Repentance - Christelle Rousseau - E-Book

Repentance E-Book

Christelle Rousseau

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Beschreibung

À la découverte de six corps, Sydney Catalani, Commandant du SRPJ de Brest est dépêché pour mener l'enquête. Son seul indice, une mise en scène de chaque mort immortalisée sur d'étranges fresques funestes. Entre fascination et répulsion, Sydney est persuadé que derrière tout ça se cache un tueur méticuleux et surtout expérimenté.

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Christelle ROUSSEAU

Repentance

Roman

Cet ouvrage a été imprimé en France par Copymédia

Et composé par Éditions La Grande Vague

3 Allée des Coteaux, 64340 Boucau

Site : www.editions-lagrandevague.fr

ISBN numérique : 978-2-38460-097-7

Dépôt légal : Mars 2023

Les Éditions La Grande Vague, 2023

1

Stéphane ouvrit sa boîte mail comme tous les matins. La télé était allumée sur BFM, un rituel, même si les nouvelles n’étaient pas forcément réjouissantes. Crises financières, attentats et imbroglios politiques figuraient une nouvelle fois au programme du jour.

Sa tasse de café à côté du clavier, le jeune homme se concentrait sur le contenu des courriels. Beaucoup de pubs, des sollicitations et propositions en tout genre, mais rien de bien transcendant. À moitié endormi, il lâcha un bâillement sonore. Les marques des draps striaient encore légèrement son visage.

Il se gratta d’un air distrait le menton et ses doigts rencontrèrent une barbe de trois jours très désagréable au toucher. Il va falloir remédier au problème, Catherine n’allait pas apprécier. Son regard revint vers l’écran. Un nouveau mail provenant de son agence de voyages venait d’apparaître.

Il cliqua sur l’icône espérant une bonne nouvelle. Trois mois plus tôt, elle avait dû résilier les vacances qu’il avait réservées. La récente instabilité politique du pays rendait le déplacement beaucoup trop risqué et le tour-opérateur avait préféré tout annuler. Le remboursement intégral lui avait rapidement fait oublier ce petit désagrément. Il parcourut les quelques lignes et leva un sourcil suspicieux. Il était bien question d’un voyage, mais pas pour la destination espérée. En pièce jointe, il trouva tous les documents nécessaires au départ.

À sa grande surprise, le séjour n’était prévu que pour une personne, alors qu’à la base, il devait partir avec sa compagne. Il se cala confortablement dans son fauteuil en similicuir, réfléchit quelques instants et sourit. Son regard se posa sur le cliché de la jeune femme. Une quarantaine bien sonnée, un sex-appeal en berne depuis plusieurs années maintenant, et plusieurs kilos en trop, Stéphane ne pouvait pas dire qu’il restait avec elle pour le plaisir des yeux, bien au contraire. La seule chose un tant soit peu attirante chez elle était son compte en banque. Bien sûr, il bossait, mais en se faisant entretenir de la sorte, cela lui permettait de profiter de son argent de la façon dont il le souhaitait. Le petit séjour annulé à la dernière minute n’était qu’une façade, histoire de noyer le poisson. Là, pour le coup, peu importait la destination, il était persuadé qu’il trouverait quelqu’un avec qui passer du bon temps. Il expliquerait qu’il devait partir pour un voyage d’affaires. De cette façon, elle ne poserait pas de questions. Il jeta uncoup d’œil aux pièces jointes, les imprima et les rangea dans une chemise cartonnée vert clair sur laquelle se détachaient en noir les mots « DOSSIER BANQUE ». Elle détestait tout ce qui concernait son boulot. Elle n’y avait jamais rien compris. Le monde des affaires, de la banque représentait pour elle de la science-fiction. Celui de la mode, de la haute couture était le sien, son univers.

Il retourna s’asseoir sur le canapé, changea la chaîne info contre celle musicale. Cependant, son esprit ne cessait de vagabonder vers cette mystérieuse invitation. Il attrapa son téléphone et vérifia où se situait la ville mentionnée. À sa grande surprise, il ne découvrit pas un bourg, mais une île ! L’île de la Repentance.

