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Extrait : "En toutes choses et en tout temps, on doit éviter de confondre le fait avec le droit : cette distinction est surtout nécessaire quand on s'occupe de l'histoire du moyen âge, qui est l'époque où la force exerçait un empire presque souverain, et où l'abus, quand il pouvait prouver une longue existence, s'érigeait en droit."
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Seitenzahl: 673
Veröffentlichungsjahr: 2015
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L’Académie des inscriptions et belles-lettres proposa en 1856, pour sujet du prix Bordin, la question suivante : Recherches sur les institutions administratives du règne de Philippe le Bel. L’Académie voulut bien couronner le travail que je lui présentai, et son président, M. Lebas, dans la séance publique du 12 novembre 1858, s’exprima en ces termes :
« C’est un ouvrage étendu et remarquable. L’auteur ne s’est pas contenté de mettre à profit les nombreux documents qui ont été publiés sur cette époque de notre histoire ; il a aussi consulté et étudié fort attentivement les collections manuscrites de la Bibliothèque Impériale et des Archives de l’Empire, et c’est presque toujours avec des textes nouveaux qu’il a abordé l’examen des questions qu’il avait à traiter. Aussi les principaux chapitres de son mémoire, notamment ceux qui concernent les circonscriptions administratives, les états généraux, le parlement et les finances royales, sont-ils remplis de renseignements du plus haut intérêt, que l’auteur a su grouper avec beaucoup de méthode. M. Boutaric a parfaitement fait comprendre le jeu des institutions monarchiques au commencement du quatorzième siècle. Sans doute on pourrait désirer dans ce travail des conclusions plus précises, mais il n’en jette pas moins une lumière très vive sur l’un des règnes les plus importants de notre histoire. »
Le suffrage de l’Académie m’imposait de nouveaux devoirs. Avant de soumettre mon travail au public, je tenais à le rendre plus digne de la récompense obtenue, en mettant à profit les critiques qui m’avaient été faites et les conseils bienveillants que mes juges m’avaient donnés. Je complétai mes recherches, je les étendis, je refis presque entièrement mon travail ; mais là ne se borna pas ma tâche. Je m’étais d’abord scrupuleusement renfermé dans le programme de l’Académie, et n’avais traité que des institutions administratives. J’ai jugé à propos d’élargir mon cadre et d’y faire entrer les institutions politiques, les rapports de l’État avec l’Église de France et le saint-siège ; de rechercher les causes du différend de Philippe le Bel avec Boniface VIII et de la condamnation des Templiers ; je crois avoir jeté un jour nouveau sur ces graves questions. J’ai tracé l’histoire des relations de la France avec les pays étrangers, et essayé de déterminer quels furent les principes qui guidèrent Philippe le Bel dans ses rapports avec les puissances voisines. Enfin, dans une conclusion motivée, j’ai résumé, en les appréciant, les principales mesures prises par ce roi, après avoir examiné une grave question, celle de savoir quelle a été la part prise par Philippe au gouvernement de ses États, question dont la solution devait être cherchée dans l’étude du caractère de ce prince d’après les documents contemporains.
Le livre que j’offre aujourd’hui au public après cinq années de travail est donc pour certains chapitres le développement de mon mémoire, et pour d’autres, entièrement nouveau. Voici la marche que j’ai suivie : J’ai d’abord étudié la nature de la royauté, et constaté ses progrès dans l’ordre moral et dans l’ordre physique par l’histoire des progrès du pouvoir législatif, et par celle des accroissements du domaine royal. Suit l’exposé des rapports du roi avec les trois ordres de la nation, réunis pour la première fois dans des états généraux, puis avec chaque ordre séparément ; j’ai prouvé que le suffrage universel était le mode d’élection usité pour les députés du tiers état aux états généraux. J’ai ensuite fait pénétrer dans l’organisation de l’administration royale, puis passé successivement en revue la constitution du pouvoir central et les représentants du roi dans les provinces, l’organisation judiciaire, l’administration des finances, les revenus publics ordinaires et extraordinaires, les dépenses, les monnaies, le commerce et l’industrie, la guerre et la marine, la politique étrangère. Enfin la conclusion. Le volume est terminé par la liste officielle des villes et villages qui ont député aux états généraux de 1308, par le tableau des divisions administratives de la France, et par une liste des principaux documents inédits relatifs à l’administration de Philippe le Bel.
L’époque indiquée par l’Académie était admirablement choisie pour faire connaître les institutions gouvernementales au Moyen Âge. L’administration se fonde alors et se constitue telle qu’elle restera, sauf quelques modifications, jusqu’au seizième siècle. C’est le point d’arrivée de l’ère féodale et le point de départ du monde moderne. Je me suis fait une loi sévère de ne jamais franchir les limites du règne de Philippe le Bel, persuadé que mon travail n’aurait d’utilité qu’à condition d’offrir un terme de comparaison rigoureusement exact, qui permit de constater les progrès de nos institutions à différentes époques.
Pour arriver à ce résultat, je me suis exclusivement appuyé sur des documents officiels en grande partie inédits. J’ai consulté aux Archives de l’Empire les registres de la chancellerie, les layettes du Trésor des chartes, la série des diplômes royaux, les registres du parlement, de la chambre des comptes et de la cour des monnaies ; à la Bibliothèque Impériale, quelques registres de la chancellerie qui font lacune dans la collection des Archives, plusieurs comptes de recettes et de dépenses des bailliages, un journal du trésor inédit, les tablettes de cire renfermant la dépense de l’hôtel du roi.
Les livres imprimés m’ont offert aussi de grands secours, surtout le tome XXI du Recueil des historiens de France, publié par MM. de Wailly et Guigniaut ; les ordonnances du Louvre, le Spicilegium de d’Achery, le Thésaurus anecdotorum de Martène, les Archives de Reims de M. Varin, les histoires de provinces et de villes, principalement les Preuves de l’Histoire de Languedoc de D. Vaissète, et celles de l’Histoire de Nismes de Mesnard, etc. J’ai inséré les principaux documents inédits dont je me suis servi, dans le vingt-deuxième volume des Notices et Extraits des manuscrits publiés par l’Académie des inscriptions.
Je prie le lecteur de ne pas me reprocher de n’avoir pas tracé un tableau complet de l’état de la France à la fin du treizième siècle : telle n’était pas mon intention ; j’ai voulu seulement faire connaître l’organisation du gouvernement et son action sur la société française. Je ne parle pas des lettres, des sciences et des arts, parce qu’ils échappèrent entièrement à l’influence de Philippe le Bel. En outre, il eût été plus que téméraire d’aborder ce sujet, sachant que l’Académie avait chargé deux de ses membres les plus éminents de rédiger une introduction générale à l’Histoire littéraire de la France au quatorzième siècle, et que le discours sur l’état des lettres était confié à M. V. Leclerc, et celui des sciences et des arts à M. Ernest Renan.
Arromanches, 14 août 1861.
La royauté était moins faible qu’on ne le croit. – Elle représentait un principe. – Ce qu’elle gagna à entrer dans la féodalité. – L’absence de lois politiques écrites lui est favorable. – Progrès de la royauté depuis le douzième siècle. – La fin du treizième siècle est pour elle une époque critique et décisive. – Philippe la fait triompher et établit un gouvernement absolu.
