Histoire anecdotique de l'empereur Napoléon Ier - Albert Du Casse - E-Book

Histoire anecdotique de l'empereur Napoléon Ier E-Book

Albert Du Casse

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Extrait : "Il y aura le 15 août 1869 un siècle, le jour de l'Assomption, pendant l'office divin, à Ajaccio, qu'une jeune femme Corse quittait précipitamment l'église, prise des douleurs de l'enfantement. En arrivant chez elle, n'ayant pas le temps dé gagner son lit, elle mit au monde, sur un vieux tapis à figures mythologiques, dans l'antichambre, un enfant qui devait un jour dominer l'Europe. Cette femme, c'était madame Lœtitia Bonaparte, cet enfant, le futur empereur..."

À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN :

Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants :

• Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
• Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

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Veröffentlichungsjahr: 2016

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Préface

Les anecdotes que nous allons donner en suivant pas à pas l’Empereur dans sa vie gigantesque sont vraies. Leur authenticité est attestée par des pièces en quelque sorte officielles. Quelques-unes de ces anecdotes sont connues, mais la majeure partie ne l’est pas.

Beaucoup d’hommes sérieux trouveront dans ce petit livre plus d’un document digne de prendre place dans un ouvrage historique. Ajoutons que nous avons entre les mains un grand nombre de manuscrits du roi Joseph dans lesquels l’aîné des Bonaparte, pendant son exil, a pris soin de réfuter ce que contenaient d’erroné la plupart des Histoires ou Mémoires écrits depuis 1815 sur l’empereur. Napoléon Ier et sur l’Empire.

Nous avons puisé, comme on le verra, dans ces précieux matériaux, et l’on s’apercevra que nous avons eu à rectifier bien des faits faux ou mal présentés.

LIVRE PREMIERNapoléon élève aux écoles militaires

SOMMAIRE.– Naissance de Napoléon. – Les différents actes de naissance du second fils de Charles Bonaparte. – Le registre de la famille impériale. – Les états de service de Napoléon. – La maison des Bonaparte à Ajaccio. – Anecdote sur l’enfance de Napoléon. – Son entrée à l’école de Brienne-le-Château. – Lettre au fils de M. de Marbeuf. – Bourrienne. – Anecdote. – La fable du chien, du lapin et du chasseur. – M. Dupuis. – Le père Patrault. – Le père Charles. – Lettres et anecdotes. – Daboral. – Le maître d’écriture, anecdotes et lettres. – Les époux Hauté. – Lettre de Napoléon à Charles Bonaparte. – Napoléon à l’École militaire de Paris. – M. de Permon. – Le nid d’aigle. – Mort de Charles Bonaparte. – Réfutation d’une page des Mémoires de madame d’Abrantès par le roi Joseph. – Lettres de Napoléon. – Anecdote. – La première épaulette. – Napoléon et les écoles militaires. – Anecdotes et lettres. – L’aérostat de Blanchard au Champ-de-Mars.

Il y aura le 15 août 1869 un siècle, le jour de l’Assomption, pendant l’office divin, à Ajaccio, qu’une jeune femme Corse quittait précipitamment l’église, prise des douleurs de l’enfantement. En arrivant chez elle, n’ayant pas le temps de gagner son lit, elle mit au monde, sur un vieux tapis à figures mythologiques, dans l’antichambre, un enfant qui devait un jour dominer l’Europe.

Cette femme, c’était madame Lætitia Bonaparte, cet enfant, le futur empereur Napoléon Ier.

L’année précédente, le 7 janvier 1768, madame Bonaparte, femme de Charles Bonaparte, avait eu un fils nommé Joseph, plus tard roi de Naples et d’Espagne, et l’aîné des huit enfants qu’elle mit au monde, de 1768 à 1785.

Joseph était né à Corte, dans la maison Arrighi.

À cette époque, 1768, Charles Bonaparte tenait, en Corse, pour la France, cédée définitivement par Gênes à Louis XV, l’année suivante. Opposé au parti des Paoli, dont il avait été longtemps l’ami, il s’était vu contraint de quitter Ajaccio avec sa femme pour échapper aux horreurs de la guerre civile qui désolait cette cité. Tous deux, abandonnant leur patrie, s’étaient réfugiés à Corte, alors capitale de l’île, chez des parents qui avaient pour eux la plus grande affection.

Madame Bonaparte n’avait pas tardé à accoucher de son premier enfant, dans la maison de son oncle Thomas Arrighi, grand-père du futur général duc de Padoue.

Cet enfant eut pour parrain son grand-oncle, pour marraine sa grand-tante. Son extrait de baptême en langue latine porte : Cui-impositum fuit nomen Joseph-Nabolion.

Madame Lætitia Bonaparte, femme belle et forte au physique comme au moral, s’étant vite rétablie de ses premières couches, devint bientôt grosse de nouveau, en sorte que Napoléon fut conçu dans la maison Arrighi de Corte.

Après la cession de la Corse à la France, madame Bonaparte put revenir à Ajaccio, dans sa propre maison où elle eut son second fils.

Nous avons cru devoir suivre pour la date de la naissance de l’empereur Napoléon Ier, la version la plus accréditée et la plus probable ; cependant nous dirons qu’il existe encore deux actes relatant le baptême du second fils de madame Lætitia Bonaparte et que, loin d’être d’accord, ils assignent des dates différentes à la naissance de l’enfant.

Le premier, écrit en latin à Corte, le 8 janvier 1768, constate que la veille, dans la ville, un enfant du sexe masculin est né de madame Bonaparte et qu’on lui a donné le nom de Nabolion.

Le second, écrit en Italien, est daté d’Ajaccio 25 juillet 1791. Il porte que Napoléon est né le 15 août 1769 et qu’il a été baptisé le 21 juillet 1771 en la cathédrale d’Ajaccio.

Ajoutons encore qu’une des copies de l’acte du premier mariage de Napoléon porte : Vu l’acte de naissance de Napoléon Bonaparte qui constate qu’il est né à Ajaccio en 1768, etc…

Remarquons en passant que dans aucun de ces actes le nom de Bonaparte n’est écrit Buonaparte, quoique longtemps Napoléon ait signé de cette dernière façon son nom de famille.

Voici maintenant ce qui paraît le plus probable relativement à ces divers actes de l’état civil.

On aura confondu l’acte de naissance de Napoléon avec celui de Joseph, et assigné au premier le jour de naissance du second. En tout cas, Napoléon n’a pu naître à Ajaccio le 7 janvier 1768, comme le relate à tort la copie de l’acte de mariage, puisqu’à cette date Mme Lætitia Bonaparte était à Corte.

Une publication récente (le général Arrighi de Casanova duc de Padoue), contient à cet égard un document que l’on ne saurait révoquer en doute, et dont l’original est aux mains du duc actuel ; c’est une lettre de Joseph Napoléon datée du 24 novembre 1836, signée comte de Survilliers et que l’ex-roi de Naples et d’Espagne écrivait à son cousin, le général Arrighi, en apprenant la mort de la mère du duc, laquelle avait été sa marraine (Zia-Antoinetta Arrighi). Dans cette lettre, Joseph s’exprime ainsi : – Je me rappelle les bontés qu’elle avait pour moi, toutes les fois que je la revoyais dans mes voyages, dans votre maison, qui était celle où je suis né à Corte, etc.

Cette preuve nous paraît concluante. Deux choses sont admissibles :

La première, que l’on ait confondu l’acte de naissance de Joseph avec celui de Napoléon, lorsque le premier fut nommé colonel du 4e de ligne au camp de Boulogne en 1804, et qu’on ait, dans les bureaux de la guerre, classé l’acte de naissance de Joseph, au dossier de Napoléon ;

La seconde, que Napoléon, à son retour d’Égypte en 1799, n’ayant pas encore l’âge exigé pour entrer au Directoire, ait produit l’acte de naissance de Joseph au lieu du sien, pour se vieillir d’une année.

