Escapade à Landerneau - Stéphane Jaffrézic - E-Book

Escapade à Landerneau E-Book

Stéphane Jaffrezic

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Beschreibung

Quel est le comble pour un policier comme moi ?

Il y a plusieurs réponses possibles, entre autres : être victime d’un cambriolage ! Lorsque je m’en aperçois en rentrant du travail, je fais appel à une collègue de la police technique et scientifique pour qu’elle passe la maison au peigne fin. Les relevés d’empreintes digitales devraient rapidement nous mettre sur une piste. On pourrait donc parler d’une affaire rondement menée... sauf que les seules empreintes ainsi collectées sont celles de Murielle, la femme qui partage ma vie !
C’est ainsi qu’à partir d’un simple fait divers, je vais fouiller son passé et en apprendre de belles... Si j’en ai le temps, car il semblerait qu’on veuille me faire passer de vie à trépas.

Maxime Moreau, menacé de mort, mène l'enquête à Landerneau et découvre qu'il ne sait pas tout de la femme qui partage sa vie ! Un 8e tome à découvrir sans tarder !

EXTRAIT

Sous peu, je sortirai le salon de jardin et les transats qui sommeillent depuis l’été dernier dans la pièce qui fait office de buanderie et de débarras. Nous pourrons ainsi goûter au plaisir de déjeuner ou dîner à l’extérieur et à la joie de nous étendre au soleil avec un bon bouquin ou, plus sûrement, pour ne rien faire. Sous peu...pourquoi sous peu ? Pourquoi attendre alors que la douceur de la température de cet exceptionnel Premier avril invite aux plaisirs d’une terrasse ? Je peux être du genre impulsif lorsqu’une idée me traverse l’esprit. Me faisant la réflexion que Murielle ne rentrera pas du travail de sitôt et que je n’ai rien à faire sinon que de l’attendre, je me décide. Plutôt que d’entrer dans la maison, je la contourne. Je prélève mon trousseau de clés dans ma veste et pose celle-ci sur...Un détail suspend mon geste, en l’occurrence, un carreau cassé sur la vieille porte en bois donnant accès à la buanderie.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Éditions Bargain, le succès du polar breton. - Ouest France

À PROPOS DE L'AUTEUR

Né en 1964 à Concarneau, Stéphane Jaffrézic habite et travaille à Quimper. Il présente ici son dixième roman policier. Il est également auteur de nouvelles et intervient pour des causeries sur le roman policier dans des médiathèques ou le milieu scolaire. Il est aussi organisateur de murder parties.

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Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

REMERCIEMENTS

À la Maison du Tourisme de Landerneau-Daoulas, en particulier à Chloé,

À Dominique Quéroué,

À Hélène et Benoît,

À Céline qui m’a soufflé l’idée de bâtir une intrigue au “Pays de la Lune”.

I

Je sifflote gaiement, tandis que sur le volant, mon index droit bat la mesure de l’éphémère tube qui s’échappe de la radio. Il faut bien convenir que ce n’est pas terrible musicalement, les paroles sont aussi vides que mon porte-monnaie à la fin du mois… Mais là n’est pas l’important. Je m’étais fixé pour objectif de terminer un rapport inhérent à un trafic de cannabis et, en moindre quantité, de cocaïne, et, contrat rempli, c’est le cœur léger que je vais profiter d’une semaine et demie de vacances.

Bonheur suprême, Murielle est, elle aussi, en vacances dès ce soir. Le programme dépend de la météo que les spécialistes prédisent relativement ensoleillée. D’un autre côté, nous ne serions pas franchement déçus s’il pleuvait. Passionnée de photo, Murielle peut passer des heures et des journées entières à la recherche d’un sujet qui peut aussi bien être une barque abandonnée qu’une fleur ou une fontaine nichée au fond d’un bois ; ensuite, elle développe elle-même ses clichés et fabrique des cadres pour préparer des expositions qu’elle présente un peu partout dans la région. La qualité de son travail ayant déjà été récompensée par des articles dans la presse locale, elle entend maintenant se frotter à la concurrence en participant à des concours.

