Investigations trinitaires - Nicolas de Rauglaudre - E-Book

Investigations trinitaires E-Book

Nicolas de Rauglaudre

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Beschreibung

Méditations autour du "tourbillon trinitaire", expression pour traduire le dynamisme imprévisible de la Trinité qui est au fondement de la vie chrétienne. Le Tome 1 propose une relecture des visions que les humains se sont faites du divin qui se heurtent toutes à la figure de Job, l'innocent qui souffre. Il est suivi de la question "pourquoi la Trinité ?" et pas autre chose.

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Seitenzahl: 307

Veröffentlichungsjahr: 2023

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Table des matières

Avant propos

Projet

Parler à la première personne

Concepts et interdits

Dieu Père et Empereur des Mondes

Dieu infiniment libre

Le Grand Architecte de l’Univers

Le Dieu des Prophètes

Interlude : Trinité et exoplanètes

Panthéisme

Polythéisme

Dieu tendresse

Job et les théismes

La réponse de Job

Pourquoi la Trinité (premier temps)

Pourquoi la Trinité (deuxième temps)

Petites navigations dans l'histoire -début-

Petites navigations dans l'histoire – suite sans fin

Avant propos

Parfois, dans les lignes qui suivent, je me positionne comme « philosophe papillon ». Cette position vient d’une remarque du responsable d’un lieu où je travaillais qui me reprochais de papillonner, d’être superficiel : il n’est jamais simple de posséder une culture à la fois scientifique (physicien), théologique et philosophique, et quelque peu artistique (musicien). Ma vie a également été marquée par la maladie et le handicap, dès l’adolescence, ce qui rajoute de la complexité à la parole. Il est plus aisé d’être spécialiste et de passer pour quelqu’un de « profond », à travers de belles abstractions qui impressionnent par leur architecture ingénieuse .

Cette situation conduit à personnaliser sa propre recherche et d’utiliser des notions qui ne correspondent pas tout-à-fait à celles qui sont utilisés « scientifiquement » ou « doctrinalement ». À l’origine, il s’agit d’articles indépendants sur un blog. Par conséquent, certains chapitres seront peut-être plus compliqués à lire : eh bien, il faut alors sauter au suivant. Mais que le lecteur soit rassuré, aujourd’hui, ma méditation est de plus en plus cohérente, confiante et parfois réjouie. Il s’agit de méditations, d’investigations. Non d’un traité. Il y a aussi des redondances. Si des chapitres se suivent, d’autres sont indépendants. Autour d’un repas entre proches, il peut y avoir dans un coin de table des conversations sérieuses et suivies, et ailleurs, des bavardages palpitants qui sautent d’un sujet à un autre au milieu des rires et des émotions.

Quant au tourbillon trinitaire, il est suffisamment riche de vie et de sens pour qu’on puisse garder de la distance face à telle ou telle représentation qui se prend trop au sérieux. Du sérieux, ici, il y en a ; de la méchanceté et de la colère aussi, parfois ; mais l’important est d’être emporté dans le mouvement.

Du même auteur

Scientifiques en quête de théologie, Essai, Études, décembre 2000

Le temps et ses usages, éditions Charles-Léopold Mayer, 2002

Apprivoiser le temps, éditions Charles-Léopold Mayer, 2003

Initiation à la pensée de Teilhard de Chardin, CDROM interactif, chez l'auteur, 2005

Un point bleu dans les ondes, roman, France Europe éditions, 2006

Quelle philosophie de la nature pour une écologie politique, Essai, éditions Etopia, 2011

Journal d'un unijambiste sur le Chemin de Compostelle (Première partie : France), Récit, éditions Nicorazon, 2017

Récit d'un pèlerin unijambiste sur le Chemin de Compostelle (Seconde partie : Espagne), Récit, éditions Lepère, 2018.

Myriam et Cléophas, Promenade biblique, roman, 2021

Merci à tous les relecteurs du manuscrit

Projet

Depuis ma jeunesse, le mystère trinitaire m’interroge et m’habite. J’ai écrit de nombreuses méditations, parfois confiées à des proches, puis perdues dans la brume du temps. Dans les années 2014-2015, plusieurs articles ont été écrits sur mon blog personnel, à une époque où ni mon esprit, ni mon cœur n’étaient guéris de plusieurs blessures que m’avaient fait subir des membres de l’Église Catholique Romaine. L’objectif était sans doute de retrouver une méditation qui m’a habité depuis des décennies. Ces articles n’ont jamais abouti à une réalisation plus synthétique et plus sage, sans doute parce que, comme pensent les stoïciens, s’il faut tenir ferme sur une pensée mûrement réfléchie, il convient également de l’exprimer dans un état de paix intérieure.

