Myriam et Cléophas - Nicolas de Rauglaudre - E-Book

Myriam et Cléophas E-Book

Nicolas de Rauglaudre

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Après des journées douloureuses, Myriam et Cléophas descendent de Jérusalem vers la bourgade d'Emmaüs, à quelques stades de la Cité. Elle était au pied d'une croix dressée par des soldats romains. Sur cette croix, est mort un galiléen qui, quelques jours avant, attirait des foules. Lui s'est enfui, puis s'est glissé silencieusement parmi les participants au procès du crucifié. Il espérait que cet homme soit le libérateur politique de son peuple. Sur le chemin, un étranger propose de les accompagner. Un voyageur bien mystérieux...

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Seitenzahl: 170

Veröffentlichungsjahr: 2023

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Merci à tous les relecteurs et correcteurs du manuscrit, notamment Véronique, Maryann, Gaële, Janine, Brigitte, Anne, Gérard, Dominique, Emmanuel, Thierry, Bertrand, Philippe… et si j’en oublie, qu’ils me le pardonnent

TABLE DES CHAPITRES

AVANT PROPOS

TEMPLE

ALLIANCE

CHANT

LE PROPHÈTE

JUSTICE

L’ARBRE DE VIE

LE SILENCE DE L’ÊTRE

FLUIDITÉ

RÉVÉLATION

NOCES

POSTFACE

Nicolas de Rauglaudre – www.nicolasderauglaudrenet

AVANT PROPOS

Ce petit roman a été écrit en quelques jours il y a une quinzaine d'années, suite à la mort de mon père. Il n'était pas prévu pour une édition. C'est à la suite d'une conversation avec des amies et amis, quelque peu féministes, qu'il m'est venu l'idée de le reprendre. Que le lecteur ne s'en offusque pas, il n'appartient à aucun genre littéraire connu ou à ma connaissance. Il est rempli d'anachronismes et de raccourcis théologiques qui feront bondir exégètes, historiens, archéologues, chercheurs de toute sorte. J'accepte avec humour et amitié leur éventuelle fureur ou leur agacement moqueur.

Cela dit, les textes évangéliques sont eux-mêmes remplis de contradictions et parfois même d'anachronismes, notamment dans les récits de la Résurrection. Le décalage de plusieurs décennies entre leur rédaction et la réalité historique, si tant est qu'on puisse la circonscrire, autorise ma transgression. Les différences d'interprétation d'un évangile à l'autre, voire au cœur même de chaque évangile en lui-même, également. Si on ajoute à ces deux points la vision de Paul, celle de l'Apocalypse, celles des couches de relecture théologique à travers l'histoire, depuis les écrivains dits apostoliques jusqu'au plus subtil théologien allemand ou philosophe russe d'hier et d’aujourd'hui, il y a un espace de liberté inépuisable. Il existe de très bons ouvrages pour approfondir ces interrogations.

Et puis, pourquoi ne pas lire cette fiction comme une méditation de type ignatienne d'un jour, là où l'imagination se libère en vue de donner du sens à notre action, notre prière et notre espérance. À chacun de voir. Si je devais la réécrire aujourd'hui, sans doute nombre de points concernant le contenu prendraient une autre forme.

Dans la postface, j'indique quelques points concernant l'état de la réflexion autour du personnage de Cléophas et de son mystérieux compagnon inconnu.

- 1 -

TEMPLE

Traces de la pluie diluvienne qui s'est abattue juste après le lever du Soleil, quelques flaques émaillent encore le bord du chemin. La force de la chaleur arrache de la terre quelques nappes de brumes locales. Elles caressent le sol sans s'élever jusqu'à la taille humaine. Cléophas et Myriam, son épouse, s'arrêtent pour apaiser l'âne qui soulève une lourde charge. L'animal manifeste son impatience depuis plusieurs stades. En raison du long chemin à parcourir avant le soir, les deux époux forcent l'allure. À la différence du pèlerinage des années précédentes, ils ont quitté Jérusalem tard dans la matinée. On sait que l'âne, contrairement à ce que racontent des légendes qui circulent encore aujourd'hui, est un être intelligent. Mais il ne se laisse pas facilement manœuvrer sans raison. Les fabulistes racontent encore la vieille histoire de l'ânesse de Balaam qui pressentit un danger avant son maître, lequel maître était pourtant un sage connu. L'entêtement de l'âne lui avait attiré une bien mauvaise image, ce qui explique la perplexité de son maître. En fait, l’âne est un animal jouisseur qui n'aime pas être dérangé dans ses conforts. Mais il est bon compagnon. Les mares d'eau et le glissement latéral des rus qui dégringolent de la colline fatiguent et exaspèrent l'âne de Myriam et de Cléophas.