Les états de service de Napoléon, pièce des plus curieuses et que nous allons donner en entier, portent que Napoléon Bonaparte, fils de Charles-Marie Bonaparte et de Marie-Lætitia Ramolino, est né le 15 août 1769 à Ajaccio (Corse).

Voici la copie exacte de ce précieux document.

Élève à l’École royale militaire de Brienne le 23 avril 1779. – Élève du roi à l’École, royale militaire de Paris, le 22 octobre 1784. – Lieutenant en second au régiment d’artillerie de La Fère le 1er septembre 1785. – Lieutenant en premier au régiment de Grenoble le 1er avril 1791. – Capitaine en second au même corps, devenu 4e régiment d’artillerie le 6 février 1792. Lieutenant-colonel en second du 2e bataillon de gardes nationales volontaires de la Corse, le 27 février 1792. – Passé en cette qualité au 1er bataillon le 2 avril 1792. – Lieutenant-colonel en premier, commandant l’artillerie de l’expédition de la Madeleine, le 10 janvier 1793. – Capitaine en premier au 4e régiment d’artillerie, le 8 mars 1793. – Chef de bataillon au 2e régiment d’artillerie, le 19 octobre 1793 (28 vendémiaire an II). – Nommé provisoirement adjudant général, chef de brigade par les Représentants du peuple près l’armée sous Toulon, le 30 novembre 1793 (10 frimaire an II), – Général de brigade provisoire le 20 décembre 1793 (30 frimaire an II). – Confirmé le 6 février 1794 (18 pluviôse an II). – Chargé à la même époque du commandement de l’artillerie de l’armée d’Italie. – Suspendu et mis en état d’arrestation le 6 août 1794 (19 thermidor an II). – Élargi le 20 août 1794 (3 fructidor an II). – Désigné pour commander l’artillerie de l’armée de l’Ouest, le 27 mars 1795 (7 germinal an III). – Requis par le Comité de salut public pour prendre part aux travaux de la division chargée des plans de campagne et de la surveillance des opérations des armées, le 21 août 1795 (4 fructidor an III). – Rayé de la liste des officiers généraux, le 15 septembre 1795 (29 fructidor au III) pour avoir refusé de se rendre à l’armée de l’Ouest. – Autorisé à passer au service du Grand Seigneur. – Nommé par le Comité de salut public commandant en second de l’armée de l’intérieur, le 5 octobre 1795 (13 vendémiaire an IV). – Confirmé dans ce commandement par la Convention nationale, le 11 octobre 1795 (19 vendémiaire an IV). – Promu au grade de général de division et chargé du commandement en chef de cette armée, le 26 octobre 1795 (4 brumaire an IV). – Général en chef de l’armée d’Italie, le 2 mars 1796 (12 ventôse ah IV). – Commandant en chef l’armée d’Angleterre, le 26 octobre 1797 (5 brumaire an VI). – Commandant en chef l’expédition d’Égypte dite de la Méditerranée, le 12 avril 1798 (23 germinal an VI). – Rentré en France le 8 octobre 1799 (17 vendémiaire an VIII). – Commandant en chef la garde du Corps législatif, les gardes nationales et les troupes de la 17e division militaire, le 9 novembre 1799 (18 brumaire an VIII). – Consul de la République française, le 10 novembre 1799 (19 brumaire an VIII). – Premier Consul, le 13 décembre 1799 (22 frimaire an VIII), – Président de la République italienne, le 26 janvier 1802 (6 pluviôse an x). – Consul à vie, le 2 août 1802 (14 thermidor an x). – Médiateur de la confédération suisse, le 19 février 1803 (30 pluviôse an XI). – Empereur, le 18 mai 1804 (28 floréal an XII). – Roi d’Italie, le 18 mars 1805 (27 ventôse an XIII). – Mort à Saint-Hélène le 5 mai 1821.

En 1806, Napoléon donna l’ordre de demander en Corse les actes qui concernaient les membres de sa famille, et d’établir un registre destiné à recevoir la copie de ces actes.

Maret, duc de Bassano, écrivit en conséquence le 26 mai, au préfet du Liamone à Ajaccio, M. Arrighi, père du général duc de Padoue et parent de Bonaparte, la lettre suivante :

« L’Empereur ayant ordonné, monsieur, que les registres de l’état de la famille impériale, ouverts en exécution des statuts du 30 mars 1806, fussent déposés entre mes mains, je me trouve chargé de compléter cette importante collection. Il est indispensable d’y insérer les actes antérieurs qui doivent constater l’état civil de la famille impériale au moment où les registres ont été ouverts ; plusieurs actes ont été dressés dans le département que vous administrez et c’est ce qui me met dans le cas, monsieur, de recourir aujourd’hui à votre complaisance. J’ai à vous prier de faire rechercher ces actes et de vouloir bien m’envoyer les ampliations officielles.

« J’ai besoin d’avoir l’acte de naissance de feu M. Bonaparte père, de Madame, mère de l’Empereur, de l’Empereur, de MM. les princes Joseph et Louis, de Mmes les princesses Élisa, Pauline et Caroline. Je vous serai obligé d’y joindre aussi l’acte de naissance de MM. Lucien et Jérôme Bonaparte. »

Le préfet d’Ajaccio s’empressa d’envoyer à Maret les actes relevés sur les registres de la Corse. Maret avait fait établir au commencement de 1806, par ordre de l’Empereur, un livre grand in-folio, relié en velours rouge ayant sur les coins des ornements en relief d’une grande simplicité, et au centre un N. Ce livre devint le registre de la famille impériale.

La première inscription qu’on y trouve, est celle de l’adoption du prince Eugène, vice-roi d’Italie par l’Empereur. La seconde, l’adoption de la princesse Stéphanie de Beauharnais (morte il y a peu d’années Grande-Duchesse de Bade), cousine par les Beauharnais de l’Impératrice Joséphine. Viennent ensuite : l’acte de mariage de Napoléon, les actes de naissance des frères et sœurs de l’Empereur, envoyés de Corse par Arrighi, l’acte de naissance du Roi de Rome qui clôt la série des actes inscrits sous le premier Empire.

Ce registre était conservé par le comte Regnaud de Saint-Jean d’Angely, ministre et conseiller d’État, secrétaire de la famille impériale auquel était réservée la rédaction des procès-verbaux, concernant les actes relatifs aux Napoléon.

À la chute du premier Empire, le comte Regnaud sauva le livre précieux qui passa, à sa mort, dans les mains de la comtesse sa femme.

Madame Regnaud, ayant assez vécu pour voir le prince Louis Napoléon revenir au pouvoir comme Président de la République, et remonter ensuite sur le trône de son oncle, remit le registre de famille dont elle se considérait comme la dépositaire, à l’empereur Napoléon III.

C’est sur ce même registre continué par le second Empire, que sont inscrits aujourd’hui par le ministre d’État les actes de la famille impériale. Il contient :

L’acte de mariage de l’empereur Napoléon III.– L’acte de mariage de S.A.I. la princesse Marie-Clotilde avec le prince Napoléon. – L’acte de naissance du Prince Impérial. – L’acte de décès du prince Jérôme. – Les actes de naissance des trois enfants du prince Napoléon.

Nous avons dit que l’empereur Napoléon Ier était venu au monde dans la maison de sa famille.

Cette maison des Bonaparte, à Ajaccio, est située dans une petite rue de la ville. Lorsque Napoléon fut monté sur le trône, il voulut la donner à sa nourrice ; mais ayant consulté, à cet égard, Madame Mère, cette dernière l’en dissuada. L’Empereur en fit don à M. Ramolino, cousin germain de Mme Lætitia, à la condition que M. Ramolino cèderait la sienne à sa nourrice en donnant une soulte, soit en argent, soit en immeuble, pour la différence du prix d’estimation.

