Il n’y a pas d’homme déchet - Fulgence N’guetta - E-Book

Il n’y a pas d’homme déchet E-Book

Fulgence N’guetta

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Beschreibung

Fulgence N’Guetta interroge la nature paradoxale de la liberté, cette plus belle expression de la vie, devenue parfois son propre tombeau. Comment ce cri de l’âme, qui appelle à la vie et murmure le nom de Dieu, a-t-il pu mener à l’homicide et au déicide ? Si la liberté engendre le chaos et l’extinction, alors son essence nous échappe encore. Elle ne saurait exister contre l’autre ni se souiller du sang innocent, sans quoi nous ne portons que les chaînes de l’esclavage au cou pensant porter des médailles d’honneur de la liberté. Car, en vérité, il n’y a pas d’homme déchet, seulement des libertés dévoyées.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Religieux-prêtre du Sacré-Cœur de Jésus, Fulgence N’Guetta conjugue foi et savoir au service de l’humain. Formé à l’institut catholique de Paris en écoute et accompagnement psychologique et spirituel, il est aujourd’hui recteur du Sanctuaire Notre-Dame de Bétharram, près de Lourdes. Scientifique de formation, il poursuit ses recherches en théologie spirituelle et morale à l’Institut Catholique de Toulouse, enrichissant ainsi sa réflexion à la croisée de la science et de la foi. Auteur de Dans les profondeurs d’une vie, publié par les Éditions Persée, il invite à une exploration spirituelle et humaine d’une rare profondeur.

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Seitenzahl: 267

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Fulgence N’Guetta

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Il n’y a pas d’homme déchet

Essai

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© Lys Bleu Éditions – Fulgence N’Guetta

ISBN : 979-10-422-6391-1

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le Visage de Dieuet les cheminsde l’Homme

L’aube d’un monde nouveau

 

 

 

 

 

Introduction

 

 

 

Ce n’est plus suffisant de proclamer des droits fondamentaux de l’homme de notre temps. Fini le « deux poids deux mesures ». C’est l’heure de la vérité matérialisée par le soulèvement des populations un peu partout sur la planète qui crient leur ras-le-bol contre les puissances dirigeantes mondiales. Ce n’est pas tôt, mais elles ont compris en fin de compte que la liberté ne se donne pas, elle s’arrache.

Il est temps d’œuvrer concrètement pour le bien de tout homme, d’instaurer des meilleures conditions de vie pour tous dans une liberté plus responsable, respectueuse de la dignité et de la valeur de la personne humaine, de l’égalité des droits des hommes et des femmes, de la vie humaine sous toutes ses formes.

 

La personne humaine est sacrée, c’est pourquoi sa dignité est aussi sacrée et inviolable. Nous sommes des personnes humaines parce que créées à l’image des personnes divines. Autrefois, nous n’étions que des simples serviteurs de Dieu et de la vie. Mais aujourd’hui, par le mystère de l’Incarnation, nous sommes devenus des héritiers de Dieu et de la vie divine. « Je ne vous appelle plus serviteurs – dit Jésus à ses disciples –, car le serviteur ne sait pas ce que fait son maître ; je vous appelle mes amis, car tout ce que j’ai entendu de mon Père, je vous l’ai fait connaître » (Jn 15, 15).

En fait, pour être plus explicite, l’incarnation représente la fondation et les piliers, mieux le socle sur lequel l’édifice de la dignité humaine a besoin d’être bâti pour un développement intégral de la personne humaine. Le mystère de l’Incarnation est éminemment un mystère de la foi. Et la foi est le principe premier de toute réflexion théologique. D’autant plus que la théologie elle-même est la foi qui cherche à se comprendre. La foi en Jésus Christ et son accueil dans l’histoire des hommes pour leur salut constituent le cœur même de l’Évangile. Ce dernier trouve sa saveur dans le fait qu’il traite de l’homme concret, de ses peines, de ses joies, de ses projets, mieux de son histoire. L’incarnation reste le mystère qui fait voir en l’autre le Visage de Dieu.