Entre-temps, les marches sur le Camino de Santiago de Compostela, les livres écrits, les rencontres, les débats, le silence intérieur ont progressivement recouvert les crispations et les colères. Avant et après ces événements, la méditation trinitaire n’a jamais cessé. Elle n’a pas craint d’affronter des questionnements venus d’horizons divers : soit de l’intérieur du Christianisme ou d’autres religions, soit plus encore de la modernité, scientifique, philosophique et politique. Çà et là, j’ai écrit des idées sur un cahier et sur le smartphone. Ces dernières années, j’ai repris des lectures anciennes et contemporaines… Il m’a toutefois manqué le débat que j’espérais sur mon blog personnel, en fonction des convictions et des doutes, des certitudes et des incertitudes, des lueurs et des nuits. Une des grandes difficultés est de parvenir à écrire sur un thème et une expérience personnelle qui sont imprégnées d’un jargon théologique qui n’est compris que par les spécialistes ou relus sous l’angle strictement historique, celui des débats des premiers siècles chrétiens. Le théisme des Lumières et l’athéisme contemporain ignorent ou marginalisent ce nœud essentiel de la foi chrétienne et son empreinte historique.

Il y a quelques années, un ami, théologien, m’a proposé que nous écrivions ensemble un exposé à deux voix sur la Trinité. Le projet a commencé, mais n’a pas pu s’achever. Mon ami s’exprimait à l’intérieur de cadres théologiques classiques bien déterminés (et puis, il a été pris par d’autres soucis)… alors que mon intention était d’incorporer la réflexion chrétienne sur la Trinité dans un projet politique, social, écologique et scientifique. Mon inspiration ne provenait pas de la tradition chrétienne, mais de la réflexion de Hegel qui a écrit un texte remarquable (peu connu) sur le Mystère Trinitaire, et des rares personnes qui l’ont remarqué. Vu le désintérêt des philosophes des Lumières et la pesanteur des théologiens de la même époque sur ce thème, la remarque du philosophe berlinois, a éveillé mon esprit. Le Vingtième Siècle a corrigé l’affadissement théologique des deux et trois siècles précédents, et il ne manque pas de chercheurs de qualité, ni de personnes en recherche, à avoir repris et replacé, au centre de la confession chrétienne, la vie trinitaire. Ne serait-ce que par l’apparition dans de nombreux lieux de cultes de l’icône de Rublev et les va-et-vient de plus en plus forts entre Orient et Occident.

J’ai décidé de procéder différemment de ce qui avait été initialement projeté : écrire un traité sur la Trinité. Mon histoire personnelle m’a conduit à ne pouvoir devenir ni un philosophe universitaire, ni un théologien professionnel, ni un chercheur lié à une quelconque institution. Aujourd’hui je m’en réjouis, car elle m’offre une liberté d’imagination et de pensée que je n’aurais sans doute pas eue. Écrire un traité signifie rédiger un texte le plus exhaustif possible dans un but de recherche et d’enseignement, au sein d’une structure universitaire chrétienne. D’autres raisons, plus intellectuelles, m’ont découragé dans cette direction, notamment le risque, puisque la Trinité est un dogme fondamental de toutes les églises chrétiennes, de devenir à mon tour, soit dogmatique, soit fondamentaliste. Ou inversement critique systématique. Dogmatisme et criticisme travaillent sur le même plan. Le dogmatisme absolutise l’objet, le criticisme absolutise le sujet. Ils omettent l’expérience et l’étonnement. Ce risque se double de l’impossibilité d’embrasser toute la littérature et de comprendre tous les combats menés pour parvenir à un semblant d’expression acceptable sur la vie trinitaire. Et ne faudrait-il pas tenir compte de celles et ceux qui ont risqué leur existence pour vivre le mystère trinitaire dans un choix religieux, monastique, consacré ou autre ?

Donc, pas de traité. Les pages qui suivent sont des investigations plus exactement, parfois intellectuelles, parfois amusées, parfois plus concrètes liées à mon observation du monde, à ma participation à la vie sociale et politique ou à ma méditation intérieure. Elles sont liées aussi à la signification que je donne à la marche et au dynamisme des choses et des êtres. Pour ces diverses raisons, de préférence à l’idée d’une « Trinité » vue comme concept premier, ou comme tableau figé et éternel d’une révélation historique et prophétique, je préfère évoquer le mouvement trinitaire, ou le « tourbillon trinitaire », tel que ma prière l’a entrevu une fois ou l’autre. Mouvement, tourbillon, vie et mort, élan, dérive, processus (process, en anglais), enfantement et engendrement, me parlent plus profondément que les spéculations logiques et dialectiques, même si ces dernières ne seront pas contournées. Par conséquent, on l’aura compris, je préfère aujourd’hui proposer des rotations en spirale autour du mystère trinitaire, sans chercher à en faire un tour complet, ni creuser une source dans le rocher du centre. Faire le tour d’une vie infinie et inépuisable mène à la prétention de s’extérioriser d’une entité comme si on la voyait comme un objet. Moi sujet, la Trinité objet d’étude. C’est mal barré face à un mystère qui est celui de la communication inter-personnelle et d’une source de vie ! Mais j’essaie de justifier cette position dans le prochain chapitre.

