Imbroglio chez les Momies - Christelle Rousseau - E-Book

Imbroglio chez les Momies E-Book

Christelle Rousseau

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Beschreibung

Ranothep, un pharaon complètement oublié par l’Histoire, est découvert grâce à l’obstination d’un jeune archéologue ambitieux.
Shane Martins est réputé pour être le meilleur élément de la criminelle. Ainsi lorsque son supérieur reçoit un message indiquant qu’une menace de vol plane sur l’exposition consacrée au pharaon disparu, la surprise est totale. Pourquoi contacter la crim s’il ne s’agit que d’un cambriolage ?
Quand la momie est effectivement subtilisée, on découvre à la place la dépouille embaumée de l’archéologue disparu depuis plusieurs années. L’enquête va prendre une étrange tournure lorsque les dix plaies d’Égypte semblent s’abattre sur la capitale française.
Un peu malgré lui, Shane va faire équipe avec des personnages hauts en couleur pour trouver le fin mot de l’histoire.


À PROPOS DE L'AUTEURE


Née en 1974 en région parisienne, mère de trois garçons, Christelle Rousseau habite dans l'Aude depuis près de dix ans. Passionnée par l’écriture, l’Histoire et la Criminologie, elle est passée maître dans l'art de ciseler ses récits dans des romans construits, surprenants et très addictifs…

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Christelle ROUSSEAU

Imbrogliochez les Momies

Roman

Cet ouvrage a été composé et imprimé en France par Libre 2 Lire

www.libre2lire.fr – [email protected], Rue du Calvaire – 11600 ARAGON

Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN Papier : 978-2-38157-208-6ISBN Numérique : 978-2-38157-209-3

Dépôt légal : 2021

© Libre2Lire, 2021

« Toutes les eaux qui sont dans le fleuve se chargèrent en sang »

« Les grenouilles montèrent et recouvrirent l’Égypte »

Exode 7,14-25

PROLOGUE

Égypte 1300 ans avant Jésus Christ

Dans la tradition égyptienne, il est normalement d’usage que le fils succède à Pharaon, mais en ce qui concerne Ranothep, ce n’est pas ce qu’il s’est passé. L’Égypte est en guerre depuis de longues années contre les Hittites. La bataille du jour a été dure, éprouvante et les pertes sont nombreuses de part et d’autre. Dans sa tente, le général Ranothep lit avec attention le message que l’on vient de lui transmettre. Un grand sourire éclaire son visage, tout se déroule comme prévu. Ranothep se lève, jette le papyrus dans le brasero. Maintenant, c’est à son tour de jouer, mais avant, il doit se rendre au chevet de Pharaon. Celui-ci a été grièvement blessé pendant la bataille. Entouré de ses chirurgiens, il gît sur sa couchette. Son visage affiche, malgré la douleur, un air doux, affable. Ses traits sont tirés, son teint est cireux. Dans peu de temps, le cœur de Pharaon sera déposé sur l’un des plateaux de la balance de la déesse Maât. Cette dernière, qui symbolise l’ordre, la justice et la vérité, s’installera sur l’autre plateau. Si Pharaon ne s’est pas comporté de façon équitable et honnête, il sera dévoré par le monstre qui l’attend au pied de la balance.

Lorsqu’il voit entrer son général, Pharaon Djedkarê essaie de se redresser.

— Ranothep ! Je suis heureux de te voir.

Djedkarê semble vraiment plus âgé qu’il ne l’est en réalité. De lourds cernes lui mangent à moitié le visage. L’officier prend une mine affectée, de circonstance, mais en son for intérieur, il jubile. Ses ordres ont parfaitement été respectés. La flèche qui a frappé Pharaon n’est pas venue du camp ennemi, mais de sa propre main. Mais comment deviner ? La hampe de la pique hittite dépasse encore du flanc du souverain et aucun médecin n’ose retirer la pointe de fer. Elle est trop près du cœur. Ranothep est un excellent archer.

— Seigneur ! Comment te sens-tu ?

Djedkarê émet un râle guttural.

— Je pense que dans peu de temps, je me présenterai devant Anubis qui m’introduira dans l’autre monde. Je ne me fais pas d’illusion, Ranothep.

La voix est rauque, la respiration sifflante. Il tend à son Général une main tremblante. Ranothep s’assied sur le siège et garde la main glacée de Pharaon jusqu’à ce qu’il s’endorme. Il est plus de minuit lorsque Ranothep se couche enfin.

Nout n’a pas encore fait renaître le soleil, que ses soldats viennent le réveiller. Pharaon est mort. Ranothep s’habille rapidement et rejoint la tente royale, juste pour donner le change, puis retrouve ses hommes. Après les avoir passés en revue, il se dresse devant eux et les exhorte à se battre pour la mémoire de Pharaon, de gagner la bataille pour son souvenir. Les soldats se mettent à taper en rythme sur leur bouclier à l’aide de leur épée en scandant un nom. « RANOTHEP. RANOTHEP ! »

Les légions hittites attendent que l’aube se lève pour mener l’assaut. Près de la base égyptienne, le désert est jonché de cadavres provenant des deux camps. L’odeur de la mort a envahi l’atmosphère et les charognards planent au-dessus du champ de bataille, tandis que les hyènes se battent entre elles pour arracher des morceaux de chair. D’où il se trouve, Ranothep observe la horde de Hittites qui s’avance vers les troupes égyptiennes. Ranothep est confiant, Seth est de leur côté. Et le Général égyptien ne se trompe pas. Les Hittites commencent à perdre du terrain et se défendent avec l’énergie du désespoir. Les échos des hurlements montent jusqu’à lui. Le dieu de la destruction semble guider le bras des soldats égyptiens qui prennent rapidement le dessus. Le sol est bientôt noyé par le sang. Les gorges ennemies sont tranchées. Il ne doit subsister aucun survivant. Lorsque la nuit tombe, la lune est haute dans le ciel. Ranothep est heureux. Tout son plan a fonctionné à merveille. Il ne reste plus qu’à renvoyer les troupes et regagner les rives du Nil. Dès le lendemain, l’Égypte rentrera dans une nouvelle époque, celle du Pharaon Ranothep, fils de Seth. Tous les membres de la garde royale et les prêtres qui n’ont pas été passés par les armes sont arrêtés pour haute trahison. Ligotés, les mains dans le dos par des liens de cuirs, ils sont jetés puis oubliés dans le fond des prisons égyptiennes.

