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DANS CE PREMIER ROMAN DE JACK CARR, UN ANCIEN NAVY SEAL, LE PERSONNAGE DE JAMES REECE N'A PLUS AUCUNE RAISON DE VIVRE. IL N'EST ANIMÉ QUE PAR SON BESOIN DE VENGEANCE.
Alors en déploiement en Afghanistan, le capitaine de frégate James Reece et ses Navy SEAL tombent dans une terrible embuscade, à laquelle Reece échappe miraculeusement. Mais la mort le poursuit, et James Reece découvre que ce qu'il pensait être un acte de guerre, fomenté par l'ennemi en terre étrangère, est la conséquence d'une conspiration menée aux plus hauts niveaux de son propre gouvernement. Maintenant qu'il n'a plus rien à perdre, Reece va mettre son savoir-faire acquis au cours de ces 15 dernières années de guerre insurrectionnelle au profit de sa seule vengeance, la traque de ses ennemis, sans plus respecter ni les lois de la guerre ni les lois de son pays.
#1 NEW YORK TIMES ET BEST-SELLER INTERNATIONAL
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Seitenzahl: 693
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Aux soldats, marins, aviateurs et Marines qui ne sont pas revenus, et à nos enfants, qui n’ont pas encore
Il y a un homme qui se promène alentour en prenant des noms.
– auteur inconnu
Ceci est un roman sur le thème de la vengeance.
La liste terminale explore ce qu’il pourrait se produire quand un prédateur au meilleur de sa forme, un guerrier au sommet de son art, se retrouve impliqué dans une situation sans retour possible. Il aborde ce qu’il pourrait arriver quand un homme aux compétences extraordinaires, endurci par la guerre, et d’ores et déjà condamné à mort, cherche à faire rendre des comptes à des coupables, sans se laisser enfermer par les normes sociales, les lois, les règlements, la morale et l’éthique.
En raison de mon niveau d’habilitation secret défense et des fonctions que j’exerçais en tant que SEAL au sein de la Navy, je suis dans l’obligation de soumettre tous mes écrits destinés au grand public au Département de la Défense, y compris les œuvres de fiction. Afin de remplir ces obligations légales, j’ai soumis mon manuscrit au bureau des prépublications et enquêtes de sécurité du Département de la Défense, et j’ai reçu « l’autorisation de publication après corrections ». Durant tout mon processus d’écriture, j’ai pris un soin maladif à ne compromettre aucune technique, tactique ou procédure. En aucun cas je n’aurais souhaité donner à l’ennemi une quelconque information qu’il aurait pu utiliser à son avantage sur le champ de bataille. Le gouvernement a mis en place un processus de relecture pour de bonnes raisons et, ayant moi-même eu l’honneur de défendre notre grande Nation sur le champ de bataille, je me sens toujours lié par cette obligation de faire relire mes écrits. Les corrections demandées par le gouvernement ont été appliquées dans le récit, et certains passages ont été censurés.
Bien qu’il s’agisse d’une œuvre de fiction, chacune des scènes s’inspire des émotions que j’ai moi-même ressenties au cours de mes vingt années passées dans l’institution. Ces émotions, ajoutées à mon expérience au combat, ajoutent une touche d’authenticité au récit, qui, j’espère, offrira une expérience de lecture passionnante.
Bien que mon temps de service au sein des SEAL ait forcément influencé mon choix de personnage, je ne suis pas James Reece. Il est plus habile, plus malin et plus intelligent que je ne pourrai jamais espérer l’être. Bien que je ne sois pas James Reece, je le comprends. Il dispose de l’expérience, de l’entraînement et de la détermination pour appliquer sa propre justice.
Il s’agit également d’un livre au sujet du contrôle. La consolidation du pouvoir au niveau fédéral, au nom de la sécurité publique, est quelque chose dont nous devons nous prémunir à tous coûts. Cette érosion de nos droits, toujours croissante, signifie la mort de la liberté à terme. Nous avons atteint un point où le pouvoir du gouvernement fédéral est tel qu’il peut s’en prendre à n’importe qui. Des allégations récentes selon lesquelles des agences gouvernementales pourraient avoir ciblé des opposants politiques devraient inquiéter tous les Américains, quel que soit leur bord politique. Le souhait de certains politiciens opportunistes de modifier la constitution, et de juges non élus de réinterpréter la Déclaration des droits de 1791 afin de retirer le pouvoir des mains du peuple et le consolider au niveau fédéral, menace le principe même de la République. En tant que citoyens libres, conserver le contrôle de ce que fait le gouvernement fédéral devrait être notre priorité. La valeur fondamentale que nous accordons à notre liberté est ce qui nous distingue du reste du monde. Nous sommes des citoyens, non pas des sujets, et nous devons faire preuve de vigilance pour continuer à l’être.
Jack Carr 6 août 2017 Park City, Utah
Nul besoin d’être fin tacticien pour choisir l’endroit. Les hommes sont des créatures d’habitude, et certains le sont encore plus que d’autres. Les comptables, semble-t-il, se montrent parmi les plus rigides de tous dans leurs routines. Ainsi, chaque année, du 1er juin au 1er novembre, Marcus Boykin s’installait dans son chalet de montagne à Star Valley Ranch, dans le Wyoming. Star Valley, la vallée de l’étoile, est un nom bien plus attrayant pour les acheteurs immobiliers de la côte Est et de la côte Ouest que Starvation Valley, la vallée de la famine, son nom précédent. Il s’agit d’une petite enclave de riches résidents, perdue en pleine campagne du Wyoming, accolée à un flanc de montagne et plantée de demeures à plusieurs millions de dollars, dans une partie du monde habituellement peuplée de fermiers et de cow-boys.
Tous les lundis, mercredis et vendredis, Boykin se levait aux aurores et grimpait à bord de son SUV Mercedes G550 à la carrosserie gris argenté, afin de parcourir les 80 km de l’U.S. 89 conduisant à la petite ville de Jackson. Avec sa population estivale constituée de banquiers et de gestionnaires de portefeuilles à même de rivaliser avec les plus riches New-Yorkais en villégiature aux Hamptons1, Jackson était bien le seul endroit à des kilomètres à la ronde où s’offrir un menu gastronomique accompagné d’une bouteille de vin à 800 dollars. Dans cette ville, il lui était également possible de déguster un latte et de parcourir le Wall Street Journal en compagnie de quelques vacanciers originaires de New York, Greenwich, Boston ou encore Los Angeles. Trois jours par semaine, il pouvait ainsi échanger avec de véritables personnes plutôt que d’attendre impatiemment les commentaires de ses amis sur ses derniers posts Facebook. Ses dîners au restaurant Rendez-vous étaient bien plus savoureux que les repas qu’il prenait seul sur sa terrasse en bois de Star Valley Ranch, et cela malgré la vue spectaculaire qui s’offrait alors à lui.
L’autoroute U.S. 89 des parcs nationaux traverse du Nord au Sud une vallée encaissée marquant la ligne de démarcation entre le Wyoming et l’Idaho. Les prairies irriguées proche de l’autoroute reposent à l’ombre de sommets hauts de plus de 3 000 mètres à l’est et de collines plus douces à l’ouest. Juste au nord de la petite ville d’Alpine, la route menant à Jackson bifurque vers l’est en direction de la rivière Snake, avant de serpenter à travers les massifs forestiers de Bridger-Teton. À cette étape du périple, les crêtes escarpées de la chaîne de montagnes Teton courent parallèlement à l’autoroute, à la manière d’un paquebot de croisière qui aurait été amarré à un quai d’asphalte. À trois mètres de la route s’étale un terrain sauvage et accidenté, comme on en trouve un peu partout aux États-Unis, peuplé de cerfs à queue noire, d’immenses wapitis ainsi que de nombreux ours, et même de quelques élans.