Elle semblait minuscule. Une vingtaine d’habitations, peut-être un peu plus. 141 âmes, en été, et encore.

Sur Google Street, Stéphane fit virtuellement le tour de la propriété. 72 ha, ce n’était pas vraiment gigantesque ! La Repentance était une île de la mer Celtique située à 30 km à l’ouest de la pointe de Corsen, sur la côte occidentale du Finistère, en Bretagne. Elle constituait également la partie principale de la commune de l’île de la Repentance ; cette dernière ne recouvrait d’ailleurs pas tout l’archipel. En jetant un coup d’œil aux photos, il constata que les habitations étaient regroupées dans un seul et même secteur.

En tapant l’adresse que lui avait donnée l’agence, il tomba sur un cliché d’une maison qui semblait tout droit sortie « d’Autant en emporte le vent ». Rien à voir avec les résidences typiquement bretonnes. Là, il retrouvait plutôt le style Queen Anne, très anglo-saxon. L’extérieur était asymétrique. Un galbe, élément architectural de forme triangulaire, dominait la façade. Un avant-toit surplombait l’entrée, une tour ronde paraissait posée au milieu des différentes parties. Un immense porche couvrait toute la devanture, par lequel on accédait à un escalier en bois. Quand bien même l’endroit avait l’air perdu au milieu de nulle part, cela pouvait être sympa. Stéphane haussa les épaules comme pour se convaincre que la proposition valait le coup du déplacement. Certes, la saison ne se prêtait pas forcément à la baignade, mais il trouverait sans doute pas mal d’autres occupations. En fait, il était même excité à l’idée de partir seul. Et puis, on disait que l’air breton est excellent pour la santé. Après avoir tout examiné, Stéphane se décida pour une petite séance de sport sur son tapis de course. Son physique était sa principale arme pour mettre les filles dans son lit. Son charme lui servait à leur soutirer, l’air de rien, de somptueux cadeaux et parfois de l’argent s’il se débrouillait bien et surtout si sa proie était naïve.

Il augmenta la vitesse de la machine ainsi que la difficulté, en simulant une montée. Ses pieds martelèrent le tapis. La sueur coulait le long de son corps. Il sentait son cœur tambouriner dans sa poitrine. Il respirait de façon régulière, calquant son rythme à celui de la musique que diffusaient ses écouteurs sans fil.

Au bout de quarante-cinq minutes, Stéphane arrêta enfin l’appareil. Ses jambes tremblaient un peu, le temps qu’elles se réhabituent à un sol stable, puis il attrapa la bouteille de boisson énergisante posée sur la tablette devant lui. Après quelques étirements, il se rendit dans la salle de bains, alluma la radio et se détendit sous le jet d’eau brûlant, tout en réfléchissant à son prochain voyage. Avec un peu de chance, sur place, il trouverait une fille qui saura l'occuper s'il s'ennuyait.

*

Assis dans le compartiment du TGV, Jean de Convarde leva les yeux de son journal, visiblement agacé. Il ne supportait pas les vagissements du bébé installé au fond du wagon, dans les bras de sa mère. On devrait interdire aux enfants de voyager ! Ne pouvant plus se concentrer sur sa lecture, il posa le magazine sur la tablette devant lui. Il attrapa sa sacoche et se dirigea vers la voiture-restaurant. Là-bas, peut-être, cela sera un peu plus calme. En passant à côté de la jeune maman, Jean ne put s’empêcher de lui lancer un regard assassin. Au bar, il commanda un grand café crème, un sandwich thon crudité et un autre au saumon fumé. Il mourrait de faim. Il s’installa sur un tabouret en vis-à-vis avec la fenêtre. Il contempla le paysage défiler, tout en mâchouillant les morceaux de pain pas très frais. Rien à voir avec la nourriture gastronomique dont il était habitué. Il se trouvait en pleine campagne.

