Hordes barbares - Pauker Léon - E-Book

Hordes barbares E-Book

Léon Pauker

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Beschreibung

Dans la nuit du 24 février 2022, l’Ukraine est subitement plongée dans l’horreur de la guerre. Les tribus barbares, avides de violence, se ruent vers Kiev. Pendant les six premiers mois de ce conflit très réel, le lecteur est embarqué au cœur des souffrances d’une population meurtrie. Galyna nous témoigne de cette expérience en direct. Un Français désorienté interroge nos sociétés et cherche des réponses au milieu de la foule. Vadym, un jeune Russe, lutte pour choisir son destin. Svetlana, une adolescente traquée par l’horreur nous emmène dans une fresque où le réel se mêle à une mythologie extravagante. Chaque jour, les gens partagent leurs expériences, enrichissant ce récit de leur courage et de leur résilience. Au-delà de l’expertise savante, c’est la voix humaine qui réclame reconnaissance et liberté.

Слава Україні (slava ukraïni / gloire à l’Ukraine)


À PROPOS DE L'AUTEUR

Ayant séjourné plusieurs mois en Ukraine, à Kharkov, Pauker Léon n’a pu s’empêcher d’écrire durant plusieurs jours des mots sur la guerre en cours, mots qui ont mué en paragraphes, formant ce grand récit qu’il partage avec ses lecteurs.

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Pauker Léon

Hordes barbares

Ukraine torturée

Roman

© Lys Bleu Éditions – Pauker Léon

ISBN : 979-10-422-0746-5

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Avertissement

À vous qui avez la patience ou la chance (waouh) de me lire.

J’ai commencé ce document sans projet particulier. J’écoutais les récits de mes amis, je suivais l’actualité, les multiples fake, les résonances des échecs diplomatiques. J’essayais de confronter tous ces éléments avec mes expériences, quelques références historiques, mes critiques et les nombreux mois passés en Ukraine.

Nous voulions croire lointaines, les souffrances du passé. Nous avions oublié la brutalité des sociétés suprémacistes. Nous avions la certitude d’être à l’abri et de ne pas avoir à souffrir directement des horreurs vécues par les hommes de contrées éloignées. Nous nous sommes trompés. Cette invasion brutale en Europe centrale sonne le rappel à l’ordre et il est temps de retrouver la mémoire. La boue recouvrant notre diplomatie chancelante, altérée, a mystifié les populations, et ce drame terrible dévoile nos erreurs et nos responsabilités. Aujourd’hui encore, la Russie envahit un autre pays souverain, en projetant sa propre peur, sa jalousie et sa haine sur un monde que nous partageons tous. Les hordes barbares tuent, massacrent, annihilant férocement des vies, des existences, exposant une population au froid, au sang et souillant une société à la culture riche et personnelle.

Voyageur observateur, j’observe l’Ukraine, ses habitants et les interactions entre les différentes classes de population. Je compose ce récit pour témoigner, pour refuser l’ignominie du silence, pour défendre ma propre liberté et les valeurs humaines (si peu que cela ait un sens). Cette histoire que les journalistes et les experts racontent parfois superficiellement, en alimentant trop souvent les intérêts financiers ou politiquement corrects, se déroule à l’intérieur des foyers, dans la rue, dans le quotidien de personnes parfois mauvaises, parfois bonnes, et pourquoi pas, meilleures.

Mon récit est humain, perfectible et critiquable. Il suit pas à pas les premiers mois de cette guerre. Au fil des événements, il raconte les horreurs, les hésitations et les efforts des gouvernements. Je témoigne et je critique ouvertement, comme un homme de la rue et je m’interroge comme chacun le fait, sur la culpabilité, la responsabilité, le libre arbitre. Je cherche des réponses et je me perds souvent face à mes préjugés, à la vanité d’interprètes farfelus et prétentieux. Je refuse de me noyer dans les mensonges, les messages confus et la propagande envahissante.

Dans sa première partie, ce document, rédigé comme un journal de bord, défend de nombreuses idées, parfois contradictoires au gré des modifications d’alliance et d’engagement. Chaque passage comporte des faits et des idées. Les faits sont difficiles à effacer et les idées évoluent jour après jour. Des responsabilités peuvent peser plus encore sur certains et s’alléger, disparaître pour d’autres. Il appartient à chacun de s’interroger et de se souvenir de ces événements pour construire son avis personnel. Personne n’a le privilège de la vérité et chacun poursuit sa propre voie.

