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Au fin fond de la Sibérie, une femme est en fuite, poursuivie par un homme dissimulant de lourds secrets et déterminé à la tuer.
Un officier de la CIA ayant trahi les services a quant à lui trouvé refuge auprès de la mafia russe, avec pour obsession de neutraliser définitivement James Reece, un ancien sniper des Navy SEAL.
À l’autre bout du monde, au Montana, James Reece se remet d’une opération chirurgicale tout en cherchant à reprendre le contrôle de sa vie avec l’aide de la journaliste Katie Buranek et de son vieil ami SEAL Raife Hastings. Ils ignorent cependant que la mafia russe a placé James Reece dans son viseur et qu’un jeu mortel du chat et de la souris est sur le point de débuter.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Ancien Navy SEAL,
Jack Carr est l'auteur de plusieurs romans à succès mettant en scène James Reece. Ses deux premiers thrillers, La liste Terminale et Le vrai croyant, ont été adaptés en série TV par Amazon Prime.
« Un suspens continu, un sens du détail si authentique que le gouvernement cherchera sans doute à censurer ce livre – dépêchez-vous de le lire pendant qu’il est encore temps. » – Lee Child
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Seitenzahl: 726
Veröffentlichungsjahr: 2024
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Pour Brad Thor, sans lequel ce chapitre de ma vie post-militaire n’aurait pas été possible, et pour tous ceux qui courent vers le bruit des fusillades.
Fortuna Favet Fortibus
« Aucune chasse ne vaut la chasse à l’homme,et ceux qui ont longtemps chassé des hommes armés,qui ont aimé ça… ne trouvent plus jamais saveur à autre chose. »
– Ernest Hemingway
Je suis, et je demeure, un apprenti de la guerre et de la chasse. Mes expériences du combat et de la campagne ont forgé le citoyen, le mari, le père et l’écrivain que je suis aujourd’hui. Chacun de ces rôles a influé de manière positive sur les autres. J’imagine qu’il en a toujours été ainsi. Ce sont les sentiments et les émotions de ces devoirs les plus primaires qui ont constitué les fondations du Fils sauvage.
J’ai découvert pour la première fois le chef-d’œuvre littéraire Le plus dangereux des jeux, de Richard Connell, alors que j’étais lycéen. Connell, vétéran de la Première Guerre mondiale, a publié sa plus célèbre nouvelle dans le magazine Colliers’s Weekly en 1924. Dès ma première lecture, j’ai souhaité moi aussi pouvoir écrire un jour un thriller contemporain qui rendrait hommage à ce classique explorant les interactions entre le chasseur et le gibier.
Subvenir aux besoins de ma famille et la défendre, ainsi que défendre mon pays sont des choses inscrites dans mon ADN. C’est peut-être pour ça que Le plus dangereux des jeux m’a autant touché, à moins que ce ne soit en raison de ces sentiments primaires qui existent en chacun de nous, ce qui expliquerait que ce court récit de Connell soit toujours d’actualité près d’un siècle après avoir été publié pour la première fois.
Avance rapide sur 30 ans. Alors que je me préparais à quitter les Teams SEAL, j’ai couché sur papier toutes mes idées au sujet de ce qui deviendrait plus tard mon premier roman, La Liste terminale. L’intrigue du Fils sauvage se trouvait parmi les différents scénarios que j’envisageais pour introduire James Reece au monde. Je savais cependant que mon protagoniste n’était pas encore prêt, pour sa première apparition, à vivre tout ce que j’avais en stock pour lui. J’avais besoin de développer le personnage en lui faisant vivre un périple, à base de vengeance tout d’abord, puis de rédemption, avant de pouvoir explorer la face sombre de l’homme au moyen d’un thriller politique contemporain. James Reece est-il un guerrier, un chasseur, un tueur ? Les trois à la fois peut-être ?
La chasse et la guerre sont étroitement mêlées. Elles partagent le même père. La mort préserve la vie et, quand il s’agit de défendre quelqu’un, une famille, une tribu ou un pays, tuer fait souvent partie de l’équation. Pour l’essentiel de l’histoire de l’humanité, vaincre un ennemi au cours d’une bataille permettait à la tribu de survivre et de s’assurer une descendance. Les outils développés pour l’emporter sur l’adversaire au combat étaient identiques à ceux utilisés dans la quête de nourriture. Des tactiques similaires étaient employées pour chasser les hommes comme les bêtes. Ceux qui s’emparaient d’une lance pour défendre leur tribu étaient les mêmes que ceux qui l’utilisaient pour rapporter de la nourriture aux leurs. La raison pour laquelle chacun d’entre nous est vivant aujourd’hui vient des talents de nos ancêtres sur le champ de bataille comme sur le terrain de chasse.
Le chasseur songe à sa famille restée devant la cheminée quand il s’en va arpenter les forêts profondes, alors que le guerrier déployé sur un lointain champ de bataille attend avec impatience de rentrer chez lui. De la même manière, quand il rentre dans son foyer, le chasseur ne rêve plus que de repartir dans les bois, tandis que le guerrier anticipe déjà les prochaines batailles. S’agit-il d’un sentiment de culpabilité à l’idée de ne plus participer aux combats ? De ne plus se tenir au coude à coude avec ses frères d’armes ? N’est-ce pas l’expression d’un manque, l’impression de ne plus appartenir à une même fraternité du sang versé ? À moins qu’il ne s’agisse de quelque chose de plus sombre ? Est-ce à cause de l’acte consistant à donner la mort ? Est-ce parce qu’il s’agit des seules circonstances durant lesquelles on se sent réellement vivant ? La réplique de Martin Sheen dans Apocalypse Now, le film que ma promotion BUD/s avait visionné avant d’entamer la « Semaine d’enfer », résonne de manière parfaitement vraie aux oreilles de ceux qui ont répondu à l’appel. « Quand j’étais là-bas, j’aurais souhaité être ailleurs. Et quand j’étais ailleurs, je ne pensais qu’à retourner dans la jungle. » Les guerriers comprendront.
J’ai vu ce qu’il y avait de pire et de meilleur dans l’humanité sur les champs de bataille. J’ai été le chasseur, j’ai assemblé des dossiers d’objectif, et j’ai observé les habitudes de vie de mes cibles, en faisant usage de renseignements de sources humaines corroborés par des sources techniques afin de m’assurer que nous neutraliserions bien la bonne personne, avant d’initier nos missions de capture/neutralisation. Et j’ai également été celui qui est chassé, notamment lorsque je me suis retrouvé pris dans une embuscade dans le quartier d’Al-Rashid, à Bagdad, au plus fort de la guerre.
La guerre globale contre la terreur nous a permis d’aller au-delà de nos entraînements, de parfaire nos capacités à chasser et à tuer. Les actions directes, les missions de reconnaissance, la guerre contre-insurrectionnelle ou non conventionnelles, la politique de défense à l’international, les libérations d’otages, le contre-terrorisme et la contre-prolifération dirigée contre les armes de destruction massive sont toutes des opérations cruciales dans le monde des opérations spéciales, mais ce sont bien les opérations de traque à l’homme qui ont constitué la priorité de nos opérateurs et des services de renseignement au cours de ces trente dernières années : Manuel Noriega, Mohammed Farrah Aidid, Ramzi Yousef, Khalid Cheikh Mohammed, Saddam Hussein, Oussama ben Laden, Abou Moussab Al-Zarqaoui, Ayman al-Zawahiri, mollah Omar, sans même parler des autres cibles de haute valeur identifiées puis capturées ou tuées au cours des années. Ayman al-Zawahiri est encore en vie au moment où j’écris ce roman, mais soyez assurés que nous disposons d’équipes d’hommes et de femmes activement lancées à sa recherche1. C’est là une spécialité dans laquelle nous sommes devenus plutôt efficaces.