En toutes choses et en tout temps, on doit éviter de confondre le fait avec le droit : cette distinction est surtout nécessaire quand on s’occupe de l’histoire du Moyen Âge, qui est l’époque où la force exerçait un empire presque souverain, et où l’abus, quand il pouvait prouver une longue existence, s’érigeait en droit. C’est pour avoir méconnu cette vérité et s’être laissé guider par les apparences, que l’on s’est fait de fausses idées sur la nature et l’essence de la royauté française entre le dixième et le treizième siècle. On l’a vue faible aux débuts de la troisième race, réduite à un rôle insignifiant, effacée par les grandes dynasties féodales qui l’entouraient, souvent vaincue, quelquefois à la veille de disparaître ; mais cette faiblesse était accidentelle et transitoire. Le pouvoir royal renfermait en lui des germes indestructibles de force et de grandeur capables de résister aux obstacles qui menaçaient de l’étouffer, et dont le développement, lent et timide pendant des siècles, devait prendre, à partir de Philippe-Auguste, un essor que rien ne pourrait plus arrêter.
La royauté, même dans les temps où elle paraissait le plus affaiblie, était entourée d’un éclat qui n’appartenait qu’à elle seule : elle jouissait auprès des classes inférieures d’un prestige qu’elle n’exerçait plus sur la noblesse. Le clergé venait journellement lui demander, comme à la source de la grâce et de la justice, la sanction de ses privilèges et la confirmation de ses richesses ; c’était dans le sein de l’épiscopat que le roi choisissait ses ministres. Cet appui de l’Église donnait à la couronne la force morale ; d’ailleurs le souvenir de l’ancienne royauté était vivace chez le peuple. Les chants populaires, les épopées, les légendes célébraient à l’envi Charlemagne, symbole glorieux d’un pouvoir qui depuis était bien déchu, mais qui laissait des regrets et donnait des espérances.
La royauté représentait, à partir du onzième siècle, une idée abstraite, vague et mal définie, il est vrai, mais qui se traduirait de nos jours par les mots de nationalité et de patrie.
La supériorité du roi était admise par le clergé, par le peuple : elle l’était aussi par la féodalité. En effet, il était placé au sommet du système féodal ; il était le chef seigneur, car tous relevaient de lui, étaient tenus de lui faire hommage et de lui jurer fidélité, tandis qu’il ne relevait de personne, fors de Dieu. La royauté était véritablement de droit divin et reconnue comme telle par la société féodale. En entrant dans la féodalité, elle acquit certains éléments de vitalité qu’elle n’avait pas sous les deux premières races, où elle était à chaque instant énervée par les questions de succession au trône et par les partages entre les différents enfants d’un même roi. À partir de Hugues Capet, elle suivit la loi des fiefs, bien qu’elle ne fût pas un fief, et se transmit héréditairement à l’aîné : l’observation de cette loi fut son salut.
Les droits de la couronne n’étaient fixés par aucune loi écrite ; il n’y avait non plus aucune charte, aucun code qui garantît les droits généraux de la noblesse et du tiers état. Seuls, les privilèges du clergé trouvaient leur sanction dans les bulles des papes, qui avaient force de loi dans toute la chrétienté ; et encore étaient-ce des privilèges particuliers, qui variaient suivant les provinces et même suivant les églises. Cette absence de lois écrites pour déterminer les droits et les devoirs politiques des différents corps qui constituaient la société fit la force de la royauté : elle lui permit d’étendre son autorité aux dépens de celle de la noblesse et du clergé, sans qu’on pût lui reprocher de violer un texte précis, ni lui opposer autre chose que des usages et des coutumes qui tiraient toute leur valeur de leur antiquité, dont la plupart étaient des abus, et qu’un jour il devait lui être permis de répudier au nom de la raison d’État et de l’intérêt national. Tant que le domaine royal fut restreint aux anciens fiefs des ducs de France, la couronne fut impuissante : ce ne fut que par suite de l’agrandissement successif du territoire soumis immédiatement à ses lois qu’elle put parler un langage plus digne d’elle : elle entra seulement au treizième siècle dans cette nouvelle phase de son existence. Deux faits mettent en mesure d’apprécier les progrès qu’elle fit entre le commencement du douzième siècle et le milieu du siècle suivant. Sous Philippe Ier, Louis le Gros fut obligé de recourir à la force des armes et à l’appui de ses autres vassaux pour contraindre le sire de Montmorenci à exécuter une sentence rendue par ses pairs. Cent cinquante ans après, saint Louis fit condamner à mort par sa cour un des premiers barons du royaume, le sire de Couci, coupable d’avoir exercé le droit de justice seigneuriale dans son fief. La noblesse fut réduite à reconnaître la validité de ce jugement, et à recourir aux prières et aux larmes pour fléchir le roi et en obtenir la grâce du condamné.
Le pouvoir royal, tel qu’il échut à Philippe le Bel, avait reçu de Philippe-Auguste et de saint Louis d’immenses accroissements. La France touchait alors à l’un de ces moments solennels dans la vie des peuples qui décident de leurs destinées. Le système féodal avait été comprimé avec l’aide du tiers état et du clergé : l’ancienne constitution était changée ; la nouvelle n’était pas encore fixée ; l’avenir dépendait de la conduite que tiendrait Philippe le Bel. On se trouvait devant cette alternative : ou la royauté, se dégageant de toutes les entraves, irait aboutir à la monarchie absolue ; ou bien l’aristocratie et le tiers état formeraient une alliance et seraient assez forts pour se faire appeler, comme en Angleterre, dans les conseils du monarque, et conquérir une part dans l’administration des affaires publiques. La vigueur et l’adresse de Philippe le Bel firent pencher la balance du côté de la couronne : avec lui commença la monarchie féodale absolue, qui subsista jusqu’au roi Jean, sans contrepoids ni dans le clergé, ni dans la noblesse, ni dans la bourgeoisie.
Les différentes parties de ce travail seront consacrées à montrer quelle fut l’action de ce roi sur les différents ordres de l’État en particulier, et sur les représentants de la nation entière, réunis pour la première fois dans les états généraux.
Avant d’entrer dans cet examen, je vais essayer de donner une idée des progrès généraux qui furent accomplis par la royauté sous Philippe le Bel. Ces progrès peuvent être constatés par deux séries de faits d’un ordre différent : les progrès matériels sont indiqués par l’accroissement du domaine de la couronne ; les progrès moraux par l’extension du pouvoir législatif. Les vicissitudes de la puissance législative sont en effet une excellente échelle pour mesurer les progrès de l’autorité royale, car le droit de faire des lois est la plus haute prérogative de la souveraineté.
Progrès matériels de la royauté constatés par l’accroissement du domaine de la couronne. – Que doit-on entendre par domaine ? – Philippe le Bel établit le retour à la couronne des apanages. – Domaines inaliénables. – État des possessions domaniales en 1285. – La reine Jeanne apporte en dot la Champagne, la Brie et la Navarre. – Règlement de la cession de certaines provinces de Guienne faite par saint Louis aux Anglais. – Acquisition du comté de Bigorre, de Montpellier, de la Franche-Comté, du comté de la Marche, d’une partie de la Flandre, de Mortagne. – Les pariages avec les seigneurs ecclésiastiques deviennent une nouvelle source d’accroissement pour le domaine. – Pariages avec des seigneurs laïques. – Les grands fiefs entre les mains du roi ou des princes du sang, sauf la Guienne et la Flandre. – Guerres de Philippe le Bel pour conquérir ces deux provinces.
