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L’insurrection victorieuse du 24 février venait de laisser au palais Bourbon les députés de la France, étourdis encore du violent coup de tonnerre qui avait brisé en quelques heures le trône de juillet ; elle se dirigeait haletante et rapide vers l’Hôtel-de-Ville, elle courait sans songer à ramasser la couronne tombée au pied des barricades, elle arrivait au milieu de son escorte sanglante et noire de poudre, lorsque tout à coup un cri s’élève sur son passage, ce cri était celui de la République. La plus incroyable des révolutions était consommée !
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Veröffentlichungsjahr: 2021
Histoire de la garde républicaine
Alphonse Balleydier
Réédition réalisée à partir de l'édition de 1848
© 2021 Librorium Editions
Table of Contents
Page de titre
MON COLONEL,
CHAPITRE PREMIER.
CHAPITRE II.
CHAPITRE III.
CHAPITRE IV.
CHAPITRE V.
CHAPITRE VI.
CONCLUSION.
Le colonel de Vernon.
MON COLONEL,
C’est à vous que je dédie ces pages destinées à mettre en relief et à conserver à l’histoire de notre pays les faits d’armes, les traits de courage et de dévouement, les généreuses actions de cette intrépide garde républicaine dont vous êtes l’un des plus dignes chefs, et qui, elle aussi, a bien mérité de la patrie.
On a exalté avec raison la belle conduite de l’armée et de la garde nationale pendant ces lugubres journées de juin, plus fatales à la France que les plus sanglantes batailles de l’Empire. Moi-même un des premiers, j’ai réuni en faisceaux les brillants faits d’armes de cette jeune garde mobile qui entrait magnifiquement dans la carrière où vos soldats, leurs aînés en gloire, devaient leur servir de parrains.
On a trop oublié la garde républicaine ; on ne lui a pas rendu la justice qu’elle méritait ; on n’a pas assez reconnu les services immenses qu’elle a rendus au pays ; on n’a pas tenu compte des trouées que la balle de l’insurrection a faites dans ses rangs ; on n’a pas inscrit au long martyrologe de la patrie en deuil le nom de ses héros et de ses victimes ; on n’a pas dit ce qu’elle a versé de sang et laissé de cadavres dans les débris fumants des barricades ; on n’a pas dit ce qu’il lui a fallu de courage et de dévouement, d’abnégation et de fidélité au drapeau, non pour mourir, mais pour combattre et pour vaincre des hommes égarés qui lui disaient : Frères.
Comme aux jours antiques des grands sacrifices, la garde républicaine s’est immolée elle-même sur l’autel de la patrie.
Vous le savez, vous, mon colonel, car vous étiez avec elle au premier rang, haut et debout dans votre vertu militaire, sous les feux croisés de l’insurrection, comme ces intrépides chevaliers bretons vos ancêtres qui vivaient et mouraient tout d’une pièce dans leurs armures d’acier, sans tache au blason et sans forfaiture au cœur.
Vous le savez, mon colonel, car le premier vous lui avez ouvert le chemin des barricades ; vous le savez, mon colonel, car vous aussi vous auriez pu, recommençant l’histoire de votre glorieuse Bretagne, étancher votre soif avec votre sang.
A vous donc les pages de l’histoire de la garde républicaine ; elles vous appartiennent comme l’amour, la confiance et l’attachement de vos braves soldats.
Pour les écrire, je me suis retiré du champ de bataille ; je me suis placé à un point de vue inaccessible à l’esprit de parti, qui égare presque toujours les intentions les plus droites et les plus pures. Convaincu que la mission de l’historien doit être un sacerdoce sans veille et sans lendemain, j’ai quitté la tunique du combat pour la robe de lin des lévites du dieu de la paix, et le rameau d’olivier à la main j’ai parcouru religieusement les quatre étapes, le glorieux calvaire où vos soldats, comme autrefois le Christ, ont sué le sang avant d’arriver au Golgotha de leur Passion, au sommet de la dernière barricade.
Arrivé là, colonel, je me suis abrité sous le drapeau de la France ; j’ai refoulé dans mon cœur mes affections intimes et mes sympathies les moins secrètes ; j’ai repoussé loin de ma poitrine et de ma plume la cocarde des partis, et sous le regard de Dieu j’ai recueilli, pour les coordonner et vous les offrir ensuite, les feuillets épars du drame de juin.
Aujourd’hui, colonel, les flots de l’océan populaire soulevés par le vent de l’insurrection se sont écartés de nos rivages ; la brise de la paix et de la réconciliation souffle à travers la France. L’arche sainte de la patrie a quitté son voile de deuil ; elle a repris son cours paisible vers l’avenir que Dieu lui réserve. La société, sauvée du naufrage, s’avance rapidement vers le but suprême où doivent tendre les efforts de tous les hommes de bien ; elle y arrivera, soyez-en sûr, malgré tous les obstacles, à travers tous les écueils. Elle y arrivera bientôt ; car en temps de révolution les peuples sont comme les morts de la ballade allemande.... ils marchent vite.