Le temps passé sur le champ de bataille a constitué un chapitre de ma vie. Je suis désormais un auteur. Bien que j’aie passé le flambeau à une nouvelle génération, ce temps passé sous l’uniforme fera toujours partie de moi : les souvenirs, les leçons et les réflexions que j’en ai tirés trouvent aujourd’hui leur chemin dans les pages de mes romans.
L’un des passages les plus intrigants du Plus dangereux des jeux provient de ce dialogue entre le protagoniste, Sanger Rainsford, et son antagoniste, le général Zaroff, à l’occasion duquel le thème narratif est révélé :
« Je voulais l’animal idéal à chasser, expliqua le général. Je me suis ainsi demandé : quels sont les attributs du parfait gibier ? Bien entendu, la réponse était qu’il devait faire preuve de courage, de ruse, et par-dessus tout être capable de raisonner.
– Mais aucun animal ne le peut, objecta Rainsford.
– Mon cher, dit le général, il en existe un. »
Le Fils sauvage explore les inspirations les plus sombres de la psychologie humaine. Ces sentiments existent-ils en chacun de nous, refoulés par le confort de la technologie moderne ? Avons-nous dépassé nos instincts primaires et, si cela est le cas, qui pourra prétendre à défendre la tribu ? Les sociétés civilisées tendent à conserver leurs guerriers à bonne distance, pour ne se tourner vers eux qu’à l’occasion de crises d’envergure nationale. Brisez la vitre en cas de guerre.
Nous avons été des chasseurs et des guerriers pour l’essentiel de notre existence. Ce n’est que récemment que nous avons évolué, ou peut-être régressé, pour devenir des êtres privés de tout lien avec la nature et les animaux qui y vivent, tout en déléguant à d’autres le devoir de défendre nos familles ou notre pays. Il reste à savoir s’il s’agit bien là d’un progrès pour notre espèce.
Un jour viendra-t-il où notre survie dépendra des capacités primaires ? Je le pense. Ce ne sera sans doute pas demain, ni après-demain, quoi que…
Dans tous les cas, nous ferions mieux d’être prêts, mais pour l’heure, il est temps de tourner les pages et de partir chasser.
Jack Carr
Août 2019
Péninsule du Kamchatka, Russie
1 Ayman al-Zawahiri a été tué le 31 juillet 2022 à Kaboul, par une frappe de drone américain.
Vous remarquerez que dans certains passages du Fils sauvage, des mots ou des phrases ont été noircis. Comme cela avait été le cas pour La Liste terminale et Le Vrai Croyant, j’ai soumis le manuscrit du Fils sauvage au Bureau des prépublications et enquêtes de sécurité du département de la Défense. Ce que les censeurs gouvernementaux ont caviardé dans mes romans est étonnant dans le sens où chacun des mots ou phrases concernés pourrait être retrouvé dans un document officiel et public du gouvernement, et fait partie intégrante du discours national.
Certaines informations doivent rester classifiées, mais le processus de relecture actuel est non seulement inutile et inefficace, mais il débouche également sur une perte de temps et d’énergie aux seules fins de censurer des informations qui ne menacent en aucun cas la sécurité nationale. Le Premier Amendement est au cœur de notre Charte des droits. Il s’agit du « Premier » pour une bonne raison. Il ne s’agit pas d’un droit « accordé » par le gouvernement et il ne peut donc être « retiré ». Cette procédure de relecture n’est qu’une question de contrôle. Ainsi que je l’ai écrit dans la préface de La Liste terminale, « La consolidation du pouvoir au niveau fédéral, au nom de la sécurité publique, est quelque chose dont nous devons nous prémunir à tous coûts. Cette érosion de nos droits, toujours croissante, signifie la mort de la liberté à terme. »
Profitez bien de ces pages du Fils sauvage. Essayez de ne pas prêter attention aux passages noircis ou, mieux encore, essayez de déchiffrer ce que le gouvernement considère secret. Si vous faites attention, je suis persuadé que vous y arriverez.
Jack Carr
10 février 2020
Park City, Utah
Île MednyMer de Béring, Russie
C’était une fille coriace. La plupart des humains auraient déjà abandonné, même les plus résistants, épuisés par l’épaisse couche de neige. Les raquettes qu’elle portait aux pieds n’étaient pas conçues pour la fuite, mais rien ne supposait que les choses doivent être équilibrées. Son rythme cardiaque s’accéléra, et il lui fallut reprendre son souffle en raison de la forte pente. Elle avait choisi l’itinéraire le plus compliqué de l’île, celui menant en direction du plus haut sommet. C’était la première fois que cela se produisait. Elle avait du tempérament, celle-là.
Et pourtant, suivre sa trace était douloureusement facile dans cette neige qui pouvait monter jusqu’à la taille. Il ne se pressait pas pour la rattraper. Au contraire, il savourait cette traque comme on aurait apprécié un bon repas. Non, la comparaison n’est pas exacte. C’était plus que cela ; il y avait dans l’expérience quelque chose de charnel.
Un vent soufflait violemment quand il franchit les premières crêtes de toute une série de cimes qui menaient au sommet. Sa proie était passée du côté face au vent de la colline quand la tempête avait commencé à souffler, afin que celle-ci puisse effacer ses traces sous une neige tourbillonnante.
Elle avait du tempérament, et elle était maligne.
Le vent avait tourné, et un air froid et humide soufflait désormais depuis la mer de Béring. Il regarda devant lui ces traces qui s’estompaient rapidement, ce mur de brouillard blanc qui commençait à envelopper les hauteurs, et il se réjouit d’avoir enfin trouvé un adversaire à sa hauteur.
* * *
Son jean était trempé en raison de la neige et ses pieds engourdis à l’intérieur de ses bottes. Elle s’enfonçait à chaque pas dans les profondes congères blanches, chacun d’eux nécessitant un intense effort physique. Elle savait qu’elle mourrait si elle s’arrêtait : la mort par hypothermie, ou la mort aux mains de ceux qui la traquaient. Cette traque n’était qu’un jeu pour eux. Pour quelle autre raison l’auraient-ils laissée partir ?
Elle se trouvait sur une île, ou tout au moins sur une péninsule. Elle pouvait voir la mer des deux côtés du paysage dépourvu d’arbres. Descendre vers le littoral serait sans doute la voie la plus facile, mais ils devaient s’y attendre. Il s’agissait là d’un piège mortel. Elle continua à grimper la pente en tirant sur les muscles de ses jambes qui souffraient des efforts à accomplir dans la poudreuse. Athlète accomplie dans des sports d’endurance, elle était habituée à la souffrance. Originaire du Montana, elle savait ce que signifiait avoir froid et être trempée.
Mon Dieu, comme j’aurais aimé que mon frère soit là. Il aurait su quoi faire, songea-t-elle en se rappelant les courses d’endurance auxquelles ils avaient participé ensemble, ainsi que les encouragements qu’ils avaient partagés sur le tatami dans leur club de jiu-jitsu.
Le paysage désolé de la toundra signifiait qu’elle se trouvait quelque part bien au nord, peut-être en Scandinavie ou en Alaska. Plus probablement quelque part en Russie. Les hommes qui l’avaient enlevée parlaient rarement entre eux, mais ils empestaient l’odeur du tabac turc. Le charpentier de son père avait été un immigrant de Biélorussie, et cette odeur mélangée de feuilles de tabac brûlées et de sueur était quelque chose dont elle se souvenait. Si cela devait s’avérer, ils l’avaient transportée à l’est. Quelle que soit la manière dont ils l’avaient droguée, la substance s’était dissoute, et elle avait été incroyablement bien nourrie. Ils avaient sans doute voulu qu’elle soit en pleine forme. Elle leva les yeux vers le ciel et vit que la météo s’aggravait : de la neige fraîche recouvrirait ses empreintes tandis que le brouillard lui offrirait une sorte de camouflage. Elle continua de gravir la pente face au vent ; elle ferait en sorte de disparaître.