Les accroissements du domaine royal furent immenses sous Philippe le Bel. On doit entendre par domaine royal non seulement les terres dont la propriété appartenait à la couronne, mais encore les pays soumis au roi de France sans qu’il y eût entre lui et ses vassaux de grand feudataire jouissant des droits régaliens. Le domaine avait toujours été en s’augmentant depuis Hugues Capet ; mais le malheur fut que les rois ne considéraient les pays soumis à leur obéissance immédiate que comme des propriétés privées qu’ils pouvaient partager entre leurs enfants. Les droits de la couronne ne leur semblaient pas diminués par ces aliénations, car ils conservaient la suzeraineté sur les provinces ainsi aliénées ; mais ils réduisaient leurs revenus, et, devenant moins riches, leur puissance politique diminuait. Il y avait pourtant un certain nombre de provinces qui étaient inséparables de la couronne, mais les rois disposaient presque toujours de leurs nouvelles acquisitions en faveur de leurs enfants. Louis VIII donna ainsi l’Anjou, la Saintonge, le Poitou et une partie de l’Auvergne à ses deux enfants puînés. Philippe le Bel comprit le danger de ces aliénations, et en atténua l’effet en établissant la réversibilité des apanages à la couronne, en cas d’extinction de la ligne masculine. Déjà, sous Philippe le Hardi, le parlement avait rejeté les prétentions du comte d’Anjou, qui demandait sa part de la succession d’Alphonse, comte de Poitiers et de Toulouse, en qualité d’agnat. Charles V institua le domaine de la couronne, et les provinces qui furent déclarées en dépendre devinrent partie intégrante du pouvoir souverain.
On connaissait, à la fin du treizième siècle, ce qu’on appelait les unions au domaine royal, qui avaient à peu près les mêmes effets que les unions à la couronne. Elles ne s’appliquaient pas à des provinces entières, mais seulement à certaines villes de frontière, surtout dans la Guienne.
Lorsque Philippe commença à régner, le domaine comprenait les comtés de Paris, de Corbeil, de Sens, de Melun, d’Étampes, le Vermandois, les comtés de Clermont, de Corbeil, de Meulan, le Vexin, la Normandie, la Touraine, Montargis, Gien, Pont-Sainte-Maxence ; les comtés de Bourges, de Mâcon, d’Auvergne, le Languedoc, le Rouergue, le Poitou, une partie de la Saintonge, du Querci et du Périgord. Il apportait du chef de sa femme la Champagne, la Brie, le comté de Bar et la Navarre ; mais il ne prit jamais le titre de roi de Navarre ni de comte de Champagne, et ne gouverna point seul les domaines de sa femme. Dans tous les actes relatifs aux pays de la dot de la reine, il spécifiait qu’il agissait avec le consentement de son épouse. La mort de Jeanne fit passer en 1304 ses vastes possessions à son fils aîné Louis le Hutin, qui s’intitula roi de Navarre.
Philippe mit fin en 1289, par un traité, au différend qui existait depuis plusieurs années entre les couronnes de France et d’Angleterre, au sujet d’une partie de la Guienne (l’Agenais et le Querci), qui avait composé la dot de Jeanne, sœur de Richard Cœur de lion, et femme de Raimond VI, comte de Toulouse. En 1259, saint Louis avait promis que ces provinces feraient retour au roi d’Angleterre si Alphonse, comte de Poitiers, mari de Jeanne, héritière du comté de Toulouse, décédait sans enfants. Alphonse étant mort sans postérité en 1271, Henri III réclama l’Agenais et le Querci. Un traité conclu en 1279 lui donna satisfaction pour l’Agenais, mais on ajourna la décision relativement au Querci. Enfin, en 1289, cette province fut unie au domaine, moyennant une rente de trois mille livres assignée en terres sur la même province, c’est-à-dire qu’on donna au roi d’Angleterre la seigneurie immédiate de fiefs produisant trois mille livres de revenu. La guerre qui éclata entre les deux rois peu après n’apporta aucune modification à cet arrangement, car à la paix on se rendit mutuellement les prises.
Voici quelles furent les principales accessions au domaine sous ce règne.
En 1285, Eschivat, comte de Bigorre, étant mort sans héritiers directs, sa succession, fut revendiquée par sept prétendants, au nombre desquels la reine de France. Le comté fut mis en séquestre. La reine en fit hommage par procureur à l’évêque du Puy, dont il relevait, et le parlement de Paris lui donna gain de cause en 1303. Enfin, en 1307, l’évêque du Puy renonça à sa suzeraineté moyennant une rente de trois cents livres. En 1291, Philippe acquit Beaugency. En 1293, il acheta à l’évêque de Maguelone le fief de Montpellier, dont relevait la ville de Montpellier appartenant au roi de Majorque, qui ne fut point dépouillé, ainsi que l’a prétendu M. Michelet, mais qui prêta hommage désormais au roi au lieu de le prêter à l’évêque.
Philippe acquit le domaine direct de la Franche-Comté. Dans un traité conclu à Vincennes, en 1291, Othon, comte de Bourgogne, promit au roi, pour un de ses fils, sa fille qui était en même temps son héritière. Philippe, impatient de jouir de cette belle province, en obtint la possession immédiate moyennant une rente viagère donnée au comte. Les vassaux de Franche-Comté résistèrent, à l’instigation de l’empereur et du roi d’Angleterre ; mais, abandonnés à leurs seules forces, ils se soumirent en 1301. La Franche-Comté resta fief impérial, et, en 1311, Henri VII reconnut Philippe le Long en qualité de comte de Bourgogne, à condition qu’il ferait hommage à l’Empire.
En 1302, Philippe acheta au comte de Périgord les vicomtés de Lomagne et d’Auvillars.
En 1308, les comtés de la Marche et d’Angoulême et la seigneurie de Forges furent réunis au domaine après la mort de Hugues le Brun, décédé sans héritier mâle : les collatéraux furent indemnisés.
La couronne fit d’importantes acquisitions en Flandre. Le comte Gui de Dampierre ayant voulu marier sa fille au fils du roi d’Angleterre, sans demander la permission de Philippe, celui-ci attira le comte et sa fille à Paris et les tint prisonniers. Quelque temps après, il donna la liberté au père, qui prit les armes et n’éprouva que des revers. La Flandre fut réunie à la couronne et administrée par des officiers du roi. La tyrannie du gouvernement français excita une révolte. Les Flamands se soulèvent : ils triomphent à Courtrai, mais voient leurs espérances ruinées par la bataille de Mons en Puelle. Le comte s’engage à payer annuellement une somme de vingt mille livres tournois, et donne en garantie Lille, Douai, Cassel et Courtrai (1304). En 1305 il racheta, moyennant six cent mille livres comptant, 10 000 livres de rente ; le roi lui donna quittance du reste moyennant la cession de Lille, de Douai et de Béthune, avec faculté de rachat, faculté à laquelle il fit plus tard renoncer le comte Robert de Flandre.
En 1313, ce fut le tour de la seigneurie de Mortagne et de la châtellenie de Tournai, la ville de Childéric, qu’il confisqua sous prétexte de la félonie de Marie, dame de ces lieux : il donna pourtant à Baudouin de Mortagne, son héritier, une rente de huit cents livres.
À côté de ces acquisitions directes il y avait les pariages, qui accroissaient les revenus et le pouvoir du roi. Les églises, sentant le besoin de protection, associaient le roi aux revenus et à la juridiction de la totalité ou d’une partie de leurs domaines, dont le roi devenait coseigneur, et qui étaient administrés alternativement par les agents royaux et par les agents des églises. L’autorité royale s’insinua par cette voie dans toutes les provinces.
