An Ifern - Christelle Rousseau - E-Book

An Ifern E-Book

Christelle Rousseau

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Beschreibung

Un couple, ébranlé par un drame dévastateur, se trouve au bord de la rupture. Dans une tentative désespérée de guérir leurs blessures, Alex et Ingrid prennent la décision de quitter leur vie passée pour s'installer dans une vaste maison bretonne. Cependant, ils sont loin de se douter que l'horreur les guette à chaque coin de cette demeure autrefois paisible.

Au fur et à mesure que le temps passe, Alex devient de plus en plus obsédé par l'idée que sa femme sombre lentement dans la folie. De son côté, Ingrid est convaincue que la maison recèle un sombre secret, une présence sinistre qui se cache dans l'ombre.

Entre réalité et démence, la frontière devient de plus en plus floue, les plongeant dans un cauchemar terrifiant où l'énigme de la maison en Bretagne se mêle à leur propre tourment. Leur lutte pour la vérité et la survie les entraîne dans un tourbillon de peur, où chaque ombre dissimule une menace.



À PROPOS DE L'AUTRICE 

Christelle Rousseau, née en région parisienne en 1974, a toujours été attirée par l’écriture. Elle arrête ses études et voyagera dans plusieurs pays, elle passera d’ailleurs 6 mois en Égypte où elle aura l’idée de son premier roman. Après avoir repris ses études en droit et de criminologie, elle occupe plusieurs emplois sans pour autant arrêter l’écriture.

Dès qu’elle a su lire et écrire elle a commencé à réinventer les histoires qu’elle lisait jusqu’à imaginer ses propres histoires. Elle a ensuite découvert Agatha Christie, Stephen King, Mary Higgins Clark, le duo Giacometti -Ravenne, Jean-Christophe Grangé et Steve Berry.

Ses genres littéraires oscillent entre roman noir et thriller, mais n’hésite pas à faire une incursion dans l’horreur et l’Histoire de temps en temps.

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AN

IFERN

Christelle Rousseau

Thriller/paranormal

Images : Adobe Stock

Illustration graphique : Graph’L

Éditions Art en Mots

« Tout ce que nous voyons ou croyons n’est qu’un rêve dans un rêve. »

Edgar Allan Poe

Prologue

Derrière les murs de cet endroit, le temps n’a plus de sens.

Je sais que je ne suis pas folle. Ce que j’ai vécu est bien réel.

Personne ne veut me croire. Je les comprends. Pour eux, je ne suis qu’une déséquilibrée sujette à des hallucinations.

J’ai habité dans un purgatoire qui m’a conduite en enfer.

Je ferme les yeux, essaie de me rappeler quelque chose.

Je revois ma maison, perdue au milieu de la lande bretonne. Celle de mes voisins, un peu plus loin…

En fait, tout est flou.

Je ne me souviens pas vraiment. En fait, je m’en fous, je préfère oublier. Je suis heureuse de ne plus avoir aucune réminiscence.

J’aime mieux flotter entre rêve et réalité, plutôt que revivre ce cauchemar. Sauf qu’ils sont toujours là.

Je les sens.

Tout près de moi.

Ingrid

13 avril

Je me souviens de l’accident comme si c’était hier, mais de ce qu’il s’est passé ensuite, je n’en ai aucune idée. Le trou noir.

L’autre voiture a grillé le feu rouge. Elle roule trop vite, beaucoup trop rapidement. Je n’ai rien pu faire. Le choc a été violent. J’entends le crissement des pneus sur l’asphalte, un bruit horrible de tôle froissée. J’ai vu le véhicule foncer droit sur moi. Je suis scotchée à mon siège, je ne peux plus bouger, paralysée à mon volant. J’ai fait plusieurs tonneaux et puis le trou noir. J’ai sans doute dû perdre connaissance.

Je me suis réveillée dans un endroit que je ne reconnais pas. Des lumières blafardes, des « bips » stridents qui proviennent d’une machine à laquelle je suis reliée. Je panique. Mon corps est perclus de douleurs et le moindre mouvement m’arrache un cri involontaire. Une pression me gêne au niveau de l’avant-bras. Je jette un coup d’œil rapide et aperçois une perfusion qui laisse tomber une à une des gouttes d’un liquide translucide. Je me sens vaseuse, probablement les médicaments.

Instinctivement, je tâte mon ventre et je comprends immédiatement. Il y a eu un problème. Je le ressens au plus profond de moi-même. Une sensation inexplicable de vide.

Un hurlement de bête blessée sort alors de mes entrailles et résonne dans la pièce.

Le bip de la machine s’affole. Dans le couloir, un vacarme se fait entendre et deux femmes en tenues blanches de soignants entrent dans ma chambre. Malgré ma vision floue, j’identifie les deux inconnues comme étant des infirmières.

— Calmez-vous, madame. Ne vous inquiétez pas, vous êtes en sécurité, à l’hôpital.

— À l’hôpital ? Ah oui, l’accident de voiture. Mon bébé ? Dites-moi, j’ai accouché, n’est-ce pas ? Il n’y a pas de problèmes pour lui ?

La plus âgée des deux femmes me pose la main sur la tête, comme on le ferait pour un enfant qui a fait un cauchemar. Un geste d’apaisement, presque maternel. Elle me caresse doucement les cheveux.

— Un médecin va passer vous voir et tout vous expliquer. Pour le moment, il faut vous relaxer, mon petit.

Sur ces mots, elle attrape la seringue que lui tend sa collègue et injecte son contenu dans la perfusion. Quelques secondes plus tard, je me sens partir, totalement engourdie. Mes paupières deviennent lourdes, ce qui m’entoure se trouble.

La seule chose dont je suis consciente est une larme coulant le long de ma joue et qu’une immense tristesse m’envahir.

MAI

Alex

14 mai

Lorsque la porte s’est ouverte, l’unique chose que j’ai vue est la haine dans ses yeux. Elle n’a pas dit un seul mot. D’ailleurs, ce n’est vraiment pas la peine. Son regard est assez explicite pour me faire comprendre que je suis dans de sales draps.

On peut dire que j’ai véritablement loupé mon coup ! Une partie de jambes en l’air dans mon bureau, quelle belle connerie ! Pour le coup, ce n’est pas avec mon cerveau que j’ai réfléchi ! Mais pour ma défense, la tentation a été trop grande et tellement irrésistible. Quelques secondes plus tard, de la fenêtre, je la vois démarrer en trombe. Environ une heure après, je reçois un coup de téléphone qui va tout changer. Ingrid a eu un accident de voiture. Le policier, à l’autre bout du fil, m’annonce que le choc a été violent. Il ne reste plus rien du véhicule. Il ajoute que le second conducteur roulait à vive allure, en état d’ivresse et sans permis.

J’ai tout laissé tomber et je me suis précipité à l’hôpital.

Le médecin qui me reçoit n’est pas très optimiste. Elle a perdu le bébé et ne pourra sans doute plus jamais avoir d’enfant. Elle souffre de plusieurs blessures internes et la convalescence va être longue.