Ainsi, au fil des événements, je me refuse à tomber dans la rigidité historique, parfois modifiée par des vainqueurs trop coupables. Je me rappelle les incohérences de mes propres livres d’histoire et des enseignements qui s’effacent, génération après génération. Je m’interroge peut-être trop. Je risque de m’égarer sans aucune conclusion satisfaisante à fournir. Le révisionnisme populaire des sociétés victorieuses et l’absence morale des dictatures semblent sans limite. Je martèle des idées que je reformule, répète et observe à travers des prismes différents.

Des récits intermédiaires se glissent également dans la trame principale, peut-être vrais ou faux, roman d’actualités, mais toujours indexés à la réalité. Parfois allégoriques ou fantastiques, ces « stories » dénoncent la convoitise, la vanité et les meurtres dits de guerre. Ils louent le courage de victimes qu’il faudrait considérer comme des héros. Au fil du récit, j’oserais calquer mon propre délire au contour de ce réel fermement marqué par la guerre et donnant l’avantage, non pas obligatoirement au meilleur des deux camps, mais à celui qui est légitime.

Notre monde se répète, les civilisations sombrent à vouloir trop s’élever et toucher le soleil. De nombreux événements que je raconte sont exacts et sont advenus à des personnes, des amis, dans de vraies villes ou campagnes. De nombreuses références historiques peuvent être contrôlées et confrontées.

Notez également qu’il s’agit des premiers mois de ce conflit. Les idées, les questions concernant des personnalités, des autorités politiques, des choix diplomatiques se rapportent à cette période précise et peuvent changer ou perdurer.

Les messages de guerre sont vrais. Ils font maintenant partie de la mémoire collective de l’Ukraine. La traduction Google est parfois étrange et j’ai corrigé certains passages par souci de clarté. Même si les expéditeurs sont différents, leurs identités sont préservées. Les messages de guerre sont de véritables moments, intenses et tristes.

Messages de guerre

Messages de guerre 1

Ukraine/Kharkiv J1

Entrée en guerre : invasion barbare

[24/02 à 06:25] Galina : Ce matin, à 4 h 30. Les explosions ont commencé autour de la ville. Puis à 7 h, une autre série d’explosions. Personne ne sait encore. Bonjour.

[24/02 à 08:08] Galina : Cette opération d’artillerie antiaérienne a fonctionné dans toutes les villes d’Ukraine. Les aéroports sont fermés où qu’ils soient. La connexion est terrible.

[24/02 à 08:09] Galina : Les traductions sont difficiles. J’écrirai sans traduction.

[24/02 à 08:16] Galina : Les nouvelles ont rapporté que la Russie a attaqué l’Ukraine.

[24/02 à 08:17] Galina : Un aérodrome militaire près de Kharkov a été bombardé.

[24/02 à 08:18] Galina : Tout le monde est assis à la maison aujourd’hui. Les enfants n’allaient pas à l’école, tout le monde devait rester chez eux. Le transport ne s’exécute pas.

[24/02 à 08:26] Galina : Guerre.

Ukraine pensées éparpillées

Nous sommes plus nombreux, peut-être une petite centaine. Nous sommes sales, nous avons froid. Ils nous regroupent et nous envoient construire des hangars. Il est difficile de penser, le froid est un supplice, j’enfouis mon nez dans ma chemise pour ne pas brûler mes poumons. Je pue la sueur froide, déposée sur mon corps négligé. Au loin, le ciel est une fumée zèbre noir, rouge et des explosions régulières allument l’horizon comme une guirlande de Noël ou une ceinture d’explosifs. Le sifflement des bombes se rapproche irrémédiablement.

Un nouveau venu raconte qu’ils ont abattu une tour résidentielle avec des missiles, un autre parle d’un enfant et des coups de crosse. Ils sèment la mort comme la vermine et iront jusqu’à Paris, si personne ne se lève.

Un garde hurle et je le comprends mal, il pousse une femme avec son pied. Elle s’effondre dans la terre noire. D’autres soldats sur le chemin boueux plaisantent en fumant leurs cigarettes. J’envie leurs bottes et leurs pèlerines. Le mois de février est un mois terrible en Ukraine.

