Trafic en Finistère - Stéphane Jaffrézic - E-Book

Trafic en Finistère E-Book

Stéphane Jaffrezic

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Beschreibung

Embarquez en compagnie du capitaine Maxime Moreau et des policiers dans une histoire franco-russe improbable.

Le capitaine Maxime Moreau a le chic pour s’attirer des ennuis. Alors qu’il fait des courses dans un supermarché, il est témoin d’un vol. L’affaire pourrait en rester là, mais la fouille du véhicule du voleur va laisser perplexes les policiers intervenus à la demande des agents de sécurité. Ce qui semblait au départ un simple fait divers va entraîner le capitaine Moreau et son équipe de la police judiciaire dans une incroyable histoire franco-russe.
De Quimper à Douarnenez et de Brest à Morlaix, ils vont devoir se surpasser pour mettre au jour un circuit “touristique” des plus discutables, mais très lucratif.

Suivez les enquêteurs et le capitaine de Quimper à Douarnenez et de Brest à Morlaix, afin de faire la lumière sur un circuit dit touristique plus que louche... Le 14e volet des enquêtes de Maxime Moreau vous tiendra en haleine jusqu'à son dénouement !

EXTRAIT

Si le touriste américain Billy Hayes redoutait de se faire arrêter dans un aéroport turc, car il ramenait deux kilos de drogue en guise de souvenir, il est vraisemblable que celui-ci a fauché un ou plusieurs articles. Grand, baraqué comme un déménageur, le cheveu court, il frôle la quarantaine d’années. Son blouson noir, taille XXL, est refermé jusqu’au cou par une fermeture Éclair. J’oscille entre avertir la sécurité, et ne pas me mêler de ce qui ne me regarde pas. Si mon éducation – merci papa, merci maman – m’incite à le dénoncer, deux raisons font que je décide de passer outre : primo, je me trompe peut-être et ne connaissant pas le bonhomme, il serait présomptueux de me satisfaire d’une impression même si elle est tenace ; secundo, il a peut-être volé pour se nourrir ou nourrir ses gamins. Dilemme ! Défendre la veuve et l’orphelin, c’est mon job et dans ma nature, mais j’estime la grande distribution assez grande pour veiller à sa propre sécurité.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Né à Concarneau, Stéphane Jaffrézic habite et travaille à Quimper. Il publie ici son seizième roman policier. Il est par ailleurs organisateur de murder parties, et est membre du collectif d’auteurs finistériens “L’Assassin Habite Dans Le 29”.

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Couverture

Page de titre

Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

REMERCIEMENTS

Dominique Quéroué et Pascal Tanguy, pour leurs précieux conseils techniques.

Mes sœurs, Monique et Corinne Jaffrézic, ainsi qu’Élisabeth Mignon, pour le sérieux de leur relecture.

Toute l’équipe des Éditions Alain Bargain, pour la confiance qu’elle continue à m’accorder et la qualité de son travail.

I

La corvée des courses au supermarché est presque terminée. D’habitude, c’est Murielle qui s’y colle. Je mets parfois un semblant de bonne grâce à l’accompagner, poussant le chariot qu’elle remplit allègrement, au gré des rayons qu’elle connaît quasiment par cœur. Ce matin, dans le journal, la publicité d’un centre commercial de Quimper annonçait, pratique courante, une promotion sur des vins. Je suggérai donc à ma chère et tendre, après le boulot, de joindre l’utile à l’agréable et de la remplacer, ce qu’elle accepta, non sans moult recommandations. Il ne s’agissait pas de faire l’impasse sur nos produits habituels, dont je ne regarde jamais l’emballage, ou alors distraitement, et de choisir les dates de consommation les plus lointaines.

— Vous avez la carte de fidélité du magasin, Monsieur ?

— Oui, voici.