N’ayant jamais touché un fusil et encore moins chassé de toute sa vie, il ne serait jamais venu à l’idée de Boykin que le 15 septembre, jour de l’ouverture de la chasse au cerf dans cette partie de l’État du Wyoming, tombait cette année un lundi.
* * *
James Reece avait marché la veille depuis le flanc opposé de la montagne, au départ d’une aire d’autoroute. Le sentier de randonnée qu’il avait emprunté avait longé un temps la route, mais il en était désormais distant de plusieurs kilomètres. Il bénéficiait toujours d’une vue sur l’autoroute, tout en étant à la limite de la distance à laquelle quelqu’un comme Boykin aurait osé s’éloigner de la civilisation. Bien qu’il ne se trouve qu’à quelques heures de marche de son véhicule, Reece aurait tout aussi bien pu venir d’une autre planète. Il portait un sac à dos léger et un étui de carabine en nylon suspendu à son épaule par une sangle, un treillis de camouflage « digital » haute performance pour chasseurs de la marque Sitka, ainsi que des chaussures de randonnée de la marque Salomon qu’il avait déjà portées à de très nombreuses occasions à travers le monde. Choisir d’arpenter les confins du Wyoming dans sa tenue ghillie de camouflage traditionnelle des snipers, et avec un fusil de gros calibre à l’épaule, l’aurait rendu aussi visible qu’un bonhomme en smoking, mais vêtu comme il l’était, à la manière d’un chasseur, il était aussi invisible que n’importe qui en chemise bleue dans un aéroport.
Le tuyau anonyme qu’il avait balancé aux forces de l’ordre sur la présence de braconniers au sud de Jackson les occuperait probablement tous dans la région pour un bon moment, mais dans l’éventualité où il croiserait la route d’un représentant de l’ordre, il avait dans sa poche un permis de chasse en règle l’identifiant comme un chasseur lambda à la recherche d’un cerf en cette journée parmi les plus chargées de l’année.
Il aurait pu marcher de nuit avec une lampe frontale ou des optiques de vision nocturne, mais il avait souhaité se mettre en position avant la tombée de la nuit. À quoi bon prendre le risque de se fouler une cheville, ou pire encore dans ce terrain plus qu’accidenté ? Et puis, de toute manière, il avait hâte d’arriver. Il avait étudié la topographie du terrain sur des cartes et des images satellites des centaines de fois, mais il avait tout de même tenu à effectuer l’itinéraire deux jours plus tôt pour être certain qu’il n’y aurait pas de surprises au sol par rapport à ce qui était visible depuis les airs.
Le relief était escarpé et difficile. Peu importe que vous soyez dans une forme olympique, deux mille cinq cents mètres d’altitude, ça change la donne ! Il s’arrêta pour reprendre son souffle et boire quelques gorgées d’eau depuis l’embout de valve fixé à son épaule. Ses cuisses le brûlaient et ses poumons réclamaient de l’oxygène. Sa première couche de vêtement étant baignée de sueur malgré une température extérieure ne dépassant pas les 10 °C, il dézippa la fermeture de sa veste afin de laisser un peu de sa température corporelle s’échapper. Il n’était pas pressé, mais il avançait avec détermination. Ce n’était certainement pas la première fois qu’il devait franchir une montagne pour parvenir jusqu’à sa cible.
Son perchoir était exactement comme il l’avait laissé ; une légère cavité en forme de U sculptée à flanc de montagne et à laquelle on ne pouvait accéder que par l’avant. Il y avait très peu de chance qu’un chasseur ou un garde-chasse puisse le surprendre par l’arrière, tandis que sa vue sur l’horizon était si parfaitement dégagée qu’il aurait largement le temps de repérer quiconque faisant mouvement vers lui et de s’enfuir avant qu’on atteigne sa position. Sa planque surplombait un tronçon d’autoroute qui se déployait entre deux collines escarpées. Lui-même se trouvait au sommet de la seconde colline, en direction de Jackson.
En ce dernier après-midi avant l’ouverture officielle de la chasse, son perchoir, pareil à une grotte dépourvue de toit, le dissimulerait aux regards trop curieux des chasseurs à la recherche d’un cerf, mais il l’abriterait aussi du vent si jamais la température venait à baisser en dessous de 0 au cours de la nuit. Il sortit son fusil de sa housse et disposa son sac à l’extrémité du rocher, sans qu’il ne dépasse dans le vide, afin qu’il reste invisible à quiconque se trouverait en contrebas. Son fusil était un Echols Legend, une arme fabriquée par un maître armurier situé dans l’Utah et dont chaque exemplaire se vendait à un prix équivalent à plusieurs mois de sa solde d’officier de la Navy. Il s’agissait d’un cadeau que son père lui avait fait au retour de son premier déploiement après le 11-Septembre, et il était devenu une de ses possessions les plus chéries. À l’origine, il avait prévu de s’en servir pour chasser une fois qu’il aurait quitté l’armée et se serait reconverti dans le privé. Le fusil était chambré en.300 Winchester Magnum et, bien qu’il pèse bien moins lourd que tous les fusils de sniper qu’il avait déjà utilisés à l’étranger, celui-ci était bien plus précis. Plutôt qu’une lunette de chasse traditionnelle, il avait installé une Nightforce NXS 2.5-10x23 mm, le même genre d’optique qu’il utilisait au boulot. Son sac à dos soutenait désormais l’extrémité du canon tandis que le coussinet de crosse venait se blottir dans son épaule. Allongé sans bouger, avec chacune des extrémités du fusil parfaitement calées, il pouvait maintenir le fusil aussi immobile qu’au cours de n’importe quelle compétition de tir sur appui. Tandis que des voitures ou des camions descendaient le tronçon d’autoroute allant vers l’ouest, il s’exerça à tirer à sec à travers les pare-brises sur la position estimée du conducteur en ajustant son timing au mieux. Les vacanciers ou les résidents qui traversaient ces montagnes en cette fin d’après-midi ne se doutaient pas le moins du monde qu’ils pouvaient se retrouver dans le réticule d’un des guerriers les plus dangereux de tout le pays.
Heureux d’avoir constaté une nouvelle fois que son emplacement était solide et qu’il bénéficiait d’un angle de tir parfait vers sa cible, il se recula pour allumer son réchaud et faire bouillir de l’eau afin de réchauffer son dîner lyophilisé. Quand le soleil s’évanouit derrière la ligne d’horizon et que la température chuta lourdement, il se réfugia dans son sac de couchage. Il songea à sa petite fille, à ses cheveux blonds bouclés, à ses larmes qui avaient abondamment coulé depuis ses jolis yeux bleus tandis qu’elle avait vu son père s’en aller pour un nouveau déploiement. Six mois à l’étranger, et il serait de retour à la maison pour de bon. Promis ! Il voyait encore son visage, pressé contre la vitre de l’aéroport, tandis qu’il s’était retourné une dernière fois sur la passerelle d’embarquement. Les moments les plus difficiles à vivre d’un déploiement, c’étaient toujours les premières semaines, celles juste après avoir quitté le foyer familial, et les dernières semaines, quand vous commencez à anticiper le retour à la maison. Le fait qu’il s’agisse de son dernier déploiement avait permis de faire briller un peu plus la lumière au bout du tunnel. Il allait enfin mettre un terme au cycle infernal entraînement-déploiement-entraînement… sur lequel lui et ses camarades SEAL avaient fonctionné pendant plus de dix ans.