En ce sens, s’il fallait proposer un titre aux quatre évangiles réunis en un seul et même livre, il pourrait ainsi s’intituler : « la dignité humaine, un projet cher au Fils de Dieu ». L’Évangile prend donc en compte l’homme dans son évolution et dans sa condition de pécheur en chemin de conversion.

Ici, il s’agit certes d’une entreprise théologique, mais il ne sera fait aucune économie des autres disciplines susceptibles de faire de précieux apports. Loin d’être un système clos, la théologie est ouverte à d’éventuelles formes de connaissances. Car il s’agit de mobiliser toutes les forces dont dispose l’être humain pour voler au secours de sa dignité en péril.

À observer de plus près, il est clair que nous sommes dans un monde où l’être humain ne vit pratiquement plus, mais lutte pour survivre. C’est une lutte, un combat entre les puissants de la planète – qui recherchent par tous les moyens à accroître leur richesse – et les plus faibles – c’est-à-dire la masse populaire, les peuples de la périphérie – qui sont considérés « plus comme un obstacle dont il faut se débarrasser que des êtres humains ayant la même dignité que tout un chacun, et avec des droits acquis 1».

Nous ne cesserons jamais de clamer haut et fort la dignité humaine qui est, en fait, cette valeur qui relie le ciel à la terre pour l’y faire ensuite descendre ; elle est cette force qui maintient l’équilibre de la planète quand elle est respectée et mise en valeur comme il se doit. Chaque fois donc que cette valeur fondamentale ne sera pas reconnue, mais au contraire violée et contrainte à se réfugier aux périphéries des villes – comme c’est le cas en Amazonie et dans bien d’autres parties du globe –, le Visage de Dieu ne cessera d’apparaître aux croisées des routes humaines.

Bien sûr, il ne suffit pas de critiquer, de crier sur tous les toits : où est-ce que j’en suis moi-même et qu’est-ce que je fais à mon niveau pour que les choses changent ? Car si nous ne pouvons pas changer les choses, nous avons au moins la possibilité de les vivre autrement. D’ailleurs, si la plupart du temps les choses tardent à changer et dégénèrent, c’est en partie à cause des chrétiens qui manquent de courage et de volonté d’action. Il est certes vrai que notre contribution personnelle est comme une goutte d’eau dans l’océan. Mais qui sait la quantité de sel qu’il a fallu pour saler toute la mer. Il est temps de se mettre au service de l’homme. C’est le seul moyen pour devenir sel et lumière pour notre monde qui a tant besoin de saveur et de clarté évangéliques.

Nous croyons en Dieu, c’est une bonne chose et il n’y a rien de plus merveilleux. Mais sachons que Dieu nous invite aussi à avoir foi en l’homme ; car lui le premier a cru en l’homme. « La profession de la foi chrétienne est solidairement une foi en Dieu Père, Fils et Esprit et une foi en Jésus, Verbe incarné, donc une foi en l’homme 2». On ne peut professer sa foi en Dieu sans proclamer dans le même temps sa foi dans les droits fondamentaux de l’être humain, dans sa dignité et dans la valeur de la personne humaine en tant qu’image ressemblante de ce Dieu digne de foi. Jésus Christ est vrai Dieu et vrai homme. On ne peut donc pas prétendre croire en Dieu et nier en l’homme sa valeur et sa dignité.

D’aucuns pensent qu’il ne vaut plus la peine d’écrire sur la dignité de la personne humaine tant ce sujet a été traité et développé, dans tous les sens, par les plus grands spécialistes. Nous ne partageons pas ce point de vue, car la question de la dignité humaine se pose toujours et partout. Le monde évolue, et l’être humain aussi. Les menaces contre la dignité humaine sont en continuelle et rapide mutation. Le nombre d’hommes, de femmes et d’enfants, défigurés par l’indifférence totale des acteurs économiques, et qui voient leur environnement détruit, augmente ; ce qui leur « permettait de s’alimenter, de se soigner et d’avoir une identité3 » est réduit à néant. En d’autres termes, de nouveaux défis se présentent à nous et demandent à être relevés.