La caissière me rend la petite carte plastifiée après avoir passé le code-barres devant le lecteur, et pour le règlement me propose d’insérer ma carte bancaire dans l’appareil. S’il n’y a quasiment rien dans le chariot, le montant de mes achats dépasse celui que je m’étais fixé. Foutue époque, où tout augmente, sauf les salaires ou les retraites. Il n’y a pas de secret, il faut plus de temps pour les gagner que pour les dépenser. Je tape les quatre chiffres sur le clavier. En attendant que la transaction soit effectuée, je jette un œil autour de moi. Aux autres caisses, les files sont conséquentes, alors chacun prend son mal en patience. Il y a là, la clientèle que l’on retrouve dans toutes les grandes surfaces : des femmes et des hommes avec ou sans enfant, des jeunes qui font emplette de packs de bières ou de boissons plus fortement alcoolisées, des papys et des mamies pour qui cela équivaut à une sortie, et donne l’occasion de rencontrer des gens de connaissance. À deux caisses de la mienne, le comportement d’un homme attire mon attention. Certes, il n’a pas le regard fixe et sur le visage des gouttes de sueur qui perlent, comme Billy Hayes, le personnage joué par Brad Davis dans le film Midnight Express, d’Alan Parker, mais pour le flic affûté que je suis, il est quasiment clair que ce loulou n’est pas à l’aise dans ses baskets. Si le touriste américain Billy Hayes redoutait de se faire arrêter dans un aéroport turc, car il ramenait deux kilos de drogue en guise de souvenir, il est vraisemblable que celui-ci a fauché un ou plusieurs articles. Grand, baraqué comme un déménageur, le cheveu court, il frôle la quarantaine d’années. Son blouson noir, taille XXL, est refermé jusqu’au cou par une fermeture Éclair. J’oscille entre avertir la sécurité, et ne pas me mêler de ce qui ne me regarde pas. Si mon éducation – merci papa, merci maman – m’incite à le dénoncer, deux raisons font que je décide de passer outre : primo, je me trompe peut-être et ne connaissant pas le bonhomme, il serait présomptueux de me satisfaire d’une impression même si elle est tenace ; secundo, il a peut-être volé pour se nourrir ou nourrir ses gamins. Dilemme ! Défendre la veuve et l’orphelin, c’est mon job et dans ma nature, mais j’estime la grande distribution assez grande pour veiller à sa propre sécurité.

Je reprends ma carte bancaire, que je joins aux tickets de caisse et de règlement que me tend la jeune femme, et je glisse le tout dans la poche intérieure de ma veste. Je parcours quelques mètres, remarquant au passage que l’individu a déposé un seul article sur le tapis roulant, un paquet de gâteaux apéritifs. Parce qu’on ne se refait pas, et que je suis d’un naturel curieux, je marche lentement et feins de relire le ticket de caisse, comme si je voulais m’assurer que les remises ont effectivement été comptabilisées, ou qu’un article n’a pas été présenté deux fois devant le lecteur optique. Croisant un agent de sécurité qui marche rapidement, je me dis que les caméras de surveillance ont sûrement enregistré le manège du client, et qu’il va être sommé de vider ses poches. Rasséréné, je ne regrette finalement pas de ne pas être intervenu. La morale est sauve !

J’ai à peine parcouru une dizaine de mètres que des éclats de voix se font entendre. Par-dessus mon épaule, je vois le vigile en conversation avec l’individu. Alors que le premier tente de palper le blouson du second, celui-ci le repousse d’une main ferme et autoritaire. L’autre ne se laisse pas faire, et revient à la charge. Ce n’est pas du goût du costaud, qui le repousse, plus violemment cette fois. La procédure voudrait que l’agent de sécurité appelle ses collègues à la rescousse, ou qu’à l’aide de son téléphone il requiert la venue de la police, mais il n’est visiblement pas dans cette logique. N’entendant pas se laisser ridiculiser en public par son adversaire qui désormais se dirige vers la sortie, il le rattrape et l’agrippant par le bras, il l’oblige à faire volte-face. Dans un geste prompt, l’autre se retourne et lui administre un phénoménal coup de tête, dont le bruit est audible de tous. Alors que le vigile s’écroule, littéralement assommé, des cris d’effroi remplacent le silence tout relatif qui s’était instauré aux abords du ring improvisé. Prenant ses jambes à son cou, le gaillard n’a qu’une seule idée en tête : déguerpir ! Il pique un sprint vers la sortie… donc dans ma direction. Autant tout à l’heure je ne me sentais pas concerné, autant maintenant la situation a changé. Je ne peux qu’entrer en scène et pour commencer, empêcher la fuite du gaillard. Pas le temps de cogiter. C’est tellement rapide que toute réflexion est impossible. Maintenant mon chariot de deux mains fermes, au moment propice, je le positionne en travers de la route du sprinter.

L’homme comprend ma manœuvre, mais ne veut pas ralentir. Comme une boule de bowling, il avance inexorablement vers la quille qui se dresse sur son passage. Il y a deux quilles, en fait : le chariot, et moi. Physiquement, je ne fais pas le poids et je suis plus facile à contourner. C’est donc moi qu’il choisit en toute logique. Tout en courant, il modifie sa trajectoire pour esquiver le caddie, et avance une épaule pour m’envoyer bouler. Dans un réflexe, je m’efface sur le côté et tends la jambe à hauteur de ses genoux. Il se préparait à un choc dans le haut du corps. Que l’impact se produise plus bas le surprend, au point qu’il s’étale de tout son long. Emporté par son élan, il glisse sur le sol mouillé par le récent passage d’une autolaveuse, et va heurter de son front le bas de la vitrine d’un magasin de la galerie marchande. Groggy, il n’esquisse pas un geste quand deux vigiles accourus en renfort s’agenouillent et lui bloquent chacun un bras dans le dos.