En revanche, comme on parle à des amis de ses amours et de ses rencontres, le cœur d’un mystère infini reste obscur, caché, dense, parce qu’il est au-delà des mots et de la lumière. Nous sommes inévitablement plongés en son sein. Oh, les investigations proposées ne reflètent pas un simple ressenti personnel ou sentimental ! Le tourbillon trinitaire manifeste un mystère qui est celui de la rencontre de sujets et de la vie de l’esprit. Une part concerne ce que j’ai vu et cru comprendre ; une autre celle que je ne peux voir et qui me réserve ses propres surprises, comme dans un compagnonnage sur un chemin ; une autre enfin est la part, sans commune mesure, de ceux qui l’ont rencontré et médité, voire analysé, de leur côté. En revanche, que le lecteur n’attende pas des ces investigations des références à des auteurs reconnus et incontournables. Les lecteurs les plus avisés les liront parfois en filigrane. Chacun reste libre de ses interprétations.

*

Un de mes amis me confiait qu’intellectuellement parlant, certains sujets sont comme des « os à ronger » que la vie ne parvient pas à faire digérer. J’ajouterai : pas seulement « intellectuellement ». Depuis ma jeunesse adolescente, à la suite d’une expérience spirituelle forte, la vie trinitaire est l’objet principal -ou plutôt le sujet- de ma méditation, de mes contemplations et de mes interrogations. Un os à ronger ? Oui, un océan aux horizons infinis sur lequel naviguer sans but explicite, plus encore ; ou pour être en phase avec l’expérience personnelle sur le Camino de Santiago, une marche, avec ses émerveillements, ses fatigues, ses incompréhensions, ses hasards. Je n’interdis pas aux lecteurs suspicieux d’estimer que l’item d’une confession religieuse particulière qui prétend à une universalité, soit une imposture. Avec malice, je répondrais que cette suspicion est une partie intégrante de la méditation que j’entreprends. La vie trinitaire est une alliance qui embrasse à la fois l’infini et le fini, l’universel et le singulier, la vie personnelle et l’appel cosmique et divin. Je mesure le risque de ce qu’un célèbre auteur autrichien appelait la « réfutabilité », ou la « falsifiabilité » (selon les traductions et l’humeur des écrivains), qui discrédite toute pensée qui récupère l’opposition logique dans son bagage pour la dissoudre. Exemple de parole non falsifiable : à celui qui lui confie qu’il n’a pas besoin de psychanalyse, le mauvais psychanalyste répond : « vous dites cela justement parce que vous avez besoin d’une psychanalyse » ; ou encore voici ces marxistes scientistes des années 60 qui, lorsque vous contestiez leur vision, répondaient : « ce sont des propos de bourgeois », c’est-à-dire une des polarités de leur dialectique ; ou même, comme je l’ai entendu récemment, le spirituel qui considère que l’athéisme est une polarité, une figure et un moment de l’aventure chrétienne. Certains athéismes, peut-être ? On en aperçoit dans la Bible elle-même. Pourquoi pas aussi certaines formes d’athéisme contemporaines, liées à des questionnements critiques face à l’absurdité et la souffrance ! Sûrement pas l’athéisme comme idéologie a priori.

Goinfrerie intellectuelle, songeront certains. Oui, j’ai entendu le danger : au risque de me répéter, j’écris des investigations et non un traité. Que celui qui désire fermer mes esquisses sur une idéologie ou un système, accepte qu’elles ne sont qu’une carte, pas le territoire, qu’une interprétation et non l’en soi, et que lui-même n’ajoute qu’une couche d’interprétation de plus, qu’un schéma de plus sur la carte.

Cela dit, une de mes convictions est que, lorsque l’histoire a recouvert une intuition ou une révélation, ces dernières ne peuvent être abstraites du langage et de l’existence concrète des personnes et des sociétés qui les suivent. Ainsi l’immense débat autour de la Trinité -et ici, j’emploie le concept sciemment- qui eut lieu aux premiers siècles de l’ère chrétienne et qui se continue encore dans des herméneutiques qui opposent le christianisme oriental et le christianisme occidental, s’est incorporé organiquement dans notre histoire, au point qu’il est impossible de l’en extirper. Ceci est vrai de toutes les grandes pensées, intuitions et expériences de l’histoire humaine, même celles que l’on croit disparues. Battement d’aile du papillon. Les morts laissent des traces, même infimes. Je ne développe pas ici ce point. Il sera repris ailleurs. À mes yeux, le mystère trinitaire et ses effets sont loin d’être morts. Ils sont simplement cachés, comme je l’ai maintes fois vérifié dans mes rencontres, mes partages, mon étude et mes expériences.