* * *
La tempête de neige dura près de deux heures. Le chasseur retourna au camp de base attendre qu’elle passe, allant s’installer devant la cheminée pour lire Pensées pour moi-même, de l’empereur romain et philosophe stoïcien Marc Aurèle. Sergueï lui offrit un verre de brandy, mais il refusa, lui préférant une tasse de thé chaud. Il aurait largement le temps de célébrer plus tard, il ne souhaitait rien avoir dans les veines qui puisse tempérer le plaisir à venir. Il apprécia la saveur du thé importé en contrebande depuis la Chine. Il y avait pris goût à l’occasion de l’une de ses affectations, intrigué par le rituel qui accompagnait le service, ainsi que par l’histoire de ce breuvage et son système de classification tout aussi complexe que celui utilisé pour catégoriser les vins français.
Se renfonçant dans son confortable fauteuil de cuir, il promena son regard autour de lui. Une impressionnante ramure de cerf qu’il avait chassé en Turquie était accrochée au-dessus du manteau de la cheminée, un témoignage de sa chance et de sa persévérance. À côté s’affichait la tête empaillée d’un argali du Tian Shan dont les yeux vides semblaient le regarder. L’animal, sorte de bouquetin aux cornes spiralées imposantes, n’avait pas été facile à traquer dans les hauteurs extrêmes des « montagnes célestes » du Tadjikistan. Le foyer de la cheminée, en pierres, était encadré par une paire de défenses d’éléphant du Botswana, chacune d’entre elles approchant la barre mythique des 50 kilos. Il avait parcouru plusieurs kilomètres avant de pouvoir abattre la bête. Bien qu’il aime regarder ces trophées, il ne les considérait que comme les reliques d’une vie passée, similaires aux médailles qu’il avait remportées dans des compétitions sportives gamin. Depuis, il était passé à des parties de chasse bien plus difficiles et bien plus satisfaisantes.
Il sortit un paquet de cigarettes Dunhill de la poche de poitrine de sa chemise en laine et alluma une cigarette avec le briquet en or S.T. Dupont que lui avait offert son père. Il fit glisser son pouce sur l’aigle impérial à deux têtes gravé sur le côté, l’emblème du SVR, les services de renseignements extérieurs de la Russie. Certains vestiges du Tsar avaient survécu au communisme. Comment lui faudrait-il gérer cela avec son père ? Non, pas maintenant, il verrait plus tard.
Il but une gorgée de son thé et visualisa sa proie. Il avait encore plusieurs heures de jour devant lui, et il était impératif qu’il la retrouve avant que le soleil ne se couche. Elle ne survivrait jamais à la nuit dans de telles conditions. De la vapeur d’eau s’échappait de ses bottes alors que la neige fondue dont elles étaient imbibées s’évaporait devant la chaleur des flammes du foyer. La tempête serait bientôt finie. La neige aura bien sûr effacé ses traces, d’autant plus qu’elle avait été suffisamment intelligente pour avoir utilisé le vent à son avantage. Il appela Sergueï et lui demanda de préparer les chiens. Il allait bientôt lui apprendre ce que pouvait être la véritable peur.
* * *
Elle était arrivée sur les hauteurs et allait bientôt atteindre l’extrémité de l’île. Son chemin l’avait conduite loin de la toundra vallonnée, jusqu’à des falaises escarpées dominant la mer. Le froid était désormais d’une intensité telle qu’il commençait à lui enlever toute volonté de continuer à courir, de continuer à survivre. Elle était trempée de la tête aux pieds d’un mélange de neige et de transpiration, et engourdie jusqu’à la taille. Les douleurs qu’elle avait éprouvées aux pieds avaient commencé à s’atténuer, ce qui signifiait qu’ils étaient désormais pris par le gel. Elle frotta ses mains glacées l’une contre l’autre sous sa veste polaire dans une vaine tentative de les réchauffer. Le vent mordant était en train de la tuer, aussi entreprit-elle de descendre lentement la falaise. Elle perdit bientôt l’équilibre et dévala près de quinze mètres plus bas avant qu’un petit rocher ne vienne freiner sa chute. Une partie d’elle aurait voulu qu’elle s’écrase tout en bas, ce qui aurait privé ses poursuivants du plaisir de lui ôter eux-mêmes la vie, mais cela ne correspondait pas à son caractère. Ce n’était pas ainsi qu’elle avait été élevée.
Alors qu’elle s’accrochait désespérément à la falaise, ses yeux tombèrent sur une petite excroissance rocheuse qui pourrait lui permettre de se dissimuler aux regards d’en haut et qui l’abriterait du vent. Elle avança la pointe d’un de ses pieds jusqu’à trouver un appui, ses mains à la recherche de la moindre aspérité à laquelle accrocher ses doigts. Ses mains dénichèrent une petite fissure rocheuse et elle commença à se mouvoir très lentement vers sa destination. Centimètre par centimètre, pas après pas, elle finit par y parvenir. L’espace était à peine suffisamment grand pour l’accueillir, mais cela valait toujours mieux que d’être exposée au vent. Elle replia ses genoux contre sa poitrine, retira ses bras des manches pour les coller contre son corps, sous sa veste polaire, enfouissant ensuite sa tête à l’intérieur. Elle réalisa soudain qu’elle était assoiffée, épuisée, terrifiée. Pour la première fois depuis des années, elle s’autorisa à pleurer, ses larmes et ses sanglots se transformant bientôt en un râle animal alors qu’elle réalisait ce que signifiaient réellement ses gémissements. Elle faisait le deuil de sa propre mort.
* * *
Le plafond nuageux se dissipa, la neige n’étant désormais plus qu’une fine poussière de flocons dansant dans la brise. L’homme dirigea sa motoneige vers l’endroit où il avait perdu sa trace pour la dernière fois et fit signe à Sergueï de lâcher les chiens, parqués à l’arrière du camion de transport de troupes russe KamAZ à six roues motrices. Sergueï regarda avec désir l’arc traditionnel qu’il avait emporté avant de laisser celui-ci à sa place et de partir obéir aux ordres de son chef. Bien que le sang des Koriaks qui coulait dans ses veines ait été dilué au cours des siècles par les invasions cosaques, les migrations forcées et les guerres, il sentait toujours l’appel de sa terre natale plus au nord.
Les deux chiens, semblables à des ours, des bergers du Caucase, sautèrent du plateau arrière du camion et commencèrent à renifler l’air à la recherche d’une odeur particulière. Sergueï leur avait passé l’écharpe de la femme sous la truffe, une odeur de proie facile à retrouver dans un paysage vierge de tout parfum étranger. Chacun des chiens pesait près de 70 kilos, pour une taille au garrot de près de 80 centimètres. Ces animaux bien particuliers, des chiens de montagne, étaient issus d’une fière lignée de chiens militaires qui remontait aux premiers jours de l’Union soviétique. Ils avaient été sélectionnés pour leur détermination, leur férocité et leur appétence pour la chair humaine.
Il adressa un signe à Sergueï, lequel chuchota un commandement aux chiens. Ils arrêtèrent aussitôt d’uriner, de renifler ou de vagabonder dans la neige et rejoignirent les deux hommes ayant commencé à gravir la pente enneigée sur leurs raquettes. Les bêtes repérèrent rapidement la trace olfactive de la femme et s’élancèrent dans la neige, abandonnant la silhouette trapue de Sergueï dans leur sillage. Les chiens les conduisirent jusqu’au sommet le plus élevé de l’île, avant de redescendre sur l’autre versant, moins exposé au vent. Il admirait sa volonté de survie. Il s’agissait pour lui d’un excellent remède à l’ennui profond qu’il avait éprouvé depuis aussi longtemps qu’il pouvait s’en souvenir. Sa main droite alla inconsciemment toucher l’arbalète qu’il portait accrochée dans son dos par une sangle, afin de confirmer qu’elle était bien là. Ils se rapprochaient.
* * *
Maintenant qu’elle était protégée du vent, elle réalisa combien les choses étaient calmes autour d’elle. Ses larmes n’avaient coulé que quelques minutes ; cela lui avait fait du bien de pleurer. Conserve ton sang-froid, ma puce ; elle se rappelait ces paroles que son père prononçait avec les traces d’un vieil accent rhodésien. Oui, elle conserverait son sang-froid. Il était temps pour elle de se battre.