Depuis son poste, à l’accueil, l’hôtesse, qui n’a rien manqué du spectacle, a déjà le téléphone à la main, et compose le numéro du commissariat.

Considérant que mon intervention est terminée, je vais pour quitter les lieux quand les vigiles insistent pour que je reste, afin de livrer mon témoignage aux policiers. Je pensais échapper à cela, mais je devrais certainement m’acquitter d’un passage au poste, à moins que cette tracasserie administrative ne soit remise à demain matin, ce qui m’arrangerait.

L’homme est traîné quelques mètres plus loin, pour ne pas gêner le flot de chariots et de clients qui se croisent, et est maintenu face contre terre. Peu à peu, il reprend ses esprits. Ruant des pieds et essayant de mouliner des épaules, il tente de se dégager de la solide emprise, mais c’est peine perdue sous la poigne des vigiles.

Une voiture devait patrouiller dans le secteur, car il s’écoule moins de cinq minutes avant que trois bleus, comme on surnomme parfois les policiers en tenue, se présentent.

— Salut, Maxime. C’est toi qui l’as alpagué ? demande le premier en me serrant la main, car nous ne nous sommes pas vus de la journée.

— Non, ces messieurs étaient bien assez grands pour le faire sans moi. C’est vraiment utile que je reste pour le PV ?

— Ça dépend de ton rôle dans cette histoire. À toi de voir !

— Bon, je range mes courses dans la voiture et je vous rejoins. À tout à l’heure.

Alors que je m’éloigne, je vois l’un des policiers ouvrir la fermeture Éclair du blouson du voleur, et mettre à jour une bouteille de whisky, qui par miracle ne s’est pas cassée lors de la chute, et d’autres petits articles comme des lames de rasoirs. Il y en a tout au plus pour une trentaine ou une quarantaine d’euros. Le jeu n’en valait pas la chandelle.

*

Ma voiture garée le long de l’Odet, jolie rivière qui traverse Quimper, capitale de la Cornouaille, en marchant d’un bon pas vers le commissariat, je croise Suzy Villard, Simon Jaouen, et Justin Débolo, mes trois collègues de l’antenne locale de la police judiciaire que je dirige.

— Eh bien, Max ! s’étonne Simon, je croyais que tu partais plus tôt parce que tu avais des trucs à faire !

— Tu viens faire des heures sup’ ? questionne Justin en complément.

— Ne m’en parlez pas ! Il a fallu que je sois témoin d’un vol au supermarché pour que les collègues de la BSU* veuillent m’entendre. Ils ont chopé le gars. Le temps du PV, et je mets les bouts.

— Pas de bol, dit Suzy, une main sur son ventre qui s’arrondit au fur et à mesure que grandit le bébé qui naîtra dans plusieurs mois. Salut, Max, à demain.

— Ciao ! Bonne soirée à vous trois.

J’attends quelques minutes sur le trottoir. Enfin, gyrophare allumé, la voiture de l’équipage franchit le portail métallique commandé à distance. Je pénètre moi aussi dans la cour avant qu’il ne se referme. Le voleur est assis à l’arrière, à côté d’un policier, deux autres sont à l’avant. Menotté, il est extrait du véhicule et conduit vers les locaux. Emmené dans un bureau, il est assis sur une chaise, et c’est alors seulement qu’on lui retire les menottes.

Se massant les poignets, sans jamais regarder les policiers, il conserve la tête baissée.

— On est mal, soupire le brigadier-chef Rodolphe Lancien. Selon son passeport, il est russe, et on dirait qu’il ne comprend pas le français.

— Ou alors il fait semblant de ne pas le comprendre ! suggère Léopold Voiren tout en fouillant les poches du gardé à vue qui se déhanche pour lui compliquer la tâche. Oh, sage le Russkof, ou je t’en mets une !

— On va voir pour trouver un traducteur, reprend le premier en portant assistance à Voiren. À cette heure-ci, ça va être coton.

— Dans ce cas, ce serait bien de me recevoir en premier, dis-je. Mes courses sont dans la voiture, et j’ai des produits qu’il faudrait mettre au frigo assez rapidement.