— Heureusement qu’elle avait sa ceinture. Dans le cas contraire, le choc aurait pu être fatal.

La suite n’est pas plus encourageante. Il m’explique qu’elle risque de sombrer dans une dépression plus ou moins importante. Perdre un enfant à huit mois de grossesse peut être terrible pour une femme. Mais après, chacune réagit à sa manière.

Le médecin m’autorise à la voir. Lorsque je rentre dans la pièce, je reçois un immense choc. Elle est inconsciente, un bras dans le plâtre. Son visage est couvert d’ecchymoses et d’égratignures, l’un de ses yeux est noir, enflé et complètement fermé.

Je m’en veux énormément. C’est de ma faute si elle est sur ce lit d’hôpital, si elle a perdu notre bébé. Je sais que lorsqu’elle ira mieux, ce sera sans doute la fin de notre mariage.

Notre fils unique, Julien, est assez grand pour appréhender la situation. À quinze ans, il comprend parfaitement que la vie n’est pas forcément toute rose. Si le divorce est inévitable, il est certain que je ne m’y opposerai pas, c’est le droit de ma femme.

En la regardant, inconsciente sur son lit, je me rends compte que je l’aime sincèrement, profondément, même. Je préfère qu’elle me quitte parce que j’ai merdé, plutôt que de la voir mourir. Je ne me le pardonnerai jamais et Julien non plus. Il est proche de sa mère, partage beaucoup de choses avec elle.

Je suis impuissant. Je dépose un baiser sur son front, à la racine de ses cheveux, lui caresse la joue et sors de la chambre. Je retiens tant bien que mal mon chagrin. Ce n’est pas dans mon caractère de montrer ce que je ressens. Je dois annoncer la nouvelle à mon fils. C’est presque l’heure de la fin des cours. Le mieux est que j’aille le chercher, que je l’emmène dans un endroit tranquille pour lui apprendre l’accident de sa mère. Je sais que cela ne va pas être facile, et surtout un moment pénible pour tous les deux.

Dans l’une des petites brasseries du jardin des Tuileries, je lui raconte tout. Ma liaison, Ingrid qui nous a surpris en flagrant délit, et le carambolage…

Comme je m’en suis douté, il encaisse la nouvelle assez mal, allant même jusqu’à m’insulter. Les autres clients tournent la tête vers nous, choqués du langage de Julien. En temps ordinaire, je n’aurais jamais accepté ce genre de comportement. Cependant, vu les circonstances, je ne dis rien. Il se lève et m’annonce qu’il préfère prendre le métro, qu’il va aller chez un pote. S’il ne rentre pas, il m’enverra un message.

Je ne peux pas le blâmer. Sa mère est clouée sur un lit d’hôpital, a perdu le petit frère dont il attendait la venue avec impatience. Tout cela à cause de moi. Je ne cherche pas à le retenir. Il ne veut pas rester avec moi et je le comprends. Je le regarde s’éloigner en direction de la place de la Concorde. De mon côté, je fais signe au serveur et lui commande une autre bière. Je n’ai pas envie de rentrer chez moi du moins, pas pour le moment.

Il a fallu de longues semaines à Ingrid pour se remettre. Lorsqu’elle a compris qu’elle avait vraiment perdu le bébé, elle s’est effondrée. Des sanglots désespérés ont à ce moment-là résonné dans la pièce. Elle a pleuré pendant plusieurs heures puis est tombée dans un profond mutisme pendant près de quinze jours. Ses yeux n’ont plus leurs petites flammes, leurs étincelles qui m’ont charmé. Ingrid n’est plus que l’ombre d’elle-même et quand je la ramène à la maison elle va s’enfermer dans la chambre d’ami.

Son état nécessite beaucoup de repos. Le médecin m’a prévenu.

Elle ne m’a pas adressé la parole. Mais elle n’en a pas besoin, son regard a retrouvé toute sa vigueur et est assez expressif pour traduire le fond de sa pensée.

Alors je ne vais pas la brusquer. Je lui laisse le temps de reprendre le cours de sa vie, à son rythme.

Ingrid

20 mai

La réalité est vraiment terne. Même les rayons du soleil qui passent à travers les fenêtres me semblent tristes.

Mon cerveau me paraît lourd, engourdi, comme s’il était enveloppé dans du coton. Je dois avouer que pour le moment cette sensation me va bien. J’ai l’impression, même si elle est faussée par les séquelles de l’accident, qu’elle me protège du monde extérieur. Je n’ai pas envie d’affronter les autres, je me sens encore trop fragile. J’ai trop de douleur et de tristesse au fond de moi, pour faire face à mon entourage. Je veux rester dans ma bulle pour pouvoir pleurer mon bébé, ce petit ange que je ne connaîtrai jamais.

L’image de mon mari et de sa maîtresse, en train de faire des galipettes dans son bureau, me transperce le cerveau comme une aiguille. C’est idiot, mais je considère quand même que se taper sa secrétaire sur la table de travail fait très cliché. Franchement, mon cher époux aurait pu trouver beaucoup mieux. En général, il fait preuve de beaucoup plus d’imagination.

Je lutte avec mes sentiments depuis que je suis rentrée à la maison. L’unique chose dont j’ai envie est de sortir de ma chambre et de sauter à la gorge d’Alex. Je ne veux pas qu’il souffre autant que moi.

Je me tiens debout près de la fenêtre, adossée au mur, regardant à travers sans vraiment rien voir.

J’entends frapper doucement à la porte, puis quelqu’un entrer sur la pointe des pieds.

— Ça va, maman ?

Je lève la tête et remarque l’expression inquiète de Julien.

Je lui souris machinalement, tandis qu’il referme derrière lui. J’essaie de faire bonne figure devant lui. Je ne veux pas qu’il se fasse du souci pour moi. Il faut qu’il reste concentré sur ses études.

Pour un ado de quinze ans, il est plutôt grand, athlétique. Il adore le sport qu’il pratique assidûment, surtout le basket.

Des cheveux blonds coiffés à la dernière mode, des yeux noisette. Je suis au courant qu’il est la coqueluche de toutes les filles du lycée. Mon cœur se gonfle soudain de fierté. Il est si beau ! C’est un jeune homme qui sait se mettre en valeur. Il était impatient d’accueillir son petit frère. Souvent, le soir après les cours, il restait avec moi dans mon bureau en me racontant ce qu’il lui apprendrait. Il se montrait déjà très protecteur envers le bébé, bien qu’il ne soit pas encore là.

Toujours aussi prévenant, il a apporté des pizzas et une bouteille de soda qu’il pose sur la table basse. Il s’avance vers moi et m’embrasse sur la joue.

— À vrai dire, c’est plutôt la déprime. Et toi, mon grand, comment vas-tu ?

— La routine, les cours, les potes…

Même si je n’ai pas vraiment faim, j’attrape une part dégoulinante de fromage et de pepperoni. Julien s’installe sur le sofa qui fait face à mon lit après s’être servi.