Une large estafilade rampe sur le visage de la femme écroulée. Le sang ruisselle et se mêle aux larmes. Elle me regarde de ses yeux si lumineux que je suis presque effrayé. Elle murmure péniblement et me questionne : « Que fais-tu là étranger ? » Elle ne peut pas finir sa phrase, le soldat la relève brutalement en lui agrippant les cheveux. La femme grimace de douleur, son visage se tord, son regard se perd. Il hurle encore et les rires au loin martèlent mon âme comme le ressac d’une mer tourmentée. L’homme s’éloigne en tirant sa victime qui trébuche encore. Je les perds de vue rapidement.

Puis-je répondre ? Ce matin, je dormais chez moi en France. C’est le téléphone. La guerre. À présent, je suis ici et je témoigne. Que fait donc ma patrie ? Mon pays aurait-il perdu les valeurs fortes dont il se gargarise ? Mon gouvernement a certainement conscience du mal qui se répand, mais les influences néfastes ne détruisent-elles pas sa conscience ? Il aide avec frayeur, il participe derrière la frontière. Lors de l’annexion de la Crimée, il a, comme tant d’autres, pactisé avec le diable. Sa peur lui noue le ventre. Le politique fantoche sombre dans une incrédulité absurde. Nous savions que cela allait se produire. Nos présidents et les laquais ont ignoré ce qu’il fallait voir. C’est un grave défaut d’anticipation. Défaut ou crime ? La Russie a déclaré la guerre mondiale, même si nous faisons tout pour la voir différemment. Je sais qu’il reste des hommes en France.

Messages de guerre 2

Ukraine/Kharkiv J1

[24/02 à 08:37] Galina : Ils ont attaqué toutes les frontières.

[24/02 à 08:42] Galina : Encore des explosions.

[24/02 à 08:42] Galina : Leurs avions et hélicoptères ont été abattus. L’armée tient le coup.

[24/02 à 08:48] Galina : Bombardement de l’aéroport de Boryspil.

[24/02 à 08:49] Galina : Explosions constantes.

[24/02 à 08:53] Galina : Des chars en provenance de Donetsk.

[24/02 à 08:53] Galina : Pas de connexion téléphonique.

[24/02 à 08:54] Galina : Uniquement via internet pour l’instant.

[24/02 à 09:10] Galina : Nous avons instauré la loi martiale.

[24/02 à 09:19] Galina : La connexion est perdue. Ne vous inquiétez pas. Je vous contacterai dès que possible.

[24/02 à 09:20] Galina : 5 avions et 2 hélicoptères russes abattus. 2 réservoirs détruits.

Invasion. Guerre de la honte

Le soir, sur la planche, exposé au froid qui gerce le souffle, je me blottis contre mes voisins. Il n’y a ni roi, ni prince, ni clochard, ni ouvrier, c’est dans l’adversité que les classes peuvent disparaître. Je me souviens de mon arrestation. Avec un groupe d’Ukrainiens, nous cherchions à dégager les enfants survivants, gémissant dans le sous-sol de l’hôpital que les envahisseurs avaient bombardé. J’ai été séparé du groupe et je me suis égaré dans les rues adjacentes. La patrouille s’est emparée de moi, au détour d’un petit parc. Ils avaient beau parler fort, je ne comprenais rien. Ils commencèrent à me tabasser, mais ils comprirent rapidement que j’étais étranger. Un nuage de poussière rouge obscurcit toujours ma vue. Je me redresse, encore abasourdi.

Ils discutent entre eux, j’imagine leur cervelle cogner contre leur casque, ils étaient loin d’envisager cette éventualité. J’ai peur, ils peuvent m’abattre, me jeter dans les gravats et continuer leur chemin. Il n’y a rien à attendre d’un envahisseur, lui-même opprimé en son pays.

Des camions approchent, précédés d’un halftrack qui déchire le bitume de la chaussée. Ils viennent avec du matériel vieilli, obsolète, qu’ils abandonnent sur le chemin. Le vacarme est épouvantable, ils avancent lentement, encadrés de patrouilles fouillant les alentours… Est-ce de la fumée ou de la poussière ? Je survis pour le moment.

Messages de guerre 3

Ukraine/Kharkiv J1

[24/02 à 15:32] Galina : 15 chars avec équipage se sont envolés pour l’enfer.