Les grands feudataires jouissant des droits régaliens étaient peu nombreux : c’étaient le duc de Bretagne, le comte de Flandre, qui possédait aussi le comté de Nevers, le duc de Bourgogne et le roi d’Angleterre, duc de Guienne. Le comté de la Marche ayant fait retour à la couronne, Philippe le Bel le donna en apanage à son troisième fils ; le Poitou fut aussi constitué en apanage au profit de Philippe le Long, son second fils. Un autre feudataire puissant, mais qui devait sa grandeur à Philippe le Bel, c’était son frère Charles, qui, outre le comté de Valois, reçut successivement l’Anjou, le Maine, le Perche et le comté d’Alençon. Les autres membres de la famille royale étaient le comte d’Évreux, frère du roi ; le comte d’Artois, petit-fils de saint Louis ; le comte de Clermont, marié à l’héritière de Bourbon. Les ducs de Bretagne et de Bourgogne et le comte de Foix étaient entièrement dévoués. Restaient donc, pour contrebalancer l’autorité royale, le roi d’Angleterre, duc de Guienne, et le comte de Flandre.
Philippe le Bel entama la lutte contre eux. Il conquit une partie de la Flandre, et, s’il ne put conserver la Guienne, qu’un arrêt du parlement avait confisquée, il indiqua du moins à Charles V la voie qu’il devait suivre pour annexer l’Aquitaine au domaine.
Dans cette rapide extension de la France royale, on doit voir autre chose que de l’habileté de la part de la monarchie : il y eut du bonheur. Les vieilles dynasties féodales s’éteignaient d’elles-mêmes, comme pour faciliter l’œuvre de la formation de la France moderne. Mais, on doit aussi le reconnaître, la royauté sut tirer un admirable parti des circonstances favorables que lui offrit la Providence. Elle ne négligea rien pour étendre son autorité ou son influence là où elle ne régnait pas encore de fait, et pour faire franchir à ses lois et à ses ordonnances les barrières que lui opposaient les fiefs des grands vassaux, préludant ainsi par l’unité du commandement à l’unité territoriale qui ne devait venir que plus tard.
Les vicissitudes du pouvoir législatif peuvent servir à mesurer les progrès de la royauté. – Quelle était, à la fin du treizième siècle, la puissance législative du roi ? – Réfutation d’une opinion émise récemment. – Le roi avait deux pouvoirs législatifs différents comme roi et comme possesseur de fief. – Histoire de la puissance législative de roi depuis Philippe-Auguste. – Les ordonnances générales ne sont exécutées d’abord par les barons que de leur consentement. – Le consentement de certains barons jugé plus tard suffisant pour entraîner l’exécution forcée des ordonnances royales. – Le droit de faire des ordonnances attribué au parlement, puis au conseil. – Philippe le Bel invoque la plénitude de l’autorité royale. – Participation du tiers état à la rédaction de certaines ordonnances, surtout concernant les monnaies. – Causes de l’extension du pouvoir législatif du roi. – Fausses applications du droit romain et du droit féodal par les légistes pour amener ce résultat.
On n’est pas d’accord sur la question de savoir si la royauté était en possession, au treizième siècle, du pouvoir législatif ; grave question qui mérite d’être éclaircie. Est-il vrai, comme l’a prétendu récemment un savant publiciste, que dans tout le courant de ce siècle la royauté ait été complètement privée du pouvoir de faire des lois, et que, pendant cette période, on ne trouve parmi les documents en apparence législatifs que des règlements proprement dits de police, des reconnaissances de faits accomplis, des constatations de coutumes, enfin des voies et moyens nouveaux pour la meilleure observation des coutumes ? N’y a-t-il donc que trois documents susceptibles d’être considérés comme de véritables actes de législation : 1° rétablissement relatif au douaire coutumier de la femme mariée, que l’on rapporte à l’année 1214, et dont le texte est perdu ; 2° l’ordonnance touchant l’attribution des conquêts au mari, en cas de décès de sa femme sans enfants (1219) ; 3° les lettres patentes créant pour les propriétaires de maisons à Paris un cas spécial d’expropriation (mars 1287) ?
Il faut d’abord s’entendre sur la portée du mot document législatif. En laissant de côté le droit des gens et le droit naturel, on trouve que les lois se divisent en lois politiques et en lois civiles : les unes règlent les rapports des citoyens avec le gouvernement, la forme de l’administration ; les autres président aux rapports des particuliers entre eux. Les premières forment le droit public, les secondes le droit privé d’une nation. Il n’est point possible de restreindre le nom de loi aux lois civiles. L’autorité, dont émanent les lois civiles et les lois politiques, constitue le pouvoir législatif, et ce pouvoir appartenait sans conteste à la royauté à la fin du treizième siècle, mais dans une certaine mesure et à certaines conditions.
Dans le système féodal, la souveraineté ne résidait pas uniquement dans le roi ; elle appartenait aussi aux feudataires dans leurs fiefs. « Chacun des barons, dit le jurisconsulte Beaumanoir, qui écrivait sous Philippe III, est souverain dans sa baronnie. » Alors souveraineté était synonyme de supériorité ; le roi était souverain par-dessus tous, et cette supériorité sur des souverains répondait à la souveraineté, telle que nous l’entendons. Sous Philippe le Bel, le mot souveraineté était déjà employé dans le sens que nous lui donnons. Le roi avait deux qualités : il était à la fois roi et possesseur de fiefs. À chacune de ces qualités était attaché un pouvoir législatif différent, l’un partagé avec les barons, l’autre unique et royal. Beaumanoir est explicite à cet égard. Les établissements de saint Louis nous montrent les barons faisant des bans ou ordonnances dans leurs fiefs sans le consentement du roi, et le roi promulguant des règlements dans son domaine sans que les barons fussent astreints à s’y conformer. Toutefois, en vertu de son titre de garde général du royaume, le monarque pouvait faire des lois générales ou établissements, et il pouvait les faire, dit Beaumanoir, tels qu’il lui plaisait pour le profit commun ; et ce qu’il ordonnait devait être observé.
Ce droit que Beaumanoir reconnaissait aux rois de France était encore, quand ce jurisconsulte écrivait, en 1284, une théorie de légistes ; mais il devait bientôt devenir une réalité. Les lois d’un intérêt général devaient être en principe consenties par les barons, mais le nombre des feudataires qui devaient être appelés pour donner leur consentement ne fut pas fixé, et la royauté mit à profit cette absence de règles pour supprimer l’obligation du consentement des barons ou du moins la rendre illusoire en l’éludant. Mais pour arriver à ce résultat, que de précautions, de subtilités il fallut, en même temps que de force réelle. L’ordonnance de saint Louis abolissant le duel ne fut pas exécutée dans les domaines des grands vassaux. Toutefois, le pouvoir législatif reçut de profondes modifications sous ce roi. Les séances de la cour du roi devinrent régulières. Le parlement était composé de prélats et de barons choisis il est vrai par le prince ; mais comme les grands et les évêques avaient droit d’y prendre séance, il passa pour représenter la noblesse et le haut clergé. Il reçut en conséquence le pouvoir de faire des ordonnances générales ; mais ce pouvoir il ne l’exerça, à partir du règne de Philippe le Bel, que dans certaines limites.
Jusque-là la cour du roi avait réuni des attributions judiciaires, administratives et législatives ; le roi mit un terme à cette confusion en délimitant les fonctions de chacune des sections de sa cour : le parlement proprement dit rendit la justice, la chambre des comptes contrôla la perception de l’impôt et l’emploi des deniers de l’État, le conseil prépara les lois et les règlements d’administration publique. Ces trois corps reçurent une existence indépendante. Le parlement ne fut plus consulté que pour la rédaction des ordonnances concernant la justice. Le pouvoir législatif résida dans le conseil composé des confidents du roi.