L’ère Ranothep se place peu à peu sous le signe de la terreur. La torture est devenue monnaie courante. Les cris des victimes résonnent entre les murs des sous-sols du palais. La puanteur et la putréfaction dominent dans ce cloaque infâme.

Tous sont effrayés par le nouveau pharaon. Ranothep n’est qu’un dément sans aucune retenue sur sa propre folie. Mégalo, il se croit l’égal du dieu Seth et se comporte comme tel. Pendant les quelques mois que dure son règne, la terreur et la mort sont les maîtres mots de Pharaon. Le peuple crève de faim, les calamités s’abattent sur le royaume, jusqu’au jour où l’un de ses généraux excédés décide d’agir. Ranothep est assassiné dans son sommeil. En secret, il est momifié et déposé dans une sépulture de la vallée des rois. Comme pour effacer toute trace de l’usurpateur, tous ses biens sont enterrés avec lui. Toutes les inscriptions à sa gloire sont enlevées, martelées. Il n’existe plus.

*

Vallée des rois. Égypte. 2015

La vallée des Rois, en arabe Biban el-Moulouk (les portes des rois) est le plus grand tombeau royal de l’Égypte. Située sur la rive occidentale du Nil, cette vallée est l’un des plus importants sites touristiques égyptiens. En son cœur, elle abrite les sépultures de nombreux pharaons du Nouvel Empire, de leurs épouses, de leurs progénitures et même de certains nobles bien placés dans la reconnaissance royale. La plus ancienne tombe découverte est celle de Thoutmôsis Ier. À partir de Thoutmosis III, tous les rois égyptiens vont se faire enterrer dans la vallée, excepté Akhénaton. Depuis Ramsès Ier, la vallée des Reines est créée. Les tombeaux regroupent plusieurs chambres. Le plus grand mausolée connu à ce jour est celui construit par Ramsès II pour ses enfants. Mais l’immensité de la vallée, et les caprices du temps permettent d’affirmer qu’il reste encore plusieurs cryptes à découvrir, ensevelies quelque part, dans ce paysage à la fois si froid et chaud qu’est le désert. Malheureusement, aucun d’entre eux n’est parvenu intact jusqu’au XXIe siècle, tous pillés, et ce dans certains cas même depuis l’Antiquité. De nombreux trésors inestimables et pièces historiques ont ainsi été dérobés puis certainement revendus pour seulement quelques pécunes. Fin tragique pour de si importants dignitaires qui rêvaient d’un sommeil tranquille sur la terre de leurs ancêtres. L’emblématique pharaon Toutankhamon fait partie des célèbres têtes couronnées qui juchent la vallée des Rois. Son trésor laisse imaginer à quels points les plus grands monarques de l’Égypte ancienne devaient posséder des richesses fastueuses et extraordinaires.

C’est à ce détail que pense Jonathan Morand lorsqu’il décide de fouiller un coin encore inexploré de la vallée des rois. À cette annonce, il devient la risée de toute la profession. Après de longues tractations avec le gouvernement égyptien pour obtenir les autorisations nécessaires, Morand voit toutes ses demandes de financement refusées, mais cela ne l’arrête pas, bien au contraire. Il utilisera la fortune familiale.

Le quatre septembre 2015, un frisson d’excitation traverse le campement. Des cris de joie résonnent dans la vallée rocheuse et sablonneuse. Les premiers degrés d’un escalier sont mis à jour. Une fois déblayée, la rampe fait apparaître un tunnel menant certainement à un tombeau. Jonathan Morand descend prudemment la dizaine de marches qui composent l’escalier étroit. Il débouche sur un long corridor pas très large lui non plus. Braquant sa lampe torche, il évalue à vue de nez que le couloir doit mesurer trois ou quatre mètres. Chaque pas déplace de la poussière, sans doute millénaire. L’ouvrier égyptien, un colosse de presque deux mètres, aussi carré qu’une armoire normande s’arrête soudainement. Morand qui n’a pas fait attention lui rentre dedans.

— Bon sang Mahmoud ! Fais gaffe !
— Pardon patron. S’excuse le géant basané dans un français approximatif.

Mahmoud est l’un des rares membres de l’équipe de travailleurs qui comprennent le français. Même si les autres s’expriment en anglais et que Jonathan parle couramment l’arabe, il est toujours bon d’avoir quelqu’un qui saisisse une langue différente. Pour essayer de savoir pourquoi l’homme s’est si brusquement arrêté, l’égyptologue braque le faisceau lumineux en face de lui. Il découvre alors un mur dont l’orifice a été bouché par de l’enduit. Morand donne l’ordre d’éclairer un peu plus l’endroit et là, le sceau d’Anubis représenté sous la forme d’un chacal surgit des ténèbres. Le maître des nécropoles avec à ses pieds les neuf captifs, apparaît aux yeux de l’archéologue excité. C’est bien une tombe royale ! Sur le haut de la paroi, au niveau du linteau de bois, Morand remarque un trou assez large pour y passer une torche et y jeter un œil.

— Patron, viens voir ! Crie Mahmoud.

En général, le géant égyptien est plutôt imperturbable, mais pour le coup, il y a cette fois un petit quelque chose de différent chez l’homme qui laisse à penser qu’il a sûrement repéré un détail intéressant. Aidé de Mahmoud qui lui fait la courte échelle, le français aperçoit un nouveau couloir envahi de divers débris. Il se tourne vers sa collègue, une lueur de curiosité dans les yeux.

— Alors ? demande-t-elle ?
— Je crois qu’on est sur un gros truc ! À première vue, pas de trace de visite. J’ai l’impression que cette tombe est inviolée !