De nouvelles formes de consciences ne tarissent pas d’imaginations pour élaborer de nouvelles méthodes dont la fin ultime est de vider l’humanité de son essence c’est-à-dire de sa dignité. Aucun être humain – digne de ce nom évidemment – ne peut rester insensible devant le spectacle de l’exploitation de l’homme par l’homme : l’homme pauvre devient la propriété de l’homme riche ; l’homme faible est à la merci de l’homme fort ; l’ignorant devient « la chose » du sachant.

D’où nous vient cette idée obscure qu’il y a des êtres humains supérieurs et des êtres humains inférieurs ? Le monde va en reculant. C’est à raison que nous osons affirmer que dans le domaine du vivre ensemble, l’humanité évolue de façon radicalement régressive. Sans trop exagérer, il serait plus difficile à une personne humaine de vivre à côté d’une autre qu’à un chien de cohabiter avec un chat.

Il s’ensuit que le plus grand drame de notre siècle est la négation de l’homme, de sa dignité, de sa valeur existentielle. C’est l’individualisme qui entretient ce drame. Où allons-nous ? L’humanité fonce tout droit et en pleine vitesse « dans une situation de menace extrême »4. Il faut agir, et c’est maintenant, si nous comptons laisser un héritage planétaire qui promeut la vie à nos progénitures.

Avons-nous pensé un seul instant à ce que sera le globe terrestre dans une centaine d’années, avec ce rythme de destruction ? C’est aujourd’hui que demain se prépare ; que chacun prenne à cœur le destin du globe. Quittons l’étape de l’abstrait, de l’illusion et de la spéculation stérile pour passer à celle de l’action, de la réalisation et de la concrétisation. Ce dont notre monde a le plus besoin actuellement, c’est avant tout des femmes et des hommes avisés, déterminés à œuvrer pour la sauvegarde de la « maison commune ». C’est avec eux que nous parviendrons « à réaliser les changements les plus inattendus, à vaincre les résistances et les obstacles les plus forts, et donc à rester, malgré la permanence de la violence, de la souffrance et de la mort, des femmes et des hommes de l’avenir »5.

En réalité, c’est par notre intimité profonde avec le Dieu qui se soucie de l’homme et par notre disponibilité à son Esprit que nous parviendrons à accomplir cet exploit. Le sens de nos engagements les plus concrets dans les débats de notre époque et leurs impacts culturels, politiques, moraux et sociaux est défini par le Dieu qui pour l’homme s’est fait homme.

Ainsi, quelles conséquences tirer de cette intimité pour le développement concret de l’être humain dans le monde contemporain ? En quoi consisterait un développement qui prendrait en compte toutes les dimensions de la personne humaine ? Comment porter à sa plus haute valeur la dignité sacrée de l’homme, principe d’égalité ontologique de tous les êtres humains, qui se doit d’être inviolable, quelle que soit la condition existentielle de ceux-ci ? Comment reconnaître enfin le Christ, Visage du Père à la croisée des routes humaines, venu exalter l’être humain, chef-d’œuvre de Dieu ?

 

 

 

 

 

Chapitre 1

Il n’y a pas d’homme déchet

 

 

 

Qui que nous sommes, où que nous soyons et quoi que nous fassions, il est temps de nous arrêter un moment devant cette nécessité ontologique : reconnaître en toute personne – quel que soit son âge, sa classe sociale, sa couleur – un être humain à part entière.

 

La conscience contemporaine est tributaire, d’une façon ou d’une autre, de l’héritage des maîtres du soupçon. Leurs pensées ont marqué profondément la culture, le mode de penser et même la manière de concevoir le rapport de l’homme à Dieu de notre époque.

Déjà la question de Dieu était assez difficile à surmonter. Comme si cela ne suffisait pas, il a fallu les déclarations fracassantes des maîtres du soupçon pour envenimer la situation. Ce mouvement pour affranchir l’homme de toute transcendance asservissante n’est pas moins l’une des racines principales de l’athéisme et de l’indifférence religieuse. La Parole de Dieu est on ne peut plus claire : « ne croyez pas à n’importe quel inspiré, mais examinez les inspirations pour voir si elles viennent de Dieu, car beaucoup de prophètes de mensonge se sont répandus dans le monde » (1 Jn 4, 1).