Le droit de réglementer les monnaies dans toute l’étendue du royaume avait toujours été reconnu au roi, Philippe en abusa. Il fit aussi des lois somptuaires, qui étaient applicables aux barons. Mais ce n’était pas une nouveauté, il suivait l’exemple de son père. Une grande ordonnance de 1303, pour la réformation du royaume, est un des actes les plus importants de ce règne. Toutefois ce document, rédigé à une époque où Philippe avait tout le monde à ménager, ne consacrait point les conquêtes de la royauté, mais les franchises des seigneurs et surtout du clergé. Les rapports de l’État avec l’Église y furent réglés, mais uniquement pour les matières temporelles ; aussi la noblesse et le clergé exigèrent-ils plusieurs fois la confirmation de ce qui était une sorte de grande charte. Pendant tout le quatorzième siècle, les agents royaux devaient en jurer l’exécution. Elle fut confirmée par Louis X et par le roi Jean. Elle fut pendant un siècle considérée comme le code des libertés publiques.
Philippe le Bel rendit ordonnances sur ordonnances. Les guerres qu’il eut à soutenir lui donnèrent l’occasion d’étendre les prérogatives royales. En temps de guerre, le salut commun était la loi suprême, et il appartenait au roi de prendre les mesures propres à assurer la défense de la patrie. Mais cette autorité illimitée n’était acceptée qu’en temps de guerre : Philippe en fit l’épreuve.
En 1311, dans un mandement adressé à tous les barons et nobles de France, il leur défendit, sous la foi qu’ils lui devaient et sous toutes les peines qu’il pourrait leur infliger, de porter les armes ou de faire des tournois à l’avenir, et cela sans le conseil de personne, en vertu de son droit de roi. On était alors en paix ; il n’y avait pas à invoquer pour excuse le besoin de suspendre à l’intérieur les hostilités pour reporter contre l’ennemi toutes les forces de la nation. Le roi agissait en sa seule qualité de roi, mais c’était trop tôt ; on n’était pas encore arrivé au gouvernement du bon plaisir. Philippe avait pu attaquer impunément et sans avoir de contradicteurs le clergé, en lui interdisant les fonctions civiles, et la noblesse par l’établissement des bourgeoisies du roi. Ces atteintes étaient graves, mais les conséquences n’en furent pas aperçues tout d’abord. Il finît par pousser la noblesse à la révolte. Cependant, il avait le premier osé invoquer la plénitude de l’autorité royale et proclamé le principe de la souveraineté, dont ses successeurs tirèrent un grand parti pour légitimer leurs volontés.
Les barons n’étaient pas les seuls qui prissent part en certaines circonstances au gouvernement du royaume. Le clergé avait ses assemblées dans lesquelles il décidait des questions de discipline ecclésiastique et votait librement des subsides pour la défense de la patrie. Les conciles provinciaux devinrent même souvent, par suite de l’adjonction de laïques, de véritables assemblées politiques où se traitèrent des questions d’intérêt public. La levée des impôts extraordinaires devait être précédée du consentement de certaines personnes.
Le peuple lui-même, du moins la bourgeoisie, avait vu plus d’une fois quelques-uns de ses membres siéger dans les conseils du roi ou des grands vassaux. Les rois du Moyen Âge n’avaient ni n’affectaient de dédain pour les bourgeois. Philippe-Auguste, en partant pour la croisade, en l’an 1190, ordonna d’établir dans chaque prévôté quatre prud’hommes, sans l’avis desquels les officiers royaux ne pouvaient prendre aucune décision relativement à l’administration des villes. Ces députés des villes se rendaient tous les quatre mois à Paris, aux grandes assises tenues par la reine et par l’archevêque de Reims, pour y rendre compte de leur gestion et exposer les besoins de leur localité. Les six bourgeois, établis à Paris par Philippe-Auguste lui-même, assistaient au conseil de régence et avaient la garde du sceau de l’État. Le roi ne pouvait trouver du reste des conseillers plus fidèles et plus surs : c’était là une confiance bien placée.
Les bourgeois de certaines villes étaient aussi consultés pour la rédaction des ordonnances concernant les monnaies. En 1263, saint Louis ordonna que les monnaies seigneuriales auraient un type différent de celui des monnaies royales : l’ordonnance qui prescrivit cette mesure importante fut rendue à Chartres, avec le concours de citoyens de Paris, de Provins, d’Orléans, de Sens et de Laon. Lorsqu’en 1303, Philippe le Bel, cédant aux justes réclamations du peuple, promit de ne plus altérer la monnaie et de la rétablir sur l’ancien pied, il réunit, pour déterminer le poids et l’aloi des nouvelles pièces qu’on allait frapper, une assemblée composée des maîtres des monnaies et d’un grand nombre de « bonnes gens des bonnes villes du royaume ». En 1309, il manda « de plusieurs bonnes villes deux ou trois prud’hommes, qui se connaissaient au fait des monnaies, pour avoir conseil et délibération de mettre et faire revenir les monnaies au point et en l’état où elles étaient du temps de monseigneur saint Louis ». En 1314, il réunit pour le même motif des bourgeois de quarante et une des principales villes. Ces députés donnèrent leur avis, qui nous a été conservé.
Dans quelques provinces, principalement dans le Midi, le tiers état était consulté et siégeait dès le treizième siècle à côté des deux autres ordres ; mais, sauf pour les impôts, c’était bénévolement et pour s’éclairer que l’on consultait les membres du tiers état.
Un droit exclusivement royal, et appartenant en propre à la souveraineté, était celui d’accorder des lettres de légitimation. On trouve sous Philippe le Bel un certain nombre de ces actes que notre législation moderne ne permettrait pas, car il s’agissait de donner le rang d’enfants légitimes à des individus dont les parents n’avaient jamais été unis en mariage, à des enfants de prêtres et au fruit de l’adultère.
Un autre droit, qui cessa dès lors d’être partagé par les feudataires, était celui de grâce, qui s’exerçait au moyen de lettres de rémission et d’abolition ; les unes remettaient la peine encourue, les autres dispensaient du jugement. Ces lettres, qui sont assez rares dans les registres de la chancellerie du temps de Philippe le Bel, mais qui abondent sous les règnes suivants, sont les témoins irrécusables de la barbarie des mœurs du Moyen Âge, époque où les querelles étaient presque toujours ensanglantées. Le droit de grâce entraînait de grands abus, car il ne s’appliquait pas aux crimes commis avec ce que nous appelons des circonstances atténuantes, mais à tous ceux dont les auteurs étaient assez riches pour se faire délivrer des lettres de rémission, dont l’obtention était presque toujours accompagnée du payement d’une forte somme d’argent.
En définitive, le pouvoir de faire des lois générales ou établissements résida en fait, sous Philippe le Bel, entre les mains du roi, sans autre condition que d’être exercé avec prudence, quand il s’agissait de la noblesse. L’administration intérieure du domaine était réglée par des ordonnances rendues sans contrôle : il faut excepter le droit de lever des impôts, droit qui participait du pouvoir législatif, puisqu’il ne pouvait être exercé qu’en vertu d’une loi ; mais en principe, cette loi devait être faite, ainsi que je l’ai déjà dit et comme je le montrerai plus loin, avec le concours ou du moins l’assentiment des contribuables.