Que du vert et du jaune à perte de vue. C’est un spectacle déprimant pour un citadin pur souche comme lui. À la rigueur, la mer, ça allait encore, puisqu’il habitait et avait exercé sa profession de juge à Marseille, mais les champs et les pâtures pour les vaches, très peu pour lui ! Il jeta un coup d’œil à son smartphone et lâcha un gros soupir. Il restait au moins quatre heures de voyage. Bien sûr, il aurait pu prendre l’avion, mais il n’avait pas choisi son moyen de transport. Le billet de train se trouvait avec l’invitation. Un ancien collègue pour qui il avait beaucoup d’admiration lui avait proposé de passer quelques jours chez lui, dans sa maison de Bretagne, sur l’île de la Repentance. Il en profiterait pour se reposer. Sa dernière affaire l’avait épuisé. Non pas qu’elle fût compliquée, une employée accusait son supérieur de harcèlement sexuel. Malgré les nombreux témoignages apportés, il déclara le prévenu non coupable estimant que les tenues « provocantes » de la jeune femme représentaient une incitation constante pour l’homme.

*

La petite Twingo rose filait sur la nationale. Florence chantait à tue-tête sur le dernier tube de Lady Gaga, afin d’oublier le froid qui régnait dans la voiture. Le chauffage ne fonctionnait plus depuis belle lurette et elle n’avait pas les moyens de le faire réparer. D’ailleurs, tout dans sa vie était à raccommoder. Tous ses projets étaient tombés à l’eau les uns à la suite des autres. Elle n’avait plus de boulot et son mec l’avait plaquée, ne supportant plus son côté Calimero. Elle passait son temps à s’apitoyer sur elle-même, pleurnichant sur son sort et critiquant toutes les femmes plus jolies qu’elle. Pourtant elle ne pouvait pas s’empêcher de s’identifier aux gamines refaites de la tête aux pieds des émissions de téléréalité dont elle raffolait. Par conséquent, lorsque la suggestion de garder une maison pendant l’éloignement de ses propriétaires, tout en profitant du cadre luxueux, lui avait été proposée, elle n’avait pas hésité une minute. Elle avait jeté un coup d’œil sur Internet. Ce n’était pas une simple résidence, mais un véritable petit château ! Elle pourrait de cette façon prendre du temps pour elle, se reposer, lire, voire réfléchir à son avenir. Le maître des lieux ne demandait qu’une présence afin de décourager d’éventuels cambriolages et maintenir l’emplacement propre. Ils devaient s’absenter pour au moins six mois. Elle n’avait rien dit à personne. Pour ses amies, elle partait en vacances dans un hôtel-club haut de gamme, en Grèce. Ces dernières pouvaient facilement se payer le luxe de ce genre de voyage tant qu’elles le voulaient. Florence, elle, devait faire semblant. Quand elle réexaminait les faits, moins d’un quart d’heure avant de prendre la route, elle avait été sur le point de changer d’avis. L’opportunité qui s’offrait à elle se présenta un jour de façon complètement fortuite. Elle qui pensait que son ange gardien s’était barré ! Apparemment, il était de retour, mais pendant un moment, elle avait eu la trouille. La peur de l’inconnu.

Arrivée à destination, elle se gara sur le parking de l’embarcadère et tout en tirant sa lourde valise derrière elle, elle longea le quai jusqu’au ponton indiqué sur les instructions. Un panneau sur lequel se détachait en lettres capitales « GROUPE REPENTANCE ». Groupe ? Florence ne comprenait pas. Elle était censée être seule dans la maison. À moins que le propriétaire ait profité de son absence pour entreprendre des travaux de rénovation. Regardant autour d’elle, elle s’aperçut qu’elle était la première. Elle avait vraiment le sentiment de partir à l’aventure, au bout du monde. À une certaine époque, cela ne l’aurait pas effrayé, bien au contraire, mais maintenant, c’était différent.