Une autre raison explique l'empressement de Cléophas et de Myriam à désirer retourner chez eux. Ils sont tristes, inquiets même. Ils désirent retrouver l'intimité de la maison d'Emmaüs et la tranquillité rassurante de leur activité quotidienne. Cléophas est connu pour un homme fin et calme, un peu bourru parfois. L'un de ses plaisirs quotidiens est une longue promenade matinale dans les collines. Puis, empli de l'air frais, il s'active avec entrain à son ouvrage. Il passe pour un des hommes qui se lève le plus tôt dans le bourg d'Emmaüs. Chaque année, lors de la Pâque à Jérusalem, il maintient le rythme jusqu'au départ. Il s’échappe de son lit de bonne heure, prépare les bagages et sort l'un des premiers de la ville d'un pas tranquille. Entre Jérusalem et Emmaüs, l'évolution de la flore et de la faune est sensible à l'œil exercé et aux sens éveillés. À chacun de ses voyages aller-retour entre les deux villes, Cléophas guette avec jouissance la petite faune des pays méditerranéens, lièvres, hérons, mangoustes, et il hume avec gourmandise le parfum des plantes et des arbustes.

Mais pas aujourd'hui !

Ce matin-là, lors du départ de Jérusalem, Cléophas n'a pas respecté l'horaire. Myriam s'est levée bien avant lui. Depuis le chargement des bagages, il grommelle dans son coin. Il n'a mangé qu'une dizaine d'olives et bu un simple verre de vin. La hâte du retour dans son village aveugle le solide artisan. Le bavardage mental recouvre les sensations et les mouvements du corps. Le tintamarre des images et l'agitation des sentiments contradictoires brouille le silence paisible de la marche.

Cléophas décide d'obéir aux mouvements d'humeur de l'âne. Il avise un rocher au dessus de la route qui offre une surface plane. Tous les trois s'arrêtent en contrebas du rocher. Myriam sort d'une besace accrochée sur le flanc droit de l'animal deux gourdes de peau remplies de vin local, des feuilles qui enveloppent quelques olives, quelques fruits secs et du poisson séché. Myriam s'assoit, s'éponge le visage avec un linge, puis elle se tourne vers cet époux qu'elle respecte depuis tant d'années. Elle lui a donné trois solides enfants, deux garçons et une fille. Ceux-ci, à des âges s'échelonnant entre seize et douze ans, exercent déjà des activités reconnues dans le bourg d'Emmaüs. La féminité de Rebecca, âgée de quatorze ans, commence à éclore. Myriam songe déjà aux futurs conjoints de leur enfants. Cléophas grimpe sur le rocher et s'assoit à son tour, les jambes ballantes au dessus du vide.

Plusieurs passants saluent Myriam et Cléophas. Presque tout le monde se connaît sur les chemins entre Jérusalem et Emmaüs. Cependant, en ce lendemain de la Pâque, beaucoup d'israélites s'en retournent chez eux, provenant de plus loin que les villages autour de Jérusalem. Ils repartent vers Jaffa, Askhalon, Césarée, Tyr parfois. La Pâque de cette année dégage un goût amer, que seuls les regards peuvent commenter. Il est difficile à exprimer par des mots... ce goût qu'apportent les situations troubles où la justice est bafouée et le mensonge tapi derrière chaque pierre et chaque mur. Oui, on se salue, on parle éventuellement de la pluie du matin et de la prochaine moisson. Mais, où étions-nous, hier et surtout la veille du sabbat ? Les yeux se croisent ou se fuient, une vitre sale paraît s'être glissée en travers de l'espace entre chaque visage. Le mal n'agit pas uniquement entre connaissances mondaines. Cléophas et Myriam, eux mêmes, ont tenté de parler des événements entre eux deux. Ils n'étaient pas ensemble au moment le plus tragique. En dépit de tant d'années de vie commune ritualisée et somme toute, bien partagée, la conversation reste ce matin-là imperceptiblement faussée.

Myriam contourne le roc et vient s'asseoir auprès de son époux : elle déplie un linge et s'applique à réparer une pièce décousue.

*

Habituée aux silences de son époux, Myriam sait lire par delà les mots et les expressions. Elle devine les raisons du trouble. Cléophas semble agité, son regard ne parvient pas à se fixer sur une tâche, même aussi banale que celle de manger. Il fuit le regard de son épouse. Myriam se décide à rompre le sortilège qui les enveloppe depuis plusieurs heures.