L’extension du pouvoir législatif de la royauté fut facilitée par la diffusion des principes du droit romain dans le nord et dans le midi de la France. À l’école d’Orléans, où l’on expliquait le Digeste en français, les étudiants apprenaient cette maxime qu’ils allaient porter dans les cours des seigneurs : « Ce qui plait au prince vaut loi, ausinc come se toz li peuple donoit tout son poer et son commandement à la loi que li roi envoie. » Telle est l’origine de l’adage : Que veut le roi, si veut la loi. Et cependant cette application des lois romaines était fausse ; car, à Rome, la volonté de l’empereur avait force de loi, en vertu de la délégation que le peuple était censé avoir faite de son pouvoir au prince, par la loi regia.
Or, le pouvoir législatif du roi de France ne tirait dans l’opinion de personne son origine de la volonté populaire, puisque la souveraineté du peuple n’était pas la base du gouvernement ; mais les légistes se servirent des textes du Digeste pour affranchir le roi de l’obligation où il se trouvait de faire sanctionner les lois pour qu’elles fussent exécutoires dans le royaume ; sanction que, d’après le droit féodal, on devait demander aux barons ; sanction qu’on s’abstint de demander ou qu’on ne demanda qu’à quelques-uns, et qu’on finit par regarder comme acquise tacitement, d’après la maxime : « Qui ne dit rien consent ». Ce qui fut ainsi formulé par Beaumanoir :
« Quand li roys fait aucun establissement, espécialement en son domaine, si barons ne laissent pour ce à user en leurs terres selon les anciennes coutumes ; mais quand li establissement est généraux, il doit courre par tout le royaume, et nous devons savoir que tels establissements sont faits par très grand conseil, pour le quemun profict ».
Coup d’œil sur les origines du système représentatif. – Les états généraux sont une nouveauté sous Philippe le Bel. – États présumés de 1290, inconnus jusqu’ici. – Les premiers états généraux bien constatés convoqués en 1302, à propos de la querelle du roi avec Boniface VIII.– Récit de la séance du 10 avril dans l’église Notre-Dame de Paris. – Lettres adressées par les trois ordres séparément. – Prétendu cahier des états. – Philippe le Bel ne demande pas de subside aux états généraux.
C’est un fait généralement reconnu que Philippe le Bel est le premier roi de France qui ait convoqué les états généraux du royaume, composés des trois ordres, du clergé, de la noblesse et du tiers état ; mais ce que l’on sait de ces assemblées se réduit à peu de chose. On ignore le mode de convocation et de nomination des membres des différents ordres, surtout du tiers état, ainsi que la forme et souvent même le résultat des délibérations. Les témoignages des contemporains qui nous ont été transmis sur ce sujet sont vagues, insuffisants et quelquefois contradictoires. Il semble pourtant qu’un évènement aussi considérable que la réunion des représentants de la nation ait dû produire une vive impression et laisser des souvenirs durables. Il ne paraît pas en avoir été ainsi. Parmi les chroniqueurs du temps, les uns gardent le silence ; d’autres mentionnent ces assemblées sans étonnement et sans avoir l’air d’y attacher d’importance. Des historiens éminents, notamment M. de Sismondi, se sont autorisés de cette circonstance pour nier l’existence des états généraux sous Philippe le Bel. D’autres écrivains ont tiré une conclusion tout opposée : le peu de retentissement qu’eurent ces états, les premiers dont l’histoire fasse mention, est à leurs yeux un indice qu’ils ne constituèrent pas une nouveauté. Cette opinion est spécieuse ; toutefois on ne l’a jusqu’ici appuyée sur aucun fait certain, et elle est restée à l’état de conjecture.
L’étude attentive des monuments déjà connus et de documents encore inédits nous a permis de jeter quelque jour sur cette grave question, de démêler l’origine des états généraux, de déterminer leur rôle sous Philippe le Bel, et de montrer, ce qu’on était loin de supposer, le suffrage universel appelé, dès le commencement du quatorzième siècle, à désigner les députés du tiers état.
On rattache communément les états généraux aux assemblées mérovingiennes et carlovingiennes du champ de mars ou du champ de mai ; on cite la Germante de Tacite ; on invoque les représentants des sept provinces de la Gaule convoqués en 418, dans la ville d’Arles, par l’empereur Honorius. Avec cette méthode, on constate l’existence sans interruption du système représentatif depuis l’origine de la monarchie ; mais tout ce raisonnement pèche par la base. Les plaids de la première race étaient plutôt des rendez-vous militaires que des assemblées législatives. Les décisions qui y étaient promulguées étaient prises sur l’avis des leudes, et le peuple n’avait d’autre droit que celui de les sanctionner par ses acclamations.
Charlemagne organisa les assemblées du peuple ; les règlements qu’il fit à cet égard nous sont parvenus et font connaître qu’elles devinrent entre ses mains un instrument de gouvernement. Il leur demanda non des lois mais des avis, et encore il ne consulta que les grands et les prélats. L’établissement du régime féodal mit fin à ces cours plénières, dont le souvenir resta gravé pendant longtemps dans la mémoire du peuple. Le grand mouvement communal du douzième siècle marqua le réveil du tiers état ; en même temps le pouvoir royal se relevait avec peine, mais la lenteur de ses progrès fut un gage de leur durée.
Nous avons fait voir dans le livre précédent que la noblesse, le clergé et le tiers état participaient au gouvernement ; que les différents ordres de l’État étaient souvent convoqués séparément pour donner des conseils ou même pour statuer sur des affaires importantes ; mais Philippe le Bel conçut le premier l’idée de réunir les états généraux, et, chose singulière, il le fit de son propre mouvement et dans la plénitude de l’autorité. Ce ne fut pas de sa part une concession arrachée par la violence ou par le besoin d’argent : non, ce fut volontairement qu’il s’adressa à toutes les classes de la nation. Ce fut donc un fait nouveau dans l’histoire que la convocation de tous les ordres de l’État ; toutefois, je le répète, la nouveauté ne consista pas à consulter les différents ordres, mais à les convoquer simultanément.
Les plus anciens états généraux que l’on connaisse sont de l’année 1302 ; néanmoins, une bulle du pape Nicolas IV peut faire supposer que des états furent réunis en 1289 ou au commencement de l’année suivante ; le pape écrivait, le 23 mars 1290, à Philippe le Bel, qu’il avait donné audience à ses ambassadeurs et aux députés de la noblesse et des communes du royaume de France. Quel était l’objet de cette ambassade ? On l’ignore ; mais comme elle eut pour résultat l’envoi par le pape de deux cardinaux, qui mirent fin à la guerre que la France soutenait depuis plusieurs années contre l’Aragon, il est probable que les envoyés français dont parle Nicolas IV avaient pour mission de fléchir le saint-siège, qui jusqu’alors s’était opposé à tout accommodement. En effet, la guerre d’Aragon avait été entreprise par Philippe III, à la sollicitation du pape Martin IV, qui avait déclaré don Pèdre déchu et donné sa couronne à Charles de Valois, second fils de Philippe le Hardi. Les Aragonais avaient pris fait et cause pour leur souverain légitime et supporté pendant plus de six années, sans se décourager, le poids des armes du roi de France et des excommunications de Rome. Philippe le Bel se lassa d’une guerre qui épuisait son royaume pour donner un trône à son frère ; mais le pape tenait bon. Ce fut sans doute pour le faire céder qu’il lui envoya une ambassade changée de lui exprimer non seulement la volonté royale, mais encore celle de la nation et ses vœux pour la paix. L’envoi de cette députation suppose une assemblée, sinon d’états généraux, du moins de notables pris dans le sein de la noblesse et du tiers état. J’ai cru devoir recueillir cette indication, quoique bien incomplète, parce qu’elle fait connaître un fait qui était passé inaperçu jusqu’ici. Tout ce qui regarde les origines de la représentation nationale doit nous intéresser, et il n’est pas permis de négliger aucune lumière, si faible qu’elle soit, susceptible d’éclairer cette importante question.