Se tournant vers l’océan, elle aspira une énorme goulée d’air. Elle espérait que ce séjour lui permettrait de fuir la partie d’elle-même qu’elle ne supportait plus, celle qu’elle était devenue par la force des choses. Elle sortit un petit miroir de poche de son sac à main et jeta un coup d’œil à son reflet. Son mascara avait coulé, lui donnant une allure encore plus triste. Pitoyable serait le terme le plus exact. Cela accentuait les cernes sous ses yeux. À l’aide d’un mouchoir qu’elle humidifia de salive, elle tenta d’ôter les traces noires sous ses paupières inférieures, mais cela ne fit qu’empirer les choses. Comme d’habitude, ses cheveux emmêlés formaient de gros nœuds. À s’obstiner de ne pas les attacher, c’était à prévoir, surtout vu leur épaisseur. Elle extirpa un rouge à lèvres de sa trousse à maquillage et en passa une couche, mais encore une fois, le résultat ne fut pas celui qu’elle escomptait. Elle ressemblait plus à Bozo le clown qu’à une femme qui se voulait séduisante. Apercevant des silhouettes approcher, elle se redressa, tira sur les pans de son blouson. Il fallait qu’elle se ressaisisse et ne plus avoir l'air d'un chiot apeuré.

Autour d’elle, les gens se promenaient sans même lui accorder le moindre regard. Florence était invisible, insignifiante et avait une nouvelle fois la sensation d’être inutile. Avant, elle était « quelqu’un » possédant une confiance en elle impressionnante, ne supportant pas la médiocrité chez les autres et n’hésitant pas à écraser les plus faibles, pour réussir. Elle s’était vu refiler des notes erronées à une étudiante de son cours afin que cette dernière échouât à ses examens de droit. Mais c’était dans une vie antérieure. En fait, de temps en temps, elle se demandait si elle avait réellement été cette personne différente, tant cela lui paraissait lointain. Les silhouettes qu’elle pensait faire partie du groupe arrivèrent devant elle et s’arrêtèrent en face d’un gros ferry. Sans doute le départ d’une croisière quelconque. Apercevant un banc, elle décida d’aller s’asseoir. Son sac à main lui glissa de l’épaule jusque dans le creux de son coude, entraînant avec lui le col de son blouson.

Et voilà, encore une fois, elle se retrouvait complètement débraillée. En soupirant, elle se laissa tomber sur l’assise en pierre. Il faisait froid, le vent emmêlait davantage ses cheveux. Elle avait envie d’un café, mais n’osait pas se rendre dans l’un des petits bars nombreux sur le port. Elle craignait de rater le départ de bac.

La horde de cafards qui lui bouffait régulièrement le cerveau depuis plusieurs années maintenant, refit alors son apparition. Il ne manquait plus qu’eux. Florence ferma les yeux et entreprit de respirer un grand coup. Hors de question de pleurer devant tout le monde.

*

Philippe Lombard appuya sur l’accélérateur tout en doublant le monospace gris. Il se trouvait largement au-dessus de la vitesse autorisée, mais il ne supportait pas de perdre son temps. Il était pressé d’arriver et surtout, il adorait pousser son nouveau joujou, une Lotus bleue, au max de sa puissance. Il avait été embauché pour quelques semaines par un multimillionnaire pour des travaux de comptabilité, histoire, d’après ce qu’il avait compris, de « payer un peu moins de charges ». Sa spécialité était de trafiquer les bilans comptables pour, justement, cacher les « petits plus », aux yeux des impôts. Il en profitait également pour détourner une infime partie des deniers de ses clients sans qu’ils ne s’aperçoivent de rien. Cela faisait plus de vingt ans qu’il avait mis cette dernière technique au point et lui avait déjà permis d’amasser une jolie petite fortune bien dissimulée dans un paradis fiscal, bien loin de la France. Il adorait l’argent. Il en voulait toujours plus. Dès qu’il pouvait grappiller quelques euros à droite ou à gauche, il n’hésitait pas une seconde. Il proposait ses services aussi bien aux particuliers qu’aux entreprises. Enfin, pour être exact, on le contactait. Il refusait rarement. Du moment que le client possédait les moyens de régler les importants honoraires que Lombard demandait.

