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RÉSUMÉ : "Histoire anecdotique de l'ancien théâtre en France" par Albert Du Casse est une exploration fascinante des coulisses du théâtre français, offrant un regard intime sur les institutions culturelles emblématiques telles que le Théâtre Français, l'Opéra, l'Opéra-Comique, et bien d'autres. Dans ce deuxième tome, Du Casse nous plonge dans un récit riche en détails historiques et anecdotes captivantes, révélant les dessous de ces lieux de spectacle qui ont marqué l'histoire culturelle de la France. Le livre s'adresse autant aux passionnés de théâtre qu'aux amateurs d'histoire, en fournissant des récits vivants et des portraits de figures emblématiques qui ont façonné ces institutions. Avec un style narratif engageant, l'auteur parvient à rendre accessible un sujet dense, en mêlant rigueur historique et charme narratif. Les lecteurs découvriront comment les évolutions politiques, sociales et artistiques ont influencé le développement des arts de la scène en France, tout en explorant les interactions entre ces établissements et leur public. Ce tome est une invitation à redécouvrir la richesse du patrimoine théâtral français à travers des récits qui captivent et instruisent, tout en offrant une perspective unique sur l'évolution des pratiques théâtrales et musicales en France. L'AUTEUR : Albert Du Casse, écrivain et historien français du XIXe siècle, est reconnu pour ses contributions significatives à la documentation des arts de la scène en France. Bien que les détails sur sa vie personnelle soient limités, son oeuvre témoigne d'une passion indéniable pour le théâtre et l'opéra, deux piliers de la culture française. Du Casse a consacré une grande partie de sa carrière à la recherche et à l'écriture sur l'histoire des institutions théâtrales, offrant ainsi une perspective précieuse sur leur évolution. Ses écrits sont marqués par une approche méticuleuse et une attention aux détails, ce qui en fait une référence incontournable pour les historiens et amateurs de théâtre. En s'appuyant sur des archives et des témoignages de l'époque, il a su restituer l'atmosphère vibrante des salles de spectacle et l'effervescence qui les entourait. Grâce à ses ouvrages, Albert Du Casse a permis de préserver la mémoire collective des arts de la scène en France, offrant aux générations futures une compréhension approfondie de cet héritage culturel.
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Seitenzahl: 473
Veröffentlichungsjahr: 2021
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Chapitre XIII
Chapitre XIV
Chapitre XV
Chapitre XVI
Chapitre XVII
Chapitre XVIII
Chapitre XIX
Chapitre XX
Chapitre XXI
Chapitre XXII
La comédie ancienne.—Comédie de caractère et comédie d'intrigue.—Usage à Athènes.—JEAN DE LA TAILLE DE BONDARROY et JODELLE, de 1552 à 1578.— Anecdote sur Jodelle.—JEAN DE LA RIVEY.—CHAPUIS (1580).—L'Avare cornu et le Monde des cornus.—ROTROU, auteur de plusieurs comédies et tragicomédies.—La tragi-comédie.—Comédies de Rotrou.—Les Ménechmes (1631), sujet souvent remis à la scène.—Diane (1635).—Les Captifs (1638). —Célimène (1633), pastorale.—Sujet de cette pièce.—Doristé et Cléagenor (1630).—Mot de Rotrou en donnant son Hypocondriaque (1628).—Les Deux pucelles (1636), singularité de ce titre.—Deux vers de Don Lope de Cordoue. —SCUDÉRY, de 1630 à 1642.—La Comédie des Comédiens (1634).— Anecdote.—L'amour tyrannique (1638), son succès.—Axiane (1642), sorte de drame historique.—VION D'ALIBRAI, sa célébrité comme buveur.—BEYS, de 1635 à 1642.—Sa Comédie des Chansons (1642).—Origine probable du vaudeville et de l'opéra comique.—DOUVILLE, de 1637 à 1650.—Son genre de talent.—La Dame invisible (1641).—Les fausses Vérités (1642).—L'Absent de chez soi (1643).—Anecdote.—LEVERT, de 1638 à 1646.—Aricidie (1646). —Anecdote.—GILLET, de 1639 à 1648, précurseur de Molière.—Son genre de talent.—Ses comédies puisées dans son propre fonds.—Le Triomphe des cinq2passions (1642).—Citation.—DE BROSSE, de 1644 à 1650.—Le Curieuximpertinent (1645).—Anecdote.—SCARRON, de 1645 à 1660.—Notice historique sur ce poëte dramatique et sur son genre.—Ses principales productions, pièces burlesques.—JODELET.—L'Héritier ridicule (1649).— Anecdote.—Don Japhet d'Arménie (1653).—Anecdotes.—L'Écolier de Salamanque (1654).—Anecdote.—Épigramme sanglante.—Le Menteur, de CORNEILLE.—Anecdote.
Le genre dramatique auquel on a donné le nom de Comédie, très-fort en honneur dans la Grèce ancienne et à Rome, n'exista en France qu'à l'état le plus imparfait jusqu'à la venue de Molière, au milieu du dix-septième siècle.
La Comédie, comme l'entendaient les anciens, était une critique pouvant être utile pour l'amélioration des mœurs, car elle faisait passer sous les yeux des humains les travers à éviter. La Comédie tirait naturellement sa principale force du ridicule mis en scène, quelquefois même exagéré à dessein. Les anciens évitaient avec soin que les travers peints par ce genre de drame, fussent affligeants, révoltants ou dangereux, dans la crainte d'exciter la compassion, la haine ou l'effroi; ces sentiments étaient réservés par eux à la Tragédie.
Leurs comédies étaient donc la représentation d'une action plus ou moins touchante de la vie habituelle, la peinture plus ou moins fidèle de mœurs prêtant au ridicule.
Il est bien entendu que nous ne parlons ici que de la comédie sortie de ses langes et épurée par les habiles auteurs de la Grèce et de Rome. Dans le principe, 3 en effet, la Comédie ne consistait guère qu'en un tissu d'injures adressées aux passants par des vendangeurs (dit l'histoire) barbouillés de lie de vin. Cratès l'éleva sur un théâtre plus décent, en prenant pour modèle la tragédie inventée par Eschyle. Après lui, quelques auteurs lui firent faire un grand pas.
On divisait l'histoire de la Comédie chez les Grecs en trois périodes: la comédie ancienne, satire politique et civile qui allait jusqu'à nommer les personnages; la comédie moyenne qui se bornait à désigner ceux dont elle s'emparait pour les soumettre à sa censure, attendu qu'on avait fini par interdire la licence dont nous venons de parler; enfin la comédie nouvelle, qui consistait à intéresser les spectateurs par la peinture des mœurs générales, au moyen d'une intrigue attachante. Ce fut cette espèce de comédie imaginée par Ménandre et les poëtes ses contemporains, que Plaute et Térence transportèrent avec tant d'habileté et de succès sur la scène de Rome.
La comédie, la bonne et saine comédie, dégénéra ensuite, et on la perd de vue pendant des siècles entiers, avant de retrouver en Italie quelque trace, même des plus imparfaites, de l'art dramatique tombé dans la plus complète décadence. Elle commença enfin à renaître vers le quinzième siècle, grâce à des troupes de baladins allant de ville en ville jouer sur les tréteaux des farces qu'ils décoraient fort improprement du nom de comédies, farces dont les intrigues absurdes et les situations ridicules avaient pour principal but de faire valoir la pantomime italienne. Quelques auteurs, entre autres le cardinal Bibiena et Machiavel, puis 4l'Arioste, essayèrent de produire des comédies imitées des bons auteurs grecs et romains. Composés spécialement pour des fêtes, ces ouvrages n'étaient malheureusement représentés que dans de rares occasions. A peu près vers la même époque, le théâtre espagnol se releva également par des comédies assez intéressantes et dont les intrigues ne manquaient pas d'un certain mérite. En France, on peut dire que jusqu'au Menteur de Corneille (1642), on n'eut pas de véritable comédie.