— Pour le vin, ce n’est pas nécessaire de respecter la chaîne du froid, sourit le troisième, signe que tout à l’heure il a analysé le contenu de mon chariot. Tu peux même aller nous en chercher une bouteille, qu’on vérifie tes goûts en la matière.

— Ne déconnez pas, les gars, j’ai autre chose à faire.

— Viens, fait le brigadier-chef, on va dans le bureau d’à côté. Léo, essaie de trouver un responsable pour demander la venue d’un traducteur. À moins que Max ne s’en charge…

— Vous rigolez ! C’est votre affaire. C’est vous qui avez arrêté ce coco.

— Nom de Dieu ! s’exclame Voiren. Regardez-moi ça !

Il tient à la main une liasse conséquente de billets de banque, de vingt ou cinquante euros. Passant la liasse dans son autre main, il replonge l’autre dans le blouson.

— Il y en a une autre. Et encore une autre ! On aurait pu s’en apercevoir plus tôt, s’il n’avait pas eu son portefeuille dans la poche arrière de son pantalon.

Tandis que les deux policiers en tenue s’approchent de Voiren, j’observe le Russe. Il joue des épaules et se contorsionne pour empêcher l’examen de ses poches, mais il n’y met pas l’énergie dont il serait capable s’il avait sa liberté de mouvement, ou s’il ne se savait déjà perdu.

La situation sort de l’ordinaire, dans le sens où il a tenté de subtiliser frauduleusement des marchandises alors qu’il avait sur lui plus d’argent qu’il n’en fallait pour les acheter. On m’a déjà parlé de kleptomanes, qui ne peuvent se retenir de voler car ils le font uniquement dans le but de ressentir une montée d’adrénaline, ou de démontrer qu’ils sont plus malins que les services de sécurité. Ce qui est associé à une maladie mentale amène le kleptomane à dérober des objets de peu de valeur, l’intérêt reposant seulement sur le fait de commettre un délit, et non de s’approprier les objets. Cette considération mise à part, qu’il ait sur lui une telle somme d’argent est bien plus troublant. D’où proviennent ces billets ? Pourquoi ne les a-t-il pas déposés dans une banque, comme le ferait tout un chacun, ou pourquoi ne les a-t-il pas laissés chez lui ? Les interrogations nous assaillent tous les quatre.

— Il y a urgence à entendre ses explications, commente Rodolphe Lancien. Tu es certain, Max, de ne pas vouloir gérer la situation. Après tout, tu étais sur place avant nous…

Pendant que Léopold Voiren défait les liasses et trie les billets en fonction de leur valeur, je réfléchis. C’est vrai que c’est tentant. C’est aussi vrai que la soirée paisible qui s’annonçait va s’en voir chamboulée. Une pensée pour mes courses – en particulier les denrées périssables si elles ne sont pas mises au frais dans un bref délai – me fait hésiter… quelques secondes.

— Bon, c’est d’accord. J’appelle le parquet.

Dans le répertoire de mon téléphone portable, je sélectionne un numéro. C’est la vice-procureure Juliette Trodat qui décroche.

— Bonjour, Madame. Ici le capitaine Maxime Moreau, de l’antenne de la PJ de Quimper. Par le plus grand des hasards, j’ai participé à l’arrestation d’un voleur dans un supermarché. L’histoire pourrait s’arrêter là, mais il a sur lui une forte somme d’argent.

— Cinq mille cinq cents euros, souffle à voix basse Voiren qui vient de les compter.

— Il y en a pour cinq mille cinq cents euros. Or, il se trouve que l’homme est d’origine russe et ne parle pas le français. Je vous appelle pour vous demander l’autorisation de faire intervenir un traducteur.

— La provenance de cet argent n’est sûrement pas claire, fait-elle d’un ton péremptoire. Je vous donne mon assentiment, Capitaine Moreau, mais auparavant il me faut plus de détails : merci de me faxer votre demande, ainsi que l’état civil du prévenu et les circonstances de son arrestation. Je vous saisis officiellement de cette affaire. Placez-le en garde à vue au motif de vol à l’étalage, et je vous adresse par fax la commission rogatoire. C’est moi qui suis de permanence, je vous prie de me tenir au courant de la teneur de l’interrogatoire. Nous verrons alors s’il y a lieu de changer le motif de la garde à vue et de nommer un juge d’instruction. À plus tard.

— Je ne vous l’ai même pas demandé, dis-je à l’attention des policiers après avoir raccroché : comment se nomme-t-il ?

— Vladimir Korovak, répond le brigadier-chef en me tendant un portefeuille en similicuir malmené par les années. Il est né à Saint-Pétersbourg, il y a quarante et un ans.

— Et ici, en France, où demeure-t-il ?