*

Retour à quelques-unes des étapes de mon histoire personnelle. La méditation trinitaire a traversé la maladie et le handicap de mon adolescence, les critiques scientifiques, religieuses (autres religions ou chrétiennes), philosophiques et politiques. Les intuitions lumineuses de ma jeunesse se sont réfractées, colorées, parfois assombries. Réfractées en multiples rayons parfois divergents, colorées depuis les teintes les plus vives jusqu’à celles les plus sombres. Assombries aussi, oui : plus on approfondit un contenu d’essence infinie, plus l’espace des questions et des incompréhensions se dilate ; plus aussi il nous renvoie à nous-mêmes, à nos sécurités et à nos insécurités. L’expérience catholique fait partie des figures et des moments de mon histoire… Un peu moins de mon identité, je dois le reconnaître : je suis un enfant de l’œcuménisme, du dialogue entre religions, de la montée de l’athéisme et de l’indifférence religieuse, des nouvelles perspectives dévoilées par les sciences, de la revendication du sujet libre et de sa créativité, du féminisme et de la contestation des clercs, des agitations sociales, du danger qui s’abat sur la Planète et sur les écosystèmes… et aussi de la soif de fraternité par delà les communautarismes. Je me suis longuement intéressé au Judaïsme, à sa mystique notamment, mais aussi, un peu moins dois-je l’avouer, aux religions de l’Extrême Orient (Taoïsme, Confucianisme, Bouddhisme, Shintoïsme). Sans oublier l’Islam, naturellement, et ses multiples variantes. La longue expérience des églises chrétiennes me structure, elle est nécessaire, mais elle ne suffit plus à ma quête de vérité.

Retour à la question : peut-on parler de la Trinité sans parler de soi ?

1

Parler à la première personne

Parler de la Trinité à la première personne. Ce chapitre est un peu compliqué pour les non habitués à mon langage. Il fixe quelques fondements pour légitimer le point de vue que j’utilise.

Investigations trinitaires. La Trinité est au cœur de la Révélation Chrétienne. À la base de son credo. Spécifiquement chrétienne ? Les spécialistes hésitent et les avis sont partagés. Bien des intuitions, dans les traditions spirituelles et mystiques, semblent l’avoir entrevue sous des figures exprimées différemment : la triade hindoue Brahma-Shivah-Vichnu est évoquée, et dans de nombreuses religions polythéistes, se retrouvent des triumvirats de trois divinités. Cependant, à l’exception de quelques expressions de l’Antiquité grecque et sans doute dans des écrits dont je n’ai pas connaissance, ces figures restent mythologiques. La philosophie, également, tente de subsumer les dualités par le jeu de la dialectique.

Toutefois, l’idée qu’une triade divine, métaphysique ou transcendantale puisse posséder des dimensions éthiques, politiques et significatives dans l’activité humaine semble absente des préoccupations des derniers siècles. La plupart des traités théologiques que j’ai pu lire ces dernières années restent assez conceptuels, quand ils ne se réduisent pas à des commentaires actualisés des débats antiques. Ne parlons pas d’une dimension cosmique ou physique, depuis l’avènement des sciences modernes. À titre personnel, les impacts de la vision trinitaire sur notre existence concrète et nos conditionnements cosmiques font partie de mes convictions. Peut-être est-ce le cas d’autres chercheurs ?

Maintenant, sous quelle perspective se situer ? Toute parole, toute représentation, tout récit se positionne au carrefour de trois instances : soi-même ; le nous du lieu, du temps ou la communauté culturelle à laquelle j’appartiens ; le « on » (en langue française) qui représente à la fois le sens commun, le ça et le surmoi de la psychanalyse, mais aussi d’une certaine manière le discours scientifique -vu à la fois comme recherche d’objectivité et comme intersubjectivité (accord entre chercheurs d’un même domaine)-.

*

Le choix de parler de la Trinité à la première personne repose sur une conviction initiale : il est impossible, logiquement parlant, de discourir sur l’Être ou sur le non Être, sur la Réalité apparente ou le Réel voilé, sur Dieu, ou sur le non-Dieu ou non-divin, ou prétendre progresser vers plus de vérité et plus de sens, sans parler de soi ou à partir de soi. Circonstance nécessaire que j’explique ci-dessous. Est-elle suffisante ? Réciproquement, on ne peut parler de soi indépendamment du réel qui se manifeste en soi et autour de soi. La boucle rétroactive est irréductible. Pourquoi ?

Une vision à la fois globale et discrète du réel tel qu’il se présente à nos sens et à notre entendement, ne peut pas être objective : nous y sommes plongés. Nous ne pouvons pas nous en abstraire. Nous ne sommes pas en dehors de l’Être. L’aspiration à l’objectivité est pertinente par rapport à des entités situés dans l’espace et le temps, en dehors de nous-mêmes. La pensée ou l’imagination peuvent s’en détacher : cet ordinateur en face de moi, la fiction que j’invente et que j’écris dans un roman ou la démonstration d’un théorème trigonométrique, par exemple. Dans des cas particuliers, à partir du moment où les postulats sont bien déterminés, comme dans certains objets mathématiques, ou par exemple, dans un dîner, la vue d’une bouteille au milieu de la table, la courbe vers une certaine objectivité est forte : et encore ! Il y a autant de vues que de perspectives pour la voir. Dès que les convives goûtent le vin, au revoir l’objectivité.

