Le Tueur au visage d'ange - Christelle Rousseau - E-Book

Le Tueur au visage d'ange E-Book

Christelle Rousseau

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Beschreibung

Dans le village de Gleinbeigh, en Irlande, tout le monde est sous le choc suite à des disparitions d’enfants. À la découverte de mystérieux symboles, la pratique occulte est privilégiée. Trente ans plus tard, de l’autre côté de la Manche à Paris, une série d'attaques particulièrement atroces, sur des femmes rousses, survient, reliant les deux affaires entre elles. Alors que Madison, journaliste d’investigation pour un grand quotidien parisien, enquête, elle se voit aussitôt harceler par un mystérieux individu à l’attitude morbide. Qui est cette personne ? Pourquoi une telle pratique, et un tel acharnement ? Quel est le point de convergence entre ces affaires ? Mais à l’heure où le danger guette, se cache derrière n’importe quelle ombre, n’importe quel recoin, une seule règle reste en vigueur : Ne se fier à personne ! Car, les apparences sont parfois trompeuses…


À PROPOS DE L'AUTEURE


Mère de trois garçons, Christelle Rousseau habite dans l'Aude depuis près de dix ans. Passionnée par l'écriture, l'histoire et la criminologie, elle est passée maître dans l'art de ciseler ses récits dans des romans surprenants et addictifs, à l'instar de Jean-Christophe Grangé.

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Christelle ROUSSEAU

Le tueur au visage d’ange

Roman

Cet ouvrage a été composé et imprimé en France par les

Éditions La Grande Vague

Site : www.editions-lagrandevague.fr

3 Allée des Coteaux, 64340 Boucau

Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN numérique : 978-2-38460-027-4

Dépôt légal : Mai 2022

Les Éditions La Grande Vague, 2022

PREMIÈRE PARTIE

LES DISPARUS DE

GLEINBEIGH

UN

Gleinbeigh, Irlande du Sud.

Tous les guides touristiques indiquent cette charmante petite bourgade, coincée entre terre et mer.

Ici, tout le monde connaît tout le monde. Les secrets ne le restent pas longtemps, et bien souvent les commères du quartier sont au courant du dernier potin bien avant les principaux intéressés eux-mêmes.

*

Myllie arriva, les bras chargés de pâtisseries confectionnées pour la petite réunion du mercredi de son groupe d’amies. C’était pour elles le moyen de décompresser, de se conseiller mutuellement sur le travail, sur les enfants ou sur les hommes. Chacune à leur tour recevait chez elle. Il en était ainsi depuis des années et la tradition était immuable. Même si c’était l’endroit idéal pour les derniers potins, elles aimaient se retrouver chaque semaine.

La jeune femme déposa ses paquets dans la cuisine, se servit une tasse de café noir brûlant avant de rejoindre les autres invitées dans le salon. Elle s’écroula sur le canapé, tout en prenant garde de ne pas renverser le liquide chaud sur elle ou le tapis.

— Salut, les filles, lança-t-elle d’un ton fatigué.
— Salut, Myllie ! Eh bien, tu as une de ces têtes ! Trop de boulot ?
— Non. Tout va bien au bureau, mais Ben est de plus en plus insupportable. Je ne sais plus quoi faire avec ce gamin !
— Il lui manque une figure paternelle, c’est aussi simple que ça !

Myllie tourna les yeux vers la femme qui venait de parler et la foudroya du regard.

— Jane, ma chère, son père est mort à sa naissance, je te l’ai déjà dit.
— Oui, bien sûr…

Jane McHarin était ce que l’on pouvait définir comme la bigote du petit groupe. Toujours habillée de la même manière, jupe en tweed arrivant bien en dessous du genou, un twin-set en laine marron et les cheveux ramenés en un chignon strict. Jamais mariée, elle ne ratait aucun des offices du matin et avait du mal à accepter que les autres n’en fissent pas de même. C’était une véritable langue de vipère. Si l’on avait le malheur de lui confier un secret, on pouvait être sûr qu’il allait être répété et déformé. Dès le début, elle avait eu des griefs contre Myllie. Cette dernière était mère célibataire et, ne fréquentant pas l’église, elle représentait tout ce que Jane détestait. D’ailleurs, lorsque la jeune femme était arrivée à Gleinbeigh, Jane avait tout fait pour qu’elle ne fût pas introduite au groupe de voisines, sans succès. Au contraire, elles avaient tout fait afin que Myllie s’intégrât plus facilement.

La remarque de Jane fit plonger Myllie dans son passé, neuf ans plus tôt. Elle s’en souvenait comme si c’était hier. À l’époque, elle vivait encore à Killarney, à quelques kilomètres de Gleinbeigh. Attablée dans la cuisine, à l’heure du petit-déjeuner, elle venait d’annoncer à son petit ami Erwan qu’elle était enceinte de trois mois.

— Un mioche ! Merde, Myllie, tu aurais pu faire gaffe ! Qu’est-ce qu’on va en faire ? Ce n’est pas le moment de nous encombrer avec un mouflet !
— Mais si ! Erwan, un bébé, c’est merveilleux ! On va fonder une vraie famille ! Toi, moi et ce bout de chou.

Elle sentait les larmes lui monter aux yeux. Erwan, quant à lui, avait l’air furieux.

— Je n’en ai rien à foutre, que tu trouves ça merveilleux ! Je te paie le voyage en Angleterre et tu te débarrasses de ce môme !

Lorsque Myllie entendit ces paroles, elle explosa.

— C’est hors de question, si tu ne veux pas de cet enfant, c’est ton choix. Mais moi, je le garde. Si cela ne te convient pas, tu fais tes valises et tu fiches le camp. Sur ce, bonne journée !

Elle s’était levée, et avant de quitter l’appartement pour aller travailler, elle lui demanda de laisser les clefs sur la table du salon et surtout de ne rien oublier. Le soir, lorsqu’elle fut rentrée, Myllie constata qu’Erwan et ses bagages avaient disparu. Il ne restait plus rien de lui.

*

À la naissance de Ben, la mère de Myllie était venue s’installer chez sa fille pour l’aider un peu. Non pas qu’elle ne s’en sortît pas avec le bébé, bien au contraire. Myllie était une maman attentionnée, veillant constamment au bien-être de son fils, mais elle avait besoin de soutien moral, même si elle affirmait le contraire. Myllie ne cessait de lui répéter qu’il valait mieux être seule que mal accompagné, Molly avait remarqué que sa fille regardait, avec une envie à peine dissimulée, les couples croisés dans la rue. Il était évident que cela lui manquait. Ce n’était absolument pas comme cela qu’elle imaginait sa vie, célibataire avec un nourrisson.

