L'amante - Rachid Mokhtari - E-Book

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Rachid Mokhtari

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Beschreibung

L’arrivée de Tamzat, la tisseuse, de son lointain Djebel Ouaq Ouaq à Tamazirt bouleverse la vie d’une famille dispersée par les guerres et l’exil. Les cuves des aciéries françaises ont rongé les poumons du père, Mohand Saïd Azraraq, revenu aveugle au village ancestral. Son fils, Omar, engagé volontaire en Indochine, déserte les rangs de l’armée française vaincue par Giap et rejoint les maquis d’Imaqar. Avant « ses » guerres, il a entamé la construction d’une maison à étage pour les beaux yeux de Zaïna. Une bâtisse maudite par la centenaire Tazazraït qui veille sur les burnous des aïeux offensés. Le cardage des guerres et des amours est de mauvaise laine ; les destins croisés des protagonistes butent sur l’inachèvement d’une maison, d’une guerre, d’une passion, d’une écriture. Le duo incantatoire de la mythique Tamzat et de Omar, dans une élégie du froid bleu de la mort, brouille les prises de parole, l’espace et le temps, les morts et les survivants…
À PROPOS DE L'AUTEUR


Rachid Mokhtari est universitaire, journaliste et romancier. Il a également publié plusieurs ouvrages consacrés à la littérature et la musique algériennes. Après Elégie du froid, Imaqar, L’amante est son troisième roman.

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L’AMANTE

DUMÊMEAUTEUR

MatoubLounes, biographie. EditionsLeMatin, 1999.

Lachansondel’exil, lesvoixnatales1939-1969, essai. EditionsCasbah, 2002.

CheikhelHasnaoui, lavoixdel’exil, essai. EditionsChihab, 2002.

Lagraphiedel’Horreur, essai. EditionsChihab, 2003.

Elégiedufroid, roman. EditionsChihab, 2004.

SlimaneAzem, AllaouaZerroukichantentSiMuhandUM’hand, essai. EditionsApic, 2005.

Lenouveausouffleduromanalgérien, essai. EditionsChihab, 2006.

Imaqar, roman. EditionsChihab, 2007.

RACHIDMOKHTARI

L’AMANTE

roman

CHIHABEDITIONS

© ChihabÉditions, Alger, octobre2009

Isbn : 978-9961-63-782-1

DépôtLégal: 1508/2009

Amamère

Jem’appelleSiMohandSaïdAzraraq. J’aileteintclairetlesyeuxbleuciel. J’ailongtempsnourrilesforgesdeCharentonoùjefusrecrutédèsmonarrivéeenFranceen1916. J’avaisquinzeans.

Mespupillesenavaientsouffertcarjeperdislavuel’annéemêmedemonretourdeFrançaen1946. Sicen’étaitquecela, jemeseraisrésignéàmessouvenirs, àsentirdetoutmonêtreTamazirtIâalalen. Mais, voilà, lapourrituredescantonne­ments, lesheuresglacialesdesleversorphelinsdansladésolationdehangarslugubresoùdesmonstresdeferbroyaient, crachaientlemétalsansrépitnirelâche, toutecettecalamitécrasseuse, jelesavaisenmoi, dansdesquintesdetouxtenaces, sèchesetconvulsivesquiperforaientdejourenjourmespoumons. J’avaisunpiedàTamazirtIâalalenetunautreàJediSalah, lecimetièreoùreposentmesaïeux.

Monfils, Omar, l’enfantuniquequej’eusdeTassadit, monépouse, étaitunetêtebrûléemaisintelligente. Alorsquenoushabitionslavieillemaisondemonproprepère, SiHamouTahar, quil’avaitbâtiesursesterresdeTamazirtIâalalen, Omars’étaitfaitembaucherparunricheentrepre­neurdelarégionquiavaitfaitfortuneaveclesAméricainsdébarquésàAlgeretdontquelques-uns, charmésparlepaysetsesfilles, étaientvenusjusquecheznous, àlamanièredescow-boysdelaconquêtedel’Ouest. Onracontaiticietlàquenosterresétaientrichesenor. Peineperdue. Ilsavaientbeaucreuserflancsetsommetsdesmontagnes, iln’yavaitquedelapierre, maisdelabonnepierre, dechoixpourlaconstructiondemaisons.