Je devine que c’est lui qui doit harceler son père pour qu’il aménage cette pièce, ou du moins à acheter les meubles. Julien s’est chargé de tout mettre en place. Je lui en avais parlé juste avant ma sortie de l’hôpital. Je ne peux plus partager le même lit qu’Alex.

— Je suis désolé, M’man. Si j’avais su, j’aurais peut-être pu faire quelque chose…

— Julien, qu’est-ce que tu aurais pu faire ? Tu n’as que quinze ans et ton père quarante-deux. Tu es trop jeune pour t’occuper de ce genre chose. Et puis tu connais ton père, il t’aurait envoyé paître !

— Je suis au courant. Mais c’est quand même un salaud. Te faire ça avec cette fille. Elle ne t’arrive même pas à la cheville !

Normalement, je n’aurais pas toléré une telle remarque de la part de mon fils, mais cette fois, je ne dis rien. Au contraire, je me mets à rire de bon cœur et attrape une autre part de pizza.

Tout à coup, je meurs de faim !

Alex

24 mai

Ce midi, j’ai rendez-vous avec mon éditeur, Gilles, pour le déjeuner. Il m’a emmené dans l’un des nombreux restaurants gastronomiques de la place d’Auteuil dans le XVIe arrondissement de Paris, les plus chics du coin. C’est ici qu’il invite ses auteurs les plus importants. Gilles aime montrer sa réussite, être aperçu en compagnie des célébrités du moment. Cependant, avec moi, c’est différent. Nous nous connaissons depuis l’université. Il sait que je ne suis pas très mondanités, mais à chaque fois que nous nous rencontrons, il ne peut s’empêcher de mettre en avant son côté prétentieux.

La journée est chaude et ensoleillée. À mon arrivée, toutes les tables sont occupées. Je me présente à l’hôtesse qui me conduit à la place où Gilles est déjà installé. Dès qu’il me voit, mon ami se lève, remercie la jeune femme et me gratifie d’une solide poignée de main. Comme d’habitude, il me broie à moitié les phalanges. Avec sa carrure et sa force, je me suis toujours demandé, s’il n’avait pas été rugbyman avant de se lancer dans l’édition. Après avoir échangé des banalités d’usage, Gilles me pose la question fatidique.

— Comment va Ingrid ?

Je hausse les sourcils. Je dois avoir vraiment l’air déprimé, car Gilles commande deux whiskies secs sans même savoir ce dont j’ai véritablement envie. Je ne dis rien, j’en ai réellement besoin. Je suis moralement épuisé.

— En fait, je ne sais pas trop. On ne se parle quasiment pas. C’est un peu bizarre. Nous sommes comme deux étrangers qui vivent sous le même toit. Je crois que nous sommes à deux doigts de divorcer.

— Ce qui vous est tombé dessus, à tous les deux, est une véritable tragédie, réplique Gilles avec conviction. Perdre un enfant est sûrement la pire des choses qui peuvent arriver.

— C’est vrai, tu ne peux pas t’imaginer. J’ai complètement foiré sur ce coup-là. J’ai trompé ma femme parce que le médecin lui avait interdit toutes relations intimes à cause du bébé.

Gilles me dévisage d’un air curieux. Je sais qu’il n’aurait jamais pu croire que je puisse faire une telle chose, mais je dois confesser qu’un homme ne réfléchit pas toujours avec son cerveau.

— Comment s’appelle-t-elle ? Je la connais au moins ?

— Oui, c’est Katie…

Gilles ouvre de grands yeux, visiblement envieux, voire gourmand, puis avale une bonne rasade d’alcool.

— Ton assistante de recherche ! Tu t’es tapé ton assistante de recherche ! Chapeau bas, mon gars ! Là, tu as fait fort ! C’est véritablement un beau petit lot !

— Gilles !

Nous sommes interrompus par la serveuse qui vient prendre nos commandes. J’attends ensuite qu’elle se soit éloignée pour continuer.

— C’est vrai, je te l’accorde, elle n’a pas froid aux yeux, mais foutre mon mariage en l’air pour une histoire de quelques semaines, tu crois que cela en valait la peine ?

— Non, je suis d’accord. D’autant plus que ta femme est géniale.

L’arrivée des entrées nous fait changer de conversation. Nous étions là pour parler boulot.

— Je souhaite sincèrement que vous puissiez surmonter cette crise, ajoute Gilles entre deux bouchées de cassolettes de Saint-Jacques au riesling.

J’ai un sourire un peu dépité.

— Je vais essayer. Nous traversons des moments difficiles, c’est sûr, mais je ne perds pas espoir. Mais je suis conscient que ça risque d’être compliqué pour repartir sur de nouvelles bases.

Ingrid

24 mai

D’après mon psy, je souffre de stress post-traumatique, ce qui n’est pas inhabituel après une telle épreuve.

Les symptômes vont des flash-back à l’anxiété, en passant par des cauchemars, de l’irritabilité.

Je vais le voir une fois par semaine. Je ne sais pas si cela est vraiment utile, mais pour l’instant, ça me va. Avec elle, je peux parler de tout et de rien, de ce qu’il me passe par la tête sans avoir à me justifier. Au début, ça n’a pas été facile, je ne suis pas du genre à m’épancher avec la première inconnue croisée. Mais franchement, elle m’a mise en confiance et peu à peu j’ai commencé à me livrer. Je ne m’exprime pas forcément sur l’accident ou de la perte du bébé, mais elle m’a assuré que discuter de choses qui peuvent me sembler anodines a son importance. Elle m’a également conseillé de faire de l’exercice, de la relaxation musculaire, de la méditation afin de tenter de canaliser les traumatismes.

Et puis j’ai mon boulot, je suis dessinatrice de livres pour enfants. Quelquefois, il m’arrive aussi de collaborer avec des auteurs de polars ou de thrillers lorsqu’ils veulent des romans enrichis de croquis ou pour leurs couvertures. C’est comme ça que j’ai rencontré Alex. Il venait de publier son premier bouquin, un véritable carton. Pour les fêtes de Noël, son éditeur a eu l’idée de sortir une version agrémentée d’illustrations. Alex et moi avons tout de suite accroché, tant au point de vue professionnel, que personnel.

J’ai la nuque et les épaules raides. Je m’étire, tourne la tête de droite à gauche pour décoincer mes cervicales. Je suis restée trop longtemps penchée sur ma table à dessin. Je me lève afin de me dégourdir un peu les jambes et je me dirige vers le miroir. Mes cheveux auburn qui m’arrivent en haut du dos ont besoin d’une petite coupe d’entretien. J’ai encore maigri, je flotte dans mon pantalon. Des cernes violacés sont apparus sous mes yeux, je manque cruellement de sommeil. Mon médecin m’a prescrit des somnifères en plus des antidépresseurs, mais je ne veux pas les prendre.

Je suis assez assommée comme ça par les anxiolytiques.

JUIN

Ingrid

2 juin

La décision est prise. On déménage. J’en ai besoin, on en a besoin. Cet appartement me rappelle trop de mauvais souvenirs. Je ne veux plus passer devant la chambre qui aurait dû être celle de notre bébé. C’est trop douloureux.

