La femme brouillon - Amandine Dhée - E-Book

La femme brouillon E-Book

Amandine Dhée

0,0

Beschreibung

Le meilleur moyen d’éradiquer la mère parfaite, c’est de glandouiller.

Le terme est important car il n’appelle à aucune espèce de réalisation, il est l’ennemi du mot concilier. Car si faire vœu d’inutilité est déjà courageux dans notre société, pour une mère, c’est la subversion absolue.
Le jour où je refuse d’accompagner père et bébé à un déjeuner dominical pour traîner en pyjama toute la journée, je sens que je tiens quelque chose.

"J’ai écrit ce texte pour frayer mon propre chemin parmi les discours dominants sur la maternité. J’ai aussi voulu témoigner de mes propres contradictions, de mon ambivalence dans le rapport à la norme, la tentation d’y céder. Face à ce moment de grande fragilité et d’ immense vulnérabilité, la société continue de vouloir produire des mères parfaites. Or la mère parfaite fait partie des Grands Projets Inutiles à dénoncer absolument. Il m’a paru important de me positionner clairement en tant que féministe parce que je veux donner un éclairage politique à mon expérience intime.
J'ai voulu un texte court. Plus que jamais, j’avais envie de tranchant, d’aigu, et surtout pas d'une langue enrobante ou maternante."
Amandine Dhée

Un récit de vie féministe qui aborde le thème de la maternité sur un ton incisif et criant de vérité !

EXTRAIT

L’employé de la mutuelle s’étonne que je ne connaisse pas la durée du congé auquel j’ai droit, comme si ma vie n’avait été qu’une longue préparation à la maternité. S’imagine-t-il que les femmes se retrouvent dans des grottes à la nuit tombée pour échanger ces informations ? Croit-il que ce soit naturel pour moi ?
Il y a toujours un moment où on rappelle à une femme le sens profond de son existence : procréer. Toujours un ami, une tante, un dentiste pour lui rappeler qu’elle n’a pas encore d’enfant. Et la voilà sommée de se justifier. Soupçonnée de souffrir secrètement d’une carence de maternité ou de transférer son amour maternel sur un chat.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Amandine Dhée parle ici tout à la fois de « la joie de rencontrer son enfant » et de la façon de se cramponner à l’essentiel « une fois retombée sur [ses] pattes ». L’éveil politique, la création, « et surtout rester une femme brouillon ». Le livre, lui, est pleinement accompli. - Catherine Painset, La Voix du Nord

Une échographie truculente des aléas de la maternité ! On n’a jamais autant adoré ces mères brouillons et imparfaites ! - La librairie des éditeurs associés à Paris

Un livre qui pose un regard décapant, drôle et intelligent sur la grossesse, voilà qui ne se refuse pas, quel que soit son âge ! - Cathulu, Babelio

À PROPOS DE L'AUTEUR

Amandine Dhée est née en 1980 à Lille, faisant vraisemblablement la joie de son entourage.
Elle étudie et ensuite fait un vrai travail.
Elle partage ses mots à de nombreuses scènes ouvertes.
Elle cherche les oreilles des autres en théâtre de rue.
Elle constate avec effroi que l’envie de triturer les mots prend de plus en plus de place...

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern

Seitenzahl: 59

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



La femme brouillon

© (éditions) La Contre Allée (2017)Collection La Sentinelle

Amandine Dhée

La femme brouillon

Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience.

René Char, Fureur et Mystère.

Dois-je faire tinter une cuiller sur mon verre ? Réclamer le silence et l’attention ?

Pas envie d’être au centre des regards, ni de mettre en scène notre bonheur conjugal.

La vérité, c’est que depuis quelques jours, la joie et la terreur se mangent l’une l’autre.

J’ai envie de pousser un cri. Ou de planter ma fourchette dans la main de ma voisine, comme Charlotte Gainsbourg dans La Petite Voleuse.

Mais je n’ose pas. Trop polie. Trop bien dressée. Alors je me tortille sur mon siège et balbutie que voilà, je suis enceinte.

On me félicite. Même ceux qui ont des enfants.

Personne ne me lance de regard affolé, ne m’envoie de message anonyme pour que je renonce à ce projet. Est-ce un piège ? Se réjouissent-ils secrètement que je commette la même erreur qu’eux ?

J’ai perdu mes certitudes.

Est-ce que ça existe vraiment des familles heureuses ? Impossible à deviner quand on les croise dans un parc ou à une fête d’anniversaire. Une famille, ça simule super bien le bonheur. Il faudrait des reporters embedded pour savoir vraiment. Être là le matin avant le départ pour l’école, ou les jours d’hiver quand le ciel est bas.

Et moi, fruit de trois générations de mères lamentables, quelles sont mes chances ? J’aurais dû être immunisée contre la maternité. Mais non, il avait fallu que je récidive.

