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Le 11-Septembre n'était que le début ! Vingt années se sont écoulées depuis que les États-Unis ont été attaqués sur leur territoire et qu'ils ont décidé de faire payer les coupables. Mais dans l'ombre, l'ennemi a été patient. Il a appris et s'est adapté. Et il est prêt à frapper à nouveau. Alors qu'une superpuissance régionale s'apprête à célébrer cet anniversaire en faisant usage d'une arme biologique sur le territoire des États-Unis, le nouveau président américain fait appel à James Reece pour une mission aussi confidentielle que personnelle – retrouver et neutraliser les derniers facilitateurs du 11-Septembre. James Reece l'ignore encore, mais, s'il échoue dans sa mission, les États-Unis sombreront définitivement dans le chaos.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Ancien Navy SEAL,
Jack Carr est l'auteur de plusieurs romans à succès mettant en scène James Reece. Ses deux premiers thrillers, "La liste Terminale" et "Le vrai croyant", ont été adaptés en série TV par Amazon Prime.
« Un suspens continu, un sens du détail si authentique que le gouvernement cherchera sans doute à censurer ce livre – dépêchez-vous de le lire pendant qu’il est encore temps. » – Lee Child
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Seitenzahl: 783
Veröffentlichungsjahr: 2025
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En hommage au docteur Robert Bray, commandant de l’armée de l’Air des États-Unis, pour des raisons qui demeurent classifiées – ainsi qu’en hommage aux sentinelles qui, dehors cette nuit, tiennent le front pour nous tous.
Enfouie quelque part au milieu des 9 723 mots du texte de l’Ordre Exécutif 12333, intitulé Activités de renseignement des États-Unis, figure cette phrase du paragraphe 13 de la deuxième partie :
2.11. Prohibition des assassinats. Aucune personne travaillant ou agissant pour le compte du gouvernement des États-Unis ne pourra planifier ou conspirer dans le but de commettre un assassinat.
*
Sept jours après le 11-Septembre, le Congrès a voté une résolution de 275 mots intitulée Autorisation 2001 pour l’usage de la force militaire. Ce document accordait au Président des États-Unis l’autorité nécessaire pour traduire en justice des individus ou des pays impliqués dans l’attaque terroriste. Vingt ans plus tard, cette résolution demeure le seul socle légal autorisant la poursuite de la Guerre contre la Terreur.
… tuer les Américains et leurs alliés – civils et militaires – est un devoir individuel pour tous les musulmans capables de le faire dans tous les pays où il est possible de le faire…
– Fatwa d’al-Qaida, 1998
*
Im ba l’hargekha hashkem l’hargo
Si quelqu’un vient vous tuer, réagissez et tuez-le en premier.
– Édit du Talmud
Le matin du 11 septembre 2001, dix-neuf hommes embarquèrent dans quatre avions aux aéroports de Logan, Newark et Dulles International. Ils avaient tous pour destination la côte ouest. Ces vols avaient été choisis car les appareils étaient équipés de réservoirs prévus pour un vol transcontinental.
Deux heures plus tard, les États-Unis se trouveraient plongés dans la guerre, une guerre qui se poursuit encore aujourd’hui.
Ce roman ne concerne pas les événements du 11-Septembre au matin. Il s’agit plutôt d’une réflexion sur les connaissances que nos adversaires ont acquises depuis nos premières réponses apportées au terrorisme au Proche-Orient et en Europe en 1979, et jusqu’à la première moitié de 2001, et sur ce qu’ils ont encore appris au cours des deux décennies qui ont suivi cette attaque fondatrice qui a changé le cours de l’histoire.
Il s’agit d’un roman consacré à la guerre asymétrique.
Je me suis longtemps interrogé sur ce que l’ennemi avait appris en nous observant sur les champs de bataille depuis maintenant une vingtaine d’années de combats ininterrompus. Quelles leçons ont-ils apprises et comment ont-ils fait évoluer leurs tactiques et leurs stratégies afin de prendre en compte ces leçons ? Si j’étais l’ennemi, qu’aurais-je moi-même appris ?
Voici les questions que je me suis posées alors que je servais sous l’uniforme, et que je continue de me poser aujourd’hui en tant qu’auteur. Cela fait vingt ans que nos adversaires nous observent autour d’une table de poker, tout en ayant l’avantage de voir nos cartes. Ils ont étudié nos tactiques et ont vu nos technologies évoluer, nos buts et nos objectifs se modifier. Ils ont pris des notes alors que nous combattions en Afghanistan, en Irak, en Syrie et sur d’autres points chauds du globe. Nos réponses apportées à la pandémie et aux émeutes civiles qui ont infesté nos villes à une époque où les idéologies politiques nationales semblaient irréconciliables ne sont pas passées inaperçues. Ils voient désormais un pays divisé. Ont-ils pris en compte l’émergence de ce fossé dans leurs plans de bataille ?
Cela fait presque vingt ans depuis ce matin de septembre. Nos ennemis ont fait preuve de patience. Ils nous ont observés, ils ont appris et ils se sont adaptés. La Russie, la Chine, la Corée du Nord, les groupes terroristes et les individus surpuissants ont attendu, prenant le temps d’identifier les failles de nos défenses et planifiant de manière à exploiter nos faiblesses. J’espère sincèrement que l’opération que vous découvrirez dans les pages à venir ne fait l’objet d’aucune planification de la part d’un service de renseignement étranger. Nous ferions preuve d’intelligence en nous rappelant que dans L’Histoire de la Guerre du Péloponnèse, l’historien athénien Thucydide qualifie l’espoir de danger consolateur dans son dialogue entre les Athéniens et les Méliens. Dans l’histoire militaire contemporaine et dans le jargon des services de renseignement, son texte écrit en grec ancien se traduirait par l’espoir n’est pas un mode d’action. Bien que cela soit vrai, l’espoir est très souvent la dernière chose qu’il reste en période de désespoir. Cette leçon est aussi vieille qu’Hérode. Soyez préparés.
Il n’existe sans doute aucun ouvrage militaire aussi influent que l’Art de la guerre. Le stratège militaire et philosophe chinois Sun Tzu savait que « l’art suprême de la guerre est de parvenir à battre son adversaire sans l’avoir affronté ». Lors d’une confrontation asymétrique, il s’agit-là d’une notion essentielle pour un ennemi qui ne dispose pas d’un arsenal nucléaire. Comment pourrait-il alors l’emporter sur une superpuissance ? « Tout conflit est basé sur la tromperie. » Les enseignements de la période des Royaumes combattants ne sont pas étrangers à nos adversaires – des adversaires qui jouent sur le long terme. Avec ces deux principes en tête, si votre mission consistait à détruire un empire étranger, que feriez-vous ?
Il s’agit également d’un roman sur l’éthique, la morale et la légalité des assassinats ciblés, ce que les Israéliens appellent Chissulim, ou éliminations, en tant qu’outil d’une puissance étatique. Existe-t-il une différence entre l’utilisation d’un drone Reaper pour éliminer un combattant ennemi en faisant usage d’un missile AGM-114 Hellfire ou d’une bombe JDAM larguée depuis une altitude de 50 000 pieds et le fait d’envoyer une balle de 180 grains en calibre .300 Winchester à travers le crâne de ce même combattant depuis une distance de 900 mètres ? Quelles différences l’ennemi voit-il entre ces deux méthodes d’assassinat ? Est-ce que le fait de s’appuyer sur la fiabilité grandissante des drones pour délivrer la mort à distance a entraîné l’effet désiré ? Cela a-t-il permis de sauver la vie de citoyens américains, ou cela a-t-il entraîné un afflux de nouvelles recrues prêtes à défendre la cause, ce que le Dr David Kilcullen qualifie de « rebelles par accident » ?
Le 11 septembre 2001, certains groupes d’individus se sont tenus épaule contre épaule en regardant sur les écrans de télévision l’effondrement des tours jumelles, des hommes dotés de certaines qualifications, des hommes dont l’unique mission consiste à se préparer pour la guerre. Ces hommes n’en parlent pas ouvertement, mais au sein de cette fraternité, certains n’avaient qu’une seule pensée en tête : bon dieu, j’aurais aimé être à bord de l’un de ces avions. Ce sont eux qu’on appelle pour partir combattre : les protecteurs, les guerriers, les gardiens. Ils sont là, dehors, ce soir. Ils traquent l’ennemi. Si la guerre devait se dérouler sur vos terres, vous aimeriez qu’une de ces sentinelles se tienne à vos côtés, arme à la main, prête.