— On ne le sait pas. Il n’a pas prononcé un mot.

Je consulte les différents documents contenus dans le portefeuille, mais la plupart sont écrits en cyrillique. Sur deux d’entre eux, cependant, l’identité du Russe est lisible dans notre alphabet, un reçu de la Western Union, et une facture de téléphone portable. Ce téléphone dernier cri fait également partie des objets extraits des poches du Russe. Un élan de curiosité m’encourage à consulter le répertoire. Problème, là aussi les prénoms et noms des contacts sont écrits en cyrillique.

— Au fait, avez-vous pensé à fouiller sa voiture ?

Des mines gênées, des lèvres pendantes, des yeux grands ouverts ou fuyants vers le plafond, me font comprendre qu’il n’en est rien, ce qui jette un froid.

— Non, ne me dites pas que vous n’y avez pas pensé !

— Il est peut-être venu en bus, suggère Voiren pour tenter d’atténuer le courroux que je sens grandir en moi.

— Cette clé ouvre certainement une voiture, dis-je en m’emparant d’un trousseau, au milieu d’une petite bannette qui contient les effets retrouvés dans les poches de Korovak, à l’exception de l’argent. A R, Alpha Roméo. À défaut du modèle, on connaît au moins la marque.

Sollicitant les policiers pour qu’ils retirent la ceinture de son pantalon et les lacets de ses chaussures, précautions pour empêcher un gardé à vue d’attenter à sa vie, et mettent le gaillard en cellule en attendant la venue d’un traducteur, je récupère la bannette, et les liasses de billets, pour les enfermer dans le coffre-fort dont nous disposons, et monte à mon bureau, situé au troisième étage. Dans l’attente du jugement, dans plusieurs mois ou plus rapidement si Korovak accepte la comparution immédiate, je place l’argent dans un scellé, me disant qu’un jour il sera versé au Trésor Public. Quand il est en sécurité dans le coffre-fort, je rédige et faxe une synthèse des éléments qui ont conduit à l’interpellation du Russe. En retour, la commission rogatoire ne tarde pas. Dans l’intervalle, j’ai consulté la liste des traducteurs à qui nous faisons parfois appel, et je suis parvenu à en contacter une, qui m’a assuré qu’elle serait dans nos locaux dans le quart d’heure.

Quelques minutes plus tard, je retrouve les trois compères au rez-de-chaussée.

— En attendant l’arrivée de la traductrice, je vais chercher mes courses pour les mettre au frais, annoncé-je en pensant au réfrigérateur qu’il y a dans la salle de pause, dans lequel les policiers qui mangent sur place déposent leur repas.

— On va te laisser, Max, on repart en patrouille. À moins que tu aies besoin de notre aide ?

La proposition du brigadier-chef Rodolphe Lancien, qui je le sais, a suivi la formation d’officier de police judiciaire, et est donc habilité à enregistrer les déclarations de plaintes et autres actes administratifs, ne manque pas de me plaire.

— J’aimerais que tu reçoives l’agent de sécurité du supermarché pour enregistrer sa déposition. Ça me ferait gagner du temps. Quant à moi, je vais gérer le client. Tu es vraiment disponible ?

— Oui. D’ailleurs, je pense que le vigile ne devrait pas tarder. Il m’a dit qu’il finissait son boulot à 19 heures. Allez en promenade sans moi, fait-il alors à l’intention des deux autres policiers.

* Brigade de Sûreté Urbaine.

II

La Moscovite Barbara Grosko est une grande et plantureuse femme d’une cinquantaine d’années. Blonde aux cheveux longs, faisant fi de maquillage, elle a des yeux bleus d’une grande pureté, mis plus encore en valeur par son teint d’un blanc laiteux. Elle possède cet indicible charme slave, cette froideur qui, à l’opposé, réchauffe le cœur – et pas seulement le cœur – des hommes qui croisent son chemin. Les présentations faites, je l’emmène à mon bureau, où je la laisse seule le temps de descendre aux cellules chercher le voleur.

Vladimir Korovak a digéré son interpellation musclée. S’il subsiste une bosse à son front, je lis dans son regard une indéfectible détermination à ne pas se laisser manipuler, que ce soit physiquement ou verbalement. Hélas pour lui, il en faut plus pour m’intimider ou me décourager. Requérant l’assistance de personnels présents au commissariat, c’est encadré de deux solides policiers que, menotté, il est conduit au troisième étage. Une menotte est défaite, libérant une main, mais est aussitôt refermée sur un anneau fixé dans la maçonnerie. Il ne bougera que lorsque je le déciderai !