Galvanisée par cette découverte, l’équipe remonte à la surface. Ils ont décidé d’installer un groupe électrogène. Le petit groupe procède à l’examen de la porte dans un silence religieux. Apparait alors un cartouche et sa forme si caractéristique. Avec un pinceau à poils fins, Jonathan gratte délicatement les gravures. Peu à peu, un sourire illumine le visage des égyptologues. Le nom qui vient d’être révélé est bien celui qu’ils espéraient. Ranothep. Les archéologues continuent de nettoyer la paroi avant de stopper net. La représentation du dieu Seth apparaît petit à petit. C’est le détail qu’ils cherchaient pour confirmer la découverte.

Trois jours plus tard, après que l’entrée a été photographiée, elle est percée, dévoilant un couloir long d’une dizaine de mètres. Il est encombré de pierres, de vases, de coupes. Tout est couvert d’une épaisse couche de poussière. À l’aide d’un pinceau à poils fins, Jonathan époussette délicatement une timbale. Des hiéroglyphes apparaissent gravés dans le métal doré. Se frayant difficilement un chemin à travers tout ce bric-à-brac, l’égyptologue suivi de sa collègue Charlotte Granotier arrive devant une seconde porte. Une ouverture y est également pratiquée. Armés de lampes torches, Jonathan et Charlotte repèrent une vaste pièce encombrée de formes étranges. Animaux, statues, lits funéraires ainsi qu’une profusion incroyable d’or. Des centaines d’objets s’offrent aux regards incrédules des deux archéologues, tous recouverts d’or, qui s’entassent jusqu’au plafond.

Le dix septembre, Jonathan entre dans la dernière chambre du mausolée. Un énorme catafalque de pierre noire occupe presque toute la salle. Le sceau du sarcophage est intact. L’évidence saute aux yeux des égyptologues. Cet endroit n’a jamais été pillé. C’est une trouvaille encore plus importante que celle d’Howard Carter. Les murs sculptés de bas-reliefs représentent la mise au tombeau du pharaon Ranothep. Ils sont rejoints quelques minutes plus tard par toute l’équipe. Le plus difficile les attend, l’ouverture du sarcophage.

La chambre funéraire minuscule rend l’opération compliquée. Au bout de plusieurs heures de travail acharné dans la chaleur et la poussière, le cercueil apparaît enfin. À la surprise de tous, il n’est pas en or comme il devrait l’être, mais en bronze. C’est déconcertant pour un pharaon, mais bon, il doit y avoir une explication qu’ils chercheront plus tard. Les deux égyptologues ainsi que le reste du groupe demeurent muets de saisissement. La momie noircie par les onguents et les siècles apparaît. De l’admiration se mêle à la joie. Jonathan exulte. Lui qui a été la risée de toute la profession, vient de faire ce qui risque d’être la plus grande découverte depuis celle du tombeau de Toutankhamon !

UN

Les notes du générique de la série britannique « Doctor Who » résonnent soudainement dans la chambre plongée dans le noir. Shane Martins se réveille en sursaut, manquant de ce fait de tomber du lit. Il regarde les chiffres lumineux de la radio. À peine cinq heures, l’aube n’est même pas levée. Il allume la lampe de chevet. La lumière vive l’éblouit quelques secondes. Instinctivement, il ferme les yeux. La sonnerie insiste lourdement. Shane attrape son portable et fait glisser le curseur sur l’écran tactile.

— Allô ! aboie-t-il.

Bien que ce soit inhérent à son boulot de flic, Shane Martins a toujours eu du mal à être dérangé en pleine nuit ou très tôt le matin. Il sort d’une affaire compliquée, usante et il n’aspire qu’une seule chose, de la tranquillité ! Cependant, il faut croire que la Providence est contre lui. Pour être réveillé à cette heure-ci alors qu’il est censé être en repos, cela doit être urgent. Mais pour le moment, il s’en moque et compte bien le faire savoir à l’importun.

— J’espère que vous avez une foutue…

Il s’interrompt brusquement en reconnaissant la voix de son supérieur, le commissaire Baudoin.

— Martins ? Commissaire Baudoin. Je vous attends au 36 immédiatement !

Il ne laisse pas le temps à l’officier de répondre. C’est que l’affaire doit être grave. Une profonde amitié lie les deux hommes. Ils travaillent depuis longtemps ensemble, se connaissent bien et se respectent mutuellement. Shane sort du lit en bougonnant, se dirige vers la salle de bains. Quinze minutes plus tard, il regarde le café couler dans sa tasse, tout en patientant que le grille-pain veuille bien recracher les tranches de pain de mie. Debout derrière le comptoir de sa cuisine américaine, il couvre son pain d’une couche généreuse de pâte à tartiner aux noisettes. Il se demande ce qu’il peut bien se passer pour qu’on l’appelle aussi tôt. Shane avale son petit-déjeuner en vitesse, puis rejoint sa voiture dans le garage souterrain de son immeuble. Il n’a pas envie de prendre sa moto.

Depuis l’année précédente, en 2017, la DPJ, direction de police judiciaire a définitivement dit adieu au mythique 36 quai des Orfèvres, pour s’installer au 36 quai du Bastion dans le quartier des Batignolles. Arrivé sur place, il lève les yeux vers le bâtiment flambant neuf en esquissant une grimace. Il regrette déjà les anciens bureaux du quai des Orfèvres. Il revoit le couloir sombre et étroit dans lequel il devait circuler pour parvenir à la criminelle, les murs beiges et les tableaux vieillots, le bureau du directeur de la PJ au troisième étage, le charme suranné de la célèbre bâtisse.

Les nouveaux locaux ont des allures de Fort Knox à la Française. Hyper sécurisés et protégés par plusieurs centaines de caméras, ils sont également résistants aux déflagrations. La façade ondoyante du Bastion est enveloppée d’un revêtement de panneaux de verre émaillé. Il gare son véhicule dans le parking réservé aux employés puis se dirige vers les ascenseurs. À l’intérieur, il est accueilli par son reflet en pied. Mais quelle idée d’avoir mis de si grands miroirs ! Il jette tout de même un regard. De toute façon, il est difficile de faire autrement. Âgé de quarante-cinq ans, un mètre quatre-vingt, une carrure de rugbyman, un torse taillé en V, Shane est assez satisfait de son allure générale, résultat de nombreuses heures passées à la salle de sport. Il n’est pas réputé pour son caractère facile et joyeux. Non, il est plutôt du genre taciturne et ne vit que pour son boulot. Il passe sa main dans ses cheveux poivre et sel. Sa mâchoire carrée se crispe comme à chaque fois qu’il se sent nerveux. Le bas de son visage est mangé par une barbe de trois jours, ses yeux bleu acier sont soulignés par de vilains cernes. Il a beaucoup de mal à dormir ces derniers temps. Son menton est creusé d’une fossette qui en accentue la forme. Cette ultime remarque lui arrache un sourire. Il sait que ses collègues féminines font de lui un sujet récurrent de leurs conservations et de leurs fantasmes. En plus d’être pas mal physiquement, il est réputé pour être le meilleur élément du 36.