Quelques mois plus tard, elle avait rencontré un homme, Steven, cela avait été le coup de foudre immédiat. Très vite, ils avaient emménagé ensemble. Steven s’occupait de Ben comme si c’était son propre fils. Mais peu à peu, la jalousie s’installa dans le couple. Steven ne supportait plus l’attention constante que Myllie portait au bébé. Un matin, en se réveillant, elle avait trouvé un mot posé sur l’oreiller d’à côté. « Je ne peux plus continuer ainsi, je préfère te laisser seule pour prendre soin de ton fils, tu n’as pas besoin de moi. Bonne chance pour la suite. »

Elle avait jeté le message. Elle ne comprenait pas la réaction de Steven, mais elle se remit de cette rupture assez rapidement, son fils était son unique priorité.

C’était sa mère qui lui avait conseillé de vivre dans une autre ville pour repartir de zéro, de recommencer une nouvelle vie. Ses parents avaient prospecté dans les alentours et lui avaient acheté une superbe maison dans le petit village de Gleinbeigh. Cela faisait presque huit ans qu’elle s’y était installée et pourtant, elle avait toujours l’impression que c’était hier.

*

Myllie fut sortie de sa rêverie par Erolyne, l’institutrice de son fils et l’une de ses meilleures amies.

—  Viens, il faut que je te parle.

Elle suivit son amie, après avoir jeté un regard noir à Jane. Les deux jeunes femmes s’installèrent au fond du jardin, le seul endroit où elles pouvaient discuter sans être espionnées.

— J’ai une bonne nouvelle pour toi, Myllie.
— Laisse-moi deviner… Tu as gagné à la loterie et tu veux partager avec moi !
— Hélas, non ! Pour cela, il faudrait que je joue… Non, sérieusement, j’ai reçu les résultats des tests psychotechniques de Ben…
— Et ?
— Ils sont excellents. Ton fils à un QI largement supérieur à la moyenne.
— Alors pourquoi se comporte-t-il comme ça ? Il ne se passe pas une journée sans que mes voisins ne viennent se plaindre. Je commence à devenir « persona non grata » dans mon quartier.
— Je vois ce que tu veux dire. Tu sais, Jane n’a peut-être pas tout à fait tort… Il lui manque sans doute une présence masculine. C’est important pour un enfant, tu es au courant…
— Line ! Tu connais mon opinion là-dessus !

Les deux femmes discutèrent pendant un petit moment de choses et d’autres avant de s’apercevoir que l’heure du dîner approchait. Après avoir salué tout le monde, Myllie rentra chez elle.

Elle trouva son fils, Ben, assis sur le perron, en train de tailler un morceau de bois à l’aide de son canif. Il répondit au bonjour de sa mère par un vague signe de tête. Le cœur de Myllie se serra un peu, elle savait que son garçon n’était pas très expansif, mais quand même.

Ben était un enfant solitaire qui préférait jouer seul. Souvent, il passait des après-midis entiers au bord de la rivière, s’amusant à torturer les grenouilles en leur coupant les pattes sans les tuer avant. Il décortiquait des insectes. Il adorait aussi terroriser le chat de la voisine qu’il enfermait régulièrement dans la boîte aux lettres. Dès que le félin apercevait le garçon, il s’enfuyait en poussant des miaulements de frayeur.

Une fois dans la cuisine, Myllie se rendit compte qu’elle avait totalement oublié de faire un détour par le supermarché. Après avoir cherché dans les placards, elle sortit un potage en brique et un paquet de jambon. Elle fit aussi toaster des tranches de pain de mie. Le menu n’allait sûrement pas convenir à son fils, mais tant pis, elle ferait avec.

— Le dîner est servi ! Va te laver les mains, s’il te plaît !
— J’arrive !

Lorsqu’il entra dans la cuisine et qu’il vit ce que sa mère avait préparé, il ne cacha pas son dégoût.

— De la soupe et du jambon ! Tu n’as rien d’autre ?
— Eh bien non, il n’y a rien d’autre !

Il s’installa devant son assiette et avala la charcuterie avec les toasts, mais rechigna à toucher à son potage. Voyant la tête qu’il faisait, Myllie se demanda comment il allait réagir à la nouvelle qu’elle allait lui annoncer. Elle avait l’intention de l’envoyer pour les deux mois de vacances chez ses grands-parents. Elle pourrait se reposer un peu et se consacrer tranquillement à son travail. Respirant un grand coup, elle se lança.

— Ben, j’ai décidé que tu passerais les congés d’été chez papy et mamie.

Le gamin regarda sa mère avec des yeux pleins de haine.

— Chez ces vieux croûtons ? Hors de question !
— Tu parles autrement d’eux, s’il te plaît ! Un peu de respect, c’est comme ça, je suis ta mère et tu m’obéis, un point c’est tout.

Ben se leva d’un bond, renversant son assiette qui alla se briser sur le sol, le potage se répandant sur le carrelage blanc.

Elle ne retint pas son fils. Elle finit de dîner tranquillement, puis nettoya les dégâts. Maintenant, il fallait persuader ses parents. Avant, elle monta prendre une douche puis enfila un pyjama. Dans le salon, après avoir préparé un café, elle s’installa confortablement sur son canapé et composa le numéro de la maison familiale à Killarney. Comme elle avait prévu, ils furent difficiles à convaincre, surtout son père.

— Myllie, tu te rends bien compte que nous ne sommes plus de la première jeunesse, et Ben n’est pas un enfant très calme.
— Je le sais, papa, mais franchement, il faut que je pense à moi, je suis épuisée.

La jeune femme entendit sa mère répondre à son mari.

— Paddy, ta fille a raison. Elle a besoin de souffler un peu ! Et puis nous sommes ses grands-parents !
— Tu as compris ce qu’a dit ta mère, ma chérie ? Alors nous vous attendons pour la première semaine de juillet.
— Oui, papa, merci.

Quinze jours plus tard, Myllie et son fils se mirent en route pour Killarney. Elle avait quasiment fait entrer Ben de force dans la voiture et avait dû supporter ses ronchonnements tout le long du trajet. Ils arrivèrent à Killarney à l’heure du dîner. Après avoir embrassé ses parents et s’être rafraîchie, Myllie monta les bagages de son fils dans son ancienne chambre puis rejoignit son père et sa mère dans le salon.

— Faut-il vraiment que tu nous laisses Ben pendant deux mois ?
— Oui, papa, je te l’ai déjà expliqué. J’ai besoin de souffler un peu et puis vous êtes ses grands-parents ! Je ne vous sollicite pas souvent, mais là, j’ai envie de me ressourcer, de penser à moi.
— Paddy, nous en avons assez parlé ! lança Molly. En attendant, passons à table !

Pendant le repas, Ben ne décrocha pas un mot. Aucune émotion ne transparaissait sur son visage quand sa mère l’embrassa en lui souhaitant de bonnes vacances. Il ne fit même pas l’effort de l’accompagner jusqu’à la voiture lorsqu’elle reprit le chemin du retour.