Recroquevillé dans son sac de couchage, baignant sous une voûte étoilée à la beauté incompréhensible aux yeux d’un citadin, il dormit mieux qu’il ne l’avait fait depuis plusieurs semaines. Le réalisme de ses cauchemars ne le réveilla pas. Il n’étendit pas le bras à la recherche d’une épouse qui ne partageait plus son lit. Il ne tendit pas l’oreille pour écouter les petits cris de sa fille, qui ne viendrait plus jamais se réfugier dans son lit pour échapper au croque-mitaine.
Il était déjà réveillé et en train d’admirer Orion quand l’alarme de sa montre sonna à 5 heures. Il se contenta d’une gorgée de sa bouteille d’eau et d’une barre énergétique pour son petit déjeuner, puis il alla se mettre en position derrière son fusil et attendit patiemment que le soleil se lève.
* * *
Marcus Boykin était un lève-tôt, comme l’étaient d’ailleurs quasiment tous ceux travaillant dans le secteur financier. Soit vous étiez réveillé et à table dans ce genre de boulot, soit vous étiez endormi et au menu du jour. Il jeta un coup d’œil aux prévisions météo sur son iPhone avant d’enfiler la paire de jeans achetée chez un designer et de chausser des mocassins italiens. Il portait une veste Patagonia en laine polaire par-dessus son polo Lacoste rose, et coiffa la casquette des Yankees qui lui servait à dissimuler sa calvitie à la serveuse âgée d’une vingtaine d’années qu’il essayait actuellement d’attirer dans son lit. Il ne voyait pas en elle Sarah, une fille avec une licence en développement durable qui faisait un petit boulot pour se payer son année de maîtrise, mais juste une « serveuse ». Il n’avait pas encore réussi à l’attirer dans ses griffes, mais elle était fauchée et il était riche. Une nuit, maintenant ou plus tard, elle se retrouverait un peu saoule et déraperait, et il serait là pour saisir l’occasion. Il se doutait qu’il lui faudrait tôt ou tard louer un appartement en ville pour améliorer ses chances de conclure, mais ne pas vivre tout à côté d’elle faisait pour l’instant partie du challenge. Il attrapa ses clés sur le comptoir de marbre de sa cuisine et enclencha le contact de son véhicule à distance. Il faisait un froid glacial et Boykin souhaitait que l’habitacle de son SUV soit agréable à souhait, avec une température idéale et des sièges réchauffés, d’ici à ce qu’il finisse de préparer son café et qu’il l’emporte avec lui. Il ouvrit la grande porte de chêne de l’entrée principale et sortit son téléphone de sa poche pour prendre en photo le lever de soleil orangé par-dessus la montagne, juste avant qu’il ne perde toute connexion Wi-Fi – la couverture était très irrégulière jusqu’aux abords de Jackson. Il se fichait un peu de la vue qui s’offrait à lui. À ses yeux, le soleil ferait exactement la même chose le lendemain, mais une telle photo aurait l’avantage d’énerver ses amis sur chacune des côtes Est et Ouest, de les rendre jaloux, et c’était une perspective qui l’enchantait. Après avoir grimpé dans son SUV, et alors qu’il descendait la montagne sur l’autoroute U.S. 89, il songea à ce qu’il pourrait bien dire à la serveuse quand il la verrait.
* * *
Le combat n’est rien d’autre qu’une surcharge sensorielle, un chaos total, surtout si vous assumez le commandement. Le bruit est assourdissant, des départs de tirs d’un côté comme de l’autre, tandis que l’accumulation des détonations et des explosions secoue votre corps jusqu’à sa moindre molécule d’ADN. Les hommes hurlent, non par peur ou par sentiment de panique, mais tout simplement pour se faire entendre par-dessus le grondement de la bataille. Des balles traçantes déchirent le ciel, des roquettes le transpercent, des explosions soulèvent des nuages de débris et des balles viennent taper tout autour de vous, jusqu’à ceindre votre entourage immédiat d’un halo de poussière. Les communications radio retransmises dans votre oreillette ajoutent encore au chaos alors qu’on exige de vous des réponses conscientes et immédiates, ce qui signifie que certaines de vos actions doivent être exécutées par votre subconscient. L’identification des cibles, l’usage de l’arme, le changement de chargeur… Tous ces gestes doivent se succéder de manière automatique, sans avoir à nécessiter plus d’effort que s’il s’agissait de tourner un volant en même temps que l’on change de vitesse avant d’accélérer de la plante du pied tout en passant un coup de fil sur un portable. En tant que chef, il faut se détacher de la tempête et planifier au-delà de sa propre survie. Il faut diriger les axes de tir et le déplacement de tous ses hommes, et résister à la tentation de faire le coup de feu avec eux. Tout cela n’est qu’un maelström confus de décisions successives à prendre dans l’instant.
Mais ce matin-là était à l’opposé de ce chaos. Les sens en éveil de Reece n’enregistraient rien d’autre que le calme des grands peupliers caressés par la brise et la douce mélodie de la vie animale se réveillant sous un magnifique lever de soleil. Il n’y avait pas de radio, personne avec qui communiquer, strictement rien sinon le passage occasionnel d’une voiture ou d’un pick-up sur l’asphalte de l’autoroute au loin. La distance qui le séparait du tronçon de l’autoroute en pente descendante était de 571 mètres, ce qui signifiait que la trajectoire du projectile fléchirait de 1,95 centimètre au terme de sa course vers la cible. La lunette du fusil avait été zérotée sur une distance de 100 mètres ; il lui faudrait donc compenser la différence. Il compta 34 clics, 3,4 MILS, pour tenir compte de cette déclivité. En réglant au mieux la distance, il savait qu’il n’y aurait aucune mauvaise surprise. Il pourrait aligner le centre de son réticule en plein sur la cible. Combats avec tous les avantages à ta portée. Il n’y avait qu’un vent très léger ce matin, ce qui était une bonne chose. Il était toujours difficile de devoir conjuguer avec un fort vent de montagne, même pour un professionnel. Son anémomètre Krestel lui indiqua qu’il soufflait à 3,2 km/h depuis sa gauche, soit quinze centimètres de dérive à prendre en compte. Comme la force du vent pouvait varier à tout instant, il ajusterait son réticule MIL-DOT jusqu’au dernier moment.
Il entendit le frottement des pneus avant même que les phares halogènes d’une lueur bleu pâle n’éclairent le sommet de l’autoroute que le SUV était en train de grimper. La Mercedes à la carrosserie argentée était sans aucun doute possible celle de Boykin. Dieu merci, il ne roulait pas à bord d’un camion Ford F-150, bien plus courant sur ces routes. Le véhicule de Boykin lui arrivait droit dessus, ce qui signifiait qu’il n’aurait pas besoin d’anticiper la trajectoire de sa cible, mais il n’en fallait pas moins se dépêcher. Il n’avait pas de temps à perdre à se réjouir du succès de sa planification ; il captura son objectif dans sa lunette et le suivit tandis qu’il entamait la descente de l’autoroute, comme il l’avait déjà fait avec deux autres véhicules qui étaient passés au même endroit plus tôt dans la matinée. Il respira à pleins poumons, capturant son souffle à son apogée, puis expira pour retrouver son état naturel de pause respiratoire, quand ses poumons eurent recraché tout leur air, et se concentra sur ce qu’il avait à faire. Dans le même instant, il cessa d’instiller un très léger mouvement orbital à la lunette de son fusil pour la maintenir dans un très léger tremblement. Même avec les meilleurs appuis, elle n’était jamais aussi stationnaire que dans les films. La Mercedes atteignit la partie plane de l’autoroute et sembla même s’être arrêtée un court instant, un temps durant lequel il ne vit pas le véhicule avancer en raison de sa perspective visuelle. Il ne pouvait pas voir non plus le conducteur, en tout cas pas à cette distance et pas avec cette luminosité. Tout en positionnant le centre de son réticule légèrement à droite du centre du pare-brise, il appuya très légèrement sur la détente.