*

David se trouvait tranquillement assis à une place dans son fast-food préféré. Devant lui, son plateau débordait. À le voir, on pourrait croire qu’il attendait plusieurs personnes. Mais non, tout était pour lui. Trois sandwiches, autant de portions de frites, deux grands sodas plus des desserts glacés composaient son déjeuner. La malbouffe était son seul plaisir dans la vie. Surveillant dans un collège, il détestait ce boulot. Lui se rêvait auteur renommé dans le monde, traduit en plusieurs langues. Il avait donc pris ce job qui lui laissait pas mal de temps libre. Il passait le plus clair de ses moments dans ce restaurant à s’empiffrer et à coucher ses idées sur le papier. Il avait en tête de créer une saga qui, il en était persuadé, connaîtrait encore plus de succès que « Game of Thrones ».

Il avait visionné chaque saison plusieurs fois, afin de saisir tout ce qui en faisait la renommée et lut chaque tome des livres de George R.R Martin.

Lorsqu’il reçut l’invitation d’Éric Amiotti, son auteur préféré, il n’en crut pas ses yeux. Quelques semaines plus tôt, David l’avait contacté via les réseaux sociaux pour lui demander des conseils, sans grande conviction. Il se doutait bien que des personnes aussi célèbres avaient autre chose à faire que de s’occuper d’écrivains en devenir, mais il tenta tout de même. En pièce jointe, le jeune homme lui avait fait parvenir deux ébauches de chapitres. Les jours s’écoulèrent sans réponse et puis la veille, au courrier, il découvrit cette invitation. Éric Amiotti lui proposait de venir passer quelque temps chez lui, dans sa maison de campagne. Il l’aiderait à mettre en place l’intrigue de son roman, dont il trouvait les prémices plutôt prometteuses.

*

Un individu en tenue bleu marine et ciré jaune invita le groupe au départ pour l’île de la Repentance à monter à bord du bac. Toujours sur le banc, Florence observa quatre hommes approcher de l’embarcadère. Deux devaient avoir à peu près le même âge qu’elle, tandis que les autres étaient plus vieux. Les deux plus jeunes lui semblaient familiers ainsi que l’un des deux autres. Le dernier paraissant avoir 70-75 ans lui était totalement inconnu.

Elle se leva surprise qu’elle ne soit pas la seule à prendre la navette et en traînant sa valise, elle s’avança à son tour. À son arrivée, ils se tournèrent vers elle. La jeune femme se sentit rougir. Elle examina les passagers et son regard s’arrêta sur le plus séduisant.

— On se connaît, non ? demanda-t-il soudain en considérant Florence.
— Je… Je ne sais pas, bredouilla-t-elle, mais effectivement, votre visage m’est familier.
— Vous vous appelez comment ?
— Florence Gobert et vous ?
— Stéphane Monnier.

La jeune femme fronça les sourcils tout en sondant sa mémoire.

— Vous n’étiez pas au collège Eugène Delacroix à Roissy-en-Brie ?
— Oui, fin des années 90. 95-99 Si mes souvenirs sont bons.
— Mais oui ! s’exclama le second inconnu qui venait de les rejoindre. David Capelle ! On passait tout notre temps ensemble ! C’est incroyable, je ne pensais jamais vous retrouver ici ! C’est dingue comme vous avez changé !

En disant cela, il toisa Florence qui tentait tant bien que mal de remettre de l’ordre dans ses cheveux.

— Il en manque une, non ? Si je me souviens bien, il y avait une autre fille avec nous. Aline, c’est ça ?
— Non, Alice. Chuchota Florence.
— Ouais ! Vu qu’elle n’est pas là, c’est sans doute elle qui nous a invités. Une réunion d’anciens potes.
— Pourquoi pas, rétorqua Stéphane, mais pourquoi nous faire venir ici sous ce prétexte ?
— Aucune idée. Elle pensait probablement qu’on n’accepterait pas. Et vous, questionna David en se tournant vers Philippe, vous étiez prof, non ?
— Surveillant. Mais effectivement, je vous souviens à l’époque vous étiez toujours fourrés ensemble à faire les 400 coups. Et vous ?

