la journée, alors nous avions convenu de nous retrouver à “La Cloche d’Or”, un restaurant du quai de la Douane, vers vingt heures. J’avais battu le rappel auprès des copains de jeunesse avec lesquels on n’a jamais coupé le fil. Nous avons commencé à dîner, puis le cargo est arrivé. Lionel nous a alors dit qu’il devait rencontrer le commandant au plus tôt, et nous a priés de patienter. Selon lui, cela ne devait prendre qu’un quart d’heure, vingt minutes tout au plus. En l’attendant, avec les copains, on rigolait car on l’imaginait en train d’engueuler le commandant sur sa manière de piloter son navire… En fin de compte, il n’est jamais revenu.

— À quelle heure avez-vous quitté le restaurant ?

— Pfou… Il était près de minuit. Sa voiture était toujours à la même place, mais de cela, je n’en doutais pas car il ne serait jamais parti sans nous prévenir. En le constatant, j’ai pensé qu’il était toujours à bord du “Girondin IV”. J’étais tracassé. J’ai fait le tour de l’éperon, jusqu’au quai Ouest, l’ancien quai aux Chevaux. L’endroit était désert, les manœuvres d’amarrage étaient terminées depuis longtemps. J’ai supposé que l’entretien avec le commandant du cargo n’était pas terminé. Des lumières à la passerelle ont d’ailleurs conforté cette hypothèse. Je suis revenu sur mes pas et j’ai glissé un mot sous un essuie-glace de sa voiture, l’avisant que je rentrais me coucher et lui demandant de me contacter le lendemain matin.

— Et ?

Il passe un mouchoir roulé en boule sur son visage en sueur malgré la faible température, s’essuie une nouvelle fois les yeux, et rétorque :

— À votre avis ? J’ai très mal dormi. À peine levé, j’ai appelé sur son portable. Je ne l’ai pas obtenu, bien sûr. J’ai laissé un message. J’ai ensuite sauté dans ma voiture et je suis passé sur le port. J’ai vu que sa voiture n’avait pas bougé et que mon petit mot était toujours sous l’essuie-glace. Un moment, j’ai été sur le point de monter à bord du bateau. Il y avait bien une échelle de coupée, mais je… je ne suis pas très leste. J’ai alors décidé d’aller voir les autorités. J’étais certain qu’il lui était arrivé un accident. Peut-être avait-il été kidnappé… Lionel est riche, très riche, et ceci aurait pu justifier son enlèvement.

— Je souhaiterais avoir les identités des personnes qui étaient avec vous au restaurant jeudi soir.

— Oui, bien sûr. Il y avait deux couples : Céline et Jérôme Cariou, et Sophie et Philippe Hamon.

Je tape également les adresses de ce petit monde avant de revenir vers un sujet que nous avons seulement survolé :

— Parlez-moi un peu de son épouse, voulez-vous…

— Lisa et Lionel sont mariés depuis plus de vingt ans. Elle est belle, il est riche. Leur vie aurait pu être un véritable conte de fées, mais elle a un caractère de cochon. Le pauvre ne rigole pas… ne rigolait pas tous les jours avec… avec cette… Ils étaient en instance de divorce, et comme souvent lorsqu’il y a des biens, les choses n’étaient pas simples. Quand j’ai eu Lionel au téléphone, jeudi matin, il m’a exprimé son ras-le-bol des manigances de Lisa pour tirer un maximum d’argent de leur séparation.

— Vous ne semblez pas l’aimer beaucoup.

— Elle a sûrement des qualités, dit-il en se mettant debout au prix d’un effort. Comme tout le monde… mais elle a aussi beaucoup de défauts. Je suis certain qu’elle a épousé Lionel pour son argent. Ma femme était moins belle, mais au moins elle était fidèle et bien plus facile à vivre. À peine marié, ce pauvre Lionel était cocu.

— Et lui, il la trompait ?