Quant à moi, je me suis découvert une passion à laquelle je peux me livrer sans quitter la maison. Elle me titillait depuis un bon moment et j’ai enfin osé franchir le pas. Cette passion que l’on peut qualifier de dévorante, tant il est vrai qu’elle engloutit la majorité de mes loisirs et de mes soirées, c’est l’écriture. C’est un réel bonheur que d’associer des mots, puis des phrases et des paragraphes, pour, sur le papier, développer des idées, décrire un sentiment ou une action. Action est le terme qui correspond le mieux, car s’il est avéré que l’on écrit mieux sur ce que l’on connaît, j’ai entrepris d’écrire un roman, pas romancé du tout, sur ma vie de flic. Oh, pas une biographie, mais un roman policier dans lequel je reprends une intrigue à laquelle j’ai été confronté. Qui sait, si je le termine un jour, le démon de l’écriture me poussera peut-être à raconter par le détail chacune des grosses affaires dont je me suis occupé depuis mon arrivée dans le Finistère…

À la faveur d’un accident de travail qui, il y a un peu plus d’un mois, m’a valu une cheville fêlée1, j’ai entamé l’écriture d’une première intrigue. J’ignore combien de temps cela me demandera, j’ignore même si, un jour, j’écrirai le mot « fin », mais une chose est certaine : je m’éclate !

L’intention n’est pas de briguer un prix littéraire. D’ailleurs, sera-t-il un jour édité ? Plus prosaïquement, mon objectif est de me faire plaisir. Brûlant les étapes, je lui ai trouvé un titre qui m’amène un sourire dès que je le prononce : Chili-Concarneau. Clin d’œil au réputé plat épicé, je le vois déjà jaillir d’une couverture forcément rouge. Mais ne mettons pas la charrue avant les bœufs, je n’en ai écrit qu’une quarantaine de pages !

Comme souvent, ma rue est configurée en terrain de foot, dans le sens où huit gamins du quartier s’affrontent en deux équipes de quatre. Au milieu de la chaussée, des pull-overs roulés en boule symbolisent les poteaux des buts. Le regard sombre ou une moue sur les lèvres, les footeux les ramassent en voyant survenir ma voiture, puis les replacent après mon passage.

La musique cesse lorsque je coupe le contact, mais je siffle toujours, avant de les apostropher tout en refermant la portière :

— Salut les gars ! Attention à ma voiture, avec votre ballon !

— Ne vous inquiétez pas, riposte le plus hardi. On fait attention. On est très précis.

— Je n’en doute pas, Evan. Mais je te tiendrai pour responsable s’il y a de la casse.

L’interpellé, un costaud de dix ans qui en paraît facilement deux ou trois de plus, soupire avant de proposer à ses copains :

— OK, m’sieur Garrec. Allez, on déplace les buts vers la maison d’Hugo.

Evan et ses parents sont nos plus proches voisins, sur la gauche du pavillon que possédait Murielle avant que je n’entre dans sa vie, il y a un peu plus d’un an de cela. Supposant que nous sommes mariés, il m’a appelé Garrec qui est en fait le nom de famille de Murielle. Seul ce nom apparaît sur la boîte à lettres, car je suis officiellement domicilié rue Jules Simon, dans l’appartement que j’ai conservé depuis que nous partageons le même toit… et le même lit. Sans parler mariage, un jour, il faudra que l’on effectue les démarches officialisant notre vie commune. Outre que ce serait plus pratique sur bien des points et m’éviterait de passer régulièrement relever mon courrier, nous bénéficierions d’avantages fiscaux.