Auprès de mes camarades féministes, j’éprouve un vague sentiment de culpabilité. N’ai-je pas trahi le camp des femmes libres ? Comme si sous un dehors émancipé, je rêvais en secret à un petit bonheur conformiste, des papotages devant l’école, un four pyrolyse, un gentil mari. Comme si lectures et discussions ne m’avaient été d’aucun secours. Je l’ai bien cherché. Hétérosexuelle et monogame, je faisais partie des populations à risques, vite rattrapées par le discours pro-maternité. Les femmes intelligentes sont lesbiennes, c’est bien connu.

En tout cas, pour l’annonce, j’avais tort de m’inquiéter. Le plus souvent, mon brutal sevrage de tabac et la désinvolture avec laquelle je commande un jus de fruit à l’heure de l’apéro éveillent les soupçons. Regards appuyés, lourds sous-entendus… On m’extorque des aveux. Expérience intime, tu parles.

Au fond, je n’y avais pas cru, à ces histoires de spermatozoïdes, de gamètes et d’ovulation. C’était bon pour les autres, ça. Chez moi, quelque chose clocherait forcément, un truc invisible à l’œil nu m’empêcherait de me reproduire, moi, la femme brouillon.

Mais finalement je fonctionne. C’est formidable. C’est terrible.

J’ai songé à avorter, à reprendre la main. L’IVG sert à celles qui ne veulent pas d’enfant, mais aussi aux bousculées comme moi, qui ont besoin de choisir une deuxième fois.

Face au miroir de la salle de bain, je traque les premiers signes. Rien ne se voit, encore. Le monde bascule, et rien ne se voit. Mais mon corps existe déjà un peu trop. Il s’essouffle, m’impose des siestes comme à une vieille dame ou un enfant. Il sait quelque chose que j’ignore.

Je lui obéis. J’ai si peur de rater le bébé. De tomber sur le ventre, d’avaler quelque chose d’interdit. Que mes doutes viennent gripper sa belle mécanique.

Pourquoi, sous prétexte que j’ai un utérus, dois-je porter une telle responsabilité ? Le père du bébé aurait fait une bien meilleure mère. Son instinct de sacrifice est plus développé, et c’est toujours lui qui fait les crêpes.

Je cherche du secours dans les livres. J’achète un Larousse, rien de moins. Très exactement, le Larousse des futures mamans, entendu que la maternité est l’affaire exclusive des femmes. Sur la couverture, un homme embrasse le ventre rond de sa compagne, un poupon blond suçote un sein, une femme vêtue de blanc immaculé exécute une posture de yoga. Tous ont la peau rose clair, baignée de lumière.

Mon échelle de valeurs évolue. Si jusque-là, j’ai vaillamment lutté contre toute forme d’injustice, mes ennemis sont désormais le lait cru et les crustacés. Larousse a été formel sur ce point.

Moi qui dénonçais les stratégies marketing qui surfent sur nos angoisses, voilà que j’achète des gélules contribuant au développement cérébral du fœtus. On ne sait jamais.

Je ne consomme plus la moindre substance illicite, je mange équilibré.

Bref, je deviens pure, comme toutes les mères.

L’employé de la mutuelle s’étonne que je ne connaisse pas la durée du congé auquel j’ai droit, comme si ma vie n’avait été qu’une longue préparation à la maternité. S’imagine-t-il que les femmes se retrouvent dans des grottes à la nuit tombée pour échanger ces informations ? Croit-il que ce soit naturel pour moi ?

Il y a toujours un moment où on rappelle à une femme le sens profond de son existence : procréer. Toujours un ami, une tante, un dentiste pour lui rappeler qu’elle n’a pas encore d’enfant. Et la voilà sommée de se justifier. Soupçonnée de souffrir secrètement d’une carence de maternité ou de transférer son amour maternel sur un chat.

Lasse de cette pression, une jeune femme a publié sur les réseaux sociaux une échographie piochée sur internet, accompagnée du message « My reproductive plans are none of your business ». Elle a reçu des milliers de soutiens.

Moi, personne ne me demande pourquoi je fais un enfant. Non seulement la maternité me range inéluctablement dans le camp des femmes, mais en plus, on me refile la panoplie de désirs qui va avec.

C’est vrai que j’étais bien partie. Petite fille, j’ai longtemps joué avec un nouveau-né en plastique et sa petite baignoire jaune. Les femmes étaient des mamans, c’était simple. Mais j’ai trop vu ma propre mère dégringoler. Une fois sortie de l’enfance trouée, hors de question de me reproduire.

La moindre des politesses quand on met un enfant au monde, c’est de lui fournir un kit de survie. Un récit édifiant, des valeurs, une morale, des repères. Ce n’est pourtant pas compliqué. Des repères.

Les dizaines de faire-part punaisés au mur indiquent la fiabilité de l’entreprise.

À grand renfort de photomontage, le bonheur familial s’étale. Certains parents ont osé le magnet, et font du nouveau-né un objet dérivé à coller sur le frigo. À l’entrée, des brochures pour les femmes comme moi qui ne savent pas changer un bébé, laver un bébé, donner le sein à un bébé.

Le bruit des voitures en sourdine, des poufs et des tapis. Du mou, du doux, du pastel.

Au milieu de cette guimauve, où dire la violence d’être habitée par un autre ? Suis-je la seule à penser à Alien ?