— C’est arrivé, mais c’était en réaction à la légèreté de sa femme. Je peux l’affirmer pour avoir évoqué ce sujet avec lui. Il aime… il aimait sa femme et c’est seulement par dépit qu’il a eu des aventures.

— Seulement des aventures ?

— Oui. Je vous le dis, il aimait sa femme. Il aimait Lisa bien plus qu’elle ne l’aimait. À condition qu’elle l’ait aimé un jour pour ce qu’il était, et non pour son argent…

Il plante sur moi deux yeux délavés par la tristesse.

— Vous ne me l’avez toujours pas dit : de quoi est-il mort ?

— Nous ne le savons pas encore. Nous savons seulement qu’il ne s’agit pas d’une simple noyade.

Un frisson d’effroi lui arrache une plainte. Éclatant en sanglots, il voile son visage derrière le mouchoir entrevu précédemment. Je le laisse exprimer son chagrin. Ce n’est jamais bon de le refouler. Parce que le silence total est à proscrire, je lance l’impression du procès-verbal d’audition. Quand les larmes se font plus rares, je reprends :

— J’ai besoin de votre concours, monsieur Charvet. Pouvez-vous me donner les numéros de téléphone de Lionel Abadie. Je souhaiterais les numéros de domicile, de portable et professionnel.

Il fouille les poches de son grand – immense est plus exact – imperméable et farfouille dans son portefeuille avant d’annoncer :

— Voici son adresse et son numéro de téléphone. J’ai aussi son numéro de portable mais pas sa ligne professionnelle.

J’inscris les renseignements sur une feuille de mon petit carnet, puis les entre dans l’ordinateur, avec la ferme intention de les faire parler rapidement.

— Dès que possible, je vais rencontrer le commandant et l’équipage du Girondin IV. Peut-être leur témoignage nous éclairera-t-il…

Après qu’il ait signé le feuillet officiel, je l’escorte jusqu’à la porte. Avant qu’il ne sorte, j’ajoute du ton que j’emprunterais pour témoigner mes encouragements à un vieux copain :

— Faites-nous confiance !

Un sourire forcé traverse la face du gros homme. En retour, il m’offre une pression de la main sur l’avant-bras.

1 Voir Disparitions en Pays Fouesnantais, même auteur, même collection.

2 Service Régional d’Identité Judiciaire.

3 Chambre de Commerce et d’Industrie.

4 Véhicule de Secours aux Asphyxiés et Blessés.

III

L’avantage du vent, c’est qu’il chasse les nuages, histoire que chacun sur le territoire national ait sa dose de pluie. En ce moment, vent ou pas, c’est toute la France qui subit les intempéries. Même si, à la télé, les météorologues s’entêtent à affirmer que la pluie vient de Bretagne – alors que pour les Allemands elle vient tout bonnement de l’Ouest – les poétiques « entrées maritimes » du sud de l’Hexagone rivalisent en quantité et fréquence. Effet bénéfique d’Éole, des trouées bleues percent maintenant la chape grise que l’on croyait installée pour la journée, et un soleil timide fait son apparition. J’en profite pour photographier le site sous une multitude d’angles.

Le capitaine Alain Le Quéau fait au commandant Pascal Denjoy un résumé de l’audition du grutier. Celui-ci occupe une place de choix, là-haut dans les airs, pour tout superviser des installations portuaires en particulier et de la rade de Brest en général. Curieusement, il n’est pas le premier à avoir donné l’éveil, car lorsque le corps a fait surface, il lui était caché par le cargo. J’attends que Le Quéau ait terminé pour livrer à mon tour le témoignage de Paul Charvet :

— Le couple Abadie battait de l’aile. Une procédure de divorce était entamée et, comme souvent dans ces circonstances, ça ne se passait pas bien. Ce serait intéressant d’obtenir l’emploi du temps de la veuve de fraîche date pour la soirée de jeudi et la journée d’hier.

— Où habite-t-elle ?