On remarquera le lien entre la croyance en l’objectivité et la vue : l’espace prend le dessus sur les autres paramètres de l’expérience sensible. Pour décrire les réalités plus complexes et plus globales dont chacun est partie prenante, ce qui est le cas de la quasi totalité des réalités qui nous enveloppent, la parole ne peut s’abstraire du moi, du sujet. Les dernières théories physiques, depuis les quanta jusqu’aux théories de l’information, troublent la belle illusion objectiviste. Il ne s’agit pas de subjectivisme, mais d’un doute sur l’objectivité des représentations, même scientifiques. Qu’en est-il alors d’une représentation qui a l’ambition de parler du Tout ?

Une vision globale enveloppe l’expérience personnelle. Si le sujet qui pense le tout ou l’être en soi estime qu’il peut se projeter en dehors de la totalité, il se contredit du point de vue de la logique. Le tout peut-il être hors de soi, alors que nous y participons. L’inverse est aussi ennuyeux : peut-on justifier rationnellement une pensée si elle ne repose que sur une perspective strictement subjective ? Je pense ceci ou cela parce que ceci ou cela me convient, ou parce qu’elle correspond à mon expérience. Si la croyance qui adhère à un credo se réduit à l’expérience « spirituelle », sensible, ou à celle d’un choix a priori, elle ne sera pas crédible. Des affects cachent ce qui arrange ou sécurise. Une position strictement subjective ne peut rendre compte d’une existence ou une réalité indépendante de soi. Dès lors que nous abordons une question globale, le va-et-vient entre subjectivité et objectivité est incontournable.

La solution à cette contradiction est possible : la réalité représentée n’est ni objective, ni subjective. L’esprit n’est ni objectif, ni subjectif. L’objectivité et la subjectivité sont des constructions historiques et linguistiques, et leur frontière bouge. Chaque expression subjective perturbe l’objectivité qu’elle veut atteindre, et vice versa : ce qui est cru objectif, à tel instant du processus de la pensée et de la parole, se déplace, se « provincialise », et peut même devenir une conviction, une opinion ou un vestige complètement subjectif. Bien des représentations de l’Antiquité, religieuses, philosophiques, politiques, morales, bien des structures culturelles, nombre d’idées et de théories des civilisations à visée universelle, se sont dissipées dans le brouillard des croyances. Elles ne demeurent dans l’histoire que comme traces dans un individu, vitrines dans un musée, pratiques dans une communauté égarée çà et là, à défaut de quelques cailloux rangés dans un désert.

Objectivité et subjectivité passent par la médiation du langage et à travers les codes d’une communauté. Un ami m’a un jour expliqué qu’il faisait la distinction entre « réel » et « réalité » : la « réalité » est l’être fixé dans des concepts, inscrit dans l’espace sensible et mental d’un groupe constitué autour d’une représentation et d’un langage commun. Le réel, lui, apparaît en filigrane derrière la « réalité », mais il s’y cache également. La distinction posée par mon ami, qui reprend une vieillerie philosophique connue, je l’ai déplacée également vers le monde de la pensée et de l’esprit. L’individu ou le groupe qui pense, fige les mouvements de l’esprit dans des idées spatialisées… L’idéalité prend le dessus sur les idées, la « conceptualité » (pardon du néologisme) prend le dessus sur les concepts, l’espace prend le dessus sur le temps. La sensibilité prend le dessus sur les sens, « l’imaginéité » (pardon pour ce second concept : promis, je les utiliserai plus) prend le dessus sur l’image et l’imagination. La réalité spatialise le réel. La dynamique se perd. Le tourbillon réel devient spirale ou hélice mesurable.

Il y a une dynamique qui est au-delà des dualités figées sujet-objet, réalité-idéalité, sensibilité-espace des images mentales. Le mystère trinitaire est l’objet d’un credo communautaire. Pourquoi ne pas utiliser la même distinction ? la Trinité n’est jamais que la fixation dans des catégories mentales (religieuses ou philosophiques) d’un réel trine, d’un Dieu trine dont le dynamisme vivant n’est accessible que parce qu’il le veut bien. Ma vision intime est celle du « tourbillon trinitaire »», image qui dessine la courbe de l’ensemble des méditations présentes. J’utilise également l’expression « vie trinitaire » qui rééquilibre l’image trop géométrique du tourbillon.

Bref, j’écris à la première personne, point de vue apparemment subjectif. Mais je suis partie prenante d’une communauté de destin et également de communautés de conviction et de choix. Je parle une langue commune, historique et géographique, dans une nation qui s’appelle la France, dans l’Europe du début du Vingt-et-Unième Siècle, dans un milieu cultivé, héritier d’une histoire et de ses empreintes sur ses valeurs, ses potentialités et ses interdits, imprégné de mentalité scientifique et technique, etc. De plus, je me transforme en écrivant à la première personne. De même le milieu dans lequel je m’exprime est perturbé et frémit, voire se meut, se déplace, se déforme, en fonction de ce que j’en écris ou ce que je dis. À un niveau infinitésimal sans doute, mais réellement. Objet et sujet se métamorphosent dans l’événement de leur interaction.

