Murder Party à Quimper - Stéphane Jaffrézic - E-Book

Murder Party à Quimper E-Book

Stéphane Jaffrezic

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Beschreibung

Une nouvelle enquête du capitaine Maxime Moreau en Bretagne !

Après un début de soirée prometteur, Maxime Moreau s’apprêtait à passer une soirée coquine avec Murielle, la compagne qui partage sa vie depuis plus
d’un an et demi, mais le décès d’un jeune sportif quimpérois vient bouleverser ce programme. Répondant à l’appel désespéré de Suzy Villard, sa collègue de la Police Judiciaire, Maxime va assumer ses responsabilités de capitaine de police et quitter son domicile concarnois pour foncer vers Quimper et voler à son aide.

Quand une alléchante soirée torride se transforme en nuit blanche... à la recherche d’un criminel. Découvrez le 10e tome étonnant des enquêtes de Maxime Moreau !

EXTRAIT

Il est des soirées qui s’annoncent sous les meilleurs auspices. Celle-ci en fait partie. Après un apéritif et quelques amuse-gueules, Murielle et moi
nous sommes régalés d’une demi-douzaine d’huîtres du Belon et d’une araignée. Par personne, bien sûr. Un honnête vin blanc de Loire les a accompagnées,
ainsi que de la mayonnaise maison pour le crabe, un excellent pain à l’ancienne et l’indispensable beurre aux cristaux de sel de Guérande.
Rassasiés, en deux temps trois mouvements, nous débarrassons la table. Après avoir secoué la nappe par la fenêtre pour en chasser les miettes et ainsi
réga ler les moineaux, je me vautre enfin sur le canapé.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Éditions Bargain, le succès du polar breton. - Ouest France

À PROPOS DE L'AUTEUR

Né à Concarneau, Stéphane Jaffrézic a choisi de baser l’intrigue de son douzième roman policier dans la ville où il habite depuis plus de vingt ans. Par ailleurs organisateur de murder parties, il adapte ici un scénario qu’il a eu l’occasion de soumettre à des enquêteurs en herbe.

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Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

- À Delphine Kergourlay,

- À Dominique Quéroué,

- Aux amis qui m’ont suivi lorsque j’ai organisé ma première murder party,

- À toute l’équipe des Éditions Alain Bargain.

« Je préfère l’auxiliaire être à l’auxiliaire avoir, avec ce que cela sous-entend d’épanouissement, de manière de vivre et d’échange, en opposition à la notion d’accumulation qui, à mon sens, n’est pas nécessairement porteuse de bien… être. »

I

Il est des soirées qui s’annoncent sous les meilleurs auspices. Celle-ci en fait partie. Après un apéritif et quelques amuse-gueules, Murielle et moi nous sommes régalés d’une demi-douzaine d’huîtres du Belon et d’une araignée. Par personne, bien sûr. Un honnête vin blanc de Loire les a accompagnées, ainsi que de la mayonnaise maison pour le crabe, un excellent pain à l’ancienne et l’indispensable beurre aux cristaux de sel de Guérande.

Rassasiés, en deux temps trois mouvements, nous débarrassons la table. Après avoir secoué la nappe par la fenêtre pour en chasser les miettes et ainsi régaler les moineaux, je me vautre enfin sur le canapé.

— Tu as regardé le programme télé ?

— Oui, j’y ai jeté un œil, mais je n’ai rien vu de terrible. Des rediffusions, de la téléréalité… rien de motivant. Ils ne se foulent pas, les programmateurs ! Ils doivent penser qu’on est de sortie ou qu’on reçoit tous les samedis soir.

— On va bien trouver une émission un peu plus alléchante que les autres, non… Faudrait qu’on se dépêche, il est déjà près de vingt et une heures, tout est déjà commencé ou va bientôt le faire…

Mon regard se pose sur Murielle, tandis que naît sur mon visage un sourire qui en dit long.

— En guise de programme, ce n’est pas une soirée télé que j’ai à te proposer. Je me sens d’attaque pour une soirée coquine entre adultes consentants.

Elle vient s’asseoir près de moi. Se blottissant contre mon épaule, elle ramène les jambes sous les fesses. Mon bras gauche entoure ses épaules, ma main caresse la courbe de sa hanche.