Ses tympans enregistrèrent la détonation, mais son cerveau eut des difficultés à appréhender le son. Sa seule sensation de recul était venue de l’optique de la lunette, qui était soudainement devenue floue, alors même que le canon s’était brusquement relevé vers le ciel. Bien qu’il ait déjà criblé de balles un nombre infini de gars dans les recoins les plus merdiques de la planète, son corps continuait à fonctionner en mode « bats-toi ou barre-toi », l’adrénaline venant aussitôt inonder ses veines à la manière d’un shoot d’héroïne. Il avait tué de très nombreux hommes par le passé, avec la bénédiction de son pays, mais cette fois-ci, alors qu’il avait pressé la détente, il avait commis l’innommable au sein de la société, il avait perpétré un meurtre.
Le projectile monométallique tiré était une ogive Barnes Triple-Shock (TSX), coulée dans un cuivre pur avec une tête effilée, conçue pour s’ouvrir à la manière d’une fleur létale lors de l’impact. Elle avait été conçue pour pénétrer profondément la chair du gros gibier lors des safaris, et elle le faisait si bien que la munition avait été sélectionnée par les opérateurs des forces spéciales dans leur guerre globale contre la terreur. Quand elle fracassa le pare-brise presque vertical de la Mercedes, les pétales de la tête effilée se séparèrent, ne laissant derrière eux plus qu’un cylindre de cuivre de 0,8 cm de diamètre et fusant encore bien plus vite que n’importe quelle autre munition à la sortie d’un canon. Elle frappa Boykin dans l’arête de son nez, puis effectua un léger angle alors qu’elle transformait cartilage, cerveau et boîte crânienne en gelée. Elle sectionna la première vertèbre, ressortit par la nuque sans paraître le moins du monde endommagée par les dégâts qu’elle venait de commettre, puis transperça l’appui-tête en cuir avant d’aller achever sa trajectoire dans l’épais rembourrage de mousse de la banquette arrière.
La conduite automatisée de la Mercedes était réglée sur 90 km/h quand le cerveau du conducteur cessa de distribuer des ordres à son corps. Ses membres se relâchèrent et s’agitèrent comme le font ceux de la plupart des humains ou des animaux quand ils sont tués d’une balle en plein système nerveux, mais l’ingénieux système de conduite automatisée de la Mercedes continua à diriger le véhicule d’une main de fer droit devant lui, sur la remontée de l’autoroute, comme si rien ne s’était produit. Quand le véhicule passa en grondant devant la position de Reece, celui-ci pensa l’espace d’une seconde avoir manqué sa cible. Mais, tandis que le véhicule dépassait maintenant le sommet de la côte après avoir accéléré en raison de la forte pente, le corps sans vie de Boykin bascula en avant sur le volant, ce qui fit tourner les roues côté gauche. La force d’inertie, la pente descendante et le lourd centre de gravité du véhicule entraînèrent un effet boule de neige, et la Mercedes se vit soudainement basculer sur le côté droit, avant d’entamer toute une série de tonneaux dans un virage serré. Le fracas des pneumatiques et de la tôle se déchirant sur l’asphalte était assourdissant, mais il n’y avait qu’une seule personne pour l’entendre.
Reece arbora un sourire pour la première fois depuis plusieurs mois, puis sortit un petit sac plastique refermable Ziploc depuis la poche intérieure de sa polaire. Il en tira une feuille pliée en quatre sur laquelle apparaissait un dessin d’enfant fait au crayon à papier avec, au dos, une liste de noms. À la pointe d’un petit crayon, il s’appliqua à rayer le premier nom de cette liste, puis il remit la feuille dans sa protection de plastique et la rangea à nouveau contre sa poitrine.
1 Région de l’État de New York située à l’est de Long Island, regroupant plusieurs villes et villages connus pour faire partie des lieux préférés de nombreuses stars fortunées.
Aucun des hommes sur le terrain n’était à l’aise avec cette mission. Désormais à moins d’un clic de leur objectif, ils chassèrent ce pressentiment de leur esprit pour se concentrer entièrement sur le défi mortel qui les attendait. Après avoir jeté un coup d’œil au GPS fixé à la crosse de son fusil et avoir balayé l’horizon d’un regard rapide, le capitaine de corvette James Reece ordonna un périmètre défensif. Les snipers faisaient déjà mouvement vers des points hauts quand les chefs d’équipe rejoignirent Reece afin d’assister à un dernier briefing avant la poussée finale. Même avec toute cette technologie à disposition, les choses pouvaient vriller en un instant. Leur ennemi était rusé, et il savait s’adapter. Après 16 années de guerre, ce dicton afghan sonnait plus juste que jamais : « Les Américains ont des montres, mais nous, nous avons le temps. »
« Qu’est-ce que tu en penses, Reece ? », interrogea un homme à l’allure bestiale, donnant l’impression d’appartenir à une espèce inconnue, avec son treillis de camouflage de type AOR-1, son gilet balistique, et surtout son casque balistique Ops Core coiffé d’optiques de vision nocturne basculées sur les yeux.
Reece observa son sous-officier le plus expérimenté. La faible lueur verte qui s’échappait de ses optiques suffisait à éclairer sa barbe fournie ainsi que le léger sourire qui s’y dessinait, signe du sentiment de confiance qui animait ce vétéran des opérations spéciales.
« C’est de l’autre côté de cette crête, répondit Reece. Le drone Predator a montré que tout était calme. Pas de sentinelles, personne. »
Le premier-maître acquiesça d’un hochement de tête.
« OK, les gars, indiqua-t-il aux quatre autres hommes autour d’eux. On y va ! »
Ils se redressèrent, déterminés, et s’éloignèrent avec l’aisance de ceux habitués à vivre dans le chaos, accélérant encore le pas sur les pentes escarpées pour positionner leurs hommes et donner l’assaut final sur l’objectif.
Ça a l’air trop facile. Encore une fois, tu réfléchis trop. Ce n’est qu’une mission de plus, une mission comme les autres. Mais alors, pourquoi ce pressentiment ? Peut-être à cause de mes migraines ?
Cela faisait plusieurs mois déjà que de telles migraines assaillaient Reece, jusqu’à devoir se rendre au centre médical naval de San Diego avant son déploiement pour toute une série d’examens. Il n’avait toujours pas reçu de nouvelles de la part des médecins.
Peut-être que ce n’est rien. Peut-être qu’il y a quelque chose.
Cela faisait déjà longtemps que Reece avait appris que si quelque chose ne présageait rien de bon, c’est que rien de bon n’arriverait. Ce constat l’avait gardé en vie, lui et ses hommes, au cours de nombreuses opérations extérieures.
Tous les éléments semblaient s’aligner trop bien pour l’objectif de ce jour : de bons renseignements, une dépose hélico à plusieurs kilomètres de la cible et une arrivée sur zone où tout était trop calme. Et pourquoi toute cette pression de la part de la hiérarchie pour neutraliser cet objectif au plus vite ? À quand remontait la dernière fois où un amiral s’était mêlé à une planification d’ordre tactique ? Quelque chose ne collait pas. Il n’y a sans doute aucun problème. Peut-être que c’est à cause de mes migraines. À moins que je ne sois un peu parano. Mais surtout, peut-être que je deviens trop vieux pour toutes ces conneries. Allons, Reece, concentre-toi !