Elle attrapa une poignée de terre sale et frotta ses habits avec jusqu’à ce qu’ils prennent la teinte de son environnement. Tout en raclant le sol de la toundra, sa main tomba sur quelque chose de dur et lisse. Elle gratta encore plus furieusement, puis fit courir ses doigts tout autour afin d’en trouver les extrémités. Enfin, à l’aide d’une petite pierre en guise de pelle, elle déterra ce qui s’avéra être un os, sans doute la côte d’un phoque qui avait été amenée là par un rapace. Il mesurait près de 25 centimètres de long, avec une forme incurvée et une extrémité acérée là où il avait été brisé. Elle le retourna dans sa main. Elle était désormais en possession d’une arme.
Le silence environnant fut brisé par des aboiements de chiens. Cette fois-ci, le frisson qui la traversa ne fut pas provoqué par le froid. Cela importait peu que les chiens puissent arriver ou non jusqu’à elle, ils finiraient de toute manière par débusquer sa cachette. Elle était piégée. Elle jeta un coup d’œil en direction du rebord de sa corniche, au bout de ses pieds, et ne vit rien d’autre que les vagues venant se briser contre la falaise plusieurs dizaines de mètres plus bas.
Les aboiements se rapprochaient. Elle entendit et vit des petits cailloux dévaler sous elle alors que ses poursuivants longeaient la falaise escarpée. Elle inspira profondément, retint son souffle, puis exhala lentement tout en ajustant sa prise sur sa dague de fortune.
* * *
Pendant une bonne minute, l’homme songea que sa proie avait chuté dans la mer, mais l’excitation de ses chiens l’amena à penser autrement. Il passa la sangle par-dessus sa tête et apprêta son arme. La longue tige de carbone de son carreau était parfaitement alignée sur son rail, le fin câble torsadé prêt à être libéré pour dégager son énergie cinétique. Il releva l’opuscule obturant sa lunette de visée et épaula cette version contemporaine d’une arme ancienne afin de s’assurer que les optiques n’étaient pas occultés par la buée. Sa proie se trouvait sans doute à portée de tir, il n’y avait plus qu’à la débusquer.
Sergueï déclipsa les mousquetons de cuivre des colliers des chiens, les libérant ainsi du joug de leurs laisses de cuir. Ils s’élancèrent vers le rebord de la falaise, puis ralentirent leur allure jusqu’à avancer précautionneusement en bordure de falaise. Leurs aboiements étaient presque assourdissants. En raison du terrain escarpé, l’animal de tête jeta un regard méfiant en direction de son maître. Sergueï lui répondit par un ordre qui suffit à ôter tout doute éventuel : les chiens débutèrent aussitôt une descente contrôlée. Un chien ordinaire aurait très certainement basculé dans la mer, mais il s’agissait là d’animaux aux pattes solides, élevés dans les montagnes et parfaitement préparés à ce type de tâches.
* * *
Elle ne pouvait pas les voir, mais les rugissements de leurs aboiements lui indiquèrent qu’ils se trouvaient à proximité, hors de son champ de vision, dissimulés quelque part derrière les parois de sa prison de pierres. Elle repassa son bras gauche dans sa manche sans l’enfoncer profondément, de manière à ce que l’extrémité du tissu demeure vide à partir du coude. Une vision terrifiante : une gueule rugissante plantée de dents semblables à celles d’un loup se matérialisa soudain devant elle. D’un mouvement brusque, elle lança sa manche vide en direction de l’animal, qui, par instinct, planta aussitôt ses crocs dedans. Elle retira instantanément sa main gauche de la manche et s’en servit pour saisir le berger du Caucase par son collier, juste avant de lui plonger son os aiguisé dans la nuque de son autre main. Elle hurla de rage en le surinant encore et encore, le sang lui giclant abondamment sur les mains et le visage. Elle reporta bientôt sa furie sur les poumons de la bête, rassemblant toutes ses forces pour réussir à pénétrer l’épaisse couche de poils. Son premier coup rebondit sur une côte, mais le deuxième et le troisième réussirent à pénétrer la cavité thoracique. Le chien recula craintivement, titubant, puis il perdit l’équilibre et dévala la falaise.
* * *
Sergueï hurla de colère en voyant le plus beau de ses chiens de chasse valdinguer dans les flots agités de la mer de Béring. « Ataka », ordonna-t-il au plus jeune des mâles d’une voix moins assurée que d’habitude, hésitant pour la première fois à envoyer son chien faire son travail. L’animal ne se soucia pas des éventuelles réticences de son maître, son instinct d’obéissance prenant le dessus. Il chargea sans plus réfléchir.
* * *
Elle avait à peine eu le temps de reprendre ses esprits que le deuxième chien passa à l’attaque. Cet animal compensa son manque d’expérience en redoublant d’agressivité. Il ignora le geste de torero que la femme fit avec sa manche et bondit droit sur elle pour essayer de la prendre à la gorge. Elle se renfonça autant que possible dans sa cavité rocheuse, l’haleine du chien et l’odeur de son pelage musqué envahissant aussitôt son espace restreint. Des éclats de bave arrosaient son visage tandis que les aboiements rageurs de la bête se répercutaient jusqu’au plus profond de son âme. Elle recroquevilla son menton contre son torse afin de protéger sa gorge et passa son bras gauche devant son visage. La puissante mâchoire de l’animal se referma sur son coude, les dents de la bête s’enfonçant dans la chair jusqu’à l’os.
Elle poignarda le flanc de la bête avec sa dague de fortune et sentit bientôt l’extrémité traverser la peau de l’animal. Le chien prit conscience de la menace et se lança à l’attaque du bras dont la main tenait l’instrument qui le faisait souffrir, lacérant la peau et la chair, jusqu’à broyer les os et les tendons. La dague de fortune tomba au sol. Attrapant alors une pierre de sa main libre, elle le frappa encore et encore, mais il ne desserra pas les crocs. Au lieu de cela, il la tira vers l’ouverture de sa cache, en direction de son maître, qui attendait. Le chien faisait bien 15 kilos de plus qu’elle. Son corps, désormais lacéré et ensanglanté, ne faisait pas le poids contre son adversaire déchaîné. Son esprit, cependant, était encore loin d’être vaincu.
Conserve ton sang-froid.
Sachant qu’elle se trouverait à découvert dans quelques secondes, elle marmonna une rapide prière et saisit le collier du chien de la main droite. Les actions du chien ne se basaient que sur son instinct pur, mais elle disposait de ses facultés de raisonnement. Elle bouscula le chien sans le lâcher, plia les genoux, puis poussa sur ses jambes pour s’élancer droit devant elle.
La liberté.
* * *
Il avait son œil collé à la lunette de visée, prêt à décocher sa première flèche aussitôt que Sergueï aurait rappelé son chien. Il se contenterait tout d’abord de la blesser – nul besoin de précipiter la fin. Il bascula la sécurité de son arbalète Ravin et posa l’index de sa main gantée sur la détente. La lunette de visée dansait devant lui, conséquence inévitable de sa respiration, de son adrénaline et de sa soif de sang, mais il lui serait impossible de rater sa cible à une telle distance. Il viserait la cuisse, en espérant ne pas toucher l’artère fémorale et éviter ainsi une mort trop rapide.
L’animal la tenait dans ses crocs. Il pouvait voir les jambes de la fille reculer dans son trou. L’anticipation de ce qui allait se passer le fit se sentir plus vivant que jamais. Il perçut le mouvement de sa polaire avant que le chien ne change subitement de position et ne se mette à trébucher. Puis il ne put retenir un cri de surprise. La femme venait de se jeter dans le vide, avec les crocs de l’animal toujours refermés sur elle. Ils restèrent tous les deux comme suspendus dans l’air un court instant, puis ils allèrent s’écraser sur la plage de galets 120 mètres plus bas.