Avant le 11-Septembre, ces hommes auraient choisi un siège situé près d’un hublot. En se fondant sur les analyses des anciens détournements d’avion, ils savaient que cela leur aurait permis de riposter plus violemment dans les premières phases d’une violente prise de contrôle d’une cabine d’avion, quand les terroristes ont besoin de faire des exemples avec différents passagers afin de tenir les autres sous leur coupe. Un siège près d’un hublot leur aurait donné le temps d’observer et de décider d’un plan d’action. Le 11-Septembre a fait évoluer ce paradigme des détournements. À la suite de ce mardi matin, ces mêmes anges gardiens auraient choisi un siège situé côté allée afin de pouvoir réagir dans l’instant à une éventuelle menace. Ils ne se distinguent en rien des autres passagers, à moins que vous ne sachiez quoi rechercher, à moins que vous ne soyez l’un des leurs.
Effectuer des recherches pour ce roman fut un moment d’une intensité émotionnelle extrême : écouter les appels des passagers à bord des avions détournés à destination de leurs proches au sol, se documenter au sujet de ceux qui sont morts, piégés dans les décombres des bâtiments effondrés, certains préférant sauter dans le vide plutôt que périr brûlés vifs.
J’encourage tout le monde à visiter le mémorial du 11-Septembre, à Manhattan. Prenez votre temps. Tenez compte des leçons qui y sont enseignées.
Alors que nous avons laissé derrière nous le 20e anniversaire de ces attaques et que nous nous engageons désormais dans une troisième décennie de combats continus, avons-nous une vision claire de la manière dont ce conflit pourrait s’achever ? Notre stratégie à court terme doit-elle désormais s’appliquer sur la durée, ce qui condamnerait nos enfants et nos petits-enfants à combattre les fils et les petits-fils de ceux qui ont planifié les attaques terroristes les plus meurtrières de l’histoire ? Est-ce que nous sommes toujours incapables de comprendre la nature du conflit dans lequel nous nous sommes engagés ?
J’ai bien peur que nous connaissions déjà tous la réponse.
Jack CarrPark City, Utah11 septembre 2020
1953 :
Coup d’État en Iran soutenu par la CIA
1979 :
Révolution iranienne
1979 :
Début de la crise des otages en Iran
1980 :
Opération Eagle Claw
1980 :
Début de la guerre Iran-Irak
1981 :
Fin de la crise des otages en Iran
1983 :
Attentat à la bombe contre l’ambassade des États-Unis à Beyrouth, Liban
1983 :
Attentat à la bombe contre les baraquements des U.S. Marines à Beyrouth, Liban
1983 :
Attentat à la bombe contre l’ambassade des États-Unis à Koweït City, Koweït
1984 :
Enlèvement du chef de poste de la CIA à Beyrouth, William F. Buckley
1984 :
Attentat à la bombe contre l’annexe de l’ambassade des États-Unis à Beyrouth, Liban
1985 :
Détournement du vol 847 de la TWA
1985 :
Début de l’affaire Irangate
1985 :
Détournement du Achille Lauro
1985 :
Exécution du chef de poste de la CIA à Beyrouth, William F. Buckley
1987 :
Fin de l’affaire Irangate
1987 :
Début de l’opération Earnest Will
1988 :
Enlèvement du lieutenant-colonel William Higgins, Liban
1988 :
L’USS Vincennes abat le vol Iran Air 655
1988 :
Fin de la guerre Iran-Irak
1988 :
Fin de l’opération Earnest Will
1988 :
Attentat contre le vol Pan Am 103
1990 :
Exécution du lieutenant-colonel William Higgins, Liban
1990 :
Invasion du Koweït par l’Irak
1990 :
Opération Desert Shield
1991 :
Opération Desert Storm
1993 :
Attentat du World Trade Center
1996 :
Attentat des tours de Khobar, Arabie Saoudite
1998 :
Attentats à la bombe contre l’ambassade des États-Unis en Afrique de l’Est
2000 :
Attentat contre l’USS Cole
2001 :
Assassinat de Ahmed Chah Massoud
2001 :
Attaques terroristes du 11-Septembre
2001 :
Invasion de l’Afghanistan par les États-Unis
2003 :
Invasion de l’Irak par les États-Unis
2006 :
Neutralisation d’Abou Moussab al-Zarqaoui
2008 :
Neutralisation de Imad Fayez Mougniyah
2011 :
Neutralisation de Ousama ben Laden
2020 :
Neutralisation de Qassem Soleimani
2021 :
Vingtième anniversaire des attaques terroristes du 11-Septembre
Le passé est un prologue.
– William Shakespeare
Cette journée qui transforma le monde débuta comme toutes les autres pour ceux qui n’avaient rien à voir avec l’opération. Les routines de quelques autres varièrent légèrement. Aliyah Hajjar était l’une de ces quelques autres.
Depuis plus d’un an, Aliyah était employée par JetClean Industries, une société de service de nettoyage industriel spécialisée dans l’aviation et en charge du nettoyage des appareils entre deux vols à l’aéroport international Logan de Boston. Elle passait ses journées à arpenter dans un sens et l’autre les coursives des cabines avec son équipe, vidant les pochettes de leurs déchets, désinfectant les espaces cuisine et remettant en place les ceintures de sécurité.
Ce travail ne contrariait pas Aliyah. Il lui donnait l’opportunité de s’éloigner de son foyer et de faire la conversation avec d’autres musulmanes partageant les mêmes horaires. C’était également un moment durant lequel elle ne côtoyait pas son mari.
Celui-ci ne l’avait jamais frappée quand ils avaient vécu à Hambourg. Les coups avaient débuté quand ils avaient déménagé aux États-Unis, après qu’ils aient reçu un visa temporaire de 5 ans auprès de l’ambassade de Berlin. Au début, Aliyah avait pensé qu’il la frappait car elle ne pouvait pas avoir d’enfant. Elle savait désormais que ce n’était pas le cas.
Elle n’avait pas compris les raisons pour lesquelles cet homme qui avait étudié pour devenir comptable en Allemagne se contentait de servir les clients et de nettoyer la cuisine d’un restaurant marocain en périphérie de Cambridge. Les maigres salaires qu’ils rapportaient à la maison suffisaient à peine à financer le gîte et le couvert de leur petit appartement de Watertown. La première fois qu’elle l’avait interrogé à ce sujet, il l’avait giflée en pleine figure. Aujourd’hui encore, le souvenir de la douleur, associée au choc, lui faisait monter les larmes aux yeux. Quand elle avait essayé de se retourner pour s’enfuir, il l’avait saisie à la gorge et l’avait projetée sur leur canapé, acheté d’occasion et qui empestait la moisissure, puis l’avait étranglée jusqu’à ce qu’elle perde conscience, tout en lui hurlant de ne jamais recommencer à poser la moindre question.
Plus tard cette nuit-là, quelqu’un avait toqué à la porte. Son mari lui avait alors indiqué la salle de bain d’un geste et intimé l’ordre d’y demeurer cloîtrée jusqu’à ce qu’il vienne la chercher. Elle avait pressé son oreille contre le montant de la porte et essayé d’entendre la conversation à voix basse entre son mari et l’inconnu. Elle avait reconnu sa langue natale, mais elle avait été incapable de saisir l’échange. Plus tard, elle était allée se coucher et avait fait mine de dormir. Le lendemain, après le travail, elle avait fouillé le minuscule appartement et découvert une petite valise qu’elle ne connaissait pas dans le placard à balai près de l’entrée. Elle était remplie de billets. Elle avait essayé de la ranger dans la même position que celle où elle l’avait découverte.
Cette nuit-là, il l’avait encore frappée. Cette fois-ci, il avait fallu plusieurs jours avant que les marques ne s’estompent. Elle était retournée à l’aéroport international de Logan en dissimulant ses marques sous un hidjab, ses yeux rougis visibles seulement à travers l’ouverture de son voile noir.