Avec Alex, on ne se parle quasiment plus. Il y a comme une distance qui s’est installée entre nous. Enfin, c’est plus un fossé en fait. Mais je n’y peux rien. Je ne supporte plus sa présence. Mais qu’est-ce qui a bien pu lui traverser la tête ? Et pour le moment, je ne veux pas savoir. Je me sens responsable de la mort du bébé, même si mon médecin me répète sans cesse que je n’y suis pour rien, que c’est la faute à pas de chance. Mais je ne peux pas m’empêcher de culpabiliser.

Les médicaments que je prends m’abrutissent. J’ai l’impression d’être un zombie, mais je pense que pour le moment, c’est mieux ainsi. Mon psy me dit qu’il me faut du changement, que je continue à travailler. Après ma séance, je me suis arrêtée dans une brasserie pour commander un thé et une part de gâteau au chocolat. J’ai besoin de réfléchir sereinement. Perdue dans mes pensées, je regarde distraitement les passants qui se pressent sur les trottoirs. En face de moi, la Seine s’écoule comme un long serpent argenté qui brille sous le soleil parisien. Des touristes flânent tranquillement, leur appareil photo à la main. J’aime cette ville. Le tumulte parisien fait partie de ma vie, mais depuis l’accident, toute cette agitation, ces mouvements de foules, ces bruits incessants deviennent peu à peu insoutenables. J’ai besoin de calme, de changer d’air. Lorsque je rentre à la maison, je trouve Alex dans le salon. Je m’installe dans le fauteuil en face de lui, mais j’évite de le regarder, je ne supporte pas d’apercevoir ses yeux, son expression qui semblent vouloir dire : « Mais pourquoi, tu m’en veux autant ? »

Après lui avoir exposé mon ressenti, je lui annonce qu’il faut qu’on déménage.

— Mais où souhaites-tu aller ? En banlieue ?

— Je ne sais pas encore. Je verrai.

— Comment ça, tu verras ? J’ai mon mot à dire quand même !

— En fait, non. Si nous en sommes là, c’est par ta faute. C’est toi qui n’as pas pu t’empêcher de baiser ta secrétaire. Si je ne t’avais pas surpris en flag, jamais je n’aurais eu cet accident et rien de tout cela ne serait arrivé !

Je suis furieuse par tant de nonchalance, comme si toute cette histoire ne le touchait pas. Je hurle, laisse exploser ma colère. Je me fais l’effet d’être un volcan en pleine éruption. Mais bon sang, qu’est-ce que cela fait du bien ! Je lui impose cette décision, il n’a rien à dire. Il l’accepte ou il s’en va.

J’ai envie d’une grande maison avec un jardin pour que je puisse y être tranquille, dessiner, planter des fleurs. Je veux reprendre aussi le dessin sérieusement, pas uniquement pour le travail, mais également pour le plaisir. Ma thérapeute m’a expliqué que cela peut être une excellente façon d’exorciser ma douleur, ce qui me ronge de l’intérieur, de surmonter cette épreuve. C’est vrai, j’ai du mal à dire ce qui ne va pas, à exprimer mes sentiments. Sans doute la peur d’être jugée. Et puis, il y a les voisins, pleins de condescendance. Je ne les supporte plus. Les entendre : « Si vous avez besoin de quelque chose, n’hésitez pas. » J’ai l’impression qu’ils ne comprennent pas que la seule chose dont j’ai envie est de pouvoir retrouver mon bébé, de courir les magasins afin de lui acheter de la layette. J’ai le désir de ressentir les douleurs de l’accouchement, de l’entendre pousser son premier cri. Mais ça, personne ne pourra me le redonner.

C’est décidé, demain, j’irai faire le tour des agences immobilières. Bien évidemment, Alex n’est pas très chaud et il tente de me faire changer d’avis. C’est alors que je lui fais remarquer que c’est mon argent et je l’utilise comme je veux.

Alex

2 juin

Je n’en reviens toujours pas. Ingrid a décidé de déménager. Comme de bien entendu, je n’ai pas eu mon mot à dire. J’ai bien essayé de la faire changer d’avis, mais elle m’a fait remarquer qu’elle fait ce dont elle a envie et que je n’ai rien à objecter. Elle m’a gentiment rappelé que c’est son argent, que c’est elle qui a acheté notre logement et que si elle veut le vendre, rien ne l’en empêchera.

Je sais qu’elle a raison. Ingrid vient d’une famille très aisée et c’est grâce à elle qu’on a pu faire bouillir la marmite au début de notre mariage. Même si mon premier roman a eu un succès immédiat, j’étais loin d’être à l’aise financièrement.

Je ne suis pas en position de dire quoi que ce soit après mon comportement envers elle. Si seulement, j’avais imaginé les conséquences de mes actes. J’ai été le pire des imbéciles ! Pour le moment, j’espère juste sauver mon couple. Alors, s’il faut que l’on déménage, pour cela, eh bien, on le fera.

Ce soir-là, Ingrid a pris un somnifère et est montée se coucher de bonne heure, comme quasiment tous les jours. Lorsque j’ai ouvert la porte, elle dormait à poings fermés.

Un peu plus tôt dans la soirée, nous avons eu une terrible dispute, très impressionnante. Je suis certain que les murs ont tremblé ! Mais pour le coup, je me suis comporté une fois de plus comme un abruti. Je n’ai pas été très malin, j’aurais dû me montrer plus prudent. Pendant que je préparais le dîner, Ingrid a fouillé mon portable et s’est aperçue que je n’avais pas effacé le numéro de Katie. Deux secondes plus tard, j’ai bien cru qu’elle allait m’étriper. Jamais je ne l’ai vue dans une telle rage.

Elle a hurlé, pleuré. Elle m’a même giflé, chose qui ne lui est jamais arrivée en seize ans de mariage, même lorsqu’elle m’a surpris avec Katie. Ce jour-là, d’ailleurs, je me souviens bien qu’elle ne s’est pas vraiment mise en colère. Non, elle s’est arrêtée sur le pas de la porte de mon bureau, son visage figé dans une expression d’horreur. Elle m’a juste insulté avant de partir en courant.

Mais ce soir, elle s’est transformée en véritable ouragan. Après m’avoir copieusement traité de tous les noms et frappé par la même occasion, elle s’est dirigée vers la cuisine puis elle est montée. Lorsque je me suis rendu à mon tour dans la pièce pour la ranger, le flacon de somnifère était encore sur la table et, posés à côté, une bouteille de vin et un verre salent.

Cela ne m’étonne pas réellement qu’elle roupille comme un loir. Le cocktail de narcotiques et alcool, il n’y a rien de tel pour rejoindre Morphée en moins de deux.