Il est à peine six heures, lorsqu’il passe en face de l’accueil. Le hall d’entrée est vide et silencieux. Décidément, il n’aime vraiment pas cet endroit. Ça lui rappelle l’hôpital. Shane croise quelques confrères qu’il salue et arrive enfin devant le bureau où l’attend Baudoin. Il frappe à la porte et guette patiemment la réponse.

— Entrez !

Le commandant Martins pénètre dans la pièce d’un pas décidé, salue son supérieur qui lui fait signe de prendre place.

— Bonjour Martins. Assieds-toi. Un café ?
— Non merci. Bon, c’est quoi l’urgence ? Tu ne m’as pas réveillé aux aurores pour faire causette, n’est-ce pas ? D’autant plus que je suis de repos !
— En fait, pour être totalement honnête, je ne sais pas trop quoi envisager.

Shane ouvre de grands yeux. Il a été convoqué pour une affaire qui n’est pas sûre d’exister. C’est la meilleure !

Baudoin se redresse dans son fauteuil, pose les coudes sur le bureau et s’avance légèrement vers le commandant.

— Je me doute bien de ce que tu penses, mais je préfère ne pas être pris au dépourvu.

Shane ne comprend pas. Il ne voit absolument pas où veut en venir son supérieur.

— Écoute, Charles. Si c’est une blague, elle est véritablement de mauvais goût !
— Je ne sais vraiment pas de quoi il retourne. J’ai reçu le tuyau d’un inconnu.
— Un appel anonyme ? Tu te fous de moi ?

Devant lui, Baudoin reste impassible. Il attrape son café, en avale une longue gorgée, avant de reprendre.

— Je me doute de ce que tu t’imagines. Une source anonyme n’est pas la meilleure source que l’on puisse espérer, mais bon.
— Et pourquoi nous ? Un meurtre a été annoncé ? Comme dans le bouquin d’Agatha Christie, « Un meurtre sera commis le… » ?

Baudoin esquisse un sourire. Il connaît l’admiration que porte son adjoint à la romancière anglaise.

— Je ne parle pas d’homicide, mais de vol !
— De vol ? Mais Charles, je ne m’occupe pas de vol, mais de meurtre !
— Je sais, réplique le commissaire. Mais regarde par toi-même.

Il tourne l’écran de l’ordinateur et lui fait lire le mail.

« Dans une semaine aura lieu l’inauguration de l’exposition sur le pharaon Ranothep et son fabuleux trésor. Mais est-elle vraiment bien sécurisée ? Mon cher commissaire Baudoin, je vous parie que j’arriverai au moins à voler un objet. »

C’est un message court, précis, peut-être pas assez au goût de Shane.

— On sait qui a envoyé ce message. D’où il est parti ?
— Non. Les gars de l’informatique ont bien essayé de remonter l’adresse IP, cependant, ils n’ont rien trouvé. Le mail semble avoir fait le tour du monde avant d’arriver ici.

Shane relit le courriel comme s’il voulait l’apprendre par cœur où s’il tentait de décrypter un code caché entre les mots.

— Conneries ! Ce ne sont que des foutaises ! Et c’est qui ce Pharaon ?
— Tu ne te souviens pas ? Il y a quatre ans, la découverte d’une tombe inviolée dans la vallée des rois en Égypte.
— Oh, tu sais, moi ! Si les cadavres ne sont pas de première fraîcheur, je ne m’y intéresse pas trop. En plus, l’Égypte, ce n’est pas ma juridiction.

Baudoin regarde son collègue, l’air désabusé. Les blagues un peu foireuses sont la spécialité de Shane. En réalité, il essaie juste de se montrer sociable avec ceux qu’il côtoie, mais de façon très maladroite.

— Je pense aussi que la sécurité du Louvre est de toute manière assez importante et les risques de vol quasi inexistants. Mais je dois avouer qu’il y a quelque chose qui me titille quand même !
— Quoi ?

Baudouin reste muet un long moment. En fait, il ne sait pas trop quoi répondre. De son côté, Shane fulmine. Il ne comprend pas pourquoi, Charles l’a dérangé pour une telle ânerie. Le commissaire se racle la gorge, comme si un chat y était coincé, quoiqu’à l’écouter, il doit y avoir toute une portée !

— Je ne peux pas t’expliquer, mais quelque chose me dit que l’on doit prendre cet avertissement au sérieux.
— Non ! Tu déconnes ! Maintenant, on doit se préoccuper d’affaires qui n’existent même pas, au prétexte d’une intuition ? Tu ne trouves pas que l’on a déjà assez de boulot comme ça, sans pour autant en avoir les moyens humains et matériels !

Baudouin soupire et fait signe à son adjoint de continuer.

— Écoute, je comprends ton point de vue et je le respecte. Mais je te rappelle que je m’occupe de meurtre, pas d’un hypothétique vol et encore moins d’antiquités ! Confie le dossier à quelqu’un d’autre. Franchement, ce n’était pas la peine de me faire venir si tôt pour ça !
— Désolé, mais je te mets quand même sur l’affaire.
— Mais je n’en veux pas ! proteste Shane.
— Tu n’as pas le choix !
— Et puis d’abord, explique-moi pourquoi me faire lever à l’aube ? Ça ne pouvait pas attendre une heure un peu plus décente ? plaide-t-il en étouffant un bâillement.
— Parce que tu es censé être en congé et que j’ai pensé que tu aurais eu envie de partir quelque part.

Shane regarde sa montre et réplique d’un ton acerbe.