Karl Marx problématisait sa vision de Dieu comme suit : Dieu serait-il un pur concept élaboré par une classe dominante pour mieux exploiter les pauvres et les faibles ? C’est ainsi qu’il selle son cheval pour combattre la religion. Cette lutte de Marx qui est pour lui un rejet de Dieu pour l’affirmation de l’homme se prolonge et s’intensifie avec Nietzsche.

Sa préoccupation est claire : la grandeur de l’homme exige-t-elle que ce Dieu soit projeté dans l’abîme au point qu’on puisse affirmer : « Dieu est mort ! Dieu reste mort ! Et c’est nous qui l’avons tué !6 » Et Nietzsche compte bien ériger l’édifice de l’homme sur la dépouille de Dieu.

C’est la dialectique du maître et de l’esclave de Hegel qui a séduit ses fils spirituels à s’engager, au nom de l’humanité asservie, dans la lutte contre le maître absolu et transcendant.

Par leur radicalité, Marx et Nietzsche se sont distingués à côté de Freud. Dieu, s’interroge ce dernier, n’est-il que la production de notre imaginaire ou, pour le dire autrement, la religion serait-elle une névrose collective ? Ce questionnement ne nous surprend guère ; il manifeste au contraire l’indifférence de Freud pour tout sentiment religieux et son mépris, depuis l’enfance, pour la religion.

La lutte contre Dieu et la religion s’est peu à peu transformée en une véritable lutte contre l’homme et son avenir. Il est inconcevable en effet d’être ennemi de Dieu sans l’être pour l’homme. C’est ainsi que d’un déicide passif, nous en sommes arrivés à des homicides actifs et multiples. Impossible d’atteindre le Créateur sans en faire de victimes dans le lot des créatures. En fait, le projet de tuer Dieu n’est rien d’autre que l’intention cachée de faire disparaître l’homme. Se prétendre ennemi de Dieu et vouloir sa mort c’est nourrir le projet sinistre de liquider toute vie humaine de la planète. Un peuple qui s’obstine à nier l’existence de Dieu finit tôt ou tard par manquer de confiance en soi. Un peuple qui manque de confiance en soi est un peuple sans avenir ; ou s’il en a un, il s’annonce chaotique. Pour s’en convaincre, il suffit de prêter l’oreille au bruit assourdissant de notre actualité tragique.

Voilà le contexte dans lequel s’inscrit notre société avec tout un lot de questionnements qui sème le doute et la confusion dans l’esprit de l’homme contemporain, influençant ainsi ses choix, mais surtout sa vision et sa conception de l’être humain en tant que personne.

Les générations ont passé, les consciences se sont renouvelées, les murs où l’on avait gravé que Dieu est mort se sont écroulés. Mais le problème de l’athéisme et de l’indifférence religieuse demeure toujours. Car pour certains, ce n’est pas seulement sur les murs que cette déclaration a été gravée. Bien plus, c’est dans leur cœur et leur esprit qu’il a été gravé que Dieu est mort.

Pendant que le personnalisme chrétien part de la vision de l’homme selon le dessein de Dieu pour promouvoir tout ce qui est humain, le personnalisme athée cherche, quant à lui, à promouvoir l’homme indépendamment de Dieu et de sa volonté. Il conçoit l’homme comme si Dieu n’existait pas.

Apparemment, notre monde qui exclut Dieu de son domaine d’action semble prospérer. Mais le problème se situe à ce niveau : en éliminant Dieu de l’horizon de l’homme, la vision que l’on a ou la conception que l’on se fait de ce dernier devient réductionniste, voire incomplète. Car, le faisant, l’homme lui-même sera tronqué dans son essence. L’homme peut certes organiser la terre sans Dieu, mais « sans Dieu il ne peut en fin de compte que l’organiser contre l’homme. L’humanisme exclusif est un humanisme inhumain7 ».

Il s’ensuit alors qu’on ne peut prétendre rechercher le bien de l’homme et sa libération que dans une vision holistique de son être : l’être humain est image de Dieu et relation ; il est totalité unifiée (corps, âme et esprit) ; enfin il est totalité dans le Christ, homme véritable. Car Jésus-Christ n’est pas que vrai homme, il est aussi la perfection de l’humanité.