Les jours s’écoulaient tranquillement et Ben ne changeait pas. Il n’en faisait qu’à sa tête. Il demeurait le plus clair de son temps seul, évitant de rester chez ses grands-parents. S’ennuyer avec deux vieux croûtons devant la télé ne l’enchantait guère. Au début, il avait essayé de s’intégrer à un groupe d’enfants de son âge. Ils l’avaient immédiatement rejeté en le traitant de campagnard, et surtout parce qu’il avait des jeux un peu morbides pour eux. Noyer des bestioles en tout genre n’était pas le divertissement favori des gamins du quartier.

Ben avait donc décidé de passer ses journées tout seul. Il les occupait à chasser tous les petits animaux qu’il trouvait et les torturait pendant des heures entières jusqu’à ce que mort s’ensuive.

Le môme était furieux. Plus jamais il n’écouterait sa mère. Il avait essayé de se faire des amis, mais cela n’avait pas marché. Ils s’étaient moqués de lui et ça, il ne l’acceptait pas. Il était resté assis toute la journée sur un mur de pierre à ruminer sa colère. Dans la matinée, sa grand-mère lui avait proposé une balade dans le parc national de Killarney, et d’y pique-niquer. Le jeune garçon n’avait pas eu envie de s’ennuyer avec une vieille, dans un jardin public où l’on ne pouvait circuler qu’à pied, à bicyclette ou en fiacre. Et puis, il ne souhaitait pas s’entendre rabâcher des histoires anciennes qui lui passaient largement par-dessus la tête.

Ce n’est qu’une fois la nuit tombée qu’il décida de rentrer à la maison sans se préoccuper de ses grands-parents qui s’inquiétaient pour lui. De toute façon, cela lui était égal, il n’avait pas de compte à leur rendre. Aucune lumière ne filtrait à travers les volets clos. Tant mieux, il n’allait pas subir d’interrogatoire. Mais, il se trompait. Paddy l’attendait dans le salon, assis dans le noir, la pipe à la main.

— C’est à cette heure-ci que tu rentres ? Ta grand-mère et moi étions morts d’inquiétude !
— Je m’en fous, ce n’est pas mon problème. Et puis tu es qui pour me donner des ordres ? Tu peux te les…

Paddy ne lui laissa pas le temps de finir sa phrase.

— C’est comme ça que tu le prends ? D’accord, comme tu veux. File te coucher et nous en reparlerons demain.
— Et mon dîner ?
— Fallait être à l’heure, mon garçon. Monte dans ta chambre !

Ben tenta de répliquer, mais son grand-père coupa court à la conversation, en se levant pour rejoindre le premier étage. N’ayant pas vraiment le choix, il suivit le vieil homme, mais ne se gêna pas pour le gratifier d’un bras d’honneur.

*

Le lendemain matin, Ben se leva de bonne heure. Après s’être excusé pour son comportement de la veille, il aida son grand-père à préparer le petit-déjeuner. Paddy ne disait rien, mais il n’en revenait pas. C’était la première fois que ce gamin donnait un coup de main pour quelque chose, et il fut tenté de crier au miracle. Une fois le repas terminé, le garçon proposa à sa grand-mère Molly de s’occuper de la vaisselle. Extrêmement surprise, la vieille femme le laissa faire et monta se préparer pour aller au marché. Elle non plus n’en revenait pas. Son petit-fils avait radicalement changé, et cela en une nuit. Molly n’avait pas la moindre idée à qui elle devait cette transformation. Elle remercia le ciel pour cette amélioration. En chemin, elle s’arrêta à une cabine téléphonique pour annoncer la bonne nouvelle à sa fille. Pendant ce temps, Ben finissait de laver la vaisselle et Paddy lisait son journal tout en observant le gamin d’un coin de l’œil. Jamais il n’avait vu Ben aussi serviable. C’était plutôt le genre d’enfant qui se sauvait lorsqu’il savait qu’il y avait des corvées à faire. Paddy était persuadé que ce changement de comportement cachait quelque chose. On ne se transformait pas en petit garçon modèle en une nuit. Mais pour l’instant, Ben avait décidé de jouer le jeu. Peut-être la punition de la veille avait-elle fait son effet.

Discrètement, Ben s’éclipsa quelques minutes dans le garage et revint à la cuisine avec une corde à linge. Sans faire de bruit, il passa derrière son grand-père toujours absorbé par la lecture de son journal. Il le ligota à sa chaise avec une force incroyable pour un gamin de huit ans. Paddy ne s’alarma pas. Il pensa que son petit-fils avait envie de s’amuser avec lui. Ben se dirigea vers l’évier, y prit un grand couteau tout en prenant soin de l’envelopper dans un torchon pour ne pas laisser d’empreintes. Il se souvenait avoir vu ça dans un film policier regardé en cachette. Repassant devant Paddy, il ne lui camoufla pas l’arme improvisée qu’il avait entre les mains.

— Alors, grand-père, tu as cru que tu allais me faire peur avec tes punitions ? Moi, je vais te montrer ce qu’est vraiment une correction. Tu m’as privé de dîner hier soir, eh bien, tant pis pour toi !
— Ben, mon… mon garçon, pose ce couteau, s’il te plaît !

La voix de Paddy avait perdu son calme, il lançait des regards affolés vers la porte d’entrée espérant qu’une personne rentre à l’improviste. Ben attrapa les cheveux de son grand-père, lui renversa la tête en arrière et lui trancha la gorge d’un coup sec. Le liquide écarlate gicla en grosses gerbes et éclaboussa le sol et les murs de la cuisine.

Le vieil homme n’avait rien pu faire pour se libérer, saucissonné comme il était. Les couteaux de la grand-mère Molly étaient particulièrement bien aiguisés. Ce fut un travail vite fait, bien fait et réussi du premier coup. Ben regardait son grand-père se vider de son sang avec un sourire satisfait. Un gargouillis étranglé s’échappait de la gorge du vieillard. Poursuivant son idée, il retourna l’arme contre lui. Lorsque la lame s’enfonça dans son abdomen, il mordit dans un torchon pour ne pas alerter les voisins et le laissa ensuite tomber au sol. Il se servit du chiffon utilisé préalablement pour masquer ses empreintes, compressa sa propre blessure, sérieuse, mais loin d’être mortelle. Il s’assit sur le carrelage de la cuisine, attendant que sa grand-mère revînt du marché.

Malgré ses huit ans, Ben avait échafaudé un plan machiavélique. Jamais en le regardant, on n’aurait pu penser que ce garçon, brun aux yeux verts soit en fait un être aussi monstrueux. Rentré après le couvre-feu, son grand-père lui avait passé un savon et en plus l’avait privé de dîner, ça, Ben ne l’avait pas accepté. Le vieux n’avait eu que ce qu’il méritait !