Cetentrepreneurnefitpaslafinebouche ; ilselançadansl’exploitationd’unecarrièrequiluirap­portagros, investitdansl’importationdetuilesrougesetdemachinesdemenuiserie. Omar, impé­tueuxadolescentrôdéauxcombines, devint, enuntourdemain, sonmaîtred’œuvredanslecontrôledesstocksdematériauxdeconstruction. Ils’occu­padesatâcheavecdévouement, justepourdéjouerlessoupçons. Car, lanuitvenue, aveclacomplicitéd’unveilleurdenuitquiétaitdecheznous, ildétournaitàsonprofitdepetitscharge­mentsdebriquesàdouzetrousetdessacsdecimentéventrés, àdosdemuletjusqu’àTamazirtIâalalen, déposésàl’abridesregards, souslegrandfrêne.

J’étaismanœuvre, transporteurdefûts, danslesforges. Jeluiavaisfaitécrireunelettreluiannon­çantquejen’allaispastarderàrentrerdéfinitive­mentaupays. Omarm’enavaitdissuadéenm’expliquantquelafindelaSecondeguerreétaitpourbientôtetquelesouvriersmaghrébinsal­laientêtredécoréspourlessacrificesconsentisàl’économiefrançaiseetaufrontanti-hitlérien. Jelecrus.

Omar, donc, avaitdéblayédelaterreducôténord, surl’uniqueparcelletoutenplatdeTamazirtIâalalen, oùj’avaisplantéaugrandbon­heurdemonépouseTassadit, descerisiers ; ilavaitcreusédesfondations. Uncousin, affolé, m’appritlanouvelle, pensantquemonfilsavaitcommislesacrilèged’avoirvenduunepartiedelapropriétéàdesétrangers. Connaissantsoncaractèretêtu, excessif, d’unedéterminationàtouteépreuve, jeprismoncourageàdeuxmains : jedécidaisde reprendrelebateau. Maisc’étaitlaréquisition. Jen’eusplusdenouvellesdupayset, quandbienmêmej’enauraiseu, qu’aurais-jepufairesinonattendrequelatourmentepassât.

Nousvécûmes, l’année1943, unrudehiver. Beaucoupdenoscompatriotesquin’avaientplusdetravailmoururentdefroiddanslescantonne­mentsdesminesdelaRochebelle.

Avecmoi, prèsdescuves, sansaucuneprotec­tion, letorsenu, lesyeuxaveuglésparlesétincellesdubouillonnementdecetenfermétallique (jenepeuxpasm’empêcherdevousracontercequ’ilyavaitdedjahennamasousceshautsfourneaux) descompatriotesdelarégiond’Imaqar. Là, aucundenousnepouvaitsevanterd’êtremaraboutouprétendretenird’unsaint. Nousétionssipetits, sifragiles, corpsensueur, devantcesgrandescuvesauxgueulesinsatiablesdecouléesferreuses. Nousimplorionslessaintsduvillage, maislesgicléesdefonteétaientplusfortes. Lepatron, autoutdébutdenotreembauche, voulaitexploiterlesrelationsdecastesvillageoises. Ilavaitnomméchefd’équipedugroupedesKabylesunvieuxmarabout, auxcheveuxgrisonnants – êtrevieuxàl’époqueoùjevousparle, c’étaitavoirquaranteansenimmigra­tionet, quiplusest, auxfours. Lepauvre, ilsefaisaitbienrespecter, maisiln’arrivaitpasàsuivrenotrecadenceeffrénée, diaboliquecar, unefoisfaceauxcuves, nousétionsemportésparlafour­naise, lafumée, l’odeurâcrequiraclelagorge. Maisilfautvousdirequecettenominationajouéàladéfaveurdupatron. Nousl’aidionsdumieuxquenouspouvionspourlesoustraireauxrépri­mandesdeschefsdesectionsqui, toujours, seplai­gnaientdufaiblerendementdenosbrasengourdisquiavaientprislaraideurdesbranchesdefiguiersdénudésenété. Lesoirvenu, ilavaitdroitàlameilleureration.