— Dis-m’en plus, murmure-t-elle. Je veux en savoir plus, avant de m’engager.

— Pour commencer, on pourrait se servir un verre. J’ai l’impression d’avoir déjà en bouche une gorgée de cette bouteille d’Eddu1 que tu m’as offerte pour mon anniversaire.

Comme une chatte, elle frotte son front contre mon épaule, tandis que pointe un soupir de reproche.

— Ne t’encombre pas de détails, parle-moi plutôt de ce que sous-entend une soirée « entre adultes consentants ».

— J’allais y venir, petite impatiente. Les verres servis, on…

Les premières notes de Whole lotta love suspendent mes paroles. De temps en temps, au gré de mes humeurs, je change l’indicatif de sonnerie de mon téléphone portable. Même s’il date de plusieurs décennies, ce méga tube de Led Zeppelin a ma préférence depuis quelques semaines.

— Je n’ai pas envie que tu répondes, Max. Je ne sais pas pourquoi, mais, vu l’heure, je suis certaine que cet appel va nous pourrir la soirée. Elle marque un temps avant de s’inquiéter : C’est qui, à ton avis ?

— Aucune idée. Il n’y a qu’une seule manière de le savoir.

Elle se soulève légèrement, suffisamment pour que je dispose de ma liberté de mouvement et attrape l’appareil sur la table basse du salon. Avant d’accepter la communication, je lis le nom de l’appelant, qui s’est inscrit car il figure dans mon répertoire.

— C’est Suzy.

— Oh non ! proteste Murielle. Je ne la sens pas, cette soirée. Ça commençait trop bien…

Que Suzy ait entamé hier sa semaine de permanence n’est sans doute pas étranger à cet appel. Je me voudrais rassurant, mais je sais pertinemment qu’elle ne me téléphonerait jamais un samedi soir si la nécessité ne l’y contraignait.

— Ne râle pas avant de connaître l’objet de son appel… Allô ?

La voix claire du brigadier-chef Villard ne se fait pas prier.

— Salut Max, c’est Suzy. Désolée de te déranger, mais je suis dans la mouise. Tu es disponible pour me filer un petit coup de main ?

— Oui et non, fais-je en frôlant de la main la hanche de Murielle qui a repris sa place initiale, puis en descendant vers ses fesses. Si c’est pour une fuite d’eau ou une bricole de ce genre, ça peut attendre demain. C’est quoi, ton problème ?

— Un homicide.

— Non ! dis-je en me redressant sur le canapé autant que faire se peut, car Murielle a pris ses aises. Tu peux être plus précise ?

— Très peu. Ça s’est passé à Quimper, à la halle des sports de Penhars. La BSU (Brigade de Sûreté Urbaine) était la première sur place. Quand ils ont eu confirmation que la mort n’était pas naturelle, ils ont avisé le procureur qui, à son tour, s’est déplacé. Dès les premières constatations, il m’a appelée pour me confier l’affaire. Je viens d’arriver sur le site. L’IJ (Identité Judiciaire, soit la police technique et scientifique) est là, en attendant la venue du SRIJ (Service Régional d’identité Judiciaire), mais eux, il y a de la marge avant qu’ils arrivent de Rennes. J’ai toute une ribambelle de témoins. Ou de suspects, c’est selon, car le tueur est obligatoirement parmi eux. Seule, j’en ai pour la nuit.

— Sans compter que ça peut être chaud, si le tueur est vraiment dans la place.

— Ce n’est pas faux. Ce n’est pas craignos pour autant, je ne suis pas vraiment seule, parce que la BSU et trois agents en uniforme sont ici.

Si, plus tôt, le soupir de Murielle était teinté de reproche, celui que je pousse voudrait avoir un fort accent de déception en faisant le constat que la folle soirée qui s’annonçait s’effondre. Mais il n’en est rien, car je ressens une poussée d’adrénaline à l’énoncé des données du problème qui se présente. Comment ne pas être excité ? Il y a eu un meurtre dans une halle de sports et le coupable se cache au milieu d’une nuée de suspects. Ce n’est pas une corvée d’aller au boulot ce soir, c’est un challenge pour le flic que je suis ! J’ai néanmoins eu la bienséance de couvrir le micro de la main pour ne pas froisser ma collègue. Retirant ma main, j’interroge :

— Le médecin-légiste est passé ?