Les yeux mi-clos, il sonde la femme qui patientait, debout, regardant par la fenêtre les toits du quartier, au-dessus desquels, de rares nuages n’en donnent que plus de valeur au ciel azur, qui dans moins d’une heure sera noir. S’en apercevant dans le reflet de la vitre, elle se retourne vers nous et opte pour l’indifférence plutôt que pour une guerre des regards perdue d’avance. Parce qu’il faut bien que ses mirettes se posent sur un point, elle les pose sur moi. Je remarque alors une petite lueur qui souligne que je suis à son goût. Si un récent sondage indique que les femmes craquent pour les bad boys, ce ne sont pas le blouson noir, les épaules de lutteur, et la bosse au front de son compatriote qui la feraient fondre ou se pâmer.

Je la prierais bien de s’asseoir, mais il est évident qu’elle ne veut pas voisiner avec le dur à cuire. En raison de l’exiguïté du bureau, il n’y a pas de point plus éloigné que celui où elle se tient. Ayant anticipé mon invitation, elle me fait comprendre d’un hochement de tête qu’elle préfère rester à l’endroit où elle se tient.

Avant de procéder à l’interrogatoire, nous devons respecter les dispositions légales :

— Madame Grosko, demandez à ce monsieur s’il souhaite que quelqu’un soit averti de sa présence dans nos locaux. Demandez-lui aussi s’il veut qu’un médecin l’examine, et s’il connaît un avocat qui assurera sa défense. Sinon, il lui en sera désigné un d’office.

À peine a-t-elle prononcé quelques syllabes qu’il l’interrompt en persiflant entre ses lèvres tout juste entrouvertes. S’il était un personnage de dessin animé, ses billes marron lanceraient des éclairs.

Levant la tête vers la femme, d’un haussement des sourcils je lui signifie de me traduire la riposte du Russe.

— Je ne répéterai pas ce qu’il a dit. C’est… c’est indécent.

— Ne vous laissez pas démonter, et surtout n’entrez pas dans son jeu en répondant de la même manière. Expliquez-lui calmement qu’il a tout à perdre à ne pas répondre.

Elle répète sa première tirade, sans qu’il ne la coupe cette fois. Quand elle a terminé, il grommelle quelques mots, qu’elle me rapporte.

— Il ne veut ni médecin, ni avocat. Et il ne connaît personne à Quimper. Je ne vous dis pas ce qu’il a ajouté, parce que, là encore, c’est trop grossier.

— Eh bien je vais requérir un avocat.

Je m’y attendais, aussi avais-je préparé la liste des avocats de permanence. Répondant dès la troisième sonnerie, Maître de La Bonchesse garantit qu’il sera rapidement parmi nous. Il ne reste plus qu’à l’attendre.

*

L’homme de loi a effectivement fait fissa pour nous rejoindre. À peine âgé de trente ans, costumé et cravaté, il lance un bonsoir à la cantonade avant de s’inquiéter de l’identité de son client :

— Comment vous appelez-vous ?

— Il se nomme Vladimir Korovak. Je réponds à sa place, puisqu’il ne semble pas parler notre langue.

— Ceci complique les choses, fait-il en se rembrunissant. Que reprochez-vous à mon client ? Quel est le motif de son inculpation ?

— Il a été pris en flagrant délit de vol dans un supermarché. Ce n’est pas réellement un délit majeur, mais ce qui nous intrigue, c’est l’importante somme d’argent qu’il avait sur lui. J’agis sous commission rogatoire, la vice-procureure Juliette Trodat désirant savoir d’où provient cet argent.

— Seulement cela ! fait-il agacé, ou simulant de l’être.

— Oui. Nous pouvons cependant raisonnablement penser que ce simple vol à l’étalage est anecdotique. Ce qui l’est moins, ce sont les cinq mille cinq cents euros en espèces qu’il détenait. Je vous présente madame Grosko. Votre client étant russe, elle est chargée de la traduction.

Se tournant vers Barbara Grosko, il n’y va pas par quatre chemins.

— Dites-lui de ne pas répondre aux questions. Et ajoutez que je le verrai au tribunal, le jour du jugement. Au revoir.

Sans attendre qu’elle s’y plie, il tourne les talons et disparaît. Trentenaire, mais déjà vieux briscard, il a tout compris du système pour se faire du fric. C’est énervant, cette attitude très courante chez les hommes de loi. En l’espace de deux minutes de présence, que l’on peut aussi calculer à environ une demi-heure entre le moment où il a déserté son étude et son retour, il vient de se mettre près de trois cent cinquante euros dans la poche. Ça fait cher la minute pour le contribuable, quand on considère qu’il arrive que les avocats ne se déplacent parfois même pas pour assister au jugement. Et tout cela pour dire quoi ? Pour conseiller au “client” de se taire. Belle défense, à défaut de plaidoirie. Et encore, la Sécurité sociale a fait l’économie d’une consultation médicale…

Après que Barbara Grosko ait expliqué à Korovak qui était le coup de vent, nous pouvons enfin entrer dans le vif du sujet.

