Alter Ego - Christelle Rousseau - E-Book

Alter Ego E-Book

Christelle Rousseau

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Beschreibung

Castelnaudary est une petite ville calme du Lauragais surtout connue pour son cassoulet. Oui mais voilà, des meurtres sont soudainement commis. À chaque fois des femmes vivant seules. Le mode opératoire n’est pas sans rappeler ceux de deux tueurs en série bien connus, Jack l’Éventreur et Albert de Salvo, l’Étrangleur de Boston. Le capitaine de gendarmerie Éric Colin chargé de l’enquête et son équipe vont alors entamer une partie de cache-cache avec ces assassins qui semblent revenus du passé. Pourtant, les scènes de crimes correspondent aux originales. Toute cette histoire dépasse l’entendement. Y a-t-il un ou plusieurs tueurs ? Colin n’en a aucune idée, mais il a peur, car sa propre fille est dans la ligne de mire du prédateur. Sur les berges du canal du Midi et de son grand bassin, la tranquillité a laissé place à la psychose.

À PROPOS DE L'AUTEURE

Née en 1974 en région parisienne, mère de trois garçons, Christelle Rousseau habite dans l'Aude depuis près de dix ans. Passionnée par l’écriture, l’Histoire et la Criminologie, elle est passée maître dans l'art de ciseler ses récits dans des romans construits, surprenants et très addictifs…

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Christelle ROUSSEAU

Alter Ego

Roman

Cet ouvrage a été composé et imprimé en France par Libre 2 Lire

www.libre2lire.fr – [email protected], Rue du Calvaire – 11600 ARAGON

Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN Papier : 978-2-38157-108-9ISBN Numérique : 978-2-38157-109-6Dépôt légal : Janvier 2021

© Libre2Lire, 2021

« Ce que nous avons vu, je n’arrive pas à le chasser de mon esprit. Cela ressemble à l’œuvre du Diable. »

John McCarthyLondres, 9 novembre 1888

PROLOGUE

Nous sommes des chasseurs.

Nous trouvons nos proies, les surveillons, épions leurs mouvements, leurs moindres faits et gestes. Nous les choisissons avec soins. Nous ne devons pas nous tromper. Alors, on se tapit dans l’ombre, bien à l’abri des regards, et nous attendons le moment idéal et la bonne personne. Cela peut nous occuper des jours, un mois ou plus, mais nous les dénichons quand même. Nous savons immédiatement quand nous trouvons celle qui convient. À ce moment, une alarme se met en route. Les instincts les plus bestiaux prennent alors le dessus et nous aimons ce sentiment de puissance, voir la peur dans leurs yeux, les entendre nous supplier de ne pas leur faire de mal, de les épargner. Toutefois, la période de traque n’est pas aussi excitante que la mise à mort. À ce moment précis, la seule chose qui nous traverse l’esprit est qu’elles méritent ce qu’il va leur arriver. Elles doivent être punies pour leur mauvais comportement. Elles se demandent sans doute pourquoi et qui nous sommes.

Elles ne sauront jamais et nous nous en fichons complètement en fait.

Le canal est notre domaine, le gardien de notre secret.

UN

C’est elle. Il faut qu’elle disparaisse, sinon, elle va recommencer. Il peut le voir dans son regard. Rien ne pourra l’arrêter, elle est comme les autres. Égoïste, menteuse, se moquant totalement des gens qui vivent avec elle.

Ce matin, comme tous les jours, elle est là avec son chien, quasiment, à la même heure, quel que soit le temps. Le soleil n’est pas encore tout à fait levé et une épaisse brume recouvre le canal, lui donnant un aspect lugubre. Elle arrive, marchant d’un pas tranquille. Si le braque aux poils beige s’écarte de quelques mètres, tirant de ce fait sur la laisse, elle n’hésite pas à le corriger sévèrement. La cruauté de cette femme se lit sur son visage. Elle est laide, la figure marquée presque flétrie, qui reflète toute la méchanceté qui est en elle. Sa voix est rauque, abîmée par le tabac, une façon de parler rébarbative, et de regarder l’autre comme s’il n’était qu’un vulgaire insecte ne la rendent pas sympathique, loin de là.

En la voyant, une rage incontrôlable monte en lui, bouillonne, prête à exploser. Difficilement, il tente de garder son calme et de ne rien laisser paraître. Il ne faut pas qu’elle se doute de quoi que ce soit. Il respire un grand coup et arrive à sa hauteur à petites foulées, comme s’il faisait son jogging. Il tourne la tête vers elle et s’arrête brusquement.

— Anna Maréchal ? C’est bien toi ?

La femme le dévisage sans comprendre. Elle s’apprête à envoyer bouler l’importun quant au bout de quelques secondes, son visage s’éclaire. Oui, elle se souvient de lui. Ils échangent quelques banalités sur le temps qu’il fait puis Anna l’invite à passer prendre un café dans la semaine.

Le ciel est gris, les nuages lourds ne semblent pas vouloir disparaître, bien au contraire. Il salue Anna et repart en courant en levant la main une dernière fois.

La femme le regarde s’éloigner sans bouger. Elle ne paraît pas vraiment heureuse d’avoir été dérangée de la sorte. Elle est sortie de sa réflexion par un chien qui arrive à sa hauteur. Elle reconnaît Brownie. Il appartient à Jocelyne. Elles ont l’habitude de se balader ensemble presque chaque jour. Elles en profitent pour jacasser et cracher leur venin sur toutes les personnes qu’elles connaissent… Ou pas d’ailleurs. Tous les ragots sont bons à être rapportés et surtout déformés. Qu’importe la vérité, du moment qu’il y a quelque chose à raconter.