— Oui. L’homicide ne faisant pas de doute, il a mis un obstacle médico-légal à l’inhumation.

— OK, j’arrive. Tu réquisitionnes aussi Justin et Simon ?

— J’ai tenté de les joindre sur leur turlu, mais ils ne répondent pas.

— Recommence jusqu’à ce qu’ils décrochent. Je suis là dans vingt minutes.

*

Les adieux ont été rapides. Pas vraiment jouasse à l’idée de passer le samedi soir seule devant Patrick Sébastien ou un documentaire sur les us et coutumes d’une peuplade indienne ou africaine, Murielle a dit qu’elle allait se coucher et lire quelques chapitres du dernier prix du Quai des Orfèvres, qu’elle a acheté il y a quelques semaines. Elle a parfaitement compris que je n’avais pas le choix, mais pour l’infirmière qui travaille fréquemment le week-end, de nuit ou de jour, ne pas profiter pleinement de son homme alors qu’exceptionnellement, elle ne bosse ni le samedi ni le dimanche, est un crève-cœur. De plus, nous nous apprêtions à concrétiser notre amour, notre passion, non pas en passant devant le maire ou le curé, mais par une débauche sans limites d’énergie sexuelle. Partie remise…

Le temps de prendre mon ordinateur portable, et je suis dans la voiture. Depuis Concarneau où nous habitons, la voie express N165 m’emporte vers la capitale de la Cornouaille. Je connais la route par cœur, puisque c’est dans cette ville que j’ai mon bureau, au troisième étage du commissariat de la rue Théodore Le Hars. Je dirige l’antenne locale de la Police Judiciaire, qui dépend du Service Régional de Police Judiciaire basé à Rennes. Suzy Villard, Simon Jaouen et Justin Debolo sont les trois brigadiers-chefs qui me secondent. À l’occasion, nous travaillons de concert avec l’antenne de la PJ brestoise, forte de onze policiers. En cas d’interpellations massives ou de coup dur, on sait pouvoir compter sur eux. L’inverse, naturellement, est aussi de rigueur.

Avec nos homologues brestois, nous nous partageons les permanences qui durent une semaine. Celui ou celle qui est d’astreinte peut être appelé en tout point du département, dès lors que survient un événement grave, dépendant de notre compétence. Les meurtres en font évidemment partie, mais il convient de préciser qu’ils sont bien plus rares que ce que les romans policiers régionaux que j’ai eu l’occasion de lire laissent imaginer. Dans ceux-ci, on assassine à tour de bras. La réalité est heureusement différente, même si de temps à autre de grosses affaires nous échoient.

Je la connais par cœur, cette route, mais ce n’est pas pour cela que je ralentis à la hauteur du radar fixe situé peu avant la zone industrielle de Troyallac’h. Si je n’ai pas tous les droits, il est des circonstances qui font que je bénéficie de certaines prérogatives, comme rouler plus vite que la vitesse imposée aux autres conducteurs.

J’emprunte la sortie de voie express de Troyallac’h et pousse les rapports de la boîte de vitesses pour foncer vers Quimper. À la hauteur d’Ergué-Armel, autrefois une commune au même titre que Kerfeunteun et Penhars, avant la création du “Grand Quimper”, un premier rond-point est bordé sur un côté de pieds de vigne qui, depuis quelques années, fournissent un vin blanc sans prétention mais qui a le mérite d’exister. Un autre rond-point, et je prends la direction de Penhars, évitant ainsi le centre-ville. Un peu plus d’une minute plus tard, je roule sur le pont de Poulguinan qui enjambe l’Odet, la plus belle rivière de France dit-on. Sous le pont, un éclairage discret jalonne le chemin du halage, lieu de balade pour bon nombre de Quimpérois. Sur ma droite s’étire la ville. L’Odet décrit une courbe avant de remonter vers la cathédrale, alors que, sur ma gauche, vers l’aval, la rivière trace une frontière naturelle entre le Pays Bigouden et le Pays Fouesnantais. Quelques kilomètres de méandres, en particulier les Vire-Court, puis elle se jette dans l’Océan Atlantique, à Bénodet, station balnéaire réputée. Le niveau de l’eau est bas et découvre la vase, car il varie avec la marée.