[24/02 à 15:35] Galina : Ce sont les Russes qui font exploser les dépôts d’artillerie.

[24/02 à 15:57] Galina : Ils ont attrapé des saboteurs à Tchernobyl. Il s’avère que les gardes SBU protègent très soigneusement.

[24/02 à 16:07] Galina : La Turquie et l’OTAN ont fermé la mer Noire aux navires russes.

[24/02 à 16:08] Galina : Oh, Macron à la télé.

[24/02 à 16:09] Galina : Il a déclaré que la France soutiendrait l’Ukraine de toutes ses capacités.

[24/02 à 16:10] Galina : La Pologne ouvre les frontières à nos réfugiés.

[24/02 à 16:14] Galina : À Kiev, des stations de métro ont été ouvertes comme abris anti-bombes. La nuit, ils attendent les bombardements et l’atterrissage. Quartier gouvernemental évacué et caché.

[24/02 à 16:15] Galina : À Kharkiv aussi, le métro est transformé en abris. La nuit, ils attendent une attaque. La frontière est trop proche.

[24/02 à 16:20] Galina : Couvre-feu imposé dans toutes les villes.

[24/02 à 16:26] Galina : Explosions à nouveau.

[24/02 à 17:17] Galina : Une escouade de reconnaissance complète s’est rendue. Avec le commandant. On leur a dit qu’ils étaient aux exercices et hier ils ont donné l’ordre d’avancer sur l’Ukraine.

[24/02 à 17:19] Galina : Et il y en a déjà beaucoup. Ils ne veulent pas mourir pour Poutine.

[24/02 à 17:24] Galina : La Russie a fait sauter un barrage près de Kharkov. Inonde les gens et leurs maisons.

[24/02 à 17:30] Galina : Maintenant, il a été rapporté que les sanctions entreront en vigueur à partir de demain.

[24/02 à 18:29] Galina : Les Russes ont saisi la centrale de Tchernobyl et le dépôt de déchets nucléaires. Ainsi que l’aérodrome.

[24/02 à 18:32] Galina : Rien ne l’arrêtera. Il aurait dû être tué plus tôt.

[24/02 à 21:17] Galina : Il y a des combats de rue et les Russes sont durement battus.

[24/02 à 21:21] Galina : Je n’arrive pas à dormir. Tout gronde. Explosions constantes.

[24/02 à 22:53] Galina : Nous vaincrons les cochons russes.

Ukraine, sang et liberté

Ce matin, ils sont venus me chercher. 2 soldats m’ont poussé à l’arrière d’un 4x4. Ils ont laissé la bâche ouverte. Je me suis assis dans un coin. La tôle ondulée était glacée. Par endroit, je voyais des éclats de rouille, je pensais tache de sang.

Ils roulent longtemps et vite. J’ai du mal à me retenir. Agrippés, mes doigts, sous la manche, gèlent et je les ressens comme des baguettes pouvant se briser au moindre choc. Le vent s’engouffre sous mon col, comme une épée glissante, sur son tranchant, entamant la peau. Je pleure… mes larmes se craquellent sur mes joues. Des champs à perte de vue, de la neige, de la glace, des fossés, des rangées de buissons, la terre noire, grasse et collante, mes yeux myopes s’égarent. L’odeur de gasoil, d’huile, de poudre se suspend au temps, je crains de devoir à nouveau vomir.

Nous sommes entrés en ville, une grande ville, témoins des horreurs d’un passé qui revient aujourd’hui. Ici, les tours succèdent aux tours, des barres d’immeubles après d’autres barres d’immeubles, tout évoque un passé industriel implacable, l’oppression, la route glacée de kalyma, les goulags… encore les morts, les morts d’une dictature qui se nourrit de son sang.

J’ai froid, cela fait des heures que nous roulons. Un seul arrêt, en rase campagne, je pisse. Le conducteur me tend une cigarette. À la première bouffée, je m’étouffe, je crache un filet de sang, je tombe à genoux sur le sol. Nous reprenons la route. Le bruit du moteur me berce et je m’imagine collé à sa chaleur, comme un enfant au creux des bras de sa mère. Je perds tellement de pensées et d’idées, le vent les emporte. Je ne peux les retenir et je les oublie.