À compter de ce jour, elle n’avait plus jamais touché une valise, un sac à dos ou un sac qu’elle ne connaissait pas et qu’elle aurait pu trouver dans l’appartement. Elle savait qu’il s’agissait d’un hawala, un système traditionnel de paiement informel ayant pour origine la Route de la Soie. Il permettait de transférer des fonds à travers le monde sans laisser la moindre trace numérique dans le système bancaire. Les hawaladars prélevaient généralement un pourcentage sur la somme concernée en récompense de leur travail, mais Aliyah ne perçut aucun changement dans leur train de vie. En sa qualité de femme musulmane, élevée selon un islam rigoureux, elle n’avait aucun droit de connaître les détails de la situation financière de leur famille. Elle savait simplement que le canapé était moisi et que son mari ne faisait aucun effort pour le remplacer.
Il y a de cela deux semaines, elle était rentrée du travail un peu plus tôt qu’à son habitude. Elle ne s’était pas sentie très bien au cours des derniers jours. Alors qu’elle sortait ses clés de son sac à main, elle avait fait preuve de maladresse et les avait laissées tomber dans l’escalier. Pour peu que l’homme qui descendait les escaliers se fût arrêté pour les ramasser, lui ait souri et lui ait souhaité une bonne journée, elle n’aurait probablement rien remarqué. Au lieu de cela, il était passé devant elle en l’ignorant, ses pieds venant taper le sol à quelques centimètres seulement de ses clés. Il était un peu plus âgé qu’elle, pas de beaucoup, et n’avait rien de distinctif, à l’exception d’une chose : un regard qui l’avait hantée. Un regard vide. Bien que la température estivale ait été particulièrement élevée, elle avait senti un frisson la traverser. Peut-être était-elle vraiment malade ?
Non, avait-elle songé. Je l’ai déjà vu quelque part. Hambourg ? Le Caire ? Quelque part.
Alors qu’elle poussait son chariot de nettoyage en direction de l’appareil garé au portail B32, elle se demanda si cet homme au regard vide avait quelque chose à voir avec sa mission de ce soir.
Son mari s’était fait porter pâle au restaurant où il travaillait, ce qui avait semblé étrange à Aliyah, car il n’était visiblement pas malade. Elle s’était pourtant abstenue de lui faire la moindre remarque, comme pour de nombreuses autres choses dans sa vie, car la violence lui avait appris qu’il était préférable de ne poser aucune question. Son mari lui avait ensuite dit qu’Allah l’avait choisie, elle, pour une mission importante. Désormais, elle comprenait. Elle comprenait pourquoi ils avaient fait une demande de carte verte à l’ambassade américaine en Allemagne, pourquoi son mari avait accepté ce travail ingrat aux États-Unis, pourquoi ils ne priaient que dans leur appartement et ne fréquentaient jamais la mosquée, et pourquoi elle avait été obligée de se porter candidate pour ce travail mal payé consistant à nettoyer des avions.
Le Boeing 767 était prévu pour un vol intercontinental à destination de Los Angeles. Il avait besoin d’être nettoyé la veille au soir afin d’être prêt à décoller le lendemain matin.
Elle ajusta son hidjab et s’agenouilla, utilisant la lame de son cutter pour décoller un chewing-gum. Écœurant. Elle et les autres femmes de ménage sous sa responsabilité avaient appris à utiliser l’extrémité de la lame pour décoller les chewing-gums glissés sous les côtés d’un siège ou fixés au sol de la cabine des appareils qu’elles devaient nettoyer. C’était là une chose courante.
Ce qu’elle fit ensuite n’avait rien d’aussi habituel.
Elle s’était positionnée en Première classe de manière à pouvoir surveiller ses collègues du coin de l’œil. Deux d’entre elles allaient et venaient près des sièges situés en fond de cabine et remplissaient leurs sacs poubelle des détritus laissés dans l’avion au cours du vol précédent. Une autre collègue désinfectait les toilettes à l’arrière. Un superviseur était campé au milieu de la cabine, gardant un œil sur leur travail tout en parcourant la liste de tâches à accomplir et cochant ce qui avait été déjà fait.
Elle fit alors mine de remarquer quelque chose sur le côté de l’appareil, avança jusqu’à la deuxième rangée de sièges et s’agenouilla. Quand elle se releva, deux cutters avaient été fixés avec du ruban adhésif sous les sièges 2A et 2B.
*
Alors que leur Lincoln Town Car conduite par un chauffeur sinuait à travers la circulation matinale de New York, Alec Christensen entendit la sonnerie familière de son Nokia à travers son sac bandoulière. Il sortit l’appareil à la troisième sonnerie. Il sourit en présentant le téléphone neuf à sa fiancée, assise à côté de lui, lui montrant la nouvelle fonctionnalité permettant d’identifier l’appel entrant.
« Tu deviens trop accro, le réprimanda-t-elle. Tu vas attraper une tumeur du cerveau.
– Hé, bonjour papa, fit Alec après avoir appuyé sur la grosse touche pour accepter l’appel et porté l’appareil à son oreille. On est presque arrivés. Ah, vraiment ? C’est dommage. OK. Alors, je te retrouve au Rainbow Room1. Ouais, à 8 h 30. Je la tiens au courant. On se voit là-bas.
– Que voulait-il ? interrogea Jen.
– Il a dû déplacer notre petit-déjeuner. Une nouvelle réunion vient de lui tomber dessus au bureau et il ne pourra pas se rendre au centre-ville. Il m’a indiqué de te transmettre ses plus profonds regrets.
– À t’entendre, on dirait Julia Child2.
– Oh, n’exagère pas. C’était plutôt une bonne imitation de William F. Buckley3. Tu voudrais modifier ton agenda et venir petit-déjeuner avec nous ? »
Jen jeta un coup d’œil à sa montre.
« Eh bien, mon patron arrive tard aujourd’hui. Il dépose son fils pour sa première journée d’école maternelle. Mais bon, je ne pense quand même pas que ce soit possible. Je ne serai jamais de retour à temps. Tu vas lui annoncer bien que je ne sois pas là ? demanda-t-elle en changeant de sujet.
– Qu’est-ce que tu en penses ? demanda Alec tout en faisant usage de son pouce pour taper un message sur le petit clavier de son téléphone.
– Pourquoi tu ne passes pas un coup de fil ? Ce nouveau système de messagerie SMS est vraiment trop bizarre. Je ne vois pas comment il pourrait s’apercevoir qu’il a reçu un message. Et en plus, tu passes à côté de cette magnifique journée. Pas un seul nuage dans le ciel.
– Les techniciens adorent cette messagerie, et c’est un truc vraiment efficace une fois qu’on s’y est habitué. Tu vois, il suffit de faire défiler les lettres jusqu’à ce que tu trouves celle que tu cherchais. J’informe simplement les gars de l’équipe que je les retrouverai comme prévu à 11 heures sur les lieux de la propriété sur la 8e avenue.
– Tu penses que ta société va acheter l’immeuble ?
– Je pense qu’elle va plutôt en louer une partie, mais on ne sait jamais. La bulle des nouvelles technologies va sans doute exploser. Ça ne sera pas beau à voir, mais les sociétés qui y survivront en ressortiront plus fortes et pourront prendre de nouvelles parts de marché.
– J’adore quand tu me dis des trucs cochons », fit Jen en glissant sur la banquette arrière de la Lincoln pour se rapprocher de l’homme avec lequel elle comptait partager sa vie.
Il aurait été plus rapide de prendre le métro jusqu’à Manhattan, mais quand Alec se trouvait en ville, son père lui mettait toujours une voiture avec chauffeur à disposition. Jen supposait que cela provenait de son désir de protéger son fils unique. Elle avait le cœur brisé à l’idée qu’il n’ait aucun souvenir de sa mère, décédée avant même qu’il ne sache marcher.
« Combien de temps durera la réunion selon toi ? demanda-t-elle.
– Sans doute quelques heures. J’irai courir quand ce sera fini afin de pouvoir continuer à réfléchir. Il s’agit de quelque chose de très important pour la société et je veux m’assurer que nous prenions la bonne décision.
– Je n’arriverai jamais à comprendre comment tu peux courir dans cette ville.