Nous voici arrivés enfin aux premiers états généraux.
La lutte était engagée depuis quelques années entre Boniface VIII et Philippe le Bel. On trouvera plus loin le récit de cette querelle mémorable : il suffira pour le moment de dire qu’il s’agissait de savoir si le pouvoir royal devait être soumis au pape. Boniface VIII, dans une bulle célèbre commençant par ces mots : Ausculta, fili, avait proclamé la suprématie du saint-siège sur les rois.
À la réception de cette bulle, Philippe sentit son pouvoir ébranlé s’il laissait passer sans une éclatante protestation les prétentions de Boniface : il convoqua les premiers états généraux sur lesquels on possède des renseignements précis. Il envoya aux nobles, aux églises et aux villes du royaume des lettres où il exprimait le désir de délibérer avec ses prélats, ses barons et ses autres fidèles sur certaines affaires qui intéressaient au plus haut degré le roi, le royaume, les églises, tous et chacun. Les barons, les évêques, les abbés, les prévôts et les doyens de chapitre durent comparaître personnellement : les communes furent représentées par des députés. Chaque cité reçut l’ordre d’envoyer à Paris deux ou trois des principaux citoyens, le dimanche avant les Rameaux (8 avril) 1302. L’assemblée ne se tint que le mardi suivant, 10 avril, dans l’église Notre-Dame, en présence du roi.
Pierre de Flote accusa Boniface, mais ne donna pas lecture de la bulle Ausculta, fili. On avait répandu dans le public une bulle qui commençait ainsi : « Apprends que tu nous es soumis au spirituel et au temporel. » Boniface VIII nia énergiquement être l’auteur de cette bulle, et les cardinaux confirmèrent son assertion ; le faux est évident.
Pierre de Flote dépeignit Boniface VIII comme réclamant la suprématie temporelle sur le roi. Philippe fit demander aux évêques et aux nobles de qui ils tenaient leurs fiefs : ils répondirent unanimement qu’ils les tenaient de lui. Il prononça ensuite un discours et dit que ses prédécesseurs, après avoir conquis le royaume sur les barbares par leur vaillance et avec l’aide de leurs compagnons, l’avaient gouverné et tenu de Dieu seul. Pour lui, qui leur avait succédé par la volonté divine, désireux de marcher sur leurs traces, il était prêt à sacrifier tous ses biens, même sa vie, pour conserver intacte l’indépendance du royaume. Puis, faisant allusion aux prélats convoqués à Rome par Boniface, il protesta que ceux qui enfreindraient ses ordres pour se rendre à ceux du pape, il les regarderait comme ses ennemis personnels.
Après ce discours, les nobles se réunirent et délibérèrent. Robert, comte d’Artois, oncle du roi, fut chargé de porter la parole au nom de la noblesse, et déclara que les nobles du royaume étaient disposés à mourir pour défendre la couronne.
Les trois ordres écrivirent séparément : le clergé au pape, la noblesse et le tiers état aux cardinaux ; ces derniers affectèrent de ne pas donner le titre de pape à Boniface. La lettre de la noblesse fut souscrite par les comtes d’Évreux et d’Artois, les ducs de Bourgogne, de Bretagne, de Lorraine ; les comtes de Hainaut, de Luxembourg, de Saint-Pol, de Dreux, de la Marche, de Boulogne, de Nevers, d’Eu, de Comminges, d’Aumale, de Forez, de Périgord, de Joigny, d’Auxerre, de Valentinois, de Sancerre et de Montbéliard ; par le sire de Coucy, Geoffroide Brabant, le connétable Raoul de Clermont, les sires de Châteauvilain, de l’Ile-Jourdain, d’Arlai, de Châteauroux, de Beaujeu, et par le vicomte de Narbonne. Je n’ai pu trouver la lettre du tiers-état. Je ne veux pas raconter en détail ce qui se passa dans cette assemblée : ce récit trouvera sa place lorsque je serai arrivé à l’histoire du différend de Boniface VIII avec Philippe le Bel : je me bornerai à mettre en lumière le mécanisme des états généraux et à faire connaître les décisions qui furent prises dans leur sein ; plus loin j’apprécierai leur rôle politique et l’influence qu’ils exercèrent.
Il nous est parvenu une supplique, adressée à Philippe le Bel par le peuple de France, qui débute ainsi : « À vous, très noble prince, notre seigneur, par la grâce de Dieu, roi de France, supplie et requiert le peuple de votre royaume, pour ce qu’il lui appartient que ce soit fait, que vous gardiez la souveraine franchise de votre royaume, qui est telle que vous ne reconnaissiez de votre temporel souverain en terre fors que Dieu, et que vous fassiez déclarer, pour que tout le monde le sache, que le pape Boniface erra manifestement et fit péché mortel en vous mandant qu’il était votre souverain de votre temporel, etc…. »
Ce début a fait croire que ce document avait été présenté aux états de 1302, et que c’était le cahier du tiers état ; mais la lecture du reste de la requête ne permet pas d’adopter cette opinion : c’est un pamphlet qu’on peut vraisemblablement attribuer à un avocat nommé Pierre Dubois, qui remettait de temps à autre au roi des mémoires et des factums sur les plus graves questions d’administration et de politique, et qui paraît avoir été employé par ce prince pour exercer sur le public, par ses écrits, une influence au profit du gouvernement. Aucun document contemporain n’apprend qu’il ait été demandé de subsides aux états de 1302.
La même année, la guerre recommença avec les Flamands, que l’impolitique conduite des agents de Philippe le Bel avait forcés à se révolter. Cette lutte terrible, dans laquelle les Flamands combattaient pour leur liberté, devait épuiser la France. L’armée royale subit à Courtrai un de ces désastres qui se renouvelleront à Créci, à Poitiers, à Azincourt, mais tel qu’on n’en avait pas encore vu. Il fallait des hommes et de l’argent : Philippe trouva les deux sans recourir aux états généraux. Il ressuscita ces levées en masse qui avaient cessé d’être en usage depuis Charlemagne ; il remit en vigueur le devoir de chacun, noble ou vilain, de concourir à la défense de la patrie menacée, et ordonna à tous ceux qui avaient cent livres en meubles de marcher contre l’ennemi, ou de se racheter moyennant une somme qui variait, mais qui consistait au moins dans le cinquantième des biens.
Un concile général, réuni à Rome par Boniface VIII, rendit, le 18 novembre, un décret qui consacrait la suprématie des papes. À la nouvelle de cette décision, Philippe comprit qu’il était urgent d’agir : il convoqua successivement plusieurs assemblées de prélats et de barons, afin d’aviser au parti à prendre pour maintenir la dignité de sa couronne. On trouve une de ces assemblées à la date du 17 janvier 1303 ; une autre se tint le 20 du même mois ; une troisième le 12 mars. Dans cette dernière, Guillaume de Nogaret accusa Boniface VIII d’usurpation, de tyrannie et de mauvaises mœurs, et demanda la permission de le poursuivre.
Prétendus états de 1303. – Appels au futur concile. – Il n’y eut pas d’états généraux en 1303. – Examen critique des chroniqueurs contemporains. – Erreur du continuateur de Nangis. – Procès-verbal officiel de l’assemblée des 13 et 14 juin au Louvre. – Ce n’était qu’une assemblée de notables. – Le roi y appelle au futur concile. – Des commissaires vont recueillir dans les provinces les adhésions des nobles, du clergé et des communes. – États provinciaux convoqués dans le Midi. – Pourquoi Philippe le Bel ne convoqua pas les états généraux dans cette circonstance.