DEUX

14 Juin 1962, Boston, Massachusetts.

Ce jour-là, les Bostoniens fêtent la venue de l’astronaute Alan B. Shepard dont le défilé dans les rues de la ville s’achève en fin d’après-midi. Vers dix-neuf heures, Juris Slesers gare sa voiture dans Gainsborough Street, une rue tranquille. Quelques minutes plus tard, il frappe à la porte de l’appartement de sa mère Anna Slesers au troisième étage du numéro 77 de la rue bordée d’arbres. Il n’obtient aucune réponse, mais il ne s’inquiète pas plus que ça. Sa mère à l’habitude d’écouter de la musique classique et de plus, ils ont rendez-vous pour aller à l’église. Elle possède une collection de disques classiques assez importante et elle a l’habitude d’assister au moins une fois par semaine à des concerts au Symphony Hall qui se situe tout près de chez elle. C’est le seul plaisir qu’elle s’octroie. Elle mène une vie très rangée avec son modeste salaire de couturière. Âgée de cinquante-cinq ans, Anna Slesers, originaire de Lettonie est divorcée et mère de deux enfants. Elle est très proche de son fils Juris, qui lui téléphone tous les jours. Il frappe encore une fois à la porte. Toujours pas de réponse. Il colle l’oreille contre le bois, mais il n’entend aucun bruit. Peut-être a-t-elle oublié leur rendez-vous. Cependant, cela lui paraît peu plausible. Il fait tout de même le tour du quartier, en vain. Il est maintenant dix-neuf heures trente. Il commence à s’inquiéter sérieusement. Sa mère est un modèle en matière d’exactitude. Un mauvais pressentiment l’assaille aussitôt. Il descend à la loge du gardien pour qu’il lui ouvre, mais il est absent. Juris remonte et décide de défoncer la porte. Peut-être que sa mère a fait un malaise. Une fois à l’intérieur, l’appartement est plongé dans le noir. Seule la cuisine est allumée. Anna Slesers est bien chez elle, mais elle n’a pas eu de malaise. Juris la découvre allongée sur le sol de la salle de bain. Sa robe de chambre est entièrement ouverte. Son corps est nu. La jambe droite forme un angle avec le reste du cadavre. Le bras droit est tordu dans un angle droit. La ceinture de son peignoir est nouée autour de son cou. Après avoir prévenu la police, Juris visite le reste de l’appartement qui semble avoir été fouillé. Cependant rien ne manque. Il est évident que tout a été inspecté, mais d’après le fils de la victime l’assassin n’a rien emporté. Une chose est certaine. Il n’y a pas eu d’effraction. La serrure et la chaîne de sécurité sont intactes. Juris Slesers est certain qu’il n’y a rien de personnel dans le meurtre de sa mère. Pour lui, ce n’est pas un membre de son entourage qui est à l’origine de cet acte odieux, ni un cambrioleur puisque tous les bijoux, dont certains de grande valeur, sont encore là.

TROIS

Anna Maréchal est une petite femme brune à l’air revêche, qui semble toujours mépriser celui qu’elle regarde. Elle habite une résidence cossue, cours de la République, à quelques mètres du canal du Midi. C’est un petit coin calme, surtout occupé par des retraités ou des familles. Personne ne se mêle des affaires des autres et cela lui convient parfaitement. Originaire de la région parisienne, elle est venue s’installer à Castelnaudary, distante d’une quarantaine de kilomètres de Carcassonne où vit son fils unique.

Ce soir-là, elle finit de dîner tranquillement et se fait couler un bain. Son fils, Jérôme doit passer la prendre. Pour son anniversaire, il lui a offert une place de concert. Un récital de piano avait lieu à la collégiale Saint-Michel. Elle glisse un CD de musique classique dans le lecteur, enclenche le bouton « marche » et les premières notes de la Toccata et fugue en ré mineur s’élèvent dans la pièce. Bach est son compositeur préféré et elle se fait une joie de se rendre à ce récital.

Un peu avant vingt heures, Jérôme frappe à la porte. Comme il n’obtient aucune réponse, il appuie sur la sonnette plusieurs fois de suite. Toujours pas de réaction. Il actionne la poignée, mais l’entrée est verrouillée. Jérôme cogne pendant plusieurs minutes. D’où il se trouve, il entend des brides de mélodie. Il imagine qu’elle a encore une fois mis la musique beaucoup trop fort. Sa mère a déjà eu quelques soucis avec ses voisins à ce sujet, mais elle avait décidé qu’elle ferait comme elle voudrait. Toutefois, une autre idée lui traversa l’esprit. Quelques semaines plus tôt, Anna avait été assez souffrante et il était envisageable qu’elle ait fait une rechute, et du coup, était dans l’impossibilité de venir lui ouvrir. Elle était peut-être évanouie. Son inquiétude croissante, il tente le tout pour le tout. Il donne un grand coup d’épaule dans la porte. Heureusement qu’elle n’est pas trop solide. La serrure cède au bout de deux essais. Jérôme remercie le ciel que personne ne soit passé à ce moment-là. Une boule au ventre, il pénètre dans l’appartement. Le logement est plongé dans le noir. Il n’y a que la cuisine, au fond du couloir, qui semble éclairée. Jérôme bute sur quelque chose. Il attrape son téléphone dans la poche arrière de son pantalon et s’éclaire avec. Il découvre Diamant, le braque mort dans l’entrée. Visiblement, il a été étranglé avec sa laisse. Son nœud à l’estomac se resserre encore plus. Il ne touche à rien et continue sa progression, utilisant la petite lampe torche du portable. Il n’y a aucun bruit, hormis le tic-tac de la pendule qui semble résonner de façon lugubre. Le portefeuille de sa mère est ouvert sur la table et son contenu a été partiellement répandu sur le carrelage. La corbeille à papier près du bureau a été renversée. Les tiroirs ont également été retournés et laissés tels quels par terre. Jérôme termine son inspection et s’aperçoit que les autres pièces sont en ordre. Rien n’a été dérangé et il n’y a aucune trace d’Anna. Peut-être a-t-elle dû s’absenter pour une course, et l’appartementa été visité à ce moment-là. Mais dans ce cas, elle aurait pris son sac. Il arrive au fond du couloir et stoppe immédiatement, porte la main à sa figure pour étouffer le cri qui lui monte à la gorge. Sur le sol de la salle de bains qui jouxte la chambre, sa mère gît, les yeux exorbités, la langue pendante hors de la bouche. Il est évident que ce n’est pas naturel. Horrifié, Jérôme recule de quelques pas, puis après quelques minutes d’hésitation, se précipite vers la sortie, dévale l’escalier, et quitte à toute allure la résidence. Il prend quelques secondes afin de récupérer son calme. Les passants le scrutent d’un air étrange, se demandant sûrement s’il a toute sa tête. Après avoir respiré un grand coup, il prévient la gendarmerie. Sa mère a été agressée chez elle. Il semble que ce soit un cambriolage.