Cependant, « comment faire boire un âne qui n’a pas soif ? Et comment, toute révérence gardée, donner la soif et le goût de Dieu aux hommes qui l’ont perdu ? 8». Comment, en respectant leur liberté, donner aux hommes et aux femmes de ce temps la soif de Dieu – dont ils ont proclamé la mort – et le goût de le rechercher ?

 

Une seule réponse peut-être : devenir nous-mêmes des hommes et des femmes qui ont véritablement soif de Dieu, des chercheurs de Dieu convaincus de leur foi et animés de la ferme conviction de le trouver en le cherchant. Car à ce stade de la quête de Dieu, c’est Dieu lui-même qui nous rejoint sur notre chemin. C’est lui-même qui vient à nous et se laisse enfin trouver. Faisant désormais l’expérience de la présence de Dieu au quotidien à travers les événements et les personnes, nous déploierons aux yeux du monde la vitalité du Christ vainqueur de la mort.

Par l’authenticité de notre vie – témoignant devant le monde de la grâce, de la miséricorde et de l’amour de Dieu –, nous donnerons tôt ou tard, au temps choisi par Dieu lui-même, soif et envie à nos contemporains de se désaltérer à cette source d’eau fraîche : rechercher perpétuellement Dieu qui se laisse trouver par ceux qui le cherchent en vérité et en profondeur d’esprit.

La recherche de Dieu fait naître le respect de la vie d’autrui. C’est seulement à ce moment que le monde pourra prendre conscience de la juste place de la personne humaine dans le projet de Dieu et réaliser enfin qu’il n’y a pas d’homme déchet : tout homme, aussi faible, aussi misérable, semble-t-il, a le droit à la vie et mérite respect et considération de tous. La personne humaine est un projet divin.

Tous, noirs, blancs, rouge, jaune, riches et pauvres, bien portants et malades, impotents et valides, nous avons le même droit à la vie et au respect ; parce que Dieu l’a voulu, tous nous sommes égaux en dignité, car tous nous sommes à son image et à sa ressemblance.

Telle est l’espérance chrétienne à laquelle nous sommes invités, de manière pressante, à rendre raison au sein d’un monde où l’homme est considéré comme un déchet. Dans ce contexte, et pour en avoir le cœur net sur l’état des choses, la meilleure action à poser est d’aller à la rencontre de l’homme du IIIe millénaire pour s’enquérir des réalités de sa condition existentielle.

 

 

 

 

I – Les obstacles face aux aspirations profondes

des hommes et des femmes de notre temps

 

Devant les résultats prodigieux dans le domaine des sciences humaines et comportementales, « la psychologie la plus élémentaire, sans crainte de se tromper, permet d’affirmer que tout être humain cherche son propre bonheur : c’est la fin dernière universellement poursuivie9 ».

 

1. La légitime aspiration de l’être humain : un tour d’horizon

 

L’aspiration à une vie pleine, au bien-être et à la liberté est de toute heure et toujours actuelle. Elle transcende le temps et l’espace et n’est pas moins valable pour toute l’humanité de notre temps. Tous les humains de tous les continents de la planète ont en commun ce désir innocent et légal de vivre et de bien vivre ; c’est d’ailleurs leur droit le plus fondamental.

Tous veulent être affranchis de la misère et du mal. Personne ne choisit volontairement de mener une vie assombrie par la violence et la douleur, le mépris et les pleurs d’une part, et d’autre part le dénuement et le chômage, la faim et une santé fragile.

Nul n’a choisi d’être sans abri et de dormir à la belle étoile, encore moins d’être exposé aux dangers de la nuit et de sa fraîcheur, au soleil brûlant du jour et à l’humidité de la pluie. Mais tous, de façon unanime, rêvent de trouver dans la paix leur subsistance. Avoir une bonne santé et trouver un emploi stable sont des prières formulées à tout instant et qui rythment le cours de leur vie de chaque jour. Se marier, avoir des enfants, les tenir dans les bras et les voir grandir ou encore prendre le temps de suivre l’amour qui leur fait signe sur la croix sont là des choses simples que nos contemporains recherchent dans le calme de leur vie.