Dix minutes plus tard, Molly arrivait chez eux, les bras chargés de provisions. Elle appela son mari et Ben pour qu’ils viennent l’aider, elle n’obtient aucune réponse. Persuadée qu’ils étaient sortis faire un tour, elle reprit ses cabas et se dirigea vers la cuisine. Elle poussa la porte battante à l’aide de son pied. Lorsqu’elle vit les traînées rouges maculer la pièce, son époux ligoté, la gorge tranchée, ainsi que son petit-fils allongé au sol, se tenant le ventre, les vêtements couverts de sang, elle lâcha un hurlement strident et s’écroula sur le carrelage sans connaissance.

Son voisin, Robin Cabot, entendit le cri et se précipita vers la maison. Voyant le carnage, il retourna chez lui prévenir la police et les secours qui arrivèrent quelques minutes plus tard, toutes sirènes à fond.

Le capitaine O’Hara et le lieutenant Martins, accompagnés des hommes de l’identification scientifique, se présentèrent aux pompiers qui s’occupaient de Ben dans le salon et Molly, qui avait du mal à recouvrer ses esprits. En état de choc, elle tremblait de la tête aux pieds. Hagarde, elle ne pouvait plus réagir, comme paralysée. Seules des larmes coulaient le long de ses joues. Les deux policiers posèrent quelques questions à la vieille femme, incapable de les aider. Elle n’avait rien remarqué de particulier en arrivant. Pas de voitures ni de personnes prenant la fuite. O’Hara interrogea les secouristes afin de savoir si Ben était en état de parler.

— Oui, sa blessure n’est pas très grave, j’ai pu le soigner ici, mais allez-y doucement, il est vraiment choqué.
— OK. Merci. Bonjour, mon garçon, comment te sens-tu ?
— Ça fait mal, monsieur, mais je vais m’en tirer, c’est le pompier qui me l’a dit.
— Tant mieux. Explique-moi ce qu’il s’est passé.

Ben raconta qu’un homme était rentré dans la maison par la porte de la cuisine, qu’il avait un grand couteau et qu’il avait demandé à son grand-père de donner tout l’argent. Comme Paddy refusait, il l’avait attaché à la chaise et lui avait coupé la gorge. Après, il avait voulu s’en prendre à lui et l’avait frappé dans le ventre avec son arme. Il disait qu’il allait le tuer, mais il avait entendu une voiture arriver et il s’était sauvé.

— Tu pourrais le reconnaître ?
— Non, il portait une cagoule noire sur le visage et des gants, comme ceux des docteurs, il avait un blouson de cuir noir. Il était presque aussi grand que vous.
— Merci, mon garçon, maintenant tu devrais te reposer. Tu es courageux, tu vas t’en sortir !

Il adressa un clin d’œil complice à Ben pour le réconforter.

Le capitaine demanda au lieutenant Martins d’aller interroger le voisinage pendant qu’il continuait à fouiller la maison en quête d’indices supplémentaires. Bien sûr, personne n’avait rien vu ni entendu. La voiture qui avait empêché l’agresseur de finir son travail était celle du facteur, les voisins avaient tous confirmé l’heure du passage du véhicule indiquée par Ben. Une fois les interrogatoires terminés, les deux flics retournèrent chez la victime.

La pauvre Molly était assise sur le canapé. Elle avait beaucoup de difficultés à réprimer ses sanglots. La jeune inspectrice ne savait pas quoi faire devant tant de détresse.

— Mademoiselle, pourquoi a-t-on fait ça ? Nous n’avons jamais rien fait de mal à personne. Et le petit ? Je ne peux pas le garder, c’est trop dur, pas seulement pour moi, mais pour lui aussi. Vous vous rendez compte de ce qu’il vient de subir ? Ce ne serait pas très sain pour lui de rester ici. Il doit être traumatisé, le pauvre garçon… Il faudrait prévenir sa mère. Voudriez-vous le faire pour moi, s’il vous plaît ?
— Mais bien sûr, donnez-moi le numéro, et je demanderai à votre fille de venir le plus rapidement possible.

Carol Martins téléphona donc à Myllie et lui expliqua brièvement la situation sans entrer dans les détails.

Myllie oublia le déjeuner prévu avec ses amies et prit sa voiture en direction de Killarney. L’inspectrice lui avait parlé d’un accident, Ben avait été blessé, mais sans gravité. Elle ne lui avait rien dit d’autre. La jeune femme battit des records de vitesse et remercia le ciel de ne pas avoir croisé la police en route. Elle arriva chez ses parents en fin d’après-midi et après avoir décliné son identité à l’agent en faction devant la maison, elle entra avec une certaine appréhension dans le domicile familial. La première chose qu’elle vit fut le sang qui recouvrait le sol de la cuisine. Elle se retourna vers O’Hara son visage à la fois interrogateur et horrifié. Le capitaine lui expliqua toute l’histoire, son père avait été assassiné par un intrus, son fils avait été blessé. Retenant un cri, elle se précipita dans le salon où se trouvait Molly. Les deux femmes pleurèrent quelques instants dans les bras l’une de l’autre. Se ressaisissant, Molly dit à sa fille qu’elle devait être forte pour Ben.

Lorsque le garçon vit sa mère, il courut vers elle, pour la première fois de sa vie. Il se jeta dans ses bras en sanglotant avec, bien sûr, une mine de circonstance. Il avait l’air terrorisé et les larmes inondaient son visage.

— Oh, maman, tu ne peux pas savoir comme j’ai eu peur… Il a tué papy… et a failli me tuer ! Mais le docteur a dit que ma blessure n’était pas trop grave… que j’allais guérir vite !
— Cela me rassure, va chercher tes affaires et mets-les dans la voiture, j’arrive tout de suite…

À la grande surprise de Molly, Ben obéit immédiatement. La jeune femme retourna voir sa mère assise sur le perron, elle venait de raccompagner les policiers. Ceux-ci avaient promis de les tenir au courant des suites de l’enquête. Myllie s’aperçut, ou du moins, eu l’impression que sa mère avait vieilli de dix ans en trois semaines. Alors, la fille s’installa à côté de sa mère, en silence. Les mots étaient inutiles.

Myllie était elle aussi anéantie par la mort de Paddy, mais elle devait surmonter tout cela. Ne serait-ce que pour son fils et sa mère. Elle regardait le soleil se coucher sur la campagne irlandaise tout en repensant aux bons moments passés en compagnie de son père. Même si Paddy était régulièrement en train de râler, c’était un homme au grand cœur, toujours prêt à donner. Son côté bougon était la preuve qu’il était un Irlandais pur souche.

Myllie demanda à sa mère si elle souhaitait sa présence pour l’aider à préparer l’enterrement.