Cette salope d’égoïste l’avait privé de sa victoire. Il laissa tomber son arbalète dans la neige et alla chercher une cigarette dans sa poche, ordonnant alors à Sergueï de se débrouiller pour aller récupérer sa dépouille avant de faire demi-tour d’un pas lourd.
Ça n’avait aucune importance. Cette femme n’était qu’un appât. Il était après un plus gros gibier. Même morte, elle lui servirait encore.
LE PIÈGE
« On ne chasse pas dans le but de tuer, bien au contraire, on tue pour avoir chassé. »
– José Ortega y Gasset
Méditations sur la chasse
Ranch Kumba, Vallée Flathead, MontanaTrois mois plus tôt
James Reece était assis sur le siège passager d’une Land Rover Defender 110 de 1997. Silencieux, il appréciait la vue du paysage qui s’offrait à lui. La route traversait une épaisse forêt de pins jaunes qui s’élevaient dans toutes les directions. Son camarade d’université et ancien équipier au sein des SEAL, Raife Hastings, se trouvait au volant du SUV britannique, sans avoir souhaité indiquer à Reece quelle était leur destination. La famille de Raife possédait cette propriété tentaculaire depuis qu’elle avait émigré d’Afrique du Sud au cours des années 1980, alors qu’il n’était encore qu’un jeune adolescent. Ce qui avait débuté comme un humble et petit élevage de bétail s’était transformé au fil des ans, jusqu’à représenter plusieurs milliers d’hectares de pâturages et de terres vierges. Des succès dans le commerce du bétail et de la construction avaient permis à cette famille d’étendre ses opérations, au point qu’elle possédait désormais des propriétés dans tout l’État. En dépit de leur fortune, arrachée à la sueur du poignet, le père de Raife avait fait en sorte que sa famille n’oublie jamais les débuts difficiles qu’ils avaient connus et qu’elle ne puisse jamais penser que les opportunités offertes par leur pays d’adoption allaient de soi.
En sa qualité d’ancien Navy SEAL, Reece avait largement fait la preuve de ses capacités d’adaptation : il s’était montré plus malin qu’un organe de sécurité nationale déterminé à le tuer, puis il avait déjoué un complot visant à assassiner le président des États-Unis. Vic Rodriguez, qui dirigeait la branche paramilitaire de la division des activités spéciales de la CIA, l’avait alors recruté pour une mission qui avait non seulement permis de sauver la vie du président américain, mais qui avait également épargné à l’Ukraine de subir une attaque chimique. Vic avait reconnu les aptitudes de Reece à résoudre les problèmes de manière agressive et avait souhaité pouvoir le recruter sur le long terme. Ainsi, sur le plan administratif, Reece était aujourd’hui un contractuel de la direction des opérations clandestines de la CIA, mais sa mission actuelle consistait surtout à dénicher un endroit tranquille où il pourrait se remettre de sa récente opération chirurgicale et reprendre des forces. Ce qu’ignorait son nouvel employeur, c’est que Reece avait un agenda bien plus personnel justifiant sa décision de rejoindre la CIA : il fallait que deux hommes meurent.
Reece releva la visière de sa casquette de baseball sur ses cheveux coupés ras. Il n’avait pas eu une telle coupe de cheveux depuis son stage BUD/S1. Ils lui avaient rasé la tête au centre médical militaire de Walter Reeds et, bien que ses cheveux aient déjà commencé à repousser, il ne s’y était pas encore habitué. Il caressa du bout des doigts, avec délicatesse, la cicatrice qu’il avait sur le crâne, et s’étonna une nouvelle fois de sa taille vraiment petite. L’opération ayant permis de retirer sa tumeur cérébrale avait été un véritable succès. Il était soulagé à l’idée de ne pas avoir à subir de séances d’irradiation ou de chimiothérapie et était heureux d’être encore vivant après tout ce qu’il avait traversé au cours des deux dernières années : il y avait eu bien trop de morts.
Les pneus du 4x4 crissèrent sur le gravier tandis que Raife accélérait pour gravir une route sinueuse qui conduisait jusqu’à une crête.
« Ces bagnoles ont toujours été sous-motorisées », commenta Reece d’un air grave.
Le débat opposant les Land Rover aux Land Cruiser était un sujet de divertissement quasi constant pour les deux amis, chacun d’eux se saisissant toujours du moindre prétexte pour critiquer le véhicule favori de son camarade.
« Je devrais peut-être te laisser continuer à pied ? » répondit Raife.
Raife arrêta le vieux Defender en arrivant au sommet de la route. Le panorama, ouvrant sur un paysage infini d’arbres aux feuillages verts entourant le lac alpin en contrebas, était d’une beauté à couper le souffle, même pour quelqu’un qui vivrait là depuis des décennies.
« C’est magnifique.
– J’ai pensé que tu aimerais bien.
– La vue ?
– Non, ta nouvelle maison.
– De quoi tu parles ?
– Tu vois cette cabane là-bas, près du lac ?
– Ouais.
– Le coup de bol, c’est que mon père et mon beau-père sont fanas de James Reece. Ils l’ont fait construire pour toi. Ils ont pensé que tu aurais aimé disposer d’un endroit au calme pour te ressourcer. Elle est pour toi.
– T’es sérieux ? »
Raife acquiesça d’un signe de tête, visiblement heureux. Ce n’était pas tous les jours que l’on pouvait surprendre son meilleur ami en lui offrant une maison.
« Je ne sais pas quoi dire.
– Un truc du genre “merci” pourrait faire l’affaire.
– Eh bien, merci…
– Tu as toujours voulu vivre dans la dépendance de Robin », sourit Raife en faisant référence au deuxième prénom de son père et en sachant que Reece comprendrait l’allusion. « Je suis certain qu’il te mettra au travail tôt ou tard et qu’il fera en sorte d’en avoir pour son argent, alors si j’étais toi, je me débrouillerais pour que ta convalescence dure le plus longtemps possible.
– Merci pour le tuyau.
– Il y a autre chose pour toi sous le siège. »
Reece se pencha et retira un SIG P-320 X-Compact rangé dans un holster de ceinture Black Point Tactical mini-wing.
« Mato a songé que cela pourrait t’être utile, indiqua Raife en évoquant leur ancien maître-principal, qui gérait désormais l’académie de tir de SIG Sauer.
– Tout le monde sait donc que je suis revenu ? interrogea Reece.
– Tu connais la bande, mon pote, répondit Raife avec un sourire. Nous sommes pires que les vieilles bonnes femmes d’un club de couture. »
Raife enclencha la première vitesse et utilisa son frein moteur pour descendre la pente escarpée qui conduisait vers le chalet. Une allée circulaire de granulats conduisait vers la maison depuis le sentier qui passait devant. Cette maison à ossature bois avait été à l’origine un petit chalet de pionnier, dont la façade avait été préservée avant que des travaux d’agrandissement ne soient entrepris. Le bâtiment, d’une taille imposante sans être ostentatoire, se fondait parfaitement dans son environnement. Raife se gara devant le grand porche d’entrée, puis les deux anciens commandos sortirent de leur véhicule.
Ils étaient tous les deux vêtus de jeans et T-shirts aux couleurs effacées, leurs armes invisibles dans leurs holsters de ceinture. Reece était chaussé de ses habituelles Salomon de marche, tandis que Raife portait des bottes Courtney, en peau de buffle du Cap, au design plus traditionnel et qui avaient été importées depuis son Zimbabwe natal. Leur tenue reflétait leur personnalité de plusieurs manières. Reece était originaire de Californie, en perpétuelle recherche du dernier et du plus perfectionné des équipements capables de lui fournir un avantage en termes de performance. Raife était à l’opposé, plus traditionaliste, préférant l’âme et les émotions des anciens temps. Si Reece était fait de Kydex, de nylon et de Kevlar, alors Raife était plutôt cuir, cuivre et noyer.