M. Ramolino, en mourant, laissa à M. Lévie, fils de sa sœur et son filleul, la maison Bonaparte ainsi que le mobilier dont elle était garnie et qui avait été fort augmentée en 1796 par Joseph Napoléon.

M. Lévie ayant été à Florence voir l’ancien Roi de Naples quelque temps avant la mort de ce prince, et Joseph lui ayant témoigné le regret de ce que la maison où l’Empereur était né ne fut plus dans sa famille, il la lui donna, sans vouloir rien accepter, quoiqu’on lui en eut, d’autre part, offert un prix au-dessus de la valeur intrinsèque de l’immeuble. Il fit enlever le mobilier qu’il conserva chez lui et qui avait une certaine valeur réelle, indépendamment de sa valeur historique.

À la mort du roi Joseph, cette maison Bonaparte passa à la succession de la princesse Zénaïde, sa fille unique, femme du prince de Canino qui la céda à l’empereur Napoléon III, mais sans meubles, puisque M. Lévie les avait gardés.

Lorsque l’empereur Napoléon III, de retour de son premier voyage en Algérie vint toucher en Corse, il s’arrêta à Ajaccio. L’un de ses premiers soins fut d’aller visiter la maison du chef de la famille. Il la trouva dégarnie et donna ordre de faire racheter tout ce qu’on pourrait se procurer des meubles originairement placés dans les appartements. On parvint à rétablir les choses à peu près dans l’état où elles étaient quand le second fils de Charles Bonaparte vint au monde, M. Lévie ayant consenti à céder le mobilier. Cependant, quelques-uns des meubles de la chambre où est né l’Empereur appartiennent aujourd’hui au prince Napoléon et sont au Palais-Royal, placés dans un petit salon situé sous l’horloge. Le fond de ce salon est occupé par un beau tableau de Gérard, représentant Napoléon Ierdans sa bibliothèque. C’est un legs de lord Holland au roi Jérôme, en 1860. Au-dessous est un joli meuble renfermant tous les ouvrages écrits par les membres de la famille Bonaparte, bibliographie napoléonienne complète.

Vers la fin de 1778, Charles Bonaparte quitta la Corse pour se rendre en France, emmenant avec lui Joseph et Napoléon, ses deux aînés. Le premier devait étudier au collège d’Autun pour entrer dans les ordres ; le second était destiné à l’état militaire.

Après avoir débarqué à Livourne et obtenu, du grand-duc de Toscane, des lettres de recommandation, le père de Napoléon se rendit, avec ses deux enfants, de Florence à Lyon et de Lyon à Autun, au commencement de janvier 1779.

Ne voulant pas faire faire un trajet inutile à Joseph et à Napoléon, il les laissa tous les deux au collège d’Autun, et continua seul son voyage pour Paris. Il obtint une place à Saint-Cyr pour sa fille aînée, Élisa, dont le vrai nom est Marianne, et une à l’École militaire de Brienne pour Napoléon. Ce dernier dut quitter son frère qu’il aimait tendrement. Quand vint le moment de la séparation Joseph fondit en larmes, Napoléon n’en versa qu’une qu’il chercha à dissimuler. Le sous-principal du collège, alors abbé Simon, fut frappé de l’attitude de Napoléon. Après son départ il dit à Joseph : – Votre frère n’a versé qu’une larme, mais elle prouve autant sa douleur de vous quitter que toutes les vôtres. L’abbé Simon devint plus tard évêque.

Napoléon de Bonaparte (ainsi que son nom est écrit dans les actes de la famille) entra à l’École militaire de Brienne-le-Château, le 23 avril 1779.

Son père avait dû faire les preuves de noblesse exigées par les règlements pour l’admission des élèves à cette école. Deux ans auparavant, en 1777, il avait fait partie de la députation que l’assemblée générale des États de la Corse envoyait à Versailles auprès du roi Louis XVI. Cette circonstance et l’influence de M. de Marbœuf, évêque d’Autun, neveu du lieutenant général du même nom, gouverneur de la Corse, avaient contribué à lui faire obtenir une bourse pour Napoléon.

Jamais ce dernier, parvenu au faîte des grandeurs humaines n’oublia les services rendus à lui ou aux siens. Nous aurons à en donner bien souvent des preuves dans ce petit ouvrage. Le nom de M. de Marbœuf nous permet de citer la lettre suivante, adressée par Napoléon, le 9 mars 1805, au fils de l’ancien gouverneur de la Corse.

Ce jeune homme venait d’entrer comme sous-lieutenant au 25e de dragons. L’Empereur lui écrivit :

« Je vous ai accordé, votre vie durant, une pension de 6 000 francs sur le trésor de la couronne, et j’ai donné ordre à M. de Fleurieu, mon intendant, de vous en expédier le brevet. J’ai donné ordre qu’il vous soit remis, sur les dépenses courantes de ma cassette, 12 000 francs pour votre équipement. Mon intention est, dans toutes les circonstances, de vous donner des preuves de l’intérêt que je vous porte pour le bon souvenir que je conserve des services que j’ai reçus de M. votre père, dont la mémoire m’est chère, et je me confie dans l’espérance que vous marcherez sur ses traces. »

Lorsque Napoléon vint à Brienne, M. Bertin, principal de l’École militaire, écrivit sur ses registres : aujourd’hui, 23 avril 1779, Napoléon de Buonaparte est entré à l’École royale militaire de Brienne-le-Château, à l’âge de neuf ans huit mois et cinq jours.

Le jeune élève ne fit preuve d’aptitude ni pour les arts, ni pour les langues étrangères ; cependant, à la fin de son séjour à cette école, il composa la fable suivante :

LE CHIEN, LE LAPIN ET LE CHASSEUR.

 
César, chien d’arrêt renommé,
Mais trop enflé de son mérite,
Tenait arrêté dans son gîte
Un malheureux lapin de peur inanimé.
Rend-toi ! lui cria-t-il d’une voix de tonnerre
Qui fit au loin trembler les peuplades des bois :
Je suis César, connu par ses exploits,
Et dont le nom remplit toute la terre.
À ce grand nom Jeannot Lapin,
Recommandant à Dieu son âme pénitente,
Demande d’une voix tremblante :
Très sérénissime mâtin,
Si je me rends, quel sera mon destin ?
– Tu mourras. – Je mourrai ! dit la bête innocente.
Et si je fuis ? – Ton trépas est certain.
Quoi ! reprit l’animal qui se nourrit de thym,
Des deux côtés je dois perdre la vie ?
Que votre auguste seigneurie
Veuille me pardonner, puisqu’il me faut mourir,
Si j’ose tenter de m’enfuir.
Il dit et fuit en héros de garenne.
Caton l’aurait blâmé ; je dis qu’il n’eut pas tort ;
Car le chasseur le voit à peine
Qu’il l’ajuste, le tire… et le chien tombe mort.
Que dirait de ceci notre bon la Fontaine ?
Aide-toi, le ciel t’aidera.
J’approuve fort cette méthode-là.

Napoléon se montra, à Brienne, d’un caractère sérieux, malgré son jeune âge. Ses camarades le considérèrent longtemps comme un compagnon taciturne et peu sociable, comme un Corse hautain et dédaigneux. Il s’isolait volontiers. C’est à cette école qu’il connut Fauvelet de Bourrienne, dont il fit plus tard la fortune, et qui l’a si mal récompensé d’avoir conservé, à son égard, le bienveillant souvenir des premières années. On sait que Bourrienne, secrétaire intime du général en chef des armées d’Italie (après Léoben), d’Égypte et du premier Consul, puis ministre à Hambourg, se jeta à plein collier dans la restauration, à la chute du premier Empire, et publia contre l’Empereur un ouvrage perfide et bien souvent réfuté.

L’ancien camarade d’école de Napoléon, devenu un personnage, grâce à la faveur dont il jouit longtemps auprès du général Bonaparte et de l’Empereur, a raconté, dans des mémoires peu véridiques, assez d’anecdotes erronées sur le compte de son bienfaiteur, pour que nous en donnions ici une qui n’est nullement connue, et que nous lisons dans les papiers du roi Joseph.