Encore un rond-point, et je monte vers Penhars. Bordée de HLM sur lesquels des efforts de rénovation ont été engagés pour rendre le quartier plus agréable, une route descend vers la halle des sports, voisine de la piscine municipale de Kerlan Vian. Devant l’entrée, le gyrophare d’une ambulance des pompiers lance ses éclairs bleutés. Deux véhicules de police sont stationnés juste à côté. En contrebas, un petit parking pourrait recevoir une trentaine de voitures. Je vais parquer la mienne auprès de la petite dizaine qui y sont garées. Aux abords de la halle, il n’y a pas les habituels curieux que les gyrophares attirent immuablement. Que le crime ait eu lieu dans un espace clos n’y est pas étranger. De l’autre côté de la rue, par-delà les frondaisons du bois du Séminaire, au pied d’une HLM, j’entends cependant les voix perchées d’adolescents que la situation intrigue.

Deux policiers en tenue se tiennent devant les portes vitrées, contrôlant l’entrée et la sortie du site. Me reconnaissant, ils me tendent la main tout en s’effaçant pour me laisser passer.

— Salut les gars. Vous savez où est Suzy ?

— Elle était là il y a deux minutes, me répond l’un. Elle ne doit pas être loin.

Une demi-douzaine de personnes me regarde approcher comme si j’étais un terrible prédateur. La peur n’évite pas le danger, mais, pour l’instant, ces proies n’ont rien à redouter de moi.

— Bonsoir Messieurs-Dames.

Le hall d’accueil est vaste. Sur la droite, il y a un espace doté d’un comptoir qui doit faire usage de caisse lorsqu’il faut s’acquitter du prix d’une entrée. Un peu plus loin, un autre comptoir, celui du bar, puis un couloir qui mène à une salle de réunion. Sur la gauche, de larges surfaces vitrées permettent d’avoir une vue d’ensemble sur le périmètre sportif. Une cloison sépare un mur d’escalade constellé de points d’attache multicolores, d’un terrain de handball. À l’opposé de ce hall, deux portes percées d’un hublot mènent à une tribune pouvant recevoir quatre cents spectateurs, en surplomb du terrain. Dans un coin des gradins, une femme et trois jeunes filles y sont en larmes, comme prostrées, alors qu’une autre femme est seule, un peu plus loin. Je vais pour ouvrir la porte quand des bruits de pas provenant d’un escalier se font entendre. Suzy, Eurasienne aux longs cheveux couleur de jais, me vote un clin d’œil lumineux de reconnaissance, avant de me claquer une bise sur chaque joue.

— Merci d’être venu, Max.

— Je t’en prie, tu aurais fait pareil. Tu as des nouvelles de Simon et Justin ?

— Non, aucune. J’ai laissé un message sur la messagerie de leur fixe et de leur portable.

— Tant pis, on se la fait à deux. Tu me résumes la situation ?

— Impossible de faire long, de toute façon, car je n’en sais pas beaucoup plus que tout à l’heure au téléphone. Et pourtant, depuis, je n’ai pas chômé, entre la prise de contact et un petit entretien avec monsieur le maire qui s’est déplacé, aussitôt avisé du meurtre. Ce que j’en sais, je le tiens des premières investigations auxquelles s’est livrée la BSU en attendant la venue du proc’. Alors, pour ce qui est de résumer, voici : vers vingt heures trente, l’amie d’un joueur est descendue le chercher au vestiaire, parce qu’elle estimait qu’il mettait du temps à revenir de la douche. C’est alors qu’elle a découvert le corps.

— Difficile de faire long avec si peu, en effet. Le corps est toujours là ?

— Oui, l’IJ passe le vestiaire au peigne fin. On y va ?

— On y va !

Je la suis vers l’escalier par lequel elle est montée. Mon TOC, (trouble obsessionnel du comportement), m’oblige, bien malgré moi, à compter les marches.