Ce n’était pas la première fois qu’ils approchaient d’un objectif tout en pensant qu’il pourrait s’agir d’un lieu d’embuscade. À un moment donné dans le conflit, quand tous les renseignements concordaient sur la forte probabilité d’une embuscade, quand tout cela avait été corroboré par de multiples sources d’origine humaine ou électronique, Reece n’avait pas hésité à se présenter aux portes de l’objectif avec un lance-roquettes antichar AT4 de 84 mm ou alors avec quelques obus de 105 mm crachés depuis un AC-130 gunship. Mais là, c’était bien la première fois qu’il avait reçu des ordres tactiques dictés depuis bien plus haut, dictés par des hommes qui ne seraient pas sur le terrain. Concentre-toi sur la mission, Reece !
Il établit un nouveau contact avec le Centre tactique des Opérations, une station de commandement avancée également appelée TOC1, puis jeta un coup d’œil à l’écran de liaison vidéo avec le drone. Rien. Un nouveau contact avec les snipers. Rien à signaler.
Reece leva les yeux vers la crête montagneuse en face de lui. Grâce à ses optiques de vision nocturne, il pouvait distinguer les positions en défilement de terrain des groupes d’assaut, prêts à s’élancer. Il ne pouvait cependant pas distinguer les snipers, ce qui lui fit esquisser un léger sourire. Les meilleurs dans la profession.
Reece appuya sur le bouton émetteur de sa radio et ouvrit la bouche pour donner le Top action.
C’est à ce moment-là que tout devint noir.
* * *
L’explosion projeta Reece une dizaine de mètres en arrière, le souffle lui arrachant le casque de la tête tandis que toute la portion de la crête en défilement de terrain entrait en éruption dans une effroyable secousse mêlant la violence à la mort. Des frères d’armes, des amis, des maris et des pères, qui l’instant d’avant avaient compté parmi les meilleurs opérateurs des forces spéciales au monde, avaient été effacés en une fraction de seconde.
Reece ne réalisa pas qu’il avait été brièvement rendu inconscient par le souffle de l’explosion. C’est la douleur dans son crâne qui le réveilla et le ramena dans la réalité du combat, alors même que la poussière de l’explosion n’était pas encore retombée et que l’écho des explosions successives continuait de se faire entendre à flanc de vallée.
Le professionnel en lui l’incita à s’assurer dans l’instant qu’il avait toujours une arme. OK, vérifié. Il inspecta ensuite mentalement tout son corps. Chaque organe semblait être à sa place et en état de marche.
Ils savaient, mais comment ? Plus tard, Reece, pense d’abord à améliorer ta position de combat.
Ses yeux observèrent partout devant lui, s’habituant peu à peu à l’obscurité tandis qu’il grattait en même temps le sol de ses mains à la recherche de son casque balistique et de ses équipements de communication, jusqu’à finalement les retrouver dans la poussière.
Oui ! Attends, il est bien trop lourd pour qu’il s’agisse de mon casque. C’est certainement parce que ce n’est pas le tien. C’est celui de quelqu’un d’autre. Et sa tête est toujours à l’intérieur.
Même en pleine obscurité, il parut évident à Reece qu’il regardait droit dans les yeux le visage de son ami et équipier, cet homme gigantesque avec sa barbe fournie et son sourire irradiant la confiance, à la nuance près que son visage n’était plus attaché à son corps. Reece ne put empêcher ses larmes de couler, mais il les sécha vite. Concentre-toi, pas le temps de pleurer. Exploite le moindre avantage tactique ou technologique. OK, fait.
Reece déclipsa la boucle à dégagement rapide, laissant ainsi la tête de son ami tomber au sol, et coiffa rapidement le casque sur son propre crâne. Miraculeusement, les optiques de vision nocturne fonctionnaient encore. Son opérateur radio se trouvait couché face contre terre six mètres plus loin. À la manière dont le corps était contorsionné, Reece en déduisit que l’homme était mort. Il s’en rapprocha rapidement, le fit basculer sur le côté et chercha le moindre signe de vie, le battement d’un pouls, même s’il semblait évident que l’éclat d’acier ayant pénétré son œil droit jusqu’à transpercer le côté de son crâne l’avait tué sur le coup. Il détacha le casque audio de son crâne et le débarrassa de sa radio tactique portative MBITR pour s’en équiper et tenter de rétablir un canal de communication avec l’appui aérien et son centre de commandement.
Plus rien ne bougeait à flanc de colline. Tout semblait indiquer qu’un ange de la mort avait balayé tous les SEAL. Reece entendit cependant un bruit de pas derrière lui et se retourna aussitôt, arme pointée à l’horizontale, son rai de lumière infrarouge activé à la recherche d’une cible. Il releva le canon de son Colt M4 chambré en 5,56 mm dès qu’il reconnut trois de ses opérateurs courant dans sa direction depuis leurs points d’appui à l’arrière des lignes.
Même si la tentation de s’élancer vers le haut de la colline le dévorait, un autre désir la surpassait : remporter la victoire.
Les hommes de l’échelon arrière formèrent un nouveau périmètre de sécurité autour de leur chef sans avoir eu besoin d’échanger un seul mot.
Reece chassa les images du carnage de cette embuscade de son esprit. Il était temps d’agir.
« SPOOKY Quatre Sept, ici SPARTAN Zéro Un, annonça Reece dans le micro de sa radio tout en regardant la carte quadrillée qu’il avait dans une poche plastifiée à la manche, similaire à celle des quarterbacks de football américain. Je demande une mission d’appui feu sur le carré D3. Envoyez du 105 mm, ne lésinez pas. » La carte quadrillée, qui consistait en une image satellite de la zone d’action, lui permettait de coordonner et manœuvrer toutes les forces sur zone ayant elles aussi la même carte.
« Bien reçu, Zéro Un. Six mikes out2 » L’AC-130 tournait en hippodrome à une distance d’une dizaine de minutes de vol afin que le bruit de ses turbopropulseurs ne puisse en aucun cas compromettre l’assaut qui avait été prévu dans la quiétude d’une nuit afghane.
« Break – RAZOR Deux Quatre. RAZOR Deux Quatre. Demandons intervention QRF3 et évasan4 sur ma position. ECHO Trois. Restez à l’écart de la colline. Nous avons de multiples personnels blessés dans l’explosion d’IED5 enterrés. » Personne ne mentionnait jamais les décès sur les ondes radio.
« Bien reçu, Zéro Un. En vol pour une exfiltration d’urgence sur la case ECHO Trois. Dix mikes out. » Les ventilos de la force de réaction rapide étaient deux CH-47 Chinook dont chacune des soutes avait embarqué 15 Rangers.
« MAKO, annonça Reece dans son micro, du nouveau avec les images du drone ?
– Négatif, Zéro Un. Rien ne bouge sur zone.
– Bien reçu. »
Reece reporta son attention sur les quatre derniers opérateurs toujours en vie.
« Qui avons-nous ici ? interrogea-t-il.
– Patron, c’est moi, Boozer. Il y a aussi Jonesey et Mike avec moi. C’est quoi tout ce bordel ?
– Une embuscade. Ils savaient que nous allions venir. Quels salopards ! Il va y avoir une frappe aérienne dans moins de cinq minutes, et la force de réaction rapide ne va plus tarder à arriver.
– Bon Dieu, on leur avait dit que ça sentait le piège ! Quel bordel ! Je ne m’attendais quand même pas à ça. Des survivants ?
– Je n’en suis pas sûr. On va aller voir.
– C’est noté, patron, mais en douceur. Il pourrait y avoir des centaines d’IED ou de mines enterrés un peu partout autour de nous.
– Jonesey, toi et Mike, vous allez rester ici pour faire poser les ventilos quand ils arriveront. Boozer et moi, on va aller voir s’il y a des survivants. Boozer, tu resteras une quinzaine de mètres en retrait derrière moi. Tu marcheras dans mes traces. Nous progresserons lentement. À en croire les renseignements du TOC, il n’y a rien qui bouge de l’autre côté de la colline, mais restons sur nos gardes.