En ce qui concerne la vie trinitaire, je suis héritier d’une histoire confessante, animée et fortement débattue. Chaque acteur des débats, dans l’Antiquité chrétienne notamment, a évolué dans la confrontation à la parole de l’autre. Inversement, les tentatives d’objectivation du mystère se sont sans cesse déplacées. La fixation de la représentation trinitaire dans un credo à ambition universelle et éternelle est rassurante. Elle a aussi quelque chose de faux, voire de dangereux. Elle draine de nombreux oublis au regard contemporain. Elle ne peut échapper à l’interprétation. J’aurais l’occasion d’en reparler. Comme polarité d’une reconnaissance au sein d’une communauté confessante, un credo se comprend. Comme discours universel et éternel sans médiation de l’intersubjectivité et, diraient les théologiens, sans traversée de l’expérience théologale (foi-espérance-charité), un credo figé se transforme en cauchemar.

Bref. Une parole formalisée dans un confession de foi peut-elle avoir la prétention d’être universelle ? Oui et non. Oui, dans la mesure où, à moins de s’annoncer ésotérique a priori, le credo ambitionne de s’adresser à toute la communauté humaine. Elle sera comprise, analysée, contestée, critiquée même par tous, tout autant qu’une œuvre artistique ou une musique, mais pas plus qu’une parole scientifique. Même fausse ou maligne, toute parole a le droit à l’existence, ne serait-ce que pour se heurter à une autre parole et ainsi en déplacer le sens. Dès que l’idée descend dans la parole, elle s’inscrit non dans un espace objectif et universel, mais dans l’« inter-subjectivité », si on veut. Non, une parole formalisée dans un credo n’est pas universelle, si elle prétend dominer le sujet de l’extérieur, objectivement.

J’utilise volontiers l’image de la plongée sous marine : chaque plongeur expérimente l’élément marin. Il exprime ensuite ses sensations et son expérience à ses amis dans une langue compréhensible à tous. Chaque membre de la palanquée peut relire et discerner telle ou telle constante, tel ou tel imprévu, dans la confrontation des récits. Mais personne ne peut nullement témoigner de tout la réalité marine dans son ensemble.

*

Autre perturbation de la dualité sujet-objet, plus « temporelle » celle-là. Le réel, celui qui se cache derrière la réalité où les uns et les autres peuvent se reconnaître, est un processus d’« événements ». Il n’est pas un ensemble de « choses » étendues, posées devant soi, liées par des relations d’ordre ou des interactions physiques, et indépendantes du sujet qui les voit. Il n’est pas un étalage d’« d’objets » stables et atemporels que le sujet dominateur analyse sous ses facettes spatiales, énergétiques, structurelles et sémantiques. Il « arrive » comme croisement et actualisation dans l’espace-temps de multiples potentialités, chacune indépendantes les unes des autres dans le ciel des possibilités abstraites. L’abstraction sépare et fige ce que le concret unit dans un process. Les événements de la réalité concrète, croisements actuels des potentialités, sont singuliers les uns par rapport aux autres. Ils débordent toute objectivité (à ambition universelle), toute subjectivité (sous une seule perspective) et tout langage. Le monde se reçoit comme une texture mouvante et changeante, un tissu de multiples événements à l’infini qui se créent et se recréent. C’est tout. Objectivité et subjectivité sont des constructions intellectuelles et sociales postérieures à ce fait. L’Être n’est ni objectif, ni subjectif, il est plus fondamentalement tissu d’« événements ». Le lecteur le lira souvent, telle est une des constantes de ma réflexion sous des formes variées.

*

A fortiori, la vie trinitaire n’est ni un objet, ni un sujet, mais un événement, un tourbillon de vie et d’esprit qui se communique et parfois s’obscurcit. Il ne peut pas être enfermé sous une seule perspective, ni dans des catégories a priori de la pensée, ni dans un discours scientifique ou métaphysique, ni dans un credo, ni dans une mystique personnelle, aussi pertinente soit-elle. Elle apparaît, puis disparaît, comme le sens d’une parole échangée entre sujets, analogiquement comme dans l’amour et l’amitié. À chaque fois que j’espère enfermer la parole de l’autre dans une représentation, elle s’enfuit et surprend par une autre facette : elle crée un nouvel événement au sein de la conscience. Elle métamorphose les couleurs, les formes, les trames du tissu du réel.