Jean de Convarde se tenait à l’écart, n’ayant aucune idée de ce qu’il se passait.

— Ah non ! Je n’ai rien à voir avec ça.

Il n’ajouta rien. Il espérait juste que ces personnes n’avaient rien à voir avec son séjour.

La sirène retentit, invitant les passagers à embarquer.

Quelques mouettes rieuses passaient à tire-d’aile au-dessus du bac. Leurs cris brisaient le silence tout comme les vagues autour d’eux. Une lame claqua sur la coque du bateau secouant les occupants, sans ménagement. Florence laissa échapper un petit hurlement. Elle ressemblait à un lapin pris dans les phares d’une voiture. David s’approcha et s’assit à côté d’elle.

Cale-toi bien au fond de ton siège, ça ira mieux. La houle est un peu forte… Si tu veux, vous pouvez me donner la main.

La jeune femme le toisa sans un sourire. Elle ne se sentait vraiment pas bien. Elle avait le teint pâle, presque gris. Le mal de mer lui torturait l’estomac et puis, regarder cet inconnu rondouillard aux doigts boudinés encore couverts de miettes des chips engloutis récemment n’arrangeait pas les choses. Florence ne put réprimer une grimace de dégoût. D’un coup, ses anciennes manies remontèrent à la surface.

Sans façon ! Laisse-moi tranquille, j’aimerais ne pas être vue en ta compagnie.

L’attention de Florence dévia vers Stéphane qui se tenait debout, en face d’elle, au niveau du bastingage. Il contemplait la mer d’une manière un peu triste, presque mélancolique. La jeune femme le fixait non sans une certaine envie. Ses cheveux bruns, légèrement bouclés le faisaient ressembler à l’acteur, Patrick Dempsey. Il était toujours aussi séduisant. David remarqua le manège de Florence, lâcha une sorte de grognement et s’éloigna.

Forcément, c’est constamment pour les mêmes !

Puis, en se retournant vers celle qui venait de le jeter sans ménagement,

— Et puis sérieux ? T’as vu ta dégaine ? Tu crois qu’un mec comme lui va s’intéresser à une paumée comme toi ?

Florence ne répliqua pas. Elle sentit les larmes lui monter aux yeux. Luttant à la fois contre la nausée et le chagrin, elle sortit du carré voyageur et se dirigea vers l’avant. Involontairement, elle croisa son reflet dans la vitre et ce qu’elle y vit, n’était effectivement pas beau et accentua de plusieurs crans sa peine et son envie de s’enfouir six pieds sous terre.

Arrivé à l’appontement, l’un des hommes d’équipage se débattit pour amarrer le bateau. Florence braqua son attention sur lui. Des touffes de cheveux poivre et sel dépassaient d’une vieille casquette bleu marine dont la visière dissimulait le haut de son visage. Sous son ciré jaune, elle devinait le col roulé d’un pull tricoté en laine. À cette période de l’année, l’île de la Repentance était quasiment vidée de ses habitants. Fallait dire que le climat en cette saison n’était pas forcément des plus agréables. Enfin, au bout de quelques minutes d’un combat acharné, l’embarcation fut finalement reliée au ponton. Il se tourna ensuite vers ses passagers et leur déclara d’un ton qu’il voulut solennel :

— Et voilà, m’sieurs-dame ! Vous pouvez descendre à terre. Faites attention à la marche, faudrait pas vous casser une jambe, il n’y a pas d’hosto ni même de toubib sur ce rocher ! Et pour les valises, nous n’avons pas de service de porteurs, alors, vous allez être obligé de vous en charger vous-même !

Sur cette dernière remarque, il lâcha un rire gras, persuadé d’avoir fait la blague du siècle. Les trois d’hommes d’équipage observèrent les cinq voyageurs descendre un à un.

La maison Kernove est au bout du sentier. Ici, c’est l’embarcadère privé de la propriété.

Il contempla la silhouette de la grande demeure qui se découpait à une centaine de mètres, en plissant les yeux.