– Bien reçu, Reece.
– OK, on y va. »
Le binôme grimpa côte à côte le flanc de colline, bien qu’il soit plus juste de parler d’un flanc de montagne escarpé. Avec la pente raide et rocheuse qui grimpait en altitude, et un poids de 20 kilos d’équipement et de gilet balistique sur le corps, tout contribuait à ce qu’ils progressent lentement, d’autant plus qu’ils traversaient peut-être un terrain miné.
« SPOOKY, nous avançons de la case ECHO Trois à ECHO Huit. Rien à signaler du côté nord de la colline ?
– Bien reçu, Zéro Un. Non, il n’y a toujours rien qui bouge. »
Étrange.
« Bien reçu. »
Reece et Boozer poursuivirent leur progression sur la colline, les poumons remplis d’un air où se mêlaient les odeurs de la cordite, du sang, de la poussière et de la mort. Un mouvement sur la gauche.
« B., j’ai perçu un mouvement. Ne te précipite pas, continue à me suivre à distance », murmura Reece dans sa radio.
Boozer confirma avoir bien compris en pressant deux fois le bouton émetteur.
Reece avança dans la direction du mouvement, puis de ce qu’il identifiait désormais comme étant Donny Mitchell, l’un des plus jeunes équipiers de son Team, en train d’agoniser sur la pente caillouteuse d’une montagne quelque part à l’est de l’Afghanistan. Le corps coupé en deux au niveau des cuisses, il n’en tendit pas moins les bras vers Reece.
« Est-ce qu’on les a eus, patron ? interrogea Donny d’une voix faible. J’ai toujours mon arme.
– Oui, j’en suis sûr que tu l’as toujours, mon ami, j’en suis sûr. On attend un appui aérien, on va tous les avoir. »
Reece s’assit à côté de Donny et s’arrangea pour prendre sa tête dans ses bras et le bercer. Alors que les premiers obus de 105 mm s’abattaient sur un compound au loin, Reece aperçut la bouche de Donny esquisser un très léger sourire avant qu’il ne s’en aille définitivement pour le Valhalla.
Reece releva les yeux, observant Boozer se frayer lentement un chemin le long de la pente flanquée de buissons. Derrière Boozer, avant même de les voir, Reece entendit les CH-47 Chinook entamer leur descente vers la vallée où Jonesey et Mike les guideraient pour qu’ils se posent.
Nous allons pulvériser ce compound depuis les airs avant de faire mouvement avec les Rangers afin d’estimer les dégâts et faire de la collecte de renseignement.
C’est alors seulement que la gravité de la situation commença à prendre forme dans son esprit.
J’ai perdu mon Team en entier. Je suis le seul responsable.
Les yeux de Reece commencèrent à s’humidifier pour la seconde fois ce soir-là. Il lui aurait pourtant été impossible de deviner que les choses allaient encore empirer.
1 Tactical Operation Center.
2 Signifie que l’avion se trouve à six miles de distance (environ 10 km).
3 Quick Reaction Force (force de réaction rapide).
4 Évacuation sanitaire.
5 Improvised explosive device (Engin explosif improvisé).
Reece reprit connaissance couché sur le dos, la vision floue, clignant des yeux pour essayer d’atténuer la douleur sourde dans son crâne.
Où suis-je ?
Tandis qu’il tournait la tête pour observer autour de lui, son regard se fixa sur la perfusion reliée à son bras en même temps qu’il prit conscience que quelque chose lui enveloppait la gorge et les narines.
Perfusion. Masque à oxygène. Un hôpital.
Reece tenta de se redresser en prenant appui sur ses coudes, mais une douleur fulgurante lui traversa les tempes.
« Reece… Reece, vas-y doucement, mon ami, doucement. »
Reece reconnut le timbre de voix dans l’instant. Il s’agissait de celle de Boozer.
« Toubib, il reprend connaissance », entendit-il Boozer crier dans un couloir.
L’endroit n’avait rien à voir avec les hôpitaux de campagne sous tente des premiers jours. Désormais, si vous ne saviez pas que vous étiez en Afghanistan, vous auriez pu vous croire au centre médical naval de San Diego ou de Bethesda. Le seul indice laissant supposer qu’on se trouvait au beau milieu d’une zone de guerre venait du grondement incessant du groupe électrogène fonctionnant au diesel et tournant 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, année après année, pour assurer le maintien d’une température ambiante.
Combattre dans un pays pendant plus de 15 ans conduisait aussi à cela.
Reece arracha son masque à oxygène et tourna la tête en direction de son ami.
Boozer était toujours vêtu de son treillis de combat, sale, puant et marqué de taches de sueur imprimées dans le tissu à la suite de la mission de cette nuit, mais en dehors de cela parfaitement présentable. Boozer était l’un de ces gars qui s’en sortaient toujours sans une égratignure. Il n’avait plus son gilet balistique ni son arme sur lui, mais Reece se doutait qu’il camouflait un pistolet quelque part sur sa personne.
« Que s’est-il passé, comment ai-je atterri là ? »
Boozer inspira profondément, mais échoua lamentablement dans sa tentative de vouloir dissimuler le voile d’extrême tristesse mêlée à de la pitié qui couvrait son regard.
« Reece, le NCIS6 est déjà là. Ils m’ont ordonné de ne rien te dire. Qu’ils aillent se faire foutre ! Bien sûr que je vais tout te raconter. »
Le NCIS ?
« Ça se présente mal, Reece, poursuivit Boozer. De quoi tu te rappelles en dernier ? »
Reece ferma les yeux pour mieux explorer ses souvenirs.
« Nous étions parvenus sur la crête de la colline, dans l’attente d’une frappe aérienne. La force de réaction rapide n’allait plus tarder à arriver, et les évacuations sanitaires allaient pouvoir commencer… » Un souvenir lui revint. « J’avais Donny dans les bras.
– Ouais, confirma Boozer, et c’est à ce moment-là que toute cette putain de vallée a explosé. On nous a attirés dans un piège, Reece. Un truc plus élaboré que je n’en ai jamais vu. Ils savaient parfaitement comment nous réagirions après avoir vu le flanc de la colline exploser. Ils savaient que nous viendrions frapper le compound et que nous appellerions la cavalerie pour venir récupérer nos morts et nos blessés. Tout le sol de la vallée, là même où ils devaient se poser, avait été miné. Ils savaient où les hélicos allaient se poser et ils ont tout organisé en conséquence. Dash-un a déposé ses Rangers avant de redécoller, mais quand Dash-deux s’est posé à son tour, tout a explosé. Le deuxième hélicoptère et tous les Rangers, patron, ils les ont tous eus. »
Reece garda les yeux fixés sur Boozer.
« Jonesey et Mike ? », interrogea Reece alors même qu’il connaissait déjà la réponse.
Boozer secoua la tête. « Désolé, Reece, je voulais juste que tu sois au courant avant que les mecs du NCIS se pointent. J’ai un mauvais pressentiment avec ces clowns. Ce qui est vraiment troublant, c’est qu’ils ne m’ont pas interrogé au sujet de la mission, mais à ton sujet. »
La surprise se lut l’espace d’un instant sur le visage de Reece, le temps qu’il reprenne ses esprits. « À mon sujet ? »
« Pour ce que j’en pense, ils étaient à la recherche d’un coupable. Crois-moi, Reece, tu vas devoir te montrer fort. Tu n’as rien fait de mal. Ce sont les huiles qui nous ont ordonné d’effectuer cette mission. Ils ont même décidé des tactiques à appliquer sur le terrain. Ce sont ces salopards qu’il faudrait interroger ! Ceux qui nous ont balancé leurs ordres depuis le confort douillet de leur QG. Qu’ils aillent tous se faire foutre ! »
Boozer n’avait jamais été avare de ses mots. Il n’était pas du genre à enrober ses idées et il exprimait toujours avec sincérité le fond de sa pensée. En sa qualité de chef, c’était quelque chose que Reece attendait de ses hommes. C’était aussi ce qu’il leur devait, à ses hommes comme à ses supérieurs hiérarchiques : rendre compte de la manière la plus honnête qui soit. C’était ainsi que l’on inspirait confiance aux hommes que l’on devait mener au combat. Sans cette confiance, il n’y avait rien.