L’adjudant-chef Lemaire déboule sans frapper dans le bureau de son supérieur, hors d’haleine. Il n’attend pas de retrouver son souffle avant de jeter l’info.

— Capitaine, il y a eu un meurtre !

Lâchant le stylo qu’il tient à la main et ravalant le reproche qu’il s’apprête à faire à son subordonné pour être entré dans la pièce sans y être invité, le capitaine Éric Colin fixe Lemaire d’un regard vide avant de répéter, comme pour se convaincre de ce qu’il vient d’entendre.

— Un meurtre ?
— Oui, mon capitaine. Une femme a été retrouvée décédée chez elle.
— Un meurtre, rabâche-t-il. Vous en êtes sûr ? Ce n’est pas plutôt un suicide ou même une mort naturelle ?
— Non, capitaine, vu l’état du corps, ce n’est pas habituel.

Le gradé lâche son stylo et se lève précipitamment. Il attrape son képi et son blouson et emboîte le pas à Lemaire. De son portable, il avertit l’Identification Judiciaire, leur demandant de les retrouver à l’adresse qui leur indique. Sur les lieux, ils sont rapidement rejoints par l’IJ qui se met au travail après que les militaires ont gelé la scène de crime. Ils découvrent le corps de la femme là où l’a précisé le fils, encore sous le choc. Anna est nue sous son kimono et se présente dans une position exposant son anatomie de manière indécente. Elle est allongée sur le dos et sa robe de chambre a été ouverte. Sa tête est tournée vers la porte de la salle de bains, sa jambe gauche est tendue et la droite est repliée sur le côté, exhibant ainsi toute son intimité. La ceinture de sa sortie-de-bain a été serrée autour de son cou et lacée en un gros nœud bouffant sous son menton.

Pendant que les Techniciens d’investigation criminelle surnommés « TIC » pour plus de facilité, par leurs collègues, recherchent les traces et indices prennent les photos de l’appartement sous différents angles, les enquêteurs font le tour des diverses pièces. Près du cadavre, divers objets sont éparpillés un peu partout dont certains semblent être de valeur. Des bijoux en argent, une montre, elle aussi, en argent. Arrivé sur les lieux en dernier, le médecin légiste corrobore d’emblée que la victime a bien été étranglée avec la ceinture de son peignoir et qu’elle a subi des violences sexuelles exercées à l’aide d’un ustensile. Il relève également plusieurs marques de coups. L’enquête de voisinage est rapide et sans surprise. Tout son entourage décrit de manière identique la façon de vivre de la défunte. Madame Maréchal était une personne très impliquée dans les activités de la commune et donnait beaucoup de son temps à diverses associations. Elle travaillait très dur et adorait son métier de secrétaire juridique. Depuis trente ans, elle œuvrait dans le même cabinet d’avocat. Rien dans sa vie, ne peut expliquer son meurtre, sauf peut-être son goût immodéré pour la musique classique, note Lemaire qui a en horreur ce genre musical. Les seules conclusions qui pour le moment sont les plus évidentes sont qu’un inconnu était entré chez elle. Une personne qu’elle connaissait puisqu’aucune trace d’effraction n’a été relevée. En la voyant en peignoir, il a pu être pris d’une pulsion sexuelle incontrôlable. Paniqué, il l’a ensuite tué afin d’éviter d’être reconnu et dénoncé. Mais pourquoi toute cette mise en scène ? D’autant plus que rien ne semblait avoir été volé. Les objets de valeurs sont toujours là. Colin trouve cette explication plutôt bancale et ne le convainc pas du tout. Il ne l’approuve qu’à moitié et cela est confirmé lorsque le rapport de l’IJ confirme que les empreintes retrouvées chez la victime sont les siennes. D’ailleurs, l’enquête de voisinage a révélé que madame Maréchal était une femme très méfiante et elle n’aurait jamais ouvert à un inconnu, surtout vêtue d’un peignoir. De plus, si l’on considère que l’agresseur est un cambrioleur, pourquoi n’a-t-il rien emporté ? Toutefois, il est évident qu’il a méticuleusement fouillé l’appartement.

*

Il décampe à travers les ruelles, manquant plusieurs fois de chuter à cause des trous dans le bitume.

Le suivait-on ?

Il n’ose pas regarder derrière lui, mais il décide quand même de s’assurer que personne n’est à ses trousses. Il perd d’un coup l’équilibre et dévale la petite pente jusqu’à se retrouver dans l’eau vaseuse du canal du Midi. Surpris, il est pendant un court instant pris de panique et retombe plusieurs fois en se débattant. Il crée un éclaboussement d’écume brunâtre avant de recouvrer son calme. À grand-peine, il regagne la rive et s’y allonge, histoire de se remettre de ses émotions. Il est trempé et la fraîcheur de la nuit lui transperce la peau comme des milliers d’aiguilles. Il a du mal à retrouver sa respiration et l’eau qu’il a malencontreusement avalée lui a laissé un goût de fange dans la bouche. Il est loin de la scène de crime. Au pire, si on lui pose des questions, il pourra toujours faire semblant d’être saoul…

Mais quel idiot !