Pour le coup, je n’ai pas envie de rester dans cet endroit à ruminer seul dans mon coin. Je file sous la douche, enfile une tenue un peu plus adéquate pour une virée nocturne. Le style décontracté chic est toujours plus sympa. Là où je vais, je suis certain de faire des rencontres agréables. Quelque temps plus tard, je gare la voiture dans l’un des parkings souterrains, nombreux dans la capitale, et parcours les quelques mètres qui me séparent des Champs-Élysées à pied. Les trottoirs sont bondés. Dans ce quartier de Paris, il y a toujours du monde, à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit. Je me dirige vers ma brasserie préférée. Je sais aussi qu’il y a de grandes chances pour que j’y croise Katie. C’est une habituée des lieux. Effectivement, elle est là, assise au bar devant un cocktail. Sa longue chevelure blonde tombe en cascade sur ses épaules. Sa robe écarlate est si moulante qu’elle ne cache absolument rien et laisse aisément deviner qu’elle est nue en dessous. Elle tourne la tête au moment même où je franchis le pas de l’établissement.

Ses yeux bleus se mettent à pétiller lorsqu’elle m’aperçoit et sa bouche rouge vif s’agrandit dans un immense sourire. Je lui fais signe de me rejoindre à une table libre dans un coin tranquille. Je commande deux coupes de champagne. Il faut que je lui annonce mon futur déménagement et je sais qu’elle risque de mal le prendre. Quand je lui explique la situation, en choisissant mes mots avec soin, je la vois blêmir. Ses yeux se remplissent de larmes et ses lèvres se mettent à trembler. Pour éviter de pleurer devant moi, elle avale son champagne d’un trait. Avec elle, tout est possible. Je dois avouer que j’appréhende un peu sa réaction. Katie est une femme entière, très ambitieuse qui ne sait pas cacher ses sentiments. La tristesse disparaît d’un coup et de la colère se lit à présent dans son regard qui me lance des éclairs. Elle se lève sans un mot, attrape la pochette assortie à sa robe et s’en va. Je l’observe qui s’éloigne une dernière fois. Sa démarche chaloupée est féline, provocante. Je sais qu’elle le fait exprès, pour capter l’attention des hommes présents. Je dois avouer que cela marche plutôt bien. Je vois des dizaines de tête se retourner sur son passage. Son parfum capiteux flotte quelques secondes dans l’air avant de disparaître, tout comme elle.

Ingrid

17 juin

Nous sommes déjà à la mi-juin. La maison est en vente. Je n’ai pas laissé le choix à Alex qui a tenté à de nombreuses reprises de me faire changer d’avis. Je ne veux rien savoir. La blessure est trop profonde. Je ne réussis plus à le regarder en face. Il me dégoûte. Je n’arrive pas à voir autre chose en lui que l’homme qui m’a délibérément trompée. Cela me rend extrêmement mal à l’aise de me trouver dans la même pièce que lui.

Je ne sais pas si déménager sera la solution pour sauver notre couple, mais pour le moment, c’est la seule chose dont j’ai vraiment envie. J’ignore si je veux réellement nous donner une seconde chance. Je retourne cette question dans ma tête à longueur de journée sans trouver de réponse. J’en ai parlé à mon psy qui m’a fait remarquer qu’il n’y a que moi qui peux découvrir la clé du problème. Mais changer d’environnement ne peut pas me faire de mal, a-t-elle ajouté.

Notre agent immobilier nous a assuré que nous pouvons en tirer un bon prix. Bien située, dans un quartier calme et chic, elle risque de ne pas traîner longtemps en vente. Les maisons sont rares dans la capitale. Les aménagements apportés comme la véranda, la cheminée, vont, selon elle, se révéler un atout pour les futurs acquéreurs, même si le marché est un peu en berne en ce moment.

De notre côté, nous avons commencé à visiter plusieurs endroits en banlieue. Cependant, aucune ne me plaît. Il y a toujours quelque chose à redire. Alex perd patience, il me trouve trop difficile, mais son avis m’importe peu. C’est ma décision. Soit il accepte, soit il part.

J’ai récemment appris par une amie que cette liaison a continué pendant que j’étais à l’hôpital après mon accident. Mon mari a choisi la secrétaire comme partenaire de trahison, c’est tellement original et inattendu ! Je suis chanceuse de vivre un cliché aussi classique !

Lorsque je lui ai demandé des explications, la seule chose qu’il a trouvée comme excuse est qu’à ce moment-là il était paumé, qu’il ne comprend pas ce qu’il lui est passé par la tête, c’est une aventure sans importance, sans lendemain.

Une histoire sans lendemain ? Mais bien sûr ! J’étais sur un lit d’hôpital à me remettre de l’accident et de la perte de mon bébé, tout ça à cause de lui, et monsieur s’envoyait en l’air avec cette salope !

Le plus drôle dans tout ça est que je la connais, cette fille. Tout nous oppose. C’est le genre de nana qui ne sort jamais sans être maquillée et habillée, comme si elle allait en boîte. Ses cheveux sont toujours impeccablement peignés. J’ai eu l’impression qu’elle devait occuper tout son temps libre dans les instituts de beauté et les coiffeurs.

Au début qu’elle a commencé à travailler avec Alex, j’ai essayé de sympathiser avec elle, mais j’ai vite laissé tomber. Dès les premiers jours au bureau, elle s’est imposée comme la maîtresse des lieux. À chaque fois que je passais à l’improviste pour rendre visite à Alex, je devais batailler avec elle pour réussir à voir mon mari. À croire qu’il bossait sur des dossiers top secret, et non pas sur un roman.

Alex a choisi de louer cet endroit afin d’être tranquille et a embauché une secrétaire, ou plutôt une assistante pour l’aider dans ses recherches et gérer ses rendez-vous. Plusieurs fois, j’ai dû hausser le ton, rappelant à cette personne que j’étais la femme de son employeur et pas un simple entretien de travail. Maintenant, je comprends pourquoi. Elle avait déjà des vues sur mon mari.

Le jour de l’accident, j’avais décidé de faire une surprise à Alex en allant à son cabinet à l’improviste. Après une longue séparation à cause d’une tournée promotionnelle, nous avions besoin de nous retrouver. J’avais dans l’idée de l’inviter à pique-niquer, de prendre l’air, de passer un moment en amoureux. Je suis donc entrée doucement et j’ai trouvé curieux que le fauteuil de Katie soit vide. Pas de chien de garde. L’endroit était étrangement calme. Puis, en tendant l’oreille, j’ai perçu des bruits qui ne laissaient aucun doute sur ce qu’il se déroulait. Des halètements, des gémissements. Apparemment, Katie était en pleine action dans le bureau d’Alex. Elle a profité de son absence pour une petite partie de jambes en l’air. Mais un mauvais pressentiment s’est emparé de moi. J’ai alors ouvert la porte et je n’ai pas pu retenir le cri qui m’est monté à la gorge. J’ai porté les mains à mon ventre, comme pour empêcher le bébé d’apercevoir ce qu’il se passait.

Alex était là, de dos, les fesses à l’air en train de baiser sa secrétaire. Lorsqu’il m’a entendue, il s’est retourné et je l’ai vu blêmir. Fébrilement, il a remonté son pantalon et Katie a baissé sa jupe tout aussi rapidement. Je me suis appuyée contre le chambranle de la porte, j’ai fait tomber le sac de sandwiches que je comptais partager avec Alex et me suis sauvée en courant. La seule chose que j’ai perçue a été mon mari qui hurlait mon prénom dans le couloir.