On a changé d’heure le week-end dernier et avancé montres et horloges d’une heure pour passer à l’heure d’été. Si on peut légitimement douter de l’intérêt économique de cette mesure, il faut convenir que c’est bien agréable de bénéficier de la lumière du jour plus tard dans la soirée. Sous peu, je sortirai le salon de jardin et les transats qui sommeillent depuis l’été dernier dans la pièce qui fait office de buanderie et de débarras. Nous pourrons ainsi goûter au plaisir de déjeuner ou dîner à l’extérieur et à la joie de nous étendre au soleil avec un bon bouquin ou, plus sûrement, pour ne rien faire. Sous peu… pourquoi sous peu ? Pourquoi attendre alors que la douceur de la température de cet exceptionnel Premier avril invite aux plaisirs d’une terrasse ? Je peux être du genre impulsif lorsqu’une idée me traverse l’esprit. Me faisant la réflexion que Murielle ne rentrera pas du travail de sitôt et que je n’ai rien à faire sinon que de l’attendre, je me décide. Plutôt que d’entrer dans la maison, je la contourne. Je prélève mon trousseau de clés dans ma veste et pose celle-ci sur… Un détail suspend mon geste, en l’occurrence, un carreau cassé sur la vieille porte en bois donnant accès à la buanderie. La partie haute de cette porte est vitrée de neuf petits carreaux d’environ trente centimètres sur vingt. C’est celui du bas à gauche, soit le plus proche de la serrure, qui est cassé. Par commodité, Murielle et moi laissons toujours la clef dans la serrure, côté intérieur s’entend. Une fois le carreau cassé, ce n’est qu’un jeu d’enfant de passer la main et de tourner la clef. Mon œil de flic repère tout de suite qu’il n’y a pas de morceau de verre sur le sol, ce qui implique qu’ils sont tombés dans la buanderie, consécutivement à un choc venant de l’extérieur. Ce ne peut être le ballon des gosses du quartier, alors… J’ai laissé mon arme de service dans le tiroir de mon bureau, mais c’est sans hésitation que j’approche sur la pointe des pieds. Pour ne pas effacer une éventuelle empreinte digitale, je recouvre ma main d’un mouchoir et, d’un doigt, je fais pression sur la poignée. Elle s’abaisse. Une petite poussée du pied, et elle pivote sur ses gonds. Je l’ouvre au minimum, osant une oreille et un œil. Aucun bruit ne me parvient. Les morceaux de verre parfaitement alignés indiquent que la porte a été ouverte selon un angle suffisant pour laisser le passage à un homme ou une femme. Ou à plusieurs… Revenant sur mes pas, je prends mon téléphone portable et sélectionne le numéro du commissariat local que j’ai quitté depuis quatre mois, pour prendre mes nouvelles fonctions à l’antenne de la Police Judiciaire de Quimper.

— Commissariat de Concarneau, j’écoute…

— Bonjour, ici le capitaine Maxime Moreau, dis-je à voix basse. C’est vous, Vernet ?

— Bonjour Capitaine ! fait joyeusement le brigadier en constatant que j’ai reconnu son organe. Comment allez-vous ?

— Jusqu’ici c’était impeccable, mais je viens de découvrir que j’ai été victime d’un cambriolage. Vous pouvez m’envoyer du monde ?

— Oh, nom de… Bien sûr !

— Les cambrioleurs sont peut-être toujours là. Dites aux collègues de se faire discrets et de bloquer la rue pour empêcher toute tentative de fuite. Y a-t-il un officier dans la maison ?

— Oui. Le lieutenant David Fournot.

— Bien. Je peux lui parler ?

— Je vous le passe.

Deux sonneries, puis le lieutenant décroche.

— Salut, Max. Comment va ?

Le moment est mal choisi pour les formules d’usage. Quand je lui raconte ma mésaventure, il annonce qu’il arrive au plus vite et raccroche précipitamment.

L’attente sera courte, le commissariat, au bas de l’avenue de la Gare, n’étant pas distant de mon domicile du quartier de Minven, ou plutôt de celui de Murielle, car je ne suis que le squatter de son cœur. Je vais me cacher derrière le tronc massif d’un palmier, prêt à couper la retraite d’un cambrioleur ou à rester planqué s’il est armé ou s’ils sont plusieurs. Il s’en faut de quatre à cinq minutes pour que, main sur la crosse de son arme, mon ex-collègue se présente. Je lui fais signe de me rejoindre sur l’arrière de la maison, puis lui désigne la vieille porte en bois par où se seraient introduits un ou des indésirables visiteurs. Le Sig Sauer, pistolet semi-automatique réglementaire des forces de police et de gendarmerie, sort de son étui.

Nous pénétrons à la suite l’un de l’autre dans la buanderie et, sans bruit, investissons la cuisine. Rien à signaler. Tous les sens en alerte, nous progressons. Le séjour est désert, les toilettes également. L’étage maintenant. L’escalier est en bois. Certaines marches craquent. C’est ce que, par gestes, j’explique à David pour me justifier lorsque je passe devant lui. Il me suit, posant ses pas dans les miens. Deux marches d’affilée posant problème, je fais une grande enjambée pour les éviter. Lui aussi. Nous parvenons à l’étage qui se compose de notre chambre à coucher, d’une autre où sont entassés les souvenirs du passé et dans laquelle Murielle s’est aménagé un espace pour sacrifier à sa passion de la photographie, d’une troisième qui fait office de bureau et accessoirement de chambre d’amis, même si nous recevons peu, et de la salle de bain. Parce que nous usons de précaution pour ouvrir chaque porte, il nous faut quelques minutes pour nous assurer que la maison est vide. Rengainant son arme, David suggère :

— Fais le tour, pour vérifier si rien n’a disparu. J’appelle la patrouille pour qu’ils lèvent le siège, et une équipe de l’IJ pour des relevés d’empreintes.