*

Le concept « d’événement » et ses processus d’apparition et de métamorphose mériteraient un approfondissement qui dépasse le cadre de ce chapitre. Ne croyons pas qu’il ne concerne que les « choses de l’esprit » et le langage intersubjectif. Il est un concept voyageur. Dans les sciences aujourd’hui, par exemple en relativité, il est utilisé pour exprimer qu’une réalité physique apparaît comme rencontre de plusieurs chaînes causales dépendantes du référentiel où l’on se place. Plus largement, la réalité apparente provient de fécondations ou de confrontations entre lignes indépendantes les unes des autres. Mais l’événement n’est pas le hasard non plus, même s’il a des liens avec lui. Inversement, je ne crois pas à l’idée d’une détermination universelle, voire divine, comme la proposition « il n’y a pas de hasard » ou « tout est écrit ». L’événement traduit une contingence incontournable de toute existence. Toute vision du tourbillon trinitaire n’échappe pas à cette loi.

L’événement n’est pas pour autant complètement arbitraire, ni objet d’une volonté transcendante éternelle, libre et irraisonnée, ni le pur produit d’une force aveugle et matérielle. Il puise son existence des potentialités qui se croisent, en fonction d’autres événements déjà actualisés. Et ces potentialités sont d’autant plus vastes que la réalité actuelle est complexe. Pour être juste, il faut distinguer l’événement intérieur, celui qui surgit des potentialités d’une structure, d’un organisme, d’un écosystème, d’une pensée ; et l’événement extérieur, celui qui survient d’une autre chaîne de causalités et qui est imprévu et imprévisible. Ainsi se crée le monde.

Une de mes convictions de plus en plus certaine est que l’être est créativité permanente, création permanente. Sinon le monde n’existerait pas. « Création », encore un concept à travailler ensemble, plus tard, si vous le voulez bien. Et ce qui rend la créativité possible, c’est le fait qu’au cœur de l’être nécessaire, il y a des relations fécondantes. Je ne peux rien prouver, naturellement : je propose une direction, une voie, un schéma de postulats. Ce que j’affirme sans démonstration est le fruit d’une simple observation de la vie. Qui, objectivement, aurait pu imaginer toutes les formes que prendraient les espèces, les genres, les figures, lors de l’apparition de la première cellule ? Méduses, limaces, dauphins, ruminants, requins, dinosaures, insectes et papillons, sans parler des milliards de végétaux et de ramifications de la vie, dont tous et toutes s’adaptent à leur environnement, même les plus hostiles. Ajoutées à cela, les conditions du milieu doivent être extrêmement ajustées pour l’émergence de toutes ces surprises… qui, au risque de me répéter, n’étaient absolument pas « prévues » au départ, même si quelques biologistes affirment qu’elles étaient contenues dans les potentialités de la cellule : j’attends là aussi la démonstration. Qui aurait pu prévoir l’existence de mes enfants, liée à telle impulsion ou séduction imprévisible, à quelque fécondation aléatoire. Émergence due à la fois au process d’événements intérieurs et à celui des surprises extérieures, créée par la rencontre conjoncturelle entre la cellule et son environnement, entre l’élément et le tout.

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Autre aspect : la manie de nos philosophies et de nos pratiques courantes de rechercher des causalités partout, par crainte de l’imprévu, de l’événementiel, du hasard. Une recherche de vérité ne peut pas se positionner comme précipitation vers des causalités linéaires : sauter hâtivement de pourquoi en pourquoi, et de comment en comment, jusqu’à déceler des apparences de causalités ou de raisons qui conviennent, enferme le chercheur dans des présupposés qui se pensent universels, ou de l’attacher à des points d’ancrage. Le voilier qui jette une ancre dans une baie tranquille loin des tempêtes limite son mouvement en fonction de la longueur de la chaîne. J’invite à prêter attention aux points fixes et aux cadres trop sécurisants. S’ils sont nécessaires pour progresser dans le langage, dans la connaissance, dans la pensée, les ancrages peuvent polariser le point de vue, comme Escartefigue qui croyait comprendre la mer parce qu’il passait d’une rive l’autre dans le Port de Marseille. Les questions n’apportent pas nécessairement des réponses, et s’il y en a, elles appellent de nouvelles questions. La vérité du réel semble plus proche de celle de systèmes à boucles rétroactives et de croisements de processus et de perspectives, parfois aléatoires, comme on en trouve partout dans les êtres vivants, que d’entités ou de mouvements qui s’enchaînent de façon causale. L’illusion post-aristotélicienne a été de vouloir poser le réel en termes de causalités et de principes. Or l’aléatoire, le hasard, l’insécurité et le chaos sont partout présents, au point qu’on est en droit de se demander si l’existence n’est pas, antérieurement à toute autre qualificatif, risque et créativité.

Je n’échappe pas à ce dernier risque. La marche sur le Camino ou sur des sentiers de montagne m’a rappelé qu’il y a un temps pour la marche et un temps pour le repos et la relecture. Le récit est là pour unir les discontinuités de l’expérience et des étonnements. Je m’efforcerai de le rappeler régulièrement.

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Ici donc, l’écriture à la première personne se justifie, même si elle est consciente qu’elle se dit dans un langage et appartient à une tradition historique. Je parle de moi et de l’histoire de mon monde, en parlant de ce qui est appelé le « mystère trinitaire », clé de voûte et portail d’entrée de l’univers chrétien. Le concept de « mystère » est postérieur à l’énoncé historique du credo chrétien, comme s’il fallait en détourner les curieux. Quel dommage !