Il a fallu que ce satané clébard se mette à aboyer ! Il s’assoit contre un platane, hors d’haleine. Quand il aperçoit le tablier de cuir qu’il porte autour de la taille, il éclate de rire. Il était arrivé dans la résidence avec une idée en tête, puis un invité de dernière minute s’est pointé et ses plans ont changé. Tendant l’oreille, il n’entend rien d’autre que les bruits de la nuit. Apparemment, personne ne l’a suivi ou repéré. Il rentre chez lui, s’octroie une longue douche chaude avant de sortir. Il a envie de prendre du bon temps, de s’amuser.

*

L’homme s’étire en bâillant. Il jette un vague coup d’œil à la forme étendue à côté de lui. Il regarde longuement le plafond avant de rejeter les couvertures et de secouer la fille qui émerge à son tour du sommeil.

— Allez tire-toi, maintenant ! lui lance-t-il, sans même un bonjour.
— Pas de petit-déj ? demande-t-elle un peu surprise par l’agressivité de son amant d’une nuit.
— Dégage ! hurle-t-il en la poussant hors du lit.

La jeune femme se lève rapidement, ramasse ses vêtements, s’habille à toute vitesse et quitte l’appartement sans un mot. La veille au soir, il avait pourtant l’air sympa.

Il regarde la fille se sauver sans réclamer son reste. Il est clair qu’elle ne comprend rien de ce qu’il se passe. Il n’a aucun souvenir de sa soirée, il ne sait même pas qui est cette nana et ce qu’elle fait chez lui. Il se cale contre l’oreiller et tente de se remémorer un détail ou deux. Il se revoit prendre une douche et ensuite, le trou noir. A-t-il fait la fête et trop bu au point de tout oublier ? C’est sûrement ce qu’il s’est passé. Après tout, ce n’est pas la première fois que cela lui arrive. Il entend la porte d’entrée claquer. L’inconnue s’est enfin barrée. Il sort du lit à son tour. La migraine lui vrille les tempes. Il se saisit de son pantalon et fait tomber une boîte d’allumettes. Le nom inscrit dessus est celui d’une discothèque des environs de Carcassonne. Tout s’éclaire. Il a effectivement trop picolé !

*

Le rapport du légiste concernant Anna Maréchal est tombé dans la matinée. L’autopsie a révélé une grande lacération à la base du crâne, mais cela n’a pas entraîné la mort. Cette dernière a été causée par une asphyxie par strangulation. L’os hyoïde est complètement fracturé. Après examen gynécologique, le pathologiste a décelé des déchirements et des saignements importants. L’absence de sperme tend à laisser penser que le viol a été perpétré à l’aide d’un objet.

*

Une semaine auparavant, il est sorti quelques instants pour faire des courses à la supérette du centre-ville. Au moment où il a repris le chemin de chez lui, une vision s’est imposée à ses yeux. Cela ne pouvait être que ça… Une vision et rien d’autre. Il s’était arrêté au beau milieu du trottoir, se moquant des promeneurs qui râlaient, car il prenait toute la place. Il était persuadé de connaître la femme qui arrivait en face de lui. Sans comprendre, il avait fait mine de nouer ses lacets. Il l’avait laissé passer, puis avait entrepris de la suivre. Elle l’avait vaguement considéré sans le reconnaître pour autant. L’espace d’un instant, leurs regards s’étaient croisés. Dans les yeux de la jeune femme, il n’avait lu que du mépris, rien d’autre. Pour elle, il n’était qu’un pauvre type banal. Il faut vraiment croire qu’elle n’avait pas changé. En tout cas, physiquement, elle était comme dans ses souvenirs. Elle s’était dirigée vers une ruelle qui longeait le grand bassin et était entrée dans une petite maison. Elle était donc de retour en ville. C’est le capitaine de gendarmerie Colin qui devait être content. Le retour de la fille prodigue ! Il avait continué son chemin, tourné sur sa droite et s’était assis sur un banc au bord de l’eau. Derrière lui, la tour d’un bâtiment à demi en ruine se dressait. Une sensation de tristesse l’envahit alors.

QUATRE

L’automobile est découverte par une patrouille de gendarmerie vers six heures trente du matin. Une Audi A4 gris métallisé. L’adjudant-chef Lemaire et son collègue le maréchal des logis Cabot s’arrêtent afin de vérifier si tout va bien. Le coin est désert à cette heure-ci. Intrigués, les deux militaires descendent de leur voiture dans l’intention d’inspecter le véhicule. La première chose qu’ils remarquent est les impacts de balles sur la carrosserie. Le pare-brise arrière a été explosé par les tirs et les portières sont grandes ouvertes.

À l’intérieur, des papiers de bonbons, des mégots de cigarettes, une seringue hypodermique contenant de la poudre blanche et des douilles de 9 mm de carabine US. Ceux qui l’ont mis dans cet état n’y ont pas été de main morte. À l’aide de sa lampe torche Lemaire éclaire l’habitacle du véhicule. Pas une seule goutte de sang. A priori, ils ont tiré sur une voiture vide. Les deux militaires ne touchent à rien et appellent les renforts. Après avoir transmis le numéro d’immatriculation, ils apprennent que l’Audi appartient à Anna Maréchal. Elle a été déclarée volée quelques jours avant le meurtre de sa propriétaire.

Les TIC ne relèvent aucune empreinte. Pas un cheveu, rien. Tout a été nettoyé. Leur seul espoir reste le mégot de cigarette qui pourra peut-être leur livrer un ADN. Sous le siège passager, un mouchoir taché de sang est découvert, ainsi qu’une cordelette qui semble être la même que celle de la scène de crime.