Prenant garde de ne rien toucher pour ne pas compliquer le travail des techniciens de l’Identité Judiciaire, j’inspecte une seconde fois les pièces, mais plus dans le détail. À proprement parler, nous ne possédons rien de valeur : ni bijou hors de prix, ni tableau de maître, ni bons du Trésor ou louis d’or. Nous disposons chacun d’un chéquier et d’une carte bancaire, mais le mien est à sa place tandis que ma carte est dans la poche de ma veste. Je sais que ceux de Murielle sont dans son sac à main. À part cela… L’ordinateur et la télévision sont à leur place dans le séjour, ainsi que les appareils qui les accompagnent, comme imprimante ou graveur. Les boucles d’oreilles, colliers et bracelets de Murielle sont dans la chambre, dans la petite boîte prévue à cet usage… Rien ne semble avoir disparu. Je sors rejoindre David.

— Coup de bol, dit-il en refermant son téléphone portable, c’est Martine Durham qui est de permanence. Elle habite Melgven et elle allait emprunter la bretelle de sortie de voie express à Coat Conq quand je l’ai eue au bout du fil. Elle sera là dans quelques minutes.

— Nickel ! À première vue, rien n’a disparu. Mais il me faut attendre que Murielle rentre pour en être certain. Elle connaît mieux la maison que moi.

— Je comprends. En général, les femmes savent mieux que leurs maris ce que le couple possède et où c’est rangé. Elle sera là vers quelle heure ?

— Pas beaucoup avant vingt-deux heures. Tu seras rentré pour alors.

— On verra. En attendant Martine, on se fait une enquête de voisinage ?

— J’y comptais. Mais tu as peut-être mieux à faire ? Je n’ai pas envie de pourrir ta soirée.

— Ne te formalise pas pour cela, Max, je n’ai rien de prévu.

Nous rejoignons la rue et nous séparons. David traverse pour aller interroger monsieur et madame Jardel, de paisibles retraités. De la lumière dans ce que je crois être la cuisine indique qu’au moins l’un des deux est présent. Pour ma part, je marche vers les footballeurs dont certains ponctuent d’un « yes ! » une frappe lointaine qui semble être passée entre les illusoires poteaux-pull-overs. La lumière du jour commence à décliner, mais les accros du foot bénéficient de l’éclairage municipal et en profitent pour faire durer la partie. Je m’empare du ballon qui roule vers moi et, tout en marchant, entame une série de jonglages, des pieds, des genoux et de la tête. Alors que la validité du but fait débat, ils font silence en découvrant mon petit numéro. Je pourrais passer pour un crack, mais ma virtuosité a ses limites. Un mauvais contrôle, et le ballon monte plus haut que je ne l’avais prévu. Pire encore, sa trajectoire n’est absolument pas celle que je souhaitais. Je tente de le récupérer, mais ma cheville me rappelle que je suis à peine remis. Elle se tord, je manque de m’affaler, et le ballon atterrit sur l’essuie-glace d’une voiture. Une chance que le propriétaire ne se manifeste pas à ce moment-là !

— Je peux vous parler, les jeunes ?

Certains font un pas en avant, d’autres reculent.

— Je ne vous embête pas, j’ai juste une question à vous poser. Evan, viens voir, s’il te plaît.

Une œillade vers ses copains pour signifier qu’il n’a pas vraiment le choix, puis il approche.

— Ça fait combien de temps que vous jouez ?

— On n’a rien cassé. On n’a shooté dans aucune voiture.

— Ce n’est pas pour cela que je te questionne. Vous êtes ici depuis quelle heure ?

— Je ne sais pas, je n’ai pas de montre. On a fini les cours à quinze heures, je dirais donc qu’on a commencé à jouer vers quinze heures vingt, quinze heures trente. Pourquoi ? On a abîmé quelque chose ?

— Mais non, je te dis ! Pas du tout. Je crois que j’ai été cambriolé, alors j’aimerais savoir si vous avez vu quelqu’un entrer chez moi.

— Cambriolé ! Comme dans les films ? Heu, moi je n’ai rien remarqué. Et vous, les gars, vous avez vu quelqu’un entrer chez monsieur Garrec ?

Tous font non de la tête. Soit leur attention était monopolisée par le ballon, soit mon ou mes cambrioleurs ont agi avant quinze heures quinze. Je retiens cette deuxième possibilité, car dans cette rue peu passante, ils auraient nécessairement repéré un individu. Même captivés par le ballon, ils n’auraient pas pu ne pas le voir. A fortiori s’ils étaient plusieurs.