— De toute façon, je ne peux pas m’éterniser. Ils annoncent un grain pour ce soir ou demain. Je ne préfère pas prendre de risques.
— Pas de problème.

Stéphane adressa un vague signe de la main au capitaine pour lui signifier qu’il avait compris. Jean de Convarde aida la jeune femme à descendre. L’homme paraissait soucieux. D’après ce qu’il venait de saisir, tous les voyageurs se rendaient à la maison Kernove. Avaient-ils été invités par son ami ? C’était plutôt surprenant. Si cela avait été le cas, il lui en aurait certainement parlé. Le plus étrange était qu’ils semblaient se connaître.

Le vent soufflait en violentes rafales provenant du large. L’écume s’écrasait contre les écueils entourant l’île. Au-dessus de leurs têtes, des mouettes tournoyaient en quête de leur pitance. Une vague plus grosse que les autres s’abattit dans un énorme fracas, sur l’arrière du bateau qui fit une nouvelle fois sursauter Florence.

Le capitaine patienta le temps que tous soient sur la terre ferme, remonta à bord et lança au groupe.

— Vous allez voir, la vie est loin d’être agitée sur ce caillou ! Je crois que vous allez vite vous ennuyer.
— On verra bien.

Un peu à l’écart, elle ne perdait rien de la discussion. Une petite voix au fond d’elle lui hurlait de retourner sur le bateau et de repartir vers le continent. Mais la jeune femme se reprit aussitôt. Elle réagissait de la sorte, car elle se trouvait hors de sa zone de confort. Sa vie était, en général, planifiée dans les moindres détails. Chaque jour, elle exécutait les mêmes choses à la même heure. Alors, quitter son appartement pour un séjour sur une île dont elle ignorait l’existence relevait presque d’une mise en danger pour elle. Mais elle restait tout de même convaincue qu’un truc ne tournait pas rond. Déjà, elle devait être seule, et voilà qu’elle se retrouvait avec quatre inconnus, des hommes de surcroît ! Et puis le fait d’apprendre qu’une tempête s’approchait ne la rassurait pas vraiment. S’il leur arrivait malheur, ils ne pourraient compter que sur eux-mêmes. Une rafale glacée la fit frissonner. Elle remonta la fermeture éclair de son blouson jusqu’au cou.

2

Florence resta bouche bée en découvrant sa chambre. Déjà à son arrivée devant la maison Kernove, elle n’en avait pas cru ses yeux. C’était un véritable manoir anglais avec un balayage de marches menant à une porte en pierre sculptée, des rangées de fenêtres à guillotine peintes dans des boîtes affleurant la maçonnerie, des briques angulaires soulignant les coins, un fronton triangulaire central contre un toit en croupe avec des lucarnes, des plans de type « double pile ». Plantée sur le seuil de sa chambre, elle lâcha son énorme valise. Certes, la décoration avec sa tapisserie vert sapin et ses bibelots en forme d’animaux, chèvres, serpents et chiens, dénotait un goût douteux de la part du propriétaire. Cependant, il régnait dans la pièce une douce chaleur, propice à la détente. Elle traîna son bagage derrière elle, ferma la porte et se dirigea vers l’immense lit recouvert d’une courtepointe également verte.

Elle se laissa tomber dessus avec un soupir de soulagement. À première vue, elle s’était trompée sur le motif de sa venue dans cette propriété. Elle s’accommodera du fait de ne pas être seule. L’endroit se révélait calme, très confortable. Florence sourit, elle allait être bien ici. Elle pourrait réfléchir à ce qu’elle allait pouvoir faire après son séjour.

La pluie frappait les vitres depuis le lever du jour et cela n’arrangeait rien à l’humeur maussade des cinq convives. Chacun, à son arrivée, s’était cru seul à pouvoir jouir de la magnifique demeure. Cependant, ils avaient dû vite se rendre à l’évidence, ils allaient devoir cohabiter. Bien sûr, ils auraient très bien pu repartir, mais comme l’avait fait judicieusement remarquer Stéphane, pourquoi ne pas profiter des lieux ? Après tout, la maison se trouvait assez grande pour que chacun ait assez d’espace pour pouvoir s’isoler si nécessaire. Ils pourraient également reparler du bon vieux temps. De plus, vu le somptueux repas servi la veille au soir, cela aurait été dommage de passer à côté. Seul, David pouvait faire une telle réflexion. Au bout du compte, elle collait bien à la situation. Cohabiter, profiter d’un superbe panorama et d’une délicieuse cuisine, il y avait quand même pire que cela.