Messages de guerre 4

Ukraine/Kharkiv J2

[25/02 à 06:07] Galina : Très mauvais en périphérie de la ville… Il y a beaucoup d’équipement militaire de l’Ukraine. Les gens ont passé la nuit dans les sous-sols, car il s’est avéré… que les huitième et neuvième étages des immeubles de grande hauteur sont très dangereux avec des missiles.

[25/02 à 06:10] Galina : Ils veulent des poches de sang. Il n’y en a pas assez dans la réserve du pays. Je voudrais réfléchir à la façon de me rendre à l’hôpital. Kiev est le cauchemar du bombardier avec ses missiles balistiques.

[25/02 à 06:24] Galina : Début des explosions.

[25/02 à 10:08] Galina : Ils ont choisi de passer près de Kharkiv. Les explosions tout le temps.

[25/02 à 10:45] Galina : L’Ukraine explose. Les Russes marchent en colonnes de chars.

[25/02 à 10:46] Galina : Ils s’approchent des frontières de l’Union européenne. La querelle avec l’Europe est différente.

[25/02 à 10:50] Galina : J’ai parlé à l’ambassade de France. L’une des filles a aidé à écrire mes coordonnées, mais elle ne peut rien faire.

[25/02 à 11:33] Galina : J’ai acheté des médicaments, à l’épicentre. Les gens ne souffrent pas encore de faim dans la ville. Vous pouvez faire des crêpes avec du pain.

[25/02 à 12:42] Galina : À Kharkov, la station de métro est actuellement à ciel ouvert à 15 h au moment des bombardements.

[25/02 à 21:19] Galina : On ne dort pas. Nous avons des bombardements, des fusées volantes et des avions. L’éclairage des rues de notre district a été éteint. Bien qu’il y ait de l’électricité dans la maison.

[25/02 à 21:19] Galina : Les experts disent qu’il faut tenir jusqu’à dimanche.

[25/02 à 21:21] Galina : Bonne nuit à toi. Si tout se passe bien demain matin, je vous tiendrai au courant.

Ukraine pillage

Caché dans la cabine d’un camion renversé, j’observe le convoi. Ça pue la graisse et le pneu brûlé. Le siège passager est retourné, défoncé et forme une niche où je me serre et me contraint. À travers le pare-brise fendillé, je vois toute la rue, derrière la bouche de métro dont l’enseigne est effondrée. Sur l’immeuble en face, une brèche de trois étages déchire la façade et j’aperçois, étrangement préservés, un berceau d’enfant, une table à langer et un ours en peluche gris, accrochés au mur, reliques étranges que les poutres retiennent, refusant de tomber dans la rue.

Les étrangers pillent les boutiques, je les vois par groupe de trois, entrer dans les boutiques en sous-sol, chercher des valeurs et de la nourriture. Ils brisent les vitrines, arrachent les portes, les devantures. Ce sont des destructeurs programmés par la folie d’une junte vaniteuse. Mais, ils savent parfaitement ce qu’ils font.

Dans le lointain, les explosions sont plus rares, mais plus violentes. Des odeurs de gaz et parfois d’égouts refluent. Elles traversent mon écharpe et même si je cherche à retenir mon souffle, m’envahissent et me perturbent. Plus loin, une mare s’est formée, en contrebas du trottoir, eau sale, croupie, en grande partie gelée par cet hiver qui nous poursuit.

Ici, dans ce pays que je connais bien, il y a, comme partout, des lâches et des courageux. J’en connais qui se cachent et j’espère que plus tard la justice saura les trouver.

Comment en être arrivé là ? Nous sommes tous responsables.

Le vent du passé, pure construction de l’esprit, érode le tissu des terres solides, bouclier de notre existence. J’ai couru hors de la ville, je rentre dans un bois épais. Je me prolonge sur un sentier tortueux, cherchant une clairière, un abri pour la nuit. Je veux me cacher, oublier les tueurs. Les arbres sont hauts et les premières branches sont hors de portée. La nuit, des souvenirs rôdent, des bêtes parfois malveillantes que j’élève depuis ma jeunesse.

Lorsqu’il fait jour, la mémoire se cache de la pauvre lumière traversant les feuillages. Je n’aime pas affronter ce qui mérite rédemption. L’évidence chasse l’incertitude. J’ose exercer le contrôle, un espace de temps, me demandant quand ils comprendront qu’il n’y a rien à pardonner et que la revanche ronge celui qui la nourrit. Les ombres peuvent-elles comprendre cela ? Elles peuvent tuer et détruire, sans fierté ni honneur, elles sont déjà vaincues. Mon esprit devient traumatisme, l’horreur de mon témoignage n’est qu’un symptôme dans la lutte contre le fléau que je décris.