— Non, ne t’inquiète pas… Je ne suis pas seule, j’ai mes amis. Il faut que tu t’occupes de ton fils, il a été sérieusement choqué et je comprends que tu ne puisses pas rester…
— Écoute, maman, je dois être là pour toi. C’est mon père qui est mort. Tu ne peux pas prendre tout en charge, toute seule… Reconnais-le, tu as besoin de moi ! Je vais descendre à la pension de famille de Madame Jolliet avec Ben. Il faut laisser le temps à la police de terminer son enquête, et pour nous de remettre la cuisine à neuf.
— La refaire ? Mais pourquoi donc ? Il faut juste la lessiver !
— Voyons, maman, c’est nécessaire. Je comprends que cela ne pourra pas effacer ce qui s’est passé, mais c’est mieux que rien.
— Je vois ce que tu veux dire, c’est d’accord ! Fais comme tu l’entends, mais s’il te plaît, prends-moi une chambre aussi, je n’ai vraiment pas envie de rester ici, du moins pour cette nuit.

Le soir de la veillée funèbre, Myllie fut étonnée du nombre d’amis qui rendaient hommage à Paddy. La jeune femme avait oublié, les enterrements n’étaient pas tristes en Irlande. Au contraire, chacun racontait les anecdotes qu’il connaissait à propos du défunt. Myllie découvrit que son père était une personne très drôle, loin de l’homme strict qui l’avait élevé. Dans un coin, un orchestre irlandais jouait. Les fiddle, bodhràn whistle, l’accordéon et la guitare irlandaise, enchaînaient différents morceaux que le défunt appréciait de son vivant.

Après les funérailles, Myllie contacta un entrepreneur de la ville pour commander une nouvelle cuisine. Elle avait choisi des meubles dernier cri, avec tous les équipements qui allaient faciliter la vie de sa mère. Le carrelage lui aussi fut changé. Il était d’un beige poudré et faisait ressortir le papier peint d’un ton plus soutenu. Deux semaines plus tard, tout était terminé, Molly fut ravie de la décoration. Elle en était si fière qu’elle invita ses voisines à prendre le thé pour montrer le magnifique cadeau de sa fille. Myllie en fut rassurée, sa mère n’était pas seule. Mais elle savait qu’il faudrait du temps à celle-ci pour retrouver une vie normale. Elle avait demandé à la meilleure amie de Molly de la prévenir en cas de problème.

Quelques jours plus tard, Myllie retourna à Gleinbeigh avec Ben qui n’avait finalement pas trop l’air choqué de sa mésaventure. Il avait encore un mois de vacances et sa mère était bien ennuyée. Elle devait reprendre le travail et personne pour garder Ben. Toutes les voisines refusaient de s’en occuper. Elle s’était donc arrangée avec James, son patron et ami, pour rentrer plus tôt le soir. Mais la journée, elle devait le laisser seul.

Pour faire plaisir à son fils, Myllie lui acheta un hamster. Elle avait craqué sur la petite boule de poils blancs et roux qui s’amusait à faire tourner sa roue. Pour une fois, Ben fut ravi du cadeau de sa mère et baptisa l’animal « Dallas ». Les premiers jours, le garçon s’occupa du rongeur avec d’infinies précautions. Il ne manquait ni d’eau ni de nourriture, sa litière était toujours propre. Le gamin oublia vite qu’il avait tué son grand-père, ce n’était pour lui qu’un événement parmi d’autres, sans plus d’importance que cela. Sa mère n’en revenait pas, Ben n’avait plus fait aucune bêtise depuis le retour de chez ses grands-parents. Myllie partait au bureau l’esprit plus tranquille, il lui arrivait même de faire des heures supplémentaires pour rattraper le retard accumulé pendant son absence. Elle travaillait dans un cabinet d’assurance depuis presque sept ans, était appréciée par son patron, James, autant pour son travail que pour son physique. Myllie avait un sens inné de la diplomatie et, grâce à cela, elle avait réussi à régler bon nombre de litiges délicats et récupéré des paiements en retard, sans faire grincer les dents de ses interlocuteurs.

Son allure typiquement irlandaise la rendait particulièrement attrayante et les hommes n’hésitaient pas à se retourner sur son passage. Grande, ses cheveux ondulés d’un roux profond lui descendaient sous la taille en une cascade de boucles souples. Elle avait les yeux verts, quasiment couleur émeraude, qui envoûtaient dès le premier regard. Son visage était constellé de taches de rousseur. Pour tous ses proches, elle était réellement très séduisante. Ils ne comprenaient pas pourquoi elle s’entêtait à rester célibataire. Pour eux, c’était un vrai crime. Ce n’était pas le manque de soupirants qui faisait défaut, bien au contraire. Cela rendait folles de jalousie ses amies qui avaient un mal fou à trouver un fiancé. Mais Myllie préférait se consacrer à son fils et à sa carrière.

Un mercredi après-midi, alors que la pluie tombait sans discontinuer depuis le matin, Ben s’ennuyait ferme, sans savoir quoi faire pour s’occuper. Il en avait assez de jouer les petits garçons modèles, il fallait qu’il retrouve ses jeux favoris. Pendant qu’il réfléchissait à ce qu’il pourrait faire, ses yeux s’arrêtèrent sur le hamster qui faisait tourner sa roue sans se soucier de ce qui se passait autour de lui. Une lueur sadique illumina le regard du gamin. Il se rendit dans la salle de bains et s’empara de la trousse de premiers secours de sa mère. Il prit la paire de ciseaux bien effilée, le scalpel, la pince à épiler et emporta le tout dans sa chambre.

Il sortit le hamster de sa cage et le posa sur son bureau. Le pauvre rongeur se retrouva sur le dos, les pattes écartelées. Il poussait des petits couinements de terreur et essayait de se libérer. Dallas fixait Ben d’un regard presque humain, un regard qui suppliait de ne pas lui faire du mal.

Le garçon avait recouvert le meuble de papier absorbant, il se saisit du scalpel et s’occupa de l’animal. Il voulait voir comment il était fait à l’intérieur. Le sang fut épongé par l’essuie-tout. Cela amusait Ben. Il joua quelques instants avec le corps sans vie de la bestiole, puis en eut assez. Il le mit dans une petite boîte et la cacha dans son tiroir à chaussettes.

Le dimanche matin, Myllie s’apprêtait à ranger le linge qu’elle venait de repasser, elle sentit une odeur bizarre qui flottait dans la chambre de Ben. Pensant que l’endroit avait besoin d’être aéré, elle ouvrit en grand la fenêtre. Le vent iodé entra dans la pièce faisant s’envoler les rideaux et les feuilles qui se trouvaient sur le bureau. Elle ramassa les papiers et en profita pour mettre un peu d’ordre sur le plan de travail qui nécessitait un peu de classements. Myllie se demandait comment son fils pouvait s’y retrouver dans un tel bazar. La corbeille à papier débordait. Il n’avait pas dû la vider depuis des semaines.