« – Où étais-tu avant hier ?

– Le nazaréen a été crucifié par les romains, répond Cléophas.

– Oui, je sais, je sais... et après un indigne procès. Et un procès qui a été conduit par le Procurateur lui-même, avec la complicité de plusieurs prêtres connus du Sanhédrin. Mais toi, que faisais-tu pendant que se déroulaient les événements ?

– Il n'est pas prouvé, interrompt Cléophas, que tous les prêtres du Conseil des Sages ont participé à cette parodie. Ce n'est pas parce que quelques prêtres étaient présents au procès, que la sentence prononcée fut uniquement de leur faute. Ce sont les romains qui l'ont condamné.

– Excuse-moi de te le rappeler, Cléophas, mais tu n'étais pas là, au pied de la croix, sur la colline du Golgotha. En revanche, il y avait des braillards et les gardes romains, bien sûr ! Si les prêtres avaient mieux défendu le nazaréen, ils auraient été présents sur le lieu du supplice. Il n'y avait pas grand monde de ses amis. Son disciple préféré, celui qui avait ses entrées dans la résidence du Grand Prêtre, était le seul homme présent à côté de nous. Heureusement, il y avait Marie de Magdala et puis la mère de Jésus, quelques autres femmes et moi-même. »

Après quelques secondes, le temps d'inspirer, elle insiste : « Et où étais-tu, toi, Cléophas ? Sur le parvis du Temple, planqué dans la foule, en train de te cacher avec tes amis ?

– Tu es injuste, Myriam. Dans la furie qui a suivi les événements de la nuit, nous devions nous méfier de tous. Les romains patrouillaient. Des dénonciateurs en profitaient pour régler des comptes personnels ou pour courtiser les autorités. »

Quelques cailloux dévalent le coteau. Les deux compagnons se retournent machinalement. Un homme, à la démarche dansante, descend la pente. Cléophas ne s'étonne pas, puisque de nombreux enfants parcourent les collines à cette heure de la journée. Cet individu doit être le père de gamins qui jouent un peu plus loin.

L'homme s'approche d'eux. Il semble d'âge mûr, mais plus jeune qu'eux deux. La stature de l'homme est imposante, solidement bâtie comme une colonne de temple. Le visage, en léger contre-jour, reflète quelque chose d'à la fois dense et léger, charmeur et grave, rayonnant et austère. Une barbe fournie met en valeur, par contraste, une bouche souriante, mais non moqueuse. Un bel équilibre d'homme accompli. Myriam baisse les yeux et fait semblant de reprendre son activité, comme le font les femmes de la région quand survient un inconnu. Cléophas est intrigué de cette approche directe, mais son acuité habituelle est éteinte. L'homme descend jusque sur la route, il contourne l'âne qui broute sur le coteau, il lui donne une bourrade amicale sur l'arrière train. Puis il s'arrête en dessous du couple assis sur le rocher.

« – Vous me paraissez tristes, par ce beau soleil coloré. Regardez, il éclaire les restes de la pluie. Il n'y a pas longtemps, un arc-en-ciel habillait les nuages.

– Bonjour ami, répond Cléophas. Nous ne nous connaissons pas. Pourtant tu sembles être de la région, n'est-ce pas ? D'où viens-tu ? »

Le voyageur ne fournit pas de réponse. Il grimpe le long du rocher, s'assoit dans l'herbe et pose les paumes des mains vers l'arrière, en s'appuyant sur elles. Il regarde les nuages se dissiper avec amusement. Puis il se tourne vers les deux époux et leur demande :

« – Vous descendez vers Emmaüs ?

– En effet, dit Cléophas.

– Moi aussi. Puis-je vous accompagner ?

– Bien volontiers, répondit Cléophas. Vois, notre âne est fatigué. Il résistait il y a quelques instants à notre volonté. Pourtant il connaît la route. Nous nous rendons fréquemment à Jérusalem avec lui. »

Le baudet s'ébroue et fixe la route. Myriam lève les yeux vers l'étranger et ajoute en riant :

« – Regarde-le, voyageur. Il a compris qu'on parle de lui. Il semble s'animer depuis ton arrivée, depuis que tu lui as claqué la croupe ! »

Subitement confondue par ses paroles trop familières, comme si une ligne incongrue a été franchie, Myriam prend un air contrit et fléchit le regard. Son mari la dévisage, le visage éteint. une grimace de moue lui tord sa bouche.