— Non, attends, Ingrid ! S’il te plaît, ce n’est pas ce que tu crois !

Je me souviens d’être montée dans ma voiture, et ensuite, c’est le trou noir jusqu’à mon réveil à l’hôpital.

Je lui en veux énormément. Je me sens trahie, salie. J’ai tant besoin de lui, mais maintenant je ne peux plus lui faire confiance. Je n’ai qu’une seule envie, celle de lui faire payer au centuple, de le faire souffrir, comme moi je souffre en ce moment. Depuis, dès qu’il essaie de me toucher, de me prendre ne serait-ce que la main, je m’esquive. Je ne supporte plus son contact. Je fais pourtant des efforts, mais c’est au-dessus de mes forces. Tout ce que je peux faire est de faire en sorte que Julien aille bien et qu’il ne pâtisse pas trop de la situation.

Pour le moment, Alex s’occupe de faire les cartons. Même si je n’ai pas encore trouvé la maison de mes rêves, j’ai décidé de commencer à faire du rangement. Je pourrais l’aider, mais je préfère le laisser faire. Après tout, je ne suis pas totalement remise de ma fausse couche. Plusieurs fois, il manque de tomber dans les escaliers, mais je fais mine de ne rien remarquer. Il souffle, il sue, il peste contre mes boîtes de livres trop lourds, mais je n’entends rien… Il ne comprend pas pourquoi on doit faire les cartons alors que la maison n’est pas vendue. Je le sais, c’est trop tôt, mais on ne peut pas prévoir. Je le sens, je vais bientôt trouver un endroit où je serai bien.

Ingrid

20 juin

Pour le moment, je suis au point mort dans la recherche de la nouvelle maison. Il n’y a décidément rien qui me plaise. Alex commence sérieusement à s’impatienter.

— Tu ne sais vraiment pas ce que tu veux, me lance-t-il pendant le dîner. Rien n’est à ton goût, il y a toujours quelque chose qui ne va pas.

Je pose doucement ma fourchette et respire un grand coup. Si je ne me retenais pas, je la lui planterais dans le cou !

— Je souhaite simplement trouver un endroit dans lequel je me sente bien et assez éloigné pour que je ne risque pas de croiser ta garce en me promenant !

— Ingrid…

— Tais-toi ! Je n’ai pas envie d’écouter tes excuses bidon. J’ai accepté de ne pas divorcer pour le bien de Julien, je veux essayer, j’ai bien dit essayer, de te donner une seconde chance, mais à mes conditions. Tu n’as pas oublié ?

Alex baisse les yeux, comme un gamin pris en faute. Il sait que j’ai raison et que je n’hésiterais pas à demander le divorce si le besoin m’en prenait. Il y a des gens qui se séparent pour moins que ça.

— OK ! Tu as gagné !

Je me lève de table. Je n’ai plus faim. Cette discussion m’a coupé l’appétit.

— Rappelle-toi une chose, Alex, tu as beau être un auteur à succès, tu m’es complètement inutile. Financièrement, je suis indépendante, alors, si j’ai envie de mettre les voiles, rien ne m’en empêche.

Il le sait. Héritière d’une famille aristocratique de l’ouest de la France, de Bretagne, exactement, je n’ai pas besoin de lui pour vivre. Lorsqu’il s’est lancé dans sa carrière d’écrivain, je l’ai soutenu. Je n’ai rien dit quand il a décidé de démissionner de son poste d’assistant d’un grand groupe éditorial pour se consacrer définitivement à l’écriture. J’ai tout supporté. Ses doutes, ses peurs, mais l’infidélité, ce n’est pas possible, non ! En fait, je compte bien le lui faire payer ! Non pas en le trompant à mon tour ce serait trop facile, voire mesquin.

Je n’ai pas encore trouvé, mais ça viendra. Pour le moment, je me concentre sur moi et mon rétablissement.

Julien

20 juin

J’avoue qu’en moment, ce n’est pas la joie à la maison. Mes parents sont en guerre depuis que mon père a trompé ma mère et son assistante. Ils sont persuadés que je ne suis pas au courant, mais bon, je préfère les laisser dans l’ignorance. Je sais aussi que c’est à cause de ça que maman a eu son accident de voiture et qu’elle a perdu le bébé. Franchement, même si je n’ai que 15 ans, j’ai du mal à comprendre comment on peut tromper sa propre femme, surtout avec quelqu’un qui travaille avec toi. C’est dégueulasse et ça fait mal au cœur de voir ma mère dans cet état. Elle est triste, elle pleure souvent et je ne sais pas quoi faire pour la réconforter. Je me sens impuissant et j’aimerais tellement pouvoir l’aider à aller mieux.

Mais le pire dans tout cela c’est la perte du bébé, mon petit frère. Je ne sais même pas comment elle fait pour tenir le coup. C’est tellement injuste ! Je me voyais bien lui apprendre à jouer au foot, l’aider pour l’école, l’emmener au cinéma, enfin faire des trucs de grand frère. Je suis en colère. Je suis triste. Je voudrais tellement qu’elle aille mieux, mais je ne sais pas comment faire. J’ai essayé de lui proposer de sortir, de faire des trucs ensemble, mais elle n’en a pas trop envie. Alors, je fais des petites choses comme acheter les pizzas qu’elle adore. En sortant du lycée, je passe à la boulangerie lui acheter des gâteaux, même si je sais qu’en ce moment elle ne mange pas beaucoup. Je sors un peu moins avec les potes. Ils ont compris pourquoi. Mais ce sont les meilleurs ! Ils connaissent ma mère et la trouvent super cool. Alors ils se sont cotisés afin de lui commander l’intégralité de sa série préférée en coffret DVD pour lui remonter le moral.

Quant à mon père, je ne sais pas trop quoi penser de lui. Je lui en veux énormément et je ne comprends pas pourquoi il a fait ça. Je n’ai pas trop envie de lui parler pour l’instant. Après tout, lui, il va bien.

Alex

20 juin

Je regarde Ingrid sortir de la pièce. Je comprends sa réaction, j’ai merdé en beauté !

Mais au moment de l’accident, lorsque j’ai appris qu’elle avait perdu le bébé, j’ai disjoncté.

Katie était là. Depuis son arrivée, elle n’avait pas arrêté de me faire du rentre-dedans. Ses jupes étaient toutes plus courtes les unes que les autres, ses décolletés plongeants ne cachaient pas grand-chose. De véritables appels au viol. Je dois quand même avouer que cette fille est un vrai canon. Tout dans sa manière de marcher ou de s’exprimer n’est que séduction. À chaque fois qu’elle se penchait par-dessus mon épaule pour me parler, sa voix douce et sensuelle me fichait la chair de poule. Au début, lorsque je me suis rendu compte de son manège, j’avais mis les choses au clair : « J’aime ma femme et ce n’est pas la peine d’espérer plus. »

Mais je suis faible. Lorsque sa gynéco lui a interdit toute relation sexuelle à cause d’un problème dû à la grossesse, j’ai eu moins de remords. Après tout, j’avais des besoins à assouvir !