Ensuite, elle s’attaqua à l’armoire. Quand elle ouvrit le meuble en chêne massif, une pile de tee-shirts lui tomba dessus. En soupirant, elle reposa la panière et s’attela au rangement des vêtements. Tout était mélangé, les pulls, les pantalons, les sweats… Pendant qu’elle y était, elle décida de faire un tri dans les sous-vêtements. Lorsqu’elle s’attaqua au tiroir des chaussettes, une odeur pestilentielle la frappa en plein visage.

Myllie recula vivement, trébucha et se retrouva le derrière dans la corbeille à linge, elle se demandait ce qui pouvait sentir aussi mauvais. Réprimant avec difficulté les nausées qui lui montaient à la gorge, elle se dirigea à la salle de bains, se passa le visage à l’eau froide, puis s’enduisit les narines d’une crème mentholée qui lui permettrait d’explorer le meuble sans trop de soucis.

Quand elle trouva par hasard la boîte et le cadavre de Dallas, elle se sentit aussi triste que s’il avait été son propre animal de compagnie. Au début, elle ne vit que la tête, elle pensa qu’il était décédé naturellement. Elle découvrit alors avec effroi l’état dans lequel était le reste du corps, elle se douta que son fils n’était pas étranger à la mort du petit rongeur. Malgré le menthol, elle arrivait à percevoir l’odeur du hamster en décomposition. Elle jeta toutes les chaussettes dans le lave-linge. Il fallait faire disparaître cette odeur répugnante, et encore, elle n’était pas sûre d’y parvenir. Elle descendit ensuite au jardin enterrer le cadavre de Dallas.

Pour se remettre de ses émotions, Myllie alla se préparer un thé, elle en avait vraiment besoin. À sa seconde tasse, son amie Caitlin arriva avec une tarte aux pommes bien fumante. Caitlin ne put s’empêcher d’éclater de rire à la vue de sa lèvre supérieure recouverte de crème. Ceci donnait l’impression qu’elle portait une moustache. Myllie débarbouillée, les deux femmes s’installèrent dans le jardin apportant une tasse de thé brûlant et le gâteau. Ben était introuvable, Myllie ne s’était pas éternisée à le chercher. Il réapparaîtrait quand il en aurait envie.

Les deux amies se connaissaient depuis son arrivée à Gleinbeigh. Caitlin habitait deux maisons plus loin et avait été la première à souhaiter la bienvenue à sa nouvelle voisine et lui avait donné un coup de main pour emménager. Depuis ce jour, elles étaient devenues inséparables. Myllie expliqua la dernière fantaisie de son fils. Caitlin était au courant du caractère difficile de Ben et ne fut pas surprise par ce que lui raconta la jeune femme.

— Pourquoi ne l’emmènes-tu pas voir un psy ? Cela pourrait peut-être l’aider.
— Oui, sans doute. Celui qui vient d’ouvrir son cabinet, je devrais prendre rendez-vous… Il est comment ?
— Professionnellement ou physiquement ?
— Les deux !
— Eh bien… Si tu veux juger par toi-même, viens avec moi au pub ce soir.
— Moi, dans un pub ! Et Ben ?
— Ne t’inquiète pas, Gwenaëlle s’en occupera, elle a besoin d’argent de poche pour la rentrée et recherche des gosses à garder de temps en temps…
— Dans ce cas, c’est d’accord !

Il fallait que Myllie pense un peu à elle et s’amuser ne lui ferait pas de mal. Les deux amies continuèrent à discuter pendant un bon moment, puis se quittèrent pour se retrouver à dix-huit heures chez Myllie.

Ben rentra chez lui au milieu de l’après-midi. Myllie le questionna au sujet du hamster, ou du moins ce qu’il en restait. Il lui expliqua, les larmes aux yeux, qu’à la mort de l’animal il n’avait pas eu le courage de lui en parler, de peur qu’elle le dispute.

— Mais tu as vu dans quel état il était. Comment c’est arrivé ?
— Je jouais avec lui dans le jardin et un chat l’a attrapé. Je n’ai rien pu faire, je suis désolé, maman !
— Ce n’est pas si grave. Ah oui, si tu as faim, il y a des sandwiches dans le frigo et de la tarte aux pommes.
— Merci.

Après que sa mère fut sortie de la pièce, les sanglots du gamin disparurent aussi vite qu’ils étaient apparus. Un petit sourire en coin se dessina sur ses lèvres. Décidément, elle était vraiment trop naïve. Elle gobait tout ce qu’on lui disait.

Myllie resta quelques instants à l’extérieur. En regardant son fils, on aurait pu lui donner le Bon Dieu sans confession. Malgré ce qu’il avait dit, elle était certaine de sa responsabilité dans la mort du rongeur. Son air angélique ne trompait personne, surtout pas elle. Elle doutait qu’un chat puisse faire des incisions aussi nettes et précises.

Myllie retourna dans la cuisine se préparer une énième tasse de thé. Il restait encore du temps avant l’arrivée de Caitlin. Elle devait venir la chercher. Elle s’installa quelques instants dans le jardin à savourer le soleil de ce début d’août. Sa maison était agréablement située, le terrain donnait sur la mer, tout comme la chambre de son fils. De l’autre côté, elle avait une vue imprenable sur la lande et la forêt. Au loin, les montagnes formaient une sorte d’amphithéâtre, appelé le « Gleinbeigh horse shoe », le sabot de Gleinbeigh. D’ailleurs, les jours de grosses tempêtes ou d’orage, les sommets faisaient caisse de résonance et rendaient les intempéries encore plus impressionnantes. À quelques mètres de la maison, Myllie pouvait profiter de la superbe plage de la presqu’île sableuse de Rossbeigh.

Dans le salon trônait une immense cheminée qui, comme le cottage, datait de la fin du XVIIIe siècle. Ce foyer lui était d’un grand secours lors des terribles grains qui pouvaient s’abattre sur la région en hiver. La première année qui suivit son installation à Gleinbeigh, elle n’avait pas fait de réserve de bois de chauffage et ce fut celle où l’une des plus violentes tempêtes de neige paralysa la ville et ses alentours. Myllie s’était retrouvée bloquée par d’importantes congères et ce fut son voisin qui vint lui donner un coup de main et lui prêta de quoi chauffer la maison transformée en glacière, l’électricité étant coupée. Depuis ce jour, elle faisait attention à avoir le cellier toujours rempli de nourriture et une réserve de bois pour tenir un siège.

Toutes les pièces étaient spacieuses et bien éclairées grâce aux larges fenêtres et à la grande baie vitrée du salon. L’hiver, Myllie aimait rester au coin du feu à discuter avec des amis ou lire un bon roman. L’été, elle profitait pleinement de l’extérieur et du soleil, même si le jardin avait besoin d’être retravaillé. Il ressemblait plus à une jungle qu’à un jardin irlandais.

Son thé terminé, elle monta dans la chambre de Ben pour le prévenir de sa sortie. La fille de Caitlin le garderait. Il lui répondit par un signe de tête.