Les silhouettes athlétiques des deux hommes ne passaient pas inaperçues, avec leurs larges épaules, leurs torses puissants et leurs bras endurcis par des années d’entraînement physique intense. Bien que leurs accoutrements soient quasi-similaires et qu’ils offrent une silhouette identique, personne n’aurait pu les prendre pour deux frères. Reece avait les cheveux noirs, avec une barbe de trois jours poivre et sel. Raife mesurait 5 cm de moins que son ami et son 1,83 mètre, avec une silhouette plus allongée, des épaules plus larges mais une taille plus fine. Ses cheveux blonds, jaunis par le soleil, débordaient de l’arrière de sa casquette et venaient caresser son col. Ses yeux étaient d’un vert presque incandescent qui contrastait d’autant plus avec sa peau bronzée. Une petite cicatrice blanche courait le long de sa joue. Raife s’arrêta juste avant d’aborder la marche du perron en bois, sous le porche, et fit signe à Reece de bien vouloir avancer.
La porte avait été fabriquée à partir de sapins de Douglas et portait les traces de plus d’une centaine d’années d’exposition aux éléments. Reece manœuvra le loquet d’acier, avant de pousser l’épaisse porte, qui s’ouvrit facilement avec ses nouvelles charnières. Un grand espace ouvert baignait dans une lumière naturelle grâce aux larges fenêtres du mur opposé à l’entrée. Le sol était fait en ardoises du Montana, une mosaïque de gris et de brun qui contrastait avec les panneaux de bois de teinte claire des murs. Le conduit d’une cheminée en pierre grimpait jusqu’aux poutres du plafond. Reece fut pris d’émotion en découvrant le trophée de chasse qui avait été suspendu au-dessus du manteau.
« C’est le trophée de mon père ?
– C’est exact. Il est mort avant que nous ne puissions le lui expédier. Nous avons pensé que ce serait un bon endroit pour l’exposer. »
Les deux familles s’étaient rapprochées quand Raife et Reece étaient devenus amis à l’université du Montana. Le père de Reece, Tom, s’était rendu dans ce ranch à l’automne 2000, alors que Reece et Raife avaient achevé leur stage BUD/S et avaient été affectés dans deux Teams SEAL différents, chacun sur une côte des États-Unis. Tom Reece, lui-même ancien SEAL pendant la guerre du Vietnam, avait participé à une chasse à l’élan au cours de cette visite chez les Hastings et abattu la bête dont les bois de près de 2 mètres d’envergure trônaient dans la nouvelle maison. C’était la dernière fois qu’ils avaient chassé ensemble. Les attaques du 11-Septembre s’étaient produites l’année suivante, et Reece avait passé les quinze années suivantes à combattre al-Qaida, l’ISIS et tous leurs semblables aux quatre coins du monde. Tom Reece était décédé brutalement et de manière tragique en 2003, apparemment à l’occasion d’un vol à main armée dans une rue de Buenos Aires, alors qu’il effectuait une mission pour la CIA, tandis que Reece lui-même était déployé en Irak.
Un confortable canapé de cuir faisait face à la cheminée, tandis qu’un tapis en peau de vache recouvrait le sol carrelé, délimitant en quelque sorte l’aire névralgique du salon. Reece remarqua que la peau de bête portait la cicatrice du marquage au fer rouge aux armes de la famille Hastings. Raife resta en arrière de Reece tandis que celui-ci faisait le tour du propriétaire, honoré de cette générosité dont faisait preuve la famille Hastings. Le chalet disposait d’une grande cuisine, avec un ancien four de fonte restauré, entouré d’équipements modernes, ainsi que d’une confortable chambre, avec un lit king size, et même d’une chambre d’ami, d’une salle de bain et d’un espace loft où installer un bureau. Presque toutes les pièces bénéficiaient d’une vue sur le lac.
« J’ai une dernière chose à te montrer », fit Raife en brisant le silence et en faisant signe à son ami de se diriger vers la porte qui conduisait dehors depuis la cuisine. Ils sortirent, descendirent quelques marches et marchèrent d’un bon pas en direction d’un bâtiment semblable à une petite étable. Raife ouvrit grand la porte cochère et se décala sur le côté en arborant un grand sourire. À l’intérieur de ce qui avait été transformé en garage se trouvait un Toyota Land Cruiser 1988 FJ62, dont la carrosserie au métal bleu-argenté luisait généreusement sous la lumière des LED au plafond. La couleur vintage de la carrosserie contrastait superbement avec le noir des jantes en aluminium, des pare-chocs noirs et de la galerie de toit.
Les yeux de Reece s’exorbitèrent à la vue de ce véhicule customisé à son intention. Il avait été obligé d’abandonner son ancien Land Cruiser il y avait de cela plus d’un an, afin de pouvoir conclure une quête de vengeance qui avait entraîné de nombreuses morts dans son sillage, d’une côte à l’autre du pays. Depuis, il lui était arrivé de conduire des Land Rover, notamment dans le cadre de missions anti-braconnage pour l’oncle de Raife au Mozambique, mais il n’avait plus jamais eu de véhicule à lui.
« Elle est offerte avec la maison. Tu sais très bien que je ne conduis pas ce genre d’engin, alors autant que tu en profites.
– Maintenant, je ne sais vraiment pas quoi dire.
– Tu fais le timide tout d’un coup ? » plaisanta Raife en faisant référence à Utilivu, le surnom en langue shona que les pisteurs lui avaient décerné en Afrique. « Ne reste pas planté là comme un idiot, grimpe dedans ! »
Reece s’avança comme s’il approchait un vaisseau extraterrestre. La portière s’ouvrit d’une simple pression sur le bouton de la poignée – celui qui s’était occupé de la restauration avait fait un très bon travail. L’intérieur sombre de la cabine combinait à la fois le style et le confort. Les clés étaient insérées dans le démarreur. Le moteur de 430 chevaux General Motors LS3-V-8 rugit dans l’instant, son grondement cependant atténué par le système de pot d’échappement avec revêtement céramique qui lui permettait de conserver une certaine furtivité en dépit de sa puissance.
« Pas mal pour une importation japonaise, hein ? » Le politiquement correct n’était pas une des qualités de Reece. « Je l’adore.
– C’est un cadeau de Thorn, fit Raife en faisant usage du surnom de son beau-père. Il a pris pitié de toi quand il t’a vu dans un sale état.
– Où a-t-il récupéré cette voiture ?
– Tu ne la reconnais pas ? »
Reece regarda les places arrière derrière lui, puis se retourna vers son ami.
« C’est la tienne ! Le vieux Clint n’a pas pu se résoudre à la détruire quand tu as quitté la Californie, alors il s’est contenté de la planquer quelque part. Quand il a appris que tu étais vivant, il a fait appel à Thorn grâce à l’Association des Opérations Spéciales. Ils ont un super réseau sur les vétérans du Vietnam. Thorn l’a fait livrer ici, mais seulement après l’avoir réparée.
– Ils ont fait un peu plus que la réparer. C’est du travail d’artiste !
– Heureux que ça te plaise. C’est ICON 4x4 qui a fait le boulot de restauration, alors j’imagine que la mécanique tiendra sans problème, pas comme avant. Au fait, j’allais oublier. Regarde derrière ton siège. »
Reece coupa le contact et se retourna pour regarder par-dessus son épaule. Il découvrit un rack tactique conçu pour coller au dos de son siège avec, à l’intérieur, une carabine semi-automatique MK12 Daniel Defense équipée d’un réducteur de son SilencerCo Omega et d’une lunette de visée NightForce 1-82x24 mm ATACR montée sur le rail supérieur.
« J’ai l’impression que tu attires les emmerdes, alors j’ai pensé que ça pourrait t’être utile d’avoir à ta disposition un peu plus que du 9 mm.
– Tu ne t’es pas trompé, mon ami, fit Reece sincèrement touché.
– Mets-toi à l’aise et repose-toi. La famille arrive demain par avion, et papa va organiser un grand dîner en ton honneur.
– Ça me fera plaisir de revoir tout le monde.