Mon colonel, le penseur qui va méditer sur les ruines des vieilles républiques, le soldat qui passe devant elles, les armes à la main, se découvrent devant les poétiques élégies de la loi commune, et admirent en silence ces reliques, splendides souvenirs de la gloire ancienne.
Le penseur et le soldat qui viendront après nous, dans les siècles à venir, trouveront aussi sur la terre de France de nobles et de glorieux vestiges, de majestueux et impérissables monuments.
Alors, ainsi que nous l’avons fait dans les campagnes de Rome, dans les plaines de Carthage, où Marius a passé avant nous, ils découvriront religieusement leur front devant notre iliade de bronze et de marbre ; ils admireront les souvenirs d’un peuple qui fut aussi le maître du monde. Alors leurs regards émus rencontreront peut-être à l’angle d’un pavé de granit ces dates 23, 24, 25, 26 juin 1848, et leur doigt, écartant la ronce du champ des ruines, découvrira cette inscription que je place à la tête de mon livre :
A LA GARDE RÉPUBLICAINE
La Patrie reconnaissante !
CHAPITRE PREMIER.
Les Journées de Février. — L’Hôtel-de-Ville. — La République. — Le général Lagrange. — Origine de la Garde républicaine. — Premiers jours — Dévouement et générosité. — Démission de Lagrange. — Rey nommé colonel-gouverneur. — Premières réformes. — Election des officiers. —Armand Marrast. — Nouvel uniforme. — Incident de la manifestation du mois de mars. — Expulsion. — Journée du 15 mai. — Violation de l’Assemblée nationale. — Marche de l’émeute sur l’Hôtel-de-Ville. —Dispositions. — Coup de feu. — Panique. — Curieux dialogue. — Envahissement. — Les Montagnards. — Les Lyonnais. — Services rendus. — Château des Tuileries. — Sommation. — Conflits entre propriétaires et locataires. — 10 francs. — Revers de la médaille. — Indiscipline. —Scènes excentriques. — Attitude des Montagnards le 15 mai. — Préparatifs de siége. — Conciliation. — Licenciement de la Garde républicaine. — Réorganisation.
L’insurrection victorieuse du 24 février venait de laisser au palais Bourbon les députés de la France, étourdis encore du violent coup de tonnerre qui avait brisé en quelques heures le trône de juillet ; elle se dirigeait haletante et rapide vers l’Hôtel-de-Ville, elle courait sans songer à ramasser la couronne tombée au pied des barricades, elle arrivait au milieu de son escorte sanglante et noire de poudre, lorsque tout à coup un cri s’élève sur son passage, ce cri était celui de la République. La plus incroyable des révolutions était consommée !
L’Hôtel-de-Ville devint aussitôt la capitale de Paris ; le gouvernement provisoire, composé à la hâte de onze noms tombés des lèvres populaires transformées en urnes électives, s’y installe le soir même sans transition aucune, et sans qu’elle sans doutât, la France monarchique devint républicaine.
Cinq cents hommes, sentinelles avancées et soldats d’élite de l’insurrection, se partagèrent immédiatement, sous le commandement de Lagrange, nommé général-gouverneur, les postes principaux de l’Hôtel-de-Ville.
En l’absence des troupes, ces hommes affectés au service militaire de l’hôtel prirent les noms des postes qu’ils étaient chargés d’occuper et de défendre : le poste de l’aile droite, de l’orangerie, de l’escalier du centre, de l’artillerie, du gouverneur des archives, enfin le poste des morts. Celui-ci fut consacré à la garde des victimes de février déposées dans la salle Saint-Jean, embaumées ensuite par le docteur Gannal.
L’origine de la garde républicaine ressemble étrangement à celle de ces vieilles phalanges romaines qui conquirent le monde. Ce fut d’abord des hommes, la plupart sans foyers, sans asiles, sans autre vêtement qu’une blouse en lambeaux jetée sur un pantalon usé par la misère ; mais sous cette blouse il y avait une poitrine de fer, et dans cette poitrine un cœur vigoureusement trempé. En quelques jours, ces hommes, qui comptaient d’anciens militaires parmi eux, subirent une transformation complète. La joyeuse insouciance du Bohémien avait fait place à la sévère discipline du soldat ; ces hommes à l’épreuve de tous les sacrifices formaient déjà le noyau d’une garde d’élite.
Les commencements de leur vie militaire ont été rudes et pénibles ; ils ont éprouvé dans les premiers jours de la révolution toutes les privations, toutes les fatigues qu’on peut subir en campagne. Plusieurs d’entre eux sont demeurés quatre jours et quatre nuits sans prendre une heure de repos, à la porte de la salle où délibéraient les membres du gouvernement provisoire. Jamais délibérations politiques ne furent mieux gardées et mieux protégées.