Pour la soirée, elle choisit de porter un pantalon noir et un twin-set prune. C’était une tenue à la fois chic et décontractée qui mettait en valeur ses yeux verts. L’eau chaude de la douche lui fit du bien. Elle se lava soigneusement les cheveux. Elle était fière de sa crinière, comme disaient ses amis, elle devait utiliser des quantités industrielles d’après shampoing pour parvenir à les démêler. Quand elle eut fini de se préparer, il était presque dix-huit heures. Elle attacha sa tignasse rousse en un chignon lâche qui laissait échapper quelques mèches, se maquilla légèrement, puis descendit au salon.

Gwenaëlle était déjà arrivée et était en grande discussion avec Ben. La jeune fille était la seule avec qui son fils se comportait normalement, peut-être parce qu’elle était orpheline de père.

Caitlin arriva quelques minutes plus tard, les deux femmes embrassèrent leurs enfants et sortirent.

*

Le pub était plein à craquer, il y avait beaucoup de pêcheurs qui composaient par ailleurs, la majorité de la population de la ville. Les deux femmes s’installèrent à une table, dans un coin tranquille. Après avoir consulté la carte, elles commandèrent un club sandwich et une pinte pour chacune. Comme tous les soirs et surtout les week-ends, l’ambiance y était chaleureuse. Il y avait un orchestre traditionnel et lorsque la musique était vraiment entraînante, tout le monde se mettait à danser, emmenant dans son sillage les touristes présents. La bière coulait à flots, les deux femmes préféraient rester raisonnables, un assureur et une institutrice, même en vacances, avec la gueule de bois, ça ne ferait pas du tout sérieux.

Caitlin présenta à Myllie le psy « dont elle lui avait parlé ». Myllie le trouva physiquement « à son goût », mais trop hautain et sûr de lui, tout ce qu’elle détestait chez un homme. Pendant la soirée, elle lui expliqua le comportement de son fils. Le médecin lui répondit avec un certain dédain qu’il ne s’occupait pas de psychologie enfantine et qu’elle n’avait qu’à être plus stricte avec Ben. Il avait employé un ton si désagréable que les deux amies le plantèrent sur place. Elles allèrent rejoindre un groupe de connaissances qui venait d’arriver.

Quelques semaines plus tard, Myllie accueillit la rentrée des classes avec soulagement. De son côté, Ben n’était pas aussi ravi que sa mère. Il n’avait pas envie de retrouver ces idiots qui n’arrêtaient pas de le tourner en ridicule, surtout quatre d’entre eux qui étaient à l’école avec lui. Le fait que Ben n’ait pas de père et ses occupations assez bizarres étaient une source de moquerie des autres gamins. Le caractère quelque peu spécial du garçon n’arrangeait rien. Un brin taciturne, assez colérique, voire violent, il était mal perçu par les autres. Il est vrai que Ben ne faisait rien pour se faire des amis. Son jeu favori était la persécution des écoliers dont le tempérament n’était pas assez affirmé pour pouvoir se défendre. Dès la scolarisation de Ben, Myllie avait fait rapidement connaissance avec les parents d’élèves, à la suite des mauvais traitements qu’il avait fait subir à leurs enfants.

Cette année-là, Ben se fit exclure de la classe dès le premier jour. L’institutrice avait l’habitude de responsabiliser les élèves grâce aux animaux. Chaque semaine, un écolier était désigné pour s’occuper du lapin appelé Bobby. Miss O’Warty avait nommé Perry Drake pour prendre soin de l’animal. Par tous les moyens, Ben avait essayé d’être le premier, mais la maîtresse en avait décidé autrement. Vexé, Ben avait regardé son camarade et lui avait annoncé, le plus calmement possible, qu’il se vengerait.

Ce fut chose faite dès la récréation. Du fait que personne ne se trouvait dans la salle de classe, il se faufila dans la pièce puis se dirigea vers la cage de Bobby. Ben prit le rongeur dans ses bras, puis après l’avoir caressé quelques instants, il sortit une cordelette de la poche de son pantalon. Il passa le nœud coulant autour du lapin et le pendit au portemanteau. Bobby se débattit, le nœud se serra encore plus, et l’animal ne bougea plus. Ce fut à cet instant que l’institutrice rentra dans la classe. Lorsqu’elle aperçut Ben à côté du cadavre, elle lui demanda ce qu’il avait fait, puis le pourquoi de son geste.

— Vous n’avez pas voulu me confier le lapin, donc j’ai décidé que si je ne pouvais l’avoir, personne d’autre ne l’aurait !

Elle attrapa Ben par le bras et le tira chez le directeur. Choqué par le comportement du garçon, il téléphona à Myllie alors sur son lieu de travail et la convoqua immédiatement à l’école. Elle arriva un quart d’heure plus tard.

Lorsque l’homme derrière son bureau, un air sévère collé au visage, lui expliqua les faits, Myllie eut du mal à y croire. Puis retrouvant ses esprits, elle se souvint de l’incident avec le hamster. Le directeur lui annonça qu’il se voyait contraint désormais d’exclure Ben définitivement, il ne pouvait tolérer un tel comportement dans son établissement. Il lui conseilla de faire suivre son fils par un psychiatre.

Une fois rentrée, Myllie demanda des explications à son fils. Comme il ne répondait pas, elle l’envoya dans sa chambre. Totalement excédée, à bout de nerfs, elle passa la soirée, à chercher une personne qui puisse le garder, le temps pour elle, de trouver une nouvelle école. Personne ne voulut entendre parler de Ben, l’affaire du lapin avait déjà fait le tour de la ville. En désespoir de cause, Myllie dut se résoudre à laisser le garçon seul pendant ses heures de bureau.

Après s’être assurée que Ben dormait, elle se fit couler un bain très chaud. Au lieu de se détendre comme elle avait prévu, elle se mit à réfléchir au comportement de son fils. Avec du recul, elle se rendit compte que Ben s’était toujours arrangé pour que ce soient les autres qui se fassent accuser des bêtises qu’il commettait. Sauf cette fois-ci.

Maintenant, il fallait qu’elle trouve une nouvelle primaire pour Ben. Vu les circonstances, elle n’avait pas d’autre choix que de l’inscrire dans un établissement privé. Aucune école publique ne voudrait l’accepter.

Elle sortit de son bain et après s’être séchée, elle enfila un pyjama confortable et un peignoir. Elle se prépara un chocolat chaud et fit réchauffer des muffins qu’elle mangea dans sa chambre, tout en regardant le journal télévisé. Elle nota sur son agenda qu’elle devait rechercher des établissements scolaires. Elle en profita pour y dresser une liste d’interdictions concernant Ben pour les prochains jours. Elle s’arrangea avec son patron, James, pour limiter ses heures de présence au bureau. Il lui donna la permission d’emporter des dossiers et la possibilité de travailler, le reste du temps, à la maison.