– Presque tout le monde. Tu te souviens de ma plus jeune sœur, Hanna ? Elle est en ce moment en Roumanie en train de chercher à sauver le monde, mais je crois qu’elle doit revenir pour Noël.
– Ça me fera plaisir de la revoir. Et cela me laisse quelques mois pour me remettre en forme. Si je m’en souviens bien, elle participait à pas mal d’ultramarathons ?
– Elle avait remporté La Grande Traversée il y a quelques années, alors t’as pas mal de retard à rattraper.
– Je ne plaisante pas. J’ai toujours rêvé de la faire, depuis Crested Butte jusqu’à Aspen, c’est ça ?
– C’est ça. Soixante kilomètres de ski de fond à travers Elk Mountain.
– Il faut être en équipe de deux pour le faire ? Qui est son binôme ?
– C’est moi, répondit Raife en souriant. Et s’ils ne t’ont pas retiré le foie en même temps que ta tumeur, tu penseras à l’amener pour le dîner. Tu te souviens de ma famille ?
– Je vais essayer de me trouver un foie de secours. Et je l’emmènerai avec moi.
– Je serai à l’atelier si tu as besoin de quoi que ce soit.
– Hé, Raife, appela Reece alors que son ami s’en allait vers la sortie.
– Ouais ?
– Tu ferais bien de vérifier le niveau d’huile de ton Defender. Ça fait quelques minutes qu’il est stationné là, alors il coule sans doute déjà. »
Raife se retourna en se souriant à lui-même, tout en saluant son ami d’un doigt d’honneur.
1 Basic Underwater Destruction / SEAL (démolition sous-marine / SEAL)
Bangui, République centrafricaine
Roman Dobrynin n’était pas habitué à attendre. C’était même plutôt l’opposé. Ce sont les autres qui attendaient après lui : ses subordonnés, son personnel de sécurité, et même les dignitaires étrangers. Il n’était autre que l’envoyé du président russe en Afrique, ou tout du moins en République centrafricaine. Âgé d’une cinquantaine d’années, c’était un diplomate chevronné qui avait gagné ses galons dans le chaos qu’avait été la Tchétchénie. Il avait prouvé sa valeur en tant que négociateur acharné, capable de menacer, avant d’employer l’art plus subtil de la manipulation afin d’achever ses objectifs stratégiques, et ceux de Mère Russie. Sur le plan technique, il n’était qu’un cadre de niveau A au sein du ministère des Affaires étrangères russe, mais, de facto, leur homme au grade le plus élevé en République centrafricaine. Il avait pour titre officiel Conseiller à la sécurité nationale pour le président de la République centrafricaine.
La Russie était une puissance à prendre de plus en plus au sérieux en Afrique. Dobrynin avait d’ailleurs des homologues au Congo, en Éthiopie, en Érythrée et au Mozambique. Avec la France qui délaissait désormais ses anciennes colonies, la Russie et la Chine n’avaient pas manqué de remplir l’espace laissé vide : contrats de vente d’armes, contrats de sécurité et d’assistance régionale, négociations régionales, exploitation forestière, mines de diamants, gisements d’or ou de cobalt, et plus important encore pour les Russes, l’uranium. La Russie n’avait pas particulièrement cherché à camoufler son activité dans la région, affirmant même que celle-ci remontait à 1964. Située de manière stratégique au cœur du continent noir, la République centrafricaine était le point d’éclatement idéal à partir duquel la Russie pouvait envoyer des troupes dans les pays voisins, afin d’exploiter et exporter leurs ressources naturelles. Dobrynin était là pour s’assurer que c’était bien la Russie, et non pas la Chine, qui contrôlait les ressources naturelles de cette Nation enclavée au milieu des terres africaines et, bien plus important encore, le vote de ce pays aux Nations unies.
Bien que riche en gisements de matières premières, la République centrafricaine était l’un des dix pays les plus pauvres au monde. Les comptes-rendus de violation des droits humains sur place évoquaient entre autres des exécutions illégales, des actes de torture, des mutilations génitales chez les femmes, de l’esclavage et du trafic d’êtres humains, de l’esclavage sexuel, le travail des enfants, des viols et des génocides, ce qui en faisait un pays prêt à être ramassé par n’importe quelle Nation qui aurait souhaité en tirer avantage. C’était là un pays en déliquescence prêt à tomber sous la coupe de la première puissance venue.
L’appel avait été passé par le directeur de cabinet du directeur général en personne, ce qui signifiait qu’il s’était agi d’une des rares communications que Dobrynin avait dû prendre. Il lui avait été indiqué de manière très claire que son invité devrait être reçu avec la plus grande des courtoisies, et qu’il était envoyé par le président en personne. En Russie, la distinction entre visite officielle et visite privée était parfois impossible à établir. Cette visite portait tous les signes d’un piège, comme la précédente. Dobrynin savait qu’en sa qualité de directeur adjoint au Directorat S des services de renseignement extérieur de la Russie, Aleksandr Zharkov pouvait se rendre en République centrafricaine pour tout un tas de raisons. Il connaissait bien entendu le nom d’Aleksandr Zharkov et, bien plus que l’appel qu’il avait reçu du haut commandement, ce nom était à lui seul une raison suffisante pour accommoder au mieux cet officier des services de renseignement. Dobrynin souhaitait garder sa tête accrochée à ses épaules. Personne au sein de la Bratva russe ne pouvait se permettre d’offenser un pakhan et espérer rester longtemps en bonne santé.
Dobrynin observa le monstrueux Antonov AN-235 effectuer un hippodrome au-dessus du terrain avant d’entamer son approche finale. Il demeura dans son véhicule jusqu’à ce que les roues de l’appareil touchent le sol et que celui-ci roule jusqu’au terminal de l’aéroport contrôlé par les Russes. Ce n’est qu’alors qu’il sortit de son Toyota Hilux blindé et avec air conditionné. Il passa la main sur sa cravate pour l’aplatir, tira sur la veste de son costume Armani, puis avança en direction de son rendez-vous pour aller l’accueillir.
* * *
Le directeur adjoint Zharkov attendit patiemment que la gueule de l’avion s’ouvre, soulevant l’immense cockpit avant dans le ciel. Le nez arrêta de se relever après avoir atteint un angle droit, laissant ainsi une ouverture béante dans le fuselage. La plupart des avions de transport disposaient d’une rampe arrière de déchargement, mais c’était l’exact opposé pour l’AN-225. Le train d’atterrissage avant s’abaissa alors lentement pour aligner la soute à hauteur du sol, une conception unique qui permettait à l’appareil d’engouffrer un volume de cargaison inimaginable. Une vague d’air chaud prit Zharkov à la gorge, le meilleur des indicateurs pour lui faire comprendre qu’il n’était plus à Moscou. Il sentit dans l’air l’odeur caractéristique d’un conflit. Son esprit se laissa aller à explorer toutes sortes de possibilités.
Il balaya le tarmac du regard et repéra un convoi de quatre véhicules entouré par un cordon d’hommes en armes. Des spetsnaz. Ces hommes des opérations spéciales de l’ancienne Union soviétique avaient autrefois été craints dans le monde entier en raison de ce qui se racontait alors sur leur entraînement, le plus dur jamais conçu dans le monde contemporain, et en raison de leurs opérations – l’Occident dirait plutôt « atrocités » – perpétuées en Afghanistan au cours des années 1980. Ils en étaient aujourd’hui réduits à servir de garde rapprochée à ceux qui voulaient encore être entourés des mythiques spetsnaz.
Un homme en costume noir avança vers lui, encadré de deux hommes de son service de protection, tous deux armés de fusils d’assaut AKM2.
« Directeur Zharkov, je suis…
– Roman Dobrynin, répondit le directeur en finissant sa phrase à sa place. C’est un plaisir de faire votre connaissance. Merci d’avoir pris le temps de me rencontrer alors que je suis certain que vous avez de nombreux dossiers qui requièrent votre attention. J’ai entendu beaucoup de bonnes choses sur les progrès que vous avez réalisés ici en tant que conseiller à la sécurité et en ce qui concerne les intérêts de la Russie sur place.