Avant l'envahissement du genre dit romantique, ce genre de pièces était soumis, comme la tragédie, à diverses règles dont les auteurs, n'osaient s'affranchir. Nous avons tous été bercés sur les bancs des colléges avec la fameuse règle des trois unités: Unité d'action, unité de temps, unité de lieu.
Qu'en un lieu, qu'en un jour, un seul fait accompli
Tienne jusqu'à la fin le théâtre rempli...
a dit le grand critique.
Corneille a écrit une excellente dissertation à ce sujet, ce qui ne l'a pas empêché, presque seul des auteurs dramatiques faisant loi, de s'écarter un beau jour de cette règle, en mettant au monde son chef-d'œuvre, le Cid. Aujourd'hui nous sommes beaucoup moins exclusifs, nous laissons parfaitement de côté la règle des trois unités et bien d'autres. Au théâtre, la seule règle actuellement en honneur, est celle qui astreint l'auteur à plaire à son public. Avons-nous tort? Je ne le pense pas. Nous préférons, en général, une comédie qui plaît, quoiqu'elle 5 soit irrégulière, à un ouvrage construit dans les règles de l'art, mais qui fatigue ou ennuie. Pour tout dire, en un mot, nous ne connaissons plus de règles. La scène n'est plus, de nos jours, un amusement sérieux, c'est un moyen de passer le plus agréablement possible quelques heures, et pourvu qu'en effet les heures s'écoulent agréablement, l'on n'en demande guère plus aux auteurs dramatiques.
Il y a deux sortes de comédies, la comédie d'intrigue et la comédie de caractère. Ce dernier genre est celui dont Molière a surtout fait usage. Son Avare semble être un modèle. Ainsi que nous l'avons fait remarquer plus haut, quand la comédie est une imitation de mœurs, il faut qu'elle soit un peu exagérée. Ainsi, pour prendre un exemple, il est impossible d'admettre qu'en un seul jour un Harpagon, quelque harpagon qu'il puisse être, ait l'occasion de produire autant de traits d'avarice que celui de Molière. Ce dernier a concentré nécessairement en quelques scènes le résumé, pour ainsi dire, de la vie morale de son héros.
Une remarque avant de quitter la comédie ancienne.
Il existait à Athènes un usage qu'on devrait bien acclimater chez nous. Les pièces dramatiques étaient soumises à dix juges, hommes distingués, indépendants, d'un mérite reconnu, d'une intégrité à l'abri de tout soupçon, et qui prêtaient serment de juger avec la plus grande équité. Ces juges n'avaient égard ni aux sollicitations, ni à la cabale. Leur appréciation, complètement littéraire, était 6étrangère à toute considération, même politique. Que n'avons-nous en France un semblable aréopage? Certes, on ne verrait pas sur la scène autant de rapsodies, et le goût du public n'irait pas se perdant de plus en plus. Ce ne serait fâcheux que pour cette littérature de couplets grivois, de ronds de jambes et d'exhibition de maillots, cherchant son succès dans des excentricités déplorables. Le théâtre s'enrichirait, selon toute apparence, de comédies dignes de ce nom, de vaudevilles plus décents et non moins gais, de couplets plus spirituels, de bons mots plus convenables, de situations moins ridicules. Ce serait là un grand bien pour les théâtres modernes.
Mais parlons maintenant de la comédie en France avant la venue de Molière.
Les deux écrivains auxquels on peut attribuer la régénération de la comédie sur notre scène furent JEAN DE LA TAILLE DE BONDARROY, qui donna en 1562 les Corrivaux, en 1567 Négromant, et en 1578 le Combat de Fortune et de Pauvreté; et JODELLE, qui fit représenter en 1552 Eugénie ou la Rencontre, et en 1558 la Mascarade. Ces deux poëtes ne brillent ni par un goût épuré, ni par un style décent, mais enfin il y a, dans leurs conceptions dramatiques, quelque chose de mieux que les rapsodies sans intrigue et sans intérêt mises jusqu'alors au théâtre.
Le roi Charles IX avait compris la supériorité de Jodelle sur ses devanciers, car il le comblait de bienfaits, ce qui n'empêcha pas le poëte de se plaindre du sort jusqu'à son dernier soupir.
On raconte qu'étant presque à l'agonie, il adressa au roi un sonnet dans lequel 7 il compare sa position à celle du philosophe Anaxagore, que Périclès aimait et cependant laissait dans le besoin. Anaxagore, pressé par l'indigence, se décide à mourir. Périclès l'apprend, vole près de lui, lui exprime ses regrets, lui fait mille promesses:
L'autre, tout résolu, lui dit (ce qu'à toi, Sire,
Délaissé, demi-mort presque, je puis bien dire):
Qui se sert de la lampe au moins de l'huile y met.
JEAN DE LA RIVEY, comme les deux précédents, essaya de ranimer la comédie et fit faire quelques pas au genre dramatique. Un peu plus tard, en 1580, parut CHAPUIS, qui composa deux comédies: l'Avare cornu, en cinq actes et en vers de dix syllabes, et le Monde des Cornus, où l'on traite de l'origine des cornes. Le sous-titre de cette dernière pièce indique suffisamment la force du sujet.
La comédie resta ensuite quelques années stationnaire; ROTROU, que nous avons déjà apprécié comme poëte tragique, la remit en scène. Nous lui devons un grand nombre de comédies et de tragi-comédies qui ne sont pas sans mérite, en les considérant au point de vue des productions littéraires du commencement du dix-septième siècle, avant Corneille et avant Molière. Nous avons prononcé le nom de tragi-comédie: un mot sur le genre d'ouvrage qu'on appelait ainsi et qui tenait de la pastorale, de la comédie et de la tragédie, sans être réellement d'aucun de ces trois genres.
On désignait par ce nom un poëme dans lequel le sérieux de la tragédie 8se trouvait marié au plaisant de la comédie. C'était quelquefois aussi une action dramatique, roulant sur les aventures de personnages héroïques et ayant un dénouement heureux. Corneille a longtemps appelé son Cid une tragi-comédie.
Ces pièces ne laissaient pas que d'avoir une sorte d'analogie avec le drame moderne, en un certain sens. Dans le drame qui fleurit sur nos scènes du boulevard, on trouve réuni, dans la même action, à côté des rôles principaux habituellement sérieux et même lugubres, un ou plusieurs rôles gais et souvent grotesques, faisant contraste. Ce contraste est, pour ainsi dire, exigé aujourd'hui par les classes populaires qui forment le public de ces théâtres. L'antiquité n'a pas connu ces sortes de compositions bâtardes qu'on a quelquefois aussi appelées comédies-héroïques. Les Anglais, dans leur théâtre, en ont beaucoup usé et abusé; mais en France, elles furent abandonnées, quand vint l'époque de la vraie et saine comédie.
Revenons à Rotrou, auteur de la Bague de l'oubli (1628), des Ménechmes (1631), de Diane (1635), de Clorinde (1636), des Captifs (1638), des Sosies (1638), de la Sœur généreuse (1635). Toutes ces comédies sont en cinq actes et en vers. Elles peuvent être considérées comme le trait d'union entre le genre primitif du siècle précédent et celui qui allait naître sous la plume de Molière. Plusieurs de ces productions de Rotrou eurent un grand succès, et il en est dont 9 l'idée a été souvent reprise au théâtre après lui. Ainsi, les Ménechmes, pièce imitée de Plaute et dont l'intrigue consiste dans la ressemblance parfaite de deux frères, est une comédie refaite soixante-quinze ans après Rotrou par Regnard, et qui, de nos jours, a fourni le sujet d'un des plus spirituels et des plus amusants vaudevilles du répertoire moderne: Prosper et Vincent.