Je parle de « vie trinitaire », ai-je écrit plus haut. Pour quelles raisons ? D’une part, en raison des univers philosophiques dans lesquels j’aime me mouvoir, ceux de la vie, de l’existence et ceux des systèmes organiques. D’autre part, parce qu’un attribut majeur du récit biblique est de parler de la divinité comme d’un « Dieu vivant ». J’utilise les deux formes (« vie » et « mystère ») et même d’autres à l’occasion, mais aussi et surtout du tourbillon. S’impose la prudence à l’égard du concept « Trinité », figé dans l’espace abstrait des Idées. La « vie trinitaire » est l’objet de mes méditations, de mes contemplations, de mes illuminations, de mes casse-têtes, de mes épreuves et de mes interrogations depuis l’adolescence. Elle n’a de cesse de rappeler son énergie non seulement dans les difficultés et les combats que j’ai dû mener, mais aussi dans les temps d’émerveillement ou de repos.

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Depuis ma jeunesse, une interrogation m’habite, interrogation à la fois philosophique et théologique, aidée par la prière et renouvelée par la marcher : quel lien établir entre d’une part la nécessité d’être, d’existence, et d’autre part la vie trinitaire, la vie trine. En d’autres termes, peut-il exister, « être » même, en amont de toute existence, une forme ou figure nécessaire autre que la Trinité ? Pourquoi la vie trinitaire et pas une autre expression première d’une grande tradition philosophique ou religieuse ? Une piste pour la réponse a été donnée ci-dessus : j’appartiens à une histoire et mes mots sont inscrits dans une langage qui hérite d’une tradition qui se renouvelle et se recrée d’une génération à l’autre.

Je pourrais critiquer a priori les credos et les remettre en question, bien sûr, et je ne m’en suis pas privé, tout au long de ma vie. Toutefois critiquer a priori signifie qu’on reste dépendant de ce qu’on critique. La vraie critique est un procès d’événements et de renouvellement créatif. Je ne peux pas penser ex nihilo (« à partir du néant »). Donc autant partir de sa propre histoire. Réciproquement, les théologiens, qui écrivent de longs traités, se cachent derrière l’idée de « Révélation » (« la Trinité est l’objet d’une révélation ») . Même si j’admets cette possibilité, elle ne résout pas pour autant la nécessité de son existence. Ce que j’écris là ne démontre rien du tout : rien du fait que la Trinité soit préférée à d’autres clés de voûte religieuses. Mais la question demeure et elle est densément forte au vu de son histoire.

Quelle est la nécessité de l’existence, et même plus exactement quelle est la nécessité d’être ? Je ne parle pas de mon existence, sur une petite planète égarée au sein de la Voie Lactée, dans un pays qui s’appelle la France, à une époque qui correspond à dix millénaires environ après la Révolution néolithique, soixante millions d’années après la disparition des dinosaures et 3,5 milliards d’années après la naissance de la vie sur Terre. Elle, mon existence, elle est contingente : j’aurais pu ne pas exister, à un spermatozoïde près, à un sourire près, peut-être. Quand je parle d’existence, il s’agit de l’existence en soi, de l’être au sens de notre bon Leibniz : « pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? ». D’expérience chrétienne, cette interrogation a pris la forme suivante : puisque l’existence contingente est sensée être le produit d’une création divine, le mystère trinitaire peut-il fonder la nécessité de l’existence ? La question semble insoluble, intellectuellement parlant, j’entends. Le mieux, disent des personnes bien intentionnées de mon entourage, n’est-il pas simplement de vivre et de jouir de l’existence telle qu’elle se présente… en la sous-poudrant d’un peu d’éthique et de justice. Non ? Que vient faire la question trinitaire là-dedans ? Accepte ou refuse, et c’est tout !

Sur cet apparent fond de bon sens, s’ajoute la réflexion désabusée d’un grand philosophe du XVIIIème Siècle, en 4 lettres qui commencent par un K et finissent par un T, qui estime que la Trinité n’a aucun intérêt pour nous et que ce n’est que de la spéculation oiseuse.

Et bien, non. J’aurais mille arguments à répondre au grand Monsieur K qui semble n’avoir jamais fait l’expérience de l’amour et de la communication inter-personnelle. Du moins, il n’en parle pas. Son éthique est belle, universelle et éternelle, juridiquement solide, adulte et responsable, mais elle semble oublier que nous sommes des vivants et des personnes qui communiquent et partagent des événements. Même si le projet de justifier rationnellement l’existence à partir de la vie trinitaire, est impossible, pense-t-il, pourquoi ne pas tenter de dire ce qu’on peut en dire et aussi, même surtout, dire ce qu’il ne faut pas en dire ! Un peu comme un compositeur qui écrit un prélude pour orienter l’écoute de l’œuvre qui suit et qui n’est pas nécessairement écrite.

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