— Vous n’avez pas non plus constaté la présence d’une voiture inhabituelle ? Ou d’un fourgon ?

À nouveau, dans un même ensemble, ils font non de la tête.

— Je vous laisse continuer, alors. Si un détail vous revient, n’hésitez pas à m’en parler.

Phares allumés, une voiture se présente à l’entrée de la rue. Je reconnais celle de nos voisins immédiats, à la droite de notre maison. Les footeux s’écartent pour la laisser passer, mais plutôt que de reprendre leur match, ils se réunissent au centre de leur terrain de jeu pour discuter du fait divers. Pour une fois qu’il se passe du croustillant dans le quartier !

À peine extrait de sa Saab, Tom Lijour me tend la main. Son sourire laisse augurer qu’il est au nombre des honnêtes gens qui, leur journée de labeur terminée, aspirent à une soirée de repos et de loisirs. On se connaît peu, mais assez pour échanger quelques mots lorsque nous nous voyons dans la rue ou pardessus la haie qui délimite les deux jardins.

— Bonsoir. Ça va ?

— Oui et non. Nous avons été victimes d’un cambriolage ou, pour le moins, d’une tentative de cambriolage. Il semblerait que rien n’ait disparu, mais nous n’en sommes pas encore totalement sûrs.

— Non ! Ici ? Dans une rue aussi tranquille !

— C’est aussi la réflexion que je me faisais, mais l’expérience démontre que les voleurs frappent partout. Étiez-vous chez vous, aujourd’hui ?

J’ai posé la question pour la forme, me doutant de la réponse. Elle est conforme à ce que j’attendais.

— Non. Je reviens du boulot et je n’ai pas déjeuné ici à midi. Laure non plus. D’ailleurs, elle n’est pas encore rentrée.

Un silence, avant qu’il ne réagisse :

— Et chez moi ? Peut-être que…

— Allons voir. Je vous accompagne, si vous voulez.

Le portail étant largement ouvert, nous accédons sans bruit. L’inspection de la porte d’entrée et des fenêtres permet de ne rien déceler d’inquiétant. Par acquit de conscience, nous décidons cependant de visiter la maison. Nos brèves conversations ayant toujours été superficielles, nous n’avons jamais évoqué nos vies professionnelles. J’explique à voix basse à Tom Lijour que je suis flic, avant de lui demander de déverrouiller et, si cela tournait mal, d’alerter David chez les Jardel.

Au vu des circonstances, il est normal de craindre une mauvaise rencontre. Dans le noir, l’assaillant aurait sur moi l’avantage de la surprise. Pour y remédier, j’actionne l’interrupteur du couloir. Pour mieux donner l’illusion du Monsieur tout le monde qui rentre chez lui, je siffle Amazing grace sur un tempo plus rapide que la version originale. Passant rapidement de pièce en pièce, je mets moins d’une minute à rejoindre Tom sur le pas de la porte.

— Rien. Tout est OK.

— Ça me rassure. Mais dites, vous… vous êtes vraiment policier ?

Je me contente d’opiner. Comprenant que je n’ai pas envie de m’étendre sur le sujet, il se fend du constat que se font tous ceux qui n’ont rien à se reprocher :

— C’est sécurisant, je trouve. On sait qu’on peut compter sur vous s’il nous arrive un problème.

Si la majorité de nos contemporains partagent son avis, il existe un élément qu’il ne faut pas perdre de vue : hormis la “faute à pas de chance” qui voudrait que des cambrioleurs écument une maison ou un quartier choisis au hasard, il y a l’éventualité que ma fonction de policier attire la malveillance. Sur Concarneau et au-delà, ils sont quelques-uns à me maudire pour leur avoir valu un séjour derrière les barreaux. Ce n’est pourtant pas de ma faute si, à un moment de leur vie, ils se sont fourvoyés dans une mauvaise direction. En les bouclant, je me suis contenté de faire mon boulot.

Dans l’immédiat, il est illusoire de définir le profil du ou des malfaiteurs. Il convient de poursuivre l’enquête de voisinage. Un signe de la main à l’adresse de Tom Lijour et je rejoins la rue.