La comédie de Diane est une espèce de pièce à tiroir dans laquelle une même actrice joue plusieurs rôles, ce qui a été imité souvent depuis, pour mettre en relief les facultés d'artistes ayant une grande facilité d'imitation. Les Captifs, comédie puisée dans Plaute, dont l'intrigue est fort simple, l'action bien conduite, eut une grande vogue, de même que les Sosies, qui fussent restés probablement longtemps encore à la scène, si l'Amphitryon de Molière n'était venu les détrôner trente ans plus tard.
Outre les comédies que nous venons de nommer rapidement, Rotrou donna encore à la scène française, de 1630 à 1637, une pastorale et dix-huit tragicomédies.
Le titre de la pastorale est Célimène ou Amarilis (1633). En général, on donnait ce nom à une espèce d'opéra champêtre ou de ballet dont tous les personnages étaient des bergers et des bergères, et dont la musique était simple et pleine de douceur. Du temps de Rotrou cependant, alors que l'opéra n'était pas encore connu en France, une pastorale était une comédie également à personnages champêtres, dont l'intrigue était des plus naïves. On en jugera par celle-10 ci: Célimène, voyant son amant près de lui être infidèle, se déguise elle-même en berger, se fait aimer de sa rivale et de toutes les bergères dont les bergers deviennent jaloux. Elle finit par se faire connaître, unit les amants et rallume les feux de son volage. Cela dure cinq actes et se débite en vers, ce qui prouve en faveur de la patience qu'avaient nos pères dans la première moitié du dix-septième siècle. Tout au plus, de nos jours, avec ce canevas, parviendrait-on à bâtir un acte de ballet, dont le succès pourrait être dû aux jupes courtes des jolies bergères de l'Opéra, à la pantomime expressive d'une Célimène-Rosita, à une mise en scène pleine de fraîcheur, et non pas certes à un scenario aussi nul.
Parmi les tragi-comédies de Rotrou, nous citerons celle de Doristé et Cléagenor (1630), non à cause de sa donnée qui est parfaitement absurde, mais parce qu'elle offre un des premiers exemples de la violation de la règle fameuse de l'unité de temps et de lieu. Elle avait été précédée, en 1628, de l'Hypocondriaque ou le Mort amoureux, coup d'essai de Rotrou qui dit, en la donnant au théâtre: «Il y a d'excellents poëtes, mais non pas à l'âge de vingt ans.» Il avait bien raison, car la pièce était fort médiocre. En 1631, on joua celle de l'Heureuse Constance qui eut un grand succès, et elle le méritait (quoique la donnée n'eût rien de remarquable), par l'intérêt jeté sur des caractères très-bien tracés.
En 1645, Rotrou obtint également une sorte de succès avec Agésilas, tiré d'Amadis de Gaule. Dans l'intervalle, en 1636, il avait fait représenter la tragicomédie des Deux Pucelles, dont le sujet est tiré d'une comédie espagnole. 11 Ce qu'il y a de curieux dans le titre, rapproché de la pièce, titre qui ne passerait plus aujourd'hui au théâtre, c'est que l'une des deux pucelles de Rotrou est prête d'accoucher.
La dernière pièce du prédécesseur de Corneille est la tragi-comédie de Don Lope de Cordoue (1650), dans laquelle on trouve ces deux vers dignes du grand poëte:
Il suffit pour bien peindre une guerre allumée
Qu'on était Espagnol en l'une et l'autre armée.
Un des principaux poëtes dramatiques parmi les contemporains de Rotrou fut SCUDÉRY, dont la vie littéraire s'étendit de 1630 à 1642. Pendant cette période, cet auteur fécond donna à la scène une vingtaine de pièces, dont quatre comédies et neuf tragi-comédies.
Les comédies sont: la Comédie des Comédiens (1634), le Fils supposé (1635), l'Amant libéral (1636), l'Amour tyrannique (1638). A proprement parler, la première de ces quatre pièces n'est une comédie que pendant les deux premiers actes, qui sont en prose; les trois derniers, écrits en vers, forment une pastorale amenée, justifiée, si l'on veut, par les actes précédents qui lui servent de prologue. La Comédie des Comédiens est un sujet souvent mis à la scène. Quelques années avant la représentation de cette pièce, en 1629, du Peschier avait donné au théâtre la Comédie de la Comédie, critique plaisante 12 de l'éloquence ampoulée et des hyperboles de Balzac. Elle était précédée d'un prologue rempli de ces inconvenances reçues alors par le public, et dont on aura une idée par la phrase suivante.—«J'envoie bien faire f..... ces bonnes gens du temps passé, dit l'auteur, d'avoir pris tant de peine à ne rien faire qui vaille.»
Le Fils supposé est un long quiproquo assez original et qui eut du succès. L'Amant libéral, traduction de Cervantès, a une intrigue qui donne une idée trèsjuste du théâtre espagnol; c'est un long tissu d'invraisemblances, d'incidents, avec des scènes qui ne manquent pas d'intérêt. Quant à l'Amour tyrannique, quoique fort médiocre sous tous les rapports, cette pièce réussit admirablement. On la considéra comme un chef-d'œuvre. Le cardinal de Richelieu, en sortant de la représentation, dit tout haut: «Cet ouvrage n'a pas besoin d'apologie, il se défend assez de lui-même.» De fait, il est incontestable qu'on eût pu tirer du sujet une belle tragédie ou un drame digne de la scène anglaise; mais Scudéry n'en fit qu'une mauvaise comédie en cinq actes et en vers. Nous ne dirons qu'un mot de deux des nombreuses tragi-comédies de cet auteur. Le Prince déguisé (1635) ressemble beaucoup à un ballet avec des chœurs, Axiane (1642), est un véritable drame historique en prose, en cinq actes. Cette innovation, dans une tragi-comédie, de remplacer les vers par la prose fut tentée par Scudéry, parce que longtemps il avait préconisé cette idée qu'il est possible d'écrire un bon ouvrage dramatique sans avoir recours à la poésie. Du reste, il est juste de dire qu'il 13 s'est surpassé lui-même en traçant les caractères d'Axiane et d'Hermocrate.
Les traits qui sont propres au talent de Scudéry seraient appelés aujourd'hui les écarts d'une imagination folle. A l'époque où il vivait, on les admirait. Chaque siècle a son goût dominant, auquel il faut bien que les écrivains sachent sacrifier. Lorsqu'on juge et critique, on ne doit pas perdre cela de vue, si l'on veut être juste.
Voici maintenant un poëte plus célèbre par son amour pour le jus de la treille que par ses productions littéraires, VION D'ALIBRAI, qui fit son propre portrait dans les vers suivants:
Je me rendrai du moins fameux au cabaret;
On parlera de moi comme on fait de Faret.
Qu'importe-t-il, ami, d'où nous vienne la gloire?
Je la puis acquérir sans beaucoup de tourment;
Car, grâces à Bacchus, déjà je sais bien boire,
Et je bois tous les jours avecque Saint-Amant.
Ce serait-là en effet une façon assez commode d'acquérir de la gloire, mais on ne peut acquérir ainsi qu'une triste célébrité. C'est ce qui arriva pour cet auteur, père de deux pitoyables comédies, de deux pastorales encore plus médiocres, et d'une tragédie ne valant pas mieux.