« Je me rappelle très bien, dit le frère aîné de Napoléon, qu’un jour arrivant de la campagne et attendant le premier Consul dans son cabinet où se trouvait M. de Bourrienne, entouré des papiers qu’il devait présenter à la signature, il s’oublia assez, après m’avoir parlé de la grande confiance que le Consul avait en moi, pour me faire des ouvertures qui m’étonnèrent autant qu’elles me blessèrent. Le Consul arrivant, je ne les lui cachai pas, et, après le déjeuner, ayant rencontré sa femme dans le parc, il courut à elle, s’empressa de lui raconter ce que je venais de lui dire, ajoutant :

Si Bourrienne se permet de telles insinuations avec Joseph qu’il connaît à peine, qu’est-ce que ce doit être avec toi qu’il voit tous les jours ? Joséphine répondit : Qui ne connaît Bourrienne ? Il n’y a que le premier Consul qui ne veut pas le connaître. »

À quelques jours de là, Bourrienne surveillé, finit par être parfaitement connu du premier Consul qui se contenta de l’éloigner de sa personne, sans vouloir perdre un homme qu’il connaissait depuis si longtemps.

Joseph, dans sa réfutation des Mémoires de Bourrienne, s’élève contre le titre d’ami de Napoléon que prend l’auteur.

« Il n’a pas plus été, dit-il, son premier que son dernier ami ; Bourrienne se trouva dans la même école que le jeune Bonaparte, comme tant d’autres, mais il est faux qu’à cette école il fût son ami. Il est vrai seulement qu’il fut le secrétaire du général Bonaparte, qui se rappela de l’avoir eu pour camarade à l’école de Brienne. Il le trouva sans emploi, inscrit sur la liste des émigrés, au moment où la faction du Manège venait d’être comprimée. Il crut devoir compter sur ses opinions politiques qui n’étaient pas celles des ennemis du moment, et sur la reconnaissance d’un ancien camarade de collège et d’un jeune homme auquel il rendait sa patrie, en exposant même la popularité qu’il venait d’acquérir. »

Du reste, Napoléon eut, pour tous ceux qu’il connut à Brienne, une bienveillance qui ne se démentit jamais.

Le principal, M. Dupuis, fut nommé, par la suite, bibliothécaire particulier de l’Empereur, à la Malmaison.

Le père Patrault, son professeur de mathématiques, lequel faisait grand cas de son élève, et que son élève chérissait, fut appelé auprès du général Bonaparte comme secrétaire, dès que le jeune officier eut le commandement de l’armée d’Italie.

L’aumônier qui enseigna le catéchisme à Napoléon, le père Charles, et qui lui fit faire sa première communion, reçut une pension pendant le Consulat et la lettre suivante :

« Je n’ai point oublié que c’est à votre vertueux exemple, à vos sages leçons que je dois la haute fortune à laquelle je suis arrivé. Sans la religion il n’est point de bonheur, point d’avenir possible. Je me recommande à vos bonnes prières. »

Napoléon avait trop de génie pour n’être pas religieux, trop de bon sens pour faire consister la religion dans les pratiques extérieures. Il ne pouvait souffrir et ne pardonnait pas qu’on affichât des principes contraires à la foi religieuse. Il écrivit un jour au ministre de l’intérieur à propos d’un savant, membre de l’Institut, M. de Lalande :

« Monsieur de Champagny, c’est avec un sentiment de douleur que j’apprends qu’un membre de l’Institut, célèbre par ses connaissances, mais tombé aujourd’hui en enfance, n’a pas la sagesse de se taire, et cherche à faire parler de lui, tantôt par des annonces indignes de son ancienne réputation et du corps auquel il appartient, tantôt en professant l’athéisme, principe destructeur de toute organisation sociale, qui ôte à l’homme toutes ses espérances et toutes ses consolations. Mon intention est que vous appeliez auprès de vous les président et secrétaire de l’Institut, et que vous les chargiez de faire connaître à ce corps illustre, dont je m’honore de faire partie, qu’il ait à mander M. de Lalande et à lui enjoindre, au nom du corps, de ne plus rien imprimer, et de ne pas obscurcir, dans ses vieux jours, ce qu’il a fait dans ses jours de force pour obtenir l’estime des savants, et si les invitations fraternelles étaient insuffisantes, je serais forcé de me rappeler que mon premier devoir est d’empêcher que l’on n’empoisonne la morale de mon peuple ; car l’athéisme est destructeur de toute morale, sinon dans les individus, du moins dans les nations.

Sur ce, je prie Dieu, etc… »

Une autre fois, aux Tuileries, Napoléon demandait à plusieurs généraux et hauts personnages quel avait été le plus heureux moment de leur vie. Drouot déclara que c’était 1er jour de sa première communion. L’Empereur, pendant tout le temps que Drouot parla, ne cessa d’approuver les paroles de cet habile, sage et vertueux compagnon de ses travaux.

Cela ne l’empêcha pas de refuser au pape les Romagnes, d’écrire et de faire écrire par le prince Eugène au saint-père, des lettres très fermes et de mander de Benavente (Espagne) à l’un de ses ministres, le 1er janvier 1809 :

« Monsieur de Champagny, le pape est dans l’usage de donner des cierges aux différentes puissances. Vous écrirez à mon agent, à Rome, que je n’en veux pas. Le roi d’Espagne n’en veut pas non plus. Écrivez à Naples et en Hollande pour qu’on les refuse. Il ne faut pas en recevoir, puisqu’on a eu l’insolence de n’en pas donner l’année dernière. Voici comme j’entends que l’on se conduise à cet égard. Mon chargé d’affaires fera connaître que le jour de la Chandeleur je reçois des cierges bénits par mon curé, que ce n’est ni la pourpre ni la puissance qui donnent de la valeur à ces sortes de choses. IL peut y avoir en enfer des papes comme des curés ; ainsi, le cierge bénit par mon curé peut être une chose aussi sainte que celle du pape. Je ne veux pas recevoir ceux que donne le pape, et tous les princes de ma famille doivent en faire autant.

Sur ce, je prie Dieu, etc… »

Le 7 février 1814, Napoléon écrivait également, de Nogent-sur-Seine, à son frère Joseph :

« L’Impératrice avait eu l’idée de se rendre à Sainte-Geneviève. Je crains que cela ne fasse un mauvais effet et n’ait pas d’autre résultat. Faites donc cesser ces prières de quarante heures et ces Miserere. Si l’on nous faisait tant de singeries, nous aurions tous peur de la mort. Il y a longtemps que l’on dit que les prêtres et les médecins rendent la mort douloureuse. »

Revenons au jeune élève de Brienne. Il ne reçut pas la confirmation dans cette école, mais à Paris le 15 mai 1785. Lorsque le vertueux archevêque monseigneur de Juigné lui conféra ce sacrement et lui demanda son nom de baptême : – Napoléon, dit-il, d’une voix claire et nette. – Mais ce saint ne figure pas dans le calendrier, reprit le prélat, pour lequel la grande ville devait être bientôt si ingrate et si cruelle. – Il n’y figure pas, Monseigneur, reprit vivement Napoléon, par la raison qu’il y a plus de saints que de jours dans l’année.

Le maître d’escrime de Napoléon à Brienne, fut un nommé Daboral qui mourut en 1834, à l’âge de quatre-vingts ans, à Nogent-sur-Seine, ayant reçu une pension de l’Empereur, et ressenti les effets de sa munificence.