– J’ai grandi en le faisant, alors c’est quelque chose de tout à fait normal pour moi.
– Eh bien, fais attention à toi. Cela m’inquiète de savoir que tu cours dans ces rues. C’est dangereux.
– Je veux bien t’accorder que ce n’est pas aussi sûr que faire un jogging sur le campus de Stanford, mais crois-moi, je suis un professionnel. »
Ils s’étaient rencontrés alors qu’ils étaient tous deux étudiants de première année à l’université de Stanford, mais cela faisait déjà deux ans qu’ils avaient quitté le campus. Alec pratiquait le Lacrosse et avait apprécié le fait de grandir sur la côte est au regard de ce sport qui commençait à peine à se populariser sur la « côte libérale ». Quand il avait rencontré Jen, il avait tout apprécié en elle sur l’instant. Après avoir été diplômé, il avait choisi d’intégrer une petite start-up fondée par des camarades de promotion et avait bénéficié de stock-options en guise de salaire comme quasiment tous les autres employés. Mais à la différence de quasiment tous les autres, il avait bénéficié d’un fonds fiduciaire qui lui avait permis de ne pas avoir à manger des nouilles japonaises tous les soirs.
Jen avait quant à elle reçu une formidable offre d’emploi de la part de la banque d’investissement Cantor Fitzgerald et venait d’entamer sa troisième année en qualité de banquière d’affaires. Elle comptait maintenant poser sa candidature pour la Harvard Business School et débuter ses cours à l’automne prochain, une décision qu’encourageait le père d’Alec dans l’espoir que cela ramènerait son fils sur la côte est. Ils étaient désormais fiancés depuis deux mois. Alec avait souhaité attendre pour pouvoir en informer son père en personne. Il était sensible au fait que l’homme qui l’avait élevé l’avait fait seul, l’amour de sa vie ayant succombé à un cancer très tôt dans leurs jeunes vies. Son père ne s’était jamais remarié. Alec avait planifié de le lui annoncer ce matin au restaurant Windows on the World, au sommet de la tour nord du World Trade Center, avec Jen à ses côtés.
« Tu sais quoi ? demanda Jen avant de répondre elle-même à sa propre question. C’est mieux de cette manière. Vous deux, les garçons, vous aurez votre moment à vous ensemble et je le laisserai ensuite me gâter au dîner.
– Où voudrais-tu aller ? Je suis certain qu’il me posera la question.
– Nous sommes mardi, alors pourquoi pas le Pool Room ?
– Papa est plutôt du genre à préférer le Grill Room, mais je suis sûr qu’il fera un effort pour toi. Tu es certaine que je devrais lui annoncer sans toi ? »
Elle porta sa main sous le menton d’Alec et le fit pivoter afin de détourner son regard de ses textos et qu’il puisse la regarder dans les yeux.
« J’en suis sûre. »
*
« Hé, papa !
– Pile à l’heure, fiston, répondit son père en jetant un coup d’œil à sa montre Philippe Patek.
– Je règle toujours la mienne avec cinq minutes d’avance comme tu me l’as enseigné, indiqua Alec. De cette manière, je peux être cinq minutes en retard mais quand même être à l’heure.
– Ce n’était pas vraiment l’idée, fiston. Le concept, c’est d’arriver en avance. Ce n’est pas très respectueux d’arriver en retard. Cela montre que tu n’accordes guère d’importance à ton bien le plus précieux…
– Le temps, compléta Alec en finissant cette phrase que son père lui avait répétée maintes fois au cours des ans.
– C’est exact.
– Tu vois, j’écoute ce que tu dis.
– M. Christensen, intervint poliment le maître d’hôtel. Votre table est prête.
– Merci, Charles. »
Ils étaient assis près de la baie vitrée de ce restaurant iconique de New York. L’Empire State Building offrait une vue sur le Sud, surplombant Soho, Greenwich Village et les tours jumelles du World Trade Center. La Statue de la Liberté elle-même était visible au loin, depuis le 65e étage, par cette journée au ciel clair. Alec sourit, imaginant Jen grignoter quelque chose dans le hall de son immeuble. Peut-être était-elle allée faire un tour au Windows on the World pour y prendre seule un petit-déjeuner avant de gagner son bureau, duquel il était possible qu’elle regarde en ce moment même dans sa direction.
Dobson Christensen était impeccablement vêtu d’un costume trois-pièces, sans un seul de ses cheveux gris en désordre. Son tailleur faisait un incroyable travail en parvenant à camoufler le fait que son client n’était pas dans la meilleure des formes. Comme pour de nombreux hommes de sa génération, ses principaux exercices physiques consistaient à arpenter le terrain de golf de Maidstone et à se rendre au Clove Valley Rod & Gun Club, ces deux activités mêlant rencontres professionnelles et plaisir.
La tenue habituelle d’Alec, plutôt classique dans l’univers des start-ups – pantalon décontracté et chemise bleue –, avait été complétée pour l’occasion d’un blazer marine et d’une cravate. Il s’habillait de manière plus conventionnelle à New York, par habitude, à force de fréquenter avec son père des établissements qui n’auraient pas accepté les tenues plus décontractées en vigueur à Palo Alto.
Son père disposa de manière cérémonieuse une serviette blanche sur ses genoux tandis qu’un serveur apportait une cafetière à piston. Le patriarche Christensen était un client régulier.
« Et pour vous, monsieur ?
– Je prendrai la même chose, répondit Alec.
– Alors, parle-moi du futur d’Internet, interrogea Dobson, et n’oublie de me parler des sociétés dans lesquelles je devrais investir l’argent de mes clients. »
Dobson Christensen faisait preuve d’une certaine excentricité. Alors que la plupart des garçons de bonne famille avaient trouvé refuge dans le monde universitaire afin d’échapper à la Guerre du Vietnam, Dobson avait choisi un chemin bien différent. Il avait interrompu ses études à Princeton et s’était porté volontaire pour intégrer le Corps des Marines. Plusieurs années plus tard, il prétendrait avoir agi ainsi « pour ne plus avoir à s’en soucier », mais Alec savait ce qu’il en était réellement. Derrière le costume sur mesure, les chaussures cirées et le mondain se dissimulait un homme farouchement patriote qui aurait pu se porter volontaire pour intégrer la Garde nationale ou demander un sursis en raison de ses études, mais qui avait été attiré par l’idée de devoir combattre. Il s’était retrouvé mitrailleur de porte à bord d’un hélicoptère d’assaut Bell UH-1 Iroquois, lequel avait été abattu au cours de sa première mission, avant même qu’il ne puisse tirer un coup de feu. Le pilote et le copilote avaient trouvé la mort dans le crash, mais le 1re classe Christensen avait survécu avec une fracture des vertèbres, du pelvis, de la hanche et du fémur. Il avait passé le reste de son affectation dans les Marines à se rétablir, tout d’abord à Okinawa, puis à Walter Reed. Sa canne et son boitillement étaient un souvenir constant de cet événement, et quand il était interrogé à ce sujet, il répondait que son Purple Heart n’était que la réponse à la médaille qu’un tireur d’élite vietcong avait très certainement reçue. Il aimait plaisanter sur le fait qu’il avait passé plus de temps à faire ses classes que sur le terrain au Vietnam.
Le serveur revint les voir pour leur tendre des menus. Dobson rangea le sien sur le côté en lançant : « Je prendrai une omelette forestière accompagnée d’un épais bacon. » Il n’était pas du genre à rechigner sur les bonnes choses.
« Et moi, je prendrai…, annonça Alec en parcourant son menu, le… »
Un énorme fracas, comparable au bruit d’un train de marchandises roulant à pleine vitesse, ébranla soudain la pièce. Les clients s’agrippèrent aux tables, se préparant à subir ce qu’une partie de leur cerveau identifiait comme un tremblement de terre tandis que l’autre partie affirmait que cela ne pouvait être possible.
Alec tourna les yeux vers son père, dont le regard était braqué vers le sud-est. Alec suivit le regard de son père et se leva pour aller se coller contre la baie vitrée du restaurant. Il observa un avion qui venait de survoler à basse altitude le fleuve Hudson et se dirigeait maintenant vers le centre-ville en sinuant au milieu des gratte-ciels. Celui-ci vira de bord à l’approche de sa cible et disparut bientôt en s’encastrant dans la tour nord du World Trade Center.