La futaie est épaisse, autant de broussailles et de fougères ralentissant mon parcours. Le sentier, juste une ligne dessinée, m’entraîne sans doute sur mes propres pas. Recommencer, c’est avancer, comme Kipling, qui d’un « si », se met à rebâtir. Et nous avons besoin de rebâtir, recréer, reconstruire une société moins criminelle, plus morale et plus humaine. Mais, ce n’est pas facile, je n’ai pas d’exemples, je ne suis pas certain que mon pays y soit parvenu.

Messages de guerre 5

Ukraine/Kharkiv J3

[26/02 à 09:13] Galina : L’électricité, l’eau, le gaz sont toujours disponibles dans notre quartier. Il y a des dégâts dans d’autres quartiers de la ville.

[26/02 à 09:14] Galina : Les Russes ont fait sauter le bâtiment de l’Institut de physique. Il y a un réacteur nucléaire là-bas.

[26/02 à 09:15] Galina : Il y a beaucoup d’animaux morts dans le parc. Les Russes l’ont délibérément bombardé.

[26/02 à 09:39] Galina : Je resterai avec mon pays.

[26/02 à 12:44] Galina : Des cochons russes ont tenté de faire exploser l’Académie de la Garde nationale avec un missile. Les roquettes n’ont pas explosé, mais il y a un grand marché alimentaire à proximité. Ils ont mis le feu à la base avec du combustible. Tout est en feu. Une seule usine cuit du pain. Ce n’est pas suffisant pour une telle ville.

[26/02 à 12:45] Galina : Le reste des usines de pain sont en feu. Les porcs russes détruisent délibérément l’infrastructure des villes.

[26/02 à 12:46] Galina : Nous avons un couvre-feu de 18 h à 6 h. Nous ne pouvons pas être dans la rue. Tous ceux qui sont dans la rue sont considérés comme des saboteurs et tués.

[26/02 à 12:48] Galina : Notre président s’est avéré être un vrai homme. Et un bon commandant en chef. Ce fut une surprise pour tout le monde.

[26/02 à 12:48] Galina : C’est un vrai leader.

[26/02 à 12:50] Galina : Il y a une véritable horreur à Kiev. Mais il y a des héros là-bas. Les saboteurs russes sont tués à mains nues. Combien d’entre eux sont entrés dans la ville !

[26/02 à 12:53] Galina : Les ambulances et la police se précipitent. Avec sirènes. Par conséquent, il y a une bataille juste à l’extérieur de la ville. Explosions constantes et alarme de raid aérien.

[26/02 à 13:17] Galina : Nous avons maintenant la communication gratuite et Internet.

[26/02 à 13:17] Galina : Le transport est gratuit.

[26/02 à 13:19] Galina : À Kharkov, des habitants ont sorti des Russes blessés d’un char et les ont battus à mort avec des bâtons. Je suis choqué par notre peuple. Voici les Ukrainiens russophones.

[26/02 à 13:20] Galina : Les porcs russes restent toujours et partout des porcs russes.

[26/02 à 13:22] Galina : Le pays s’est étonnamment réuni et s’est uni. L’effet est inattendu.

[26/02 à 13:26] Galina : Le président a refusé d’évacuer et est constamment à la télévision.

[26/02 à 13:27] Galina : Nous avons aussi des héros tragiques. C’est tellement triste.

Crimes. Génocide et accessoires

Enfin, l’agresseur est connu, et rien ne lui rendra plus honneur que sa condamnation unanime. Les mots désignant le maître du kremlin sont malheureusement légitimes. Ils résonnent comme des souillures glanées par le mensonge, le meurtre et l’indifférence, pour des millions de personnes voracement privées de leur toit, de leurs enfants, et trop souvent de leur propre vie.

Chacun a le droit de raconter, de s’exprimer et d’interroger la société. Faut-il gratter le vernis de nombreux préjugés, exposer des éléments controversés, des intérêts sombres ? Comment obtenir de la pertinence ? Faut-il labourer, jour après jour, en espérant une récolte fructueuse de valeurs, de responsabilités, de civilisations ? J’attends donc de la violence et de la vindicte, espérant que les idées dépassent les émotions.