 

Loin de vouloir se tenir éloignés de leurs semblables, ils ne demandent qu’à être acteurs de la vie, « à participer davantage aux responsabilités, hors de toute oppression, à l’abri de situations qui offensent leur dignité d’hommes10 » et de femmes. Ils se soucient de l’instruction de leurs enfants ; même ceux qui n’ont pas eu l’opportunité d’une meilleure instruction exigent pour leur progéniture le meilleur. En un mot l’être humain, de toutes les contrées, veut aujourd’hui faire, connaître, et avoir plus, pour être plus. Telle est l’aspiration profonde des hommes et des femmes de ce millénaire, « alors qu’un grand nombre d’entre eux sont condamnés à vivre dans des conditions qui rendent illusoire ce désir légitime11 ».

C’est au son et au rythme de la Parole de Dieu que nous voulons parcourir la route de l’existence humaine contemporaine. Le centre vers lequel convergent tous les écrits bibliques, leur message originel est sans équivoque le bonheur définitif de l’homme. Cette Parole, qui est une référence universelle, décrit incontestablement la permanence des préoccupations auxquelles l’être humain est confronté. C’est d’une étonnante vérité que les textes de la Bible, aussi anciens soient-ils, soient toujours d’actualité face aux défis nouveaux.

En effet l’être humain, bien que fini de toutes parts par sa condition de créature, abrite au plus profond de son être un désir infini et absolu qui motive toutes ses actions : le bonheur. Tous les hommes et toutes les femmes de tous les temps veulent être heureux, ils veulent vivre.

Ce bonheur tant désiré et recherché de tous les hommes et principalement de ceux de notre époque se résume en une seule personne : Jésus-Christ. On ne peut donc parler de l’homme et de sa condition existentielle sans faire régulièrement référence au Christ. Car l’homme précède son destin et en est plus grand.

 

Cependant, aussi grand et raisonnable, semble-t-il, l’être humain peut se tromper sur sa propre destinée et donc sur la nature de son véritable salut. Pire encore, il peut se tromper carrément sur le choix des objets et des moyens qui lui permettraient de conquérir ce bonheur. Dans ce sens, certains voulant être heureux tout seuls trouvent le moyen lugubre de se servir des autres pour atteindre leur fin. Voilà comment le désir innocent de bonheur se transforme en un désir coupable constitué en programme infernal mettant en péril toute l’humanité.

La bonne nouvelle c’est que Dieu a un intérêt sans précédent pour l’homme : il se fait proche de lui et l’accompagne sans relâche. C’est avec lui que nous voulons emprunter le chemin de l’homme pour aller à la rencontre de toute l’humanité ; « car il appartient à Dieu seul, auteur de la nature humaine et fin suprême de toute créature, de savoir et d’enseigner ce que l’homme doit faire et ce qu’il doit éviter pour atteindre sûrement son authentique bonheur12 ». D’autant plus que la révélation de Dieu est le préalable tant au bonheur qu’au salut de l’homme.

 

2. La mondialisation de la misère humaine

 

La question économique est aujourd’hui la plus discutée dans tous les domaines de l’existence humaine. Depuis le bureau du chef de l’État à la capitale jusqu’à la case du paysan en campagne, le débat économique bat son plein. Pour assurer son bien-être social et économique, chaque citoyen de chaque pays est porté vers la recherche du gain.

C’est ainsi que « jeunes gens, vieilles gens, tous ensemble » (Jr 31, 13) s’élancent dans la course effrénée pour le bien matériel conduisant, dans bien des cas, certains à se servir des autres pour atteindre leurs objectifs. C’est à ce moment que nous disons qu’il ne peut y avoir d’homme déchet ! Nous perdons de vue que le bien de l’homme signifie le bien de tout homme et non le bien de certains contre d’autres ; de même, la liberté de l’homme implique la liberté de tous les hommes et non celle d’une minorité écrasante contre la grande majorité écrasée.

Le constat fait, aujourd’hui, démontre effectivement que « le monde est malade. Et son mal réside moins dans la stérilisation des ressources ou leur accaparement par quelques-uns, que dans le manque de fraternité entre les hommes et entre les peuples13 ».