Le maître d’écriture dont nous n’avons pu retrouver le nom, était un homme déjà assez vieux qui eut dans Napoléon le plus détestable élève. On sait qu’enfant, ce dernier écrivait d’une façon à peine lisible ; que général, il eut la plus déplorable calligraphie, puisque la moitié des caractères étaient passés dans les mots qu’il voulait tracer ; et que, devenu Empereur, son écriture, dont il n’abusait pas, était tellement indéchiffrable que deux ou trois personnes, M. de Menneval entre autres, avaient seules la faculté, non pas de lire, mais de deviner ce qu’il avait voulu écrire. Encore, ces habiles traducteurs de la pensée napoléonienne étaient-ils quelquefois obligés de renoncer à donner un sens aux hiéroglyphes jetés à la hâte sur le papier par la main du grand homme, ou mis en marge sur une lettre.

Il existe au dépôt de la guerre et dans les archives impériales un grand nombre de lettres en minutes, dictées par Napoléon, dont quelques mots, une ou plusieurs phrases sont rectifiées de sa main. Au-dessous des lignes jetées à l’encre noire par la plume du Souverain, on trouve fort heureusement la traduction à l’encre rouge, écrite par Menneval ou par l’un des secrétaires de Napoléon. Sans la précaution que l’on a eue à cette époque, beaucoup de passages des lettres de l’Empereur, et des plus importants, seraient aujourd’hui incompréhensibles.

À la fin de 1804, Napoléon voyageant dans le Nord et sur les bords du Rhin, dicta pour son ministre de la guerre Berthier, une lettre dans laquelle il Corrigea de sa main trois mots. Berthier ne put jamais parvenir à déchiffrer les trois hiéroglyphes impériaux. Fort empêché, et ne trouvant personne qui pût lui donner la clef de l’énigme, il se décide à écrire respectueusement à l’Empereur pour lui faire part de son embarras. Napoléon, après avoir beaucoup ri de son embarras, lui mande de Trêves le 6 octobre 1804 : « – Mon cousin, le mot de ma main que vous n’avez pas pu lire est : bataillon d’élite Suisse. »

L’aventure la plus plaisante causée par la détestable et illisible écriture de Napoléon est celle-ci :

Étant capitaine d’artillerie à Nice en 1793, peu avant le siège de Toulon, il avait pour sergent-major de sa compagnie un nommé Dintroz qui bégayait, qu’il tutoyait selon la mode de l’époque, et avec lequel il était assez lié.

Devenu commandant en chef de l’armée d’Italie, il confia à ce Dintroz les fonctions de conducteur général de l’artillerie. La veille de la bataille de Castiglione il lui envoie l’ordre de lui expédier de suite deux obusiers de six pouces. Malheureusement Napoléon écrit l’ordre lui-même et de telle façon que ni le conducteur en chef, ni ses employés ne peuvent parvenir à le déchiffrer.

Bonaparte furieux de ne pas voir arriver ses deux bouches à feu, galope vers le parc, et apostrophant Dintroz : – Pourquoi, lui dit-il, ne m’as-tu pas encore envoyé ce que je t’ai demandé ? – Parce que je n’ai pu lire l’ordre, reprend l’autre. – Tu es une f… bête, apprends à lire. – Et toi b…, s’écrie Dintroz, ayant une réminiscence du langage de 1793, apprends à écrire.

Pour en revenir au maître d’écriture de Brienne, le bonhomme ne vit pas sans stupéfaction un aussi déplorable élève que le jeune Bonaparte arriver successivement aux positions les plus élevées… Longtemps il n’osa s’adresser à lui et cependant il avait bien besoin qu’on vînt à son aide, car dans ses vieux jours il était peu à son aise. Un beau matin cependant, il se décide, et se rend au palais de Saint-Cloud. On dit à l’Empereur qu’un brave homme, assez mal vêtu, demande avec instance à lui parler. Napoléon ordonne de le faire entrer. – Que me voulez-vous ? lui dit-il d’un ton assez brusque, ne le reconnaissant pas, comme bien l’on pense. – Sire, répond le pauvre diable plus mort que vif, c’est moi qui ai eu l’honneur de donner des leçons d’écriture à Votre Majesté pendant quinze mois à Brienne. – Ah ! bien ! vous avez fait là un bel élève, répond vivement Napoléon, je vous en fais mon compliment. Puis, se prenant à rire, il lui adresse quelques questions bienveillantes et lui dit en le congédiant : – J’aurai soin de mon maître d’écriture. Le lendemain, le brave et honnête calligraphe recevait un brevet de pension.

Il y avait aussi à Brienne-le-Château un concierge et sa femme, les époux Hauté avec lesquels il arriva à Napoléon une assez plaisante aventure. Le 25 août 1782, jour de la fête du Roi (la Saint-Louis), les élèves jouèrent la mort de César corrigée. Mme Hauté bien connue dans l’école, puisqu’elle vendait journellement aux enfants du lait, des gâteaux et des fruits, se présente pour assister à la représentation. Elle n’avait pas de carte d’entrée, on refuse de l’admettre. Elle insiste, espérant qu’au moyen d’un peu de bruit, elle parviendra à pénétrer dans la salle ; mais alors Napoléon se tournant vers ceux de ses camarades qui remplissaient le rôle de gardes dans la tragédie, s’écrie d’une voix forte et d’un ton qui fit une sorte d’impression sur tous les assistants :

– Qu’on éloigne cette femme qui apporte ici la licence des camps.

Napoléon empereur se souvint des vieux portiers de Brienne. Il les fit venir à la Malmaison où ils moururent dans l’aisance, concierges du château.

Au mois de juin 1784, trois mois avant sa sortie de l’école de Brienne, Napoléon eut le bonheur d’embrasser son père qu’il aimait tendrement. Il écrivit à cette occasion à un de ses oncles une longue lettre complètement inédite dont nous allons extraire quelques passages.

« Brienne, 5 juillet 1784.

Mon cher oncle, je vous écris pour vous informer du passage de mon cher père par Brienne, pour aller à Paris conduire Marianne (Élisa) à Saint-Cyr, et tâcher de rétablir sa santé. Il est arrivé ici le 21 avec Luciano (Lucien, troisième fils de Charles Bonaparte) et les deux demoiselles que vous avez vues. Il a laissé ici ce dernier (Lucien) qui est âgé de neuf ans et grand de trois pieds, onze pouces, six lignes. Il est en sixième pour le latin, va apprendre les différentes parties de l’enseignement. Il manque beaucoup de dispositions et de bonne volonté. Il faut espérer que ce sera un bon sujet. Il se porte bien, est gras, vif et étourdi et pour le commencement on est content de lui. Il sait très bien le français et a oublié l’italien tout à fait ; du reste, il va vous écrire derrière ma lettre. Je ne lui dirai rien afin que vous voyiez son savoir-faire. J’espère qu’actuellement il vous écrira plus souvent que lorsqu’il était à Autun. Je suis persuadé que Joseph mon frère ne vous a pas écrit. Comment voudrez-vous qu’il le fit ? Il n’écrit à mon cher père que deux lignes, quand il le fait !

En vérité ; ce n’est plus le même. Il m’écrit très souvent. Il est en rhétorique. Le principal a dit à mon cher père qu’il n’avait dans le collège, ni physicien, ni rhétoricien, ni philosophe qui eût autant de talent que lui et qui fit si bien une version. Quant à l’état qu’il veut embrasser, l’ecclésiastique a été, comme vous savez le premier qu’il a choisi. Il a persisté dans cette résolution jusqu’à cette heure où il veut servir le roi ; en quoi il a bien tort pour plusieurs raisons.

Il a reçu une éducation pour l’état ecclésiastique. Il est tard de se démentir. Monseigneur l’évêque d’Autun lui aurait donné un gros bénéfice et il était sûr d’être évêque. Quels avantages pour la famille ! Monseigneur d’Autun a fait tout son possible pour l’engager à persister, lui promettant qu’il ne s’en repentirait pas. Rien, il persiste. Je le loue si c’est du goût décidé qu’il a pour cet état, le plus beau cependant de tous les corps, si le grand moteur des choses humaines lui a donné (tel qu’à moi), une inclination décidée pour le militaire.