Tolkien avait-il parlé d’un âge sombre ? En l’absence d’une tour ornée de l’œil, les Russes et leurs chefs représentent des forces bien trop obscures pour prétendre à l’honnêteté. Leur nation, leur moralité, leurs qualités sont compromises. Faut-il vraiment être triste pour des minorités comme les artistes, les sportifs ? Mais, cessons un instant d’argumenter pour simplement paraître et exister. Leur dirigeant a décidé en leur nom, ne laissant aucune place à la controverse. Et si la responsabilité n’implique pas la culpabilité, personnellement je n’ai guère envie d’accueillir un russe dont le frère tue peut-être des amis en Ukraine, tue des humains en Europe. Je ne vois d’ailleurs pas, à part quelques initiatives isolées, réagir publiquement, les milliers de Russes ayant quitté leur pays. Je crois surtout que pour bon nombre, ils profitent de l’occasion d’échapper à l’asservissement et à la mort. Ils cherchent refuge dans des contrées moins hostiles et profitent ainsi des bienfaits d’une société moins figée, moins autoritaire. Mais la passivité les enchaîne davantage aux choix de leur pays. De facto, il me semble naturel qu’ils endossent et assument également une part des responsabilités. Notez bien que le russe n’est pas un diable. Pris individuellement, il est l’égal des milliards d’humains peuplant notre planète. Mais, retenez qu’ils sont tous ambassadeurs de leur pays et des choix d’un régime fou. Enfin, les propos de leurs porte-parole, de leurs représentants, ou de leur président sonnent faux. Les délires égocentriques et mégalomaniaques, le révisionnisme forcené, le mépris exprimé sont si choquants qu’ils entraînent et associent leur population à la cruauté et la violence de choix archaïques.

Les termes d’assassins, de meurtriers, de criminels sont parfaitement justifiés pour désigner ceux qui tuent d’autres hommes, et un casque de soldat ne sauvera pas celui qui le porte. Quel pays peut-il être cité en exemple ? C’est toujours le problème de la première pierre et c’est bien souvent l’argument du coupable.

Un autre mot revient régulièrement pour désigner ces envahisseurs. De nombreux Ukrainiens les nomment, en toute connaissance, les cochons. Au-delà de l’animosité historique due aux atrocités commises par l’Union soviétique en Ukraine, force est de constater qu’ils agissent comme tels. Connaissez-vous l’histoire de cette grande maison que les soudards russes, en pleine retraite, venaient de quitter ? Ils avaient souillé toutes les pièces de leurs déjections après l’avoir pillée. Avec leurs doigts de soldat (noble et franc ?), les faux justiciers ont étalé leur merde et leur pisse sur les murs et les planchers. Puis, ils sont partis, le sac rempli de prises de courant démontées sur les murs. C’est un simple exemple multipliable et exponentiel. Oui, ils souillent une population jugée inférieure et servile. Leur comportement rappelle les esclavagistes et les routes de l’or noir. Beaucoup de minorités composent la Fédération de Russie et je me demande la place qu’elles occupent au service d’une communauté qui les a historiquement envahie et massacrée ?

Les termes comme bourreaux, bouchers et chevillards sont bien sûr d’actualité puisque le spectacle quotidien des actes barbares prouve la malfaisance. Devrais-je évoquer Butcha ? Irpin ? Les charniers de Kiev ? Le zoo de Kharkiv ? Et ce n’est pas fini, beaucoup d’autres noms viendront compléter la liste des atrocités.

De toute façon, un soldat, un humain (bleu, vert ou jaune) qui attaque un voisin chez lui, est un criminel. N’en déplaise aux personnes qui souhaitent intellectualiser ou trouver des circonstances atténuantes. Cela ressemble à un quatrième Reich dont la devise est de circonstances : un peuple, un empire, un guide. La seule vraie question est de savoir comment nommer celui qui tue pour défendre sa maison et sa famille. C’est un criminel assurément. Mais son innocence face à l’agression barbare donne à ce personnage, une dimension héroïque et une charge sacrée. Mais attention, le droit ne légitime pas la sauvagerie et nous sommes tous impliqués pour dénoncer les coupables. En aparté, je note également que la France permet les manifestations néonazies à Paris. Et cela me paraît inquiétant.