Et puis après l’accident, quand le médecin m’a annoncé la fausse couche d’Ingrid, j’ai de nouveau craqué.

Je n’avais pas pu la voir, elle dormait et le toubib m’avait demandé de revenir le lendemain. J’ai repris la voiture, encore sous le choc de la nouvelle, et je me suis arrêté dans un bar proche du bureau. J’avais besoin de me changer les idées, de boire pour oublier. Ce n’était pas dans mon habitude, mais ce soir-là, j’avais envie de faire le vide.

Je ne l’avais pas vu tout de suite. J’étais un peu comme un zombie. Je m’étais installé dans un coin tranquille, j’avais commandé une tequila, puis une seconde. J’étais perdu dans mes pensées lorsqu’elle s’est assise à ma table. La seule chose dont je me souviens est d’une robe blanche si moulante qu’elle ne cachait rien de son anatomie.

Elle n’avait rien dit, juste écouté. J’avais besoin de vider mon sac. Lorsque j’avais été trop saoul, Katie m’avait proposé de me raccompagner, je n’étais pas en état de conduire. Aussi bourré que je pusse l’être, j’avais bien compris ce qu’elle avait derrière la tête et je savais très bien ce que j’étais sur le point de faire. Il fallait bien l’avouer, cette fille était tellement bien foutue et de plus, elle n’avait pas froid aux yeux. Alors, pourquoi résister ? Grande, des jambes fines et interminables, blonde, des cheveux très longs, un regard vert qui ne laissait pas indifférent. Je suis à peu près sûr que même un curé se damnerait pour une nuit avec elle. On était repartis au bureau et à peine arrivés, on s’était jeté l’un sur l’autre. Tout en s’embrassant, on s’était dirigés vers mon cabinet de travail. Elle avait poussé un cri lorsque je l’avais pressée plus fort contre moi. D’un geste de la main, j’avais dégagé tout ce qui traînait sur la table. Pot à crayons, cahiers, feuilles, livres… Tout avait volé à travers la pièce.

Impatient, j’avais descendu rapidement la fermeture de sa robe. Le vêtement était tombé à ses pieds dans le bruissement soyeux du tissu. Je m’étais aperçu qu’effectivement, comme je le pensais, elle ne portait pas de sous-vêtements, c’est tellement mieux. Ça m’excitait encore plus. D’une main fébrile, j’avais déboutonné mon pantalon et de l’autre, je l’avais allongée sur le bureau. Son souffle s’était fait plus saccadé et, lorsque je l’avais pénétrée, elle s’était cambrée et m’avait imposé un rythme de plus en plus rapide jusqu’à l’extase, la jouissance. Je l’avais regardée ensuite se rhabiller. Elle n’avait aucune pudeur, bien au contraire ! J’avais même la sensation qu’elle en redemandait. Je devais avouer que j’avais passé un sacré moment avec cette fille. Non seulement elle assurait dans son travail, mais aussi au lit. Cette partie de jambes en l’air m’avait complètement dessaoulé. Rien à voir avec Ingrid. Katie, elle était exubérante et surtout n’avait pas froid aux yeux.

— On se revoit demain pour le boulot ? M’avait-elle demandé, tout en se rechaussant.

— Bien sûr, et si tu es libre, on pourra faire des heures sup !

En fait, ce n’est rien d’autre qu’une histoire de sexe, il n’y a pas de sentiments entre nous, du moins, pas de mon côté. J’aime Ingrid, c’est la mère de mon fils. Katie, c’est juste ma bouée de sauvetage, enfin elle l’a été.

Le jour de l’accident, j’avais décidé de rompre avec Katie. Lorsque Ingrid nous a surpris, j’avais accepté de coucher avec ma maîtresse une dernière fois. Une sorte de cadeau d’adieu. Je sais, ce n’est pas très futé, je le reconnais, mais elle a tellement insisté que je n’ai pas eu le cœur de le lui refuser. Et Ingrid est arrivée…

C’est après coup, lorsque la police m’a appelé que je me suis rendu compte que j’avais fait une belle connerie.je suppose que « s’amuser » avec une autre n’était pas vraiment la meilleure décision à prendre, mais bon… J’ai été faible, je n’ai pas réfléchi et maintenant j’en paie les conséquences. Alors, si elle veut déménager, je n’ai pas mon mot à dire. Après tout, je peux écrire partout et je n’ai pas besoin d’assistante pour effectuer mes recherches.

Si pour récupérer ma femme, je dois faire des sacrifices, eh bien, je les ferai.

Ingrid

22 juin

Je passe mes journées à traîner en pyjama, à écumer les annonces immobilières sur Internet.

Franchement, je n’ai pas envie de faire grand-chose. Je n’arrive pas à dessiner. J’ai juste terminé les illustrations pour un livre d’enfant qui ne pouvait pas attendre, mais c’est tout. J’ai prévenu mon éditrice que je prenais un peu de repos. Elle a compris, après tout, c’est ma meilleure amie en plus d’être ma patronne.

Je n’aurai qu’à lui faire signe lorsque je serai prête et que je me sentirai mieux.

Ce matin, devant mon ordinateur, je suis attirée par la photo d’une belle maison. Imposante, j’ai l’impression d’admirer « Tara », la demeure de Scarlett O’Hara, dans le film, Autant en emporte le vent, mais version gothique. Une partie centrale arrondie, la porte d’entrée cernée par deux piliers de style grec. De chaque côté, de larges baies vitrées. Des éléments de style néoclassique et colonial se mélangent et dénotent complètement dans le paysage breton. Une grande véranda entoure la façade et des colonnes grises imposantes soutiennent le toit. Je clique sur les différentes vues. Il y a un immense jardin avec au fond, une petite mare entourée de saules pleureurs. L’intérieur semble lui aussi très bien. La bibliothèque est une pièce longue lambrissée de chêne noir au fond de laquelle se trouve une grande fenêtre coulissante. L’entrée est également en boiserie. D’après la légende, il s’agit de châtaignier. La porte est vitrée sur sa partie haute. C’est un vitrail fleuri d’un lys.

C’est elle. Je le sens au plus profond de moi. Je veux cette maison. De plus, elle est située dans ma région d’origine, le Morbihan.

Ingrid

24 juin

Alice, ma meilleure amie, qui est également mon éditrice, est passée prendre de mes nouvelles. Notre complicité est née le jour où nous nous sommes rencontrées. Le jour où j’ai signé mon premier contrat avec elle.

Nous sommes très différentes l’une de l’autre. Je me suis mariée avec Alex, nous avons eu Julien. Alice, quant à elle, a préféré rester célibataire. Elle a pour habitude de dire : « Ne pas s’attacher et pouvoir continuer à papillonner d’un homme à un autre, afin de ne pas s’ennuyer. »

Nous sommes assises dans la cuisine face à face, devant une bouteille de vin blanc.

— Alors, ça y est ? Tu as trouvé ? Me demande-t-elle.