Beys, qui vivait à la même époque, donna, de 1635 à 1642, cinq comédies en cinq actes et en vers, et une tragi-comédie. Sa première pièce, l'Hôpital des fous (1635), imitée de la comédie italienne, ne resta pas au théâtre, non plus que 14le Jaloux sans sujet (1635), l'Amant libéral (1636), et les Fous illustres (1642); mais la Comédie des chansons de la même année 1642 offre cette particularité, qu'elle pourrait en quelque sorte être considérée comme l'origine du vaudeville et de l'opéra comique en France. En effet, c'est peut-être le premier exemple d'une comédie entremêlée de couplets, cousus à la suite les uns des autres. Beys eut une certaine célébrité, non à titre de poëte dramatique, mais à titre d'auteur (d'après les ordres de Louis XIII) d'un poëme épique sur les campagnes de ce prince. Néanmoins on le soupçonna un beau jour d'avoir écrit contre le gouvernement du roi, et comme à cette époque, d'un pareil soupçon à la Bastille, il n'y avait qu'un pas, on lui fit sauter ce pas sans plus de façon. Son innocence ne tarda pas cependant à être reconnue, et le panégyriste de S. M. Louis XIII fut rendu à la liberté.
DOUVILLE, qui précéda de bien peu Molière, est un auteur plus sérieux que Beys. Il composa beaucoup de comédies; malheureusement elles se ressemblent tellement par le fond, qu'après en avoir lu une, on les connaît presque toutes. Ce sont toujours rencontres inopinées, trompeuses apparences, brouilleries et raccommodements d'amants qui s'adorent, etc. En général, dans ses pièces, les femmes font les avances. Il faut tout dire, cet auteur puisait assez habituellement dans les répertoires espagnols ou italiens. Il traduisait les poëtes de ces deux nations, les défigurait et finissait par se les approprier. Il plaisait au public d'alors 15 qu'il parvenait à éblouir avec les richesses d'autrui, étant peu riche de son propre fonds. Ce Douville, frère de l'abbé Bois-Robert, composa un recueil de contes qui servirent à sa réputation plus que ses travaux dramatiques. Il était ingénieur et géographe du roi.
Parmi ses comédies, nous citerons la Dame invisible (1641), dont le sujet est pris de la Dame Duende du poëte espagnol Calderon, copiée plus tard par le théâtre italien, sous le titre d'Arlequin persécuté par la dame invisible. Citons encore: les Fausses vérités, ou Croire ce qu'on ne voit pas et ne pas croire ce que l'on voit (1642), comédie en un acte et en vers, espèce de proverbe tiré également de Calderon; l'Absent de chez soi (1643), en cinq actes et en vers. Après la première représentation de cette pièce, Douville, très-fier du succès qu'elle avait obtenu, demanda à son frère ce qu'il en pensait. Bois-Robert lui avoua franchement qu'il la trouvait mauvaise (et c'était la vérité). «—Je m'en rapporte au parterre! s'écria l'auteur piqué au vif.—Vous faites bien, reprit l'abbé, mais je crains que vous ne vous en rapportiez pas toujours à lui.» Quelque temps après, Douville donna Aimer sans savoir qui; cette comédie fut sifflée.—«Eh bien! lui dit son frère, vous en rapportez-vous encore au parterre?—Non vraiment, reprit l'auteur, il n'a pas le sens commun.—Hé quoi, s'écria Bois-Robert, vous ne vous en apercevez que d'aujourd'hui? Pour moi, je m'en suis aperçu dès votre pièce précédente.» La Dame suivante (1645), Jodelet astrologue (1646), la Coiffeuse à la mode (1646), et les Soupçons sur les apparences (1650), comédies en cinq actes et en vers, 16longues, diffuses, à intrigues embrouillées, imbroglios sans queue ni tête, complètent le bagage dramatique de Douville avec la tragi-comédie des Morts vivants (1645). Jodelet a servi à Thomas Corneille pour sa comédie de l'Astrologue. La Coiffeuse à la mode, pièce moins mauvaise que les précédentes, offre une situation assez originale et qui réussit à la scène.
Nous ne dirons qu'un mot de LEVERT, qui avait plus de présomption que de mérite et qui menaçait sérieusement ses lecteurs de sa haine, s'ils ne le louaient pas. Cependant, dans les quatre pièces (dont deux comédies) données par lui au théâtre, on trouve un certain mérite, des intrigues assez bien conduites, des scènes variées et une versification coulante. Ces comédies sont: l'Amour médecin et le Docteur amoureux (1638), qui n'a aucune analogie avec celui de Molière. La tragi-comédie de Aricidie (1646) eût été promptement oubliée sans ces quatre vers qui scandalisèrent fort le public par l'application qu'on en fit:
La faveur qu'on accorde aux princes comme lui
Est exempte de blâme et de honte aujourd'hui,
Tout ce qu'on leur permet n'ôte rien à l'estime,
Et la condition en efface le crime.
Morale, en effet, des plus commodes pour les femmes qui se prostituent dans l'espoir d'être en faveur auprès des souverains.
Nous voici arrivé à un auteur dont le nom est bien peu connu de nos jours, 17 GILLET, et qui cependant mérite qu'on se souvienne de lui. En effet, on peut en quelque sorte faire remonter à ses comédies qui ne sont pas, comme celles de ses contemporains, pillées dans les ouvrages italiens ou espagnols, l'origine de la comédie française.
GILLET DE TESSONNERIE, né en 1620, plus tard conseiller à la cour des monnaies, est un des premiers qui ait osé se lancer dans les pièces à caractères puisées dans son propre fonds. Il avait sans doute peu de goût, mais ses compositions sont sagement conduites. Il fit bonne justice des enlèvements à l'espagnole, des reconnaissances à l'italienne, de toutes ces ressources qu'aujourd'hui nous appellerions des ficelles, et dont les auteurs saturaient le public depuis la fin du siècle dernier. Gillet imagina des comédies comiques par le fond et par la manière de présenter le dialogue. On peut donc dire à sa louange qu'il ouvrit le premier la carrière brillante que Molière courut avec tant de gloire.
Ses pièces, la plupart originales et amusantes, sont une esquisse légère encore, à la vérité, des ridicules de la société, mais indiquant ces ridicules avec esprit. Elles sont semées de critiques judicieuses et de traits de mœurs. En un mot, personne avant lui n'avait fait une peinture si vraie des coutumes et du goût de la nation française.
Ses comédies sont: Francion (1642), le Triomphe des cinq passions (1642), le Déniaisé (1647), et le Campagnard (1657). Le Triomphe des cinq passions est un sujet simple et cependant original. Un jeune seigneur est prêt à entrer dans 18 le monde, un sage, un mentor, lui montre les cinq passions qu'il aura à vaincre, la vaine gloire, l'ambition, l'amour, la jalousie et la fureur, passions qu'il fait passer successivement sous ses yeux en lui apprenant à les connaître par cinq comédies en un acte et ayant toutes un sujet différent, ce qui constitue réellement cinq petites pièces en un acte avec un prologue. Le Déniaisé a une scène qui a été complètement imitée par Molière dans son Dépit amoureux, en voici quelques mots:
JODELET, arrêtant Pancrace.
Tandis qu'ils vont dîner, un petit mot, Pancrace,
Dirais-tu qu'une fille ait de l'amour pour moi?
. . . . . . . . . . . . . . .
PANCRACE.
... Tous nos vieux savants n'ont pu nous exprimer
D'où vient cet ascendant qui nous force d'aimer,
Les uns disent que c'est un vif éclair de l'âme, etc.
JODELET.
Ainsi donc...
PANCRACE.
Nous perdrions le droit du libre arbitre.
JODELET.
Mais...
PANCRACE.
Il n'y a point de mais. C'est notre plus beau titre.
JODELET.
Quoi!...
PANCRACE.
C'est parler en vain, l'âme a sa volonté.
JODELET. 19
Il est vrai!...
PANCRACE.
Nous naissons en pleine liberté.
JODELET.
C'est sans doute.
PANCRACE.
Autrement notre essence est mortelle.
JODELET.
D'effet...
PANCRACE.
Et nous n'aurions qu'une âme naturelle.
JODELET.
Bon!...
PANCRACE.
C'est le sentiment que nous devons avoir.
JODELET.
Donc...
PANCRACE.
C'est la vérité que nous devons savoir.
JODELET.