Etc…, etc…

Je finis en vous priant de me continuer vos bonnes grâces, m’en rendre digne sera le devoir pour moi le plus essentiel et le plus recherché. »

En marge de cette lettre signée Napoléon de Buonaparte on a écrit : « Mais il faut espérer que Joseph, avec les talents qu’il a et les sentiments que son éducation doit lui avoir inspiré, prendra le bon parti et sera le soutien de notre famille, représentez-lui un peu tous ces avantages. »

Derrière cette lettre, Lucien, alors à Brienne, avait écrit :

« Mon cher oncle, je suis arrivé à Brienne il y a trois jours. Le premier moment de loisir que j’ai, je l’emploie à vous remercier des bontés que vous m’avez de tout temps témoignées, et à vous prier de me les continuer. Je tâcherai de m’en rendre digne, en m’appliquant de plus en plus à mes devoirs, et en contentant mes maîtres le plus qu’il me sera possible.

Je finis en vous souhaitant une santé aussi parfaite que la mienne, mon cher oncle. Luciano di Buonaparte. »

On voit que déjà Napoléon avait le caractère ferme, décidé, énergique, positif, cette force de volonté et de logique qui ont aidé à sa rapide et prodigieuse élévation.

Charles Bonaparte, vers le mois de septembre 1784, retourna en Corse avec Joseph. Sa santé déclinait d’une façon alarmante. Napoléon qui chérissait son père et qui aimait tendrement son frère, écrivit au premier après avoir passé ses examens pour entrer à l’École militaire de Paris :

« Mon cher père,

Votre lettre, comme vous pouvez bien le penser, ne m’a pas fait beaucoup de plaisir ; mais la cause de votre retour en Corse étant votre santé et celle d’une famille qui m’est si chère, je ne puis m’empêcher de l’approuver, et j’essayerai de m’en consoler. En outre assuré comme je le suis de la continuation de votre affection et de votre attachement pour moi, et de votre sollicitude pour me faire avancer et me seconder en tout ce qui peut m’être utile, comment pourrais-je n’être pas heureux et satisfait ? Ceci une fois bien entendu, je m’empresse de ; vous demander quel a été l’effet des eaux sur votre santé, et de vous assurer de mon attachement et de ma reconnaissance éternelle.

Je suis enchanté que Joseph soit en Corse avec vous, pourvu qu’il puisse être ici le 1er novembre ou vers cette époque. Joseph peut venir ici, parce que le père Patrault, mon maître de mathématiques que vous connaissez ne s’en va pas. C’est pourquoi le Principal me charge de vous assurer que mon frère sera bien reçu ici, et qu’il peut venir en toute confiance. Le père Patrault est un excellent professeur de mathématiques, et m’a dit qu’il se chargerait de mon frère avec plaisir, et que s’il travaille, nous pourrons passer ensemble les examens pour l’artillerie. Vous n’aurez plus de démarches à faire pour moi, puisque déjà je suis reçu élève, mais il sera nécessaire d’en faire pour Joseph : cependant comme vous avez une lettre en sa faveur, cela suffira.

Ainsi, mon cher père, j’espère que vous préférez placer Joseph à Brienne plutôt qu’à Metz, pour plusieurs raisons : 1° parce que ce sera plus agréable pour Joseph, Lucien et moi-même ; 2° parce que vous seriez obligé d’écrire au Principal à Metz, ce qui occasionnerait un délai, étant obligé d’attendre sa réponse ; et enfin, parce qu’à Metz on n’enseigne pas en six mois ce que Joseph doit savoir pour les examens. Comme mon frère n’est pas fort sur les mathématiques, ils le placeraient en conséquence avec des petits enfants, ce qui lui serait très désagréable. Ces raisons et beaucoup d’autres doivent vous décider à l’envoyer ici ; le plus tôt sera le mieux. Ainsi, j’espère embrasser Joseph avant la fin d’octobre. Du reste, il n’est pas nécessaire qu’il quitte la Corse avant le 26 ou 27 octobre afin d’être ici vers le 12 ou 13 novembre.

Je vous prie de m’envoyer Boswell (Histoire de Corse), avec d’autres histoires ou mémoires sur ce royaume. Vous n’avez rien à craindre, j’en prendrai grand soin, et je les remporterai en Corse quand j’y retournerai, ne fût-ce que dans six ans.

Adieu, mon cher père, Chevallée vous salue de tout son cœur : il étudie beaucoup, et s’est très bien acquitté de son examen public. L’inspecteur sera ici vers le 15 ou 16 au plus tard, c’est-à-dire dans trois jours.

Aussitôt qu’il sera parti, je vous ferai savoir-ce qu’il a dit. Mes respects à maman, à Saveria, Zia Gertrude, Zio Nicolo, mes compliments à maman Francesco, Santo Juano, je vous prie de prendre bien soin d’eux. Donnez-moi de leurs nouvelles et dites-moi s’ils sont heureux. Je finis en vous souhaitant une santé aussi bonne que celle dont je jouis. »

Cette lettre est signée : de Napoléon cadet.

Napoléon quitta l’École de Brienne à l’âge de quinze ans, deux mois et deux jours, pour se rendre à l’école militaire de Paris. C’est ce que constate l’extrait suivant de l’acte du registre de sortie des élèves du Roi :

« Le 17 octobre 1784, est sorti de l’École militaire de Brienne, M. Napoléon de Buonaparte, écuyer, né en la ville d’Ajaccio, en l’île de Corse, le 15 août 1769, fils de noble Charles-Marie de Buonaparte, député de la noblesse de Corse, demeurant en ladite ville d’Ajaccio, et de dame Lætitia Ramolino, sa mère, suivant l’acte porté au registre de réception, folio 31, reçu dans cet établissement le 23 avril 1779. »

Voici la note que lui donna M. de Kéralio, inspecteur des élèves de Brienne.

« M. de Buonaparte (Napoléon), né le 15 août 1769, taille de quatre pieds, dix pouces, dix lignes, de bonne constitution, excellente santé, caractère soumis. Il a fait sa quatrième. Honnête et reconnaissant ; sa conduite est très régulière. Il s’est toujours distingué par son application aux mathématiques ; il sait passablement l’histoire et la géographie ; il est faible dans les exercices d’agrément. Ce sera un excellent marin. Mérite de passer à l’école de Paris.

La nomination de Napoléon à l’École militaire de Paris, est du 1er septembre 1784, mais il ne quitta Brienne que le 17 octobre.

Modestement vêtu, léger d’argent, mais déjà fier comme un montagnard corse et plein d’une noble ambition, le futur empereur débarqua à Paris, par le coche de Nogent, le 19 octobre, et fut trouver son correspondant, M. de Permon, ami de sa famille, qui habitait alors un appartement dans une petite maison située au n° 5 du quai de Conti, au coin de la rue de Nevers, maison dont il a été question à plusieurs reprises dans ces derniers temps.

M. de Permon, qui avait beaucoup d’affection pour le jeune élève, lui donna une petite chambre, aux mansardes, vis-à-vis celle de son fils. C’est cette chambre qu’on a surnommée le nid d’aigle et que Napoléon occupait chaque fois qu’il pouvait s’échapper de l’École militaire.

Le lendemain de son arrivée à Paris, le 20 octobre, l’élève Buonaparte se rendit à l’École où on lui donna une petite cellule située sur les toits et de laquelle, par une étroite lucarne, il dominait le Champ-de-Mars. M. de Permon, fort lié avec M. de Falguéréty, lieutenant-colonel au régiment de Poitou, obtint assez fréquemment, par l’entremise de ce dernier, des sorties que le jeune homme aimait à passer au milieu de la famille de Permon et dans sa petite chambrette. Lors de la mort de Charles Bonaparte, son père, Napoléon prétexta une indisposition et vint s’enfermer une semaine entière dans la mansarde du quai Conti, pour donner un libre cours à sa douleur et se livrer à ses méditations, car déjà ; depuis longtemps, l’homme qui devait un jour dominer le monde se plaisait à causer pour ainsi dire avec lui-même.