La preuve manifeste de cette situation est le fait que « sur des continents entiers, innombrables sont les hommes et les femmes torturés par la faim, innombrables les enfants sous-alimentés, au point que bon nombre d’entre eux meurent en bas âge, que la croissance physique et le développement mental de beaucoup d’autres en sont compromis, que des régions entières sont de ce fait condamnées au plus triste découragement14 ». Alors que dans ces mêmes continents se trouve une poignée d’individus qui vit dans une forme d’opulence exacerbée de manière à développer des maladies propres à leur état de vie : les maladies des riches, les appelle-t-on. Il s’agit de maladies que l’on contracte plus facilement dans les milieux de grandes abondances de biens, et que le pauvre des villages cachés au fin fond du pays contracterait difficilement. Ce sont entre autres le diabète, le cancer… auxquelles on pourrait ajouter, sans risque de se tromper, l’obésité.

Avec l’avènement d’un monde qui se présente comme un village planétaire, la misère sociale a traversé toutes les frontières. Elle est devenue mondiale. Et ce sont « les peuples de la faim (qui) interpellent aujourd’hui de façon dramatique les peuples de l’opulence. L’Église tressaille devant ce cri d’angoisse et appelle chacun à répondre avec amour à l’appel de son frère15 ».

L’appel de l’Église retentit au moment où le cri et les pleurs du monde de la faim ne résonnaient plus aux oreilles du monde de l’opulence parce que d’une part étouffés par les médias qui n’y trouvaient aucun intérêt, et d’autre part par le manque de force – parce qu’affamés – de ceux et celles qui les émettaient.

Un homme, un pasteur, un pape, Jean XXIII a osé le dire : « Quand tant de peuples ont faim, quand tant de foyers souffrent de la misère, quand tant d’hommes demeurent plongés dans l’ignorance, quand tant d’écoles, d’hôpitaux, d’habitations dignes de ce nom demeurent à construire, tout gaspillage public ou privé, toute dépense d’ostentation nationale ou personnelle, toute course épuisante aux armements devient un scandale intolérable. Nous nous devons de le dénoncer. Veuillent les responsables nous entendre avant qu’il ne soit trop tard16 ».

Et voici que le cri des peuples sans travail, sans toit, sans soin, sans pain, trouve un haut-parleur tellement fidèle qu’un journaliste souligne cette audace du pape en tirant son compte-rendu : il a osé le dire. À la suite du pontife romain, nous ne pouvons pas nous taire devant ceux qui font souffrir et rester insensibles devant ceux qui souffrent. Il faut oser dénoncer toutes formes de misères humaines et travailler à y mettre fin. C’est cela aussi la charité.

L’Église a toujours levé la voix devant les injustices et les conflits aux multiples dimensions qu’a connus le monde. Ainsi, contrairement à cette opinion généralisée qui accuse l’Église d’avoir gardé un silence coupable devant l’extermination des Juifs lors de la Seconde Guerre mondiale, Albert Einstein, qui est lui-même Juif, rend un beau témoignage à l’Église au cœur même de l’action qu’il convient de rappeler ici. Le 23 décembre 1940, alors que la guerre bat encore son plein, il écrit ceci dans le Time :

Lorsque la révolution nazie survient en Allemagne, c’est sur les universités que je comptais pour défendre la liberté, dont j’étais moi-même un amoureux, car je savais qu’elles avaient toujours mis en avant leur attachement à la cause de la vérité ; mais non, les universités furent immédiatement réduites au silence. Alors je me tournai vers les grands éditeurs de journaux, dont les éditoriaux enflammés des jours passés avaient proclamé leur amour de la liberté ; mais eux aussi, en quelques courtes semaines et comme les universités, furent réduits au silence.

Dans la campagne entreprise par Hitler pour faire disparaître la vérité, seule l’Église catholique se tenait carrément en travers du chemin. Je ne m’étais jamais spécialement intéressé à l’Église auparavant, mais maintenant je ressens pour elle une grande affection et admiration, parce qu’elle seule a eu le courage et la persévérance de se poser en défenseur de la vérité intellectuelle et de la liberté morale. Je suis donc bien forcé d’avouer que, maintenant, c’est sans réserve que je fais l’éloge de ce qu’autrefois je dédaignais.