Enfin, Poutine et sa clique sont loin d’être les meilleurs tueurs de ces cent dernières années. Mao est certainement le plus effroyable avec plus de 70 millions de vies supprimées, suivi de Staline avec près de 30 millions de vies prises dont 7 à 10 millions d’Ukrainiens, 68 millions de déportations souvent sans retour. Hitler, 25 millions dont 6 millions de juifs. Poutine est loin du compte, même si sa férocité et son absence de compassion le rapprochent des tueurs abjects qui l’ont précédé. Nous n’oublions pas ceux qui les accompagnent dans cette boucherie ignoble. Chaque société dispose de ses tueurs, que l’on soit au moyen orient, en Amérique latine, en Asie, en Afrique, en Europe, aux États-Unis, les dictateurs effroyables sont nombreux et leurs motivations délirantes, cruelles, criminelles. Mais encore une fois, ne perdons pas de vue notre propre passé qui nous disqualifie de commentaires trop faciles.

Les génocides sont finalement assez fréquents dans l’histoire du monde et bien peu se révoltent fermement devant ce type d’extermination. Les tribus rwandaises, les Kurdes, les Tatars de Crimée, les ouïghours, le peuple khmer, c’est tribal, mais il est question de race et de territoire, parfois de religion. Il est difficile pour les populations occidentales de juger les conflits et de raisonner en toute connaissance, en termes de droits humains, de justice et peut-être d’évolution. Nous sommes tous du même sang et nous avons commis et commettons toujours les mêmes erreurs. Nous n’avons pas le privilège du bien. La démocratie, la liberté d’opinion, la liberté religieuse ont permis d’apaiser les populations et d’éviter les nouveaux conflits meurtriers entre les multiples pays qui ont adopté ce modèle. La reconnaissance de l’humain, le respect de l’identité individuelle ont prouvé depuis plusieurs décennies, leur supériorité sur les concepts oligarchiques basés sur l’exploitation des populations. Évidemment, nous sommes choqués, mais détournés (ou manipulés ?) par les médias, les réseaux sociaux et nos dirigeants, nous dormons. Toujours exposés à une actualité ciblée, répétitive, à un journalisme parfois compromis ou ambigu, nous sommes coincés entre la réforme des retraites, la déliquescence du respect envers nos administrations, l’immigration, la sécurité, la criminalité présumée avérée d’un ancien président qui se retrouverait alors en position d’usurpateur. Nous sommes forcés à l’incapacité. Comment réclamer justice pour des atrocités pourtant si proches ? Nous passons la main, enrichissons les cadres de l’action sociale et humanitaire et nous nous concentrons sur le confort, le bien-être et l’oubli.

Aujourd’hui, les hordes sont devant nous, leurs arguments fumeux ne passent pas, nous sommes en Europe et nous savons intuitivement où chercher la vérité. Aucune personnalité politique honnête ne peut agréer ces massacres et se livrer à des compromis dégradants. S’il faut suivre ou précéder les États-Unis, il ne faut pas hésiter, le danger est trop grand pour faiblir devant les hordes barbares. Seuls les indignes, les lâches ou les félons chercheront à nous nuire en signant des pactes noirs. Chaque jour, nous voyons des gens décimer une population, voler les terres et projeter leur semence et leurs fluides dans des lits qui ne sont pas les leurs. Et je dirais souvent que si vous êtes choqué, si ce que j’écris vous empêche de protester contre la hausse des carburants, allez en Ukraine avec votre famille, en 3 heures vous y êtes. Passez quelques jours et téléphonez-moi.

Génocide, crimes de guerre, crimes contre l’humanité, voilà des mots pour les juristes et les savants. Me concernant, je préfère la simplicité et rester devant les faits en laissant aux énarques le soin des définitions. La Russie a envahi l’Ukraine, tous les actes commis sont des éléments à charge. Qu’ils tuent des soldats défendant leur pays ou des enfants dans les rues, il n’y a aucune différence. Dans les deux cas, ils sont coupables de meurtres et d’atrocités. Chercher des mots pompeux ou encore excuser le meurtre de soldats est une perversion de la réalité. Le mot « soldat » n’est pas déshumanisant. Ce n’est pas un attribut qui excuse l’abominable ou autorise l’exécution légitime. Je pense qu’il faut être vigilant et je crains que des discours interminables atténuent les charges.