Tandis que j’enregistre à je ne sais quelle fin utile qu’il y a quinze degrés pour la première volée de marches, Suzy explique :

— L’un des bénévoles du club est toubib. C’est lui qui a appelé la police, car, selon lui, la cause de la mort n’est pas naturelle. À son avis, l’homicide ne fait pas de doute.

— Qu’est-ce qui le lui donne à penser ?

— Des traces de coups sur le visage. Il affirme que la victime n’en portait pas avant d’aller se doucher.

— Et ça a suffi pour que le légiste mette un obstacle médico-légal ?

— Pas seulement, bien sûr. Le légiste connaît son job, et puis en attendant l’autopsie, il ne risquait rien à le faire.

Nous sommes arrivés au rez-de-chaussée. Je note dans un petit coin de mon cerveau que la seconde volée comporte également quinze marches. Un panneau annonce le dojo, un autre le terrain destiné aux sports collectifs. Nous marchons dans cette direction, plutôt que dans l’autre qui conduit au mur d’escalade et à l’infirmerie. Une lice en bois d’un mètre de haut ceint le terrain qui, de ce fait, peut ne pas être uniquement dévolu au handball, mais également au futsal – le football en salle – ou encore au rink-hockey, une variante du hockey sur glace qui se joue en patins à roulettes sur parquet. Il va de soi que d’autres sports de ballon peuvent se dérouler en ce lieu, comme en témoignent les buts de hand-ball ou, suspendus là-haut, des paniers de basket.

Un troisième agent de police contrôle l’accès à cet espace, alors que, un peu plus loin, devant la porte de ce qui doit être un vestiaire, trois hommes de la BSU discutent à voix basse. Poignées de main, puis nous franchissons les deux mètres qui nous séparent de ce qui semble être la scène de crime. Je dis semble, en effet, car pour l’instant, rien n’indique clairement qu’il y a eu meurtre. Même si elle émane d’un médecin, il en faut plus pour transformer une allégation en certitude.

La porte d’un vestiaire est ouverte. De forts parfums de produits de douche s’en échappent, couvrant cependant difficilement l’odeur de transpiration. Le sol mouillé aux pieds des bancs accolés aux murs laisse présager que de nombreux sportifs se sont douchés après la compétition. Un jeune homme d’environ vingt ans, qui ne porte en tout et pour tout qu’un boxer jaune à liseré vert, est allongé sur le dos. Du sang s’est échappé de l’arrière de sa tête et s’est agglutiné en une mare d’environ cinquante centimètres de diamètre, avant qu’un filet ne profite de la pente pour serpenter sur le carrelage vers la douche collective. Une poubelle s’est renversée sans répandre son contenu qui se limite à quelques bouteilles d’eau plate vides, des volants en plume trop abîmés pour de nouveaux échanges, et une raquette de badminton dont le tamis n’est absolument plus dans l’axe du manche. En combinaison, charlotte sur la tête, et surchaussures pour ne pas polluer les lieux, Sandrine Brillec, une technicienne de l’IJ locale, est occupée à prendre des relevés. Concentrée sur son ouvrage, elle ne s’en détourne pas tout de suite pour nous saluer, même si elle est consciente de notre présence. Enfin, elle m’adresse un signe de la main, mais conserve le silence car elle doit être en pleine réflexion. C’est Suzy qui me renseigne :

— On peut penser qu’il s’apprêtait à prendre une douche ou venait de la prendre, quand il a glissé sur le sol mouillé et s’est fracassé le crâne sur l’arête du banc.

— On pourrait le penser, oui, mais ses cheveux ne sont pas mouillés. Qui est ce garçon ?

— Grégory Massillac, répond Suzy en se mordant la lèvre car elle n’avait pas fait attention à ce détail qui pourrait avoir son importance. Âgé de dix-neuf ans, il était le fils de la présidente du club.

Tandis que nous nous taisons, j’inventorie la pièce qui est un vestiaire ordinaire dans lequel pourraient tenir une douzaine de sportifs, voire un peu plus.