CINQ

L’adjudant-chef Adrien Lemaire n’a pas besoin de relire le dossier de l’affaire Maréchal et pour cause, c’est lui qui est chargé de l’enquête depuis la découverte du véhicule abandonné. Il parcourt pour la seconde fois le rapport de l’Identité Judiciaire qui n’a rien mis en évidence, hormis l’ADN de la victime sur le mégot. Le sang sur le mouchoir lui appartenait également. Mais sinon, il n’y avait absolument rien d’autre. Lemaire se souvient très bien de la scène de crime, dans l’appartement d’Anna Maréchal. Il avait trouvé quelques similitudes avec les meurtres de l’étrangleur de Boston. Avant de devenir gendarme, il avait suivi un cursus de droit et l’un de ses profs de fac avait consacré un long chapitre aux tueurs en série célèbres, dont Albert de Salvo, l’étrangleur. Mais ce n’était sans doute qu’une coïncidence. Ce ne pouvait pas être un copycat. Dans ce cas, le meurtrier aurait agi dans une plus grande ville. Castelnaudary est loin de ressembler à Boston.

*

Les funérailles sont comme ils les aiment. Tristes à souhait. Ils apprécient de voir les gens pleurer ou faire semblant, suivant leurs sentiments envers le défunt. Là, hormis le fils et quelques collègues, Anna Maréchal n’a pas fait se déplacer les foules. Après tout, elle n’était pas connue pour avoir beaucoup d’amis, alors c’était normal qu’elle finisse seule. Ce qui les chagrine le plus est de ne pas pouvoir reproduire exactement les meurtres originaux. Ils doivent se montrer prudents. Dans une petite ville comme Castelnaudary, on n’est pas à l’abri d’un témoin indésirable et ça, ils ne peuvent pas se le permettre. Cependant, pour le moment, ils ont autre chose en tête. Ils sont au bar, impatient de la voir arriver. Cette femme est spéciale. Ils la connaissent depuis le lycée. À l’époque, ils étaient raides dingues de cette fille, mais elle voulait juste qu’ils restent amis. Ils ont appris son retour par hasard, en la croisant dans la rue. Ensuite, ils l’ont revue et l’ont invité à boire un verre.

Elle arrive enfin. Les retrouvailles sont chaleureuses, même s’ils remarquent qu’elle est un peu sur la réserve. Après toutes ces années, c’est sans doute normal. Ils se quittent une heure plus tard, en se promettant de se revoir bientôt.

*

À peine une demi-heure plus tard, deux coups de feu éclatent dans la rue. Deux détonations qui déchirent la tranquillité du Cours de la République. Une jeune femme, Lucinda s’écroule par terre, se tenant la jambe droite. Sous le choc de ce qu’il vient de se passer, personne ne semble vouloir réagir afin de lui venir en aide. Des tirs dans une si petite ville. Lucinda hurle de douleur, pleure, terrorisée par son agression. Le patron de la brasserie se ressaisit et appelle les secours. Après examen, il s’avère que la blessure est sans gravité. Le tireur savait ce qu’il faisait. Il n’a pas voulu la tuer. C’est un avertissement, un simple avertissement. Une enquête est ordonnée, mais ne donne aucun résultat. Personne n’a rien remarqué de spécial, qui change du train-train quotidien de la ville. La victime n’a rien à se reprocher. Elle mène une existence tranquille d’une fille de vingt ans. Un boulot, un petit appartement. Il n’y a que sa vie amoureuse qui s’est révélée un peu chaotique, mais rien d’extraordinaire. Elle a d’ailleurs raconté aux gendarmes, non sans une certaine gêne que deux jours auparavant, elle s’est fait larguer par un mec alors qu’ils venaient juste de se rencontrer. Un gars banal, avec un accent anglais. Elle n’a rien remarqué d’étrange avant l’agression. Elle tournait le dos à la rue et de ce fait elle n’a pas fait attention.

*

— Et si le tireur avait opéré depuis une voiture.

Assis derrière son bureau, Lemaire se creuse les méninges à voix haute.

— Tu plaisantes ? Eh, Lemaire ! On n’est pas aux States, mais à Castelnaudary ! lance Nicolas Cabot.
— Et alors ? Réfléchi. Pas de douilles, pas de traces, rien. Si tu as une autre explication, je t’écoute parce que là, je suis paumé !
— Il aura tout nettoyé.
— Impossible. Imagine la scène. Le gars tire sur une fille en pleine rue, prend le temps de tout nettoyer et s’en va. Tu trouves ça plausible ?

Lemaire scrute la réaction de son collègue, avant de continuer.

— Je te dis qu’il a fait ça depuis une voiture. Je sais qu’on est à Castelnaudary, mais c’est possible après tout. Je ne vois pas d’autres explications.

*

Il est debout sur le parquet sale et observe le sang qui coule le long de ses jambes. Il a mal, très mal. Il sait qu’il devrait lever les yeux pour regarder celui qui lui a fait ça, mais pour le moment, il préfère les fermer. Il sent la présence de son bourreau dans la pièce, mais il n’y a pas que lui. Il se décide enfin à ouvrir les paupières. Il remarque sa mère qui se tient sur le seuil de la porte. Une vague de soulagement l’envahit alors. Ce cauchemar va en fin de compte pouvoir s’arrêter ! Il tend les mains vers elle, l’implorant du regard de l’aider. Il commence à aller vers elle, mais plus il avance plus elle recule d’autant de pas. Brusquement, il trébuche, perd l’équilibre et chute lourdement.

Le choc le fait revenir à la réalité. Il observe les lieux. Il lui faut quelques secondes pour comprendre qu’il est chez lui. Son cauchemar l’a fait tomber du lit. Il est en sueur, tout son corps lui fait mal et cette douleur le ramène plusieurs années en arrière. Encore ce rêve, toujours le même, si triste, si éprouvant. Péniblement, il se relève et se dirige vers la salle de bains. Après une longue douche bien chaude, il se sent enfin un peu mieux, comme si l’eau l’avait lavé de toutes les souillures qu’il avait subies. Devant son petit-déjeuner, il songe à ce qu’il a fait. Cela fait un moment qu’il n’a pas connu une telle euphorie. Cela peut sembler absurde, mais c’est ainsi.