Des flammes, de la fumée, un carnage, la mort. Jen.
Alec s’élança en direction de l’ascenseur.
« Alors, t’arrives ! » hurla-t-il tout en jetant un coup d’œil en direction des escaliers, mais se forçant à patienter. Il savait parfaitement que l’ascenseur constituait le moyen le plus rapide pour descendre.
La plupart des gens étaient restés collés aux baies vitrées, observant les tourbillons de fumée qui s’élevaient depuis la tour nord, ce qui fit qu’Alec se retrouva seul devant les portes de l’ascenseur lorsqu’elles s’ouvrirent.
S’il vous plaît, mon Dieu, faites qu’elle survive. Faite qu’elle soit restée dans le hall d’entrée. Laissez-la vivre !
Luttant contre une envie de vomir, Alec ferma les yeux priant pour que l’ascenseur descende encore plus vite par la seule force de sa volonté.
Où l’avion a-t-il tapé ?
Il savait que Cantor Fitzgerald occupait les étages du 101e au 105e, et que le restaurant Windows on the World était situé tout au sommet de la tour nord.
Allez, allez !
Les portes s’ouvrirent, et Alec s’élança à travers un groupe d’hommes d’affaires n’ayant aucune idée de la tragédie qui se déroulait quelques kilomètres seulement plus au sud. Il déboucha dans la rue à pleine vitesse. Il tourna en direction d’une bouche de métro, s’arrêta pour jeter un coup d’œil aux escaliers s’engouffrant sous terre, puis releva les yeux en direction de la colonne de fumée noire qui obscurcissait le ciel bleu de sa ville adorée. Il prit sa décision.
Il courut.
Tout en sprintant en direction de la fumée et des flammes, il esquiva les piétons inconscients de ce que le monde venait de changer. Malgré les battements à tout rompre de son cœur et le feu dans ses poumons, ses jambes continuèrent à le propulser à travers les carrefours, sans prêter la moindre attention aux klaxons ou aux injures de ceux qu’il bousculait.
Des sirènes, il se souviendrait toujours du bruit de ces sirènes.
Tandis qu’il se rapprochait de la tour mortellement blessée, il dut se frayer un chemin à travers une foule de piétons trébuchants cherchant à fuir dans la direction opposée, certains paniqués, d’autres tétanisés. Il accéléra encore malgré les policiers et les pompiers qui lui intimaient de rebrousser chemin. Il entendit alors les moteurs rugissants d’un nouvel avion arrivant depuis le sud, ceux du vol United Airlines 175 comme il l’apprendrait plus tard. Il sentit l’impact au plus profond de son âme.
Deux avions. Il fallait qu’il retrouve Jen. Mon Dieu, faites qu’elle n’ait rien.
Il poursuivit sa course, toujours plus près des débris de verre et de métal fondu, en direction du kérosène qui consumait la carcasse métallique de la structure. Il courut en direction des morts et des mourants. Il courut en direction des corps qui tombaient du ciel. Il courut en direction de Jen. Il courut tout droit en enfer.
*
« Assieds-toi », ordonna son mari.
Aliyah s’assit, l’odeur de moisissure du canapé sur lequel il l’avait auparavant étranglée venant s’infiltrer dans ses narines.
Ils venaient d’achever le fijr, leur prière du matin, lui dans le salon et Aliyah dans la chambre. L’islam interdisait aux hommes et aux femmes de pratiquer le deuxième des cinq piliers ensemble.
Elle avait fait ses wudū avec de l’eau puisée dans le lavabo de la salle de bain comme il l’avait fait lui-même avec l’eau de l’évier de la cuisine, se lavant le corps comme le rituel de la prière l’exigeait : la bouche, le nombril, les mains, les bras, le visage et les pieds. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une eau purifiée comme le prescrivait le Coran, ils se trouvaient en territoire ennemi et savaient qu’Allah leur pardonnerait cet écart. Plutôt que de pratiquer le salât ce matin-là, elle avait pris place sur le lit et avait laissé son regard se perdre à travers la petite lucarne sale tout en écoutant son mari réciter les versets du Coran en arabe. Ils parlaient farsi au sein du foyer, mais les vrais croyants de l’islam priaient dans la langue du prophète. Elle n’était retournée dans le salon qu’après avoir entendu son mari achever sa prière et brancher la petite télévision.
Ils avaient regardé CNN en silence.
Quand le premier avion avait frappé, des souvenirs lui étaient revenus en mémoire. Elle s’était rappelé Mohammed Haydar Zammar de la mosquée al-Quds au cours de leur temps passé en Allemagne. Elle s’était rappelé sa haine de l’Amérique. Elle s’était rappelé ses prêches incessants. Elle s’était rappelé le sol de béton et la peinture défraîchie de la salle de prière des femmes. Et elle s’était rappelé cet homme au regard vide. Bien que son visage n’apparaîtrait pas sur les écrans de télévision du monde entier avant plusieurs jours, elle s’était rappelé la première fois où elle l’avait rencontré, avant de le croiser à nouveau dans les escaliers. Elle s’était rappelé l’avoir vu assis avec son mari dans leur appartement de Hambourg. Elle leur avait préparé du thé. Il s’était exprimé d’une voix douce, avec une certaine distance, ne lui prêtant pas la moindre attention. Lui et son mari avaient parlé d’avions. Il s’appelait Mohammed Atta.
« Nous avons triomphé de notre ennemi inique, indiqua son mari sans détourner son regard de l’écran de télévision.
– Loué soit Allah pour cette victoire, enchaîna-t-elle servilement.
– Tout ceci, fit-il en pointant du doigt les nuages de fumée qui s’élevaient depuis ce qui, jusqu’à ce moment, avait été un symbole de la puissance économique des États-Unis sur le reste du monde, tout ceci n’est qu’un début. »
1. Restaurant situé au 65ᵉ étage du Rockefeller Center.
2. Cheffe cuisinière et animatrice de télévision américaine.
3. Essayiste et journaliste conservateur américain.
« L’une des preuves les plus flagrantes de l’existence personnelle de Satan… se trouve dans le fait qu’il a influencé une multitude d’esprits ayant fait référence à son existence et ses accomplissements, de manière à leur faire croire qu’il n’existait pas. »
– William Ramsey
Processus de recrutement de la CIA
Bâtiment Dulles Discovery
Chantilly, Virginie
Aujourd’hui
« Votre prénom est-il James ?
– Oui, répondit Reece.
– Avez-vous jamais menti pour ne pas avoir d’ennuis ? »
Reece marqua une pause.
« Oui.
– Avez-vous l’intention de répondre à ces questions en toute sincérité ? »
Un autre temps d’arrêt.
« Oui.
– Sommes-nous mercredi aujourd’hui ?
– Oui.
– Avez-vous déjà commis un délit pour lequel vous n’avez pas été attrapé ?
– Oui.
– Sommes-nous en Virginie ?
– Oui.
– Avez-vous déjà commis un meurtre ?
– Ah…
– Répondez simplement par oui ou par non, s’il vous plaît ?
– Non. »
Reece remarqua que le polygrapheur rédigeait une note.
« Êtes-vous citoyen des États-Unis ?
– Oui. »
Reece observa dans son champ de vision périphérique le polygrapheur rédiger une nouvelle note et procéder à des réglages sur son ordinateur.
Formidable.
« Avez-vous jamais fait partie d’un groupe ayant pour objectif de renverser le gouvernement des États-Unis ? »
Reece était assis dans une pièce quelconque, semblable à n’importe quel bureau susceptible d’exister aux États-Unis. Celle-ci se trouvait à Chantilly, en Virginie, et était située dans les locaux d’une société-écran créée par la CIA. Reece se trouvait à mi-parcours de sa première journée d’un cycle d’évaluation de la CIA s’étalant sur trois jours. En dépit de son expérience passée et de ses relations avec l’agence, il lui fallait tout de même subir les tests de sélection médicaux et psychologiques avant de pouvoir intégrer les rangs de la division des opérations terrestres. Après tout, la bureaucratie, c’était la bureaucratie.