— Eh oui ! J’ai déniché la perle rare. Je suis tombée amoureuse de cette maison et pourtant je ne l’ai vu qu’en photo.

Alice sourit. Mais son rictus sonne faux, comme ceux qu’affichent les vendeuses qui veulent nous refiler un pantalon en taille trente-huit alors qu’on fait du quarante-deux.

— C’est tout toi, ça !

Je me redresse sur ma chaise et mon verre à la main, je tente de faire comme si je n’avais pas remarqué la drôle d’intonation de sa voix.

— Tu me connais ! Et puis j’ai vraiment besoin de changement. Cet endroit me rappelle trop de mauvais souvenirs.

Alice hoche la tête, compréhensive, et plonge le nez dans son assiette où trône un muffin aux myrtilles. C’est l’unique personne à qui j’ai parlé de l’infidélité d’Alex, mais lorsque je lui ai avoué la nouvelle, après l’accident, j’ai eu la sensation que cela ne la choquait pas. Comme si ce n’était pas la première fois qu’elle entendait dire que mon mari me trompait. Je dois sûrement me faire des idées. La fatigue combinée aux médicaments me fait comprendre de travers ou devenir un peu paranoïaque.

— Mais tu n’as pas peur de te sentir seule là-bas ? C’est quasiment perdu au milieu de nulle part, en plein milieu de la lande bretonne !

— Tu exagères ! Je ne suis pas très loin de la ville, Vannes pour être exacte. C’est vrai qu’elle est éloignée du centre, mais je ne suis pas isolée au bout du monde ! Tu sais que je suis originaire de cette ville, alors, cela ne peut me faire que du bien.

— Tu vas te retrouver envahie de korrigans ! Imagine plein de farfadets bretons se baladant dans ton salon…

— Eh ! Merde, Alice ! Je déménage, c’est tout ce qui compte !

Je ne lui en veux pas. On se taquine souvent sur tout et n’importe quoi. Je pousse un soupir faussement outragé et avale une gorgée de vin.

— Mais je me demande comment tu vas pouvoir vivre aussi loin de Paris !

Je demeure un petit moment silencieuse. Je vide mon verre et m’en sers un autre.

— Je ne peux pas rester coincée là. Je ne pourrais jamais remonter la pente ici. Imagine que je ne peux pas m’empêcher de penser à Alex en train de culbuter cette fille. Je ne supporte plus qu’il me touche, de dormir avec lui. Pour te dire, il m’est arrivé d’être persuadée d’entendre Alex et Katie s’envoyer en l’air alors que j’étais seule. Je t’assure que la maison est superbe, l’endroit est magnifique et j’ai besoin de changement.

Alice me fait un signe discret, juste avant qu’Alex ne fasse irruption dans la cuisine.

— Salut, Alice ! lance-t-il, avant de lui coller une grosse bise sur chaque joue.

Il me pose tendrement la main sur l’épaule. Involontairement, je me crispe. Mon amie doit remarquer mon malaise, car immédiatement, elle demande quelque chose à grignoter.

— Le vin me tourne la tête ! Je ne vais plus savoir comment je m’appelle si je ne mange rien d’autre qu’un muffin !

Il éclate d’un rire franc et naturel.

— Oh ! Ne t’inquiète pas, je t’ai déjà vu pompette. C’est assez drôle en fait !

Il sort du réfrigérateur du fromage et des bâtonnets de légumes et attrape dans l’un des placards un paquet de crackers. Il s’installe ensuite avec nous. Pendant plus d’une heure, nous discutons tranquillement et j’ai même oublié les griefs que j’ai contre lui.

J’ai toujours entendu dire qu’un déménagement est source de stress. Cependant, pour moi, c’est l’inverse. Je suis trop heureuse de partir, de quitter cet endroit qui me détruit à petit feu. M’occuper des cartons et des derniers détails m’oblige à penser à autre chose. Pendant les deux semaines qui précèdent notre départ, je ne rumine pas une seule fois. J’aurais pu laisser les déménageurs se charger de tout emballer, mais je préfère le faire moi-même. Cela m’évite de tourner en rond.

Les hommes ont enfin emporté l’ultime boîte. Je reste pour faire un peu de ménage. J’entends le crépitement de la pluie sur les fenêtres. Je ne sais pas pourquoi, mais cela me donne la chair de poule. Je me dépêche de terminer pour rejoindre Alex et Julien.

Alex

27 juin

Je n’ai pas vraiment le choix. Lorsque Ingrid a repéré la maison sur Internet, elle a totalement changé. En fait, elle s’est métamorphosée. Cela faisait longtemps que je ne l’avais pas vue comme ça. J’ai le sentiment qu’elle a retrouvé goût à la vie, ainsi qu’un nouveau sens à son existence.

Lorsqu’elle m’a montré les photos, je dois avouer que je n’ai pas ressenti la même excitation. Je suis beaucoup moins enthousiaste et j’ai même comme un mauvais pressentiment. Il y a quelque chose dans ce bâtiment qui me dérange. C’est sans doute l’aspect gothique de la maison, ses fenêtres à petits carreaux et ses balustrades en pierre. Sur l’un des clichés pris du bout de l’allée qui mène à la demeure, on ne distingue que très difficilement l’édifice sombre, terni par de longues années sans entretien. Le jardin n’est pas en meilleur état. À certains endroits, ce n’est qu’un enchevêtrement de broussailles et de mauvaises herbes. La maison est en pierre et j’ai l’impression qu’elle est tout droit sortie d’un film de Tim Burton. Le porche dont la porte d’entrée imposante en chêne ressemble plus à une énorme bouche béante prête à engloutir l’imprudent qui s’approcherait de trop près. Tout cela me donne la chair de poule. Même dans mes romans, je ne suis jamais parvenu à décrire quelque chose d’aussi lugubre. Et pourtant, c’est mon boulot !

Au téléphone, l’agent immobilier m’explique que cela fait presque vingt ans qu’elle est à vendre. Personne ne veut l’acheter.

Malgré les nombreuses rénovations qui y ont été effectuées, les éventuels acquéreurs ne se bousculent pas. De temps à autre, il remet des photos sur Internet afin d’essayer de lui trouver un propriétaire. Il n’a pas souhaité me dire pourquoi elle a été inoccupée pendant aussi longtemps. Dès que j’aborde le sujet, il élude la question.

— Pas au téléphone. Je préfère vous en parler de vive voix.

Quelques jours plus tard, nous avons profité d’un week-end ensoleillé pour prendre la route jusqu’en Bretagne. Un peu à l’écart de la ville se dresse la maison dont Ingrid rêve. Lorsque j’arrive devant, mon impression ne fait que se renforcer. Il y a vraiment une atmosphère glauque qui se dégage de l’endroit. Pour la visite, je laisse Ingrid parcourir les lieux. Après tout, c’est elle qui la veut, c’est son argent, par conséquent je ne dis rien, aucune remarque. De toute manière, je n’ai pas trop le choix. Après mon incartade, j’ai juste le droit de faire profil bas.