Sur un portemanteau est accrochée une veste en jean, sur le portemanteau voisin se trouve un pantalon de la même matière. En dessous, sur le banc, un sac de sport est ouvert sur du linge de corps, un gel douche, une serviette de bain… Sur un autre portemanteau, un étui paraît receler une raquette. Visiblement, il était le dernier à se changer puisqu’il n’y a pas d’autres effets dans le vestiaire.

— Quel sport pratiquait-il ? Du tennis ?

— Non, du badminton. Il y avait une compétition aujourd’hui. Le championnat du Finistère ou un truc de ce style.

— Sympa, le badminton… Physique et technique. Bon, tu as déjà interrogé quelqu’un ?

— Seulement les collègues de la BSU pour qu’ils m’exposent leurs premières constatations. J’ai juste eu le temps de recopier les identités des personnes présentes, et c’est à peine si j’ai posé deux ou trois questions…

— Eh bien, on va s’y coller. On commence par qui, à ton avis ?

Suzy avait préparé sa réponse :

— L’amie et la mère sont choquées. On pourrait débuter par le toubib…

Le plus gradé des trois policiers de la BSU nous apostrophe :

— Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, on va y aller.

— Oui, c’est bon, les gars, fait Suzy. Mais demandez aux trois hommes de la patrouille de rester ici. Dites-leur de filtrer les entrées et sorties et d’empêcher les témoins de communiquer entre eux. Dans la mesure du possible, du moins.

— On transmet. Bonne nuit !

Il y a de l’ironie dans son « Bonne nuit ! » Si on persiste à faire croire au public que la guéguerre des polices est une illusion, il n’en demeure pas moins que la BSU aurait aimé être chargée de cette affaire. En être dessaisi au profit de la PJ peut être vécu comme une vexation…

1 Un excellent whisky distillé à Plomelin, dans le Finistère.

II

Christian Le Goc est un homme d’environ quarante ans, aux cheveux tirant sur le blond vénitien. Aussi maigre que grand, les épaules voûtées, son physique n’est pas sans me rappeler Averell, le plus grand des frères Dalton. Nous le trouvons parmi la demi-douzaine d’individus des deux sexes qui attendaient dans le hall lorsque je suis entré dans la halle. Par nécessaire discrétion, nous le conduisons vers la salle de réunion dont nous refermons la porte. Des néons dispensent un éclairage agréable, ni trop vif ni insuffisant. Des tables et chaises sont rangées le long des murs. L’homme de l’art fait non de la tête lorsque nous lui proposons de s’asseoir.

Avant de commencer, nous marquons un temps que Suzy met à profit pour allumer son ordinateur portable, outil désormais indispensable pour enregistrer un témoignage. Elle a aussi emporté une petite imprimante, ce qui permet d’imprimer les procès-verbaux avant de les soumettre à la lecture et la signature du témoin, voire à un coupable de signer ses aveux. Officier de police judiciaire de permanence, c’est elle qui a été appelée et, par conséquent, l’affaire lui appartient. Mon grade de capitaine lui susurrant de me laisser agir, elle hésite cependant sur la conduite à tenir. D’un regard, je lui enjoins de se lancer. Ce qu’elle fait sans ambages, tout en affichant une page blanche sur l’écran de l’ordinateur.

— Monsieur Le Goc, vous m’avez dit être médecin généraliste. Est-ce bien le cas ?

— Oui. J’exerce ici, à Quimper, rue Le Déan.

Tout en pianotant ces indispensables renseignements, Suzy poursuit :

— D’accord. Quelle est la raison de votre présence ici, ce soir ?

— Je suis licencié au club de badminton. Je ne participe à aucune compétition, c’est simplement un loisir, mais lorsque mon travail me le permet, je m’implique dans l’organisation du club. C’est assez fréquemment que j’occupe la fonction de barman.

— Bien. Parlez-nous maintenant de la raison qui vous a poussé à téléphoner à la police…

Une solide bouffée d’oxygène, le dessus de son index pour écraser une larme qui ourle sa paupière, et il explique posément :

— Quand on a découvert le corps de Grégory, j’ai tout de suite été prévenu.

— Par qui ?