Un mot.
PANCRACE.
Quoi! Voudrais-tu des âmes radicales,
Ou l'opération pareille aux animales?
JODELET, voulant lui fermer la bouche.
Je voudrais te casser la gueule.
PANCRACE, se débarrassant.
On a grand tort
De vouloir que l'esprit s'éteigne par la mort.
JODELET.
Enfin.
PANCRACE. 20
Les minéraux produits d'air et de flamme.
Ont un tempérament, mais ce n'est pas une âme,
JODELET, lassé.
Ah!
PANCRACE.
L'âme n'est donc pas cette aveugle puissance
Qui se meut ou qui fait mouvoir sans connaissance.
JODELET, jetant son chapeau.
J'enrage.
PANCRACE.
Elle n'est pas au sang comme on le dit.
JODELET.
Parlera-t-il toujours? Mais...
PANCRACE.
Ce mais m'étourdit.
JODELET, fermant les poings.
Peste!
PANCRACE.
Nous pouvons voir des choses animées
Qui, sans avoir de sang, auraient été formées, etc.?
JODELET.
Holà!
PANCRACE.
Prête l'oreille à mes solutions, etc., etc.
. . . . . . . . . . . . . . . .
Ainsi l'âme a l'arbitre.
JODELET.
Ah! c'est trop arbitré.
Au diable le moment que je t'ai rencontré.
PANCRACE.
Au diable le pendard qui ne veut rien apprendre.
JODELET.
Au diable les savants, et qui peut les comprendre!
Le Campagnard est la mise en scène du ridicule des nobles de province 21 de l'époque.
DE BROSSE, dont les tragédies sont mauvaises, composa quelques comédies passables de 1644 à 1650, comédies dans lesquelles règne un ton plus convenable, plus décent que dans les ouvrages dramatiques de ses prédécesseurs et de ses contemporains. C'est là son plus grand mérite. Une de ses productions, la comédie du Curieux impertinent (1645), est à peu près sa meilleure pièce. On y trouve deux vers remarquables par les pensées qu'ils expriment:
La honte est le rempart de l'honneur d'une femme;
et celui-ci:
L'or ne se corrompt point et peut corrompre tout.
Le Curieux impertinent, tiré de Don Quichotte, fut remis à la scène en 1710 par Destouches. Ce fut la première comédie de Destouches, et l'on fit sur elle une épigramme qui n'est qu'un bon mot, car la pièce est fort bonne:
On représente maintenant
Le Curieux impertinent,
Pour moi j'ai vu la pièce, et j'ose en être arbitre.
Voici ce que j'en crois de mieux:
Pour la voir une fois, on n'est pas curieux,
Mais qui la verra deux en portera le titre.
Le Songe des hommes éveillés (1646) eut du succès. Le sujet en a été bien souvent remis à la scène depuis de Brosse. C'est celui du paysan ivre, 22 du marchand endormi, du pauvre diable, transportés tout à coup dans des appartements magnifiques ou dans des palais et auxquels on fait croire qu'ils ont toujours été de grands personnages ou même des souverains. Il y a peu d'années, ce canevas a été traité en opéra comique.
Nous n'avons plus, pour terminer notre notice anecdotique sur les principaux auteurs qui ont précédé Molière, qu'à parler de l'un des plus originaux, le poëte SCARRON, qui travailla pour le théâtre de 1645 à 1660, et, pendant ces quinze années, donna une douzaine de pièces, toutes plus burlesques les unes que les autres. Fils d'un conseiller au Parlement de Paris et né en 1610, époux de mademoiselle d'Aubigné, plus tard madame de Maintenon, il fut affecté, dès l'âge de vingt-six ans, d'une paralysie qui lui ôta l'usage de ses jambes. Son esprit, malgré son triste état, était tellement enjoué, que sa maison était le rendez-vous d'une foule de gens du monde, de poëtes, d'auteurs, qui venaient le consoler dans son infortune et apprendre à rire auprès de lui. Scarron se voua au genre burlesque. Il y excella, et ses comédies en vers et en prose sont pleines de traits, malheureusement plus bizarres que comiques. Il introduisit au théâtre le valet facétieux, le valet grotesque, le valet intrigant, parce que ce genre de personnage prêtait beaucoup à ses compositions; ainsi: Jodelet duelliste (1646), Jodelet maître valet, sont des types créés par lui. Le sujet de cette dernière pièce est tiré d'une comédie espagnole intitulée Don Juan Alvaredo; mais le titre est le 23 nom d'un acteur alors célèbre, Julien Geoffrin, qui prit au théâtre celui de JODELET.
Entré dans la troupe du Marais en 1610, l'année de la naissance de Scarron, Geoffrin s'y fit bientôt remarquer par la naïveté de son jeu, l'expression comique de sa figure et de ses gestes. En 1634, par ordre de Louis XIII, il passa à l'hôtel de Bourgogne, où son talent prit de nouvelles proportions. Plusieurs auteurs firent des pièces en vue de cet acteur célèbre; mais Scarron fut celui qui mit le mieux ses talents en relief. Jodelet joua ses rôles de valet original avec un succès toujours croissant. Il est vrai de dire que sa figure avait quelque chose de si plaisant, qu'à son entrée en scène, les spectateurs ne pouvaient le regarder sans rire. Il feignait alors une surprise qui redoublait la bonne humeur du public. Il parlait du nez, et ce défaut n'en était pas un dans son jeu. De nos jours, que d'imperfections physiques, sur nos petits théâtres, font la fortune de certains acteurs? On le représente, dans les gravures du temps, avec une grande barbe et de longues moustaches noires, le reste du visage enfariné. Il mourut en 1660. Mais revenons à Scarron.
En 1646, ce poëte fit jouer les Boutades du capitan Matamore, espèce de pochade en un acte et en vers, très-bouffonne et qui amusa beaucoup. En 1649, ce fut l'Héritier ridicule, comédie en cinq actes, qui plut si fort à Louis XIV, que ce prince, alors encore fort jeune, se la fit jouer, dit-on, trois fois de suite dans le même jour, ce qui prouve qu'à cette époque le grand roi avait du temps à donner 24 à ses plaisirs et le goût encore assez peu épuré. En 1653, Scarron dédia à son souverain une comédie burlesque intitulée Don Japhet d'Arménie, par une épître non moins burlesque que sa comédie elle-même. Voici l'épître:
AU ROI
«Sire,
«Quelque bel esprit qui aurait, aussi bien que moi, à dédier un livre à Votre Majesté, dirait en beaux termes que vous êtes le plus grand Roi du monde; qu'à l'âge de quatorze à quinze ans, vous êtes plus savant en l'art de régner qu'un roi barbon; que vous êtes le mieux fait des hommes, pour ne pas dire des Rois, qui sont en petit nombre, et enfin que vous portez vos armes jusque au Mont Liban et au delà. Tout cela est beau à dire, mais je ne m'en servirai point ici: cela va sans dire. Je tâcherai seulement de persuader à Votre Majesté qu'Elle ne se ferait pas grand tort si Elle me faisait un peu de bien; si elle me faisait un peu de bien, je serais plus gai que je ne suis; si j'étais plus gai que je ne suis, je ferais des comédies enjouées; si je faisais des comédies enjouées, Votre Majesté en serait divertie; si Elle en était divertie, son argent ne serait pas perdu. Tout cela conclut si nécessairement, qu'il me semble que j'en serais persuadé si j'étais aussi bien un grand Roi comme je ne suis qu'un pauvre malheureux, mais pourtant,
«De Votre Majesté, etc.»
La pièce de Don Japhet d'Arménie, réduite en trois actes, fut représentée 25 en 1721, avec intermèdes de chant et de danse, devant l'ambassadeur ottoman Mehemet Effendi, dont elle excita la gaieté.