DEUX

Malgré l’interdiction de sortie imposée par sa mère, Ben avait quand même décidé de jouer dans la forêt. Beaucoup de personnes, surtout les plus anciennes, racontaient qu’une vieille femme y vivait en ermite. Cette femme existait bien et s’appelait Edna. Âgée d’une soixantaine d’années, elle habitait seule dans une maison que l’on disait hantée, en plein milieu des bois, depuis la mort accidentelle de son mari. Il s’était noyé au niveau de la presqu’île de Rossbeigh, lors d’une grande marée exceptionnelle.

Les habitants de Gleinbeigh ne parlaient pas beaucoup d’Edna, non pas qu’ils ne l’aimaient pas, au contraire, ils la respectaient, sachant qu’elle préférait vivre uniquement avec son chagrin. Cependant, elle rendait volontiers service aux résidents de la ville. Elle pratiquait les avortements, acte interdit en Irlande. Elle savait soigner certaines infections par les herbes, ce genre de médecine était souvent très efficace. Elle faisait pousser elle-même les plantes utilisées.

Edna avait une autre particularité dont personne ne se doutait, elle connaissait la langue des sorcières. Les superstitions étaient nombreuses dans la région, ainsi les mauvaises langues lui prêtaient-elles des faits de sorcellerie. C’était sa grand-mère maternelle qui l’avait initiée à certaines pratiques et l’avait aidée à développer son don, celui de pressentir les événements sur le point de se produire. Lorsque son mari s’était noyé, elle avait « vu » l’accident. Edna s’était alors précipitée sur la plage, à l’époque, elle habitait une masure de pêcheur sur le port, mais elle était arrivée trop tard. Le corps de son époux fut rejeté par la mer deux jours plus tard.

Le garçon trouva la maison de la vieille Edna par hasard. Assise devant chez elle, sur le perron, elle triait des plantes médicinales qu’elle venait de cueillir. Au début, Ben se méfiait un peu et ne savait pas s’il pouvait l’approcher, il connaissait la réputation de la femme. Il n’avait peur de rien, mais n’avait jamais eu affaire à une sorcière. Edna fut surprise de voir Ben apparaître, elle lui fit tout de même signe d’avancer. Elle proposa au jeune garçon un verre de limonade qu’il accepta, sa balade lui avait donné soif. Ils restèrent sans rien dire un bon moment, sirotant leur rafraîchissement, avant que Ben ne rompe le silence.

— C’est vrai que vous êtes sorcière ?
— Pas du tout. Certaines personnes racontent cela parce qu’ils ne me connaissent pas. Je suis plutôt guérisseuse.
— Qu’est-ce que c’est ?
— C’est simple, je soigne les gens grâce aux plantes. Quelquefois, ils viennent me voir pour que je trouve des solutions à leurs problèmes.
— Ah bon ?

Ben avait l’air sceptique, mais il vit la possibilité de régler ses affaires.

— Alors, vous allez peut-être pouvoir m’aider !
— Cela dépend de ce qu’il t’arrive. Tu sais, je ne peux pas tout résoudre.

Il lui détailla ce qui se passait à l’école, tout le monde se foutait de lui, le trouvait bizarre, lui reprochait ses drôles de jeux et l’absence de son père était source de moqueries. Ben lui raconta aussi que sa mère ne l’aimait pas. Elle ne faisait que le punir et ne le laissait jamais faire ce qu’il voulait.

Edna sourit et lui expliqua qu’elle le sanctionnait pour qu’il apprenne à différencier le bien et le mal, ainsi, plus tard il deviendrait quelqu’un de bon, un adulte responsable. Quant à son problème avec ses camarades, Edna lui conseilla de les ignorer, ils s’arrêteraient d’eux-mêmes, tout le monde ne pouvait pas avoir les mêmes centres d’intérêt.

Posant son verre de limonade, Ben fit face à Edna.

— Mais ce n’est pas ce que je veux !
— Que veux-tu que je fasse dans ton cas ? Qu’ils partent de Gleinbeigh ? Pour ça, je ne peux rien faire.
— Vous n’y êtes pas du tout, je veux que cette bande d’abrutis crève !

Edna faillit lâcher son gobelet. Un gamin de huit ans qui voulait massacrer des camarades de classe à cause de moqueries était tout simplement inimaginable. Elle se serait crue dans un polar. Jamais elle n’aurait pensé entendre un jour ce genre de chose avec tant de conviction. Elle était peut-être considérée comme une sorcière, et elle l’acceptait, mais il était hors de question qu’elle se transforme en tueuse à gages pour aider un môme aussi dérangé qu’il soit. Elle resta un moment à regarder le ciel.

— Quelle heure est-il ?
— 16 heures 30, répondit-il en jetant un coup d’œil à la montre offerte par sa mère.
— Il est temps que tu rentres chez toi.
— Vous allez m’aider ?
— Je vais réfléchir à ce que je peux faire pour toi. Reviens me voir demain en début d’après-midi.

Une fois Ben parti, elle retourna à l’intérieur se préparer une tasse de café au lait. Elle s’installa dans son rocking-chair et repensa à ce que lui avait raconté le jeune Ben. Le garçon agissait de façon étrange, inquiétante même. Tout juste huit ans et déjà des pulsions meurtrières, cela ne laissait présager rien de bon. Elle le sentait au plus profond d’elle-même, quelque chose lui disait qu’il irait jusqu’au bout. Mais dès le départ, elle avait discerné chez le gamin quelque chose de malsain. Il ne se comportait pas comme un môme de son âge. Très intelligent, trop peut-être. Il réagissait plus comme un adulte que comme un enfant.

Edna avait beaucoup de mal à comprendre la mentalité de cette époque, trop violente. Elle termina tranquillement son café en se balançant, le mouvement de va-et-vient du fauteuil l’aidait à réfléchir. On ne pourrait rien tirer de bon de ce gamin, il était décidé à se venger et rien ne l’empêcherait. La vieille pendule sonna 19 heures. Elle n’avait pas vu le temps passer. Edna se prépara une collation en guise de dîner, puis après avoir écouté le journal télévisé à la radio, elle monta se coucher.

Pendant une bonne partie de la nuit, les paroles de Ben lui revinrent en mémoire. Au moment où elle désespérait de trouver le sommeil, elle eut comme une révélation. Elle allait lui apprendre le « Transitus Fluvii ». C’était la langue des sorcières et des sociétés secrètes en Europe. Hormis quelques spécialistes, personne ne connaissait cette langue. Les non-initiés pouvaient confondre cette écriture avec de l’hébreu. Elle l’enseignerait à Ben, du moins les rudiments, en lui expliquant qu’il pourrait l’utiliser pour jeter des sorts sur les personnes visées. Elle espérait vivement qu’il crût en cette histoire. Edna s’était vite rendu compte que le gamin était perspicace et qu’il serait cependant difficile de le berner.