— Mais j’y suis déjà !
— Considère qu’elles sont reportées après cette affaire. Tu as ma parole. C’est juste une question de jours. Je suis, comme toi, persuadé que c’est une mauvaise blague, mais il y a un petit quelque chose qui me gêne.
— OK ! Comme tu veux. Tu peux compter sur moi, de toute façon, je n’ai pas trop le choix.

Shane Martins esquisse une grimace pour signifier son mécontentement. Il sort du bureau de son supérieur en bouillonnant de rage. Il a franchement autre chose à faire que de courir après un petit farceur.

*

Dès que la nouvelle de l’exposition Ranothep est arrivée aux oreilles du professeur Rufus, celui-ci a immédiatement compris que cela risquait d’attiser les esprits les plus irrationnels. Ce pharaon est peut-être inconnu du grand public, mais pour les spécialistes de l’Égypte antique, il est au contraire sujet de nombreuses recherches depuis son identification quatre ans plus tôt. Il est également lié à la disparition, quelques mois plus tard, de l’équipe qui l’a découvert. Un parfum de mystère entoure cette affaire. À son époque, après avoir été assassiné, Ranothep a été enterré par ce qu’il lui restait de partisans, avec toutes les richesses qu’il avait accumulées pendant ses six mois de règne. Il se raconte dans le milieu de l’égyptologie que les murs étaient tapissés de formules magiques à la gloire de Seth, le dieu de la destruction. Rien à voir avec ce que l’on pouvait trouver dans les tombes. Aucune allusion à Râ, Osiris ou d’autres divinités.

Le printemps est terminé, le vent qui balaie la place de la Concorde est chaud et chargé des effluves de la pollution émanant du flot discontinu des véhicules. Il est encore tôt. Les services de la mairie sont déjà à l’œuvre et ont entamé leur ballet afin de nettoyer la célèbre esplanade où trône l’obélisque de Louxor en son centre, avant l’afflux de milliers de touristes.

Albert Rufus est assis devant son petit-déjeuner frugal, mais nourrissant. Fruit, pain beurré et café au lait. Toute son attention est portée sur l’article en double page consacrée à l’exceptionnelle exposition égyptienne. Il n’ignore pas que l’identification du tombeau inviolé de Ranothep représente la découverte la plus importante depuis celle de Toutankhamon. Il attrape son téléphone et compose rapidement le numéro. Après deux sonneries, son interlocuteur décroche.

— Daniel Philippe.
— Bonjour Daniel. C’est Rufus. Je viens aux nouvelles concernant Ranothep. Avez-vous une estimation du nombre de pièces qui seront exhibées ?
— Ravi de vous entendre, cher ami ! Il y en a une cinquantaine environ, sans compter le sarcophage et sa momie.
— Et les dispositions concernant la sécurité ?
— Tout est réglé. L’exposition ouvrira à la date prévue. Le musée a doublé les effectifs.
— Êtes-vous sûr que c’est une bonne idée ? Cela risque d’attirer tous les détraqués du pays. Vous connaissez l’histoire de cette momie.

À l’autre bout du fil, son interlocuteur éclate de rire.

— Voyons mon cher Rufus, qu’allez-vous imaginer ? Que tous les canaris de la capitale vont mourir d’un coup et au même moment ? Que les membres qui ont découvert le tombeau vont eux aussi trouver la mort les uns après les autres ? On parle de Ranothep, pas de Toutankhamon !

Rufus ne comprend pas en quoi cette remarque est drôle.

— Voyons Daniel, vous savez bien que l’équipe d’égyptologues a disparu l’année dernière, sans laisser de traces !
— Ils ont sans doute voulu se mettre au vert, se faire oublier. Cette découverte a quand même défrayé la chronique. Ils ont probablement eu besoin de s’éloigner des feux de la rampe.
— C’est certainement cela. Je m’inquiète sûrement pour rien.

Rufus raccroche, se redresse sur sa chaise et retourne à la lecture de l’article. Après tout, Monsieur Philippe a peut-être raison. Pourquoi donner du crédit à des ragots de bonne femme ?

*

Jean Armor, conservateur de l’exposition Ranothep, frissonne et lève un sourcil interrogateur. Il a le regard de l’homme confronté à des circonstances qui le dépasse totalement. Ce n’est pas la première fois qu’il organise une rétrospective de cette ampleur, mais cette fois c’est différent. Il y a quelque chose qui le tracasse. Sans doute, le message reçu ce matin y était pour quelque chose. Il chasse ses idées noires d’un geste de la main. Jean est fier. À juste titre d’ailleurs, de la collection et surtout de l’évènement qui se prépare. Il s’est battu comme un beau diable pour que la première présentation de Ranothep soit faite au Louvre. Il a dû batailler contre le British Museum et le musée égyptien du Caire, mais il a remporté la partie.

*

Quelques heures plus tard, après être rentré chez lui en coup de vent, Shane se retrouve dans la salle des antiquités égyptiennes du Louvre. Après être passé devant le sphinx de Tanis, une impressionnante créature de granit rose, en face de laquelle Shane ne peut s’empêcher de s’arrêter quelques secondes, il arrive dans la galerie consacrée au Nil qu’il traverse rapidement. Il rejoint le directeur du musée et le conservateur qui l’attendent. Eux aussi ont reçu le mail et comme lui, ils pensent à une mauvaise blague. Un très désagréable canular, comme ils l’expliquent au policier.

— Voyez par vous-même !

Les deux hommes entraînent Shane vers le poste de sécurité. Effectivement, il n’y a rien à redire. L’endroit est quadrillé par les caméras. Il ne voit vraiment pas comment un vol serait possible. Shane fixe les écrans pendant de longues minutes, puis se tourne vers les deux individus en costume cravate.

— Je vais vous poser une question idiote, mais la valeur de ces objets, vous l’évaluez à combien ?

Le conservateur regarde son supérieur et les deux hommes lèvent les yeux au ciel, comme s’ils avaient affaire au pire des imbéciles.

— Vous nous posez la question ? Voyons, commandant ! C’est inestimable. Cependant, je dois avouer que certains collectionneurs privés seraient prêts à payer des millions pour une seule de ces pièces.
— Tant que ça ? Excusez-moi d’insister, mais pour être franc, je ne connais rien en vieilleries !