« Recommençons une nouvelle fois », indiqua « John » d’un ton destiné à véhiculer une pointe d’exaspération. « Faites en sorte de répondre honnêtement par oui ou par non. Et demeurez complètement immobile. Conservez votre regard fixé sur un point du mur devant vous ou alors il nous faudra tout recommencer à zéro. »
Reece sentit son pouls accélérer. Il avait déjà subi ce genre d’interrogatoire auparavant et, comme à ce moment précis, il n’avait rien souhaité d’autre que se jeter à la gorge de son interrogateur. Il avait déjà rempli un formulaire dans la salle d’attente, répondant alors aux mêmes questions que celles qui lui étaient actuellement posées. Il avait même parcouru la liste des questions avec son « examinateur » avant d’être branché à la machine.
« Avez-vous jamais fait partie d’un groupe ayant pour objectif de renverser le gouvernement des États-Unis ? demanda une seconde fois le technicien en charge du polygraphe.
– Non.
– Avez-vous jamais travaillé pour le compte d’un service de renseignement étranger ? »
Reece tenta de reformuler la question dans son esprit. Au lieu de cela, un souvenir le traversa : Ivan Zharkov debout dans la neige à l’extérieur de sa datcha en Sibérie, les flammes de son hélicoptère Mi8 qui venait d’être abattu s’élevant derrière lui, les cadavres de ses gardes du corps gisant sur le sol autour de lui, des hommes que Reece avait tués.
Est-ce que vous me proposez d’espionner pour mon compte, M. Reece ?
« Non », répondit Reece.
Le technicien du polygraphe griffonna une nouvelle note.
Un tensiomètre compressa le bras gauche de Reece ; deux tubes ayant pour nom pneumotachographes étaient fixés à sa poitrine et à sa taille afin d’enregistrer et mesurer sa respiration au niveau de sa cage thoracique tandis qu’un galvanomètre avait été relié au premier et au troisième doigts de sa main droite afin de mesurer les sécrétions de sueur. Son fauteuil était équipé d’un coussin avec capteurs, à cause d’Ana Montes, une analyste senior du bureau cubain au sein de l’agence du renseignement de la Défense qui avait été recrutée par les services de renseignement cubains alors qu’elle était encore étudiante à l’université John Hopkins. De 1985 au jour de son arrestation pour espionnage en 2001, elle avait transmis de manière systématique des informations classifiées à La Havane, lesquelles avaient ensuite été transmises aux Soviétiques. Par la suite, ces informations avaient été revendues à la Chine, à la Corée du Nord, au Venezuela et à l’Iran. Ses agents traitants l’avaient formée à tromper le polygraphe en contractant les muscles de son sphincter, raison pour laquelle Reece était désormais assis sur un coussin avec capteurs. Il était également en chaussettes, ses pieds posés sur deux coussinets individuels. Chacun de ses mouvements serait enregistré par le polygraphe.
La pièce était petite, mais pas au point de procurer une sensation de claustrophobie – environ deux fois la taille d’une salle d’attente individuelle dans un cabinet médical. Reece songea qu’il était possible que la couleur blanc-cassé des murs se soit estompée jusqu’à leur teinte actuelle à force d’avoir absorbé la peur qui imprégnait l’espace sur une base de façon quasi quotidienne. Une caméra était visible dans l’angle supérieur gauche, mais Reece était convaincu que la CIA en avait dissimulé quelques autres ailleurs afin de ne pas manquer d’enregistrer le moindre clignement d’œil ou mouvement musculaire. Bien qu’il soit face à un mur blanc, un miroir avait été installé de manière décentrée, un miroir sans tain bien sûr, pour pouvoir l’observer. La pièce était vide de tout meuble à l’exception d’une petite table sur sa gauche, devant laquelle était assis le polygrapheur avec son ordinateur. Tout cela avait sans aucun doute était conçu pour rendre aussi inconfortables que possible les candidats à un recrutement par la CIA.
« Avez-vous déjà commis un délit pour lequel vous n’avez pas été attrapé ? »
Des visions de son épouse et de sa fille décédées firent s’accélérer son rythme cardiaque. Reece déglutit en se souvenant avoir observé, à travers son optique de tir Nightforce NXS 2.5 10x32 mm, la Mercedes G550 SUV à la carrosserie argentée franchir la crête de la route montagneuse en périphérie de Jackson juste avant qu’il ne presse la détente pour envoyer une balle Barnes Triple Shock .300 Winchester Magnum à travers la cervelle de Marcus Boykin, la première personne que Reece avait éliminée dans sa quête de vengeance contre ceux qui avaient décimé sa famille et son escouade SEAL.
« M. Reece ? demanda l’examinateur.
– Pardon ?
– Nous devons poursuivre avec les questions. Avez-vous déjà commis un délit pour lequel vous n’avez pas été attrapé ? »
Reece sentit le tranchant de son Tomahawk Winkler/Sayoc frapper le crâne et la matière cervicale de l’imam Hammadi Izmail Masood avant qu’il ne l’en retire pour sectionner le cartilage et les muscles du cou du terroriste. Reece avait détaché la tête du corps du terroriste avant de l’empaler sur la pointe d’une grille de mosquée en guise d’avertissement signifiant à d’autres que la mort les saisirait tous.
« Non, mentit Reece.
– Avez-vous visité le site antipolygraph.org afin de vous préparer à cet entretien ?
– Oui. »
Cette réponse troubla visiblement l’examinateur.
« Êtes-vous assis ?
– Oui.
– Avez-vous déjà commis un meurtre ?
– Je croyais que nous avions déjà couvert ce sujet.
– Juste une réponse par oui ou par non. »
Une fois encore, des souvenirs qu’il n’avait jamais pu réprimer assaillirent Reece. Il se rappela avoir appuyé sur la touche envoi du téléphone mobile qui avait déclenché la détonation de la veste explosive portée par l’homme politique et collecteur de fonds Mike Tedesco, le transformant lui et l’amiral SEAL Gerald Pilsner en charpie humaine.
Il se rappela avoir enfoncé un pistolet HK dans la bouche de Josh Holder, sentant alors le réducteur de son de l’arme briser ses dents au passage, avant qu’une balle de calibre.45 ne soit tirée et vienne faire exploser l’arrière du crâne de cet homme du département des enquêtes criminelles de la Défense.
« Non.
– Avez-vous jamais conspiré pour renverser le gouvernement des États-Unis ? »
Reece songea à l’EFP1 qu’il avait assemblé. Il s’agissait d’un instrument de terreur sur les théâtres étrangers, mais Reece avait fait usage des tactiques et des technologies de l’ennemi sur le territoire national. Il s’était transformé en insurgé. Son IED2 avait projeté une patte de cuivre fondu à travers le Suburban blindé du congressiste J.D. Hartley à Soho, entraînant l’éviscération de ce conspirateur et ramenant la réalité de la guerre parmi les civils restés au pays. Reece revit le regard de terreur absolu de la Secrétaire à la Défense Loraine Hartley avant qu’il ne l’abatte de deux balles en pleine poitrine et d’une balle en pleine tête dans sa résidence de Fishers Island.
« Non.
– Le mur est-il blanc ?
– En quelque sorte.
– Une fois encore, répondez par oui ou par non.
– Oui.
– Avez-vous jamais été impliqué dans la torture de combattants ennemis ? »
L’odeur de vomi et d’urine se dégageant du sol sous Saul Agnon, dans sa chambre d’hôtel, ranima le souvenir de la simulation de noyade de l’avocat et de sa mort par le biais d’une injection forcée de drogues illicites que Reece avait acquises afin de donner à cette mort l’apparence d’un décès par overdose, lui laissant ainsi le temps d’éliminer ses autres cibles.
Reece revit l’horreur dans les yeux du capitaine de vaisseau Howard alors qu’il éviscérait cet officier du JAG3 avec la terrifiante lame incurvée de son HFB Karambit. Alors que ses intestins glissaient à travers ses doigts et se répandaient sur le sol mou de la mangrove, Howard avait désespérément tenté de les remettre en place. Reece les avait cependant embrochés sur un tronc d’arbre avant d’obliger le conseiller juridique à marcher autour, ses entrailles se vidant alors de son corps jusqu’à ce qu’il s’écroule à bout de force au pied de l’arbre avant d’être dévoré vivant par les créatures du marais.