Le dernier historien des états généraux place au 23 juin 1303 la tenue de nouveaux états, convoqués par lettres royales datées de Neufmarché-sur-Epte, le 30 novembre 1302. Je ferai d’abord remarquer qu’il est peu vraisemblable que le roi ait convoqué six mois à l’avance les états. Les autres convocations faites sous Philippe le Bel précédèrent de fort peu de temps la réunion, et cela se comprend aisément, car les états étaient assemblés pour décider des affaires qui demandaient une prompte solution. Les villes du Midi furent convoquées aux états de 1302 pour le 10 avril, par lettres datées du 10 février de la même année. Les convocations pour les états de 1308, qui se tinrent le 10 juin, furent faites entre le 25 et le 30 mars. En outre, les états de 1303 furent réunis pour procéder à l’accusation et à la citation de Boniface VIII devant un concile ; or, à la fin de novembre 1302, le différend entre le roi et le pape n’était pas encore arrivé à un degré de gravité qui motivât une résolution aussi violente, de la part de Philippe, que celle de traduire son rival comme hérétique et usurpateur devant l’Église universelle. Le texte des lettres du 20 novembre s’applique à une des assemblées de notables tenues au mois de janvier. Enfin, le 13 juin, s’ouvrit au Louvre, dans la salle du Roi, une grande assemblée. Je ne crois pas qu’on puisse y voir des états généraux, et voici sur quoi je me fonde. Pour les états de 1303 et de 1308, on a un certain nombre de textes appartenant soit à des historiens, soit à des actes authentiques, pour constater la nature véritablement représentative de ces assemblées ; pour celle de 1303, on invoque un seul passage du continuateur de Guillaume de Nangis, dans lequel il est dit que le roi convoqua au Louvre « omnes barones et milites atque totius regni Franciæ magistratus, cum majoribus prelatis et minoribus universis. » On a traduit magistratus par députés du tiers état, et on a eu raison ; mais ce passage se rapporte à l’année 1302. Il se trouve dans les éditions de Nangis qui le renferment, sous la rubrique de l’année 1301, année à laquelle appartenait, selon l’ancienne manière de compter, le mois d’avril 1302, qui vit la réunion des premiers états de Notre-Dame. Toutefois le continuateur de Nangis parle, sous l’année 1303, d’un grand parlement réuni à Paris, où figurèrent les prélats, barons, chapitres, couvents, collégiales, communes et communautés de villes du royaume, maîtres en théologie, professeurs en droit canon, et des personnes instruites tant de France que d’autres royaumes. On y résolut d’appeler du pape au futur concile. Ce texte est précis ; le chroniqueur raconte une assemblée qui présente tous les caractères des états généraux. Cependant, malgré ce témoignage, la convocation d’états généraux au mois de juin 1303 n’est pas admissible. J’invoquerai d’abord les procès-verbaux eux-mêmes de l’assemblée du 13 juin : on y apprend qu’elle se composait de cinq archevêques, de vingt et un évêques, de onze abbés et de trois prieurs, dont un du Temple et l’autre de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem, des comtes d’Évreux, de Saint-Pol, de Dreux, d’Anjou, de Boulogne, et de Dampierre, de Mathieu de Trie, de Pierré de Chambly, de Nogaret, de Hugues de Bouville, des archidiacres de Bruges et de Reims, du trésorier d’Angers, de Pierre de Belle-Perche, de Renaud Barbou, de Jean de Montigny et de plusieurs autres clercs et laïques, dit le texte, qui étaient de trop peu d’importance pour que leurs noms fussent rapportés.
Ce qui prouve invinciblement qu’à l’assemblée du 13 juin ne figuraient pas les députés des trois ordres, mais seulement quelques prélats et quelques barons, ainsi qu’un certain nombre de légistes, c’est que le roi soumit les décisions qui y furent prises à la ratification des trois ordres, convoqués non pas en assemblée générale, mais consultés soit dans les assemblées provinciales, soit même individuellement. L’assemblée dura deux jours, le 13 et le 14 ; les comtes d’Évreux, de Dreux et de Saint-Pol, et Guillaume de Plasian, demandèrent que l’Église fut gouvernée par un pape légitime, Boniface VIII étant considéré comme un intrus, par suite de son élection du vivant de Célestin, son prédécesseur, qui avait abdiqué ; fait encore sans exemple. Le roi fut supplié, en qualité de champion de la foi, de travailler à la réunion d’un concile général. Il y consentit.
L’acte d’appel au futur concile fut lu solennellement dans le jardin du palais, le 24 juin, devant une multitude immense. Des agents furent envoyés dans toutes les provinces pour recueillir les adhésions à l’appel ; ils étaient porteurs de lettres du roi relatives à l’objet de leur mission. Ces lettres font mention de l’assemblée du 13 juin, non comme d’états généraux, mais comme d’une assemblée de plusieurs archevêques, évêques, abbés, prieurs, comtes, barons et autres personnes tant laïques qu’ecclésiastiques. Si les représentants des communes avaient été admis à cette réunion, le roi, s’adressant aux communes pour obtenir la ratification des décisions qui y avaient été prises, n’aurait pas manqué de le rappeler, ou plutôt cette ratification était inutile.
Voici quelques détails sur la manière dont les adhésions au futur concile furent obtenues dans le Midi. Le vicomte de Narbonne, Guillaume de Plasian et Denis de Sens, convoquèrent, le 23 juillet, à Montpellier, dans le couvent des frères Prêcheurs ‚ les députés de trois ordres des sénéchaussées de Beaucaire, de Carcassonne et de Rhodez, leur exposèrent la résolution du roi d’appeler au futur concile des actes tyranniques de Boniface VIII, et les prièrent de se joindre à l’appel.
C’étaient là de véritables états provinciaux, où les villes furent représentées par des députés choisis par elles à cette intention. Les états de chaque sénéchaussée se réunirent ensuite séparément, et chaque ordre vota à part et donna son adhésion par écrit. Les états de la sénéchaussée de Carcassonne tinrent leur séance le 26 juillet. Le clergé se composait de huit abbés et des procureurs de plusieurs chapitres, de quelques abbayes et de l’ordre du Temple ; la noblesse, du comte de Foix et quarante autres seigneurs. Les villes de Carcassonne, de Narbonne, de Béziers, de Pamiers, d’Albi, d’Agde et de Lodève, y avaient leurs députés. Les états des sénéchaussées de Rhodez et de Beaucaire s’assemblèrent le jour suivant. Les adhésions furent unanimes, sauf de la part des frères prêcheurs de Montpellier. Plusieurs seigneurs, églises ou villes qui n’avaient pu se faire représenter à Montpellier adhérèrent individuellement.
La réunion des états provinciaux ne paraît s’être effectuée que dans le Languedoc et la Navarre. Datas les autres parties de la France, chaque ville, chaque église, donnèrent séparément leur adhésion. Plus de six cents adhésions d’ecclésiastiques sont conservées en original au trésor des chartes, aux archives de l’empire : il n’y en a plus qu’une trentaine pour des villes ; les autres ont été perdues. Voici l’indication de quelques-unes des villes dont les adhésions subsistent. Limoges, Nevers, Saint-Junien, Cordes, Toulouse, Villemur, Reims, Ban de Saint-Remi à Reims, Sainte-Menehould, Montcornet, Compiègne, Ham, Beauvais, Amiens, Chaudarde, Saint-Omer, Saint-Pol, Crépy, Montreuil, Bapaume.