Le retour de cette fille a tout déclenché, réveillé ses démons intérieurs. Pour être honnête, il ressent un bonheur sans pareil. Recommencer à tuer, cela lui fait du bien. Depuis des années, il avait la sensation d’être une coquille vide, qui lui manquait quelque chose dans son existence. Il est tout à fait capable de mettre des mots sur ce qu’il éprouve. Il avait été rejeté par ses parents, surtout par sa mère. Pourtant il avait besoin d’elle, de son aide, de sa protection. Il n’a jamais eu de copains, et l’unique fille qu’il a aimée, ne la jamais considéré autrement que comme un ami. Aujourd’hui, elle ne se souvient même plus de lui.

SIX

La tête d’Emma se renverse en arrière, les yeux révulsés par la panique, la bouche tordue dans un rictus. Les traits de son visage ont disparu derrière une terrible grimace exprimant une douleur intense. Son corps s’agite dans des soubresauts désespérés. L’homme écrase la figure de la jeune femme avec ses rangers. Elle lutte, se débat comme un beau diable. Ses jambes battent violemment l’air, puis peu à peu se laissent choir, inertes. Il n’entend plus que le clapotis de la pluie sur le canal. L’unique chose qu’il voit est le cadavre à la surface de l’eau. Les longs cheveux bruns de la victime flottent autour de la tête, comme une auréole. La fille n’est plus qu’un morceau de viande inutile. Il a fait une erreur qui pourrait lui coûter cher. Il va être obligé d’abandonner son plan. Tant pis, il en dénichera une autre plus tard. Pour le moment, il doit faire disparaître le macchabée. Le vent lui paraît maintenant glacial, il grelotte. Il s’assure que personne ne se trouve dans les parages afin qu’il puisse finir le boulot tranquillement. De toute manière, vu le temps pourri, personne ne doit avoir envie de se balader.

Sa besogne accomplie, il longe l’ancienne vinaigrerie dont la tourelle domine le bâtiment en ruine et le grand bassin. Il aime cet endroit. Gamin, il venait s’y réfugier lorsque l’ambiance n’était pas au beau fixe à la maison. À l’époque, il avait découvert un passage qui lui permettait de s’y glisser sans être vu. Il s’arrête quelques instants en se demandant s’il existait encore. Plus de vingt ans se sont écoulés, les murs tombent en ruine par endroits. C’est devenu le repaire des pigeons et des chats errants. Il jette un coup d’œil, comme le font souvent, les promeneurs et se rend compte, non sans plaisir, que rien n’a bougé. C’est une bonne nouvelle. Il n’aura pas à trouver une nouvelle planque. Il remonte le quai de la Cybèle en pressant le pas. La pluie est de plus en plus forte et le vent a grossi. Il emprunte le pont vieux et rentre chez lui tranquillement.

*

Une semaine plus tard.

Le soleil n’est pas encore levé. Le fond de l’air est frais et les deux amis frissonnent, mais ils n’auraient manqué aucun de leurs rendez-vous hebdomadaires pour tout l’or du monde. Comme tous les samedis matin, ils ont planté leurs attirails de pêche au bord du canal. Antonin a lancé sa ligne depuis quelques minutes lorsque son fil se tend brusquement.

— Eh ! Ça a l’air d’être une belle prise !
— Je ne sais pas. On va bien voir !

Le pêcheur hisse doucement le fil de la canne et petit à petit, une forme se dessine à la surface de l’eau. Une chose est certaine, ce n’est pas un poisson. Trop lourd, trop gros, et la silhouette n’a rien de commun avec les silures qui pullulent. C’est de plus en plus inquiétant. Au fur et à mesure, que ça se rapproche, Julien blêmit en même temps que son comparse. Au bout de la ligne, ce n’est pas un poisson.

— Ne me dis pas que c’est ce que je crois !

Les deux hommes sont au bord de la nausée. Puis reprenant son calme, Julien se moque gentiment d’Antonin, histoire de faire bonne figure, mais pour être honnête, il n’en mène pas large.

— Tu as fait une sacrée prise ! Un beau macchabée !

Dès qu’ils arrivent sur place, les premiers gendarmes gèlent l’endroit où a été retrouvé le corps et deux militaires hissent la dépouille sur la berge, tandis qu’un autre interroge les deux pêcheurs sous le choc. Ils ont souvent remonté des objets étranges, mais un cadavre, c’est une grande première. Les flâneurs, surtout composés des habitants des péniches voisines et de quelques riverains déjà réveillés malgré l’heure matinale, s’agglutinent derrière le cordon de sécurité. Certains prennent des photos, d’autres filment à l’aide de leur téléphone portable. Le corps est boursoufflé par son séjour prolongé dans l’eau. Le visage est peu reconnaissable, les poissons semblent s’être régalés. Une chose ne peut pas échapper aux enquêteurs. Le cadavre a les mains liées dans le dos, reliées au cou par une cordelette, nouée en rosette.

— Mon Dieu ! s’exclame l’un des gendarmes. Ce n’est pas un accident, elle a été exécutée !

Jeune recrue, l’homme n’a encore jamais eu affaire à des dépouilles dans un tel état. Son estomac émet des grognements de protestations. Il est à deux doigts de vomir son petit-déjeuner.

— Oui, réponds Colin. Et avant, elle a été torturée.

Il désigne des traces de brûlures et de lacération sur ce qui reste de peau.

L’autopsie confirme les actes de maltraitance. La victime est une femme âgée entre quarante et cinquante ans. Elle a subi de nombreux traumatismes et est morte noyée. Le labo certifie que la cordelette est la même que celle retrouvée dans la voiture d’Anna Maréchal.