Pendantcetemps, Omars’amusaitàconstruireunemaisonàétageàTamazirtIâalalen. Uneterresainte, surlaquelleveillaitTazazraïtdepuisdeslustres, nepouvaitfinirsouslapioche, lapelleetlefilàplomb ! SiHamouTahardesonvivantenavaitfaitsaqibla. Quedefois, metenantparlamain, ilmemontraitleslimitesdelapropriété, m’apprenaitàlesrepérerdevisu, deshaiesderon­cessouslesquellesétaientposéesdegrossespierres. Ilm’initiaitautravaildelaterre, àlagreffedesarbresfruitiersetauxsecretsdessaisonsquis’achè­ventetrenaissent, « commenosvies » disait-il. Asamort, quelquesmoisavantmondépartenFrance, lesvillageoismirentsonnaâchaubeaumilieudeTamazirtIâalalen.

Encetteannéede1928, unevivenostalgieserramoncœur. C’étaitledébutdelacrise. Lesforgess’éteignirent. Aveclesquelqueséconomiesarra­chéesàlafournaisedescuves, jeretrouvaiTamazirtIâalalenetmespoumonspurentenfinrespirer ! Omarestnéen1929. Uneannéedecalamités, pourvousdire ! Lesbateauxétaientencaleetlamisèregagnalemonde. Jemeremisàlaplantationdecerisiers, lagreffedesoliviers, audé­frichagedemeschamps, IzougranetTimarzaguin.

Jevécusl’année1931auxcôtésdeTassaditquiavaitreprisdescouleursetdanslajoiedespre­mierspasd’OmarsurlaterredeTamazirtIâalalen, quimedonnèrentunesecondejeunesse. Lesceri­siersquej’avaisplantés, longtempsenvahisparlaronce, étaienttoujoursféconds. Jelesoulevaisàhauteurd’unegrappeetdesesdeuxpetitesmains, Omarl’arrachaitaveclefeuillage. Cefutunévéne­mentlejouroùilfitsapremièresortieauxchampsavecmoi. Jel’aiemmenésurmesépaulesàTimarzaguin, unebellepropriétééloignéeduvilla­ge. Ilfautvousavouerquejel’exhibaisauxyeuxdesvillageoiscar, encetemps-là, unémigréquin’avaitpasd’enfants, c’étaitunehonte, unexilépourrien. Maisjelefaisaiségalementpourbienmontrerquec’étaitlemien.

Quandiln’apercevaitpaslachèvrequiallaitbrouteraufondduravin, ill’appelaitengigotant. Unefois, noussommestouspartisauchamp. Samèrel’avaitfaitasseoirsousungrandfiguier. Et, pendantquenousétions, nonloin, occupésàremplirunpanierdefigues, nouslevîmesjoueravecunecouleuvrequisetortillaitsoussespieds. Samèreétaitpétrifiée. Jecourusenrenversantlepanier. Leserpent, parjenesaisquelmiracle, s’éloigna. Encemêmeendroit, plusieursannéesplustard, unautreévénementeutlieu. Maiscen’estguèrelemomentdevousleraconter.

LamaisonqueOmaradécidédeconstruiremepréoccupeplusquetout. Unemaisonàétage, àtoitureentuilesrouges. Elledomineratouteslesdemeuresduvillageetvioleraleurintimité. Jesuissûrqu’ellesoulèveralacolèredesvoisinsetattireralacuriositédesgendarmesetducaïd. ParlesaintSidiElHadjAmar, qu’a-t-ilbesoind’unemaisonàétage, luiquiestvenuaumondesurdelaterrebattue, dansunemasureenpisé, tassée, tapie, commenouéeauxracinesdugrandfrênedontlefeuillagepérennes’étalesursontoitdetuilesenterrecuite ?