Le récit des derniers jours du père de Napoléon a été écrit d’une façon assez singulière, par la duchesse d’Abrantès, dans des Mémoires auxquels on sait depuis longtemps qu’on aurait tort d’ajouter entièrement foi ; nous allons rétablir la vérité sur ce fait historique.

Charles Bonaparte était mort le 24 février 1785, à Montpellier, à la suite d’une longue et cruelle maladie, étant fort jeune encore. Quelques jours avant sa mort il eut comme une espèce de révélation surnaturelle, car, dans un moment de délire, il s’écria : que tout secours étranger ne pourrait le sauver, puisque ce Napoléon, dont l’épée devait un jour triompher de l’Europe, tenterait vainement de délivrer son père du dragon de la mort qui l’obsédait.

Au moment de mourir, Charles Bonaparte demanda à son fils aîné de lui donner l’assurance de renoncer à l’état militaire qui l’éloignait trop de sa famille, et qu’il retournerait en Corse pour le remplacer. Voilà ce qui modifia les projets de Joseph et changea sa détermination d’entrer avec Napoléon dans l’artillerie.

Joseph-Napoléon, dans sa réfutation manuscrite des Mémoires de la duchesse d’Abrantès, raconte ainsi la mort de son père :

« Charles Bonaparte arriva à Montpellier avec Joseph, son fils, qu’il conduisait à l’École de Châlons pour entrer dans l’artillerie. Ayant eu une mauvaise traversée, ils s’étaient arrêtés à Aix, pour y consulter M. Tournatori, qui avait alors de la célébrité. Celui-ci leur avait conseillé d’aller à Montpellier, ce qu’ils furent obligés de faire, malgré le vif désir qu’avait M. Charles Bonaparte d’arriver à Paris, où il prétendait avoir été guéri, l’année précédente, par M. Lasoude, médecin de la reine, en qui il avait la plus grande confiance. Ils descendirent à Montpellier, non dans une auberge, mais dans une petite maison particulière située en bon air, et appropriée pour un homme qui venait consulter la faculté. Elle leur avait été procurée par M. Pradier, aumônier du régiment de Vermandois, alors en garnison à Montpellier, que Charles Bonaparte avait connu à Ajaccio, où ce régiment avait été aussi en garnison quelques années auparavant. Joseph avait écrit à M. Pradier, de la part de son père, d’Aix, dès que le voyage de Montpellier fut résolu.

Mme de Permon (mère de la duchesse d’Abrantès) fut facilement instruite de l’arrivée de M. Bonaparte à Montpellier, par les officiers du régiment qu’elle recevait. Elle tenait une bonne maison dans l’hôtel d’Aigrefeuille. Dès qu’elle sut l’arrivée de son compatriote, elle s’empressa de le visiter, de lui faire toutes les offres de services imaginables, et, plus que tout cela, de lui tenir bonne et fidèle compagnie presque tous les jours. Lorsque, malgré tous ses efforts et ceux des trois plus illustres médecins de Montpellier, parmi lesquels nous pouvons nommer M. Sabatier, M. Charles Bonaparte succomba à sa maladie, il est vrai de dire que Mme de Permon vint arracher son fils et son beau-frère de cette maison de deuil ; qu’elle leur donna toutes les consolations qu’ils eussent pu recevoir de leur mère ; qu’elle les transporta dans sa voiture, dans sa maison ; qu’ils y furent traités avec les soins les plus tendres et les plus délicats de la part de Mme de Permon, qui était bien la femme la meilleure qu’il fût possible de rencontrer. On conçoit qu’une telle femme n’eût pas épargné l’argent si Joseph Bonaparte en eût eu besoin ; mais, sortant de son pays et arrêté à Montpellier par la maladie de son père, il trouvait à sa mort l’argent destiné au voyage de Paris et de Châlons, et à son retour chez lui. Ainsi, Mme de Permon ne fut pas dans le cas de donner des secours pécuniaires, parce que ni M. Bonaparte père, ni M. Bonaparte fils n’en eurent besoin. Mme de Permon fit beaucoup plus, dans cette circonstance, que si elle eût donné une grande partie de sa fortune, etc. »

Napoléon, en apprenant par son grand-oncle, l’archidiacre Lucien, la mort de son père, lui écrivit, de sa petite chambre du quai Conti, la lettre suivante, datée du 28 mars 1785 :

« Mon cher oncle, il serait inutile d’essayer de vous exprimer la douleur profonde que j’ai ressentie du malheur que nous venons d’éprouver. Nous avons perdu en lui un père, et Dieu sait quel père ! Tout nous fait voir qu’il était le seul soutien de notre jeunesse. Vous avez perdu en lui un neveu obéissant et pénétré de reconnaissance. Ah ! vous sentez mieux que je ne saurais l’exprimer combien il vous aimait. Notre pays j’ose le dire, a perdu en lui un citoyen zélé, éclairé et désintéressé. Le poste honorable auquel ses concitoyens l’avaient si souvent élevé, indique assez la confiance qu’ils mettaient en lui ; et, cependant, dans quel pays le ciel a-t-il voulu qu’il rendît son dernier soupir ? À une distance de cent lieues de sa famille, sur une terre étrangère, parmi un peuple indifférent à son existence, loin de tout ce qui lui était le plus cher ! Un fils, il est vrai, l’a assisté dans ce terrible moment ; grande consolation pour lui, sans doute, mais certainement pas comparable au bonheur mélancolique qu’il eût éprouvé s’il eût fini sa carrière dans son pays, entouré de sa femme et de sa famille. Ainsi l’avait ordonné l’Être suprême ! Sa volonté est immuable ! Lui seul peut nous consoler ! En nous enlevant, hélas ! ce qui était le plus cher, il nous a du moins laissé ceux qui seuls peuvent le remplacer.

Daignez donc être pour nous le père que nous avons perdu. Notre amour, notre reconnaissance vous seront acquis en proportion d’un si grand sacrifice…

Je finis en vous souhaitant une santé aussi bonne que la mienne. »

 

Le même jour il écrivit également à sa mère :

 

« Ma chère mère, c’est seulement aujourd’hui que le temps a suffisamment calmé ma douleur, pour me permettre de vous exprimer ma reconnaissance pour toutes les bontés dont vous m’avez toujours comblé. Il faut vous consoler, chère mère, les circonstances le veulent : nous redoublerons d’affection et de dévouement envers vous, trop heureux si, par notre soumission, nous pouvons vous faire oublier, en partie, la perte inappréciable d’un mari adoré.

Je termine ma lettre, chère mère, ma douleur me l’ordonne, mais c’est en vous priant de calmer la vôtre. Ma santé est excellente ; tous les jours je prie le ciel de vous en accorder une aussi bonne. Présentez mes respects à Zia Gertrude, Minana Severia, Minana Fesch, etc… »

P.-S.– La reine de France est accouchée d’un prince le 27 mars à sept heures du soir. On lui a donné le nom de duc de Normandie. »

Du quai Conti, Napoléon revenait à sa cellule de l’École militaire d’où sa pensée peut-être franchissant l’espace, allait se perdre sur la cime des Alpes ou dans les plaines sablonneuses de l’Orient.

En septembre 1785, le jeune élève passa le plus brillant examen. Fort remarqué par l’illustre mathématicien Laplace, il fut inscrit le premier sur la liste de nomination soumise au Roi pour le grade de lieutenant d’artillerie. Le 10 octobre il reçut son brevet. La promotion était de cinquante-huit officiers. Il eut ordre de rejoindre le régiment de la Fère-Artillerie.