– C’est un honneur si je peux y contribuer », répondit Dobrynin dont les yeux allaient du fuselage imposant de l’avion à la silhouette de son visiteur. « Vous êtes seul, M. le Directeur ?
– Da », confirma Zharkov d’un geste de la main, comme s’il n’y avait rien d’étonnant à ce qu’il soit l’unique passager de cet appareil, le plus lourd à avoir été jamais construit. Avec une capacité de chargement en soute de 250 tonnes, cet avion venait d’achever un vol de 14 heures depuis Moscou jusqu’au milieu de l’Afrique dans le seul but de déposer un agent de renseignements au cœur des ténèbres.
« Pas de personnel de sécurité ? interrogea Dobrynin, en observant à nouveau l’appareil.
– Je préfère voyager léger et sans les avantages de ma fonction qui pourraient attirer une attention malvenue sur ma personne. »
Zharkov était élégamment vêtu d’un pantalon marron et d’une chemise de safari beige dont les manches avaient été retroussées au-dessus des coudes. Il portait un sac de toile accroché par une sangle passée à l’épaule.
« Et puis, connaissant votre influence et sachant que vous contrôliez la région, je savais que vous procéderiez aux arrangements nécessaires.
– Bien sûr, directeur. Nous y allons ? » fit Dobrynin en désignant les véhicules en attente, tout en cherchant à comprendre si les paroles du directeur avaient constitué un compliment, un avertissement ou une simple remarque condescendante.
Zharkov acquiesça d’un hochement de tête.
« Je crois que l’on vous a transmis mes demandes ?
– Da, nous allons vous conduire à votre hôtel et, demain, nous vous accompagnerons jusqu’aux mines. »
* * *
Zharkov observa d’un regard attentif la ville à l’activité bouillonnante tout en écoutant d’une oreille polie Dobrynin se vanter de ses dernières victoires diplomatiques. Une force d’environ 5 000 militaires russes et conseillers se trouvait en République centrafricaine pour former les forces locales des opérations spéciales en matière de contre-insurrection. Zharkov en conclut qu’il s’agissait là d’une campagne de terreur visant à contrôler la dissidence et permettre au président actuel de rester au pouvoir et de se montrer bienveillant envers les intérêts russes dans le pays.
À chaque feu rouge, les véhicules étaient pris d’assaut par des foules grouillantes d’enfants, aux mains tendues, le visage traversé d’espoir à l’idée de recevoir une pièce ou une friandise. La circulation était chaotique, la chaussée encombrée de véhicules en panne tandis que les scooters se faufilaient dangereusement à toute vitesse, à la manière des insectes qui pullulaient dans la jungle proche. C’était un pays à bout de souffle.
Une petite file de taxis patientaient devant l’hôtel, tous porteurs d’un autocollant à l’effigie du drapeau russe sur leur pare-choc avant, leurs chauffeurs attendant avec impatience l’opportunité de pouvoir déposer un hôte à l’aéroport, ou d’en ramener un. Le portail sous bonne garde de l’hôtel Ledger s’ouvrit à l’approche du convoi, qui abandonna la décrépitude de la rue dans un nuage de poussière. L’allée pavée montait jusqu’à l’entrée de l’hôtel, un tout autre monde. L’opulence des temps anciens, sans doute les vestiges de l’époque coloniale française, se reflétait dans chacun des aspects de cet hôtel, le plus luxueux de Bangui : du marbre en abondance, des tapisseries anciennes et des statuettes en bois poli à la perfection, ses incrustations d’or reflétant la lumière de l’après-midi.
« Mes hommes vont vous conduire jusqu’à votre chambre. J’espère que vous trouverez vos appartements à votre goût. Est-ce qu’un dîner dans deux heures vous conviendrait ?
– Ce sera parfait, merci », répondit poliment Zharkov avant de se diriger vers l’ascenseur menant à son penthouse, deux spetsnaz et un garçon d’étage dans son sillage. Quand ils se présentèrent devant la double porte de la suite, son escorte de sécurité le fit patienter un instant.
« Un moment, monsieur, s’il vous plaît.
– Ouvre la porte ! » ordonna l’un d’entre eux au garçon d’étage.
Ils entrèrent dans l’appartement de 100 m2 fusils braqués devant eux, puis allèrent explorer chaque recoin, avant d’annoncer qu’il était sécurisé.
Zharkov entra et ne fut pas surpris de découvrir deux jeunes filles, qui ne devaient pas avoir plus de 15 ans, vêtues de robes de soie blanche et l’attendant sagement sur le lit king size. C’était l’Afrique. Il observa leurs silhouettes, leurs corps maigres, leurs peaux noires qui se découpaient sous le tissu blanc. Une bouteille de Dom Pérignon 1987 et des fraises nappées de chocolat étaient disposées sur la table. Il déposa sa sacoche par terre et se versa un verre de champagne frais, savourant le goût de la boisson tout en jetant un coup d’œil à l’agenda posé sur la table.
Il reporta son regard sur les filles et fut tenté, goûtant à la nervosité qu’elles dégageaient, n’ayant pas encore le regard éteint. Elles conservaient un semblant d’espoir en elles.
Il fit un signe de tête en direction de la porte. « Ukhady ! » lança-t-il. « Von ! », répéta le Russe, d’une voix plus forte quand il vit qu’elles ne bougeaient pas.
Incapables de comprendre le moindre mot de russe, les deux jeunes filles restèrent figées, incertaines de ce qu’elles devaient faire. Zharkov leur désigna la porte.
« Dehors ! » dit-il, cette fois-ci en anglais tout en montrant la porte.
Elles comprirent cette langue étrangère, ainsi que le ton et le geste employés, et se levèrent pour passer lentement devant lui avant de sortir, se demandant toujours ce qu’elles devaient faire et commençant à s’inquiéter à l’idée de lui avoir déplu d’une manière ou d’une autre. Il leur ouvrit lui-même la porte et indiqua à son escorte de sécurité demeurée sur le palier qu’il ne souhaitait plus être dérangé jusqu’au dîner.
Il avait fréquenté suffisamment de prostituées dans cette partie du monde au cours de sa jeunesse et devait conserver toute son énergie. Il avait une mission à accomplir.
2 Fusil d’assaut Kalachnikov modernisé.
Hôtel AkyanSaint-Pétersbourg, Russie
Aux yeux d’Ivan Zharkov, l’information était quelque chose d’essentiel. C’était l’information, et sa volonté de l’exploiter à tout prix, qui l’avait conduit à ce niveau de pouvoir au sein de la Bratva, la Confrérie – connue par le reste du monde sous le nom de mafia russe. Son ascension au sein du gang Tambov de Saint-Pétersbourg résultait d’une exploitation en temps et en heure des informations récoltées par son fils aîné, Aleksandr. Certains estimaient même que c’était par l’intermédiaire d’Aleksandr qu’Ivan avait planifié l’arrestation d’un des anciens dirigeants les plus puissants du gang, mais personne n’osait l’affirmer à haute voix. Ivan était leur Vor v Zakone. Personne, pas même le gouvernement de Moscou, n’aurait souhaité se mettre en travers de son chemin.
C’était le goût d’Ivan pour l’information qui l’avait poussé à envoyer un émissaire en Argentine, là où un officier de la CIA avait promis de lui transmettre de précieuses informations. Ce job avait incombé à Dimitry Mashkov, un fidèle bratok3 qui avait interrogé suffisamment de Tchétchènes quand il avait servi au sein du 104e régiment de la garde aéroportée pour savoir reconnaître quelqu’un qui mentait. Cet homme, qui était capable de faire parler un fanatique islamiste, qui avait survécu à son temps de prison dans le pénitencier de Kresty et qui avait assassiné des membres du gang rival Solntsevskaya, saurait facilement déterminer si l’analyste américain valait la peine d’être recruté.