Reece songea à la vodka qu’il avait offerte au général Quism Yedid à Athènes, un verre rempli de l’agent innervant Novichok sous forme liquide.
Et il se rappela encore avoir rempli une seringue de 60 cc de capsaïcine qu’il avait ensuite injectée dans le corps de Dimitry Mashkov afin de lui soutirer des informations sur la localisation d’Oliver Grey.
« Non, répondit Reece.
– Avez-vous jamais fait usage de drogues illégales que vous n’auriez pas mentionnées précédemment ? »
Reece ferma les yeux, se souvenant des drogues administrées aux hommes de son escouade avant leur déploiement. Ces bêtabloquants destinés à lutter contre le PTSD avaient entraîné de sinistres effets secondaires, des effets secondaires qu’un groupe de militaires, d’hommes politiques et de conspirateurs du secteur privé avaient eu besoin de passer sous silence en organisant une embuscade en Afghanistan ainsi que le meurtre de la famille de Reece dans leur maison du Colorado.
« Non.
– Avez-vous intentionnellement falsifié des informations dans votre dossier de candidature ou dans vos documents de sécurité ?
– Non.
– Avez-vous jamais volé quoi que ce soit dans les locaux de votre employeur précédent ? »
Reece se rappela avoir poussé son chariot dans les travées de son ancienne armurerie du SEAL Team Seven pour y charger des fusils, des optiques de vision nocturne, des roquettes AT-4 ou LAW, une mitrailleuse, des mines Claymore et du C4 destinés à servir dans sa quête de vengeance. Il avait tout emmené avec lui avant que l’amiral et son conseiller juridique ne fassent suspendre son accréditation.
« Non.
– Avez-vous jamais volé quoi que ce soit d’une valeur supérieure à 500 dollars ?
– Non, répondit Reece en tentant sans y parvenir de réfréner les images de lui-même chargeant toutes les armes volées sur le plateau de son Land Cruiser.
– Entretenez-vous des relations confidentielles avec des étrangers ? »
Les visages de Ivan Zharkov, Marco del Toro et Mohammed Farouq lui traversèrent l’esprit.
« Non.
– Avez-vous jamais conservé un trophée de guerre ? »
Reece marqua une pause.
« Non.
« Avez-vous jamais vendu des biens appartenant au gouvernement ?
– Non.
– Avez-vous jamais ramené sur le territoire national des armes prises à l’ennemi, ou connaissez-vous quelqu’un qui l’aurait fait ?
– Non.
– Y a-t-il quoi que ce soit dans votre passé qui vous disqualifierait pour obtenir cet emploi ? »
Reece se souvint de son meilleur ami et ancien équipier, Ben Edwards, tenant à la main un détonateur relié à un cordon détonnant enroulé autour du cou de la journaliste d’investigation Katie Buranek, son visage marqué par les coups, des larmes coulant de ses yeux, la bouche bâillonnée. Ben avait observé, incrédule, Reece exécuter le financier Steve Horn et la Secrétaire à la Défense avant de retourner le canon de son M4 en direction du visage de l’assassin de la CIA et de presser la détente, éliminant ainsi le dernier nom de sa liste terminale.
« M. Reece ?
– Non, rien du tout. »
« John » retira ses lunettes et frotta l’arête de son nez avec son pouce et son index. Il fit mine d’éteindre son ordinateur en exagérant ses gestes, ce qui n’empêcha pas Reece de songer que celui-ci continuait à surveiller ses signes vitaux et que les systèmes d’enregistrement audio ou vidéo demeuraient actifs. Il se demanda qui pouvait bien l’observer à travers le miroir sans tain.
« M. Reece, l’entretien ne se déroule pas très bien.
– Vraiment ? Je suis choqué.
– Je me dois de souligner que vous devriez prendre cela au sérieux. Quasiment chacune des questions auxquelles vous avez répondu fait apparaître une notion de mensonge sur le polygraphe, même lorsque vous indiquez votre nom.
– Eh bien, il m’est arrivé d’avoir recours à quelques pseudos.
– Nous avons déjà évoqué cela, M. Reece. Je parle des noms qui n’apparaissent pas dans le formulaire de recrutement que vous avez rempli.
– Ces dernières années ont été plutôt agitées, John.
– Laissez-moi m’entretenir avec mes superviseurs. Je serai de retour dans quelques minutes. »
« John » sortit de la pièce, laissant Reece seul avec lui-même, toujours relié à l’ordinateur et toujours sous surveillance.
Reece jeta un coup d’œil en direction de la caméra située dans un angle de la pièce et secoua la tête.
Connards.
Reece savait que le polygraphe était avant tout une mise en scène. Oui, bien sûr, cet appareil mesurait la pression artérielle, la respiration, les sécrétions de sueur ou encore les contractions musculaires, mais il y avait une raison pour laquelle les « détecteurs de mensonges » n’étaient pas recevables dans toutes les cours de justice du monde civilisé. Sa valeur résidait dans le fait que certains candidats pensaient que la machine pouvait détecter les mensonges. C’était un accessoire coûteux qui avait amené plus d’un candidat au cours des années passées à admettre des crimes qu’ils n’auraient certainement pas reconnu avoir commis dans un autre contexte.
Reece avait visité le site antipolygraph.org plusieurs années plus tôt dans le cadre d’une formation à l’interrogatoire qu’il avait suivie alors qu’il était dans un SEAL Team. Il s’agissait du cours officiel de « questionnement tactique » ayant pour objet de fixer des limites droite et gauche aux opérateurs déployés sur le terrain qui n’auraient pas le luxe de disposer d’une BIT, ou Battlefield Interrogation Team4, attachée à leur unité. Les techniques enseignées lors de cette formation officielle aux interrogatoires étaient semblables à celles utilisées par la police pour interroger un suspect de crime aux États-Unis. Reece ne découvrirait les aspects les plus sombres d’un interrogatoire que lorsqu’il serait détaché plus tard auprès d’une unité d’action clandestine de la CIA en Irak, au plus fort de la guerre. Là, il apprendrait des techniques qui se révéleraient plutôt utiles au cours des années suivantes, des techniques qui n’apparaissaient dans aucun manuel officiel ni dans la moindre recherche Google.
Reece ferma les yeux.
Détends-toi, Reece. Tout cela fait partie du jeu, un jeu que tu as besoin de remporter. Rappelle-toi pourquoi tu es ici, tu as fait une promesse à la veuve de Freddy Strain.
« Je trouverai celui qui a fait ça, Joanie. Je trouverai tous les responsables. »
L’homme qui avait pressé la détente était toujours en vie : Nizar Kattan, un sniper syrien que Reece s’était juré d’abattre. Un assassin que Reece ne pourrait localiser sans les formidables moyens de renseignement dont disposait la CIA.
Il y avait aussi une lettre. Une lettre et la clé d’un coffre-fort que lui avait léguées son père. Une lettre d’outre-tombe.
Plus tard, Reece. Concentre-toi sur aujourd’hui.
La journée de Reece avait commencé tôt le matin par une prise de sang. Il avait ensuite fourni un échantillon d’urine, puis subi un examen oculaire et auditif. Il aurait un rendez-vous le lendemain à l’hôpital afin de subir des examens complémentaires. Il avait répondu aux 567 questions du test psychologique MMPI-2, ce qu’il avait trouvé à la fois amusant et irritant. Il lui faudrait s’asseoir avec un psychologue le troisième jour pour en discuter avec lui. Reece savait que le MMPI avait été conçu pour dévoiler des troubles psychologiques susceptibles de disqualifier un candidat à un emploi au sein de la CIA. Celui-ci était administré de manière à révéler une agressivité refoulée, un degré de psychoticisme, une addiction à l’alcool, une détresse conjugale, des anxiétés, une dépression, un sentiment de colère, du cynisme, une faible estime de soi, une attitude défensive, un comportement antisocial, de la schizophrénie ou de la paranoïa.
Paranoïa.