 

3. La véritable charité se pratique dans la justice

 

Nous voulons approfondir, ici, la nature du rapport qui pourrait exister entre la justice et la charité. La charité consiste à donner du sien à l’autre qui se trouve dans un besoin réel sans que ce dernier le mérite forcément. Donner à autrui ce qui lui revient de plein droit, ce qui est sien ; c’est cela pratiquer la justice. Par conséquent, bien avant de pratiquer toute forme de charité, il faut d’abord donner à l’autre ce qui lui revient, ce qu’il mérite, ce qui lui est dû selon la justice. Nul ne peut donc prétendre aimer les autres sans d’abord être juste envers eux.

Justice et charité sont intimement liées. « La charité exige la justice : la reconnaissance et le respect des droits légitimes des individus et des peuples17 ». La charité pratiquée dans la vérité crée une condition favorable à l’engagement en faveur du développement « dans une société en voie de mondialisation, surtout dans les moments difficiles comme ceux que nous connaissons actuellement18 ».

Nous voulons faire allusion au modèle sournois de charité dans les attitudes des pays qui gouvernent le monde. Ce modèle, vraisemblablement, est la cause de nombreuses injustices sociales et de décalages entre pays nantis et pays démunis. Il s’agit de la question de l’aide financière accordée aux pays les plus pauvres par les pays développés et le Fonds Monétaire International. Le problème et qui est aussi une réalité, c’est que ces pays qui sont rendus pauvres n’ont pas besoin de votre aide financière : ils demandent juste qu’on leur rende ce qui leur revient, c’est-à-dire leur liberté, leur richesse, leur sous-sol. Ils demandent simplement que l’on soit juste envers eux.

Quelle est cette forme de charité qui non seulement est insensible à la souffrance des faibles, mais, pire encore, les plonge dans la misère extrême ? Comment qualifier une telle pratique qui se sert d’une charité apparente pour piller la subsistance des peuples qui déjà sont dans une agonie financière chronique ?

Si le monde, à notre époque, traverse d’énormes crises économiques, ce n’est pas tant à cause de la rareté des ressources naturelles ou des matières premières, mais surtout à cause de l’accentuation des inégalités à l’échelle internationale. Ce n’est donc pas juste d’avancer l’argument d’une démographie qui explose et la nécessité par conséquent de prendre des mesures drastiques pour la réduire ou la contrer ; c’est méchant et inhumain ! Le vrai problème, et nous le savons, c’est le manque de fraternité, le refus de voir l’autre épanoui qui occasionne la mauvaise gestion et les détournements de fonds publics. Même s’il est vrai « que trop fréquemment une croissance démographique accélérée ajoute ses difficultés aux problèmes du développement19 ».

La charité exige le respect de la liberté des communautés politiques, même si elles sont pauvres. Et ce respect interdit toute forme d’ingérence dans les affaires internes de ces communautés. En particulier, les aides au développement des pays pauvres ne doivent ni déresponsabiliser les acteurs des pays bénéficiaires ni donner l’occasion d’empiéter sur leur indépendance20.

Du reste, une chose est de pratiquer la charité, une autre – complémentaire – est de travailler pour le changement des structures sociales homicides. La charité seule de nos jours ne suffit plus ; il faut agir, lutter pour un changement effectif. Peut-être que pour un souci de clarté, il convient de préciser que pour une humanisation authentique et durable du monde, les aides apportées aux plus défavorisés de la planète sont certes importantes, mais elles ne sont pas suffisantes. La contribution à leur endroit qui serait plus respectueuse de leur dignité, à mon sens, consisterait à les responsabiliser, les aider à devenir les acteurs de leur propre développement. Autrement, nous serons toujours dans une situation où il y a d’un côté ceux qui ouvrent la main pour donner et de l’autre, ceux qui la tendent pour recevoir. Ce dernier cas ne grandit pas l’homme, mais l’infantilise. Cette attitude, à mon avis, doit changer et c’est aujourd’hui, car demain ne nous appartient pas.

 

 

II – Orientations et actions

pour un développement durable et intégral de l’homme