— On se croirait dans un roman d’Agatha Christie.
— Je ne le souhaite pas ! renchérit Florence. Mais vu sous cet angle, le décor est effectivement tout trouvé ! J’espère juste qu’on ne va pas retrouver un cadavre dans la bibliothèque.
— Pensez-vous que cette fichue tempête va durer longtemps ? ronchonna Philippe Lombard.

Il semblait être le seul à ne pas apprécier la situation. Il avait eu vite fait de comprendre qu’il ne pourrait rien tirer de ses quatre compagnons d’infortune.

Un volet claqua brutalement.

Florence poussa un vagissement de frayeur.

— Oh ! On se calme, jeune fille ! gronda Jean. Si à chaque fois qu’un bruit est un peu plus fort que les autres, vous hurlez, on ne va pas s’en sortir ! Gardez votre sang-froid !

Stéphane ébaucha un sourire moqueur. Décidément, cette fille n’avait vraiment rien pour elle. Il se servit un verre de whisky, tout en jetant un regard autour de lui. L’endroit était plutôt à son goût. Dommage qu’il doive le partager. La seule nana du groupe était loin d’être canon. Il était clair qu’elle essayait d’être dans le coup, mais franchement, elle ressemblait plus à un pingouin déguisé qui portait des vêtements trop justes faisant ressortir tous ses bourrelets. Honnêtement, même si elle devait être la dernière femme sur terre, il n’en voudrait pas pour tout l’or du monde.

Apparemment, tous furent attirés sur cette île, sous une fausse raison. Tout avait été prévu dans les moindres détails. David dévisageait Florence. Elle n’avait plus rien à voir avec la fille mignonne du collège. Elle ne ressemblait à rien et n’aurait jamais imaginé que c’était son ancienne camarade de classe. Mais bon, il fallait bien dire qu’une nana aussi insignifiante s'apparentait à n’importe qui. Cependant, il devait avouer qu’il pourrait sans aucun doute tirer du positif de tout cela. Avec une peu de chance, il retrouverait l’inspiration qui lui faisait défaut depuis quelques jours. D’après son analyse hier au dîner, les personnalités de chacun étaient assez différentes et cela promettait d’être intéressant. Stéphane ne semblait pas avoir trop changé. S’il se souvenait bien, à l’époque il était le beau gosse du collège.

*

Je souriais, bien caché quelque part dans la maison, à l’abri des regards indiscrets.

Ils étaient arrivés ensemble, mais je constatai que tous se posaient la même question. Je devais avouer m’être bien amusé. Les uns comme les autres pensaient avoir cette immense demeure pour eux seuls. Instantanément, je repérai le plus âgé, Jean de Convarde, un juge à la retraite. Il aurait été difficile de l’ignorer, ce fut l’unique convive à objecter au vu de la situation et de tenter de refuser la cohabitation. Le vieux avait alors pris ses grands airs en leur fourrant sous leur nez, l’invitation reçue de son ancien collègue. Il leur ordonna de quitter les lieux sur-le-champ. Le dénommé Stéphane lui rétorqua aussi sec que le bac était déjà reparti et il aurait dû s’en inquiéter pendant la traversée. Après tout le capitaine du bateau avait bien précisé que la destination était l’île de la Repentance. À cet instant, je jubilai. Chacun d’entre eux, persuadé d’être dans son bon droit, avait sorti à leur tour le courrier reçu.

À ce moment-là, j’eus la sensation qu’ils allaient en venir aux mains, mais non… Heureusement, sinon ils auraient gâché mon petit plaisir. Pour apaiser les esprits, je pris la décision de diffuser un peu de musique.