Je le scrute quelques secondes, avant de tourner la tête vers la traductrice.

— Tout d’abord, demandez-lui d’où provient l’argent qu’il avait sur lui.

Elle a tout juste proféré quelques syllabes que son compatriote durcit les traits de son visage et crache dans sa direction, le mollard atteignant la cible au niveau du nez. Formulant dans la foulée ce qui doit être une volée d’insultes, il la toise durement. Choquée, elle recule au plus loin qu’elle le peut, tandis que je me lève pour lui donner un paquet de mouchoirs en papier.

— Bon, si c’est comme ça, on remet l’interrogatoire à demain matin. Une nuit au frais, seul dans une cellule, le fera peut-être réfléchir. Vous pourrez vous libérer, madame Grosko ?

Tout en s’essuyant avec dégoût et en jetant deux mouchoirs roulés en boule dans la corbeille, elle réfléchit avant d’annoncer :

— Oui… non… je n’ai pas vraiment envie de revoir ce porc !

— Je peux vous comprendre. Néanmoins, ce serait indispensable. Soyez tranquille, je prendrai des dispositions pour que pareille mésaventure ne se reproduise pas.

Elle hésite avant d’abonder :

— D’accord pour demain. À quelle heure voulez-vous que je vienne ?

— 8 heures, c’est possible ?

— Oui, je serai ponctuelle.

Pour sortir, elle doit inévitablement passer à proximité de Korovak, et cela lui est insupportable. J’ai une astuce pour lui éviter cette épreuve.

— Voici une feuille blanche. Inscrivez en russe qu’il ne se rend pas service en refusant de répondre à nos questions, et qu’en temps voulu le juge tiendra compte de son attitude pour corser son verdict, ou au contraire faire preuve de clémence. Notifiez-lui aussi sa garde à vue au motif de vol à l’étalage. Je vais demander de l’aide pour l’emmener assister à la fouille de sa voiture.

Tandis qu’elle s’exécute, j’appelle l’accueil du commissariat pour quémander l’appui de deux costauds, et ensuite la vice-procureure Juliette Trodat. La représentante du parquet ne tique pas lorsque j’évoque la poursuite de la garde à vue. Les interrogations quant aux cinq mille cinq cents euros, demeurant, et la quasi-certitude que si nous relâchons Korovak nous ne le reverrons pas de sitôt, voire plus jamais, sont d’inébranlables arguments. Ma suggestion de la fouille du véhicule emporte également son assentiment.

Un peu plus tard, les deux mêmes policiers que plus tôt se pointent pour escorter Vladimir Korovak jusqu’à un fourgon, dans la cour du commissariat. Avant de les rejoindre, je raccompagne Barbara Grosko vers le rez-de-chaussée.

*

Le parking s’est considérablement vidé. Il ne doit plus rester que les véhicules des employés de la grande surface et de la galerie marchande, ainsi que ceux des traînards qui, après le travail, se souviennent que, chez eux, frigo et placards sont vides. Dans le fourgon, nous parcourons à allure réduite les travées du parking, à la recherche d’une Alpha Roméo. Lorsque nous en voyons une, j’appuie sur la commande d’ouverture à distance. Si le premier essai est infructueux, le deuxième est le bon. Répondant à la pression de mon pouce sur la partie plastique de la clé, les feux de détresse d’une Giulietta grise clignotent. Nous nous garons à proximité de la belle italienne immatriculée dans le Morbihan, et en approchons tous les quatre.

Le coffre ne recèle rien qu’un bidon d’huile moteur et un autre de liquide de refroidissement, rangés dans un carton pour éviter qu’ils ne se baladent ou ne perdent leur contenu si d’aventure ils se renversaient.