Avecl’arrivéedecetAméricainauvillage, Omarobtenaitfacilementlesmatériauxdeconstruction : delapierre, ducarrelageàmotifsfloraux, desma­driers, destigesdefer. Pourleciment, c’étaituneautrehistoire. Illesubtilisaitsousl’œilcomplicedecegardienqu’ilsoudoyaitd’unebouteilledevin. Selonlecousinoffusqué, TamazirtIâalalenétaitdevenueunchantier, unbourbier. Cen’étaitpluslejardinpotageretlabellecerisaiequej’avaislaissés. Desvoisinsquiconnaissaientmonattache­mentviscéralàcetteterreetdontquelques-unsétaientavecmoienFrancenetardèrentpasàsemanifester, enexprimantleurinquiétudeetleurcolère. IlsdépêchèrentunémissaireàCharentonquivintmevoirunsoiràlasortiedel’usine : Tonfils, queDieutelegarde, adécidédeconstruireunehabitationàétage. Terends-tucomptedusa­crilègequ’ilcommet ? TonpèreSiHamouTahar, queDieuagréesonâme, n’auraitjamaisadmisuntelgâchisdanscettepropriétéànulleautrepareille ! Etpuis, serons-nousobligésdecouvrirnoscoursintérieurespourêtreàl’abridesregardsindiscrets ? Tajmaâtvasiégeràmonretour : elleestdécidéeàinterromprelestravaux. SiMoh, nousteconnaissons, tuesunhommesage, unmaraboutdenoblelignéemaistonfilsquivientjusted’ouvrirlesyeuxaumonde, commentpourrais-tuacceptercetaffrontqu’ilnousfait ? Aufait, dis-moi, commenta-t-ilfaitpouravoirlesmatériauxdeconstructionquenousn’avonsjamaisvus aupays? Jesaisquecequetugagnesiciestunemisèremalgrétoutcequ’ons’imagineaupays. D’oùluivientl’argent ? LesRoumis, seuls, peuventsepermettreceluxeostentatoiredansunpaysqu’ilsconsidèrentcommeleur. SiMoh, jeteledis, ilyvadenotrehonneuràtousquetuarrê­tesauplusvitecesacrilègearchitectural ! Nousterespectonstous, ici, danscetteghorbaquenoussubissonsàlongueurdejournéesetdansnosnuitssansrêves. Dieuteferaentendreraison !

Jel’ailaisséparler. Jen’avaispaslaforcedeluirépondre. J’avaislabouchesèche, lapoitrineenfeuetlesjambesflageolantes. Cesmauditescuvesaurontmapeauavantquejenepuisseregagnerlevillagedéfinitivement. Quepouvais-jefaire ? Omarétaitàpeinesortidel’adolescencequemevoilàrabougri, vacillantlematinetfourbulesoir, fonducommecemétalenfusion. Onditmêmequ’àforcedelemanipuler, d’encanaliserlescou­léesincan­descentes, celarendstérile. Quelquesjeunespaysansquiavaientétéembauchésquelquesannéesaprèsmoimel’ontdit. Ilsonttôtfaitdedéguerpir, préférantallerextraireducharbondanslesminesdeLaRochebelle. Lafaim, lefroid, passe. Maisretourneraupayssans « vie », plutôtlamort. Jenelesaipascrus. Mais, jen’euspasd’autresenfants. Pourlemoment, alorsquejebe­sognedanslesentraillesdufeu, monfilss’emploieàdéfigurerTamazirtIâalalen, uneparcelledeterrejalousée, auxrichesmottesbiengrasses, situéesurleflancnordduvillage, auxlimitesétroitesàproximitédelamaisonancestrale, s’élargissantverslaroute, uncheminvicinaltracéparl’arméefran­çaise. MachèreTassadityplantaitdescarrésdepommedeterre, desnavets, descourgettes, desto­mates, exceptél’ail. Jenesaispourquoi. Notretribumaraboutiquel’interdisait. Monproprepèrem’avaitracontéqu’unlointainaïeulquiavaitdéro­géàlarègleselevaunjour, unegoussed’ailger­mantdesonnombril ! Depuis, onenmangeait, maisonn’enplantaitpas. DeTamazirtIâalalenverslenord, lepaysagedelaplainedesAmraouaetdesmontagneschauvesdesIflissenétaitféé­rique.