*

Martine Durham est arrivée dans la foulée. Après que je lui ai montré les lieux, la technicienne de la police technique et scientifique m’a fait comprendre d’un froncement des sourcils que ma présence n’était pas indispensable. Je suis sorti poursuivre la quête de renseignements auprès des voisins. Evan ayant affirmé que sa mère n’était pas rentrée du travail, je suis allé un peu plus loin, chez les voisins de mes voisins, puis chez les voisins des voisins de mes voisins. Deux heures à expliquer que je suis flic et à poser les mêmes questions pour, au final, ne disposer d’aucun renseignement exploitable. Même résultat pour David. Soit les résidants de la rue Nicolas Appert étaient au boulot, soit ils n’ont rien vu ni rien entendu. J’ai un instant supposé que le cambrioleur était venu par le jardin qui communique avec le fond du nôtre, mais ce sont d’abord des aboiements furieux qui m’ont poussé à invalider cette version, avant qu’une visite au propriétaire ne m’apprenne que le Doberman est en totale liberté, toute la journée. Le résultat de nos premières investigations est sans équivoque : soit le voleur est doté d’ailes, soit il s’est introduit avant que ne débute le match de foot des gamins du quartier.

Martine Durham indiquant depuis l’étage qu’elle a passé le rez-de-chaussée au peigne fin, je vais puiser deux bières dans le réfrigérateur. Au salon, David et moi les consommons à même le goulot en énumérant les personnes rencontrées et ce qu’il faut retenir de ces entretiens.

Le constat est maigre, rachitique même, puisque nous en sommes au point zéro. La technicienne nous rejoint un peu plus tard. Elle aussi a soif. Nouvelle tournée de bières avant qu’elle ne prenne la parole :

— Je n’ai rien découvert de spécial. J’ai relevé une flopée d’empreintes sur des décalques, mais il y a de fortes chances pour que ce soit les tiennes et celles de ton amie. Pour m’aider dans mon travail, j’ai isolé une des siennes sur son sèche-cheveux, mais l’idéal serait qu’elle passe me voir demain pour que j’en obtienne l’intégralité. Ça me simplifierait la tâche.

Plus classe que David et moi, elle trempe les lèvres dans la mousse blanche de son verre, avale une gorgée. Elle attrape un petit boîtier, sort une feuille de sa sacoche et continue :

— Je vais relever les tiennes maintenant. Tu apposes la dernière phalange de chacun de tes dix doigts sur le tampon encreur et tu les reportes ensuite sur ce papier. Tu ne vas pas te salir, il y a belle lurette qu’on n’utilise plus d’encre noire. Vas-y, une empreinte dans chaque carré, sur la feuille…

Quand c’est fait, elle range son matériel tout en affirmant :

— Je ne retourne pas maintenant sur Quimper, mais dès demain matin, je ferai tourner les empreintes dans le FAED2. Si j’ai du positif, je te bigophone à ton bureau.

— Je ne bosse pas demain. Je suis en congé jusqu’à lundi d’après.

— Non ! Une dizaine de jours à la maison ! Il y en a qui ont du bol ! Je t’appellerai sur ton portable, alors.

Nous échangeons ensuite sur le pourcentage d’élucidations des cambriolages. Le taux en est relativement faible, en fait, mais il peut s’écouler des semaines, voire des mois ou des années, avant qu’enfin on mette la main sur les coupables. Surtout, ne jamais désespérer… Nous sirotons nos boissons en devisant. Quand verres et bouteilles sont vides, Martine et David se lèvent.

Lorsque je referme la porte de la maison, je me fais la remarque que je n’ai pas faim. Une barre invisible me comprime l’estomac. Il y a une énorme différence entre recueillir des informations d’une manière professionnelle, pour résoudre une affaire, et être soi-même au cœur d’une affaire. Le cadre de mon travail m’oblige à conserver une certaine distance face à l’événement, alors que dans le cas présent, je suis impliqué par l’événement. Et je le vis mal. Je ne pensais pas que cela m’arriverait un jour, aussi la gifle n’en est-elle que plus forte. Pour un peu, le flic émérite, officier à la PJ, en redeviendrait un petit garçon et rechercherait le giron maternel pour se lamenter.

Dans moins d’une heure, Murielle rentrera du travail. Il est vraisemblable que son traumatisme sera plus profond que le mien, car il s’agit de sa maison, celle dans laquelle elle a grandi. Quelle sera sa réaction ? Impossible de le savoir, tant chacun ressent et gère le drame à sa manière, mais je pressens que, sur ce coup, je dois être fort pour deux. Sans banaliser l’acte, ce qui est formellement impossible, je vais m’efforcer de trouver les mots justes pour en adoucir la portée.