Les deux hommes écarquillent les yeux, l’air à la fois furieux et choqué par ce que vient d’insinuer le policier.

— Comment ça, des vieilleries ? Mais monsieur Martins, vous parlez de trésors de l’Histoire ! Des reliques d’une incroyable civilisation !

Shane regarde sans réellement comprendre l’homme dans son costume en tweed affublé d’un nœud ridicule qui s’agite devant lui. Le policier a l’impression d’avoir dit la pire des âneries de sa vie. Il n’arrive pas à savoir l’intérêt que l’on peut trouver à de vieilles bandelettes.

— Mouais… Vous me permettrez d’en douter. Je ne suis pas convaincu. Je ne vois vraiment pas qui pourrait avoir l’idée complètement débile d’aller voler l’un de ses machins ! dit-il en désignant les objets dans leurs vitrines, à travers les écrans alignés dans le PC de sécurité. De plus, je suppose que vous avez augmenté la surveillance ?
— Oui, bien sûr ! Quelle question !

Jean Armor, le conservateur se tord les mains de désespoir, d’inquiétude. C’est un homme qui semble beaucoup plus à l’aise entouré de vieilles momies desséchées qu’en compagnie de ses semblables.

— Monsieur Martins…
— Commandant !
— Oui, si vous voulez, commandant. La menace que nous avons reçue est très sérieuse, du moins pour nous ! s’exclame-t-il. Vous n’imaginez pas les retombées négatives que cela peut avoir sur le musée si l’une de ces pièces venait à être subtilisée ! L’image du Louvre en serait à jamais ternie.
— Euh… Si je ne me trompe pas, la Joconde a été volée le 22 août 1911 et a contribué à la rendre encore plus célèbre. Le tableau a été retrouvé le 4 janvier 1914. Le cambrioleur était un peintre en bâtiment qui voulait restituer l’œuvre à son pays d’origine, l’Italie. Il en est peut-être de même pour votre momie.
— Peut-être, mais ce n’est pas la même chose ! Toutes ces pièces sont uniques… Elles valent… Enfin non, elles sont inestimables. Elles ont plus d’importances que le trésor de Toutankhamon ! Vous imaginez un peu ?

Shane lève un sourcil dubitatif.

— Franchement ? Pas du tout.
— Il va falloir annuler l’exposition ! gémit le conservateur désespéré. C’est tout ce qu’il nous reste à faire.

L’homme au nœud papillon semble réellement au bord de la crise de nerfs.

— Mais non, temporise Shane en haussant les épaules. Vous allez maintenir la rétrospective. Nous allons mettre en place un contrôle un peu plus important. On peut retourner dans la salle concernée ?
— Oui, bien sûr. Réponds le directeur du musée qui n’a pas encore ouvert la bouche.

Il faut dire que le conservateur est assez stressé pour deux.

Les trois hommes rejoignent rapidement l’aile Sully où se trouve le département des antiquités égyptiennes. Après avoir descendu l’escalier, ils sont accueillis par le grand sphinx de Tanis. Shane n’aime vraiment pas cet endroit. Il a la sensation que le lion à la tête humaine le suit du regard. Il continue son chemin à la suite des deux hommes en costume. Il passe devant les vitrines exposant des statues représentant la vie quotidienne, les animaux. Viennent les papyrus recouverts de hiéroglyphes. Ils débouchent ensuite dans une salle reconstituant un temple égyptien. Ils grimpent encore quelques marches et ils aboutissent dans la galerie des sarcophages et enfin, arrive celle consacrée à Ranothep. Les objets brillent de mille feux sous les éclairages. Shane doit bien avouer que le cercueil, même s’il n’est pas en or, est impressionnant. Il est évident que tout cela peut attiser les convoitises. Néanmoins, les possibilités de vol sont quasi nulles.

— Il est connu votre Ranothep ? Questionne le commandant, feignant de s’intéresser un minimum à ce qu’il voit autour de lui.
— Absolument pas !
— C’est pour cela que sa tombe a été inviolée alors ?

Shane vient de jeter un œil sur la notice à l’entrée de la salle, qui explique les circonstances de la découverte.

— Bah pourquoi faire une expo sur lui dans ce cas ?
— Il s’avère également que c’est la sépulture d’un pharaon damné qui a été révélée.

Shane écarquille les yeux en tournant la tête vers l’homme qui se tient à ses côtés.

— Je vous demande pardon ?
— Oui, vous avez bien entendu. Après que les égyptologues ont sorti le trésor, ils ont étudié les hiéroglyphes du tombeau et à la place des formules de protection comme il est d’usage de trouver, les archéologues ont découvert des malédictions. Shane explose de rire. Impossible pour lui, de se contenir et pourtant, ce n’est absolument pas dans ses habitudes. Sous le regard médusé des deux hommes qui l’accompagne, il tente de retrouver son sérieux.
— Excusez-moi, hoquète-t-il, je suis véritablement désolé, mais ces histoires de mauvais sorts sont vraiment faites pour les touristes ! Je suis surpris que deux éminents spécialistes comme vous, aussi cultivés, puissent croire à de telles sornettes !

Les deux individus en question semblent vexés par la remarque et arborent une mine renfrognée.

— Pensez ce que vous voulez, mais tous les membres de l’expédition sont morts dans d’étranges conditions.
— Oui, comme ceux qui ont découvert Toutankhamon ! Rétorque Shane Martins. Juste un concours de circonstances, rien de plus !
— C’est vous qui le dites ! réplique sèchement Jean Armor.

Shane préfère ne pas répondre, mais il n’en pense pas moins. Il imagine aisément la momie du pharaon se lever de son sarcophage en pleine nuit à la recherche d’une victime. Le flic repart dans une nouvelle crise de fou rire qu’il calme tant bien que mal. Il arrive justement devant le corps de Ranothep. Dans l’immense châsse en bronze, l’ancien souverain d’Égypte ne semble pas très grand.