Une autre des comédies de Scarron, l'Écolier de Salamanque (1654), fit du bruit à l'époque où il la donna, parce que le sujet lui en avait été dérobé par l'abbé Bois-Robert, qui avait composé avec le plan ses Généreux ennemis qu'il fit représenter à l'hôtel de Bourgogne. L'abbé eut en outre l'impudence de critiquer la pièce de Scarron. Ce dernier, qui avait la bonhomie de lire ses élucubrations dramatiques à ses amis avant de les mettre au théâtre, ne pardonna jamais cet indigne larcin et, pour s'en venger, il lança contre l'abbé le sarcasme le plus sanglant. «Quand on pense, disait-il, que j'étais né assez bien fait pour avoir mérité les respects des Bois-Robert de mon temps.»
Vous savez bien que ce prélat bouffon
De beaucoup d'impudence et de peu de mérite.
Est par dessus Fabri, l'archifripon,
Un très-grand s....te.
Le Gardien de soi-même (1655), le Marquis ridicule (1656), le Faux Alexandre, tragi-comédie laissée inachevée, et enfin celle du Prince Corsaire, complètent le burlesque bagage dramatique du premier mari de madame de Maintenon.
Boileau ne pouvait le souffrir. Un jour, Louis XIV se bottait pour aller à la chasse. A côté de lui se trouvaient plusieurs seigneurs de la cour et Despréaux. 26 Il demande à ce dernier quels auteurs, à son avis, avaient le mieux réussi dans la comédie.—«Sire, je n'en connais qu'un, répond Boileau, c'est Molière, tous les autres n'ont fait que des farces proprement dites, comme ces vilaines pièces de Scarron.» A ces mots, échappés par mégarde de la bouche du satirique et qu'il eût bien voulu reprendre, le successeur du poëte burlesque auprès de sa veuve devint fort pensif. Au bout d'un instant, il reprit:—«Si bien donc que Despréaux n'estime que le seul Molière.—Il n'y a que lui, Sire, qui soit estimable dans son genre d'écrire,» se borna à répondre le critique qui ne se souciait pas de remettre Scarron sur le tapis.
Le duc de Chevreuse, tirant Boileau à part:—«Oh! pour le coup, mon cher, lui dit-il, votre prudence était endormie.—Et où est l'homme, répondit Despréaux, à qui il n'échappe jamais une sottise?» A notre avis, Boileau avait bien raison de parler de Scarron et de ses compositions dramatiques comme il le faisait. On ne peut comprendre qu'un prince dont le règne fut celui des arts, ait jamais pris quelque plaisir aux rapsodies du poëte burlesque. Aujourd'hui ses élucubrations ne supporteraient pas la scène, pas plus qu'elles ne supportent la lecture. En 1645, bien peu d'années avant l'Étourdi de Molière, la cour et la ville battaient des mains et riaient à gorge déployée de cette tirade de Jodelet à Béatrix:
Vous ne m'aimez donc pas, madame la traîtresse!
Et vous me desservez auprès de ma maîtresse?
Ah! louve! ah! porque! ah! chienne! ah! braque! ah! loup! 27
Puisses-tu te briser bras, main, pied, chef, cul, cou!
Que toujours quelque chien contre ta jupe pisse!
Qu'avec ses trois gosiers Cerbérus t'engloutisse!
Le grand chien Cerbérus, Cerbérus le grand chien,
Plus beau que toi cent fois, et plus homme de bien.
En 1653, alors que Molière se faisait déjà applaudir en province, on applaudissait à Paris des tirades comme celle-ci de don Japhet:
Gare l'eau! bon Dieu! la pourriture!
Ce dernier accident ne promet rien de bon:
Ah! chienne de duègne, ou servante ou démon,
Tu m'as tout compissé, pissante abominable!
Sépulchre d'os vivants, habitacle du diable,
Gouvernante d'enfer, épouvantail plâtré,
Dents et crins empruntés, et face de châtré!
LA DUÈGNE.
Gare l'eau...
DON JAPHET.
La diablesse a redoublé la dose.
Exécrable guenon! si c'était de l'eau rose,
On la pourrait souffrir par le grand froid qu'il fait;
Mais je suis tout couvert de ton déluge infect, etc., etc.
Or, Jodelet et Don Japhet sont les deux meilleurs produits littéraires et dramatiques du poëte Scarron, et on peut ajouter que ces comédies sont aussi pitoyables par le fond que par la forme. Empruntées à la mauvaise école espagnole, elles eurent cependant, nous devons le dire, jusqu'à la venue de Molière, un grand succès non-seulement près des bons habitants de la ville de Paris, mais auprès du Grand Roi et de sa cour. Nous avouerons même encore qu'en 1763, on les reprit et que Don Japhet fut très-suivi; l'auteur des Mémoires28secrets en fait le plus grand éloge, il le préfère à beaucoup des pièces de cette époque qui sont cependant, à notre avis, infiniment plus supportables.
Avant de parler du père véritable de la bonne et saine comédie en France, de l'immortel Molière, qu'on nous permette une anecdote à propos du Menteur de Corneille. Cette charmante pièce, représentée en 1642, était restée classique à la scène, et beaucoup de vers qu'on y trouvait avaient passé en proverbe. Un grand seigneur contait un jour à table des anecdotes peu véridiques. Un homme d'esprit, se tournant vers le laquais de ce personnage et l'apostrophant du nom du laquais du Menteur:—«Clisson, lui dit-il, donnez à boire à votre maître.»
29
MOLIÈRE, de 1620 à 1673.—Son voyage dans le Midi (1641).—Son entrée dans la troupe de la Béjart (1652).—La comédie de l'Étourdi.—Son succès.— L'Illustre Théâtre, débuts de la troupe à Paris (24 octobre 1658).—La troupe de Monsieur.—Ouverture de la salle du Petit-Bourbon (3 novembre 1658).— Rivalité avec la troupe de l'hôtel de Bourgogne.—Le Dépit amoureux (1658).—Les Précieuses ridicules (1659).—Anecdotes.—L'hôtel Rambouillet.—Bon mot de Ménage.—Influence de la comédie des Précieuses sur les mœurs de l'époque.—Le Cocu imaginaire.—Anecdotes.—La troupe de Molière au Palais-Royal (4 novembre 1660).—Don Garcie de Navarre (1661).—Chute de cette comédie héroïque.—L'École des maris (1661).—Les Fâcheux (1661). —Anecdotes.—Le Fâcheux Chasseur.—L'École des femmes (1662).—La Critique de l'École des femmes (1663).—Anecdotes.—Citations.—Tarte à la crème du duc de la Feuillade.—Le Portrait du peintre, de BOURSAULT, et l'Impromptu de Versailles, de MOLIÈRE.—Double utilité de cette dernière comédie.—Déchaînement des ennemis de Molière contre le grand auteur.— Louis XIV le venge par ses bienfaits.—La Princesse d'Élide (1664).—Les trois premiers actes du Tartuffe aux fêtes de Versailles.—Psyché.—Le Festin de pierre ou la Statue du Commandeur (1665).—Anecdote.—L'Amour médecin (1665).—Le Misanthrope (1666).—Anecdote.—La comédie du Misanthrope devant les acteurs du Théâtre-Français.—La troupe de Molière troupe du Roi (août 1665).—Le Tartuffe (1667).—Anecdotes.—Plaisanterie de l'acteur Armand.—Le Sicilien (1667).—Amphitryon (1668).—Georges Dandin (1668).—L'Avare (1668).—Dernières pièces de Molière, de 1668 à 30 1673.—Anecdotes.—Anecdotes relatives à l'Avare.—Monsieur de Pourceaugnac (1669).—Le Bourgeois gentilhomme (1670).—Les Femmes savantes (1672).—Le Malade imaginaire (1673).—Lully en Pourceaugnac.— Anecdote relative à la comédie de la Comtesse d'Escarbagnas.—Jugement sur Molière.