« – Vous me paraissez bien sombres tous les deux ! Un lendemain de la Pâque. Cela est étonnant.

– Tu es bien la seule personne à ignorer les événements qui se sont passés à Jérusalem ces jours-ci, commente Cléophas.

– Tiens donc ? Que s'est-il passé de si grave ? »

Cléophas se retourne vers sa femme. Une pensée fugitive traverse l'esprit de Cléophas : « cet homme qui nous écoute est peut-être lui-même un espion. Méfions-nous. » Myriam, d'un léger geste du menton, l'invite à répondre.

« – Le nazaréen, Jésus, était un grand prophète en paroles et en œuvres. Il est mort avant hier et il a été mis au tombeau. Sa sagesse était réputée dans toute la Galilée et il commençait à rayonner en Judée.

– N'est-il pas nécessaire, répond l’étranger, un jour ou l'autre, que les maîtres s’effacent ? Les prophètes se retirent pour que vivent leurs disciples. Ne doivent-ils pas transmettre la vie aux autres ? Élie, quand il est parti, n'a t-il pas cédé le double de son esprit à son compagnon Élisée ? Les parents ne doivent-ils pas disparaître pour que s’épanouissent les enfants ?

– Il n’est pas mort naturellement, mais il a été crucifié par les Romains. »

L’étranger ne répond pas.

Cléophas se ravise en examinant les traits et les paroles apparemment sincères de l'inconnu : « Non, ce n'est pas un espion, il semble être en dehors de l'affaire... »

L'homme se redresse, étire ses jambes sur le sol et pose les mains sur les genoux. Il les frotte énergiquement, puis il dit aux deux époux :

« – Vous allez me raconter tout cela en marchant vers votre village. Acceptez-vous ?

– Avec joie, répond Myriam, heureuse de pouvoir libérer la douleur qui l'étreint.

– Je m'occupe de votre âne qui, comme vous l'avez constaté, semble m'accepter. Puis nous partons. »

L'homme s'approche de l'âne et dégage quelques secondes sa charge. Le dos de l'animal est trempé de sueur. Le baudet pousse un soupir de soulagement et se secoue légèrement, en poussant un petit grognement. Cléophas, assis, regarde la scène avec mélancolie. Myriam range son matériel de couture et recueille les vivres qui restent, Elle les rassemble au sein du linge qu'elle replie soigneusement. Puis elle coule un nœud pour fermer le linge et elle dispose l'ensemble dans un sac de toile. Cléophas se lève, charge le sac et l'apporte aux pieds de l'âne, avec le reste de la charge que le voyageur a délesté précédemment. L'homme s'empare de l'ensemble avec vigueur et il l'arrime solidement sur le dos et les flancs de l'animal. Les deux époux laissent faire.

« – Merci, dit Cléophas. »

Le voyageur donne une nouvelle claque à l'âne qui semble s'en réjouir puisqu'il se met aussitôt en route.

« – Hé, pas si vite, s'écrie Myriam.

L'homme passe amicalement le bras sous le coude de Cléophas. Il s'incline avec respect vers Myriam pour l'inviter à les suivre. Les époux manifestent une légère réticence, mais l'énergie chaleureuse de l'étranger les rassure. Il semble insensiblement prendre la main.

« – Où demeurez-vous exactement à Emmaüs ? » demande l'homme, soucieux de distraire l'atmosphère.

« – Notre habitation se situe de l'autre côté de la bourgade, répond Cléophas, sur la route qui part en direction de la Mer. Tu connais Emmaüs ?

– J'ai traversé Emmaüs plusieurs fois et je m'y suis même arrêté. »

L'étranger relâche Cléophas. L'âne marche allègrement à l'avant. Les trois compagnons semblent avoir adopté un rythme de croisière. L'homme s'avance entre les deux époux. Pris par on ne sait quelle pensée vagabonde, Cléophas pousse un soupir.

« – Au risque d'insister, fait remarquer l'étranger, je te trouve vraiment abattu, ami, plus encore que ton épouse. Pourtant tu es jeune. Vous paraissez encore jeunes, tous les deux. Des prophètes, vous en rencontrerez d'autres, il n'en manque pas sur ces terres. Des prophètes injustement condamnés sans doute aussi. Rappelez-vous Jean le baptiste, décapité par le roi Hérode. Serait-ce indiscret de vous demander ce qui vous attache spécialement à Jésus le nazaréen ? »

La question est délicate. Cléophas hésite. Myriam jette un œil soupçonneux vers son mari, mais elle ne dit rien. Elle épie non sans malignité la manière dont son époux va se sortir de cet interrogatoire quelque peu suspicieux.