— Par Éric, l’employé communal responsable de l’installation sportive. Je suis aussitôt descendu. En voyant la mare de sang, j’ai tout de suite compris que c’était mal engagé. J’ai cherché un signe de vie, mais je me suis rapidement rendu à l’évidence : il n’y avait plus rien à faire. Greg était mort. Je me suis relevé et c’est alors que je me suis attardé sur les marques qu’il y avait sur son visage. Je l’ai croisé plusieurs fois dans la journée et je suis absolument certain qu’il ne les avait pas auparavant. S’il est quasi établi que le décès découle de sa blessure à l’arrière de la tête, il est indéniable que rien ne justifie les traces que j’apparente à des traces de coups. La poubelle renversée renforçait mon sentiment. J’ai donc appelé la police avant les pompiers.

— Hum, hum, fait Suzy, la poubelle aurait aussi bien pu se renverser à tout autre moment…

— C’est vrai, mais Grégory était un jeune homme bien élevé, pas un jean-foutre. Je suis certain qu’il l’aurait relevée s’il l’avait renversée ou s’il l’avait trouvée renversée en entrant dans le vestiaire.

Ce n’est pas en soi un argument déterminant, mais la description qu’il donne du jeune homme paraît conforter ce point de vue.

— Où étiez-vous quand l’employé communal est venu vous chercher ?

— Au bar, à mon poste.

— Il y avait d’autres personnes avec vous ?

— Oui ; nous étions nombreux. Il y avait toutes les personnes qui sont encore présentes dans la halle des sports. Après une journée de compétition, on partageait le verre de l’amitié.

L’Eurasienne et moi, nous nous regardons et échangeons un regard lourd de signification. Si nous interprétons correctement les paroles du médecin, et comme me l’a signifié Suzy plus tôt au téléphone, l’assassin est parmi les personnes retenues dans la halle… C’est tout bon, ça ! Il importe de cogiter et de poser les bonnes questions.

— Reprenez depuis le moment où le dénommé Éric est arrivé, s’il vous plaît…

Christian Le Goc apprécie modérément les questions insidieuses de Suzy. Il le lui fait comprendre en dardant sur elle un regard intelligent aux prunelles acérées.

— Me suspectez-vous ?

— Détrompez-vous, nous voulons simplement nous faire une idée de la place et du rôle de chacun. Ça nous est indispensable pour analyser la situation.

Il lève une main pour indiquer que l’explication lui suffit, avant de développer :

— Comme je vous le disais, nous étions quasiment tous au bar. Soudain, Éric est arrivé. Il avait l’air catastrophé, et maintenant seulement, on sait pourquoi. Il a demandé qui était Christian. J’ai dit que c’était moi, et c’est alors qu’il m’a demandé de le suivre et de faire vite parce que c’était très grave.

— Vous savez qu’il se prénomme Éric et lui ignore qui vous êtes…

Ses épaules s’affaissent, tandis qu’il soumet :

— Nous connaissons tous son prénom, vu qu’il est fréquent que nous ayons besoin de son concours pour un problème de maintenance ou de location de la halle, mais lui ne peut se souvenir de tous les usagers de cette salle. Je suppose qu’il y a une multitude d’intervenants…

— Soit ! admet Suzy pour constater que cela est cohérent. Il y a un petit rien qui me gêne, c’est que tout à l’heure vous affirmiez que vous étiez tous au bar et, deux minutes plus tard, on découvre qu’un homme manquait à l’appel. Cet homme, c’est Éric. Savez-vous où il était ? Savez-vous d’où il venait lorsqu’il s’est présenté au bar ?

— Pas du tout ! Comme je vous l’ai dit, j’étais là-haut. Par conséquent, je ne sais pas où il était.

Pour la première fois, je me permets de poser une question :

— Quand avez-vous vu Grégory pour la dernière fois ?

— Lorsqu’il est sorti de la salle de réunion dans laquelle nous sommes, répond Le Goc en se tournant vers moi. Il s’y était isolé pour rencontrer trois journalistes, une femme du Télégramme et deux hommes qui représentaient, l’un Ouest-France, et l’autre, le journal gratuit Côté Quimper. Il les a accompagnés jusqu’à la porte, puis il est allé au vestiaire,

— Quelle heure était-il ?

— Environ vingt heures dix, à deux ou trois minutes près.

— Et à quelle heure a-t-on découvert le corps ?