Dans l’habitacle, un pull-over est posé sur le siège passager. Dans la boîte à gants, outre une petite boîte d’ampoules pour les éventuelles défections des phares, veilleuses, ou clignotants, il y a quelques papiers. Ce sont bien sûr ceux-ci qui suscitent ma convoitise. Je compte trois reçus de la Western Union, tous au nom d’un bénéficiaire en Russie, en la ville de Novossibirsk. Il y a également neuf contrats de location de meublés, sur plusieurs villes de la région, à savoir : Quimper, Brest, et Douarnenez, et trois billets de train. Tous sont au départ de Quimper, à différents jours de la semaine prochaine, pour des destinations du grand Ouest de la France. Depuis les tragiques attentats terroristes qui ont frappé la France en 2014 et 2015, la SNCF fait figurer sur les titres de transport l’identité du voyageur. En l’occurrence, les prénoms et noms de trois femmes à consonance russe. Il y a enfin un bloc-notes, sur lequel, en lettres manuscrites, figurent des adresses de sites internet annonçant des massages. Les noms de ces sites ne sont pas sans distiller l’équivoque quant à la teneur des séances. Troublant, tout cela. Louche, même. Il y a fort à parier que ce qui se passe derrière la porte n’a rien de commun avec une manipulation chez un ostéopathe ou un kinésithérapeute. Illico, je fais un lien entre les locations de meublés, les sites de petites annonces, et l’argent expédié en Russie, et dont Vladimir Korovak semble conserver une partie sur lui. De là à supposer qu’il soit l’un des maillons d’un réseau de prostitution, il n’y a pas loin.

Sans quitter Korovak du regard, j’arbore sur les lèvres un sourire de vainqueur. Il peut conserver le silence, le résultat de mes investigations alourdit considérablement son dossier. Pour la troisième fois en cette fin de journée, je suis en communication avec Juliette Trodat.

— Madame la procureure, nous avons repéré la voiture de Vladimir Korovak sur le parking du supermarché dans lequel il s’est fait serrer. Je crois que nous avons mis la main sur du lourd. Vous connaissez le système de transfert d’argent de la Western Union ?

— Oui. C’est ce que l’on appelle du cash to cash. Il n’y a pas d’agence en France, c’est la Banque postale qui assume ce service de virements de particuliers à particuliers.

— Tout à fait ! On peut virer de l’argent à une personne à l’autre bout de la France, comme à l’autre bout du monde. Dans la boîte à gants, nous avons découvert trois reçus au nom d’un certain Boris Ouklov, qui habiterait Novossibirsk, pour des sommes de deux mille, trois mille, et trois mille cinq cents euros. Le tout étalé sur une période de deux semaines.

— Pas mal. Ça chiffre à huit mille cinq cents euros en quinze jours. Vous avez une idée de la provenance de cette somme rondelette ? Une histoire de drogue ?

— Je ne crois pas que ce soit cela. En plus des trois reçus, j’ai découvert des contrats de location de meublés dans trois villes du Finistère. Sur un bloc-notes, il est fait allusion à des petites annonces pour des massages relaxants. Partant de là, je verrais bien une affaire de prostitution, là-dessous, car en plus il y a trois billets de train pour un aller simple de Quimper vers différentes villes du grand Ouest, dans une huitaine de jours, mais correspondant à des jours différents. Ils portent les prénoms et noms de femmes. De là à ce que ce soit pour les emporter vers de nouvelles destinations afin qu’elles y monnaient leur charme, ceci en évitant qu’elles ne se rencontrent, il n’y aurait rien de surprenant.

— Finement réfléchi, capitaine Moreau. Vous avez déjà accumulé quantité de renseignements. Vous allez ensuite perquisitionner son domicile ?

— Pas dans l’immédiat, puisque je ne connais pas son adresse. Comme je vous le disais tout à l’heure, il a refusé de s’exprimer lors de l’interrogatoire, et a même craché sur la traductrice. Souhaitons qu’une nuit en cellule le rende plus loquace.

— C’est effectivement à espérer. Il y a vraisemblablement des femmes qui vivent un enfer, à l’heure où nous parlons, et plus vite nous y mettrons un terme, mieux cela sera. Pour vous chapeauter, je vais nommer un juge d’instruction. Il ne tardera pas à se mettre en liaison avec vous. Bonne soirée, Capitaine Moreau.

— Bonne soirée également, Madame. Au revoir.

L’Alpha Roméo refermée, nous remontons dans le panier à salade, et retournons au commissariat. Dans la cour qui sert de parking, nous nous extrayons du véhicule quand je reçois un appel du juge d’instruction Hugo Desmant, nommé dans le quart d’heure par la vice-procureure pour diriger nos investigations. Après un bref résumé de la situation, ensemble nous planifions les interventions du lendemain.

Sur mon bureau, le brigadier-chef Rodolphe Lancien a mis en évidence le procès-verbal d’audition de l’agent de sécurité du supermarché. Je le lis avant de le glisser dans un dossier à sangle qui devrait rapidement prendre du volume. J’attrape ensuite la feuille rédigée par Barbara Grosko, et descends au rez-de-chaussée.