Maintenant que les lieux ont été inspectés par la technicienne de l’IJ, je peux me déplacer à loisir. Un second inventaire permettra peut-être de repérer ce qui a bougé ou ce que l’auteur du fric-frac a subtilisé.

*

J’ai arpenté la maison en tous sens, sans rien déceler d’inhabituel. S’il est vrai que Murielle connaît les pièces et le mobilier mieux que moi, je crois que je m’en serais rendu compte si quelque chose avait disparu. Peut-on parler de cambriolage ou faut-il mettre le carreau cassé et la visite des pièces sur le compte d’un malfrat de pacotille ? Prenant conscience de son geste, il aura pris peur et se sera empressé de prendre la poudre d’escampette… Je serais assez enclin à pencher dans ce sens.

Parce qu’un sac vide ne tient pas debout, je m’affaire dans la cuisine pour préparer un dîner sommaire, pour Murielle et moi. Je la sens à cran, ces derniers jours. Un rien la fait sursauter. Il est extrêmement rare que nous nous accrochions, mais depuis une petite semaine, elle prend la mouche facilement. Nous avons discuté, bien sûr, et elle a mis son irascibilité sur le compte de son travail, des patients qui ne sont pas toujours agréables, d’une collègue qui accumule les arrêts de travail, ce qui oblige les autres à en faire plus, de son planning qui la fait travailler parfois le matin, d’autres fois l’après-midi et, de temps à autre, la nuit. Difficile dans ce cas de se reposer correctement. On accumule de la fatigue et vient un moment où le corps, ou la tête, dit stop. Rien que du très banal, en somme. Je me doute que la mauvaise nouvelle lui coupera l’appétit, néanmoins, j’épluche quelques pommes de terre que j’ajoute à trois beaux poireaux et un oignon pour une bonne soupe maison.

J’ai allumé la télé, plus pour créer un fond sonore que pour regarder un programme. D’ailleurs, j’ai sélectionné une chaîne au hasard. Je n’entends donc pas la clef jouer dans la serrure et sursaute quand Murielle annonce son arrivée :

— Je suis là !

Je vais la rejoindre et dépose un mimi mouillé sur ses lèvres. Je me suis fendu d’un sourire, mais on ne la fait pas à une femme. Encore moins lorsqu’elle partage votre existence et vous connaît parfaitement.

— T’en fais une tête ! dit-elle tout en retirant son vêtement. Tu es malade ?

— Non, je vais bien. C’est… On a été cambriolés.

Elle accuse le coup, baissant les bras alors qu’elle s’apprêtait à suspendre son blouson à une patère du portemanteau. Vite, la rassurer :

— J’ai fait le tour, je pense qu’on ne nous a rien dérobé.

Elle accroche son vêtement et, sans retirer ses chaussures, se poste à l’entrée du séjour qu’elle inspecte millimètre par millimètre.

— On ignore s’il y avait un ou plusieurs voleurs. Ils seraient entrés en cassant un carreau de la porte de la buanderie. Une collègue de l’IJ est venue, elle a ratissé chacune des pièces. Elle a relevé des empreintes digitales, de sorte qu’on les identifiera rapidement si elles sont fichées par les services de police.

Elle fait oui de la tête, avant de s’offusquer :

— Pourquoi as-tu prévenu tes copains flics ? Ce n’était peut-être pas la peine, si, pour un simple carreau cassé… Ce sont peut-être les gosses du quartier qui l’ont cassé ! Evan et ses copains jouent au foot : un coup de ballon, et…

— Ils jouent sur la rue, et la porte en question est sur l’arrière de la maison.

L’argument porte, mais ne suffit pas à la calmer. Elle affiche un visage fermé et bougonne :

— Bon, dans ce cas c’est sûrement autre chose. Mais ce n’était pas la peine de déclencher le grand chambardement pour si peu…

Je tombe des nues ! Je m’attendais à une scène de larmes ou de colère, et il n’en est rien. Les femmes sont, et demeureront, un mystère pour la gente masculine !

— Et puis… c’est chez moi, ici ! C’était à moi de décider s’il fallait ou non appeler la police ! De quoi te mêles-tu ? Depuis quand tu…

— Tu sais bien qu’il fallait les prévenir. Il fallait que…

— Non ! Ce n’était pas une obligation ! Et d’abord, pourquoi tu ne m’as pas téléphoné pour me demander la permission ?

— Parce que ça tombe sous le sens. Le premier geste en découvrant un forfait est d’alerter les services compétents.

— Non, la première initiative aurait dû être de me prévenir. C’était à moi de décider de ce qu’il convenait de faire. Tu… tu as fait le tour de la maison ?