Jean-Baptiste POQUELIN, qui prit plus tard le nom illustre de MOLIÈRE, naquit à Paris en 1620 et y mourut en 1673. Tout le monde sait que cet homme célèbre, fils et petit-fils de valet de chambre, tapissier du Roi, montra dès son enfance une véritable passion pour l'étude et une grande vocation pour le théâtre; que son grand-père l'encourageait dans ses instincts naturels, et que son père, au contraire, le retenait; que le jeune enfant n'obtint qu'avec peine de faire quelques études à Paris au collége de Clermont[1], où il se lia avec plusieurs hommes qui acquirent par la suite un nom dans les lettres. Nous ne nous arrêterons donc pas à Poquelin enfant, tapissier du roi par charge héréditaire, studieux élève des Jésuites, non moins studieux élève de Gassendi, dans les leçons duquel il puisa les principes de justesse et les préceptes de philosophie qui lui servirent de guide dans ses ouvrages. Nous prendrons Molière fait homme, quoique bien jeune encore, et forcé, en 1641, de remplacer dans sa charge de tapissier son père tombé malade; nous le prendrons contraint de suivre le roi Louis XIII à Narbonne, interrompant ainsi des études qui faisaient toute sa joie pour se livrer 31 à des fonctions diamétralement opposées à ses goûts.
Ce voyage en Languedoc ne fut cependant pas inutile au jeune Poquelin. Lorsqu'on veut étudier, on le peut toujours, surtout si la nature est le sujet de l'étude, car la nature se trouve partout. Or, dès cette époque, l'objet des méditations de Molière, c'était la nature humaine. Certes, il avait autour de lui, à la cour de Louis XIII, assez d'originaux à observer, assez de types à graver dans son esprit, assez de passions à critiquer, pour trouver un aliment à sa naissante philosophie. Que de portraits ne devait pas puiser dans l'entourage du prince un aussi grand peintre de mœurs?
A son retour à Paris, en 1652, l'apprenti tapissier ne put résister plus longtemps à la voix secrète qui le poussait au théâtre. A cette époque, et depuis que le Cardinal de Richelieu avait régné de fait sur la France, le goût des spectacles s'était généralisé dans le royaume. Plusieurs troupes de comédiens ou sociétés donnaient des représentations, couraient même la province. Le jeune Poquelin se fit recevoir dans l'une d'elles au grand désespoir de sa famille, et changea son nom en celui de MOLIÈRE.
La troupe dans laquelle il fut affilié, était exploitée par une comédienne, la Béjart, qui ne tarda pas à comprendre tout le parti qu'elle pouvait tirer pour elle de son association avec un jeune homme aussi intelligent que paraissait l'être sa nouvelle recrue. On était en 1645; les comédiens de la Béjart n'ayant pas eu de succès à Paris sur les tréteaux aux fossés de la porte de Nesle (aujourd'hui 32 rue Mazarine) ni au port Saint-Paul, s'établirent au jeu de paume de la Croix-Blanche (faubourg Saint-Germain). Là ils réussirent quelque temps, et fiers de voir la foule se presser chez eux, ils baptisèrent leur théâtre du nom un peu ambitieux d'Illustre Théâtre.
Pendant quelque temps, tout parut assez bien marcher; mais la politique ne tarda pas à se jeter à la traverse de leur entreprise. La régence d'Anne d'Autriche était devenue orageuse. La guerre civile, les troubles de la Fronde tournaient les esprits vers des sujets tout autres que les spectacles; la salle de la Béjart devint déserte. Molière proposa alors à ses compagnons de tenter le sort en province. Ils se rendirent à Bordeaux où le fameux duc d'Épernon, gouverneur de la Guyenne, leur fit bon accueil. Molière, qui se sentait non-seulement le talent nécessaire pour représenter, mais encore celui de composer de bonnes pièces, essaya de donner une tragédie de sa façon, la Thébaïde. Cette pièce ayant été froidement écoutée, l'auteur en conclut que le genre tragique pouvait bien n'être pas son fait. Alors il tenta d'écrire l'Étourdi, qui commença réellement sa réputation.
La troupe de l'Illustre Théâtre quitta Bordeaux pour se rendre à Lyon où elle donna cette pièce, l'Étourdi, première comédie régulière du tapissier devenu auteur dramatique. La troupe et la pièce eurent un immense succès. Le prince de Conti, qui tenait alors avec faste à Béziers les États de la province du Languedoc, qui avait connu Poquelin chez les Jésuites au collége de Clermont, et s'était, 33 depuis, souvent intéressé aux représentations des comédiens de la Béjart, manda Molière et sa troupe, voulant qu'ils servissent à l'ornement de ses fêtes. L'Étourdi parut à Béziers avec un nouvel éclat, fut suivi du Dépit amoureux et de quelques petites pièces ou farces, le Docteur amoureux, les Trois docteurs rivaux, disparus depuis du répertoire.
Le prince de Conti fut tellement satisfait de l'esprit de son ancien condisciple, qu'il voulut se l'attacher en qualité de secrétaire particulier. Heureusement pour la France, la vocation de Molière l'emporta sur les offres séduisantes de son protecteur. Molière persévéra dans son projet de vouer son existence à la carrière théâtrale et refusa le prince. Toutefois, sentant bien que ce n'était pas à courir la province qu'il pourrait acquérir la réputation à laquelle il se sentait la force et le talent d'aspirer et devenir chef de l'association, il tenta quelques démarches pour se fixer à Paris. Soutenu par le prince de Conti, admis auprès de Monsieur, il obtint enfin de jouer en présence du roi et de la reine.
Le 24 octobre 1658, un théâtre fut construit dans la salle des gardes du Louvre, et la troupe de l'Illustre Théâtre, depuis plusieurs années comme exilée en province, eut l'honneur de paraître devant la Cour. Elle joua d'abord la tragédie de Nicomède de Corneille, pièce choisie par Louis XIV lui-même, et à laquelle le Grand Roi avait voulu que vinssent assister les comédiens de l'hôtel de Bourgogne. De nombreux applaudissements récompensèrent les nouveau-venus 34 de leurs efforts. Néanmoins Molière, ne se faisant pas illusion sur l'infériorité de ses camarades, relativement aux acteurs de la grande troupe, dans la tragédie, voulut donner à Leurs Majestés une idée du genre dans lequel les siens montraient quelque talent. S'avançant donc vers la rampe, il remercia le roi d'avoir daigné excuser les défauts d'acteurs qui n'avaient paru qu'en tremblant devant une assemblée aussi auguste, puis il demanda la permission de jouer un de ces petits divertissements qui leur avaient acquis une certaine réputation en province.
Le roi ayant agréé l'offre de Molière, on représenta le Docteur amoureux. Louis XIV, très-amusé et par conséquent très-satisfait, permit à l'Illustre Théâtre de s'établir sous le nom de Troupe de Monsieur, au Petit-Bourbon, pour y donner des représentations alternativement et de deux jours l'un avec les Italiens.
La troupe de Molière était alors composée des deux frères Béjart, de Duparc, de Dufresne, de Desbries, de Croisal, des demoiselles Béjart, Duparc, Debrie et Hervé. Elle prit possession, dix jours après la représentation du 24 octobre 1658, du nouveau théâtre que Sa Majesté lui avait octroyé si gracieusement.
Ainsi donc, après une jeunesse toute de souci et de travail, dans laquelle Poquelin lutta courageusement pour conquérir le droit de s'instruire et de suivre sa vocation, il parvint à l'âge de vingt-huit ans à se créer une position à Paris, auprès du roi, devenu son protecteur.
A partir de ce moment, le goût de la saine comédie commence à régner sur 35 la scène française, et c'est à 1658 que l'on doit fixer les représentations, à Paris, des comédies de Molière.