Deux mois auparavant, pendant les fortes chaleurs de l’été, Napoléon avait été sur le point de se noyer dans la Seine. Il venait de quitter les Permon et sa chère petite chambre du quai Conti, il imagina, avant de rentrer à l’École, de se baigner et de faire une pleine eau. « Une crampe, disait-il un jour au docteur Antomarchi, en lui contant cette aventure, une crampe me prit pendant que je nageais ; après quelques efforts inutiles, je sentis que je coulais au fond de l’eau. J’éprouvai de vives angoisses et je perdis connaissance ; mais le courant de la rivière me rejeta sur le bord, et je restai étendu je ne sais combien de temps. Je fus enfin rappelé à la vie par mes camarades qui me reconnurent par hasard. M’ayant vu disparaître au milieu de la rivière ils m’avaient cru perdu. »

C’est un beau jour pour un jeune officier que celui où il revêt son premier uniforme. Napoléon, dès qu’il put obtenir de son tailleur une tenue complète, se hâta de courir chez ses amis du quai de Conti. Il paraît que sa tournure prêtait alors beaucoup à la plaisanterie, et que les jambes grêles du nouveau lieutenant, ballottant dans de vastes bottes à tiges, rendaient sa démarche des plus amusantes. Mlle de Permon le voyant entrer ne put réprimer un fou rire dont elle ne chercha même pas à dissimuler la cause. Napoléon, contrarié de l’effet produit, veut imposer silence à la jeune fille et lui dit : – On voit bien que vous n’êtes qu’une petite pensionnaire. – Et vous, un chat botté, reprend aussitôt celle-ci avec beaucoup d’à-propos. Napoléon battu, résolut de se venger en homme d’esprit. Il fut chercher un joli volume contenant le conte du chat botté et un jouet représentant le principal personnage du conte courant devant la voiture du marquis de Carabas, et les apporta à la jolie rieuse.

Une autre anecdote plus sérieuse.

Pendant son séjour à l’École militaire de Paris, le jeune Napoléon soumit au marquis de Timburne, alors chef de cet établissement, un plan de réforme où se trouvait entre autres choses, ce qui suit :

– Ne vaudrait-il pas mieux astreindre les élèves à se servir eux-mêmes, c’est-à-dire moins leur petite cuisine qu’ils ne feraient pas, leur faire manger du pain de munition ou d’un autre qui en approcherait ? – Les habituer à battre, brosser leurs habits – à nettoyer leurs souliers et leurs bottes, puisqu’ils sont pauvres et destinés au service militaire ? N’est-ce pas la seule éducation qu’il faudrait leur donner ? – Assujettis à une vie sobre, ils en deviendraient plus robustes, sauraient braver les intempéries des saisons, supporter avec courage les fatigues de la guerre, et inspirer un respect et un dévouement aveugle aux soldats qui seraient sous leurs ordres. »

Déjà perçaient chez l’élève, les idées d’organisation justes et fortes qui devaient être bientôt mises en pratique par le maître.

Voici comment lui-même indiquait son adresse : Buonaparte, fils cadet, gentilhomme à l’École royale militaire de Paris.

Une fois sur le trône, Napoléon ne perdit jamais de vue les écoles militaires. Il établit un prytanée à Saint-Cyr, et en 1808, il y transporta l’école de Fontainebleau. Il se rendait souvent dans ces établissements où il faisait des visites, on peut dire, à l’impromptu. Il interrogeait lui-même les élèves, grondait ceux sur lesquels on lui donnait de mauvais renseignements. Il existe encore un ancien officier de hussards, aide de camp du roi Jérôme, en 1815, à Waterloo, élève du Prytanée dans les dernières années du Consulat, et qui se souvient parfaitement de la joie qu’on ressentait dans l’école, lorsque tout à coup on annonçait la visite de Napoléon. Le Consul, qui connaissait particulièrement la famille de cet élève, ne manquait jamais de lui adresser la parole en lui pinçant l’oreille, ce dont il était très fier.

Un jour (en 1806), le ministre de la guerre, qui envoyait à l’Empereur ses rapports sur les écoles militaires, lui rendit compte que deux élèves de Fontainebleau, nommés Delamoussay et Touyard s’étaient battus en duel avec les baguettes de leurs fusils qu’ils avaient aiguisées. Le ministre concluait à leur renvoi. Napoléon écrivit en marge du rapport : – les mettre en prison pour quinze jours. Une autre fois (le 7 août 1806), il écrivit au général Dejean : – « Le Prytanée de Saint-Cyr va mal, comme il est placé dans les attributions du ministre de la guerre, je désire que vous vous y transportiez un jour où l’on ne vous y attendra pas. On m’assure qu’il y a malpropreté et peu de discipline. »

Lorsque Napoléon fonda cette école de Saint-Cyr, il écrivit à M. de Champagny (du camp de Boulogne, 16 août 1805) : – « Mon intention est que l’école de Saint-Cyr soit une école militaire ; qu’il n’y entre que des fils de militaires ; qu’on y soit admis gratis ; qu’on l’arrange pour six cents élèves ; qu’elle soit le premier degré de l’école de Fontainebleau ; que le commandant de l’école rende compte directement au ministre de l’intérieur ; mais qu’elle soit sous l’inspection du commandant de l’école de Fontainebleau, qui l’inspectera deux ou trois fois par an, et qui rendra compte de son inspection au ministre de l’intérieur. »

Pendant les dernières années du règne du malheureux Louis XVI, la mode était aux aérostats. En 1784, Blanchard, à l’aide d’un ballon pourvu d’ailes, espéra pouvoir se diriger dans l’air.

Le Champ-de-Mars fut choisi pour cette expérience, qui devait avoir lieu le 2 mars 1784. Au moment où la machine allait être mise en mouvement, un incident, auquel on était loin de s’attendre, se produisit tout à coup. Un jeune officier d’artillerie, sortant de l’École militaire, l’épée à la main, se jeta dans la nacelle, ayant fait avec ses camarades le pari d’y monter de force. Repoussé, il blessa l’aéronaute à la main ; mais la nacelle fut disloquée. Blanchard partit cependant et fit quelques évolutions dans l’air. Le jeune officier gagna son pari, mais fut arrêté et conduit en prison.

Par la suite, on a prétendu que cet étourdi n’était autre que Napoléon. Le fait est complètement faux. D’abord le futur empereur n’entra à l’École militaire qu’en octobre 1784, et ce fait se produisit en mars de cette même année ; ensuite une pareille folie était loin du caractère et des habitudes du jeune Bonaparte alors déjà calme et réfléchi.

LIVRE IINapoléon officier d’artillerie

SOMMAIRE.– Napoléon à Valence. – Le billet de logement. – Le maître de danse. – Le traiteur Faure. – Anecdotes. – Départ pour Lyon et Douai. – Napoléon à Auxonne. – Le lieutenant-général du Teil. – Le sergent Floret. – Anecdotes. – Le quatrième codicille du testament. – Manière de vivre de Napoléon. – Le tailleur Biautte. – Retour en Corse, – Napoléon, lieutenant en premier au 4e d’artillerie à Valence. – Louis Bonaparte. – Anecdote. – Le serment civique. – La pauvresse. – Napoléon, adjudant-major, puis commandant d’un bataillon Corse. – Il est nommé capitaine en second au 4e régiment d’artillerie. – Son brevet. – Il outrepasse les délais de son congé. – Affaire du jeu de quille à Ajaccio. – La solde du capitaine d’artillerie. – Séjour de Napoléon à Paris. – Les 20 juin et 10 août 1792, – Départ de Napoléon et d’Élisa pour la Corse. – Les Marseillais à Ajaccio. – Le général Casabianca. – L’expédition de Sardaigne. – Anecdotes. – Les Bonaparte forcés de quitter la Corse en mai 1793. – La famille s’installe à Marseille. – Le souper de Beaucaire. – Le siège de Toulon. – Carteaux. – Dugommier. – Le général du Teil frère de celui d’Auxonne. Anecdotes et lettres. – Napoléon, chef de brigade, puis général. – Sa mission sur les côtes de la Méditerranée.