« – Nous avons accompagné le nazaréen durant plusieurs semaines, explique Cléophas avec émotion. Nous l'avions rencontré un jour qu'il traversait Emmaüs avec ses amis. J'ai sympathisé avec l'un d'entre eux, d'ailleurs. Un certain Nathanaël, un des disciples des ermites du désert. Un homme bien et intelligent.

– Ton ami Nathanaël s'est défilé comme les autres quand Jésus a été arrêté, » interrompt Myriam précipitamment. Puis elle se reprend : « Tous ses prétendus amis l'ont abandonné... Ah non, pardon, sauf le disciple qui connaissait le grand prêtre et qui était avec nous, au pied de la colline du Golgotha.

– Qui, nous ? demande Cléophas.

– Je te l’ai déjà dit, mais tu n’écoutes pas. Quelques femmes fidèles, sa mère, Marie la Magdaléenne, quelques-uns de Béthanie aussi... répond-elle en regardant l'étranger. Et pas toi, en tout cas ! ajoute-t-elle en direction de son mari. »

L'étranger fait semblant de ne pas relever l'apostrophe mordante jetée par Myriam vers Cléophas.

« – Et comment se nomme-t-il, ce disciple ?

– Son nom est Johannan, précise Myriam. Jésus aimait singulièrement cet homme. Ils parlaient ensemble de la libération d'Israël.

– Oui, et ce Johannan était aussi un bel individu, n'est-ce pas, ma chère épouse ? Que faisait-il là, avec toutes ces femmes sous la croix ?

– Oui, sans doute, répond Myriam sans dévoiler un quelconque trouble. Il est bel homme. Mais lui, au moins, il a montré du courage. Il n'a pas craint d'accompagner le prophète jusqu'au bout. Ce n'est pas comme toi et comme les autres. Vous aviez disparu, tous... vous les valeureux qui vouliez libérer Israël des romains. Vous vous sentiez si forts quand le prophète était avec vous.

– Johannan était connu du Grand Prêtre, répond vivement Cléophas. Les romains l'ont laissé approcher des crucifiés parce qu'il a ses entrées. D'ailleurs, il n'était pas le seul homme. Toi-même m'a dit que Nicodème, le pharisien, était également présent auprès des crucifiés. Et le membre du grand Conseil, Joseph d'Arimathie, également !

– Tu as raison. Ils sont tous les deux venus. Mais bien après. Une fois que le nazaréen est mort et que tout le monde est parti. Les soldats notamment. »

Myriam calme son ardeur.

« – Je suis injuste envers Nicodème et Joseph, dit-elle à l'étranger. Nicodème n'a pas souvent rencontré Jésus. Joseph d'Arimathie ne le connaissait même pas. Mais ils ont été courageux en venant, au vu et au su de leurs collègues, au lieu du supplice. Tous deux ont défendu le prophète Jésus contre les machinations des prêtres et des sadducéens. Tu le sais bien, précisa-t-elle à l'intention de Cléophas. Le grand maître Gamaliel a également tenté de freiner les accusations.

– Le procès n'a donc pas été si injuste, puisque des membres éminents du Conseil ont défendu votre prophète ? fait remarquer l'étranger.

– C'est vrai. Et notre ami Johannan les connaissait tous. »

Myriam se retourne vers Cléophas et crie :

« – Mais eux, ceux qui l'ont accompagné jour et nuit ? Et toi ? Envolés ! Des amis ? Parlons-en !

– Je ne permets pas de parler ainsi, vocifère Cléophas. Nicodème, Johannan, Joseph et les autres, je suis sûr qu'ils étaient tous compromis avec l'occupant romain. Et puis Gamaliel, n'en parlons pas. C'est un des chefs ! Ce sont des pharisiens. C'était truqué d'avance.

– En es-tu sûr ? Cela m'étonnerait que les pharisiens aient été impliqués dans la mort de Jésus, réplique Myriam. Ils ne se sont jamais acoquinés avec les romains. Ce sont les seuls savants qui osaient discuter ouvertement avec Jésus, même s'ils se querellaient souvent avec lui. Les prêtres et les sadducéens ont trahi, pas les pharisiens. Cela ne m'étonne pas des prêtres, ils ont toujours voulu préserver les intérêts qu'ils soutirent des institutions, des rites et du Temple. »