Reece remarqua que la deuxième journée comportait une longue période de « temps libre » dans son planning. Il savait qu’il s’agissait d’un créneau provisoire pour éventuellement repasser le polygraphe. Un nombre suffisamment important de SEAL avaient subi le processus de recrutement de la CIA pour que ce ne soit plus un secret. La troisième journée était réservée à une visite des bureaux en compagnie de Victor Rodriguez, le directeur de ce qui s’appelait désormais la Division des Activités Spéciales. Cette division gérait la branche paramilitaire de l’agence. Vic avait essayé de le recruter pour le département des activités terrestres lors de leur première rencontre, alors que Reece venait de se poser sur le USS Kearsarge en mer Adriatique après que lui et Freddy Strain aient éliminé Amin Nawaz, un terroriste connu pour être le Oussama ben Laden européen. Reece avait accepté d’achever le travail qu’il avait commencé pour le compte du gouvernement des États-Unis, lequel avait consisté à traquer et capturer ou neutraliser un ancien agent de la CIA avec lequel il avait travaillé et s’était lié d’amitié à Bagdad. Cette mission avait conduit à la mort de Freddy, tué par une balle de sniper à Odessa.
Sa relation avec Katie avait souffert de sa disparition dans la toundra sibérienne durant six mois, alors qu’il était parti traquer le traître de la CIA responsable de la mort de son père, un SEAL légendaire de la Guerre du Vietnam et ancien agent traitant de la CIA du temps de la Guerre froide. Reece jeta un coup d’œil à la Rolex Submariner accrochée à son poignet, une montre que son père avait achetée dans un PX à Saigon, une montre qui lui avait été arrachée du poignet après qu’il ait été tué dans une rue sombre de Buenos Aires. Reece l’avait récupérée sur l’homme responsable de sa mort après l’avoir pulvérisé avec les 700 grammes de RDX d’une mine claymore russe.
Le technicien du polygraphe s’était maintenant absenté depuis dix minutes.
Discutait-il vraiment avec son superviseur ? Pas la moindre chance. Ils se contentaient de le faire transpirer. Cela faisait partie des règles de l’interrogatoire : convaincre des sujets récalcitrants d’admettre des crimes susceptibles de les disqualifier, permettant ainsi au technicien qui les avait démasqués d’afficher une nouvelle victoire à son tableau de chasse. Ces derniers appréciaient particulièrement « d’attraper » et discréditer des hommes au passé opérationnel singulier.
Katie avait soutenu la décision de Reece d’accepter un contrat provisoire avec la CIA. Elle s’était tenue à ses côtés depuis le début du cauchemar et l’avait aidé à dévoiler la conspiration qui avait conduit à l’embuscade de son Team SEAL dans les montagnes de l’Hindou Kouch ainsi qu’à l’assassinat de sa jeune fille et de son épouse enceinte. Elle l’avait attendu et s’était interrogée sur leur relation quand il avait disparu des côtes de Fisher Island, New York, après lui avoir sauvé la vie, et elle s’était encore retrouvée à ses côtés quand il avait récupéré de son opération chirurgicale du cerveau à l’hôpital militaire de Walter Reed. Leur relation avait alors pris une tournure romantique dans les montagnes du Montana, avant qu’ils ne deviennent la cible d’une équipe de tueurs de la mafia russe aux ordres de Oliver Grey. Elle avait traversé de nombreuses épreuves, et bien qu’elle ne se soit pas montrée très heureuse quand Reece avait disparu des radars en Russie, elle avait parfaitement compris que celui-ci était en mission, une mission qui n’était toujours pas achevée.
Reece entendit le mécanisme de la porte cliqueter et tourna la tête pour voir le directeur de la Division des Activités Spéciales entrer dans la pièce.
« Bon Dieu, Reece, tu ne pourrais pas rendre les choses plus faciles ? » s’exclama Victor Rodriguez.
Vic représentait la seconde génération de sa famille à travailler pour la CIA. C’était un ancien officier des forces spéciales de l’armée de Terre dont le père avait commandé une escouade au sein de la Brigade 2506, ce groupe d’exilés cubains entraînés par la CIA qui avait tenté de renverser Castro en 1961, dans ce qui serait connu plus tard comme l’affaire de la Baie des Cochons.
Vic avait gravi les échelons au sein de l’agence et cherché à recruter Reece quand il avait pris la direction du groupe des Opérations spéciales, la branche militaire de l’agence connue jusqu’en 2016 sous le nom de Division des Activités Spéciales. Il préférait toujours l’ancienne nomenclature. Il avait désormais la responsabilité du groupe des Opérations spéciales ainsi que du groupe d’Action politique, deux entités qui partageaient de nombreuses choses en commun. La face sombre de l’Agence coulait dans son sang. Il avait grandi sous le spectre perpétuel de la Bahia de Cochinos et s’était fait la promesse de ne jamais autoriser un échec en raison d’antagonismes entre renseignements terrain et action clandestine. Victor Rodriguez était responsable du troisième bras de la politique étrangère américaine, dès lors que la diplomatie, la pression militaire ou la menace d’une intervention échouaient ou se révélaient impossibles pour des raisons politiques. La Division des Activités Spéciales constituait la Tertia Optio, la troisième option.
Vic avait convaincu Reece de signer en qualité de contractuel et avait usé de toute la pression nécessaire quand ce dernier était rentré de Russie. Il voulait que l’ancien commando-marine rejoigne le Groupe des Opérations Spéciales en qualité d’officier. Reece avait fini par accepter lors d’un coup de téléphone passé en pleine nuit un mois plus tôt. Cette période d’entretiens de trois jours faisait partie du processus de recrutement. Si la candidature de Reece était acceptée, celui-ci serait notifié d’une date d’entrée en fonction et il pourrait alors débuter sa formation à « la Ferme5 ».
« Vous ne pourriez pas dire à l’autre andouille d’en finir afin que nous puissions passer à autre chose ?
– Ça ne fonctionne pas comme ça. Nous avons déjà discuté du polygraphe. Tu as besoin de passer le test comme tout le monde. Ce n’est quand même pas si compliqué ? Tu passes ton examen médical, dentaire, tu pisses dans un flacon et tu réponds à quelques questions, rien de plus. Tu bénéficies d’une grâce présidentielle, alors même si d’un point de vue technique tu mens en répondant aux questions, tu dis en fait la vérité.
– Ça ne veut pas dire que j’aime ça pour autant.
– Non, mais tu n’as pas besoin d’aimer ce que tu fais. Ce n’est pas une expression SEAL, ça ?
– Tu ne dois pas aimer ce que tu fais, tu dois juste le faire, confirma Reece.
– Parfait, alors contente-toi de le faire. Tu bénéficies d’une importante marge de manœuvre en raison de ce que toi et Freddy avez fait pour sauver la vie de l’ancien président. Et bien que rien ne soit officiellement confirmé ou cautionné, des rumeurs circulent selon lesquelles tu aurais neutralisé Oliver Grey. L’Agence, et plus particulièrement les gars du contre-renseignement, n’aime pas vraiment les traîtres. Ils n’ont pas su repérer Nicholson, Ames ou encore Grey. Il se raconte que tu aurais appliqué à Grey la sentence que l’Agence aimerait voir appliquer à tous les traîtres.
– Je réponds du mieux que je le peux, Vic.
– Le polygraphe, ce ne sont que des questions liées au contre-renseignement ou au style de vie. Tu sais comment ça fonctionne, l’examinateur te demandera de revenir demain. Fais ce qu’on te demande et faisons en sorte que tu intègres “la Ferme”.
– Compris. Mais demande à “John” de me lâcher les baskets.
– Fais ce qu’on te demande, répéta Vic avant de pivoter pour quitter la salle du polygraphe. Et s’il te plaît, ne le balance pas à travers le miroir sans tain. Ces trucs coûtent plus cher que tu ne pourrais le penser. »
Quand « John » réapparut dans la pièce, Reece apaisa son rythme cardiaque comme il l’aurait fait pour réaliser un tir longue distance. Il concentra ses pensées sur le sourire de Katie et répondit de manière adaptée avec des oui ou des non. Ce n’était pas tous les jours que l’on se voyait offrir la possibilité de l’emporter contre un détecteur de mensonges.
Réussir l’examen du polygraphe signifierait que Nizar Kattan se rapprochait un peu plus de sa mort.
*