— Oui. Pièce par pièce.

Une ombre craintive traverse son regard.

— Tu as une arme ? Je veux dire, ici, à la maison ?

— Pas besoin d’arme, je suis là. Je m’approche en ouvrant grand les bras pour démontrer l’étendue de ma protection. Elle esquive et me repousse sans trop de ménagement.

— Laisse-moi tranquille ! Tu te permets des libertés qui ne me plaisent pas.

— Mais enfin, Murielle !

— Fous-moi la paix ! Tu commandes chez toi, mais chez moi, c’est moi qui commande ! Tu fais comme j’ai dit, ou alors tu prends tes cliques et tes claques et tu vas voir ailleurs !

Jamais elle ne m’a parlé ainsi ! Jamais elle n’a eu dans le regard cette petite lueur qui ne me dit rien qui vaille.

— Mais pourquoi tu te mets dans un état pareil ? Il n’y a pas de quoi fouetter un chat !

Disant cela, j’ai fait un pas dans sa direction.

— Laisse-moi tranquille ! Attrapant ses poignets, j’essaie de l’attirer contre moi. Elle se débat, me repousse et explose :

— Tu comprends ou quoi ? Tu es vraiment trop con !

Faisant volte-face, elle tend le bras vers son blouson qu’elle vient de pendre au portemanteau. Dans la seconde, elle est à la porte. Elle l’ouvre, se retourne lentement. Tandis qu’un premier bras s’engouffre dans une manche, des larmes perlent à ses paupières, ses lèvres tremblent, ses yeux lancent des éclairs.

— Laisse-moi ! Rentre chez toi et oublie-moi ! Je ne veux plus te voir quand je reviendrai.

Le second bras disparaît dans l’autre manche, d’un haussement d’épaules, elle ajuste son blouson et attrape son sac à main. Une moue de dégoût, puis elle sort, retirant violemment la porte derrière elle.

Pour une colère, c’est une grosse colère ! S’il est bien évident que cette maison est la sienne, je ne pense pas avoir outrepassé mes droits de simple concubin en requérant le concours de mes collègues. Flic ou pas flic, n’importe qui aurait agi de même. Certes, j’aurais dû la prévenir, mais sur le moment, je suis allé à l’essentiel, au plus pressé, dans l’éventualité où le cambrioleur aurait été encore sur place. Peut-être qu’après, quand je me suis retrouvé seul, j’aurais dû composer le numéro de l’hôpital et demander à lui parler. Je ne vois pas ce que cela aurait changé, sinon que probablement elle aurait été tracassée. Qui sait, peut-être que la conduite de sa voiture en aurait été perturbée, la rendant dangereuse pour elle et les autres automobilistes. J’ai simplement cru qu’il était préférable qu’elle découvre la mauvaise nouvelle en arrivant à la maison. Ce n’est pas en soi une boulette, alors pourquoi a-t-elle une réaction aussi disproportionnée ?

Admettons-le, son travail à l’hôpital n’est pas une sinécure. Ce n’est pas la première venue qui peut œuvrer au service cardiologie, avec ce que cela sous-entend comme détresse humaine et rapport direct avec la mort. Il faut avoir du coffre pour pouvoir encaisser les malheurs des patients. Ce qui est valable dans son travail l’est également dans la vie de tous les jours, et j’ai pu, à plusieurs reprises, constater qu’elle ne manque pas de cran et possède un réel potentiel de réactivité. En particulier, l’été dernier, en plein concert des Tri Yann au Festival Interceltique de Lorient, quand son esprit d’initiative a permis d’éviter un carnage3. Comment une femme avec une telle force mentale peut-elle craquer et envoyer tout dinguer, alors que la situation est moins délicate que ce qu’elle a déjà vécu ou qu’elle vit au quotidien ? Il est reconnu qu’un cambriolage peut être apparenté à un viol, dans le sens où il est difficilement admissible que notre petit nid douillet a été visité, alors se pourrait-il que ce soit moi qui me montre égoïste et occulte son ressenti. Possible. Néanmoins, je ne comprends pas la démesure de son emportement.

Je résiste de longues minutes durant, à la tentation de l’appeler sur son portable. Mais je finis par céder. Après plusieurs sonneries, une voix suave me suggère de laisser un message. Ce que je fais en disant que je réitérerai mon appel plus tard, parce que je souhaite l’obtenir en direct pour que nous nous expliquions. J’ajoute que j’espère que les choses s’arrangeront.