Pendant les quinze premiers jours, ces soldats improvisés au milieu des barricades couchèrent par un froid glacial et sans vêtements pour ainsi dire, dans les corridors, dans les vestibules, sur les escaliers, partout où il y avait quelqu’un à défendre, quelque chose à conserver. Ce sont eux qui, la nuit du 24 au 25 février, ont préservé du pillage, et au prix de leur vie, la bibliothèque et les archives ; ce sont eux qui ont écrit avec du charbon, sur la porte de la bibliothèque, cette inscription : Respect aux arts et aux sciences ; ce sont eux qui, trois jours et trois nuits, ont bravé les menaces et les imprécations des figures sinistres qui voulaient y pénétrer pour autre chose que pour l’amour de l’étude.
Ce sont eux qui, malgré le dénuement le plus complet, ont généreusement abandonné pendant quinze jours, au profit des victimes de février, la solde de 1 franc 50 centimes que le gouvernement provisoire leur avait allouée. Ce sont eux enfin qui, pendant plus de deux mois, ont partagé, avec les malheureux qui assiégeaient les grilles de l’Hôtel-de-Ville, les vivres qu’on leur distribuait.
Un des premiers soins de Lagrange, après avoir pris le gouvernement militaire de l’Hôtel-de-Ville, fut de s’entourer d’hommes énergiques, sur lesquels il pût compter, et qui contribuèrent puissamment à la formation et à l’organisation de la garde républicaine. C’étaient un ancien capitaine d’état-major au service du Portugal, M. Rey ; puis MM. Guyon, Bauder, Thevenin, chargés des écritures de l’expédition des dépêches et des munitions de guerre.
L’énergie qu’avait dépensée le général-gouverneur et les fatigues de trois jours et trois nuits, le jetèrent dans une prostration telle, qu’il dut donner sa démission.
Le même jour, le gouvernement provisoire pourvut à son remplacement en nommant colonel-gouverneur de l’Hôtel-de-Ville, le citoyen Rey, chef d’état-major de Lagrange.
A partir de ce moment, le nouveau gouverneur s’occupa avec zèle de l’organisation de la garde républicaine. Il lui fit donner des chemises et des souliers, puis une espèce d’uniforme composé du pantalon rouge de l’infanterie, de la blouse bleue en coutil et du képi ; il compléta cet uniforme par un équipement formé de la giberne, du fusil et du sabre-poignard.
Le service s’établit avec plus de régularité et les consignes furent plus sévèrement observées.
Quinze jours après, les six postes principaux furent organisés en un bataillon, et ce bataillon divisé en quatre compagnies, appelées un peu plus tard à se donner des officiers par la voie élective.
Cette circonstance raviva les symptômes de discorde qui déjà s’étaient fréquemment manifestés dans le sein de la garde républicaine, surtout au poste des morts, mis à l’index des autres postes pour l’exagération de ses principes démocratiques fortement entachés de communisme. Alors les ambitions se trouvant en jeu, les rivalités travaillèrent dans l’ombre à leur bénéfice et soulevèrent d’affreuses tempêtes. Enfin, malgré mille difficultés, les élections se firent assez paisiblement dans la salle Saint-Jean.
C’est à cette époque qu’un officier, évincé des rangs de la garde, passa avec armes et bagages dans ceux des mécontents pour y fonder un journal en cotillon rouge nommé la Mère Duchène.
Il y avait alors à l’Hôtel-de-Ville un homme de cœur et d’intelligence, un homme à larges vues, à fortes conceptions et d’une probité politique égale à son mérite d’écrivain ; cet homme, dont les idées avancées étaient tempérées par la crainte des excès de gens qu’il savait par cœur, était le maire de Paris.
Armand Marrast, qui plus qu’un homme de haute intelligence est encore avant tout un homme de bien, dans toute l’acception du mot, Marrast ne tarda pas à entourer la garde républicaine de toute sa sollicitude ; il avait compris, d’un premier coup-d’œil, les services qu’elle pouvait rendre à la patrie.
C’est lui qui remplaça la blouse bleue et le pantalon garance par l’uniforme qu’elle porte aujourd’hui et qu’elle quittera demain.
Cette nouvelle tenue fut composée de la manière suivante : la capote à revers bleus ou rouges avec passe-poil rouge, patte blanche et macaron rouge de chaque côté du collet. Épaulettes de laine rouge à torsades blanches, aiguillettes rouges, pantalon bleu avec une large bande rouge, un bicorne d’après le modèle de 93, et orné d’une flamme rouge.
La garde républicaine, il ne faut pas se le dissimuler, avait été formée dans son principe d’éléments tellement hétérogènes, que, livrés à eux-mêmes, ils auraient pu remonter au chaos.
Peu à peu, avec une grande habileté et des précautions plus grandes encore, le colonel Rey parvint à écumer ce qu’elle renfermait de moins pur. Plusieurs gardes furent congédiés. Ainsi que nous l’avons dit, le poste des morts professait généralement des idées et des principes réduits à la dernière expression du communisme ; le colonel Rey surveillait sans relâche les hommes qui en faisaient partie. Parmi ceux-là, il y en avait un certain nombre qui étaient affiliés au club Blanqui. C’était eux qui, de concert avec les Montagnards, faisaient en armes la police de ce club.
Garde Républicaine, juin 1848.