Il est convenu que la presse sera mise à l’écart, du moins pour le moment. Colin n’a pas envie de créer un vent de panique en ville. Sa décision se révèle rapidement judicieuse, lorsque le lendemain on leur signale un autre corps.

Lemaire s’extirpe de sa voiture et la portière claque dans la nuit silencieuse. Pas une âme qui vive sur les rives du canal, pas de véhicules, pas de lumières aux fenêtres. Rien, à part quelques canards et ragondins dérangés dans leur sommeil. La lueur de sa torche accroche un objet métallique qui s’avère, après examen, être un pendentif et à peine deux mètres plus loin, il découvre un grand sac-poubelle noir. Une odeur flotte dans l’air. Ce n’est pas celle de la pluie ni celle de la boue. En approchant, Lemaire sent la nausée l’envahir. L’effluve méphitique se précisait. Le gendarme enrage. Il aurait dû être en congé, mais il a été rappelé à cause d’un collègue qui s’est retrouvé un bras dans le plâtre. Il attend Cabot qui doit le rejoindre. Au moment où ils ouvrent le sac, une émanation écœurante de putréfaction leur saute à la figure. Une masse blanchâtre et grouillante émergeant de vêtements en loques et de chairs pourries leur apparaît. Les deux hommes reculent rapidement en se protégeant de l’odeur. Lemaire appelle aussitôt les renforts.

SEPT

Août 1888. Londres, quartier de Whitechapel

Charles Cross, un ouvrier se hâte de traverser le quartier de Whitechapel. Il est à peine quatre heures du matin. Il fait très sombre. Le temps est froid et humide pour la saison. L’homme relève le col de sa veste pour se protéger des courants d’air. Il marche d’un pas rapide, le coin est désert et loin d’être rassurant. À Whitechapel et dans tout l’East End, c’est la misère, la vie dans la rue, l’exploitation des travailleurs, la prostitution et la mortalité infantile. Les meurtres sont fréquents. Dans Buck’s Row, un passage sombre, Cross aperçoit quelque chose ressemblant à une bâche étendue sur le sol, devant l’entrée d’une cour. Intrigué, il s’approche et réalise avec surprise qu’en fait, c’est une femme dont la jupe est retroussée. Tout d’abord, l’homme pense qu’elle est saoule, comme cela arrive régulièrement dans le quartier. Il veut l’aider, cependant, il fait trop noir et il ne voit pas grand-chose. Par chance, un individu passe par là. Charles demande à l’inconnu de lui donner un coup de main. Ils tentent de la relever, mais n’y parviennent pas. Craignant qu’elle soit en réalité morte, ils rabaissent sa jupe et ses jupons de manière plus décente et se mettent à la recherche d’un agent de police. Ils en trouvent un assez rapidement, John Neil, qui fait sa ronde. Les deux individus lui expliquent qu’un peu plus loin, une femme semble avoir fait un malaise et a sans doute besoin d’aide. Le gardien de la paix accompagne les deux ouvriers. Il éclaire la victime de sa lanterne et s’aperçoit immédiatement qu’elle a été égorgée, presque décapitée. Ses yeux sont grands ouverts. L’officier touche le corps. Les mains sont froides, mais les bras, eux, sont encore chauds. L’inconnue est morte peu de temps auparavant. Le policier sent son estomac se retourner et réprime, non sans mal, la nausée qui le submerge.

Neil se sert de son sifflet pour appeler un collègue qui patrouille non loin. Ce dernier court chercher un docteur. Le praticien arrive au bout d’un certain moment et examine le corps. D’après lui, la victime a été tuée à l’endroit où elle a été découverte et son sang a sûrement imbibé ses vêtements, qu’elle portait en couche épaisse. Comme beaucoup de prostituées, la femme a enfilé tous ses effets personnels sur elle.

Lors de l’autopsie, il relève que le cou de la victime a été tranché deux fois, violemment, sectionnant la trachée et l’œsophage. Son abdomen a été mutilé, sans doute avec un grand couteau. Le ventre présente une blessure longue et profonde ainsi que plusieurs coupures un peu plus près du pubis. Le légiste note aussi qu’elle a été frappée de plusieurs coups avec la même lame. L’examen des vêtements confirme que le gros de l’hémoglobine a été absorbé par les étoffes. Tout laisse penser qu’elle était déjà à terre lorsqu’elle a été tuée.

HUIT

L’adjudant-chef Lemaire, accompagné du maréchal des logis Nicolas Cabot, sonne avec insistance à la porte d’Hélène Mosse. Personne ne l’a vu depuis plusieurs jours. À la banque où elle travaille, aucune nouvelle non plus et ce n’est pas dans ses habitudes, bien au contraire. Au bout de cinq longues minutes, une voisine apparaît à la fenêtre de la maison adjacente, prête à faire dégager les importuns. Elle en avait ras le bol des démarcheurs en tout genre et les membres de groupes religieux venant prêcher la « bonne parole ». Son air suspicieux s’efface dès qu’elle aperçoit les hommes en uniforme.

Lemaire la salue et après s’être excusé de l’avoir dérangé, il lui explique la raison de leur présence.

— Bonjour Madame. Gendarmerie nationale. Avez-vous vu Madame Mosse ces derniers jours ?
— Non. En fait, je l’ai vu rentrer chez elle il y a environ une semaine. Elle revenait du travail. Nous avons discuté quelques instants. Elle semblait aller bien. Mais je ne la connaissais pas très bien. Vous savez, juste bonjour – bonsoir. Pas plus.

Nicolas Cabot réprime une moue ironique. Il est au courant de ce que cela voulait dire. Dans cette ville, le sport national est de médire sur ses voisins tout en leur adressant de grands sourires bien hypocrites.