Tes hommes t’avaient accordé leur confiance, Reece. Et ils sont désormais tous morts. Concentre-toi. Quelque chose ne colle pas. Quelque chose ne colle vraiment pas.
6 Service d’enquête criminelle de la Navy.
« Commandant Reece », l’interrompit une voix depuis le couloir, plus comme une affirmation que comme une question.
Boozer adressa à Reece un regard signifiant qu’il s’agissait-là des connards dont il lui avait parlé.
« C’est bien moi, répondit Reece tout en se redressant sur son lit médicalisé.
– Bonjour, je suis l’agent spécial Robert Bridger, du NCIS », annonça-t-il alors qu’il entrait dans la chambre. Il adressa un hochement de tête à Boozer tout en sortant sa carte professionnelle pour la montrer à Reece.
Ces gars adorent montrer leur badge ou leur carte, songea Reece. Il se demanda s’ils se doutaient que tous les autres militaires estimaient qu’ils avaient simplement été incapables d’intégrer le FBI ou la CIA et qu’ils n’avaient pas eu le courage d’être simples flics dans la rue, préférant choisir de mener une carrière au sein du NCIS et faire tomber les pauvres gamins de 18 ans qui se montraient positifs au poppers lors des tests mensuels antidrogue de la Navy.
Même leur acronyme se voulait trompeur. Bien que NCIS signifiait Naval Criminal Investigative Service7, avec un premier N pour Naval, leur service ne faisait même pas partie de la Navy. Il s’agissait en réalité d’une agence fédérale composée d’agents spéciaux civils qui étaient chargés d’enquêter sur le personnel de la marine. Personne ne les appréciait réellement.
Boozer se releva et, bien qu’il s’adressât à Reece, il ne quitta pas l’agent Bridger des yeux quand il s’exclama « On se revoit plus tard, patron, et je ne serai jamais loin si tu as besoin de moi ! », avant de quitter la pièce et de laisser son pacha seul avec les fédéraux.
Reece bascula ses jambes par-dessus le rebord du lit, ne trouvant son équilibre qu’au bout de quelques secondes. Il jeta un coup d’œil à son bras, débrancha la perfusion puis se leva pour offrir une poignée de main au plus petit des deux hommes. L’agent Brider avait l’air plutôt sympathique et, pour tout ce qu’en savait Reece, celui-ci ne faisait sans doute que son boulot. Bridger afficha un sourire et saisit la poignée de main.
Le bon flic, songea Reece.
Bridger était vêtu de « l’uniforme » qu’affichaient justement ceux qui ne portaient pas l’uniforme en zone de guerre : un pantalon beige parfaitement repassé, avec la chemisette style safari aux boutons verts, complète jusqu’aux épaulettes, et bien sûr des bottes de combat parfaitement cirées. Reece s’était toujours demandé quelle pouvait être la signification de ces épaulettes. Il affichait fièrement un SIG Sauer P229.40 dans un holster de ceinture de couleur noire, au cuir usé, sans doute à force de frotter contre sa chaise de bureau chaque fois qu’il se levait pour aller chercher un café et qu’il revenait ensuite s’asseoir. Plusieurs fois par jour.
« Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, commandant, nous aimerions vous poser quelques questions sur la mission. Je suis certain que vous comprenez. Il s’agit d’en finir le plus vite possible afin que vous puissiez retrouver vos hommes. »
Ou plutôt ce qu’il en reste, pensa Reece.
« Ce n’est pas un peu précipité ? interrogea Reece tout en balayant du regard sa chambre d’hôpital.
– Eh bien, l’affaire est d’importance. Nous avons besoin d’apporter des réponses à Washington au plus vite. »
Reece acquiesça d’un hochement de tête, résigné à accepter la responsabilité qui était la sienne. Il avait toujours estimé qu’un bon chef devait savoir partager les réussites, mais aussi assumer les défaites, et qu’en cas de succès, il fallait surtout en faire porter le mérite à ses hommes, ceux qui étaient dignes de la plus grande des reconnaissances. Là, l’échec était incontestable. Et c’était sa responsabilité.
« Cela ne vous ennuie pas que je m’habille ? demanda Reece.
– Pas de problème. Je vais patienter dans le couloir. »
Reece inspira profondément et observa sa chambre. Rien à voir avec ce que l’on aurait pu s’attendre à trouver en Afghanistan. C’était une chambre moderne et immaculée, en totale opposition avec le monde qui se trouvait derrière la porte. Perdu dans ses pensées, Reece prit une nouvelle inspiration profonde, puis il repéra ses habits, son treillis taché de sueur et de sang. Il l’attrapa et caressa pendant quelques instants le tissu imbibé de sang, se demandant auquel de ses hommes il pouvait appartenir.
Reece savait que s’il avait été grièvement blessé, il aurait été hospitalisé au service des urgences, qui se situait dans une autre aile de l’hôpital, derrière d’autres portes, là où le personnel se tenait prêt en permanence à accueillir les prochaines victimes d’une tuerie de masse, ce qui était devenu de plus en plus fréquent dans cette guerre insurrectionnelle. Il remarqua alors qu’il n’avait plus son arme ni son gilet balistique. Boozer avait dû en prendre soin.
« Je suis prêt, annonça Reece avant de quitter la chambre.
– OK », répondit l’agent du NCIS.
Cette fois-ci, il n’était plus seul. Il apparut flanqué d’un bonhomme aussi large que costaud vêtu d’un uniforme de maître principal et porteur d’un pistolet Beretta 92F dans un holster de nylon immaculé. Reece s’était toujours demandé par quel concours de circonstances ce pistolet d’origine italienne de calibre 9 mm et maladroitement conçu avait bien pu remplacer le Colt 1911A1.45 jusqu’à devenir l’arme de poing de toutes les forces armées des États-Unis.
Super, encore une imitation de flic, songea Reece.
Reece emboîta le pas de l’agent Bridger tandis qu’il descendait l’escalier menant au rez-de-chaussée et à la sortie. Les deux hommes n’auraient pas pu être plus dissemblables. Avec son 1,83 mètre, Reece dépassait Bridger d’une bonne douzaine de centimètres. Ce dernier portait un pantalon propre et bien repassé et sa chemise n’était pas tachée de sueur, de poussière, de saletés ou de sang comme l’était la veste de treillis de Reece. Son visage bien rasé, à la peau pâle, contrastait étrangement avec celui de cet homme plus grand que lui et qui, avec sa barbe de trois jours et sa peau tannée par le soleil, donnait l’impression d’avoir passé bien plus de temps sur le terrain que dans un bureau.