Le policier a tout d’abord un mouvement de recul. Non pas à cause de l’aspect du cadavre. Il est beaucoup plus présentable que d’autres qu’il a eu l’occasion de côtoyer lors d’enquêtes pour meurtre. En fait, il ressemble à un vieillard très maigre. Ce qui l’a choqué est qu’il a les yeux grands ouverts. Il ne reste rien des globes oculaires, juste des orbites creuses et noires.

— Pas étonnant que ce truc foute la trouille ! Bougonne le flic. En tout cas, si une chose doit être volée, ce ne se sera pas ce machin ! Un vieux tas d’os et des bandelettes dégoûtantes, ça ne vaut sans doute rien.

Devant le corps, Shane ne parvient pas à masquer sa stupéfaction et il s’empresse de détourner le regard.

— C’est magnifique ! Souffle le conservateur admiratif. À chaque fois, je suis autant émerveillé qu’au moment où que je l’ai vu, lors de son arrivée au musée.

Il approche de la vitrine et examine son contenu avec la même intensité, presque gourmande, qu’un gamin devant un magasin de bonbons. Shane quant à lui, se mord la lèvre inférieure pour ne pas exploser de rire une nouvelle fois. Et dire que ses collègues lui reprochent de ne pas être un marrant ! En attendant, Jean Armor semble avoir découvert le saint Graal.

— C’est un véritable trésor, continue le conservateur en jetant un coup d’œil au policier qui a fait un pas en arrière, les sourcils froncés.

Pour faire bonne figure, Shane se tourne vers les autres vitrines. Là, en revanche, cela devient plus intéressant. Des bijoux, de statuettes, des objets, tous en or massif. Tous ces artefacts peuvent effectivement susciter la convoitise de malfaiteurs. Au prix de l’or, on peut s’en tirer avec un joli pactole. Mais dans ce cas, pourquoi envoyer un message à la criminelle qui n’a rien à voir avec ce genre de délit et le musée ? Une mauvaise blague destinée à faire le buzz sur l’exposition ? Après tout, pourquoi pas ? C’est une explication plausible et cela ne serait pas une première. Cependant, étant considéré l’amour que porte le conservateur à sa momie, il est peu probable qu’il soit mêlé à ça. Shane est presque certain que s’il le pouvait, Armor garderait l’Antiquité à l’abri des regards extérieurs.

— Bon, vous allez augmenter vos tours de garde pour la journée et la nuit. Je vous tiendrais au courant de la suite.
— Vous allez faire quelque chose ? Vous allez nous envoyer des policiers pour organiser une surveillance ? s’enquiert Armor visiblement sur les nerfs.

Shane Martins pivote vers le conservateur et le directeur, l’air désabusé.

— Écoutez, ce n’est pas moi qui prends les décisions. Franchement, je ne suis même pas certain qu’il y a besoin d’une enquête. Mais bon, je verrai ce que dira mon supérieur.

Au fond de lui, Shane espère que cette affaire n’ira pas plus loin.

De retour au 36, Shane s’empresse de faire son rapport à Baudoin. Il escompte ainsi se débarrasser de ce dossier qui n’en est pas un et pouvoir partir en vacances.

— Franchement, il n’y a pas de quoi fouetter un chat ! C’est juste une mauvaise blague, rien d’autre. Le musée a déjà pris toutes les mesures nécessaires au niveau sécurité et je ne vois vraiment pas ce que l’on pourrait faire de plus.
— Tu en es certain ?

Shane plonge son regard dans celui de son supérieur, visiblement contrarié.

— Je suis plus à l’aise avec les affaires de meurtres qu’avec les hypothétiques vols de babioles datant de Mathusalem. Le conservateur semble un peu nerveux à cause de l’expo. J’ai eu l’impression qu’elle est importante pour lui.
— C’est normal, rétorque Baudoin ! C’est l’une des plus considérables découvertes archéologiques de ces dernières années.
— Ah ! Parce que tu t’y connais ? Je pensais que ton truc était la mode masculine.

Shane se moque gentiment de lui. C’est vrai que lorsqu’on rencontre, pour la première fois, Charles Baudoin, engoncé dans son costume trois-pièces et ses chaussures italiennes, il ne ressemble en rien à un commissaire de police. Son élégance a toujours été un sujet de plaisanterie entre eux. Baudoin se rapproche plus du parrain de la maffia sicilienne que du représentant des forces de l’ordre !

— Eh oui ! annonce-t-il en se levant. Je suis un passionné d’Égypte ancienne et j’ai suivi la découverte du tombeau de Ranothep avec beaucoup d’attention. Tu savais qu’une malédiction pèse sur cette momie ?
— Euh oui. Armor m’en a vaguement parlé. Mais franchement, je ne crois pas du tout à ce genre de balivernes !
— Eh bien, tu devrais. Elle raconte que tous ceux qui troubleraient la sépulture de Ranothep le paieraient de leur vie.

Shane ne peut pas s’empêcher de rire. Décidément, cette histoire se révèle beaucoup plus drôle qu’intéressante !

— Voyons Charles ! Ce sont des légendes pour les touristes !
— Peut-être, mais en tout cas, tous les membres de l’expédition de 2015 sont soit morts, soit ont disparu dans d’étranges circonstances.
— Je sais, les deux pingouins du musée me l’ont expliqué ! Mais je reste persuadé que ce sont des coïncidences, rien d’autre. Mais le conservateur semble y croire dur comme fer.

Baudoin lui tend une feuille de papier et Shane lit le message à haute voix.

« Le terrible Ranothep punira ceux qui oseront le déranger dans son sommeil. »

— Notre inconnu a véritablement un sens théâtral très développé, hoquète-t-il, en tentant de garder son sérieux. Néanmoins, je suis certain qu’il ne se passera rien. Demande juste au directeur d’augmenter la surveillance. Je ne vois vraiment pas ce que l’on peut faire d’autre ? Mais au fait, pourquoi prévenir la crim ? Ce n’est pas notre domaine, les vols de momies, même si le gars dans ses bandelettes s’est fait assassiner, à son époque. Maintenant, il y a prescription !
— Je n’en ai aucune idée. Cependant, le mail, comme tu as pu le constater par toi-même a expressément demandé, voire exiger, devrais-je plutôt dire, que tu sois sur l’enquête.
— Bon, comme tu voudras, répond Shane en haussant les épaules. Toutefois, je te préviens que si une affaire, enfin une vraie se présente, je laisse tomber la momie OK ?
— Pas de soucis. Et tu prendras tes vacances après.