Les pièces de Molière, dignes du nom de Comédies et restées au répertoire, sont au nombre de trente. Il créa en outre une douzaine de farces qui n'ont pas eu les honneurs de l'impression.
L'Étourdi, qui avait eu un grand succès en province, à Lyon d'abord, à Béziers ensuite, parut sur la scène du Petit-Bourbon, le jour de l'ouverture du théâtre, le 3 novembre 1658, et y fut fort applaudi. Tout Paris, c'est-à-dire la Cour et la bourgeoisie, aurait voulu assister à la première représentation qui fut des plus brillantes. La troupe de l'hôtel de Bourgogne s'en montra sottement fort courroucée, et la guerre éclata bientôt entre les deux théâtres, guerre d'intrigues qui dégénéra en une guerre d'injures, et cependant la grande ville était déjà bien assez vaste pour contenir deux théâtres, deux troupes qui d'ailleurs différaient essentiellement entre elles par le genre, puisque l'une ne jouait guère que la tragédie, l'autre la comédie.
Molière eut à souffrir de cette ridicule rivalité; car, comme chef de la troupe du Petit-Bourbon, c'est à lui que s'adressaient toutes les tracasseries dont on cherchait à l'accabler de l'hôtel de Bourgogne.
Que les temps sont changés! pourrait-on dire avec Racine. Aujourd'hui ce ne sont plus deux troupes vivant en mauvaise intelligence qui se partagent la capitale du monde civilisé, mais vingt troupes au moins, dont directeurs 36 et artistes vivent dans l'entente la plus cordiale, se faisant sans cesse mille politesses au travers desquelles on entrevoit à peine de loin en loin, à l'époque des revues, par exemple, quelques coups de patte, quelque trait plus ou moins spirituel contre telle ou telle pièce, contre tel ou tel acteur ou actrice du théâtre voisin. Mais qu'est-ce que ces piqûres d'épingles à côté des coups de massue que se portaient les deux théâtres du dix-septième siècle?... La civilisation marche, les guerres s'en vont, les guerres de théâtre, s'entend; mais revenons à Molière.
C'est lui qui joua dans l'Étourdi le rôle du valet Mascarille, rôle resté type à la scène. Cette pièce, avec des défauts, est cependant supérieure à tout ce que l'on avait joué jusqu'alors; bien loin surtout du genre adopté (le Menteur, de Corneille, qui l'avait précédée s'en rapproche); aussi ne doit-on pas s'étonner qu'elle ait fait en quelque sorte école.
Un mois après l'ouverture de son théâtre à Paris, Molière donna le Dépit amoureux, dont le sujet lui avait été fourni par la pièce italienne la Filia creduta Maschio. Déjà sa troupe l'avait joué aux États de Languedoc. Cette comédie n'est pas sans défauts, on y retrouve ceux de la scène espagnole et même de l'ancien théâtre français: l'intrigue y est absurde; on y remarque, surtout dans les scènes entre le valet et la suivante, des expressions d'une trivialité presque cynique, mais elle offre une peinture vraie des folies de l'amour. L'auteur dessinait encore d'après de mauvais modèles; il ne tarda pas à prendre son essor, à peindre d'après 37 nature et à devenir dès lors un peintre inimitable.
La troisième pièce de Molière, les Précieuses ridicules, dut le jour à un travers de l'époque. Il existait à Paris, au milieu du dix-septième siècle, une femme d'un aimable caractère, qui avait épousé le marquis de Rambouillet, et dont l'hôtel était ouvert à tout ce qui prétendait à l'esprit. Il arriva que les beaux esprits dont s'entoura la charmante marquise ne tardèrent pas à faire de sa maison le séjour non des grâces, mais de l'afféterie la plus exagérée, la plus ridicule, la plus insoutenable. Rien n'était absurde comme ce qui se passait parmi les habitués de l'hôtel de Rambouillet. Les initiés devaient y connaître la Carte du Tendre; pour se faire aimer, un homme ne pouvait se dispenser d'emporter d'assaut le village des Billets galants, le hameau des Billets doux et le château des Petits soins. Les femmes se désignaient entre elles sous la qualification de chères. Une précieuse, une chère se mettait au lit pour recevoir ses visites. Sa ruelle était décorée avec coquetterie. Pour avoir le bonheur d'être admis en sa présence, il fallait être initié par un grand introducteur des ruelles, au fin des choses, au grand fin, au fin du fin[2]. Près d'elle se trouvait aussi l'alcôviste, espèce de cavalier servant dans le genre de ceux dont quelques parties de l'Italie ont conservé si longtemps l'usage. 38 C'était sur l'heureux mortel chargé de ces hautes et importantes fonctions, que reposait le soin de faire les honneurs de la chambre de la chère et de veiller à l'ordonnance des conversations. Il était l'introducteur, le metteur en scène de cette stupide comédie journalière. Chose bizarre, et qui prouve du reste combien les mœurs, au siècle du Grand Roi, étaient différentes des nôtres, jamais un alcôviste ne faisait naître le moindre soupçon contre la vertu des chères. Ces dames, dit Saint-Évremond, faisaient consister leur principal mérite à aimer tendrement leurs amants sans jouissance, et à jouir solidement de leurs maris avec aversion.
Comme ce qui est mode a toujours réussi et réussira toujours en France, ne fût-ce que quelque temps, la vogue était à l'hôtel Rambouillet. On finit par pousser les choses si loin dans cette réunion frivole, qu'on y voulut modifier le langage. Mais au lieu de le simplifier, on se servit de périphrases inintelligibles pour rendre la pensée. La pensée fut bientôt travestie à tel point qu'elle ne pouvait plus être comprise que par les habitués du lieu, ayant la clef de cet absurde fatras. On y discutait sur le mot d'une énigme, on s'envoyait un rondeau, une pièce de vers boursouflés. L'affectation devint si fort à la mode, qu'elle commençait à gagner toutes les classes de la société. Molière saisit le travers et essaya de l'arrêter par le sarcasme; il y parvint en faisant jouer, le 8 novembre 1659, sa comédie des Précieuses ridicules.
La pièce, charmante et spirituelle critique du travers que nous venons de signaler, eut le plus incroyable succès, incroyable est le mot, lorsqu'on pense que 39 tout l'hôtel de Rambouillet se trouvait à la première représentation et applaudit à la critique de ses propres défauts, s'amusa de ses propres ridicules, admira la vérité de la peinture de ses propres et journalières absurdités. L'auteur n'avait pas craint de mettre tout cela en scène avec autant de talent que d'esprit. En sortant de la salle du Petit-Bourbon, Ménage, un des fidèles de la marquise, dit à Chapelain, autre habitué de l'hôtel:—«Monsieur, nous approuvions, vous et moi, toutes les sottises qui viennent d'être critiquées si finement et avec tant de bon sens; mais, croyez-moi, pour me servir des paroles de saint Rémy à Clovis: «Il nous faudra brûler ce que nous avons adoré, et adorer ce que nous avons brûlé.»
La réputation de Molière s'accrut beaucoup de cette création. On joua la pièce à la Cour, alors aux Pyrénées, et qui lui fit un très-brillant accueil. On prétend qu'à cette nouvelle, l'auteur fut tellement satisfait, qu'il dit:—«Allons, je n'ai plus que faire d'étudier Plaute et Térence, ni d'éplucher des fragments de Ménandre; je n'ai qu'à étudier le monde.»
On raconte encore dans les Mémoires du temps que pendant la première représentation, un vieillard s'écria du milieu du parterre:—«Courage, Molière, voilà de la bonne comédie!» et qu'à la seconde, la troupe de Monsieur doubla le prix ordinaire des places, ce qui portait celui du parterre à vingt sous.
Le vieillard des Précieuses ridicules avait bien raison, car c'était la première fois qu'en France on offrait au public le tableau des ridicules. Jusqu'alors on s'était 40