— Cependant, ajoute-t-elle, depuis deux ou trois jours, il y a une véritable puanteur qui provient de chez elle. C’est sans doute que les poubelles, mais je dois avouer que cela commence à devenir très désagréable.

Lemaire remercie la voisine et appelle les renforts, les TIC ainsi qu’un serrurier. La maison n’est pas très grande et tandis que les militaires pénètrent, une odeur de corps en décomposition les prend à la gorge. Le domicile d’Hélène Mosse semble avoir été cambriolé, néanmoins, aucune trace d’effraction n’est relevée. L’intrus s’est sans doute fait ouvrir la porte ou alors, il avait la clé. Les tiroirs sont béants, leur contenu est éparpillé sur le sol, comme si une tornade avait sévi dans le salon. Les mouches pullulent dans les pièces et leur bourdonnement incessant est l’unique bruit dans toute la maison. Dans l’un d’eux, les gars de l’identification criminelle découvrent un chéquier et de l’argent. Dans le sac à main, rien ne semble manquer non plus. Le vol n’est vraiment pas le mobile. Plus ils avancent dans la pièce, plus l’odeur est forte. Lemaire remarque l’une des jeunes recrues blêmir et retenir avec peine, le flot de bile qui lui remplit la gorge.

— Va dégueuler dehors ! lui lance Lemaire d’un ton sec en le fixant avec un regard plein de reproches.

Intérieurement, il s’en veut d’avoir parlé si sèchement à son collègue. Lemaire a du mal à faire bonne figure devant les autres. Il est au bord de la nausée.

Hélène Mosse est allongée sur le dos, au beau milieu de la chambre à coucher. Ses jambes sont écartées, son peignoir déchiré et sa nuisette remontée jusqu’à la taille. Deux de ses bas nylon sont fermement serrés autour de son cou au moyen d’un nœud bouffant. Penché sur le cadavre, le légiste constate qu’elle a été agressée sexuellement à l’aide d’une bouteille si violemment qu’elle en a saigné. La scène de crime est photographiée sous tous les angles, les empreintes sont relevées et tout ce qui peut être utile à l’enquête est répertorié, et mis sous scellés. Le pathologiste estime, vu l’état de décomposition du corps, que la victime est morte depuis au moins une semaine.

— Donc, résume Lemaire, elle a été tuée le jour où sa voisine l’a vu pour la dernière fois.
— C’est ce que je pense, oui.

*

Tous ces morts dans une si courte période. Ce n’est pas resté secret très longtemps. Les flics n’ont rien laissé filtrer, mais une fuite n’est pas impossible et au lever du jour, la une des quotidiens titrent en gros caractères « UN TUEUR EN SÉRIE À CASTELNAUDARY ? ». Forcément, la nouvelle est sur toutes les lèvres. Tout le monde commente les publications, toutefois, pour beaucoup, tout cela n’est uniquement fait pour vendre plus de journaux.

À titre d’information, Colin décide tout de même de faire paraître un éditorial afin d’avertir les femmes seules de faire attention, de fermer leur porte à clé, de se méfier des étrangers et d’éviter de circuler dans des endroits isolés. Devant la similarité des deux meurtres, il est évident qu’il s’agit du même assassin. Il s’en prend à des célibataires, âgées de quarante à cinquante ans. Par contre, il bute sur le corps repêché dans l’eau. Ce peut être l’œuvre du tueur puisque le légiste a estimé que la victime a été supprimée par strangulation. La fracture de l’os hyoïde le prouve. Mais le fait de l’avoir retrouvée dans le canal le dérange un peu. La seule explication est que c’était un coup d’essai, que l’assassin s’est loupé et qu’il se soit débarrassé de la carcasse, pas satisfait du résultat. Assis derrière son bureau, Colin ne peut retenir un rire nerveux. Cinq ans qu’il est en poste à Castelnaudary, là où il avait débuté comme simple gendarme. Il avait eu envie d’une affectation tranquille pour sa fin de carrière. Dans six mois, il prendrait sa retraite, et voilà qu’un meurtrier s’amuse à semer des cadavres en ville. Le capitaine s’est vu obligé d’annuler les congés de certains de ses hommes. Une partie du groupe est chargée d’enquêter sur les homicides, l’autre sur le cas de la bouillie humaine. En premier lieu, ils font le point sur tous les délinquants sexuels connus dans la région ainsi que sur les hommes qui ont été condamnés pour actes de violence. Ils poussent les investigations sur tous ceux qui ont fait un séjour en hôpital psychiatrique. D’après un premier profil, le tueur doit certainement être un individu assez jeune, en proie à un délire de persécution. Sans doute un célibataire qui a des problèmes relationnels avec les femmes, ou un homosexuel refoulé.

*

Comment ne pas haïr une personne qui les a ignorés ? Comment réagir lorsque la fille qu’ils aiment les a tout simplement snobés ? À l’époque, ils étaient trop jeunes, pas assez matures pour mener à bien leur vengeance. Bien sûr, ils se sont débarrassés de leurs parents, mais ce n’était pas parfait. Les gendarmes n’avaient pas les techniques d’aujourd’hui et personne n’a jamais su la vérité. En tout cas, le retour d’Alexandra Clave leur a fait un choc. Quelque chose a vrillé dans leur tête. Pourquoi ? Ils n’en ont aucune idée. Le mal a pris le dessus. Tuer la mère qui les a fait souffrir, ainsi que la fille qui les a rejetés… Se débarrasser de toutes celles qui les ont blessés ou qui n’ont pas su les protéger. La pluie tombe sans cesse derrière la fenêtre de la cuisine. Ils contemplent le déluge d’un air distrait, perdus dans leurs réflexions. L’atmosphère est maussade, et pour être honnête, la déco de la pièce n’est pas plus gaie. Toutefois, pour le moment, cela leur suffit. Peut-être que s’ils arrivent à séduire celle qui occupe leurs pensées, ils feront des efforts.