*

Le soir, à la fermeture du musée, les surveillants qui ont été exceptionnellement réquisitionnés pour la nuit s’installent dans la salle d’exposition Ranothep. Les cinq hommes ont, au début, un peu rechigné à l’idée de demeurer enfermé dans cet endroit, ont immédiatement retrouvé le sourire dès qu’on leur a annoncé qu’ils toucheraient une prime conséquente. Du café, de quoi se restaurer a été mis à leur disposition, dans un petit local annexe. Autant qu’ils soient correctement installés !

Le conservateur Armor hésite. Doit-il lui aussi rester ? Il craint que les gardiens le prennent mal. Alors il rentre chez lui. De toute façon, s’il y a le moindre problème, ils sauraient où le joindre. Son domicile du 16e arrondissement est tout de même plus confortable. Cependant, la nuit est loin d’être calme. Il a si peur qu’il arrive quelque chose à sa collection qu’il ne peut pas trouver le sommeil. Lorsqu’enfin il s’endort, il est poursuivi par la dépouille de Ranothep, émaciée et tannée par les onguents utilisés pour la momification et les siècles. Il se réveille en hurlant, au moment où les restes du souverain l’attaquent pour l’enfermer dans un sarcophage de pierres blanches. Couvert de sueur, tremblant de la tête aux pieds, le pauvre conservateur allume la lampe de chevet. Il s’assied, se calant contre les oreillers. Il respire un grand coup et tente de retrouver son calme.

Ranothep, le pharaon maudit. Jamais il n’aurait dû accepter d’accueillir cette exposition, cependant, l’occasion était trop belle. Le contenu intact du mausolée, la momie majestueuse, il y avait de quoi être fier. Néanmoins, un détail aurait dû l’inquiéter. Ce souverain avait une représentation un peu particulière. D’après ce qui avait été découvert sur les murs de sa tombe, Ranothep, en son temps, semblait avoir quelque peu « pété les plombs ». Au lieu de vénérer, comme tous ses prédécesseurs, le panthéon des dieux traditionnels, il adorait Seth, le maître du tonnerre et de la foudre, divinité maléfique par-dessus tout. Le pharaon avait totalement basculé du côté obscur. Il avait été assassiné par des prêtres, sur injonction du futur Sethi premier, qui souhaitait rétablir l’ordre. Une malédiction avait été jetée sur sa dépouille et sa dernière demeure.

Jean Armor souffle un coup. Cette histoire peut effectivement attirer bon nombre d’esprits dérangés, prêts à payer quelqu’un afin de pouvoir posséder une ou plusieurs pièces de cette fabuleuse collection. Un mauvais pressentiment lui étreint soudainement la gorge, comme si quelque chose de grave allait arriver. D’un bond, il se lève et file sous la douche. Une heure plus tard, il pénètre dans l’aile Sully qu’il traverse au pas de course pour atteindre le lieu d’exposition. Les surveillants qu’il croise lui assurent que rien de spécial n’est à signaler. Aucun bruit ne provient de la salle. Rien d’étonnant. Les gardiens se sont probablement assoupis, ce qui est tout à fait humain. Il ne peut pas leur en vouloir. La nuit a sans doute été très longue. Cependant, rien ne l’a préparé à la scène qu’il allait découvrir et sa bouche s’ouvre dans un hurlement muet. Le spectacle qui s’offre à lui le laisse véritablement sans voix. Les surveillants gisent inanimés sur le sol, complètement nus. Des symboles ont été tracés au marqueur noir sur leur peau ainsi que sur les vitrines. Un masque funéraire de style égyptien cache à chacun d’eux le visage. Malgré son trouble, le conservateur se précipite vers les présentoirs. Aucun objet ne semble manquer. Jean Armor s’approche du centre de la pièce et reste immobile, sans comprendre. Il arrive juste à porter à sa bouche sa main qu’il mord afin d’étouffer le cri qu’il lui monte à la gorge. Le meuble est intact, cependant, ce n’est pas la dépouille de Ranothep qui se trouve à l’intérieur, mais une autres, très récente au vu de la couleur des bandelettes. Le conservateur reste pétrifié, comme si ses pieds s’étaient fichés profondément dans le parquet du musée. Dans un effort presque surhumain, il pivote et se précipite en courant en direction de l’administration. Il croise les gardiens venus prendre leur service. Il n’est que sept heures du matin, mais tout doit être prêt pour l’arrivée des visiteurs. Armor les avertit de ce qu’il a trouvé.

— Ne touchez à rien ! N’entrez pas dans la salle. Je préviens la police !

L’homme hurle plus qu’il ne parle. Il paraît totalement en panique, et les surveillants du musée ont la sensation, que leur supérieur a perdu la tête. Mais ce n’est pas le cas. Une fois la surprise digérée, c’est la colère qui a pris le dessus. La veille, il a bien remarqué que le commandant Martins ne l’a pas pris au sérieux, loin de là. Il semblait vouloir être ailleurs que dans cette salle à examiner une potentielle scène de crime. En fait, les menaces concernant l’exposition ont eu l’air de lui passer bien au-dessus de la tête ! Quel incompétent ! Et maintenant, voilà le résultat ! C’est une véritable catastrophe. Armor paraît au bord de la crise d’apoplexie. Il attrape la carte du policier et doit s’y reprendre à trois fois avant de réussir à composer correctement le numéro. Dès qu’il entend la voix de Shane Martins, Armor tente d’expliquer sa découverte, mais il bredouille tellement qu’il a du mal à se faire comprendre.

— Quoi ? Votre momie a quoi ?
— Elle… Elle a été volée et remplacée par une autre… Mais j’ai l’impression que c’est un mort…
— Ce n’est pas le principe des momies ? Enroulé un macchabée dans des bandelettes, non ?
— Vous ne comprenez vraiment rien ! Je crois que Ranothep a été substitué par un cadavre récent, si je puis dire !

À l’autre bout du fil, Shane pousse un gros soupir comme si la perspective de retourner au musée le gonflait.