Reece et son escorte franchirent le double sas de portes battantes marquant la frontière entre le monde hospitalier et la poussière afghane qui, quels que puissent être les tonnages de graviers déversés par l’armée américaine, continuait à s’infiltrer partout. Émergeant devant un soleil irradiant, Reece ne put s’empêcher de plisser les yeux et de les protéger d’un revers de la main, réalisant alors qu’il n’avait jamais eu le temps de jeter un coup d’œil à sa montre et avoir pensé jusque-là que ce devait être la nuit. Reece manqua de trébucher quand une migraine plus forte que toutes les autres lui vrilla les tempes. Avant même qu’il ne puisse réagir, la douleur s’était déjà dissipée. C’est quoi ce truc ? Alors qu’il ajustait sa vision à la lumière, Bridger désigna d’un geste de la main un buggy garé à proximité, la version militaire d’une voiturette de golf. Bridger s’installa sur le siège conducteur et invita Reece à prendre place sur le siège passager à l’avant. Leur maître-principal, toujours aussi taiseux, s’assit à l’arrière et ils démarrèrent en direction de ce que Reece estimait devoir être les bureaux locaux du NCIS.
Ils ne dépareillaient pas dans le quotidien routinier de cette base aérienne de Bagram, avec son lot de soldats courant rejoindre leurs véhicules pour partir en patrouille mixte avec leurs homologues des forces afghanes, son lot d’équipages se relayant pour prendre l’alerte opérationnelle, son lot de militaires ou de contractuels faisant la queue dehors en attendant l’ouverture du mess. Un mercredi après-midi comme n’importe quel autre en zone de guerre.
Alors qu’ils descendaient la Disney Drive, Reece ne put s’empêcher de secouer la tête à la vue de tous ces officiers supérieurs qui devaient retourner un salut tous les cinq pas, chaque fois qu’un officier subalterne croisait leur route. Même au cœur d’une zone de combat, certains galonnés estimaient qu’il était important de préserver cette gestuelle du décorum militaire. Cela lui faisait d’autant plus apprécier la tenue stérile qu’il portait : pas de grade, ce qui signifiait qu’il n’aurait pas à saluer cinquante fois de suite en se rendant au PX8 ou au gymnase.
Bridger ralentit son buggy et alla se garer devant un bâtiment datant de 1979, l’année où les Russes avaient envahi l’Afghanistan. La façade extérieure était criblée d’impacts de balles – sans que l’on puisse savoir s’ils remontaient à l’époque soviétique ou au conflit actuel. Aux yeux de Reece, la structure lui évoquait de manière surprenante la silhouette du Mercure, un navire de guerre à 18 canons de la Marine impériale russe. Ça correspond.
Bridger abandonna le maître-principal à l’extérieur et entraîna Reece dans un dédale de couloirs plantés de bureaux, chacun d’entre eux hébergeant un agent vêtu de la même manière, occupé à taper sur son clavier, à farfouiller dans ses dossiers ou à grommeler au téléphone. Reece photographia tout, depuis le sens dans lequel les portes s’ouvraient jusqu’aux bureaux qui disposaient d’une fenêtre, jusqu’aux agents qui étaient armés ou non, en tout cas jusqu’à ce que Bridger se plante devant la dernière porte à l’extrémité du couloir.
« Attendez ici, s’il vous plaît », indiqua-t-il avant de s’engouffrer dans la pièce.
Reece demeura seul, avec la certitude d’être sous la surveillance de caméras balayant le couloir. Il détourna son regard vers les petites annonces punaisées dans le panneau de bois à cet usage. La plupart d’entre elles émanaient de travailleurs afghans prêts à accepter n’importe quel boulot ingrat, comme vider les toilettes mobiles qui avaient cuit toute la journée sous le soleil afghan. Reece avait toujours estimé qu’ils comptaient parmi les meilleures sources de renseignement pour les insurgés, ayant arpenté chaque recoin de la base à de multiples reprises, en tout cas suffisamment pour mieux orienter les tirs de roquette ou de mortier effectués depuis l’extérieur.
La porte s’ouvrit à nouveau pour laisser apparaître l’agent Brider faisant signe à Reece d’entrer. La pièce n’était pas très grande et, comme le constata tout de suite Reece, dépourvue de la moindre fenêtre ou d’une quelconque autre issue. Assis derrière une table de métal repliable se trouvait un homme qui n’offrit pas de poignée de main, mais afficha son badge et sa carte professionnelle en même temps qu’il se présenta comme étant l’agent spécial Dan Stubbs.
Le mauvais flic.
Reece s’assit en face de l’agent Stubbs tandis que Bridger alla se placer à côté de ce dernier, visiblement son supérieur hiérarchique. Stubbs fit mine de parcourir quelques feuilles de papier avant de repousser les fines lunettes qu’il portait jusqu’à la pointe de son nez, comme pour mieux s’adresser au SEAL qu’il avait convoqué dans une évidente démonstration de force.
Il faisait bien plus sombre dans cette pièce que dans le couloir ou les bureaux adjacents. Reece ajusta une nouvelle fois sa vision tout en balayant du regard la pièce. Une grande pile de dossiers se dressait devant l’agent Stubbs, à côté de laquelle trônait un enregistreur à cassette. Une caméra vidéo avait été installée sur trépieds dans un angle de la pièce, mais elle semblait ne rien enregistrer.
L’agent Stubbs était l’un de ces hommes dont il était impossible de deviner s’il était plus proche de 40 ou de 60 ans. Il avait les cheveux rasés très courts, au point qu’il était difficile de deviner leur couleur naturelle. Il avait un double menton suffisamment marqué pour qu’on puisse le noter et, même si cela n’avait rien de particulier, il affichait la bedaine d’un homme peu habitué à pratiquer du sport au quotidien. Il portait un polo de coton noir sous une veste de costume bon marché couleur foncée. Quelque chose en lui évoquait un passé militaire, bien que Reece soit sceptique sur ce qu’avaient pu être les conditions de cette expérience.
« Commandant Reece, annonça-t-il d’une voix neutre et officielle tout en faisant glisser une feuille de papier sur la table. Avant que nous ne commencions, merci de bien vouloir lire vos droits et signer ici. »
Reece savait qu’il n’y avait rien de pire que signer un quelconque papier soumis par un agent fédéral sans qu’un avocat soit présent. Mais il savait aussi que tous ses hommes avaient trouvé la mort et qu’ils avaient été placés sous sa responsabilité. Il signa le formulaire et le refit glisser de l’autre côté de la table.
« Notre conversation ne sera pas filmée, commandant. »
Premier mensonge, songea Reece tout en faisant mine d’acquiescer son assentiment. Reece savait bien que la caméra sur trépieds n’était qu’un accessoire du décor, comme l’était l’enregistreur à cassette posé sur la table. Toute leur conversation allait être enregistrée et filmée à l’aide de micros ou de caméras dissimulés quelque part dans la pièce. La fausse caméra sur trépied n’avait d’autre utilité que de mettre le sujet de l’interrogatoire plus à l’aise sur un plan psychologique, tandis que celui qui menait l’interrogatoire pouvait décider de mettre l’enregistreur à cassette sur « pause », pour soidisant préserver le secret d’une confession, mais cela n’était bien sûr qu’une illusion.
« Je vais débuter l’enregistrement de notre conversation, qui me servira ensuite pour ma synthèse, si ça ne vous ennuie pas », continua l’homme replet. Reece acquiesça une nouvelle fois d’un hochement de tête, bien plus en hommage à la mise en scène théâtrale qu’à une quelconque nécessité de sa part de donner son accord.
Stubbs appuya exagérément sur le bouton « enregistrer » de l’appareil avant de le placer au centre de la table. « Je suis l’agent spécial Daniel Stubbs, du Naval Criminal Investigative Service. Il est actuellement – il jeta un coup d’œil à sa vieille montre à aiguilles – 13 h 56 et nous sommes le mercredi 14 juin 2017. Je me trouve en présence de l’agent spécial Robert Bridger afin d’interroger le capitaine de corvette James Reece, commandant une escouade du SEAL Team 7, au regard de la mission 644 : le Glaive d’Odin. Commandant9 Reece, pouvez-vous nous dresser un état des lieux concernant le Glaive d’Odin ? »